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Rôle Titre - femmes de fiction

Annette (Le Dieu du carnage, Reza) Jusqu'à la nausée

Annette (Le Dieu du carnage, Reza) Jusqu'à la nausée

26min |15/10/2023
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Rôle Titre - femmes de fiction

Annette (Le Dieu du carnage, Reza) Jusqu'à la nausée

Annette (Le Dieu du carnage, Reza) Jusqu'à la nausée

26min |15/10/2023
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Description

“On vient dans leur maison pour arranger les choses et on se fait insulter, et brutaliser, et imposer des cours de citoyenneté planétaire, notre fils a bien fait de cogner le vôtre, et vos droits de l’homme je me torche avec !” Annette, Le Dieu du carnage.
Avons-nous réellement plus de sang-froid, de sens de responsabilités et de calme que nos enfants ? Pas si sûr. L’histoire d’Annette, Alain, Michel et Véronique, quatre parents charmants en apparence, nous le démontre. Au milieu de l’océan de conventions qui les retient dans un salon bourgeois, il en faut peu pour que leur véritable nature, animale, refasse surface.
Dans cet épisode qui s’écoute comme des commérages entre parents d’élèves :
- les surprises auxquelles il faut s’attendre avec les gens discrets qui font tapisserie
- la sauvagerie carnassière des gens civilisés bien sous tous rapports
- les techniques de combat Homme/Femme des bagarres domestiques
Bonne écoute
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🔎 Références sources :
Théâtre (essai gratuit Scribd) : Le Dieu du carnage, Yasmina Reza, 2006, créé à la Schauspielhaus de Zurich
Interview : Yasmina Reza parle du Dieu du carnage, par Sylvie Coly pour Classiques & Contemporains

🎧 Références sonores citées dans l’épisode (extraits) :
Film : Carnage, Roman Polanski, 2011, avec Kate Winslet (Annette), Jodie Foster, Christoph Waltz et John C. Reilly dans les rôles principaux
Podcast : Yasmina Reza “Les mots sont des parenthèses du silence”, Les Masterclasses, France Culture, 2020
Musique : Les gens bien élevés, France Gall, 1969
Musique  : Le dîner, Bénabar, 2005
Musique : Thème de la bande-originale du film Carnage, Alexandre Desplat, 2011

©️ Crédits
Rôle Titre est un podcast de Camille Forbes propulsé par Ausha


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Mais il se rend compte qu'il a défiguré son camarade ? Non,

  • Speaker #1

    il se rend compte que la violence de son geste est inacceptable, pas qu'il a défiguré son camarade.

  • Speaker #0

    Vous n'aimez pas le mot, mais c'est malheureusement le terme approprié.

  • Speaker #1

    Ils sont jeunes, ce sont des enfants. Dans les cours de récré, les gamins se bastonnent, ils l'ont toujours fait, le feront toujours, c'est la loi de la nature.

  • Speaker #0

    Non, c'est pas vrai. Mon fils a perdu deux dents, deux incisives.

  • Speaker #2

    Ça va,

  • Speaker #1

    on est au courant.

  • Speaker #0

    Oui, dont une qui a fichu pour toujours.

  • Speaker #1

    On lui en paiera de nouvelles.

  • Speaker #2

    Participez pas à ce petit jeu. Le petit jeu dans lequel ces deux jeunes cons nous ont entraînés. ce qu'elle touche, ce qu'elle interroge dans notre société et dans notre construction du féminin. À mes yeux, chacune de ces héroïnes est essentielle. Et ce podcast existe pour faire entendre leur voix. Alors j'espère que vous aussi, vous en porterez un fragment d'elle. Message de service. Rôle titre, c'est aussi une newsletter, des réseaux sociaux, des recos et des ressources culturelles autour de ces héroïnes inspirantes. Pour approfondir le podcast, pour le suivre et le soutenir pour qu'il dure. Toutes les infos sont dans les notes de l'épisode. Pensez-y. Mais pour l'instant, il est l'heure, pour rôle titre, d'entrer en scène. Ah, qu'est-ce qu'on ne ferait pas par amour maternel ? Décrocher la lune ? Être d'une patience infinie ? Ou casser des gueules à coups de pelle ? Cette question épineuse est traitée avec brio dans la pièce de Yasmina Reza. Le dieu du carnage. L'histoire se joue dans un salon, on ne peut plus classique, à notre époque, où nous rencontrons quatre parents, des gens très bien, dont Annette. En quelques heures, le carnage va se jouer et ces gens vont passer la pire journée de leur vie. Pour Annette, l'emballement de la machine sera progressif. Du statut d'invité poli qui fait tapisserie, elle deviendra bientôt le centre de l'attention. Au fur et à mesure que les conflits internes et externes s'expriment, on verra comment la sauvagerie gagne du terrain. Et la règle numéro un de la bagarre semble universelle, qu'on soit un enfant ou un parent, on ne se bat jamais aussi bien qu'avec ses tripes. Vous écoutez Rôle titre, l'épisode Annette, jusqu'à la nausée. On connaît tous une Annette, c'est la figure de la bourgeoise... un peu trop gentille, un peu trop polie, un peu trop d'accord avec vous. Annette est une femme dans la quarantaine bien sous tout rapport. Elle s'adapte toujours, tout en préservant les convenances. C'est un caméléon. Mais au moment où débute la pièce, Annette est en fâcheuse posture. Elle et son mari Alain se retrouvent chez un couple qu'ils n'ont jamais rencontré, les Houliers, pour s'expliquer. En effet, leur fils Ferdinand s'est violemment battu avec le fils des Houliers. Il lui a même cassé deux dents.

  • Speaker #0

    Mais il se rend compte qu'il a défiguré son camarade ?

  • Speaker #2

    Non,

  • Speaker #1

    il se rend compte que la violence de son geste est inacceptable, pas qu'il a défiguré son camarade.

  • Speaker #0

    Vous n'aimez pas le mot, mais c'est malheureusement le terme approprié.

  • Speaker #2

    Ça la fout mal pour une mère de famille. Mais Annette assume ses responsabilités parentales. On la découvre donc plus courtoise que jamais, intervenant peu, mais sans laisser non plus de silence gênant s'installer. Elle est clairement là pour arrondir les angles. Nous sommes... très touchée par votre générosité. Nous sommes sensibles au fait que vous tentiez d'aplanir cette situation au lieu de l'envenimer. Pendant toute la première moitié de la pièce, elle est celle qu'on entend le moins par rapport aux trois autres parents. La plupart du temps, elle répète, elle reformule et va dans le sens de ce qui a été dit. Vous avez raison. Quand on lui demande ce qu'elle veut boire, elle répond un verre d'eau. Pas beaucoup de personnalité là-dedans. Même son prénom, Annette, c'est un diminutif, un prénom petit. qui prend moins de place que les autres. Le prénom de quelqu'un d'insignifiant ? Au premier abord, on pourrait penser qu'Anette se fait facilement marcher dessus. Elle ne répond pas aux piques, elle laisse couler l'impolitesse de son mari qui est rivé à son téléphone. En bon caméléon, Annette patiente. Elle se fond dans un décor qui n'est pas le sien. Elle fait même franchement tapisserie. Pourtant, Annette va se révéler pugnace. Elle a même une botte secrète. Mais avant que je vous en parle, parlons un peu du carnage qui s'installe dans ce salon bourgeois. Le dieu du carnage, c'est l'atmosphère typique du huis clos du quotidien. Banal en apparence, mais stressant au plus haut point. C'est une pièce de théâtre qui fera écho à ces situations crispantes dont vous avez sûrement fait l'expérience. Qui n'a pas été coincé en réunion au bureau, dans un repas de famille, ou en âgé de copropriétaire. Des moments formels où on n'a pas toujours envie d'être là, mais pas franchement le choix non plus. Comme dirait l'autre, l'enfer, c'est les autres. Le plus souvent, tout le monde commence de bonne volonté, mais petit à petit, chacun place ses pions, glisse un sous-entendu, tente de profiter d'une situation. C'est exactement ce qui se passe dans le salon où se trouve Annette. On voit sous nos yeux les rapports de force évoluer. Les alliances se font et se défont. Au départ, très logiquement, les époux font bloc chacun de leur côté. Marie et femme sont solidaires. Ils veulent protéger les intérêts de leurs enfants. Les houliers ont un autre avantage dans la bataille. Ils jouent à domicile. Et c'est leur fils la victime.

  • Speaker #0

    Mon fils a perdu deux dents, deux incisives.

  • Speaker #1

    Ça va, on est où ?

  • Speaker #0

    Oui, dont une qui a fichu pour toujours.

  • Speaker #1

    On lui en paiera de nouvelles.

  • Speaker #2

    Mais s'il n'y avait qu'un seul conflit à résoudre, ce serait trop simple. Dans le dieu du carnage, toutes les combinaisons passent. Les hommes se comprennent, puis s'affrontent virilement. Les femmes font preuve d'une présumée solidarité féminine, avant de se tirer dans les pattes. Mari et femme, mais d'un couple différent. tombent finalement d'accord sur un sujet précis, et puis l'un des personnages se retrouve isolé contre les trois autres. Bref, c'est la zizanie. Mais pas encore complètement le carnage. L'agressivité monte d'un cran à chaque fois qu'un personnage se sent envahi dans son espace. Et si c'est par son propre conjoint, c'est encore pire, parce qu'il faut alors y ajouter un sentiment de trahison. Le carnage, ce n'est pas simplement la violence. Ça vient de carnem, la viande en latin. Et ça fait référence à l'abattage des animaux. Sous une scène sophistiquée, quatre bourgeois autour d'une table basse, le dieu du carnage pose une situation de départ primaire. Ce sont quatre animaux prêts à en découdre. Qui va bouffer qui ? Dans ce contexte, l'attitude d'Anette se comprend. Elle monte crescendo. Faire profil bas au départ, c'est une stratégie. Si elle dit oui à tout, Annette pourra écourter ce moment gênant et rentrer chez elle. C'est fourbe, mais ça se défend. Alors, Annette fait ce qu'il faut. Elle complimente les tulipes, le clafoutis. Elle donne même carrément dans le faux cul. Non, combien de parents prennent fait et cause pour leur enfant de façon elle-même infantile ? Si Bruno avait cassé deux dents à Ferdinand, est-ce qu'on n'aurait pas eu, Alain et moi, une réaction plus épidermique ? Je ne suis pas sûre qu'on aurait fait preuve d'une telle largeur de vue. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'Anette s'est brossé les gens dans le sens du poil. Ça lui vient sûrement de son métier. Elle est conseillère en gestion de patrimoine. Parenthèse, dans une masterclass sur son mode d'écriture, Yasmina Reza indiquait à quel point le métier d'un personnage le caractérise.

  • Speaker #3

    C'est quand on a envie d'écrire, qu'on a une vague idée, que quelque chose vous démange, vous semble devoir pour vous être fait. Mais il faut mettre en place la structure. Il faut choisir les personnages, choisir leur nom, le truc le pire, le métier. Le métier peut me prendre des jours et des jours. Pourquoi ? Parce que c'est très définissant, un métier. Babylone, j'avais l'idée d'une scène, j'avais l'idée un peu du livre, de l'immeuble, des personnages comme ça, vaguement. je butais sur le métier de la narratrice. Il me fallait un métier un peu scientifique, mais pas prof, pas chercheuse, c'était trop... Parce que ça définit énormément de choses. Avec le métier, vous pouvez dire aussi, pas seulement la classe sociale, mais un cursus. Qu'est-ce que c'est le tous les jours de quelqu'un ? Le métier, c'est très important, c'est ce qui nous constitue, d'un point de vue temporel, en tout cas... Plus que n'importe quoi, trois quarts du temps y est consacré. C'est beaucoup plus important que blonde, brune, grosse ou... Donc ça, ça me prend un temps fou et c'est fastidieux.

  • Speaker #2

    On peut donc considérer que Yasmina Reza n'a pas choisi le métier d'annette au hasard. Si vous tapez conseillère en gestion de patrimoine dans Google Images, vous verrez beaucoup de carrés mi-longs bien lissés et brochés et des chemises bleu ciel. Et surtout, des visages doux et empathiques, gage d'un excellent relationnel. Ça... C'est la partie émergée de l'iceberg d'Anette. Elle joue la carte de l'écoute bienveillante. Elle est même prête à dire du mal de son fils pour faire avancer le schmilblick. Vous savez, Ferdinand se comporte comme un voyou, on ne s'intéresse pas à ses états d'âme. Mais au fur et à mesure des négociations, son mari se défile, et elle sent bien qu'elle est en train de perdre la partie. Alors elle sort son arme ultime. Disclaimer, je pose ici à la fois un spoiler et un trigger warning, parce que le chapitre suivant est fortement déconseillé aux hémétophobes. Nous allons parler vomi. Vous pouvez reprendre tranquillement à la minute 14 de l'épisode. À toute ! Eh oui, fin du suspense, Annette est un rôle mémorable parce qu'à la moitié de la pièce, elle se met soudain à vomir. C'est ça sa botte secrète. La didascalie qu'il annonce est magique. Annette vomit violemment. Une gerbe brutale et catastrophique qu'Alain reçoit pour partie. Les livres d'art sur la table basse sont également éclaboussés. Voilà, c'est dit, on n'est pas sur un petit holker. Cette gerbe... vient complètement rebattre les cartes du carnage en cours. Ça faisait un moment qu'Anette était palote, disait se sentir mal, et que tout le monde s'en fichait un peu. Une fois qu'elle a ruiné le salon de ses hôtes, là, elle redevient le centre de l'attention. C'est futé. Plus sérieusement, cette réaction incontrôlée d'Anette est assez jubilatoire. C'est le moment où elle reprend le dessus. Vomir, c'est le dernier recours du corps quand quelque chose est trop difficile à digérer, quand ça ne passe pas. Là, ça fait facilement 30 minutes que le mari d'Anette se comporte comme un goujat, tandis qu'elle encaisse les insinuations, les jugements et les attaques sur son fils.

  • Speaker #0

    Quand un enfant est un danger public, ça concerne absolument tout le monde.

  • Speaker #2

    Trop, c'est trop. Ça ne passe plus. Retour à l'envoyeur. Annette vomit cette situation. Elle vomit ses deux parents qu'elle ne connaît pas et son mari. Ne me touche pas ! Pour mon mari, tout ce qui est maison, école, jardin, c'est de mon ressort. Si, c'est vrai. Je te comprends, c'est mortel tout ça. C'est mortel. Et c'est à ce moment qu'elle reçoit coup sur coup les deux gouttes d'eau qui font déborder le vase.

  • Speaker #0

    Je vous trouvais ça d'un ennui mortel, pourquoi faire des enfants ?

  • Speaker #2

    Vous venez de le dire vous-même. Heu ? Va chercher un seau.

  • Speaker #4

    Va chercher un seau. Oui, oui.

  • Speaker #2

    dire à une mère qu'elle aurait mieux fait de ne pas être mère. C'est vraiment pas malin. Surtout si on vient de racheter un tapis. Annette minimise beaucoup, avec sa tête ou par bienséance, mais heureusement, son corps la rattrape et fait le boulot de purger. Elle a tenté de prévenir. Elle dit je vais vomir Possiblement parce que son mari la dégoûte. Et aussi... J'ai mal au cœur. Yasmina Reza nous dit encore en interview, un personnage se révèle essentiellement par ses choix sémantiques. C'est vrai qu'elle n'est pas anodine, cette expression j'ai mal au cœur Quand on a envie de vomir, on a mal au ventre, pas au cœur. C'est un détail, mais qui laisse entendre que le mal-être d'Anette est plus psychologique qu'intestinal.

  • Speaker #0

    C'est pas à cause du crumble, ça j'en suis sûre.

  • Speaker #5

    C'est pas le crumble,ce sont juste les nerfs

  • Speaker #4

    c'est ce qu'il y a.

  • Speaker #0

    Vous voulez pas vous nettoyer un peu ?

  • Speaker #2

    Vomir, évidemment, c'est inconscient, c'est un réflexe. Mais c'est finalement un très bon système d'autodéfense, car ça permet de résoudre en partie le conflit du moment, qu'il soit intérieur ou extérieur, ou les deux, dans le cas d'Anette. Intérieurement, on ne cache plus son état réel, on ne contrôle plus son apparence. Et extérieurement, les règles de la bienséance sont tellement bafouées quand on vomit que personne ne sait généralement comment réagir. Du coup, l'agressivité ambiante retombe d'un cran, sous l'effet du choc. Pour Annette, la transformation est radicale. Dans la deuxième moitié de la pièce, elle dira bien plus franchement ce qu'elle pense, et elle fera avancer l'action, quitte à rejeter de l'huile sur le feu.

  • Speaker #5

    Vous avez repris du poil de la bête depuis que vous avez dégueulé !

  • Speaker #2

    Ou, comme le disent les étudiants alcoolisés, vomir, c'est repartir. Repassons à des sujets plus glamour. Le dieu du carnage a rencontré un immense succès, et ce n'est pas uniquement grâce aux faits d'armes d'Annette. C'est une pièce jouée dans le monde entier, qui a reçu deux Tony Awards peu après sa création, meilleure pièce et meilleure mise en scène. Pourtant, la structure est basique. Un seul lieu, un dialogue entre deux couples de monsieur et madame tout le monde, ça pourrait être n'importe quelle comédie de boulevard lambda. Tout tient dans l'écriture et la peinture du milieu bourgeois. C'est aux petits oignons. On reconnaît le snobisme bobo parisien dans les moindres détails. On connaît vraiment des gens qui sont comme ça, on les voit. Vos enfants s'intéressent à l'art ?

  • Speaker #0

    Disons que nous essayons de compenser le déficit scolaire en la matière. Nous essayons de les emmener au concert, voir des expositions. Nous sommes convaincus que la culture est une force puissante en faveur de la paix.

  • Speaker #2

    Se sentir obligé d'acheter des tulipes pour les invités. Palabrer sur la cuisson du clafoutis. Hésiter sur l'expo à laquelle il faudrait emmener les enfants. Mais quel enfer ! Ça, c'est ce qui explique le succès en France. En réalité, sans en avoir l'air, la pièce est complètement universelle. Dans l'adaptation au cinéma de 2011, l'action est transposée à New York. Les prénoms sont changés, le clafoutis devient un crumble, mais tout fonctionne à l'identique. La tension de la pièce reste... intacte. On peut jouer cette pièce n'importe où. Elle dit la même chose. Il y a des bourgeois partout, ils sont névrosés et on adore les voir souffrir. Il y a des problèmes qu'on comprend et qu'on partage avec eux. L'adulte qui défend sa progéniture, la femme qui bien souvent encaisse jusqu'à la nausée, plus que le mari. Et les tensions du couple qu'on cache en public.

  • Speaker #1

    Leur mariage va à vau-l'eau, on ne va pas essayer de leur faire concurrence.

  • Speaker #2

    Et puis, il y a les crispations spécifiquement bourgeoises. Le hamster qu'on regrette d'avoir acheté aux enfants, ou le smartphone qu'on a mis 9 heures à paramétrer.

  • Speaker #5

    Ça me paraît totalement insensé qu'on me mette sur la sellette pour cette saloperie de hamster.

  • Speaker #2

    Tous ces trucs dont, disons-le, on s'emmerde bien inutilement. Ne pas virer bourgeois vieux cons, c'est accepter la petitesse de son existence, la médiocrité de ses petits tracalas, et les remettre à leur place. Oh, les riches aussi ont leurs problèmes, les pauvres. J'ai dû lire Le Dieu du Carnage pour la première fois dans mes années post-bac. J'ai bien ri, ça part franchement en cacahuètes à la fin, mais j'étais bien loin des considérations des quadragénaires bon chic bon genre. C'est plus tard que je me suis sentie plus proche d'Anette. Je me rappelle que j'essayais de m'expliquer le titre. Qui était Le Dieu du Carnage ? Pendant longtemps, la réponse qui s'imposait, c'était l'enfant. L'enfant roi, l'enfant dieu, celui qui règne sur sa famille, adulé. Pendant que les adultes s'étripent à son sujet.

  • Speaker #5

    Les enfants nous sucent la vie et nous laissent vieux et totalement vidés. C'est la loi de la nature.

  • Speaker #2

    L'enfant apporte le chaos à plusieurs niveaux. D'abord, c'est bien connu, les enfants cassent tout. Ils sont moins civilisés que les adultes.

  • Speaker #1

    Ils sont jeunes, ce sont des enfants. Dans les cours de récré, les gamins se bastonnent. Ils l'ont toujours fait, ils le feront toujours. C'est la loi de la nature.

  • Speaker #0

    Non, c'est pas vrai.

  • Speaker #2

    Ensuite, ils nous donnent énormément d'obligations à gérer et sèment le chaos dans nos couples. Ils nous rendent territoriaux et surprotecteurs, comme les mammifères que nous sommes.

  • Speaker #5

    Je ne participais pas à ce petit jeu. C'était un petit jeu. Le petit jeu dans lequel ces deux jeunes comptes nous ont entraînés.

  • Speaker #2

    Bref, tout ça c'est la faute des gosses alors qu'ils ne sont même pas là. Ils brillent par leur absence dans la pièce. Mais on a bien des parents qui idolâtrent leur fils chéri comme un dieu et qui en deviennent complètement dingues. C'est pour ça que le cynisme d'Alain fait du bien.

  • Speaker #1

    Pour Alain, c'est lui qui prononce le titre de la pièce.

  • Speaker #2

    Le dieu du carnage, c'est plutôt une puissance supérieure qui semble l'emporter sur la morale ou la bienveillance.

  • Speaker #1

    On peut aussi se demander qui remporte la bataille parmi les parents.

  • Speaker #2

    Le dieu du carnage ? ce serait celui ou celle qui, à la fin de la pièce, aurait fait le meilleur des carnages. Ou alors, on peut y voir quelque chose de plus abstrait. Le dieu du carnage, c'est peut-être le silence, l'indifférence, le mépris ou l'ego. Comme souvent en théâtre, l'importance n'est pas de fixer la réponse, c'est de se poser la question. Côté Annette, je me suis reconnue dans le personnage, mais plus tard. Ça m'a étonnée de ne pas avoir fait le lien plus tôt d'ailleurs. Il se trouve que moi aussi, quand je suis poussée dans mes derniers retranchements, je vomis. Oui, j'ai vomi le jour de la rentrée en cours préparatoire. C'était sûrement un événement insurmontable à mes yeux. Et une autre fois en sixième, compressée au milieu de la file de la cantine qui brassait trop d'élèves qui faisaient trois têtes de plus que moi. Deux excellents souvenirs, pour ne citer qu'eux. Il me montre que... Comme Annette, j'ai cette forte connexion à mon corps depuis toujours. Je ne plaisante pas, c'est vraiment un truc pratique, un genre de super pouvoir de survie, pour se tirer des situations inextricables. Je comprends tellement Annette, toute l'anxiété qu'elle accumule dans sa situation et tout ce qui se joue à l'intérieur d'elle. Tout le monde la trouve fausse, hypocrite, mais en réalité, elle ne se laissera pas ronger de l'intérieur. Annette, c'est la revanche des anxieux. Dans son équipe, on reste connecté à son deuxième cerveau, l'intestin. Si vous sentez qu'il vous dit que c'est hors de question, écoutez-le, écoutez-vous.

  • Speaker #4

    J'ai des frissons, je me sens faible, je crois que je suis souffrant. Ce serait pas raisonnable de sortir maintenant. Je préfère pas prendre de risques, c'est peut-être contagieux. Il vaut mieux que je reste, ça m'ennuie, mais c'est mieux. Me traites d'égoïste ? Comment oses-tu dire ça ? Moi qui suis malheureux et triste, et j'ai même pas de home cinéma. On s'en fout, on y va pas, on a qu'à se cacher sous les noix. Le dieu

  • Speaker #2

    du carnage n'a pas un axe particulièrement féministe. Mais si je devais en trouver un, j'irais probablement voir du côté du thème du combat et rechercher comment les femmes sont mises en scène quand elles se retrouvent au milieu de la bagarre. Le plus souvent, le combat est ramené à un truc d'homme. Ici, ce sont les deux fils qui se sont battus. On a des pères de famille qui sont fans d'Ivan Noé ou de John Wayne et qui roulent des mécaniques devant leur femme. Sauf qu'à la fin de la pièce, les deux femmes hurlent, Agnès a cassé plein de trucs et elle commet le dernier acte de violence qui provoque la stupeur générale et clôt la pièce. Elle gifle les tulipes. Il y a peu de Didascalie chez Reza, mais quand il y en a, elles sont généralement essentielles à l'action dramatique. La citation complète est... Elle revient vers les tulipes qu'elle gifle violemment. Les fleurs volent, se désagrègent et s'étalent partout. Normalement, on gifle quelqu'un, pas un objet. On imagine bien qu'il y a autre chose derrière ce bouquet de fleurs. Ce que cette pièce m'a apporté sur le plan du féminin, c'est de me demander ce qu'Anette giflait vraiment en giflant les tulipes. Quoi qu'il en soit, j'ai toujours autant de plaisir en lisant la pièce, à voir représenter des femmes qui perdent le contrôle de leur apparence et de leur élégance, qui gueulent, Et qui foutu pour foutu se bourre la gueule parce qu'il n'y a pas de raison que seuls les maris s'intoxiquent.

  • Speaker #0

    On n'a pas le droit à un verre ?

  • Speaker #2

    Yasmina Reza nous montre une face peu reluisante des femmes qu'on voit rarement à la scène ou à l'écran. C'est un défouloir plaisant et rare. Pourquoi tu laisses traiter ton fils de bourreau ? On vient dans leur maison pour arranger les choses et on se fait insulter et brutaliser et imposer des cours de citoyenneté planétaire. Notre fils a bien fait de cogner le vôtre, et vos droits de l'homme, je me torche avec ! Annette devient affreuse, mais je préfère.

  • Speaker #6

    Ils ne

  • Speaker #0

    savent pas ce qu'ils perdent,

  • Speaker #2

    après tout, je l'ai. Pour chaque héroïne de rôle-titre, j'ai l'habitude de me demander si elle était parmi nous, si je la croisais dans la rue, de quoi aurait-elle l'air ? Alors c'est plus facile pour les rôles contemporains, c'est sûr. Annette est déjà parmi nous. Je pense d'ailleurs qu'il est dans l'intérêt du rôle et de la pièce de la jouer sans phare et sans caricature. C'est très drôle de caricaturer la parisienne BCBG, ou les bourgeois en général. Il y en a plein d'imitations sur YouTube ou dans les plateaux de stand-up. Mais pour le dieu du carnage, pour moi ça ne marcherait pas. Je garderais ça droit, noir. Avec les silences qui en disent tellement plus longs que des mimiques forcées. C'est pas une comédie sur la guerre des sexes, avec des portes qui claquent ou des rires enregistrés. Et derrière quelques didascalies spectaculaires, comme le vomi, on y revient, il y a des hypothèses très simples et pas du tout fantaisistes. Peut-être qu'Anette, elle est en plein burn-out maternel. Peut-être qu'elle réalise qu'elle ne devrait pas être en train de parler d'art dans un salon, mais de sauver sa relation avec son môme. Peut-être qu'elle éclabousse son mari parce qu'il pèse 3 tonnes dans sa vie à elle. Peut-être que Annette a un amant. Dans tous les cas, elle a clairement besoin de redéfinir un périmètre de sécurité autour d'elle. C'est un besoin primaire. Alors oui, je peux vous parler des grands rôles féminins, lyriques, qui me touchent par leur finesse psychologique ou par leurs exploits. Mais pour cet épisode, je ne peux pas le dire autrement. J'aime Annette parce qu'elle vomit. Et je me sens tout à fait liée à elle parce que pousser à bout, c'est une des choses les plus justes. que nous pouvons faire pour rester entiers. Alors même si on ne se reconnaît pas dans ces inhibitions ou dans ces ambitions bourgeoises, il y a une part d'Anette à laquelle il me semble facile et utile de s'identifier. Annette, c'est pas grand-chose, on l'a vu. Un petit prénom insignifiant, une petite voix qui apporte la force de dire Non, j'irai pas. Une grenade à dégoupiller qui ne prend pas de place. à emporter dans le sac à main, juste au cas où. Merci d'avoir écouté Rôle titre. Si vous avez apprécié l'épisode, voici trois choses que vous pouvez faire. Vous abonner à Rôle titre sur votre plateforme de podcast préférée et laisser 5 étoiles s'il s'agit d'Apple Podcast ou de Spotify. Rejoindre la newsletter de Rôle titre ou son compte Instagram pour découvrir encore plus de contenu inspirant. Me soutenir financièrement par une donation sur la plateforme Ko-fi. Je vous explique tout en détail dans les notes de l'épisode. Une dernière chose. Rôle Titre abritent les femmes de fiction qui appartiennent à mon panthéon intérieur. Mais leur voix ne peut se propager que grâce à vous. Parler du podcast autour de vous, partager ses épisodes sur les réseaux sociaux, c'est faire entendre la voix de ces héroïnes à des auditeurs toujours plus nombreux. Je vous dis à très vite pour lever le rideau sur une prochaine héroïne. Et si vous avez accueilli en vous un fragment de celle d'aujourd'hui, Faites entendre sa voix, faites résonner Roltitre.

Chapters

  • **Trigger Warning** Emetophobie

    10:11

  • **Fin du trigger warning**

    14:06

Description

“On vient dans leur maison pour arranger les choses et on se fait insulter, et brutaliser, et imposer des cours de citoyenneté planétaire, notre fils a bien fait de cogner le vôtre, et vos droits de l’homme je me torche avec !” Annette, Le Dieu du carnage.
Avons-nous réellement plus de sang-froid, de sens de responsabilités et de calme que nos enfants ? Pas si sûr. L’histoire d’Annette, Alain, Michel et Véronique, quatre parents charmants en apparence, nous le démontre. Au milieu de l’océan de conventions qui les retient dans un salon bourgeois, il en faut peu pour que leur véritable nature, animale, refasse surface.
Dans cet épisode qui s’écoute comme des commérages entre parents d’élèves :
- les surprises auxquelles il faut s’attendre avec les gens discrets qui font tapisserie
- la sauvagerie carnassière des gens civilisés bien sous tous rapports
- les techniques de combat Homme/Femme des bagarres domestiques
Bonne écoute
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🔎 Références sources :
Théâtre (essai gratuit Scribd) : Le Dieu du carnage, Yasmina Reza, 2006, créé à la Schauspielhaus de Zurich
Interview : Yasmina Reza parle du Dieu du carnage, par Sylvie Coly pour Classiques & Contemporains

🎧 Références sonores citées dans l’épisode (extraits) :
Film : Carnage, Roman Polanski, 2011, avec Kate Winslet (Annette), Jodie Foster, Christoph Waltz et John C. Reilly dans les rôles principaux
Podcast : Yasmina Reza “Les mots sont des parenthèses du silence”, Les Masterclasses, France Culture, 2020
Musique : Les gens bien élevés, France Gall, 1969
Musique  : Le dîner, Bénabar, 2005
Musique : Thème de la bande-originale du film Carnage, Alexandre Desplat, 2011

©️ Crédits
Rôle Titre est un podcast de Camille Forbes propulsé par Ausha


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Mais il se rend compte qu'il a défiguré son camarade ? Non,

  • Speaker #1

    il se rend compte que la violence de son geste est inacceptable, pas qu'il a défiguré son camarade.

  • Speaker #0

    Vous n'aimez pas le mot, mais c'est malheureusement le terme approprié.

  • Speaker #1

    Ils sont jeunes, ce sont des enfants. Dans les cours de récré, les gamins se bastonnent, ils l'ont toujours fait, le feront toujours, c'est la loi de la nature.

  • Speaker #0

    Non, c'est pas vrai. Mon fils a perdu deux dents, deux incisives.

  • Speaker #2

    Ça va,

  • Speaker #1

    on est au courant.

  • Speaker #0

    Oui, dont une qui a fichu pour toujours.

  • Speaker #1

    On lui en paiera de nouvelles.

  • Speaker #2

    Participez pas à ce petit jeu. Le petit jeu dans lequel ces deux jeunes cons nous ont entraînés. ce qu'elle touche, ce qu'elle interroge dans notre société et dans notre construction du féminin. À mes yeux, chacune de ces héroïnes est essentielle. Et ce podcast existe pour faire entendre leur voix. Alors j'espère que vous aussi, vous en porterez un fragment d'elle. Message de service. Rôle titre, c'est aussi une newsletter, des réseaux sociaux, des recos et des ressources culturelles autour de ces héroïnes inspirantes. Pour approfondir le podcast, pour le suivre et le soutenir pour qu'il dure. Toutes les infos sont dans les notes de l'épisode. Pensez-y. Mais pour l'instant, il est l'heure, pour rôle titre, d'entrer en scène. Ah, qu'est-ce qu'on ne ferait pas par amour maternel ? Décrocher la lune ? Être d'une patience infinie ? Ou casser des gueules à coups de pelle ? Cette question épineuse est traitée avec brio dans la pièce de Yasmina Reza. Le dieu du carnage. L'histoire se joue dans un salon, on ne peut plus classique, à notre époque, où nous rencontrons quatre parents, des gens très bien, dont Annette. En quelques heures, le carnage va se jouer et ces gens vont passer la pire journée de leur vie. Pour Annette, l'emballement de la machine sera progressif. Du statut d'invité poli qui fait tapisserie, elle deviendra bientôt le centre de l'attention. Au fur et à mesure que les conflits internes et externes s'expriment, on verra comment la sauvagerie gagne du terrain. Et la règle numéro un de la bagarre semble universelle, qu'on soit un enfant ou un parent, on ne se bat jamais aussi bien qu'avec ses tripes. Vous écoutez Rôle titre, l'épisode Annette, jusqu'à la nausée. On connaît tous une Annette, c'est la figure de la bourgeoise... un peu trop gentille, un peu trop polie, un peu trop d'accord avec vous. Annette est une femme dans la quarantaine bien sous tout rapport. Elle s'adapte toujours, tout en préservant les convenances. C'est un caméléon. Mais au moment où débute la pièce, Annette est en fâcheuse posture. Elle et son mari Alain se retrouvent chez un couple qu'ils n'ont jamais rencontré, les Houliers, pour s'expliquer. En effet, leur fils Ferdinand s'est violemment battu avec le fils des Houliers. Il lui a même cassé deux dents.

  • Speaker #0

    Mais il se rend compte qu'il a défiguré son camarade ?

  • Speaker #2

    Non,

  • Speaker #1

    il se rend compte que la violence de son geste est inacceptable, pas qu'il a défiguré son camarade.

  • Speaker #0

    Vous n'aimez pas le mot, mais c'est malheureusement le terme approprié.

  • Speaker #2

    Ça la fout mal pour une mère de famille. Mais Annette assume ses responsabilités parentales. On la découvre donc plus courtoise que jamais, intervenant peu, mais sans laisser non plus de silence gênant s'installer. Elle est clairement là pour arrondir les angles. Nous sommes... très touchée par votre générosité. Nous sommes sensibles au fait que vous tentiez d'aplanir cette situation au lieu de l'envenimer. Pendant toute la première moitié de la pièce, elle est celle qu'on entend le moins par rapport aux trois autres parents. La plupart du temps, elle répète, elle reformule et va dans le sens de ce qui a été dit. Vous avez raison. Quand on lui demande ce qu'elle veut boire, elle répond un verre d'eau. Pas beaucoup de personnalité là-dedans. Même son prénom, Annette, c'est un diminutif, un prénom petit. qui prend moins de place que les autres. Le prénom de quelqu'un d'insignifiant ? Au premier abord, on pourrait penser qu'Anette se fait facilement marcher dessus. Elle ne répond pas aux piques, elle laisse couler l'impolitesse de son mari qui est rivé à son téléphone. En bon caméléon, Annette patiente. Elle se fond dans un décor qui n'est pas le sien. Elle fait même franchement tapisserie. Pourtant, Annette va se révéler pugnace. Elle a même une botte secrète. Mais avant que je vous en parle, parlons un peu du carnage qui s'installe dans ce salon bourgeois. Le dieu du carnage, c'est l'atmosphère typique du huis clos du quotidien. Banal en apparence, mais stressant au plus haut point. C'est une pièce de théâtre qui fera écho à ces situations crispantes dont vous avez sûrement fait l'expérience. Qui n'a pas été coincé en réunion au bureau, dans un repas de famille, ou en âgé de copropriétaire. Des moments formels où on n'a pas toujours envie d'être là, mais pas franchement le choix non plus. Comme dirait l'autre, l'enfer, c'est les autres. Le plus souvent, tout le monde commence de bonne volonté, mais petit à petit, chacun place ses pions, glisse un sous-entendu, tente de profiter d'une situation. C'est exactement ce qui se passe dans le salon où se trouve Annette. On voit sous nos yeux les rapports de force évoluer. Les alliances se font et se défont. Au départ, très logiquement, les époux font bloc chacun de leur côté. Marie et femme sont solidaires. Ils veulent protéger les intérêts de leurs enfants. Les houliers ont un autre avantage dans la bataille. Ils jouent à domicile. Et c'est leur fils la victime.

  • Speaker #0

    Mon fils a perdu deux dents, deux incisives.

  • Speaker #1

    Ça va, on est où ?

  • Speaker #0

    Oui, dont une qui a fichu pour toujours.

  • Speaker #1

    On lui en paiera de nouvelles.

  • Speaker #2

    Mais s'il n'y avait qu'un seul conflit à résoudre, ce serait trop simple. Dans le dieu du carnage, toutes les combinaisons passent. Les hommes se comprennent, puis s'affrontent virilement. Les femmes font preuve d'une présumée solidarité féminine, avant de se tirer dans les pattes. Mari et femme, mais d'un couple différent. tombent finalement d'accord sur un sujet précis, et puis l'un des personnages se retrouve isolé contre les trois autres. Bref, c'est la zizanie. Mais pas encore complètement le carnage. L'agressivité monte d'un cran à chaque fois qu'un personnage se sent envahi dans son espace. Et si c'est par son propre conjoint, c'est encore pire, parce qu'il faut alors y ajouter un sentiment de trahison. Le carnage, ce n'est pas simplement la violence. Ça vient de carnem, la viande en latin. Et ça fait référence à l'abattage des animaux. Sous une scène sophistiquée, quatre bourgeois autour d'une table basse, le dieu du carnage pose une situation de départ primaire. Ce sont quatre animaux prêts à en découdre. Qui va bouffer qui ? Dans ce contexte, l'attitude d'Anette se comprend. Elle monte crescendo. Faire profil bas au départ, c'est une stratégie. Si elle dit oui à tout, Annette pourra écourter ce moment gênant et rentrer chez elle. C'est fourbe, mais ça se défend. Alors, Annette fait ce qu'il faut. Elle complimente les tulipes, le clafoutis. Elle donne même carrément dans le faux cul. Non, combien de parents prennent fait et cause pour leur enfant de façon elle-même infantile ? Si Bruno avait cassé deux dents à Ferdinand, est-ce qu'on n'aurait pas eu, Alain et moi, une réaction plus épidermique ? Je ne suis pas sûre qu'on aurait fait preuve d'une telle largeur de vue. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'Anette s'est brossé les gens dans le sens du poil. Ça lui vient sûrement de son métier. Elle est conseillère en gestion de patrimoine. Parenthèse, dans une masterclass sur son mode d'écriture, Yasmina Reza indiquait à quel point le métier d'un personnage le caractérise.

  • Speaker #3

    C'est quand on a envie d'écrire, qu'on a une vague idée, que quelque chose vous démange, vous semble devoir pour vous être fait. Mais il faut mettre en place la structure. Il faut choisir les personnages, choisir leur nom, le truc le pire, le métier. Le métier peut me prendre des jours et des jours. Pourquoi ? Parce que c'est très définissant, un métier. Babylone, j'avais l'idée d'une scène, j'avais l'idée un peu du livre, de l'immeuble, des personnages comme ça, vaguement. je butais sur le métier de la narratrice. Il me fallait un métier un peu scientifique, mais pas prof, pas chercheuse, c'était trop... Parce que ça définit énormément de choses. Avec le métier, vous pouvez dire aussi, pas seulement la classe sociale, mais un cursus. Qu'est-ce que c'est le tous les jours de quelqu'un ? Le métier, c'est très important, c'est ce qui nous constitue, d'un point de vue temporel, en tout cas... Plus que n'importe quoi, trois quarts du temps y est consacré. C'est beaucoup plus important que blonde, brune, grosse ou... Donc ça, ça me prend un temps fou et c'est fastidieux.

  • Speaker #2

    On peut donc considérer que Yasmina Reza n'a pas choisi le métier d'annette au hasard. Si vous tapez conseillère en gestion de patrimoine dans Google Images, vous verrez beaucoup de carrés mi-longs bien lissés et brochés et des chemises bleu ciel. Et surtout, des visages doux et empathiques, gage d'un excellent relationnel. Ça... C'est la partie émergée de l'iceberg d'Anette. Elle joue la carte de l'écoute bienveillante. Elle est même prête à dire du mal de son fils pour faire avancer le schmilblick. Vous savez, Ferdinand se comporte comme un voyou, on ne s'intéresse pas à ses états d'âme. Mais au fur et à mesure des négociations, son mari se défile, et elle sent bien qu'elle est en train de perdre la partie. Alors elle sort son arme ultime. Disclaimer, je pose ici à la fois un spoiler et un trigger warning, parce que le chapitre suivant est fortement déconseillé aux hémétophobes. Nous allons parler vomi. Vous pouvez reprendre tranquillement à la minute 14 de l'épisode. À toute ! Eh oui, fin du suspense, Annette est un rôle mémorable parce qu'à la moitié de la pièce, elle se met soudain à vomir. C'est ça sa botte secrète. La didascalie qu'il annonce est magique. Annette vomit violemment. Une gerbe brutale et catastrophique qu'Alain reçoit pour partie. Les livres d'art sur la table basse sont également éclaboussés. Voilà, c'est dit, on n'est pas sur un petit holker. Cette gerbe... vient complètement rebattre les cartes du carnage en cours. Ça faisait un moment qu'Anette était palote, disait se sentir mal, et que tout le monde s'en fichait un peu. Une fois qu'elle a ruiné le salon de ses hôtes, là, elle redevient le centre de l'attention. C'est futé. Plus sérieusement, cette réaction incontrôlée d'Anette est assez jubilatoire. C'est le moment où elle reprend le dessus. Vomir, c'est le dernier recours du corps quand quelque chose est trop difficile à digérer, quand ça ne passe pas. Là, ça fait facilement 30 minutes que le mari d'Anette se comporte comme un goujat, tandis qu'elle encaisse les insinuations, les jugements et les attaques sur son fils.

  • Speaker #0

    Quand un enfant est un danger public, ça concerne absolument tout le monde.

  • Speaker #2

    Trop, c'est trop. Ça ne passe plus. Retour à l'envoyeur. Annette vomit cette situation. Elle vomit ses deux parents qu'elle ne connaît pas et son mari. Ne me touche pas ! Pour mon mari, tout ce qui est maison, école, jardin, c'est de mon ressort. Si, c'est vrai. Je te comprends, c'est mortel tout ça. C'est mortel. Et c'est à ce moment qu'elle reçoit coup sur coup les deux gouttes d'eau qui font déborder le vase.

  • Speaker #0

    Je vous trouvais ça d'un ennui mortel, pourquoi faire des enfants ?

  • Speaker #2

    Vous venez de le dire vous-même. Heu ? Va chercher un seau.

  • Speaker #4

    Va chercher un seau. Oui, oui.

  • Speaker #2

    dire à une mère qu'elle aurait mieux fait de ne pas être mère. C'est vraiment pas malin. Surtout si on vient de racheter un tapis. Annette minimise beaucoup, avec sa tête ou par bienséance, mais heureusement, son corps la rattrape et fait le boulot de purger. Elle a tenté de prévenir. Elle dit je vais vomir Possiblement parce que son mari la dégoûte. Et aussi... J'ai mal au cœur. Yasmina Reza nous dit encore en interview, un personnage se révèle essentiellement par ses choix sémantiques. C'est vrai qu'elle n'est pas anodine, cette expression j'ai mal au cœur Quand on a envie de vomir, on a mal au ventre, pas au cœur. C'est un détail, mais qui laisse entendre que le mal-être d'Anette est plus psychologique qu'intestinal.

  • Speaker #0

    C'est pas à cause du crumble, ça j'en suis sûre.

  • Speaker #5

    C'est pas le crumble,ce sont juste les nerfs

  • Speaker #4

    c'est ce qu'il y a.

  • Speaker #0

    Vous voulez pas vous nettoyer un peu ?

  • Speaker #2

    Vomir, évidemment, c'est inconscient, c'est un réflexe. Mais c'est finalement un très bon système d'autodéfense, car ça permet de résoudre en partie le conflit du moment, qu'il soit intérieur ou extérieur, ou les deux, dans le cas d'Anette. Intérieurement, on ne cache plus son état réel, on ne contrôle plus son apparence. Et extérieurement, les règles de la bienséance sont tellement bafouées quand on vomit que personne ne sait généralement comment réagir. Du coup, l'agressivité ambiante retombe d'un cran, sous l'effet du choc. Pour Annette, la transformation est radicale. Dans la deuxième moitié de la pièce, elle dira bien plus franchement ce qu'elle pense, et elle fera avancer l'action, quitte à rejeter de l'huile sur le feu.

  • Speaker #5

    Vous avez repris du poil de la bête depuis que vous avez dégueulé !

  • Speaker #2

    Ou, comme le disent les étudiants alcoolisés, vomir, c'est repartir. Repassons à des sujets plus glamour. Le dieu du carnage a rencontré un immense succès, et ce n'est pas uniquement grâce aux faits d'armes d'Annette. C'est une pièce jouée dans le monde entier, qui a reçu deux Tony Awards peu après sa création, meilleure pièce et meilleure mise en scène. Pourtant, la structure est basique. Un seul lieu, un dialogue entre deux couples de monsieur et madame tout le monde, ça pourrait être n'importe quelle comédie de boulevard lambda. Tout tient dans l'écriture et la peinture du milieu bourgeois. C'est aux petits oignons. On reconnaît le snobisme bobo parisien dans les moindres détails. On connaît vraiment des gens qui sont comme ça, on les voit. Vos enfants s'intéressent à l'art ?

  • Speaker #0

    Disons que nous essayons de compenser le déficit scolaire en la matière. Nous essayons de les emmener au concert, voir des expositions. Nous sommes convaincus que la culture est une force puissante en faveur de la paix.

  • Speaker #2

    Se sentir obligé d'acheter des tulipes pour les invités. Palabrer sur la cuisson du clafoutis. Hésiter sur l'expo à laquelle il faudrait emmener les enfants. Mais quel enfer ! Ça, c'est ce qui explique le succès en France. En réalité, sans en avoir l'air, la pièce est complètement universelle. Dans l'adaptation au cinéma de 2011, l'action est transposée à New York. Les prénoms sont changés, le clafoutis devient un crumble, mais tout fonctionne à l'identique. La tension de la pièce reste... intacte. On peut jouer cette pièce n'importe où. Elle dit la même chose. Il y a des bourgeois partout, ils sont névrosés et on adore les voir souffrir. Il y a des problèmes qu'on comprend et qu'on partage avec eux. L'adulte qui défend sa progéniture, la femme qui bien souvent encaisse jusqu'à la nausée, plus que le mari. Et les tensions du couple qu'on cache en public.

  • Speaker #1

    Leur mariage va à vau-l'eau, on ne va pas essayer de leur faire concurrence.

  • Speaker #2

    Et puis, il y a les crispations spécifiquement bourgeoises. Le hamster qu'on regrette d'avoir acheté aux enfants, ou le smartphone qu'on a mis 9 heures à paramétrer.

  • Speaker #5

    Ça me paraît totalement insensé qu'on me mette sur la sellette pour cette saloperie de hamster.

  • Speaker #2

    Tous ces trucs dont, disons-le, on s'emmerde bien inutilement. Ne pas virer bourgeois vieux cons, c'est accepter la petitesse de son existence, la médiocrité de ses petits tracalas, et les remettre à leur place. Oh, les riches aussi ont leurs problèmes, les pauvres. J'ai dû lire Le Dieu du Carnage pour la première fois dans mes années post-bac. J'ai bien ri, ça part franchement en cacahuètes à la fin, mais j'étais bien loin des considérations des quadragénaires bon chic bon genre. C'est plus tard que je me suis sentie plus proche d'Anette. Je me rappelle que j'essayais de m'expliquer le titre. Qui était Le Dieu du Carnage ? Pendant longtemps, la réponse qui s'imposait, c'était l'enfant. L'enfant roi, l'enfant dieu, celui qui règne sur sa famille, adulé. Pendant que les adultes s'étripent à son sujet.

  • Speaker #5

    Les enfants nous sucent la vie et nous laissent vieux et totalement vidés. C'est la loi de la nature.

  • Speaker #2

    L'enfant apporte le chaos à plusieurs niveaux. D'abord, c'est bien connu, les enfants cassent tout. Ils sont moins civilisés que les adultes.

  • Speaker #1

    Ils sont jeunes, ce sont des enfants. Dans les cours de récré, les gamins se bastonnent. Ils l'ont toujours fait, ils le feront toujours. C'est la loi de la nature.

  • Speaker #0

    Non, c'est pas vrai.

  • Speaker #2

    Ensuite, ils nous donnent énormément d'obligations à gérer et sèment le chaos dans nos couples. Ils nous rendent territoriaux et surprotecteurs, comme les mammifères que nous sommes.

  • Speaker #5

    Je ne participais pas à ce petit jeu. C'était un petit jeu. Le petit jeu dans lequel ces deux jeunes comptes nous ont entraînés.

  • Speaker #2

    Bref, tout ça c'est la faute des gosses alors qu'ils ne sont même pas là. Ils brillent par leur absence dans la pièce. Mais on a bien des parents qui idolâtrent leur fils chéri comme un dieu et qui en deviennent complètement dingues. C'est pour ça que le cynisme d'Alain fait du bien.

  • Speaker #1

    Pour Alain, c'est lui qui prononce le titre de la pièce.

  • Speaker #2

    Le dieu du carnage, c'est plutôt une puissance supérieure qui semble l'emporter sur la morale ou la bienveillance.

  • Speaker #1

    On peut aussi se demander qui remporte la bataille parmi les parents.

  • Speaker #2

    Le dieu du carnage ? ce serait celui ou celle qui, à la fin de la pièce, aurait fait le meilleur des carnages. Ou alors, on peut y voir quelque chose de plus abstrait. Le dieu du carnage, c'est peut-être le silence, l'indifférence, le mépris ou l'ego. Comme souvent en théâtre, l'importance n'est pas de fixer la réponse, c'est de se poser la question. Côté Annette, je me suis reconnue dans le personnage, mais plus tard. Ça m'a étonnée de ne pas avoir fait le lien plus tôt d'ailleurs. Il se trouve que moi aussi, quand je suis poussée dans mes derniers retranchements, je vomis. Oui, j'ai vomi le jour de la rentrée en cours préparatoire. C'était sûrement un événement insurmontable à mes yeux. Et une autre fois en sixième, compressée au milieu de la file de la cantine qui brassait trop d'élèves qui faisaient trois têtes de plus que moi. Deux excellents souvenirs, pour ne citer qu'eux. Il me montre que... Comme Annette, j'ai cette forte connexion à mon corps depuis toujours. Je ne plaisante pas, c'est vraiment un truc pratique, un genre de super pouvoir de survie, pour se tirer des situations inextricables. Je comprends tellement Annette, toute l'anxiété qu'elle accumule dans sa situation et tout ce qui se joue à l'intérieur d'elle. Tout le monde la trouve fausse, hypocrite, mais en réalité, elle ne se laissera pas ronger de l'intérieur. Annette, c'est la revanche des anxieux. Dans son équipe, on reste connecté à son deuxième cerveau, l'intestin. Si vous sentez qu'il vous dit que c'est hors de question, écoutez-le, écoutez-vous.

  • Speaker #4

    J'ai des frissons, je me sens faible, je crois que je suis souffrant. Ce serait pas raisonnable de sortir maintenant. Je préfère pas prendre de risques, c'est peut-être contagieux. Il vaut mieux que je reste, ça m'ennuie, mais c'est mieux. Me traites d'égoïste ? Comment oses-tu dire ça ? Moi qui suis malheureux et triste, et j'ai même pas de home cinéma. On s'en fout, on y va pas, on a qu'à se cacher sous les noix. Le dieu

  • Speaker #2

    du carnage n'a pas un axe particulièrement féministe. Mais si je devais en trouver un, j'irais probablement voir du côté du thème du combat et rechercher comment les femmes sont mises en scène quand elles se retrouvent au milieu de la bagarre. Le plus souvent, le combat est ramené à un truc d'homme. Ici, ce sont les deux fils qui se sont battus. On a des pères de famille qui sont fans d'Ivan Noé ou de John Wayne et qui roulent des mécaniques devant leur femme. Sauf qu'à la fin de la pièce, les deux femmes hurlent, Agnès a cassé plein de trucs et elle commet le dernier acte de violence qui provoque la stupeur générale et clôt la pièce. Elle gifle les tulipes. Il y a peu de Didascalie chez Reza, mais quand il y en a, elles sont généralement essentielles à l'action dramatique. La citation complète est... Elle revient vers les tulipes qu'elle gifle violemment. Les fleurs volent, se désagrègent et s'étalent partout. Normalement, on gifle quelqu'un, pas un objet. On imagine bien qu'il y a autre chose derrière ce bouquet de fleurs. Ce que cette pièce m'a apporté sur le plan du féminin, c'est de me demander ce qu'Anette giflait vraiment en giflant les tulipes. Quoi qu'il en soit, j'ai toujours autant de plaisir en lisant la pièce, à voir représenter des femmes qui perdent le contrôle de leur apparence et de leur élégance, qui gueulent, Et qui foutu pour foutu se bourre la gueule parce qu'il n'y a pas de raison que seuls les maris s'intoxiquent.

  • Speaker #0

    On n'a pas le droit à un verre ?

  • Speaker #2

    Yasmina Reza nous montre une face peu reluisante des femmes qu'on voit rarement à la scène ou à l'écran. C'est un défouloir plaisant et rare. Pourquoi tu laisses traiter ton fils de bourreau ? On vient dans leur maison pour arranger les choses et on se fait insulter et brutaliser et imposer des cours de citoyenneté planétaire. Notre fils a bien fait de cogner le vôtre, et vos droits de l'homme, je me torche avec ! Annette devient affreuse, mais je préfère.

  • Speaker #6

    Ils ne

  • Speaker #0

    savent pas ce qu'ils perdent,

  • Speaker #2

    après tout, je l'ai. Pour chaque héroïne de rôle-titre, j'ai l'habitude de me demander si elle était parmi nous, si je la croisais dans la rue, de quoi aurait-elle l'air ? Alors c'est plus facile pour les rôles contemporains, c'est sûr. Annette est déjà parmi nous. Je pense d'ailleurs qu'il est dans l'intérêt du rôle et de la pièce de la jouer sans phare et sans caricature. C'est très drôle de caricaturer la parisienne BCBG, ou les bourgeois en général. Il y en a plein d'imitations sur YouTube ou dans les plateaux de stand-up. Mais pour le dieu du carnage, pour moi ça ne marcherait pas. Je garderais ça droit, noir. Avec les silences qui en disent tellement plus longs que des mimiques forcées. C'est pas une comédie sur la guerre des sexes, avec des portes qui claquent ou des rires enregistrés. Et derrière quelques didascalies spectaculaires, comme le vomi, on y revient, il y a des hypothèses très simples et pas du tout fantaisistes. Peut-être qu'Anette, elle est en plein burn-out maternel. Peut-être qu'elle réalise qu'elle ne devrait pas être en train de parler d'art dans un salon, mais de sauver sa relation avec son môme. Peut-être qu'elle éclabousse son mari parce qu'il pèse 3 tonnes dans sa vie à elle. Peut-être que Annette a un amant. Dans tous les cas, elle a clairement besoin de redéfinir un périmètre de sécurité autour d'elle. C'est un besoin primaire. Alors oui, je peux vous parler des grands rôles féminins, lyriques, qui me touchent par leur finesse psychologique ou par leurs exploits. Mais pour cet épisode, je ne peux pas le dire autrement. J'aime Annette parce qu'elle vomit. Et je me sens tout à fait liée à elle parce que pousser à bout, c'est une des choses les plus justes. que nous pouvons faire pour rester entiers. Alors même si on ne se reconnaît pas dans ces inhibitions ou dans ces ambitions bourgeoises, il y a une part d'Anette à laquelle il me semble facile et utile de s'identifier. Annette, c'est pas grand-chose, on l'a vu. Un petit prénom insignifiant, une petite voix qui apporte la force de dire Non, j'irai pas. Une grenade à dégoupiller qui ne prend pas de place. à emporter dans le sac à main, juste au cas où. Merci d'avoir écouté Rôle titre. Si vous avez apprécié l'épisode, voici trois choses que vous pouvez faire. Vous abonner à Rôle titre sur votre plateforme de podcast préférée et laisser 5 étoiles s'il s'agit d'Apple Podcast ou de Spotify. Rejoindre la newsletter de Rôle titre ou son compte Instagram pour découvrir encore plus de contenu inspirant. Me soutenir financièrement par une donation sur la plateforme Ko-fi. Je vous explique tout en détail dans les notes de l'épisode. Une dernière chose. Rôle Titre abritent les femmes de fiction qui appartiennent à mon panthéon intérieur. Mais leur voix ne peut se propager que grâce à vous. Parler du podcast autour de vous, partager ses épisodes sur les réseaux sociaux, c'est faire entendre la voix de ces héroïnes à des auditeurs toujours plus nombreux. Je vous dis à très vite pour lever le rideau sur une prochaine héroïne. Et si vous avez accueilli en vous un fragment de celle d'aujourd'hui, Faites entendre sa voix, faites résonner Roltitre.

Chapters

  • **Trigger Warning** Emetophobie

    10:11

  • **Fin du trigger warning**

    14:06

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Description

“On vient dans leur maison pour arranger les choses et on se fait insulter, et brutaliser, et imposer des cours de citoyenneté planétaire, notre fils a bien fait de cogner le vôtre, et vos droits de l’homme je me torche avec !” Annette, Le Dieu du carnage.
Avons-nous réellement plus de sang-froid, de sens de responsabilités et de calme que nos enfants ? Pas si sûr. L’histoire d’Annette, Alain, Michel et Véronique, quatre parents charmants en apparence, nous le démontre. Au milieu de l’océan de conventions qui les retient dans un salon bourgeois, il en faut peu pour que leur véritable nature, animale, refasse surface.
Dans cet épisode qui s’écoute comme des commérages entre parents d’élèves :
- les surprises auxquelles il faut s’attendre avec les gens discrets qui font tapisserie
- la sauvagerie carnassière des gens civilisés bien sous tous rapports
- les techniques de combat Homme/Femme des bagarres domestiques
Bonne écoute
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Théâtre (essai gratuit Scribd) : Le Dieu du carnage, Yasmina Reza, 2006, créé à la Schauspielhaus de Zurich
Interview : Yasmina Reza parle du Dieu du carnage, par Sylvie Coly pour Classiques & Contemporains

🎧 Références sonores citées dans l’épisode (extraits) :
Film : Carnage, Roman Polanski, 2011, avec Kate Winslet (Annette), Jodie Foster, Christoph Waltz et John C. Reilly dans les rôles principaux
Podcast : Yasmina Reza “Les mots sont des parenthèses du silence”, Les Masterclasses, France Culture, 2020
Musique : Les gens bien élevés, France Gall, 1969
Musique  : Le dîner, Bénabar, 2005
Musique : Thème de la bande-originale du film Carnage, Alexandre Desplat, 2011

©️ Crédits
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Transcription

  • Speaker #0

    Mais il se rend compte qu'il a défiguré son camarade ? Non,

  • Speaker #1

    il se rend compte que la violence de son geste est inacceptable, pas qu'il a défiguré son camarade.

  • Speaker #0

    Vous n'aimez pas le mot, mais c'est malheureusement le terme approprié.

  • Speaker #1

    Ils sont jeunes, ce sont des enfants. Dans les cours de récré, les gamins se bastonnent, ils l'ont toujours fait, le feront toujours, c'est la loi de la nature.

  • Speaker #0

    Non, c'est pas vrai. Mon fils a perdu deux dents, deux incisives.

  • Speaker #2

    Ça va,

  • Speaker #1

    on est au courant.

  • Speaker #0

    Oui, dont une qui a fichu pour toujours.

  • Speaker #1

    On lui en paiera de nouvelles.

  • Speaker #2

    Participez pas à ce petit jeu. Le petit jeu dans lequel ces deux jeunes cons nous ont entraînés. ce qu'elle touche, ce qu'elle interroge dans notre société et dans notre construction du féminin. À mes yeux, chacune de ces héroïnes est essentielle. Et ce podcast existe pour faire entendre leur voix. Alors j'espère que vous aussi, vous en porterez un fragment d'elle. Message de service. Rôle titre, c'est aussi une newsletter, des réseaux sociaux, des recos et des ressources culturelles autour de ces héroïnes inspirantes. Pour approfondir le podcast, pour le suivre et le soutenir pour qu'il dure. Toutes les infos sont dans les notes de l'épisode. Pensez-y. Mais pour l'instant, il est l'heure, pour rôle titre, d'entrer en scène. Ah, qu'est-ce qu'on ne ferait pas par amour maternel ? Décrocher la lune ? Être d'une patience infinie ? Ou casser des gueules à coups de pelle ? Cette question épineuse est traitée avec brio dans la pièce de Yasmina Reza. Le dieu du carnage. L'histoire se joue dans un salon, on ne peut plus classique, à notre époque, où nous rencontrons quatre parents, des gens très bien, dont Annette. En quelques heures, le carnage va se jouer et ces gens vont passer la pire journée de leur vie. Pour Annette, l'emballement de la machine sera progressif. Du statut d'invité poli qui fait tapisserie, elle deviendra bientôt le centre de l'attention. Au fur et à mesure que les conflits internes et externes s'expriment, on verra comment la sauvagerie gagne du terrain. Et la règle numéro un de la bagarre semble universelle, qu'on soit un enfant ou un parent, on ne se bat jamais aussi bien qu'avec ses tripes. Vous écoutez Rôle titre, l'épisode Annette, jusqu'à la nausée. On connaît tous une Annette, c'est la figure de la bourgeoise... un peu trop gentille, un peu trop polie, un peu trop d'accord avec vous. Annette est une femme dans la quarantaine bien sous tout rapport. Elle s'adapte toujours, tout en préservant les convenances. C'est un caméléon. Mais au moment où débute la pièce, Annette est en fâcheuse posture. Elle et son mari Alain se retrouvent chez un couple qu'ils n'ont jamais rencontré, les Houliers, pour s'expliquer. En effet, leur fils Ferdinand s'est violemment battu avec le fils des Houliers. Il lui a même cassé deux dents.

  • Speaker #0

    Mais il se rend compte qu'il a défiguré son camarade ?

  • Speaker #2

    Non,

  • Speaker #1

    il se rend compte que la violence de son geste est inacceptable, pas qu'il a défiguré son camarade.

  • Speaker #0

    Vous n'aimez pas le mot, mais c'est malheureusement le terme approprié.

  • Speaker #2

    Ça la fout mal pour une mère de famille. Mais Annette assume ses responsabilités parentales. On la découvre donc plus courtoise que jamais, intervenant peu, mais sans laisser non plus de silence gênant s'installer. Elle est clairement là pour arrondir les angles. Nous sommes... très touchée par votre générosité. Nous sommes sensibles au fait que vous tentiez d'aplanir cette situation au lieu de l'envenimer. Pendant toute la première moitié de la pièce, elle est celle qu'on entend le moins par rapport aux trois autres parents. La plupart du temps, elle répète, elle reformule et va dans le sens de ce qui a été dit. Vous avez raison. Quand on lui demande ce qu'elle veut boire, elle répond un verre d'eau. Pas beaucoup de personnalité là-dedans. Même son prénom, Annette, c'est un diminutif, un prénom petit. qui prend moins de place que les autres. Le prénom de quelqu'un d'insignifiant ? Au premier abord, on pourrait penser qu'Anette se fait facilement marcher dessus. Elle ne répond pas aux piques, elle laisse couler l'impolitesse de son mari qui est rivé à son téléphone. En bon caméléon, Annette patiente. Elle se fond dans un décor qui n'est pas le sien. Elle fait même franchement tapisserie. Pourtant, Annette va se révéler pugnace. Elle a même une botte secrète. Mais avant que je vous en parle, parlons un peu du carnage qui s'installe dans ce salon bourgeois. Le dieu du carnage, c'est l'atmosphère typique du huis clos du quotidien. Banal en apparence, mais stressant au plus haut point. C'est une pièce de théâtre qui fera écho à ces situations crispantes dont vous avez sûrement fait l'expérience. Qui n'a pas été coincé en réunion au bureau, dans un repas de famille, ou en âgé de copropriétaire. Des moments formels où on n'a pas toujours envie d'être là, mais pas franchement le choix non plus. Comme dirait l'autre, l'enfer, c'est les autres. Le plus souvent, tout le monde commence de bonne volonté, mais petit à petit, chacun place ses pions, glisse un sous-entendu, tente de profiter d'une situation. C'est exactement ce qui se passe dans le salon où se trouve Annette. On voit sous nos yeux les rapports de force évoluer. Les alliances se font et se défont. Au départ, très logiquement, les époux font bloc chacun de leur côté. Marie et femme sont solidaires. Ils veulent protéger les intérêts de leurs enfants. Les houliers ont un autre avantage dans la bataille. Ils jouent à domicile. Et c'est leur fils la victime.

  • Speaker #0

    Mon fils a perdu deux dents, deux incisives.

  • Speaker #1

    Ça va, on est où ?

  • Speaker #0

    Oui, dont une qui a fichu pour toujours.

  • Speaker #1

    On lui en paiera de nouvelles.

  • Speaker #2

    Mais s'il n'y avait qu'un seul conflit à résoudre, ce serait trop simple. Dans le dieu du carnage, toutes les combinaisons passent. Les hommes se comprennent, puis s'affrontent virilement. Les femmes font preuve d'une présumée solidarité féminine, avant de se tirer dans les pattes. Mari et femme, mais d'un couple différent. tombent finalement d'accord sur un sujet précis, et puis l'un des personnages se retrouve isolé contre les trois autres. Bref, c'est la zizanie. Mais pas encore complètement le carnage. L'agressivité monte d'un cran à chaque fois qu'un personnage se sent envahi dans son espace. Et si c'est par son propre conjoint, c'est encore pire, parce qu'il faut alors y ajouter un sentiment de trahison. Le carnage, ce n'est pas simplement la violence. Ça vient de carnem, la viande en latin. Et ça fait référence à l'abattage des animaux. Sous une scène sophistiquée, quatre bourgeois autour d'une table basse, le dieu du carnage pose une situation de départ primaire. Ce sont quatre animaux prêts à en découdre. Qui va bouffer qui ? Dans ce contexte, l'attitude d'Anette se comprend. Elle monte crescendo. Faire profil bas au départ, c'est une stratégie. Si elle dit oui à tout, Annette pourra écourter ce moment gênant et rentrer chez elle. C'est fourbe, mais ça se défend. Alors, Annette fait ce qu'il faut. Elle complimente les tulipes, le clafoutis. Elle donne même carrément dans le faux cul. Non, combien de parents prennent fait et cause pour leur enfant de façon elle-même infantile ? Si Bruno avait cassé deux dents à Ferdinand, est-ce qu'on n'aurait pas eu, Alain et moi, une réaction plus épidermique ? Je ne suis pas sûre qu'on aurait fait preuve d'une telle largeur de vue. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'Anette s'est brossé les gens dans le sens du poil. Ça lui vient sûrement de son métier. Elle est conseillère en gestion de patrimoine. Parenthèse, dans une masterclass sur son mode d'écriture, Yasmina Reza indiquait à quel point le métier d'un personnage le caractérise.

  • Speaker #3

    C'est quand on a envie d'écrire, qu'on a une vague idée, que quelque chose vous démange, vous semble devoir pour vous être fait. Mais il faut mettre en place la structure. Il faut choisir les personnages, choisir leur nom, le truc le pire, le métier. Le métier peut me prendre des jours et des jours. Pourquoi ? Parce que c'est très définissant, un métier. Babylone, j'avais l'idée d'une scène, j'avais l'idée un peu du livre, de l'immeuble, des personnages comme ça, vaguement. je butais sur le métier de la narratrice. Il me fallait un métier un peu scientifique, mais pas prof, pas chercheuse, c'était trop... Parce que ça définit énormément de choses. Avec le métier, vous pouvez dire aussi, pas seulement la classe sociale, mais un cursus. Qu'est-ce que c'est le tous les jours de quelqu'un ? Le métier, c'est très important, c'est ce qui nous constitue, d'un point de vue temporel, en tout cas... Plus que n'importe quoi, trois quarts du temps y est consacré. C'est beaucoup plus important que blonde, brune, grosse ou... Donc ça, ça me prend un temps fou et c'est fastidieux.

  • Speaker #2

    On peut donc considérer que Yasmina Reza n'a pas choisi le métier d'annette au hasard. Si vous tapez conseillère en gestion de patrimoine dans Google Images, vous verrez beaucoup de carrés mi-longs bien lissés et brochés et des chemises bleu ciel. Et surtout, des visages doux et empathiques, gage d'un excellent relationnel. Ça... C'est la partie émergée de l'iceberg d'Anette. Elle joue la carte de l'écoute bienveillante. Elle est même prête à dire du mal de son fils pour faire avancer le schmilblick. Vous savez, Ferdinand se comporte comme un voyou, on ne s'intéresse pas à ses états d'âme. Mais au fur et à mesure des négociations, son mari se défile, et elle sent bien qu'elle est en train de perdre la partie. Alors elle sort son arme ultime. Disclaimer, je pose ici à la fois un spoiler et un trigger warning, parce que le chapitre suivant est fortement déconseillé aux hémétophobes. Nous allons parler vomi. Vous pouvez reprendre tranquillement à la minute 14 de l'épisode. À toute ! Eh oui, fin du suspense, Annette est un rôle mémorable parce qu'à la moitié de la pièce, elle se met soudain à vomir. C'est ça sa botte secrète. La didascalie qu'il annonce est magique. Annette vomit violemment. Une gerbe brutale et catastrophique qu'Alain reçoit pour partie. Les livres d'art sur la table basse sont également éclaboussés. Voilà, c'est dit, on n'est pas sur un petit holker. Cette gerbe... vient complètement rebattre les cartes du carnage en cours. Ça faisait un moment qu'Anette était palote, disait se sentir mal, et que tout le monde s'en fichait un peu. Une fois qu'elle a ruiné le salon de ses hôtes, là, elle redevient le centre de l'attention. C'est futé. Plus sérieusement, cette réaction incontrôlée d'Anette est assez jubilatoire. C'est le moment où elle reprend le dessus. Vomir, c'est le dernier recours du corps quand quelque chose est trop difficile à digérer, quand ça ne passe pas. Là, ça fait facilement 30 minutes que le mari d'Anette se comporte comme un goujat, tandis qu'elle encaisse les insinuations, les jugements et les attaques sur son fils.

  • Speaker #0

    Quand un enfant est un danger public, ça concerne absolument tout le monde.

  • Speaker #2

    Trop, c'est trop. Ça ne passe plus. Retour à l'envoyeur. Annette vomit cette situation. Elle vomit ses deux parents qu'elle ne connaît pas et son mari. Ne me touche pas ! Pour mon mari, tout ce qui est maison, école, jardin, c'est de mon ressort. Si, c'est vrai. Je te comprends, c'est mortel tout ça. C'est mortel. Et c'est à ce moment qu'elle reçoit coup sur coup les deux gouttes d'eau qui font déborder le vase.

  • Speaker #0

    Je vous trouvais ça d'un ennui mortel, pourquoi faire des enfants ?

  • Speaker #2

    Vous venez de le dire vous-même. Heu ? Va chercher un seau.

  • Speaker #4

    Va chercher un seau. Oui, oui.

  • Speaker #2

    dire à une mère qu'elle aurait mieux fait de ne pas être mère. C'est vraiment pas malin. Surtout si on vient de racheter un tapis. Annette minimise beaucoup, avec sa tête ou par bienséance, mais heureusement, son corps la rattrape et fait le boulot de purger. Elle a tenté de prévenir. Elle dit je vais vomir Possiblement parce que son mari la dégoûte. Et aussi... J'ai mal au cœur. Yasmina Reza nous dit encore en interview, un personnage se révèle essentiellement par ses choix sémantiques. C'est vrai qu'elle n'est pas anodine, cette expression j'ai mal au cœur Quand on a envie de vomir, on a mal au ventre, pas au cœur. C'est un détail, mais qui laisse entendre que le mal-être d'Anette est plus psychologique qu'intestinal.

  • Speaker #0

    C'est pas à cause du crumble, ça j'en suis sûre.

  • Speaker #5

    C'est pas le crumble,ce sont juste les nerfs

  • Speaker #4

    c'est ce qu'il y a.

  • Speaker #0

    Vous voulez pas vous nettoyer un peu ?

  • Speaker #2

    Vomir, évidemment, c'est inconscient, c'est un réflexe. Mais c'est finalement un très bon système d'autodéfense, car ça permet de résoudre en partie le conflit du moment, qu'il soit intérieur ou extérieur, ou les deux, dans le cas d'Anette. Intérieurement, on ne cache plus son état réel, on ne contrôle plus son apparence. Et extérieurement, les règles de la bienséance sont tellement bafouées quand on vomit que personne ne sait généralement comment réagir. Du coup, l'agressivité ambiante retombe d'un cran, sous l'effet du choc. Pour Annette, la transformation est radicale. Dans la deuxième moitié de la pièce, elle dira bien plus franchement ce qu'elle pense, et elle fera avancer l'action, quitte à rejeter de l'huile sur le feu.

  • Speaker #5

    Vous avez repris du poil de la bête depuis que vous avez dégueulé !

  • Speaker #2

    Ou, comme le disent les étudiants alcoolisés, vomir, c'est repartir. Repassons à des sujets plus glamour. Le dieu du carnage a rencontré un immense succès, et ce n'est pas uniquement grâce aux faits d'armes d'Annette. C'est une pièce jouée dans le monde entier, qui a reçu deux Tony Awards peu après sa création, meilleure pièce et meilleure mise en scène. Pourtant, la structure est basique. Un seul lieu, un dialogue entre deux couples de monsieur et madame tout le monde, ça pourrait être n'importe quelle comédie de boulevard lambda. Tout tient dans l'écriture et la peinture du milieu bourgeois. C'est aux petits oignons. On reconnaît le snobisme bobo parisien dans les moindres détails. On connaît vraiment des gens qui sont comme ça, on les voit. Vos enfants s'intéressent à l'art ?

  • Speaker #0

    Disons que nous essayons de compenser le déficit scolaire en la matière. Nous essayons de les emmener au concert, voir des expositions. Nous sommes convaincus que la culture est une force puissante en faveur de la paix.

  • Speaker #2

    Se sentir obligé d'acheter des tulipes pour les invités. Palabrer sur la cuisson du clafoutis. Hésiter sur l'expo à laquelle il faudrait emmener les enfants. Mais quel enfer ! Ça, c'est ce qui explique le succès en France. En réalité, sans en avoir l'air, la pièce est complètement universelle. Dans l'adaptation au cinéma de 2011, l'action est transposée à New York. Les prénoms sont changés, le clafoutis devient un crumble, mais tout fonctionne à l'identique. La tension de la pièce reste... intacte. On peut jouer cette pièce n'importe où. Elle dit la même chose. Il y a des bourgeois partout, ils sont névrosés et on adore les voir souffrir. Il y a des problèmes qu'on comprend et qu'on partage avec eux. L'adulte qui défend sa progéniture, la femme qui bien souvent encaisse jusqu'à la nausée, plus que le mari. Et les tensions du couple qu'on cache en public.

  • Speaker #1

    Leur mariage va à vau-l'eau, on ne va pas essayer de leur faire concurrence.

  • Speaker #2

    Et puis, il y a les crispations spécifiquement bourgeoises. Le hamster qu'on regrette d'avoir acheté aux enfants, ou le smartphone qu'on a mis 9 heures à paramétrer.

  • Speaker #5

    Ça me paraît totalement insensé qu'on me mette sur la sellette pour cette saloperie de hamster.

  • Speaker #2

    Tous ces trucs dont, disons-le, on s'emmerde bien inutilement. Ne pas virer bourgeois vieux cons, c'est accepter la petitesse de son existence, la médiocrité de ses petits tracalas, et les remettre à leur place. Oh, les riches aussi ont leurs problèmes, les pauvres. J'ai dû lire Le Dieu du Carnage pour la première fois dans mes années post-bac. J'ai bien ri, ça part franchement en cacahuètes à la fin, mais j'étais bien loin des considérations des quadragénaires bon chic bon genre. C'est plus tard que je me suis sentie plus proche d'Anette. Je me rappelle que j'essayais de m'expliquer le titre. Qui était Le Dieu du Carnage ? Pendant longtemps, la réponse qui s'imposait, c'était l'enfant. L'enfant roi, l'enfant dieu, celui qui règne sur sa famille, adulé. Pendant que les adultes s'étripent à son sujet.

  • Speaker #5

    Les enfants nous sucent la vie et nous laissent vieux et totalement vidés. C'est la loi de la nature.

  • Speaker #2

    L'enfant apporte le chaos à plusieurs niveaux. D'abord, c'est bien connu, les enfants cassent tout. Ils sont moins civilisés que les adultes.

  • Speaker #1

    Ils sont jeunes, ce sont des enfants. Dans les cours de récré, les gamins se bastonnent. Ils l'ont toujours fait, ils le feront toujours. C'est la loi de la nature.

  • Speaker #0

    Non, c'est pas vrai.

  • Speaker #2

    Ensuite, ils nous donnent énormément d'obligations à gérer et sèment le chaos dans nos couples. Ils nous rendent territoriaux et surprotecteurs, comme les mammifères que nous sommes.

  • Speaker #5

    Je ne participais pas à ce petit jeu. C'était un petit jeu. Le petit jeu dans lequel ces deux jeunes comptes nous ont entraînés.

  • Speaker #2

    Bref, tout ça c'est la faute des gosses alors qu'ils ne sont même pas là. Ils brillent par leur absence dans la pièce. Mais on a bien des parents qui idolâtrent leur fils chéri comme un dieu et qui en deviennent complètement dingues. C'est pour ça que le cynisme d'Alain fait du bien.

  • Speaker #1

    Pour Alain, c'est lui qui prononce le titre de la pièce.

  • Speaker #2

    Le dieu du carnage, c'est plutôt une puissance supérieure qui semble l'emporter sur la morale ou la bienveillance.

  • Speaker #1

    On peut aussi se demander qui remporte la bataille parmi les parents.

  • Speaker #2

    Le dieu du carnage ? ce serait celui ou celle qui, à la fin de la pièce, aurait fait le meilleur des carnages. Ou alors, on peut y voir quelque chose de plus abstrait. Le dieu du carnage, c'est peut-être le silence, l'indifférence, le mépris ou l'ego. Comme souvent en théâtre, l'importance n'est pas de fixer la réponse, c'est de se poser la question. Côté Annette, je me suis reconnue dans le personnage, mais plus tard. Ça m'a étonnée de ne pas avoir fait le lien plus tôt d'ailleurs. Il se trouve que moi aussi, quand je suis poussée dans mes derniers retranchements, je vomis. Oui, j'ai vomi le jour de la rentrée en cours préparatoire. C'était sûrement un événement insurmontable à mes yeux. Et une autre fois en sixième, compressée au milieu de la file de la cantine qui brassait trop d'élèves qui faisaient trois têtes de plus que moi. Deux excellents souvenirs, pour ne citer qu'eux. Il me montre que... Comme Annette, j'ai cette forte connexion à mon corps depuis toujours. Je ne plaisante pas, c'est vraiment un truc pratique, un genre de super pouvoir de survie, pour se tirer des situations inextricables. Je comprends tellement Annette, toute l'anxiété qu'elle accumule dans sa situation et tout ce qui se joue à l'intérieur d'elle. Tout le monde la trouve fausse, hypocrite, mais en réalité, elle ne se laissera pas ronger de l'intérieur. Annette, c'est la revanche des anxieux. Dans son équipe, on reste connecté à son deuxième cerveau, l'intestin. Si vous sentez qu'il vous dit que c'est hors de question, écoutez-le, écoutez-vous.

  • Speaker #4

    J'ai des frissons, je me sens faible, je crois que je suis souffrant. Ce serait pas raisonnable de sortir maintenant. Je préfère pas prendre de risques, c'est peut-être contagieux. Il vaut mieux que je reste, ça m'ennuie, mais c'est mieux. Me traites d'égoïste ? Comment oses-tu dire ça ? Moi qui suis malheureux et triste, et j'ai même pas de home cinéma. On s'en fout, on y va pas, on a qu'à se cacher sous les noix. Le dieu

  • Speaker #2

    du carnage n'a pas un axe particulièrement féministe. Mais si je devais en trouver un, j'irais probablement voir du côté du thème du combat et rechercher comment les femmes sont mises en scène quand elles se retrouvent au milieu de la bagarre. Le plus souvent, le combat est ramené à un truc d'homme. Ici, ce sont les deux fils qui se sont battus. On a des pères de famille qui sont fans d'Ivan Noé ou de John Wayne et qui roulent des mécaniques devant leur femme. Sauf qu'à la fin de la pièce, les deux femmes hurlent, Agnès a cassé plein de trucs et elle commet le dernier acte de violence qui provoque la stupeur générale et clôt la pièce. Elle gifle les tulipes. Il y a peu de Didascalie chez Reza, mais quand il y en a, elles sont généralement essentielles à l'action dramatique. La citation complète est... Elle revient vers les tulipes qu'elle gifle violemment. Les fleurs volent, se désagrègent et s'étalent partout. Normalement, on gifle quelqu'un, pas un objet. On imagine bien qu'il y a autre chose derrière ce bouquet de fleurs. Ce que cette pièce m'a apporté sur le plan du féminin, c'est de me demander ce qu'Anette giflait vraiment en giflant les tulipes. Quoi qu'il en soit, j'ai toujours autant de plaisir en lisant la pièce, à voir représenter des femmes qui perdent le contrôle de leur apparence et de leur élégance, qui gueulent, Et qui foutu pour foutu se bourre la gueule parce qu'il n'y a pas de raison que seuls les maris s'intoxiquent.

  • Speaker #0

    On n'a pas le droit à un verre ?

  • Speaker #2

    Yasmina Reza nous montre une face peu reluisante des femmes qu'on voit rarement à la scène ou à l'écran. C'est un défouloir plaisant et rare. Pourquoi tu laisses traiter ton fils de bourreau ? On vient dans leur maison pour arranger les choses et on se fait insulter et brutaliser et imposer des cours de citoyenneté planétaire. Notre fils a bien fait de cogner le vôtre, et vos droits de l'homme, je me torche avec ! Annette devient affreuse, mais je préfère.

  • Speaker #6

    Ils ne

  • Speaker #0

    savent pas ce qu'ils perdent,

  • Speaker #2

    après tout, je l'ai. Pour chaque héroïne de rôle-titre, j'ai l'habitude de me demander si elle était parmi nous, si je la croisais dans la rue, de quoi aurait-elle l'air ? Alors c'est plus facile pour les rôles contemporains, c'est sûr. Annette est déjà parmi nous. Je pense d'ailleurs qu'il est dans l'intérêt du rôle et de la pièce de la jouer sans phare et sans caricature. C'est très drôle de caricaturer la parisienne BCBG, ou les bourgeois en général. Il y en a plein d'imitations sur YouTube ou dans les plateaux de stand-up. Mais pour le dieu du carnage, pour moi ça ne marcherait pas. Je garderais ça droit, noir. Avec les silences qui en disent tellement plus longs que des mimiques forcées. C'est pas une comédie sur la guerre des sexes, avec des portes qui claquent ou des rires enregistrés. Et derrière quelques didascalies spectaculaires, comme le vomi, on y revient, il y a des hypothèses très simples et pas du tout fantaisistes. Peut-être qu'Anette, elle est en plein burn-out maternel. Peut-être qu'elle réalise qu'elle ne devrait pas être en train de parler d'art dans un salon, mais de sauver sa relation avec son môme. Peut-être qu'elle éclabousse son mari parce qu'il pèse 3 tonnes dans sa vie à elle. Peut-être que Annette a un amant. Dans tous les cas, elle a clairement besoin de redéfinir un périmètre de sécurité autour d'elle. C'est un besoin primaire. Alors oui, je peux vous parler des grands rôles féminins, lyriques, qui me touchent par leur finesse psychologique ou par leurs exploits. Mais pour cet épisode, je ne peux pas le dire autrement. J'aime Annette parce qu'elle vomit. Et je me sens tout à fait liée à elle parce que pousser à bout, c'est une des choses les plus justes. que nous pouvons faire pour rester entiers. Alors même si on ne se reconnaît pas dans ces inhibitions ou dans ces ambitions bourgeoises, il y a une part d'Anette à laquelle il me semble facile et utile de s'identifier. Annette, c'est pas grand-chose, on l'a vu. Un petit prénom insignifiant, une petite voix qui apporte la force de dire Non, j'irai pas. Une grenade à dégoupiller qui ne prend pas de place. à emporter dans le sac à main, juste au cas où. Merci d'avoir écouté Rôle titre. Si vous avez apprécié l'épisode, voici trois choses que vous pouvez faire. Vous abonner à Rôle titre sur votre plateforme de podcast préférée et laisser 5 étoiles s'il s'agit d'Apple Podcast ou de Spotify. Rejoindre la newsletter de Rôle titre ou son compte Instagram pour découvrir encore plus de contenu inspirant. Me soutenir financièrement par une donation sur la plateforme Ko-fi. Je vous explique tout en détail dans les notes de l'épisode. Une dernière chose. Rôle Titre abritent les femmes de fiction qui appartiennent à mon panthéon intérieur. Mais leur voix ne peut se propager que grâce à vous. Parler du podcast autour de vous, partager ses épisodes sur les réseaux sociaux, c'est faire entendre la voix de ces héroïnes à des auditeurs toujours plus nombreux. Je vous dis à très vite pour lever le rideau sur une prochaine héroïne. Et si vous avez accueilli en vous un fragment de celle d'aujourd'hui, Faites entendre sa voix, faites résonner Roltitre.

Chapters

  • **Trigger Warning** Emetophobie

    10:11

  • **Fin du trigger warning**

    14:06

Description

“On vient dans leur maison pour arranger les choses et on se fait insulter, et brutaliser, et imposer des cours de citoyenneté planétaire, notre fils a bien fait de cogner le vôtre, et vos droits de l’homme je me torche avec !” Annette, Le Dieu du carnage.
Avons-nous réellement plus de sang-froid, de sens de responsabilités et de calme que nos enfants ? Pas si sûr. L’histoire d’Annette, Alain, Michel et Véronique, quatre parents charmants en apparence, nous le démontre. Au milieu de l’océan de conventions qui les retient dans un salon bourgeois, il en faut peu pour que leur véritable nature, animale, refasse surface.
Dans cet épisode qui s’écoute comme des commérages entre parents d’élèves :
- les surprises auxquelles il faut s’attendre avec les gens discrets qui font tapisserie
- la sauvagerie carnassière des gens civilisés bien sous tous rapports
- les techniques de combat Homme/Femme des bagarres domestiques
Bonne écoute
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🔎 Références sources :
Théâtre (essai gratuit Scribd) : Le Dieu du carnage, Yasmina Reza, 2006, créé à la Schauspielhaus de Zurich
Interview : Yasmina Reza parle du Dieu du carnage, par Sylvie Coly pour Classiques & Contemporains

🎧 Références sonores citées dans l’épisode (extraits) :
Film : Carnage, Roman Polanski, 2011, avec Kate Winslet (Annette), Jodie Foster, Christoph Waltz et John C. Reilly dans les rôles principaux
Podcast : Yasmina Reza “Les mots sont des parenthèses du silence”, Les Masterclasses, France Culture, 2020
Musique : Les gens bien élevés, France Gall, 1969
Musique  : Le dîner, Bénabar, 2005
Musique : Thème de la bande-originale du film Carnage, Alexandre Desplat, 2011

©️ Crédits
Rôle Titre est un podcast de Camille Forbes propulsé par Ausha


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Mais il se rend compte qu'il a défiguré son camarade ? Non,

  • Speaker #1

    il se rend compte que la violence de son geste est inacceptable, pas qu'il a défiguré son camarade.

  • Speaker #0

    Vous n'aimez pas le mot, mais c'est malheureusement le terme approprié.

  • Speaker #1

    Ils sont jeunes, ce sont des enfants. Dans les cours de récré, les gamins se bastonnent, ils l'ont toujours fait, le feront toujours, c'est la loi de la nature.

  • Speaker #0

    Non, c'est pas vrai. Mon fils a perdu deux dents, deux incisives.

  • Speaker #2

    Ça va,

  • Speaker #1

    on est au courant.

  • Speaker #0

    Oui, dont une qui a fichu pour toujours.

  • Speaker #1

    On lui en paiera de nouvelles.

  • Speaker #2

    Participez pas à ce petit jeu. Le petit jeu dans lequel ces deux jeunes cons nous ont entraînés. ce qu'elle touche, ce qu'elle interroge dans notre société et dans notre construction du féminin. À mes yeux, chacune de ces héroïnes est essentielle. Et ce podcast existe pour faire entendre leur voix. Alors j'espère que vous aussi, vous en porterez un fragment d'elle. Message de service. Rôle titre, c'est aussi une newsletter, des réseaux sociaux, des recos et des ressources culturelles autour de ces héroïnes inspirantes. Pour approfondir le podcast, pour le suivre et le soutenir pour qu'il dure. Toutes les infos sont dans les notes de l'épisode. Pensez-y. Mais pour l'instant, il est l'heure, pour rôle titre, d'entrer en scène. Ah, qu'est-ce qu'on ne ferait pas par amour maternel ? Décrocher la lune ? Être d'une patience infinie ? Ou casser des gueules à coups de pelle ? Cette question épineuse est traitée avec brio dans la pièce de Yasmina Reza. Le dieu du carnage. L'histoire se joue dans un salon, on ne peut plus classique, à notre époque, où nous rencontrons quatre parents, des gens très bien, dont Annette. En quelques heures, le carnage va se jouer et ces gens vont passer la pire journée de leur vie. Pour Annette, l'emballement de la machine sera progressif. Du statut d'invité poli qui fait tapisserie, elle deviendra bientôt le centre de l'attention. Au fur et à mesure que les conflits internes et externes s'expriment, on verra comment la sauvagerie gagne du terrain. Et la règle numéro un de la bagarre semble universelle, qu'on soit un enfant ou un parent, on ne se bat jamais aussi bien qu'avec ses tripes. Vous écoutez Rôle titre, l'épisode Annette, jusqu'à la nausée. On connaît tous une Annette, c'est la figure de la bourgeoise... un peu trop gentille, un peu trop polie, un peu trop d'accord avec vous. Annette est une femme dans la quarantaine bien sous tout rapport. Elle s'adapte toujours, tout en préservant les convenances. C'est un caméléon. Mais au moment où débute la pièce, Annette est en fâcheuse posture. Elle et son mari Alain se retrouvent chez un couple qu'ils n'ont jamais rencontré, les Houliers, pour s'expliquer. En effet, leur fils Ferdinand s'est violemment battu avec le fils des Houliers. Il lui a même cassé deux dents.

  • Speaker #0

    Mais il se rend compte qu'il a défiguré son camarade ?

  • Speaker #2

    Non,

  • Speaker #1

    il se rend compte que la violence de son geste est inacceptable, pas qu'il a défiguré son camarade.

  • Speaker #0

    Vous n'aimez pas le mot, mais c'est malheureusement le terme approprié.

  • Speaker #2

    Ça la fout mal pour une mère de famille. Mais Annette assume ses responsabilités parentales. On la découvre donc plus courtoise que jamais, intervenant peu, mais sans laisser non plus de silence gênant s'installer. Elle est clairement là pour arrondir les angles. Nous sommes... très touchée par votre générosité. Nous sommes sensibles au fait que vous tentiez d'aplanir cette situation au lieu de l'envenimer. Pendant toute la première moitié de la pièce, elle est celle qu'on entend le moins par rapport aux trois autres parents. La plupart du temps, elle répète, elle reformule et va dans le sens de ce qui a été dit. Vous avez raison. Quand on lui demande ce qu'elle veut boire, elle répond un verre d'eau. Pas beaucoup de personnalité là-dedans. Même son prénom, Annette, c'est un diminutif, un prénom petit. qui prend moins de place que les autres. Le prénom de quelqu'un d'insignifiant ? Au premier abord, on pourrait penser qu'Anette se fait facilement marcher dessus. Elle ne répond pas aux piques, elle laisse couler l'impolitesse de son mari qui est rivé à son téléphone. En bon caméléon, Annette patiente. Elle se fond dans un décor qui n'est pas le sien. Elle fait même franchement tapisserie. Pourtant, Annette va se révéler pugnace. Elle a même une botte secrète. Mais avant que je vous en parle, parlons un peu du carnage qui s'installe dans ce salon bourgeois. Le dieu du carnage, c'est l'atmosphère typique du huis clos du quotidien. Banal en apparence, mais stressant au plus haut point. C'est une pièce de théâtre qui fera écho à ces situations crispantes dont vous avez sûrement fait l'expérience. Qui n'a pas été coincé en réunion au bureau, dans un repas de famille, ou en âgé de copropriétaire. Des moments formels où on n'a pas toujours envie d'être là, mais pas franchement le choix non plus. Comme dirait l'autre, l'enfer, c'est les autres. Le plus souvent, tout le monde commence de bonne volonté, mais petit à petit, chacun place ses pions, glisse un sous-entendu, tente de profiter d'une situation. C'est exactement ce qui se passe dans le salon où se trouve Annette. On voit sous nos yeux les rapports de force évoluer. Les alliances se font et se défont. Au départ, très logiquement, les époux font bloc chacun de leur côté. Marie et femme sont solidaires. Ils veulent protéger les intérêts de leurs enfants. Les houliers ont un autre avantage dans la bataille. Ils jouent à domicile. Et c'est leur fils la victime.

  • Speaker #0

    Mon fils a perdu deux dents, deux incisives.

  • Speaker #1

    Ça va, on est où ?

  • Speaker #0

    Oui, dont une qui a fichu pour toujours.

  • Speaker #1

    On lui en paiera de nouvelles.

  • Speaker #2

    Mais s'il n'y avait qu'un seul conflit à résoudre, ce serait trop simple. Dans le dieu du carnage, toutes les combinaisons passent. Les hommes se comprennent, puis s'affrontent virilement. Les femmes font preuve d'une présumée solidarité féminine, avant de se tirer dans les pattes. Mari et femme, mais d'un couple différent. tombent finalement d'accord sur un sujet précis, et puis l'un des personnages se retrouve isolé contre les trois autres. Bref, c'est la zizanie. Mais pas encore complètement le carnage. L'agressivité monte d'un cran à chaque fois qu'un personnage se sent envahi dans son espace. Et si c'est par son propre conjoint, c'est encore pire, parce qu'il faut alors y ajouter un sentiment de trahison. Le carnage, ce n'est pas simplement la violence. Ça vient de carnem, la viande en latin. Et ça fait référence à l'abattage des animaux. Sous une scène sophistiquée, quatre bourgeois autour d'une table basse, le dieu du carnage pose une situation de départ primaire. Ce sont quatre animaux prêts à en découdre. Qui va bouffer qui ? Dans ce contexte, l'attitude d'Anette se comprend. Elle monte crescendo. Faire profil bas au départ, c'est une stratégie. Si elle dit oui à tout, Annette pourra écourter ce moment gênant et rentrer chez elle. C'est fourbe, mais ça se défend. Alors, Annette fait ce qu'il faut. Elle complimente les tulipes, le clafoutis. Elle donne même carrément dans le faux cul. Non, combien de parents prennent fait et cause pour leur enfant de façon elle-même infantile ? Si Bruno avait cassé deux dents à Ferdinand, est-ce qu'on n'aurait pas eu, Alain et moi, une réaction plus épidermique ? Je ne suis pas sûre qu'on aurait fait preuve d'une telle largeur de vue. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'Anette s'est brossé les gens dans le sens du poil. Ça lui vient sûrement de son métier. Elle est conseillère en gestion de patrimoine. Parenthèse, dans une masterclass sur son mode d'écriture, Yasmina Reza indiquait à quel point le métier d'un personnage le caractérise.

  • Speaker #3

    C'est quand on a envie d'écrire, qu'on a une vague idée, que quelque chose vous démange, vous semble devoir pour vous être fait. Mais il faut mettre en place la structure. Il faut choisir les personnages, choisir leur nom, le truc le pire, le métier. Le métier peut me prendre des jours et des jours. Pourquoi ? Parce que c'est très définissant, un métier. Babylone, j'avais l'idée d'une scène, j'avais l'idée un peu du livre, de l'immeuble, des personnages comme ça, vaguement. je butais sur le métier de la narratrice. Il me fallait un métier un peu scientifique, mais pas prof, pas chercheuse, c'était trop... Parce que ça définit énormément de choses. Avec le métier, vous pouvez dire aussi, pas seulement la classe sociale, mais un cursus. Qu'est-ce que c'est le tous les jours de quelqu'un ? Le métier, c'est très important, c'est ce qui nous constitue, d'un point de vue temporel, en tout cas... Plus que n'importe quoi, trois quarts du temps y est consacré. C'est beaucoup plus important que blonde, brune, grosse ou... Donc ça, ça me prend un temps fou et c'est fastidieux.

  • Speaker #2

    On peut donc considérer que Yasmina Reza n'a pas choisi le métier d'annette au hasard. Si vous tapez conseillère en gestion de patrimoine dans Google Images, vous verrez beaucoup de carrés mi-longs bien lissés et brochés et des chemises bleu ciel. Et surtout, des visages doux et empathiques, gage d'un excellent relationnel. Ça... C'est la partie émergée de l'iceberg d'Anette. Elle joue la carte de l'écoute bienveillante. Elle est même prête à dire du mal de son fils pour faire avancer le schmilblick. Vous savez, Ferdinand se comporte comme un voyou, on ne s'intéresse pas à ses états d'âme. Mais au fur et à mesure des négociations, son mari se défile, et elle sent bien qu'elle est en train de perdre la partie. Alors elle sort son arme ultime. Disclaimer, je pose ici à la fois un spoiler et un trigger warning, parce que le chapitre suivant est fortement déconseillé aux hémétophobes. Nous allons parler vomi. Vous pouvez reprendre tranquillement à la minute 14 de l'épisode. À toute ! Eh oui, fin du suspense, Annette est un rôle mémorable parce qu'à la moitié de la pièce, elle se met soudain à vomir. C'est ça sa botte secrète. La didascalie qu'il annonce est magique. Annette vomit violemment. Une gerbe brutale et catastrophique qu'Alain reçoit pour partie. Les livres d'art sur la table basse sont également éclaboussés. Voilà, c'est dit, on n'est pas sur un petit holker. Cette gerbe... vient complètement rebattre les cartes du carnage en cours. Ça faisait un moment qu'Anette était palote, disait se sentir mal, et que tout le monde s'en fichait un peu. Une fois qu'elle a ruiné le salon de ses hôtes, là, elle redevient le centre de l'attention. C'est futé. Plus sérieusement, cette réaction incontrôlée d'Anette est assez jubilatoire. C'est le moment où elle reprend le dessus. Vomir, c'est le dernier recours du corps quand quelque chose est trop difficile à digérer, quand ça ne passe pas. Là, ça fait facilement 30 minutes que le mari d'Anette se comporte comme un goujat, tandis qu'elle encaisse les insinuations, les jugements et les attaques sur son fils.

  • Speaker #0

    Quand un enfant est un danger public, ça concerne absolument tout le monde.

  • Speaker #2

    Trop, c'est trop. Ça ne passe plus. Retour à l'envoyeur. Annette vomit cette situation. Elle vomit ses deux parents qu'elle ne connaît pas et son mari. Ne me touche pas ! Pour mon mari, tout ce qui est maison, école, jardin, c'est de mon ressort. Si, c'est vrai. Je te comprends, c'est mortel tout ça. C'est mortel. Et c'est à ce moment qu'elle reçoit coup sur coup les deux gouttes d'eau qui font déborder le vase.

  • Speaker #0

    Je vous trouvais ça d'un ennui mortel, pourquoi faire des enfants ?

  • Speaker #2

    Vous venez de le dire vous-même. Heu ? Va chercher un seau.

  • Speaker #4

    Va chercher un seau. Oui, oui.

  • Speaker #2

    dire à une mère qu'elle aurait mieux fait de ne pas être mère. C'est vraiment pas malin. Surtout si on vient de racheter un tapis. Annette minimise beaucoup, avec sa tête ou par bienséance, mais heureusement, son corps la rattrape et fait le boulot de purger. Elle a tenté de prévenir. Elle dit je vais vomir Possiblement parce que son mari la dégoûte. Et aussi... J'ai mal au cœur. Yasmina Reza nous dit encore en interview, un personnage se révèle essentiellement par ses choix sémantiques. C'est vrai qu'elle n'est pas anodine, cette expression j'ai mal au cœur Quand on a envie de vomir, on a mal au ventre, pas au cœur. C'est un détail, mais qui laisse entendre que le mal-être d'Anette est plus psychologique qu'intestinal.

  • Speaker #0

    C'est pas à cause du crumble, ça j'en suis sûre.

  • Speaker #5

    C'est pas le crumble,ce sont juste les nerfs

  • Speaker #4

    c'est ce qu'il y a.

  • Speaker #0

    Vous voulez pas vous nettoyer un peu ?

  • Speaker #2

    Vomir, évidemment, c'est inconscient, c'est un réflexe. Mais c'est finalement un très bon système d'autodéfense, car ça permet de résoudre en partie le conflit du moment, qu'il soit intérieur ou extérieur, ou les deux, dans le cas d'Anette. Intérieurement, on ne cache plus son état réel, on ne contrôle plus son apparence. Et extérieurement, les règles de la bienséance sont tellement bafouées quand on vomit que personne ne sait généralement comment réagir. Du coup, l'agressivité ambiante retombe d'un cran, sous l'effet du choc. Pour Annette, la transformation est radicale. Dans la deuxième moitié de la pièce, elle dira bien plus franchement ce qu'elle pense, et elle fera avancer l'action, quitte à rejeter de l'huile sur le feu.

  • Speaker #5

    Vous avez repris du poil de la bête depuis que vous avez dégueulé !

  • Speaker #2

    Ou, comme le disent les étudiants alcoolisés, vomir, c'est repartir. Repassons à des sujets plus glamour. Le dieu du carnage a rencontré un immense succès, et ce n'est pas uniquement grâce aux faits d'armes d'Annette. C'est une pièce jouée dans le monde entier, qui a reçu deux Tony Awards peu après sa création, meilleure pièce et meilleure mise en scène. Pourtant, la structure est basique. Un seul lieu, un dialogue entre deux couples de monsieur et madame tout le monde, ça pourrait être n'importe quelle comédie de boulevard lambda. Tout tient dans l'écriture et la peinture du milieu bourgeois. C'est aux petits oignons. On reconnaît le snobisme bobo parisien dans les moindres détails. On connaît vraiment des gens qui sont comme ça, on les voit. Vos enfants s'intéressent à l'art ?

  • Speaker #0

    Disons que nous essayons de compenser le déficit scolaire en la matière. Nous essayons de les emmener au concert, voir des expositions. Nous sommes convaincus que la culture est une force puissante en faveur de la paix.

  • Speaker #2

    Se sentir obligé d'acheter des tulipes pour les invités. Palabrer sur la cuisson du clafoutis. Hésiter sur l'expo à laquelle il faudrait emmener les enfants. Mais quel enfer ! Ça, c'est ce qui explique le succès en France. En réalité, sans en avoir l'air, la pièce est complètement universelle. Dans l'adaptation au cinéma de 2011, l'action est transposée à New York. Les prénoms sont changés, le clafoutis devient un crumble, mais tout fonctionne à l'identique. La tension de la pièce reste... intacte. On peut jouer cette pièce n'importe où. Elle dit la même chose. Il y a des bourgeois partout, ils sont névrosés et on adore les voir souffrir. Il y a des problèmes qu'on comprend et qu'on partage avec eux. L'adulte qui défend sa progéniture, la femme qui bien souvent encaisse jusqu'à la nausée, plus que le mari. Et les tensions du couple qu'on cache en public.

  • Speaker #1

    Leur mariage va à vau-l'eau, on ne va pas essayer de leur faire concurrence.

  • Speaker #2

    Et puis, il y a les crispations spécifiquement bourgeoises. Le hamster qu'on regrette d'avoir acheté aux enfants, ou le smartphone qu'on a mis 9 heures à paramétrer.

  • Speaker #5

    Ça me paraît totalement insensé qu'on me mette sur la sellette pour cette saloperie de hamster.

  • Speaker #2

    Tous ces trucs dont, disons-le, on s'emmerde bien inutilement. Ne pas virer bourgeois vieux cons, c'est accepter la petitesse de son existence, la médiocrité de ses petits tracalas, et les remettre à leur place. Oh, les riches aussi ont leurs problèmes, les pauvres. J'ai dû lire Le Dieu du Carnage pour la première fois dans mes années post-bac. J'ai bien ri, ça part franchement en cacahuètes à la fin, mais j'étais bien loin des considérations des quadragénaires bon chic bon genre. C'est plus tard que je me suis sentie plus proche d'Anette. Je me rappelle que j'essayais de m'expliquer le titre. Qui était Le Dieu du Carnage ? Pendant longtemps, la réponse qui s'imposait, c'était l'enfant. L'enfant roi, l'enfant dieu, celui qui règne sur sa famille, adulé. Pendant que les adultes s'étripent à son sujet.

  • Speaker #5

    Les enfants nous sucent la vie et nous laissent vieux et totalement vidés. C'est la loi de la nature.

  • Speaker #2

    L'enfant apporte le chaos à plusieurs niveaux. D'abord, c'est bien connu, les enfants cassent tout. Ils sont moins civilisés que les adultes.

  • Speaker #1

    Ils sont jeunes, ce sont des enfants. Dans les cours de récré, les gamins se bastonnent. Ils l'ont toujours fait, ils le feront toujours. C'est la loi de la nature.

  • Speaker #0

    Non, c'est pas vrai.

  • Speaker #2

    Ensuite, ils nous donnent énormément d'obligations à gérer et sèment le chaos dans nos couples. Ils nous rendent territoriaux et surprotecteurs, comme les mammifères que nous sommes.

  • Speaker #5

    Je ne participais pas à ce petit jeu. C'était un petit jeu. Le petit jeu dans lequel ces deux jeunes comptes nous ont entraînés.

  • Speaker #2

    Bref, tout ça c'est la faute des gosses alors qu'ils ne sont même pas là. Ils brillent par leur absence dans la pièce. Mais on a bien des parents qui idolâtrent leur fils chéri comme un dieu et qui en deviennent complètement dingues. C'est pour ça que le cynisme d'Alain fait du bien.

  • Speaker #1

    Pour Alain, c'est lui qui prononce le titre de la pièce.

  • Speaker #2

    Le dieu du carnage, c'est plutôt une puissance supérieure qui semble l'emporter sur la morale ou la bienveillance.

  • Speaker #1

    On peut aussi se demander qui remporte la bataille parmi les parents.

  • Speaker #2

    Le dieu du carnage ? ce serait celui ou celle qui, à la fin de la pièce, aurait fait le meilleur des carnages. Ou alors, on peut y voir quelque chose de plus abstrait. Le dieu du carnage, c'est peut-être le silence, l'indifférence, le mépris ou l'ego. Comme souvent en théâtre, l'importance n'est pas de fixer la réponse, c'est de se poser la question. Côté Annette, je me suis reconnue dans le personnage, mais plus tard. Ça m'a étonnée de ne pas avoir fait le lien plus tôt d'ailleurs. Il se trouve que moi aussi, quand je suis poussée dans mes derniers retranchements, je vomis. Oui, j'ai vomi le jour de la rentrée en cours préparatoire. C'était sûrement un événement insurmontable à mes yeux. Et une autre fois en sixième, compressée au milieu de la file de la cantine qui brassait trop d'élèves qui faisaient trois têtes de plus que moi. Deux excellents souvenirs, pour ne citer qu'eux. Il me montre que... Comme Annette, j'ai cette forte connexion à mon corps depuis toujours. Je ne plaisante pas, c'est vraiment un truc pratique, un genre de super pouvoir de survie, pour se tirer des situations inextricables. Je comprends tellement Annette, toute l'anxiété qu'elle accumule dans sa situation et tout ce qui se joue à l'intérieur d'elle. Tout le monde la trouve fausse, hypocrite, mais en réalité, elle ne se laissera pas ronger de l'intérieur. Annette, c'est la revanche des anxieux. Dans son équipe, on reste connecté à son deuxième cerveau, l'intestin. Si vous sentez qu'il vous dit que c'est hors de question, écoutez-le, écoutez-vous.

  • Speaker #4

    J'ai des frissons, je me sens faible, je crois que je suis souffrant. Ce serait pas raisonnable de sortir maintenant. Je préfère pas prendre de risques, c'est peut-être contagieux. Il vaut mieux que je reste, ça m'ennuie, mais c'est mieux. Me traites d'égoïste ? Comment oses-tu dire ça ? Moi qui suis malheureux et triste, et j'ai même pas de home cinéma. On s'en fout, on y va pas, on a qu'à se cacher sous les noix. Le dieu

  • Speaker #2

    du carnage n'a pas un axe particulièrement féministe. Mais si je devais en trouver un, j'irais probablement voir du côté du thème du combat et rechercher comment les femmes sont mises en scène quand elles se retrouvent au milieu de la bagarre. Le plus souvent, le combat est ramené à un truc d'homme. Ici, ce sont les deux fils qui se sont battus. On a des pères de famille qui sont fans d'Ivan Noé ou de John Wayne et qui roulent des mécaniques devant leur femme. Sauf qu'à la fin de la pièce, les deux femmes hurlent, Agnès a cassé plein de trucs et elle commet le dernier acte de violence qui provoque la stupeur générale et clôt la pièce. Elle gifle les tulipes. Il y a peu de Didascalie chez Reza, mais quand il y en a, elles sont généralement essentielles à l'action dramatique. La citation complète est... Elle revient vers les tulipes qu'elle gifle violemment. Les fleurs volent, se désagrègent et s'étalent partout. Normalement, on gifle quelqu'un, pas un objet. On imagine bien qu'il y a autre chose derrière ce bouquet de fleurs. Ce que cette pièce m'a apporté sur le plan du féminin, c'est de me demander ce qu'Anette giflait vraiment en giflant les tulipes. Quoi qu'il en soit, j'ai toujours autant de plaisir en lisant la pièce, à voir représenter des femmes qui perdent le contrôle de leur apparence et de leur élégance, qui gueulent, Et qui foutu pour foutu se bourre la gueule parce qu'il n'y a pas de raison que seuls les maris s'intoxiquent.

  • Speaker #0

    On n'a pas le droit à un verre ?

  • Speaker #2

    Yasmina Reza nous montre une face peu reluisante des femmes qu'on voit rarement à la scène ou à l'écran. C'est un défouloir plaisant et rare. Pourquoi tu laisses traiter ton fils de bourreau ? On vient dans leur maison pour arranger les choses et on se fait insulter et brutaliser et imposer des cours de citoyenneté planétaire. Notre fils a bien fait de cogner le vôtre, et vos droits de l'homme, je me torche avec ! Annette devient affreuse, mais je préfère.

  • Speaker #6

    Ils ne

  • Speaker #0

    savent pas ce qu'ils perdent,

  • Speaker #2

    après tout, je l'ai. Pour chaque héroïne de rôle-titre, j'ai l'habitude de me demander si elle était parmi nous, si je la croisais dans la rue, de quoi aurait-elle l'air ? Alors c'est plus facile pour les rôles contemporains, c'est sûr. Annette est déjà parmi nous. Je pense d'ailleurs qu'il est dans l'intérêt du rôle et de la pièce de la jouer sans phare et sans caricature. C'est très drôle de caricaturer la parisienne BCBG, ou les bourgeois en général. Il y en a plein d'imitations sur YouTube ou dans les plateaux de stand-up. Mais pour le dieu du carnage, pour moi ça ne marcherait pas. Je garderais ça droit, noir. Avec les silences qui en disent tellement plus longs que des mimiques forcées. C'est pas une comédie sur la guerre des sexes, avec des portes qui claquent ou des rires enregistrés. Et derrière quelques didascalies spectaculaires, comme le vomi, on y revient, il y a des hypothèses très simples et pas du tout fantaisistes. Peut-être qu'Anette, elle est en plein burn-out maternel. Peut-être qu'elle réalise qu'elle ne devrait pas être en train de parler d'art dans un salon, mais de sauver sa relation avec son môme. Peut-être qu'elle éclabousse son mari parce qu'il pèse 3 tonnes dans sa vie à elle. Peut-être que Annette a un amant. Dans tous les cas, elle a clairement besoin de redéfinir un périmètre de sécurité autour d'elle. C'est un besoin primaire. Alors oui, je peux vous parler des grands rôles féminins, lyriques, qui me touchent par leur finesse psychologique ou par leurs exploits. Mais pour cet épisode, je ne peux pas le dire autrement. J'aime Annette parce qu'elle vomit. Et je me sens tout à fait liée à elle parce que pousser à bout, c'est une des choses les plus justes. que nous pouvons faire pour rester entiers. Alors même si on ne se reconnaît pas dans ces inhibitions ou dans ces ambitions bourgeoises, il y a une part d'Anette à laquelle il me semble facile et utile de s'identifier. Annette, c'est pas grand-chose, on l'a vu. Un petit prénom insignifiant, une petite voix qui apporte la force de dire Non, j'irai pas. Une grenade à dégoupiller qui ne prend pas de place. à emporter dans le sac à main, juste au cas où. Merci d'avoir écouté Rôle titre. Si vous avez apprécié l'épisode, voici trois choses que vous pouvez faire. Vous abonner à Rôle titre sur votre plateforme de podcast préférée et laisser 5 étoiles s'il s'agit d'Apple Podcast ou de Spotify. Rejoindre la newsletter de Rôle titre ou son compte Instagram pour découvrir encore plus de contenu inspirant. Me soutenir financièrement par une donation sur la plateforme Ko-fi. Je vous explique tout en détail dans les notes de l'épisode. Une dernière chose. Rôle Titre abritent les femmes de fiction qui appartiennent à mon panthéon intérieur. Mais leur voix ne peut se propager que grâce à vous. Parler du podcast autour de vous, partager ses épisodes sur les réseaux sociaux, c'est faire entendre la voix de ces héroïnes à des auditeurs toujours plus nombreux. Je vous dis à très vite pour lever le rideau sur une prochaine héroïne. Et si vous avez accueilli en vous un fragment de celle d'aujourd'hui, Faites entendre sa voix, faites résonner Roltitre.

Chapters

  • **Trigger Warning** Emetophobie

    10:11

  • **Fin du trigger warning**

    14:06

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