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Rôle Titre - femmes de fiction

Camille (Musset) Ouvrez les pourparlers, tirez !

Camille (Musset) Ouvrez les pourparlers, tirez !

27min |15/05/2023
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Rôle Titre - femmes de fiction

Camille (Musset) Ouvrez les pourparlers, tirez !

Camille (Musset) Ouvrez les pourparlers, tirez !

27min |15/05/2023
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Description

“Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir.” Camille, Acte II, Scène 5.

L'amour adolescent, incandescent et tragique de Camille & Perdican a traversé les siècles. On ne badine pas avec l'amour, pièce très courte destinée à être lue plus que jouée, a su concentrer l'essence des jeunes passions en quelques mots. Mais quels mots !

Dans cet épisode qui s’écoute comme un électrocardiogramme oscillant sans cesse, plusieurs leçons de jeunesse:

  • Ne pas écouter les bonimenteurs quel que soit leur âge
  • Apprendre à aimer avec colère
  • Dégainer son orgueil en botte secrète

ça va secouer  ! Bonne écoute ✝️


Rôle Titre c’est aussi un compte instagram et une newsletter pour encore plus de contenus autour de ces héroïnes inspirantes. Toutes les infos sur linktr.ee/roletitre

🔎 Références sources

Théâtre (texte intégral Libretheatre) : On ne badine pas avec l’amour, Alfred de Musset, 1834, créée en 1861 à la Comédie-Française

Fable (texte intégral Wikisource) : Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre, Fables livre VI, Jean de la Fontaine, 1874

Lettre : Correspondance du 12 mai 1834 de George Sand à Alfred de Musset


🎧 Références sonores citées dans l’épisode (extraits)

Captation :  On ne badine pas avec l’amour, Comédie-Française, 1978, mise en scène de Simon Eine, avec Béatrice Agenin et Francis Huster en premiers rôles

Film : Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, Jean-Pierre Jeunet, 2001

Musique : Comptine d’un autre été - l’après-midi, Yanne Tiersen, 2001


©️ Crédits
Rôle Titre est un podcast de Camille Forbes propulsé par Ausha


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans Rôles Titres, le podcast des femmes de fiction. Je m'appelle Camille Forbe et je suis comédienne. Une fois par mois, je vous emmène à la rencontre d'une héroïne du théâtre ou de la littérature, pour faire entendre sa voix et comment elle résonne dans notre société. Rôles Titres, c'est aussi un compte Instagram et une newsletter pour encore plus de contenu autour de ces héroïnes inspirantes. Alors pensez à vous abonner pour ne rien manquer, et c'est parti pour l'épisode. Qui a envie d'aller voir une pièce de théâtre qui sonne comme une leçon de morale ? Une pièce qui nous dit que l'amour n'est pas léger ou joyeux, mais à prendre très au sérieux. Alfred de Musset, grand romantique du XIXe, autant dire un expert, l'affirme. On ne badine pas avec l'amour. On, c'est Camille et Père Dicamp. Ils ont grandi tendrement ensemble, mais ne se sont pas revus depuis dix ans. Perdicand vient de finir des études prestigieuses en jeune homme de la haute société. Camille a été éduquée au couvent et veut consacrer sa vie à Dieu. Problème, le baron qui les a fait rentrer au berceau familial a pour projet de les marier. Mais ne s'improvise pas Cupidon qui veut. Les flèches mal tirées laissent des cicatrices, voire pourraient bien se tromper de cible. Vous écoutez rôle-titre épisode 4, Camille. Ouvrez-les pour parler. Tirez ! Faut-il vraiment vous la décrire ? Vous connaissez déjà Camille.

  • Speaker #1

    Ma nièce est depuis hier à 7h de nuit parvenue à l'arbre de 18 ans. Elle sort du meilleur couvent de France.

  • Speaker #0

    Il vous en reste quelques bribes, peut-être d'un cours de français. Camille a tout pour aimer et être aimée. La beauté, la jeunesse.

  • Speaker #1

    et belle comme les jours.

  • Speaker #0

    L'intelligence. Son éducation, Dieu merci, est terminée et ceux qui la verront auront la joie de respirer une glorieuse pleure de sagesse et de dévotion. Mais c'est une amoureuse impossible, inflexible, tumultueuse.

  • Speaker #1

    Ça veut dire que votre nièce a une correspondance secrète. Allons, Camille, embrasse ton cousin. Commencement de ma maison.

  • Speaker #0

    Voir violente.

  • Speaker #1

    Mais elle s'est criée avec force. Allez-y, trouvez-le, faites ce qu'on vous dit, vous êtes une sotte, je le veux.

  • Speaker #0

    Ça y est ? Ça vous revient ? Camille a 18 ans. Elle sort du couvent. Un ange, peut-être, mais qui ne va pas tarder à tomber. De haut. Camille, a priori, a fait jusque-là tout ce qu'on attendait d'elle. Elle a partagé une enfance sans nuages avec Père Dican. Au couvent, elle a donné entière satisfaction. Elle est cultivée et s'est épanouie, y compris physiquement, ce que Père Dican ne manque pas de relever quand il l'aperçoit.

  • Speaker #1

    Regardez donc mon père, comme Camille est jolie.

  • Speaker #0

    Camille est du genre à dire ce qu'elle pense, avec élégance mais sans détour. Je suis comme cela, c'est ma manière. Elle est décidée et sérieuse. Un trait de caractère plutôt rare chez la jeunesse. Je ne suis pas assez jeune pour m'amuser de mes poupées, ni assez vieille pour aimer le passé. Une jeune femme irréprochable aux yeux des autres personnages. Mais c'est en l'observant agir avec perdicant que quelques détails singuliers apparaissent. Camille est une fausse adolescente, et père Ducamp aussi d'ailleurs. Tout d'abord, ils parlent beaucoup trop bien. Bien sûr, on peut le justifier avec la noblesse et l'éducation qu'ils ont reçues, mais tout de même, ça sonne trop beau pour être vrai. Voilà deux jeunes de 18 et 20 ans qui ont toujours le mot exact, qui ont une répartie phénoménale et une analyse de la vie digne de 50 ans d'expérience sur Terre. C'est une grâce que je vous demande de me répondre sincèrement. Vous n'êtes pas un libertin, et je crois que votre cœur a de la probité. Vous avez dû inspirer l'amour, car vous le méritez. Dans la vie, on ne sait pas quoi répondre. On balbutie, ou alors, par excès de confiance, on dit des âneries plus grosses que soi, et particulièrement sous le coup de l'émotion. Mais pas Camille. C'est une jeune femme flamboyante, qui aime, qui rejette, qui ressent avec l'intensité d'une adolescente, mais qui parle comme une héroïne antique, avec une sagesse et des vertus spirituelles exceptionnelles. Camille et Perdicant sont une jeunesse fantasmée, idéale. Ce sont les jeunes gens qu'on aurait aimé être, qui savent argumenter du tac au tac. Alors oui, ils s'engueulent, mais ils s'engueulent sublimement. Plongez-vous dans le texte, mais n'allez pas jusqu'à vous comparer à l'éloquence de Camille. C'est un rôle complexe à vous filer des complexes. Au-delà d'être superbement écrite donc, impossible de parler d'On ne badine pas avec l'amour sans s'attarder sur la scène 5 de l'acte 2.

  • Speaker #1

    Trouvez-vous à midi à la petite fontaine.

  • Speaker #0

    C'est LA scène d'affrontement entre Camille et Perdicant qui fait facilement oublier tout le reste. Car jusque-là, il ne s'est pas passé grand-chose dans la pièce. Les scènes sont courtes et les personnages secondaires sont grotesques. Il y a un fort contraste entre nos deux jeunes héros et tous les autres personnages, les vieux, c'est-à-dire le curé, le baron, la vieille gouvernante de Camille. Ce sont des fantoches sans volonté qui radotent leurs principes ou qui courent après leur petit confort. Camille et Perdicand, eux, sont à part. Au premier acte, on a simplement pu constater que les retrouvailles de Camille et Perdicand sont ratées. Au moment où le baron tente de les faire se rencontrer, Camille refuse d'embrasser Perdicand et le vexe. Blessé, nostalgique, il va retrouver Rosette, la sœur de lait de Camille qui est bien plus terre à terre. Ne parlons pas de cela, voulez-vous. Parlons du temps qu'il fait, de ces fleurs que voilà, de vos chevaux et de mes bonnets. On se dit que Camille ne veut pas se marier, que Père Dicamp va se consoler avec Rosette et que tout ira pour le mieux, chacun ayant ce qu'il veut. Mais Père Dicamp reçoit une lettre lui donnant rendez-vous. Camille veut lui parler une dernière fois. Et c'est là que le match de boxe commence. Acte 2, scène 5, c'est le morceau de bravoure de la pièce. C'est un véritable match de boxe entre Camille et Perdicant qui s'affrontent à coup de punchline. A noter qu'elles sont largement inspirées de la correspondance entre Alfred de Musset et Georges Sand, qui étaient écrivains et amants dans la vie. Dites-moi, avez-vous eu des maîtresses ? Répondez-moi, je vous en prie, sans modestie et sans fatuité. Oui,

  • Speaker #1

    j'en ai eu.

  • Speaker #0

    Les avez-vous aimées ?

  • Speaker #1

    De tout mon cœur.

  • Speaker #0

    Où sont-elles maintenant, le savez-vous ? Tout ça n'a pas pris une ride. Aujourd'hui, l'équivalent, ce serait les kilomètres de messages qu'on peut s'échanger sur les applis, en pensant être très spirituel d'ailleurs. Badine pourrait se râper ou alors s'adapter en slam. Que me conseilleriez-vous de faire le jour où je verrai que vous ne m'aimez plus ?

  • Speaker #1

    De prendre un amant.

  • Speaker #0

    Que ferai-je ensuite, le jour où mon amant ne m'aimera plus ? Combien de temps cela durera-t-il ? C'est un face-à-face de deux égaux qui donnent leur vision de l'amour, de la solitude. Et chacun marque des points.

  • Speaker #1

    Tu es une orgueilleuse. Prends garde à toi. Tu as 18 ans et tu ne crois pas à l'amour ?

  • Speaker #0

    Y croyez-vous, vous qui parlez ? Vous voilà courbée près de moi avec des genoux qui se sont usés sur les tapis de vos maîtresses et vous n'en savez plus le nom ? Et puis vient la tirade finale de Perdicant. Allez, on se l'écoute.

  • Speaker #1

    tous les hommes sont menteurs inconstants faux bavards hypocrites orgueilleux ou lâches méprisables et sensuels toutes les femmes sont perfides artificieuses vaniteuses curieuses et dépravées le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fanges mais il y a au monde Une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé, souvent malheureux, mais on m'aime. Et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit, J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois. Mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu. Et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.

  • Speaker #0

    Mais alors, c'est Perdicand qui gagne ? Il gagne la bataille, mais pas la guerre. La grande subtilité de Musset, c'est de brouiller les pistes. On ne peut pas vraiment dire que Perdicand représente tous les hommes, qu'il représente Alfred et l'amour libertin consommateur de conquêtes. On ne peut pas dire non plus Camille, c'est toutes les femmes, c'est Georges Sand, et c'est l'amour raisonnable ou qui se méfie des hommes par une trop grande fierté Parce qu'au moment où il écrit On ne badine pas avec l'amour Alfred de Musset a été trompé et quitté par Georges Sand. Il en est anéanti, et ça me semble évident. Il a mis beaucoup de lui-même, de sa souffrance et de ses mots dans la bouche de Camille, pas dans la bouche de Perdicant. Si ça vous intéresse, j'ai prévu plusieurs ressources sur la relation entre Georges Sand et Alfred Demucet dans la prochaine newsletter. Pour vous abonner, toutes les infos sont en description de l'épisode. En attendant, quand Camille dit Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir c'est Alfred qui parle. Toute personne, homme ou femme, qui a été quittée se reconnaît. Quand père dit Candy on est souvent trompé en amour,

  • Speaker #1

    souvent blessé, souvent malheureux. Mais on aime.

  • Speaker #0

    C'est une phrase qu'il emprunte mot pour mot d'une lettre de Georges Sand. Donc c'est une femme qui dit cela, qui appelle à aimer quoi qu'il en coûte. Et c'est subversif pour l'époque. Ces croisements font qu'il est rare qu'on s'identifie uniquement à Camille ou qu'on s'identifie uniquement à Perdicant. En pratique, on se reconnaît alternativement dans l'une et dans l'autre. C'est pour cela que c'est difficile de parler uniquement du rôle de Camille en le dissociant de Perdicant. Car ce sont les deux faces d'une même médaille. Mais bon, on va quand même se concentrer sur Camille. Ce que j'aime le plus chez elle, c'est sa colère. C'est pour moi une amoureuse en colère, ou l'inverse, une colérique amoureuse. Camille n'est pas farouche, furie, encore moins hystérique, elle n'est pas nerveuse ou énervée, elle est en colère. Et ça se voit, même si c'est difficile à croire pour certains.

  • Speaker #1

    J'aime moins les mises en scène où Camille est timorée,

  • Speaker #0

    douce et peu à peu gagnée par la colère. Moi, je l'imagine en colère depuis des années. Ça l'a fait enrager de revenir dans le berceau familial. Elle aime Berdican depuis toujours, elle le dit, et on lui a raconté sa vie de jeune homme. Elle sait qu'il a eu des maîtresses, et en prime, les femmes de son couvent lui ont fait les pires récits des hommes.

  • Speaker #1

    Camille a nourri sa colère en

  • Speaker #0

    même temps que son amour. Et les deux sont prêts à éclater. En façade, Camille nous dit vouloir aimer d'un amour pur, céleste. Mais dans les faits et dans son corps, c'est un amour violent, très organique, très vivant, il y a du sang. C'est un amour bagarreur. Et son projet de consacrer sa vie à Dieu n'est pas si solide que ça. Des indices montrent qu'elle pourrait bien choisir l'amour terrestre. À trois reprises tout de même, elle interroge Perdicant. Trouvez-vous que j'ai raison de me faire religieuse ? Ce qu'elle ne ferait pas si elle était absolument sûre d'elle. Elle n'est pas loin de lâcher à ce moment. Et lui ? Il passe à côté. Alors il a sa tirade finale, mais c'est loupé. Personne ne s'est mouillé et la colère de Camille a fait plouf, dans un silence retentissant. Camille et moi partageons plus qu'un prénom. Comme beaucoup, je l'ai lu pour la première fois adolescente. Et le texte s'est imprimé, il marque. Je ne l'ai pas vu en scène. Mais c'est du théâtre dans un fauteuil, alors les images viennent facilement. Le texte... Et les images, à relire et à revoir, pour retrouver les sensations adolescentes. Qui n'a pas traversé cela ? Camille et Perdi-Camp sortent du lot par rapport à tous ces vieux qui ne comprennent rien. Toutes les analyses et critiques que vous trouverez parleront à juste titre des deux premiers rôles. Mais ma préférence va à Camille. Je lui donne sans hésiter le rôle principal. Surtout dans la deuxième moitié de la pièce. Elle en sort plus grande et plus lumineuse que Perdi-Camp. Attention, elle ne gagne pas le bonheur pour autant. Toute cette histoire finit mal et on ne gagne rien à être une Camille. En même temps, est-ce qu'on lui souhaite vraiment d'être avec un perdicant une fois qu'on a vu ce dont il était capable ? Mais Camille suscite le respect. Elle occupe une place très forte chez moi car j'ai envie de la garder. J'ai envie de mener ma vie comme elle, même si je ne veux pas du tout que ma vie finisse comme la sienne. Par exemple, si je suis en train de défendre mes valeurs corps et âme face à l'homme que j'aime et qu'il a la bêtise de dire

  • Speaker #1

    Que tu es belle Camille lorsque tes yeux s'animent évidemment que je veux lui répondre

  • Speaker #0

    Oui je suis belle, je le sais ! Quelle femme ose dire cela à 18 ans ? Une arrogante ? Une insensible ? Une courageuse pour moi ? La question de l'orgueil est très présente dans la pièce Et pourtant, je n'ai jamais trouvé Camille orgueilleuse. Ça en dit long sur moi, n'est-ce pas ? Après tout, elle est présentée comme exceptionnelle par rapport à Rosette, sa gouvernante, les autres sœurs du couvent. Je ne trouve pas que son orgueil soit mal placé. Il lui donne l'énergie de combattre pour ses idéaux. Camille n'est pas que sur la défensive, elle attaque. Elle fait respecter sa conception de la justice. Et oui, il faut de l'amour propre pour ça. Elle y va. Moi, j'ai envie d'avoir ce moteur. J'ai envie qu'il soit pris en exemple, surtout par les jeunes femmes. Le texte de Musset appelle à l'action, à la bagarre verbale, on l'a bien compris. Et quand on est jeune, on peut se bagarrer, on a l'énergie. Et faut pas croire, on prend des coups, mais on en réchappe. Dans le doute, il vaut mieux être un peu trop Camille que pas assez. Le risque, mais ça, je vous laisse lire la fin de la pièce pour vous faire votre avis. Il est pour ceux qui prennent les balles perdues. Camille a bien quelques défauts. Par moments, elle raisonne trop. Elle essaye de convaincre par A plus B et ça marche pas du tout. Bah oui, on l'a dit, on n'est pas là pour s'expliquer, on est là pour bien s'engueuler. Et ça, ça se fait avec le cœur. En ça, elle manque de naturel. Et c'est même assez effrayant vu son jeune âge. Camille est parfaite pour monter sur un ring de boxe, on l'a dit, mais le reste du temps, elle gagnerait à s'adoucir. Sa froideur m'a rappelé une autre héroïne dont Camille gagnerait à s'inspirer. Cette héroïne, c'est Amélie Poulin. Alors oui, elles sont assez éloignées, mais Amélie, comme Camille, refuse l'amour car elles ne veulent pas souffrir. Sauf que dans Amélie Poulin, les vieux donnent de bien meilleurs conseils.

  • Speaker #1

    Voilà, ma petite Amélie, vous n'avez pas des os en verre, vous pouvez vous cogner à la vie. Si vous laissez passer cette chance, alors avec le temps, c'est votre cœur qui va devenir aussi sec et passant que mon squelette. Alors, allez-y, n'en t'en chie.

  • Speaker #0

    Une autre différence, c'est que l'éducation d'Amélie Poulain ne l'a pas complètement coupée du monde. Amélie reste attachée au plaisir de la vie, comme... Briser la croûte des crèmes brûlées avec la pointe de la petite cuillère. Finalement, la faiblesse de Camille, qui craint tant la trahison de Perdicamp... C'est de se trahir elle-même en oubliant ses souvenirs et les joies d'enfance qui l'animaient. Vous l'aurez compris, la vision que j'ai de Camille est très positive pour le féminisme. C'est une femme forte, qui tient tête aux hommes pour défendre ses convictions, qui assume ses choix. C'est une figure insoumise, rarement représentée au XIXe. Par contre, il n'y a pas de raison de penser que Musset était féministe. La misogynie est carrément de bon ton dans son époque et dans le romantisme, par exemple en banalisant la violence conjugale. Musset baigne là-dedans sans remise en question. Ce que je lui concède, et dans plusieurs de ses œuvres, c'est de prendre la parole sur la condition de la femme en créant des personnages féminins qui vont donner un point de vue crédible des obstacles qu'une femme rencontre dans sa vie. C'était déjà le cas avec Marianne, dans Les Caprices de Marianne, et ici avec Camille. Musset va régulièrement mettre sur le devant de la scène et critiquer des thèmes comme le recours forcé à la prostitution, au mariage ou les injonctions religieuses. Si on n'avait pas répété à Camille que les hommes ne sont pas dignes de confiance et que leur amour est pervers, tout aurait été plus simple pour Perdicant.

  • Speaker #1

    Tu me parles d'une religieuse qui me paraît avoir eu sur toi une influence funeste. Tu dis qu'elle a été trompée, qu'elle a trompé elle-même et qu'elle est désespérée. Es-tu sûre que si son mari ou son amant... Revenez lui tendre la main à travers la grille du parloir, elle ne lui tendrait pas la sienne.

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, les femmes se sont beaucoup libérées de cette pression religieuse. Pourtant Camille reste un rôle crucial dans la construction du féminin. Même si la religion n'a plus autant de poids, il reste un discours dominant de société qui intime aux femmes d'être méfiantes en amour. En deux siècles, ce paradoxe n'a pas bougé. Il faut trouver le prince charmant, mais ça se trouve, cet homme que tu aimes est celui qui t'anéantira socialement. Super. En 2023, il n'y a pas besoin d'aller dans les couvents pour trouver des récits de femmes à vous dégoûter de l'amour. En cela, les doutes de Camille résonnent encore beaucoup. Si Badine n'était qu'une querelle d'amoureux avec deux conceptions opposées de l'amour, on pourrait tout à fait inverser les rôles homme-femme. Or, ce n'est pas le cas. On imagine assez mal une perdicant ou un Camille. Les femmes trompées ne sont plus déshonorées aujourd'hui, mais elles ont plus à perdre que les hommes.

  • Speaker #1

    On est souvent trompé en amour, souvent blessé, souvent malheureux, mais on aime.

  • Speaker #0

    Aimer librement pour une femme, ce n'est pas seulement prendre le risque d'être blessé et malheureuse, c'est encore celui d'être durement jugé et dévalorisé. Là-dessus, il y a une tirade de Camille que je trouve sublime, criante et toujours d'actualité. Connaissez-vous le cœur des femmes, perdicant ? Êtes-vous sûre de leur inconstance ? Et savez-vous si elles changent réellement de pensée en changeant quelquefois de langage ? Il y en a qui disent que non. Sans doute, il nous faut souvent jouer un rôle, souvent mentir. Vous voyez que je suis franche. mais êtes-vous sûre que tout mente dans une femme lorsque sa langue ment avez-vous bien réfléchi à la nature de cet être faible et violent à la rigueur avec laquelle on le juge aux principes qu'on lui impose et qui sait si forcée à tromper par le monde la tête de ce petit être sans cervelle ne peut pas y prendre plaisir et mentir quelquefois par passe-temps par folie comme elle ment par nécessité Les femmes, ces petits êtres sans cervelle, dont on attend qu'elles soient les plus sensées, les plus raisonnables et matures. Perdicant a deux ans de plus que Camille, mais c'est lui qui, par jalousie, dépit et vengeance, séduit Rosette. Tout ça parce qu'à la base, Camille n'a pas voulu lui faire la bise. Alors j'entends l'appel de Perdicant qui dit qu'il ne faut pas se fermer au monde. Mais j'entends aussi tellement le triomphe de Camille qui nous montre par son exemple que quand on tombe sur un lâche et un menteur, il n'y a rien à concéder. Camille et Perdicand m'évoquent deux louveteaux qui auraient grandi, plus qu'un couple de perruches inséparables. Et une louve adulte s'est montrée l'écrot. Il ne s'agit pas d'être misandre, mais aguerri. Et si je devais finir par un proverbe, plutôt qu'on ne badine pas avec l'amour, je choisirais Il ne faut pas lâcher la proie pour l'ombre Une morale qui nous vient de Jean de La Fontaine, dans une fable très courte, qui met en scène non pas une louve, mais un chien. Chacun se trompe ici-bas. On voit courir après l'ombre tant de fous qu'on n'en sait pas la plupart du temps le nombre. Aux chiens dont parle Aesop, il faut les renvoyer. Ce chien, voyant sa proie en l'eau représentée, la quitta pour l'image et pensa se noyer. La rivière devint tout d'un coup agitée. À toute peine, il regagna les bords et n'eut ni l'ombre ni le corps. Le monde est encore plein d'injonctions qui poussent les jeunes gens à lâcher la proie pour l'ombre. Ils s'en retrouvent forcés, comme dit Camille, à tromper par le monde et à prendre les reflets pour des vérités. Alors, appliquons notre sagesse et notre honnêteté à faire tomber les masques pour distinguer les vrais amants de leurs ombres et allons-y, nom d'un chien. On ne badine pas avec l'amour est une pièce pour tous, mais particulièrement vitale pour la jeunesse. Mettez-la entre les mains de tous les adolescents. Et demandez-leur s'ils pensent que la fameuse tirade de Perdicant peut s'inverser. Car si les hommes et les femmes sont tels qu'il le dit, toutes les femmes sont donc plus honnêtes, constantes et courageuses que les hommes, et les hommes, loyaux, droits et vertueux, on peut rêver. Merci d'avoir écouté Rôles Titres. Cet épisode touche à sa fin. J'espère que vous garderez en vous un fragment de cette héroïne. Si vous avez apprécié cet épisode, voici trois choses que vous pouvez faire après l'écoute. Vous abonner à Rôle titre sur votre plateforme de podcast préférée et laisser 5 étoiles s'il s'agit d'Apple Podcast ou de Spotify. Partagez cet épisode sur les réseaux sociaux pour faire entendre la voix des héroïnes de fiction à des auditeurs toujours plus nombreux. Rejoindre la newsletter de Rôle titre ou son compte Instagram pour encore plus de contenu inspirant. Toutes les infos sont dans la description de l'épisode. A bientôt pour découvrir la prochaine héroïne de rôle-titre.

Description

“Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir.” Camille, Acte II, Scène 5.

L'amour adolescent, incandescent et tragique de Camille & Perdican a traversé les siècles. On ne badine pas avec l'amour, pièce très courte destinée à être lue plus que jouée, a su concentrer l'essence des jeunes passions en quelques mots. Mais quels mots !

Dans cet épisode qui s’écoute comme un électrocardiogramme oscillant sans cesse, plusieurs leçons de jeunesse:

  • Ne pas écouter les bonimenteurs quel que soit leur âge
  • Apprendre à aimer avec colère
  • Dégainer son orgueil en botte secrète

ça va secouer  ! Bonne écoute ✝️


Rôle Titre c’est aussi un compte instagram et une newsletter pour encore plus de contenus autour de ces héroïnes inspirantes. Toutes les infos sur linktr.ee/roletitre

🔎 Références sources

Théâtre (texte intégral Libretheatre) : On ne badine pas avec l’amour, Alfred de Musset, 1834, créée en 1861 à la Comédie-Française

Fable (texte intégral Wikisource) : Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre, Fables livre VI, Jean de la Fontaine, 1874

Lettre : Correspondance du 12 mai 1834 de George Sand à Alfred de Musset


🎧 Références sonores citées dans l’épisode (extraits)

Captation :  On ne badine pas avec l’amour, Comédie-Française, 1978, mise en scène de Simon Eine, avec Béatrice Agenin et Francis Huster en premiers rôles

Film : Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, Jean-Pierre Jeunet, 2001

Musique : Comptine d’un autre été - l’après-midi, Yanne Tiersen, 2001


©️ Crédits
Rôle Titre est un podcast de Camille Forbes propulsé par Ausha


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans Rôles Titres, le podcast des femmes de fiction. Je m'appelle Camille Forbe et je suis comédienne. Une fois par mois, je vous emmène à la rencontre d'une héroïne du théâtre ou de la littérature, pour faire entendre sa voix et comment elle résonne dans notre société. Rôles Titres, c'est aussi un compte Instagram et une newsletter pour encore plus de contenu autour de ces héroïnes inspirantes. Alors pensez à vous abonner pour ne rien manquer, et c'est parti pour l'épisode. Qui a envie d'aller voir une pièce de théâtre qui sonne comme une leçon de morale ? Une pièce qui nous dit que l'amour n'est pas léger ou joyeux, mais à prendre très au sérieux. Alfred de Musset, grand romantique du XIXe, autant dire un expert, l'affirme. On ne badine pas avec l'amour. On, c'est Camille et Père Dicamp. Ils ont grandi tendrement ensemble, mais ne se sont pas revus depuis dix ans. Perdicand vient de finir des études prestigieuses en jeune homme de la haute société. Camille a été éduquée au couvent et veut consacrer sa vie à Dieu. Problème, le baron qui les a fait rentrer au berceau familial a pour projet de les marier. Mais ne s'improvise pas Cupidon qui veut. Les flèches mal tirées laissent des cicatrices, voire pourraient bien se tromper de cible. Vous écoutez rôle-titre épisode 4, Camille. Ouvrez-les pour parler. Tirez ! Faut-il vraiment vous la décrire ? Vous connaissez déjà Camille.

  • Speaker #1

    Ma nièce est depuis hier à 7h de nuit parvenue à l'arbre de 18 ans. Elle sort du meilleur couvent de France.

  • Speaker #0

    Il vous en reste quelques bribes, peut-être d'un cours de français. Camille a tout pour aimer et être aimée. La beauté, la jeunesse.

  • Speaker #1

    et belle comme les jours.

  • Speaker #0

    L'intelligence. Son éducation, Dieu merci, est terminée et ceux qui la verront auront la joie de respirer une glorieuse pleure de sagesse et de dévotion. Mais c'est une amoureuse impossible, inflexible, tumultueuse.

  • Speaker #1

    Ça veut dire que votre nièce a une correspondance secrète. Allons, Camille, embrasse ton cousin. Commencement de ma maison.

  • Speaker #0

    Voir violente.

  • Speaker #1

    Mais elle s'est criée avec force. Allez-y, trouvez-le, faites ce qu'on vous dit, vous êtes une sotte, je le veux.

  • Speaker #0

    Ça y est ? Ça vous revient ? Camille a 18 ans. Elle sort du couvent. Un ange, peut-être, mais qui ne va pas tarder à tomber. De haut. Camille, a priori, a fait jusque-là tout ce qu'on attendait d'elle. Elle a partagé une enfance sans nuages avec Père Dican. Au couvent, elle a donné entière satisfaction. Elle est cultivée et s'est épanouie, y compris physiquement, ce que Père Dican ne manque pas de relever quand il l'aperçoit.

  • Speaker #1

    Regardez donc mon père, comme Camille est jolie.

  • Speaker #0

    Camille est du genre à dire ce qu'elle pense, avec élégance mais sans détour. Je suis comme cela, c'est ma manière. Elle est décidée et sérieuse. Un trait de caractère plutôt rare chez la jeunesse. Je ne suis pas assez jeune pour m'amuser de mes poupées, ni assez vieille pour aimer le passé. Une jeune femme irréprochable aux yeux des autres personnages. Mais c'est en l'observant agir avec perdicant que quelques détails singuliers apparaissent. Camille est une fausse adolescente, et père Ducamp aussi d'ailleurs. Tout d'abord, ils parlent beaucoup trop bien. Bien sûr, on peut le justifier avec la noblesse et l'éducation qu'ils ont reçues, mais tout de même, ça sonne trop beau pour être vrai. Voilà deux jeunes de 18 et 20 ans qui ont toujours le mot exact, qui ont une répartie phénoménale et une analyse de la vie digne de 50 ans d'expérience sur Terre. C'est une grâce que je vous demande de me répondre sincèrement. Vous n'êtes pas un libertin, et je crois que votre cœur a de la probité. Vous avez dû inspirer l'amour, car vous le méritez. Dans la vie, on ne sait pas quoi répondre. On balbutie, ou alors, par excès de confiance, on dit des âneries plus grosses que soi, et particulièrement sous le coup de l'émotion. Mais pas Camille. C'est une jeune femme flamboyante, qui aime, qui rejette, qui ressent avec l'intensité d'une adolescente, mais qui parle comme une héroïne antique, avec une sagesse et des vertus spirituelles exceptionnelles. Camille et Perdicant sont une jeunesse fantasmée, idéale. Ce sont les jeunes gens qu'on aurait aimé être, qui savent argumenter du tac au tac. Alors oui, ils s'engueulent, mais ils s'engueulent sublimement. Plongez-vous dans le texte, mais n'allez pas jusqu'à vous comparer à l'éloquence de Camille. C'est un rôle complexe à vous filer des complexes. Au-delà d'être superbement écrite donc, impossible de parler d'On ne badine pas avec l'amour sans s'attarder sur la scène 5 de l'acte 2.

  • Speaker #1

    Trouvez-vous à midi à la petite fontaine.

  • Speaker #0

    C'est LA scène d'affrontement entre Camille et Perdicant qui fait facilement oublier tout le reste. Car jusque-là, il ne s'est pas passé grand-chose dans la pièce. Les scènes sont courtes et les personnages secondaires sont grotesques. Il y a un fort contraste entre nos deux jeunes héros et tous les autres personnages, les vieux, c'est-à-dire le curé, le baron, la vieille gouvernante de Camille. Ce sont des fantoches sans volonté qui radotent leurs principes ou qui courent après leur petit confort. Camille et Perdicand, eux, sont à part. Au premier acte, on a simplement pu constater que les retrouvailles de Camille et Perdicand sont ratées. Au moment où le baron tente de les faire se rencontrer, Camille refuse d'embrasser Perdicand et le vexe. Blessé, nostalgique, il va retrouver Rosette, la sœur de lait de Camille qui est bien plus terre à terre. Ne parlons pas de cela, voulez-vous. Parlons du temps qu'il fait, de ces fleurs que voilà, de vos chevaux et de mes bonnets. On se dit que Camille ne veut pas se marier, que Père Dicamp va se consoler avec Rosette et que tout ira pour le mieux, chacun ayant ce qu'il veut. Mais Père Dicamp reçoit une lettre lui donnant rendez-vous. Camille veut lui parler une dernière fois. Et c'est là que le match de boxe commence. Acte 2, scène 5, c'est le morceau de bravoure de la pièce. C'est un véritable match de boxe entre Camille et Perdicant qui s'affrontent à coup de punchline. A noter qu'elles sont largement inspirées de la correspondance entre Alfred de Musset et Georges Sand, qui étaient écrivains et amants dans la vie. Dites-moi, avez-vous eu des maîtresses ? Répondez-moi, je vous en prie, sans modestie et sans fatuité. Oui,

  • Speaker #1

    j'en ai eu.

  • Speaker #0

    Les avez-vous aimées ?

  • Speaker #1

    De tout mon cœur.

  • Speaker #0

    Où sont-elles maintenant, le savez-vous ? Tout ça n'a pas pris une ride. Aujourd'hui, l'équivalent, ce serait les kilomètres de messages qu'on peut s'échanger sur les applis, en pensant être très spirituel d'ailleurs. Badine pourrait se râper ou alors s'adapter en slam. Que me conseilleriez-vous de faire le jour où je verrai que vous ne m'aimez plus ?

  • Speaker #1

    De prendre un amant.

  • Speaker #0

    Que ferai-je ensuite, le jour où mon amant ne m'aimera plus ? Combien de temps cela durera-t-il ? C'est un face-à-face de deux égaux qui donnent leur vision de l'amour, de la solitude. Et chacun marque des points.

  • Speaker #1

    Tu es une orgueilleuse. Prends garde à toi. Tu as 18 ans et tu ne crois pas à l'amour ?

  • Speaker #0

    Y croyez-vous, vous qui parlez ? Vous voilà courbée près de moi avec des genoux qui se sont usés sur les tapis de vos maîtresses et vous n'en savez plus le nom ? Et puis vient la tirade finale de Perdicant. Allez, on se l'écoute.

  • Speaker #1

    tous les hommes sont menteurs inconstants faux bavards hypocrites orgueilleux ou lâches méprisables et sensuels toutes les femmes sont perfides artificieuses vaniteuses curieuses et dépravées le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fanges mais il y a au monde Une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé, souvent malheureux, mais on m'aime. Et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit, J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois. Mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu. Et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.

  • Speaker #0

    Mais alors, c'est Perdicand qui gagne ? Il gagne la bataille, mais pas la guerre. La grande subtilité de Musset, c'est de brouiller les pistes. On ne peut pas vraiment dire que Perdicand représente tous les hommes, qu'il représente Alfred et l'amour libertin consommateur de conquêtes. On ne peut pas dire non plus Camille, c'est toutes les femmes, c'est Georges Sand, et c'est l'amour raisonnable ou qui se méfie des hommes par une trop grande fierté Parce qu'au moment où il écrit On ne badine pas avec l'amour Alfred de Musset a été trompé et quitté par Georges Sand. Il en est anéanti, et ça me semble évident. Il a mis beaucoup de lui-même, de sa souffrance et de ses mots dans la bouche de Camille, pas dans la bouche de Perdicant. Si ça vous intéresse, j'ai prévu plusieurs ressources sur la relation entre Georges Sand et Alfred Demucet dans la prochaine newsletter. Pour vous abonner, toutes les infos sont en description de l'épisode. En attendant, quand Camille dit Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir c'est Alfred qui parle. Toute personne, homme ou femme, qui a été quittée se reconnaît. Quand père dit Candy on est souvent trompé en amour,

  • Speaker #1

    souvent blessé, souvent malheureux. Mais on aime.

  • Speaker #0

    C'est une phrase qu'il emprunte mot pour mot d'une lettre de Georges Sand. Donc c'est une femme qui dit cela, qui appelle à aimer quoi qu'il en coûte. Et c'est subversif pour l'époque. Ces croisements font qu'il est rare qu'on s'identifie uniquement à Camille ou qu'on s'identifie uniquement à Perdicant. En pratique, on se reconnaît alternativement dans l'une et dans l'autre. C'est pour cela que c'est difficile de parler uniquement du rôle de Camille en le dissociant de Perdicant. Car ce sont les deux faces d'une même médaille. Mais bon, on va quand même se concentrer sur Camille. Ce que j'aime le plus chez elle, c'est sa colère. C'est pour moi une amoureuse en colère, ou l'inverse, une colérique amoureuse. Camille n'est pas farouche, furie, encore moins hystérique, elle n'est pas nerveuse ou énervée, elle est en colère. Et ça se voit, même si c'est difficile à croire pour certains.

  • Speaker #1

    J'aime moins les mises en scène où Camille est timorée,

  • Speaker #0

    douce et peu à peu gagnée par la colère. Moi, je l'imagine en colère depuis des années. Ça l'a fait enrager de revenir dans le berceau familial. Elle aime Berdican depuis toujours, elle le dit, et on lui a raconté sa vie de jeune homme. Elle sait qu'il a eu des maîtresses, et en prime, les femmes de son couvent lui ont fait les pires récits des hommes.

  • Speaker #1

    Camille a nourri sa colère en

  • Speaker #0

    même temps que son amour. Et les deux sont prêts à éclater. En façade, Camille nous dit vouloir aimer d'un amour pur, céleste. Mais dans les faits et dans son corps, c'est un amour violent, très organique, très vivant, il y a du sang. C'est un amour bagarreur. Et son projet de consacrer sa vie à Dieu n'est pas si solide que ça. Des indices montrent qu'elle pourrait bien choisir l'amour terrestre. À trois reprises tout de même, elle interroge Perdicant. Trouvez-vous que j'ai raison de me faire religieuse ? Ce qu'elle ne ferait pas si elle était absolument sûre d'elle. Elle n'est pas loin de lâcher à ce moment. Et lui ? Il passe à côté. Alors il a sa tirade finale, mais c'est loupé. Personne ne s'est mouillé et la colère de Camille a fait plouf, dans un silence retentissant. Camille et moi partageons plus qu'un prénom. Comme beaucoup, je l'ai lu pour la première fois adolescente. Et le texte s'est imprimé, il marque. Je ne l'ai pas vu en scène. Mais c'est du théâtre dans un fauteuil, alors les images viennent facilement. Le texte... Et les images, à relire et à revoir, pour retrouver les sensations adolescentes. Qui n'a pas traversé cela ? Camille et Perdi-Camp sortent du lot par rapport à tous ces vieux qui ne comprennent rien. Toutes les analyses et critiques que vous trouverez parleront à juste titre des deux premiers rôles. Mais ma préférence va à Camille. Je lui donne sans hésiter le rôle principal. Surtout dans la deuxième moitié de la pièce. Elle en sort plus grande et plus lumineuse que Perdi-Camp. Attention, elle ne gagne pas le bonheur pour autant. Toute cette histoire finit mal et on ne gagne rien à être une Camille. En même temps, est-ce qu'on lui souhaite vraiment d'être avec un perdicant une fois qu'on a vu ce dont il était capable ? Mais Camille suscite le respect. Elle occupe une place très forte chez moi car j'ai envie de la garder. J'ai envie de mener ma vie comme elle, même si je ne veux pas du tout que ma vie finisse comme la sienne. Par exemple, si je suis en train de défendre mes valeurs corps et âme face à l'homme que j'aime et qu'il a la bêtise de dire

  • Speaker #1

    Que tu es belle Camille lorsque tes yeux s'animent évidemment que je veux lui répondre

  • Speaker #0

    Oui je suis belle, je le sais ! Quelle femme ose dire cela à 18 ans ? Une arrogante ? Une insensible ? Une courageuse pour moi ? La question de l'orgueil est très présente dans la pièce Et pourtant, je n'ai jamais trouvé Camille orgueilleuse. Ça en dit long sur moi, n'est-ce pas ? Après tout, elle est présentée comme exceptionnelle par rapport à Rosette, sa gouvernante, les autres sœurs du couvent. Je ne trouve pas que son orgueil soit mal placé. Il lui donne l'énergie de combattre pour ses idéaux. Camille n'est pas que sur la défensive, elle attaque. Elle fait respecter sa conception de la justice. Et oui, il faut de l'amour propre pour ça. Elle y va. Moi, j'ai envie d'avoir ce moteur. J'ai envie qu'il soit pris en exemple, surtout par les jeunes femmes. Le texte de Musset appelle à l'action, à la bagarre verbale, on l'a bien compris. Et quand on est jeune, on peut se bagarrer, on a l'énergie. Et faut pas croire, on prend des coups, mais on en réchappe. Dans le doute, il vaut mieux être un peu trop Camille que pas assez. Le risque, mais ça, je vous laisse lire la fin de la pièce pour vous faire votre avis. Il est pour ceux qui prennent les balles perdues. Camille a bien quelques défauts. Par moments, elle raisonne trop. Elle essaye de convaincre par A plus B et ça marche pas du tout. Bah oui, on l'a dit, on n'est pas là pour s'expliquer, on est là pour bien s'engueuler. Et ça, ça se fait avec le cœur. En ça, elle manque de naturel. Et c'est même assez effrayant vu son jeune âge. Camille est parfaite pour monter sur un ring de boxe, on l'a dit, mais le reste du temps, elle gagnerait à s'adoucir. Sa froideur m'a rappelé une autre héroïne dont Camille gagnerait à s'inspirer. Cette héroïne, c'est Amélie Poulin. Alors oui, elles sont assez éloignées, mais Amélie, comme Camille, refuse l'amour car elles ne veulent pas souffrir. Sauf que dans Amélie Poulin, les vieux donnent de bien meilleurs conseils.

  • Speaker #1

    Voilà, ma petite Amélie, vous n'avez pas des os en verre, vous pouvez vous cogner à la vie. Si vous laissez passer cette chance, alors avec le temps, c'est votre cœur qui va devenir aussi sec et passant que mon squelette. Alors, allez-y, n'en t'en chie.

  • Speaker #0

    Une autre différence, c'est que l'éducation d'Amélie Poulain ne l'a pas complètement coupée du monde. Amélie reste attachée au plaisir de la vie, comme... Briser la croûte des crèmes brûlées avec la pointe de la petite cuillère. Finalement, la faiblesse de Camille, qui craint tant la trahison de Perdicamp... C'est de se trahir elle-même en oubliant ses souvenirs et les joies d'enfance qui l'animaient. Vous l'aurez compris, la vision que j'ai de Camille est très positive pour le féminisme. C'est une femme forte, qui tient tête aux hommes pour défendre ses convictions, qui assume ses choix. C'est une figure insoumise, rarement représentée au XIXe. Par contre, il n'y a pas de raison de penser que Musset était féministe. La misogynie est carrément de bon ton dans son époque et dans le romantisme, par exemple en banalisant la violence conjugale. Musset baigne là-dedans sans remise en question. Ce que je lui concède, et dans plusieurs de ses œuvres, c'est de prendre la parole sur la condition de la femme en créant des personnages féminins qui vont donner un point de vue crédible des obstacles qu'une femme rencontre dans sa vie. C'était déjà le cas avec Marianne, dans Les Caprices de Marianne, et ici avec Camille. Musset va régulièrement mettre sur le devant de la scène et critiquer des thèmes comme le recours forcé à la prostitution, au mariage ou les injonctions religieuses. Si on n'avait pas répété à Camille que les hommes ne sont pas dignes de confiance et que leur amour est pervers, tout aurait été plus simple pour Perdicant.

  • Speaker #1

    Tu me parles d'une religieuse qui me paraît avoir eu sur toi une influence funeste. Tu dis qu'elle a été trompée, qu'elle a trompé elle-même et qu'elle est désespérée. Es-tu sûre que si son mari ou son amant... Revenez lui tendre la main à travers la grille du parloir, elle ne lui tendrait pas la sienne.

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, les femmes se sont beaucoup libérées de cette pression religieuse. Pourtant Camille reste un rôle crucial dans la construction du féminin. Même si la religion n'a plus autant de poids, il reste un discours dominant de société qui intime aux femmes d'être méfiantes en amour. En deux siècles, ce paradoxe n'a pas bougé. Il faut trouver le prince charmant, mais ça se trouve, cet homme que tu aimes est celui qui t'anéantira socialement. Super. En 2023, il n'y a pas besoin d'aller dans les couvents pour trouver des récits de femmes à vous dégoûter de l'amour. En cela, les doutes de Camille résonnent encore beaucoup. Si Badine n'était qu'une querelle d'amoureux avec deux conceptions opposées de l'amour, on pourrait tout à fait inverser les rôles homme-femme. Or, ce n'est pas le cas. On imagine assez mal une perdicant ou un Camille. Les femmes trompées ne sont plus déshonorées aujourd'hui, mais elles ont plus à perdre que les hommes.

  • Speaker #1

    On est souvent trompé en amour, souvent blessé, souvent malheureux, mais on aime.

  • Speaker #0

    Aimer librement pour une femme, ce n'est pas seulement prendre le risque d'être blessé et malheureuse, c'est encore celui d'être durement jugé et dévalorisé. Là-dessus, il y a une tirade de Camille que je trouve sublime, criante et toujours d'actualité. Connaissez-vous le cœur des femmes, perdicant ? Êtes-vous sûre de leur inconstance ? Et savez-vous si elles changent réellement de pensée en changeant quelquefois de langage ? Il y en a qui disent que non. Sans doute, il nous faut souvent jouer un rôle, souvent mentir. Vous voyez que je suis franche. mais êtes-vous sûre que tout mente dans une femme lorsque sa langue ment avez-vous bien réfléchi à la nature de cet être faible et violent à la rigueur avec laquelle on le juge aux principes qu'on lui impose et qui sait si forcée à tromper par le monde la tête de ce petit être sans cervelle ne peut pas y prendre plaisir et mentir quelquefois par passe-temps par folie comme elle ment par nécessité Les femmes, ces petits êtres sans cervelle, dont on attend qu'elles soient les plus sensées, les plus raisonnables et matures. Perdicant a deux ans de plus que Camille, mais c'est lui qui, par jalousie, dépit et vengeance, séduit Rosette. Tout ça parce qu'à la base, Camille n'a pas voulu lui faire la bise. Alors j'entends l'appel de Perdicant qui dit qu'il ne faut pas se fermer au monde. Mais j'entends aussi tellement le triomphe de Camille qui nous montre par son exemple que quand on tombe sur un lâche et un menteur, il n'y a rien à concéder. Camille et Perdicand m'évoquent deux louveteaux qui auraient grandi, plus qu'un couple de perruches inséparables. Et une louve adulte s'est montrée l'écrot. Il ne s'agit pas d'être misandre, mais aguerri. Et si je devais finir par un proverbe, plutôt qu'on ne badine pas avec l'amour, je choisirais Il ne faut pas lâcher la proie pour l'ombre Une morale qui nous vient de Jean de La Fontaine, dans une fable très courte, qui met en scène non pas une louve, mais un chien. Chacun se trompe ici-bas. On voit courir après l'ombre tant de fous qu'on n'en sait pas la plupart du temps le nombre. Aux chiens dont parle Aesop, il faut les renvoyer. Ce chien, voyant sa proie en l'eau représentée, la quitta pour l'image et pensa se noyer. La rivière devint tout d'un coup agitée. À toute peine, il regagna les bords et n'eut ni l'ombre ni le corps. Le monde est encore plein d'injonctions qui poussent les jeunes gens à lâcher la proie pour l'ombre. Ils s'en retrouvent forcés, comme dit Camille, à tromper par le monde et à prendre les reflets pour des vérités. Alors, appliquons notre sagesse et notre honnêteté à faire tomber les masques pour distinguer les vrais amants de leurs ombres et allons-y, nom d'un chien. On ne badine pas avec l'amour est une pièce pour tous, mais particulièrement vitale pour la jeunesse. Mettez-la entre les mains de tous les adolescents. Et demandez-leur s'ils pensent que la fameuse tirade de Perdicant peut s'inverser. Car si les hommes et les femmes sont tels qu'il le dit, toutes les femmes sont donc plus honnêtes, constantes et courageuses que les hommes, et les hommes, loyaux, droits et vertueux, on peut rêver. Merci d'avoir écouté Rôles Titres. Cet épisode touche à sa fin. J'espère que vous garderez en vous un fragment de cette héroïne. Si vous avez apprécié cet épisode, voici trois choses que vous pouvez faire après l'écoute. Vous abonner à Rôle titre sur votre plateforme de podcast préférée et laisser 5 étoiles s'il s'agit d'Apple Podcast ou de Spotify. Partagez cet épisode sur les réseaux sociaux pour faire entendre la voix des héroïnes de fiction à des auditeurs toujours plus nombreux. Rejoindre la newsletter de Rôle titre ou son compte Instagram pour encore plus de contenu inspirant. Toutes les infos sont dans la description de l'épisode. A bientôt pour découvrir la prochaine héroïne de rôle-titre.

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Description

“Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir.” Camille, Acte II, Scène 5.

L'amour adolescent, incandescent et tragique de Camille & Perdican a traversé les siècles. On ne badine pas avec l'amour, pièce très courte destinée à être lue plus que jouée, a su concentrer l'essence des jeunes passions en quelques mots. Mais quels mots !

Dans cet épisode qui s’écoute comme un électrocardiogramme oscillant sans cesse, plusieurs leçons de jeunesse:

  • Ne pas écouter les bonimenteurs quel que soit leur âge
  • Apprendre à aimer avec colère
  • Dégainer son orgueil en botte secrète

ça va secouer  ! Bonne écoute ✝️


Rôle Titre c’est aussi un compte instagram et une newsletter pour encore plus de contenus autour de ces héroïnes inspirantes. Toutes les infos sur linktr.ee/roletitre

🔎 Références sources

Théâtre (texte intégral Libretheatre) : On ne badine pas avec l’amour, Alfred de Musset, 1834, créée en 1861 à la Comédie-Française

Fable (texte intégral Wikisource) : Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre, Fables livre VI, Jean de la Fontaine, 1874

Lettre : Correspondance du 12 mai 1834 de George Sand à Alfred de Musset


🎧 Références sonores citées dans l’épisode (extraits)

Captation :  On ne badine pas avec l’amour, Comédie-Française, 1978, mise en scène de Simon Eine, avec Béatrice Agenin et Francis Huster en premiers rôles

Film : Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, Jean-Pierre Jeunet, 2001

Musique : Comptine d’un autre été - l’après-midi, Yanne Tiersen, 2001


©️ Crédits
Rôle Titre est un podcast de Camille Forbes propulsé par Ausha


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans Rôles Titres, le podcast des femmes de fiction. Je m'appelle Camille Forbe et je suis comédienne. Une fois par mois, je vous emmène à la rencontre d'une héroïne du théâtre ou de la littérature, pour faire entendre sa voix et comment elle résonne dans notre société. Rôles Titres, c'est aussi un compte Instagram et une newsletter pour encore plus de contenu autour de ces héroïnes inspirantes. Alors pensez à vous abonner pour ne rien manquer, et c'est parti pour l'épisode. Qui a envie d'aller voir une pièce de théâtre qui sonne comme une leçon de morale ? Une pièce qui nous dit que l'amour n'est pas léger ou joyeux, mais à prendre très au sérieux. Alfred de Musset, grand romantique du XIXe, autant dire un expert, l'affirme. On ne badine pas avec l'amour. On, c'est Camille et Père Dicamp. Ils ont grandi tendrement ensemble, mais ne se sont pas revus depuis dix ans. Perdicand vient de finir des études prestigieuses en jeune homme de la haute société. Camille a été éduquée au couvent et veut consacrer sa vie à Dieu. Problème, le baron qui les a fait rentrer au berceau familial a pour projet de les marier. Mais ne s'improvise pas Cupidon qui veut. Les flèches mal tirées laissent des cicatrices, voire pourraient bien se tromper de cible. Vous écoutez rôle-titre épisode 4, Camille. Ouvrez-les pour parler. Tirez ! Faut-il vraiment vous la décrire ? Vous connaissez déjà Camille.

  • Speaker #1

    Ma nièce est depuis hier à 7h de nuit parvenue à l'arbre de 18 ans. Elle sort du meilleur couvent de France.

  • Speaker #0

    Il vous en reste quelques bribes, peut-être d'un cours de français. Camille a tout pour aimer et être aimée. La beauté, la jeunesse.

  • Speaker #1

    et belle comme les jours.

  • Speaker #0

    L'intelligence. Son éducation, Dieu merci, est terminée et ceux qui la verront auront la joie de respirer une glorieuse pleure de sagesse et de dévotion. Mais c'est une amoureuse impossible, inflexible, tumultueuse.

  • Speaker #1

    Ça veut dire que votre nièce a une correspondance secrète. Allons, Camille, embrasse ton cousin. Commencement de ma maison.

  • Speaker #0

    Voir violente.

  • Speaker #1

    Mais elle s'est criée avec force. Allez-y, trouvez-le, faites ce qu'on vous dit, vous êtes une sotte, je le veux.

  • Speaker #0

    Ça y est ? Ça vous revient ? Camille a 18 ans. Elle sort du couvent. Un ange, peut-être, mais qui ne va pas tarder à tomber. De haut. Camille, a priori, a fait jusque-là tout ce qu'on attendait d'elle. Elle a partagé une enfance sans nuages avec Père Dican. Au couvent, elle a donné entière satisfaction. Elle est cultivée et s'est épanouie, y compris physiquement, ce que Père Dican ne manque pas de relever quand il l'aperçoit.

  • Speaker #1

    Regardez donc mon père, comme Camille est jolie.

  • Speaker #0

    Camille est du genre à dire ce qu'elle pense, avec élégance mais sans détour. Je suis comme cela, c'est ma manière. Elle est décidée et sérieuse. Un trait de caractère plutôt rare chez la jeunesse. Je ne suis pas assez jeune pour m'amuser de mes poupées, ni assez vieille pour aimer le passé. Une jeune femme irréprochable aux yeux des autres personnages. Mais c'est en l'observant agir avec perdicant que quelques détails singuliers apparaissent. Camille est une fausse adolescente, et père Ducamp aussi d'ailleurs. Tout d'abord, ils parlent beaucoup trop bien. Bien sûr, on peut le justifier avec la noblesse et l'éducation qu'ils ont reçues, mais tout de même, ça sonne trop beau pour être vrai. Voilà deux jeunes de 18 et 20 ans qui ont toujours le mot exact, qui ont une répartie phénoménale et une analyse de la vie digne de 50 ans d'expérience sur Terre. C'est une grâce que je vous demande de me répondre sincèrement. Vous n'êtes pas un libertin, et je crois que votre cœur a de la probité. Vous avez dû inspirer l'amour, car vous le méritez. Dans la vie, on ne sait pas quoi répondre. On balbutie, ou alors, par excès de confiance, on dit des âneries plus grosses que soi, et particulièrement sous le coup de l'émotion. Mais pas Camille. C'est une jeune femme flamboyante, qui aime, qui rejette, qui ressent avec l'intensité d'une adolescente, mais qui parle comme une héroïne antique, avec une sagesse et des vertus spirituelles exceptionnelles. Camille et Perdicant sont une jeunesse fantasmée, idéale. Ce sont les jeunes gens qu'on aurait aimé être, qui savent argumenter du tac au tac. Alors oui, ils s'engueulent, mais ils s'engueulent sublimement. Plongez-vous dans le texte, mais n'allez pas jusqu'à vous comparer à l'éloquence de Camille. C'est un rôle complexe à vous filer des complexes. Au-delà d'être superbement écrite donc, impossible de parler d'On ne badine pas avec l'amour sans s'attarder sur la scène 5 de l'acte 2.

  • Speaker #1

    Trouvez-vous à midi à la petite fontaine.

  • Speaker #0

    C'est LA scène d'affrontement entre Camille et Perdicant qui fait facilement oublier tout le reste. Car jusque-là, il ne s'est pas passé grand-chose dans la pièce. Les scènes sont courtes et les personnages secondaires sont grotesques. Il y a un fort contraste entre nos deux jeunes héros et tous les autres personnages, les vieux, c'est-à-dire le curé, le baron, la vieille gouvernante de Camille. Ce sont des fantoches sans volonté qui radotent leurs principes ou qui courent après leur petit confort. Camille et Perdicand, eux, sont à part. Au premier acte, on a simplement pu constater que les retrouvailles de Camille et Perdicand sont ratées. Au moment où le baron tente de les faire se rencontrer, Camille refuse d'embrasser Perdicand et le vexe. Blessé, nostalgique, il va retrouver Rosette, la sœur de lait de Camille qui est bien plus terre à terre. Ne parlons pas de cela, voulez-vous. Parlons du temps qu'il fait, de ces fleurs que voilà, de vos chevaux et de mes bonnets. On se dit que Camille ne veut pas se marier, que Père Dicamp va se consoler avec Rosette et que tout ira pour le mieux, chacun ayant ce qu'il veut. Mais Père Dicamp reçoit une lettre lui donnant rendez-vous. Camille veut lui parler une dernière fois. Et c'est là que le match de boxe commence. Acte 2, scène 5, c'est le morceau de bravoure de la pièce. C'est un véritable match de boxe entre Camille et Perdicant qui s'affrontent à coup de punchline. A noter qu'elles sont largement inspirées de la correspondance entre Alfred de Musset et Georges Sand, qui étaient écrivains et amants dans la vie. Dites-moi, avez-vous eu des maîtresses ? Répondez-moi, je vous en prie, sans modestie et sans fatuité. Oui,

  • Speaker #1

    j'en ai eu.

  • Speaker #0

    Les avez-vous aimées ?

  • Speaker #1

    De tout mon cœur.

  • Speaker #0

    Où sont-elles maintenant, le savez-vous ? Tout ça n'a pas pris une ride. Aujourd'hui, l'équivalent, ce serait les kilomètres de messages qu'on peut s'échanger sur les applis, en pensant être très spirituel d'ailleurs. Badine pourrait se râper ou alors s'adapter en slam. Que me conseilleriez-vous de faire le jour où je verrai que vous ne m'aimez plus ?

  • Speaker #1

    De prendre un amant.

  • Speaker #0

    Que ferai-je ensuite, le jour où mon amant ne m'aimera plus ? Combien de temps cela durera-t-il ? C'est un face-à-face de deux égaux qui donnent leur vision de l'amour, de la solitude. Et chacun marque des points.

  • Speaker #1

    Tu es une orgueilleuse. Prends garde à toi. Tu as 18 ans et tu ne crois pas à l'amour ?

  • Speaker #0

    Y croyez-vous, vous qui parlez ? Vous voilà courbée près de moi avec des genoux qui se sont usés sur les tapis de vos maîtresses et vous n'en savez plus le nom ? Et puis vient la tirade finale de Perdicant. Allez, on se l'écoute.

  • Speaker #1

    tous les hommes sont menteurs inconstants faux bavards hypocrites orgueilleux ou lâches méprisables et sensuels toutes les femmes sont perfides artificieuses vaniteuses curieuses et dépravées le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fanges mais il y a au monde Une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé, souvent malheureux, mais on m'aime. Et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit, J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois. Mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu. Et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.

  • Speaker #0

    Mais alors, c'est Perdicand qui gagne ? Il gagne la bataille, mais pas la guerre. La grande subtilité de Musset, c'est de brouiller les pistes. On ne peut pas vraiment dire que Perdicand représente tous les hommes, qu'il représente Alfred et l'amour libertin consommateur de conquêtes. On ne peut pas dire non plus Camille, c'est toutes les femmes, c'est Georges Sand, et c'est l'amour raisonnable ou qui se méfie des hommes par une trop grande fierté Parce qu'au moment où il écrit On ne badine pas avec l'amour Alfred de Musset a été trompé et quitté par Georges Sand. Il en est anéanti, et ça me semble évident. Il a mis beaucoup de lui-même, de sa souffrance et de ses mots dans la bouche de Camille, pas dans la bouche de Perdicant. Si ça vous intéresse, j'ai prévu plusieurs ressources sur la relation entre Georges Sand et Alfred Demucet dans la prochaine newsletter. Pour vous abonner, toutes les infos sont en description de l'épisode. En attendant, quand Camille dit Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir c'est Alfred qui parle. Toute personne, homme ou femme, qui a été quittée se reconnaît. Quand père dit Candy on est souvent trompé en amour,

  • Speaker #1

    souvent blessé, souvent malheureux. Mais on aime.

  • Speaker #0

    C'est une phrase qu'il emprunte mot pour mot d'une lettre de Georges Sand. Donc c'est une femme qui dit cela, qui appelle à aimer quoi qu'il en coûte. Et c'est subversif pour l'époque. Ces croisements font qu'il est rare qu'on s'identifie uniquement à Camille ou qu'on s'identifie uniquement à Perdicant. En pratique, on se reconnaît alternativement dans l'une et dans l'autre. C'est pour cela que c'est difficile de parler uniquement du rôle de Camille en le dissociant de Perdicant. Car ce sont les deux faces d'une même médaille. Mais bon, on va quand même se concentrer sur Camille. Ce que j'aime le plus chez elle, c'est sa colère. C'est pour moi une amoureuse en colère, ou l'inverse, une colérique amoureuse. Camille n'est pas farouche, furie, encore moins hystérique, elle n'est pas nerveuse ou énervée, elle est en colère. Et ça se voit, même si c'est difficile à croire pour certains.

  • Speaker #1

    J'aime moins les mises en scène où Camille est timorée,

  • Speaker #0

    douce et peu à peu gagnée par la colère. Moi, je l'imagine en colère depuis des années. Ça l'a fait enrager de revenir dans le berceau familial. Elle aime Berdican depuis toujours, elle le dit, et on lui a raconté sa vie de jeune homme. Elle sait qu'il a eu des maîtresses, et en prime, les femmes de son couvent lui ont fait les pires récits des hommes.

  • Speaker #1

    Camille a nourri sa colère en

  • Speaker #0

    même temps que son amour. Et les deux sont prêts à éclater. En façade, Camille nous dit vouloir aimer d'un amour pur, céleste. Mais dans les faits et dans son corps, c'est un amour violent, très organique, très vivant, il y a du sang. C'est un amour bagarreur. Et son projet de consacrer sa vie à Dieu n'est pas si solide que ça. Des indices montrent qu'elle pourrait bien choisir l'amour terrestre. À trois reprises tout de même, elle interroge Perdicant. Trouvez-vous que j'ai raison de me faire religieuse ? Ce qu'elle ne ferait pas si elle était absolument sûre d'elle. Elle n'est pas loin de lâcher à ce moment. Et lui ? Il passe à côté. Alors il a sa tirade finale, mais c'est loupé. Personne ne s'est mouillé et la colère de Camille a fait plouf, dans un silence retentissant. Camille et moi partageons plus qu'un prénom. Comme beaucoup, je l'ai lu pour la première fois adolescente. Et le texte s'est imprimé, il marque. Je ne l'ai pas vu en scène. Mais c'est du théâtre dans un fauteuil, alors les images viennent facilement. Le texte... Et les images, à relire et à revoir, pour retrouver les sensations adolescentes. Qui n'a pas traversé cela ? Camille et Perdi-Camp sortent du lot par rapport à tous ces vieux qui ne comprennent rien. Toutes les analyses et critiques que vous trouverez parleront à juste titre des deux premiers rôles. Mais ma préférence va à Camille. Je lui donne sans hésiter le rôle principal. Surtout dans la deuxième moitié de la pièce. Elle en sort plus grande et plus lumineuse que Perdi-Camp. Attention, elle ne gagne pas le bonheur pour autant. Toute cette histoire finit mal et on ne gagne rien à être une Camille. En même temps, est-ce qu'on lui souhaite vraiment d'être avec un perdicant une fois qu'on a vu ce dont il était capable ? Mais Camille suscite le respect. Elle occupe une place très forte chez moi car j'ai envie de la garder. J'ai envie de mener ma vie comme elle, même si je ne veux pas du tout que ma vie finisse comme la sienne. Par exemple, si je suis en train de défendre mes valeurs corps et âme face à l'homme que j'aime et qu'il a la bêtise de dire

  • Speaker #1

    Que tu es belle Camille lorsque tes yeux s'animent évidemment que je veux lui répondre

  • Speaker #0

    Oui je suis belle, je le sais ! Quelle femme ose dire cela à 18 ans ? Une arrogante ? Une insensible ? Une courageuse pour moi ? La question de l'orgueil est très présente dans la pièce Et pourtant, je n'ai jamais trouvé Camille orgueilleuse. Ça en dit long sur moi, n'est-ce pas ? Après tout, elle est présentée comme exceptionnelle par rapport à Rosette, sa gouvernante, les autres sœurs du couvent. Je ne trouve pas que son orgueil soit mal placé. Il lui donne l'énergie de combattre pour ses idéaux. Camille n'est pas que sur la défensive, elle attaque. Elle fait respecter sa conception de la justice. Et oui, il faut de l'amour propre pour ça. Elle y va. Moi, j'ai envie d'avoir ce moteur. J'ai envie qu'il soit pris en exemple, surtout par les jeunes femmes. Le texte de Musset appelle à l'action, à la bagarre verbale, on l'a bien compris. Et quand on est jeune, on peut se bagarrer, on a l'énergie. Et faut pas croire, on prend des coups, mais on en réchappe. Dans le doute, il vaut mieux être un peu trop Camille que pas assez. Le risque, mais ça, je vous laisse lire la fin de la pièce pour vous faire votre avis. Il est pour ceux qui prennent les balles perdues. Camille a bien quelques défauts. Par moments, elle raisonne trop. Elle essaye de convaincre par A plus B et ça marche pas du tout. Bah oui, on l'a dit, on n'est pas là pour s'expliquer, on est là pour bien s'engueuler. Et ça, ça se fait avec le cœur. En ça, elle manque de naturel. Et c'est même assez effrayant vu son jeune âge. Camille est parfaite pour monter sur un ring de boxe, on l'a dit, mais le reste du temps, elle gagnerait à s'adoucir. Sa froideur m'a rappelé une autre héroïne dont Camille gagnerait à s'inspirer. Cette héroïne, c'est Amélie Poulin. Alors oui, elles sont assez éloignées, mais Amélie, comme Camille, refuse l'amour car elles ne veulent pas souffrir. Sauf que dans Amélie Poulin, les vieux donnent de bien meilleurs conseils.

  • Speaker #1

    Voilà, ma petite Amélie, vous n'avez pas des os en verre, vous pouvez vous cogner à la vie. Si vous laissez passer cette chance, alors avec le temps, c'est votre cœur qui va devenir aussi sec et passant que mon squelette. Alors, allez-y, n'en t'en chie.

  • Speaker #0

    Une autre différence, c'est que l'éducation d'Amélie Poulain ne l'a pas complètement coupée du monde. Amélie reste attachée au plaisir de la vie, comme... Briser la croûte des crèmes brûlées avec la pointe de la petite cuillère. Finalement, la faiblesse de Camille, qui craint tant la trahison de Perdicamp... C'est de se trahir elle-même en oubliant ses souvenirs et les joies d'enfance qui l'animaient. Vous l'aurez compris, la vision que j'ai de Camille est très positive pour le féminisme. C'est une femme forte, qui tient tête aux hommes pour défendre ses convictions, qui assume ses choix. C'est une figure insoumise, rarement représentée au XIXe. Par contre, il n'y a pas de raison de penser que Musset était féministe. La misogynie est carrément de bon ton dans son époque et dans le romantisme, par exemple en banalisant la violence conjugale. Musset baigne là-dedans sans remise en question. Ce que je lui concède, et dans plusieurs de ses œuvres, c'est de prendre la parole sur la condition de la femme en créant des personnages féminins qui vont donner un point de vue crédible des obstacles qu'une femme rencontre dans sa vie. C'était déjà le cas avec Marianne, dans Les Caprices de Marianne, et ici avec Camille. Musset va régulièrement mettre sur le devant de la scène et critiquer des thèmes comme le recours forcé à la prostitution, au mariage ou les injonctions religieuses. Si on n'avait pas répété à Camille que les hommes ne sont pas dignes de confiance et que leur amour est pervers, tout aurait été plus simple pour Perdicant.

  • Speaker #1

    Tu me parles d'une religieuse qui me paraît avoir eu sur toi une influence funeste. Tu dis qu'elle a été trompée, qu'elle a trompé elle-même et qu'elle est désespérée. Es-tu sûre que si son mari ou son amant... Revenez lui tendre la main à travers la grille du parloir, elle ne lui tendrait pas la sienne.

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, les femmes se sont beaucoup libérées de cette pression religieuse. Pourtant Camille reste un rôle crucial dans la construction du féminin. Même si la religion n'a plus autant de poids, il reste un discours dominant de société qui intime aux femmes d'être méfiantes en amour. En deux siècles, ce paradoxe n'a pas bougé. Il faut trouver le prince charmant, mais ça se trouve, cet homme que tu aimes est celui qui t'anéantira socialement. Super. En 2023, il n'y a pas besoin d'aller dans les couvents pour trouver des récits de femmes à vous dégoûter de l'amour. En cela, les doutes de Camille résonnent encore beaucoup. Si Badine n'était qu'une querelle d'amoureux avec deux conceptions opposées de l'amour, on pourrait tout à fait inverser les rôles homme-femme. Or, ce n'est pas le cas. On imagine assez mal une perdicant ou un Camille. Les femmes trompées ne sont plus déshonorées aujourd'hui, mais elles ont plus à perdre que les hommes.

  • Speaker #1

    On est souvent trompé en amour, souvent blessé, souvent malheureux, mais on aime.

  • Speaker #0

    Aimer librement pour une femme, ce n'est pas seulement prendre le risque d'être blessé et malheureuse, c'est encore celui d'être durement jugé et dévalorisé. Là-dessus, il y a une tirade de Camille que je trouve sublime, criante et toujours d'actualité. Connaissez-vous le cœur des femmes, perdicant ? Êtes-vous sûre de leur inconstance ? Et savez-vous si elles changent réellement de pensée en changeant quelquefois de langage ? Il y en a qui disent que non. Sans doute, il nous faut souvent jouer un rôle, souvent mentir. Vous voyez que je suis franche. mais êtes-vous sûre que tout mente dans une femme lorsque sa langue ment avez-vous bien réfléchi à la nature de cet être faible et violent à la rigueur avec laquelle on le juge aux principes qu'on lui impose et qui sait si forcée à tromper par le monde la tête de ce petit être sans cervelle ne peut pas y prendre plaisir et mentir quelquefois par passe-temps par folie comme elle ment par nécessité Les femmes, ces petits êtres sans cervelle, dont on attend qu'elles soient les plus sensées, les plus raisonnables et matures. Perdicant a deux ans de plus que Camille, mais c'est lui qui, par jalousie, dépit et vengeance, séduit Rosette. Tout ça parce qu'à la base, Camille n'a pas voulu lui faire la bise. Alors j'entends l'appel de Perdicant qui dit qu'il ne faut pas se fermer au monde. Mais j'entends aussi tellement le triomphe de Camille qui nous montre par son exemple que quand on tombe sur un lâche et un menteur, il n'y a rien à concéder. Camille et Perdicand m'évoquent deux louveteaux qui auraient grandi, plus qu'un couple de perruches inséparables. Et une louve adulte s'est montrée l'écrot. Il ne s'agit pas d'être misandre, mais aguerri. Et si je devais finir par un proverbe, plutôt qu'on ne badine pas avec l'amour, je choisirais Il ne faut pas lâcher la proie pour l'ombre Une morale qui nous vient de Jean de La Fontaine, dans une fable très courte, qui met en scène non pas une louve, mais un chien. Chacun se trompe ici-bas. On voit courir après l'ombre tant de fous qu'on n'en sait pas la plupart du temps le nombre. Aux chiens dont parle Aesop, il faut les renvoyer. Ce chien, voyant sa proie en l'eau représentée, la quitta pour l'image et pensa se noyer. La rivière devint tout d'un coup agitée. À toute peine, il regagna les bords et n'eut ni l'ombre ni le corps. Le monde est encore plein d'injonctions qui poussent les jeunes gens à lâcher la proie pour l'ombre. Ils s'en retrouvent forcés, comme dit Camille, à tromper par le monde et à prendre les reflets pour des vérités. Alors, appliquons notre sagesse et notre honnêteté à faire tomber les masques pour distinguer les vrais amants de leurs ombres et allons-y, nom d'un chien. On ne badine pas avec l'amour est une pièce pour tous, mais particulièrement vitale pour la jeunesse. Mettez-la entre les mains de tous les adolescents. Et demandez-leur s'ils pensent que la fameuse tirade de Perdicant peut s'inverser. Car si les hommes et les femmes sont tels qu'il le dit, toutes les femmes sont donc plus honnêtes, constantes et courageuses que les hommes, et les hommes, loyaux, droits et vertueux, on peut rêver. Merci d'avoir écouté Rôles Titres. Cet épisode touche à sa fin. J'espère que vous garderez en vous un fragment de cette héroïne. Si vous avez apprécié cet épisode, voici trois choses que vous pouvez faire après l'écoute. Vous abonner à Rôle titre sur votre plateforme de podcast préférée et laisser 5 étoiles s'il s'agit d'Apple Podcast ou de Spotify. Partagez cet épisode sur les réseaux sociaux pour faire entendre la voix des héroïnes de fiction à des auditeurs toujours plus nombreux. Rejoindre la newsletter de Rôle titre ou son compte Instagram pour encore plus de contenu inspirant. Toutes les infos sont dans la description de l'épisode. A bientôt pour découvrir la prochaine héroïne de rôle-titre.

Description

“Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir.” Camille, Acte II, Scène 5.

L'amour adolescent, incandescent et tragique de Camille & Perdican a traversé les siècles. On ne badine pas avec l'amour, pièce très courte destinée à être lue plus que jouée, a su concentrer l'essence des jeunes passions en quelques mots. Mais quels mots !

Dans cet épisode qui s’écoute comme un électrocardiogramme oscillant sans cesse, plusieurs leçons de jeunesse:

  • Ne pas écouter les bonimenteurs quel que soit leur âge
  • Apprendre à aimer avec colère
  • Dégainer son orgueil en botte secrète

ça va secouer  ! Bonne écoute ✝️


Rôle Titre c’est aussi un compte instagram et une newsletter pour encore plus de contenus autour de ces héroïnes inspirantes. Toutes les infos sur linktr.ee/roletitre

🔎 Références sources

Théâtre (texte intégral Libretheatre) : On ne badine pas avec l’amour, Alfred de Musset, 1834, créée en 1861 à la Comédie-Française

Fable (texte intégral Wikisource) : Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre, Fables livre VI, Jean de la Fontaine, 1874

Lettre : Correspondance du 12 mai 1834 de George Sand à Alfred de Musset


🎧 Références sonores citées dans l’épisode (extraits)

Captation :  On ne badine pas avec l’amour, Comédie-Française, 1978, mise en scène de Simon Eine, avec Béatrice Agenin et Francis Huster en premiers rôles

Film : Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, Jean-Pierre Jeunet, 2001

Musique : Comptine d’un autre été - l’après-midi, Yanne Tiersen, 2001


©️ Crédits
Rôle Titre est un podcast de Camille Forbes propulsé par Ausha


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans Rôles Titres, le podcast des femmes de fiction. Je m'appelle Camille Forbe et je suis comédienne. Une fois par mois, je vous emmène à la rencontre d'une héroïne du théâtre ou de la littérature, pour faire entendre sa voix et comment elle résonne dans notre société. Rôles Titres, c'est aussi un compte Instagram et une newsletter pour encore plus de contenu autour de ces héroïnes inspirantes. Alors pensez à vous abonner pour ne rien manquer, et c'est parti pour l'épisode. Qui a envie d'aller voir une pièce de théâtre qui sonne comme une leçon de morale ? Une pièce qui nous dit que l'amour n'est pas léger ou joyeux, mais à prendre très au sérieux. Alfred de Musset, grand romantique du XIXe, autant dire un expert, l'affirme. On ne badine pas avec l'amour. On, c'est Camille et Père Dicamp. Ils ont grandi tendrement ensemble, mais ne se sont pas revus depuis dix ans. Perdicand vient de finir des études prestigieuses en jeune homme de la haute société. Camille a été éduquée au couvent et veut consacrer sa vie à Dieu. Problème, le baron qui les a fait rentrer au berceau familial a pour projet de les marier. Mais ne s'improvise pas Cupidon qui veut. Les flèches mal tirées laissent des cicatrices, voire pourraient bien se tromper de cible. Vous écoutez rôle-titre épisode 4, Camille. Ouvrez-les pour parler. Tirez ! Faut-il vraiment vous la décrire ? Vous connaissez déjà Camille.

  • Speaker #1

    Ma nièce est depuis hier à 7h de nuit parvenue à l'arbre de 18 ans. Elle sort du meilleur couvent de France.

  • Speaker #0

    Il vous en reste quelques bribes, peut-être d'un cours de français. Camille a tout pour aimer et être aimée. La beauté, la jeunesse.

  • Speaker #1

    et belle comme les jours.

  • Speaker #0

    L'intelligence. Son éducation, Dieu merci, est terminée et ceux qui la verront auront la joie de respirer une glorieuse pleure de sagesse et de dévotion. Mais c'est une amoureuse impossible, inflexible, tumultueuse.

  • Speaker #1

    Ça veut dire que votre nièce a une correspondance secrète. Allons, Camille, embrasse ton cousin. Commencement de ma maison.

  • Speaker #0

    Voir violente.

  • Speaker #1

    Mais elle s'est criée avec force. Allez-y, trouvez-le, faites ce qu'on vous dit, vous êtes une sotte, je le veux.

  • Speaker #0

    Ça y est ? Ça vous revient ? Camille a 18 ans. Elle sort du couvent. Un ange, peut-être, mais qui ne va pas tarder à tomber. De haut. Camille, a priori, a fait jusque-là tout ce qu'on attendait d'elle. Elle a partagé une enfance sans nuages avec Père Dican. Au couvent, elle a donné entière satisfaction. Elle est cultivée et s'est épanouie, y compris physiquement, ce que Père Dican ne manque pas de relever quand il l'aperçoit.

  • Speaker #1

    Regardez donc mon père, comme Camille est jolie.

  • Speaker #0

    Camille est du genre à dire ce qu'elle pense, avec élégance mais sans détour. Je suis comme cela, c'est ma manière. Elle est décidée et sérieuse. Un trait de caractère plutôt rare chez la jeunesse. Je ne suis pas assez jeune pour m'amuser de mes poupées, ni assez vieille pour aimer le passé. Une jeune femme irréprochable aux yeux des autres personnages. Mais c'est en l'observant agir avec perdicant que quelques détails singuliers apparaissent. Camille est une fausse adolescente, et père Ducamp aussi d'ailleurs. Tout d'abord, ils parlent beaucoup trop bien. Bien sûr, on peut le justifier avec la noblesse et l'éducation qu'ils ont reçues, mais tout de même, ça sonne trop beau pour être vrai. Voilà deux jeunes de 18 et 20 ans qui ont toujours le mot exact, qui ont une répartie phénoménale et une analyse de la vie digne de 50 ans d'expérience sur Terre. C'est une grâce que je vous demande de me répondre sincèrement. Vous n'êtes pas un libertin, et je crois que votre cœur a de la probité. Vous avez dû inspirer l'amour, car vous le méritez. Dans la vie, on ne sait pas quoi répondre. On balbutie, ou alors, par excès de confiance, on dit des âneries plus grosses que soi, et particulièrement sous le coup de l'émotion. Mais pas Camille. C'est une jeune femme flamboyante, qui aime, qui rejette, qui ressent avec l'intensité d'une adolescente, mais qui parle comme une héroïne antique, avec une sagesse et des vertus spirituelles exceptionnelles. Camille et Perdicant sont une jeunesse fantasmée, idéale. Ce sont les jeunes gens qu'on aurait aimé être, qui savent argumenter du tac au tac. Alors oui, ils s'engueulent, mais ils s'engueulent sublimement. Plongez-vous dans le texte, mais n'allez pas jusqu'à vous comparer à l'éloquence de Camille. C'est un rôle complexe à vous filer des complexes. Au-delà d'être superbement écrite donc, impossible de parler d'On ne badine pas avec l'amour sans s'attarder sur la scène 5 de l'acte 2.

  • Speaker #1

    Trouvez-vous à midi à la petite fontaine.

  • Speaker #0

    C'est LA scène d'affrontement entre Camille et Perdicant qui fait facilement oublier tout le reste. Car jusque-là, il ne s'est pas passé grand-chose dans la pièce. Les scènes sont courtes et les personnages secondaires sont grotesques. Il y a un fort contraste entre nos deux jeunes héros et tous les autres personnages, les vieux, c'est-à-dire le curé, le baron, la vieille gouvernante de Camille. Ce sont des fantoches sans volonté qui radotent leurs principes ou qui courent après leur petit confort. Camille et Perdicand, eux, sont à part. Au premier acte, on a simplement pu constater que les retrouvailles de Camille et Perdicand sont ratées. Au moment où le baron tente de les faire se rencontrer, Camille refuse d'embrasser Perdicand et le vexe. Blessé, nostalgique, il va retrouver Rosette, la sœur de lait de Camille qui est bien plus terre à terre. Ne parlons pas de cela, voulez-vous. Parlons du temps qu'il fait, de ces fleurs que voilà, de vos chevaux et de mes bonnets. On se dit que Camille ne veut pas se marier, que Père Dicamp va se consoler avec Rosette et que tout ira pour le mieux, chacun ayant ce qu'il veut. Mais Père Dicamp reçoit une lettre lui donnant rendez-vous. Camille veut lui parler une dernière fois. Et c'est là que le match de boxe commence. Acte 2, scène 5, c'est le morceau de bravoure de la pièce. C'est un véritable match de boxe entre Camille et Perdicant qui s'affrontent à coup de punchline. A noter qu'elles sont largement inspirées de la correspondance entre Alfred de Musset et Georges Sand, qui étaient écrivains et amants dans la vie. Dites-moi, avez-vous eu des maîtresses ? Répondez-moi, je vous en prie, sans modestie et sans fatuité. Oui,

  • Speaker #1

    j'en ai eu.

  • Speaker #0

    Les avez-vous aimées ?

  • Speaker #1

    De tout mon cœur.

  • Speaker #0

    Où sont-elles maintenant, le savez-vous ? Tout ça n'a pas pris une ride. Aujourd'hui, l'équivalent, ce serait les kilomètres de messages qu'on peut s'échanger sur les applis, en pensant être très spirituel d'ailleurs. Badine pourrait se râper ou alors s'adapter en slam. Que me conseilleriez-vous de faire le jour où je verrai que vous ne m'aimez plus ?

  • Speaker #1

    De prendre un amant.

  • Speaker #0

    Que ferai-je ensuite, le jour où mon amant ne m'aimera plus ? Combien de temps cela durera-t-il ? C'est un face-à-face de deux égaux qui donnent leur vision de l'amour, de la solitude. Et chacun marque des points.

  • Speaker #1

    Tu es une orgueilleuse. Prends garde à toi. Tu as 18 ans et tu ne crois pas à l'amour ?

  • Speaker #0

    Y croyez-vous, vous qui parlez ? Vous voilà courbée près de moi avec des genoux qui se sont usés sur les tapis de vos maîtresses et vous n'en savez plus le nom ? Et puis vient la tirade finale de Perdicant. Allez, on se l'écoute.

  • Speaker #1

    tous les hommes sont menteurs inconstants faux bavards hypocrites orgueilleux ou lâches méprisables et sensuels toutes les femmes sont perfides artificieuses vaniteuses curieuses et dépravées le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fanges mais il y a au monde Une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé, souvent malheureux, mais on m'aime. Et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit, J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois. Mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu. Et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.

  • Speaker #0

    Mais alors, c'est Perdicand qui gagne ? Il gagne la bataille, mais pas la guerre. La grande subtilité de Musset, c'est de brouiller les pistes. On ne peut pas vraiment dire que Perdicand représente tous les hommes, qu'il représente Alfred et l'amour libertin consommateur de conquêtes. On ne peut pas dire non plus Camille, c'est toutes les femmes, c'est Georges Sand, et c'est l'amour raisonnable ou qui se méfie des hommes par une trop grande fierté Parce qu'au moment où il écrit On ne badine pas avec l'amour Alfred de Musset a été trompé et quitté par Georges Sand. Il en est anéanti, et ça me semble évident. Il a mis beaucoup de lui-même, de sa souffrance et de ses mots dans la bouche de Camille, pas dans la bouche de Perdicant. Si ça vous intéresse, j'ai prévu plusieurs ressources sur la relation entre Georges Sand et Alfred Demucet dans la prochaine newsletter. Pour vous abonner, toutes les infos sont en description de l'épisode. En attendant, quand Camille dit Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir c'est Alfred qui parle. Toute personne, homme ou femme, qui a été quittée se reconnaît. Quand père dit Candy on est souvent trompé en amour,

  • Speaker #1

    souvent blessé, souvent malheureux. Mais on aime.

  • Speaker #0

    C'est une phrase qu'il emprunte mot pour mot d'une lettre de Georges Sand. Donc c'est une femme qui dit cela, qui appelle à aimer quoi qu'il en coûte. Et c'est subversif pour l'époque. Ces croisements font qu'il est rare qu'on s'identifie uniquement à Camille ou qu'on s'identifie uniquement à Perdicant. En pratique, on se reconnaît alternativement dans l'une et dans l'autre. C'est pour cela que c'est difficile de parler uniquement du rôle de Camille en le dissociant de Perdicant. Car ce sont les deux faces d'une même médaille. Mais bon, on va quand même se concentrer sur Camille. Ce que j'aime le plus chez elle, c'est sa colère. C'est pour moi une amoureuse en colère, ou l'inverse, une colérique amoureuse. Camille n'est pas farouche, furie, encore moins hystérique, elle n'est pas nerveuse ou énervée, elle est en colère. Et ça se voit, même si c'est difficile à croire pour certains.

  • Speaker #1

    J'aime moins les mises en scène où Camille est timorée,

  • Speaker #0

    douce et peu à peu gagnée par la colère. Moi, je l'imagine en colère depuis des années. Ça l'a fait enrager de revenir dans le berceau familial. Elle aime Berdican depuis toujours, elle le dit, et on lui a raconté sa vie de jeune homme. Elle sait qu'il a eu des maîtresses, et en prime, les femmes de son couvent lui ont fait les pires récits des hommes.

  • Speaker #1

    Camille a nourri sa colère en

  • Speaker #0

    même temps que son amour. Et les deux sont prêts à éclater. En façade, Camille nous dit vouloir aimer d'un amour pur, céleste. Mais dans les faits et dans son corps, c'est un amour violent, très organique, très vivant, il y a du sang. C'est un amour bagarreur. Et son projet de consacrer sa vie à Dieu n'est pas si solide que ça. Des indices montrent qu'elle pourrait bien choisir l'amour terrestre. À trois reprises tout de même, elle interroge Perdicant. Trouvez-vous que j'ai raison de me faire religieuse ? Ce qu'elle ne ferait pas si elle était absolument sûre d'elle. Elle n'est pas loin de lâcher à ce moment. Et lui ? Il passe à côté. Alors il a sa tirade finale, mais c'est loupé. Personne ne s'est mouillé et la colère de Camille a fait plouf, dans un silence retentissant. Camille et moi partageons plus qu'un prénom. Comme beaucoup, je l'ai lu pour la première fois adolescente. Et le texte s'est imprimé, il marque. Je ne l'ai pas vu en scène. Mais c'est du théâtre dans un fauteuil, alors les images viennent facilement. Le texte... Et les images, à relire et à revoir, pour retrouver les sensations adolescentes. Qui n'a pas traversé cela ? Camille et Perdi-Camp sortent du lot par rapport à tous ces vieux qui ne comprennent rien. Toutes les analyses et critiques que vous trouverez parleront à juste titre des deux premiers rôles. Mais ma préférence va à Camille. Je lui donne sans hésiter le rôle principal. Surtout dans la deuxième moitié de la pièce. Elle en sort plus grande et plus lumineuse que Perdi-Camp. Attention, elle ne gagne pas le bonheur pour autant. Toute cette histoire finit mal et on ne gagne rien à être une Camille. En même temps, est-ce qu'on lui souhaite vraiment d'être avec un perdicant une fois qu'on a vu ce dont il était capable ? Mais Camille suscite le respect. Elle occupe une place très forte chez moi car j'ai envie de la garder. J'ai envie de mener ma vie comme elle, même si je ne veux pas du tout que ma vie finisse comme la sienne. Par exemple, si je suis en train de défendre mes valeurs corps et âme face à l'homme que j'aime et qu'il a la bêtise de dire

  • Speaker #1

    Que tu es belle Camille lorsque tes yeux s'animent évidemment que je veux lui répondre

  • Speaker #0

    Oui je suis belle, je le sais ! Quelle femme ose dire cela à 18 ans ? Une arrogante ? Une insensible ? Une courageuse pour moi ? La question de l'orgueil est très présente dans la pièce Et pourtant, je n'ai jamais trouvé Camille orgueilleuse. Ça en dit long sur moi, n'est-ce pas ? Après tout, elle est présentée comme exceptionnelle par rapport à Rosette, sa gouvernante, les autres sœurs du couvent. Je ne trouve pas que son orgueil soit mal placé. Il lui donne l'énergie de combattre pour ses idéaux. Camille n'est pas que sur la défensive, elle attaque. Elle fait respecter sa conception de la justice. Et oui, il faut de l'amour propre pour ça. Elle y va. Moi, j'ai envie d'avoir ce moteur. J'ai envie qu'il soit pris en exemple, surtout par les jeunes femmes. Le texte de Musset appelle à l'action, à la bagarre verbale, on l'a bien compris. Et quand on est jeune, on peut se bagarrer, on a l'énergie. Et faut pas croire, on prend des coups, mais on en réchappe. Dans le doute, il vaut mieux être un peu trop Camille que pas assez. Le risque, mais ça, je vous laisse lire la fin de la pièce pour vous faire votre avis. Il est pour ceux qui prennent les balles perdues. Camille a bien quelques défauts. Par moments, elle raisonne trop. Elle essaye de convaincre par A plus B et ça marche pas du tout. Bah oui, on l'a dit, on n'est pas là pour s'expliquer, on est là pour bien s'engueuler. Et ça, ça se fait avec le cœur. En ça, elle manque de naturel. Et c'est même assez effrayant vu son jeune âge. Camille est parfaite pour monter sur un ring de boxe, on l'a dit, mais le reste du temps, elle gagnerait à s'adoucir. Sa froideur m'a rappelé une autre héroïne dont Camille gagnerait à s'inspirer. Cette héroïne, c'est Amélie Poulin. Alors oui, elles sont assez éloignées, mais Amélie, comme Camille, refuse l'amour car elles ne veulent pas souffrir. Sauf que dans Amélie Poulin, les vieux donnent de bien meilleurs conseils.

  • Speaker #1

    Voilà, ma petite Amélie, vous n'avez pas des os en verre, vous pouvez vous cogner à la vie. Si vous laissez passer cette chance, alors avec le temps, c'est votre cœur qui va devenir aussi sec et passant que mon squelette. Alors, allez-y, n'en t'en chie.

  • Speaker #0

    Une autre différence, c'est que l'éducation d'Amélie Poulain ne l'a pas complètement coupée du monde. Amélie reste attachée au plaisir de la vie, comme... Briser la croûte des crèmes brûlées avec la pointe de la petite cuillère. Finalement, la faiblesse de Camille, qui craint tant la trahison de Perdicamp... C'est de se trahir elle-même en oubliant ses souvenirs et les joies d'enfance qui l'animaient. Vous l'aurez compris, la vision que j'ai de Camille est très positive pour le féminisme. C'est une femme forte, qui tient tête aux hommes pour défendre ses convictions, qui assume ses choix. C'est une figure insoumise, rarement représentée au XIXe. Par contre, il n'y a pas de raison de penser que Musset était féministe. La misogynie est carrément de bon ton dans son époque et dans le romantisme, par exemple en banalisant la violence conjugale. Musset baigne là-dedans sans remise en question. Ce que je lui concède, et dans plusieurs de ses œuvres, c'est de prendre la parole sur la condition de la femme en créant des personnages féminins qui vont donner un point de vue crédible des obstacles qu'une femme rencontre dans sa vie. C'était déjà le cas avec Marianne, dans Les Caprices de Marianne, et ici avec Camille. Musset va régulièrement mettre sur le devant de la scène et critiquer des thèmes comme le recours forcé à la prostitution, au mariage ou les injonctions religieuses. Si on n'avait pas répété à Camille que les hommes ne sont pas dignes de confiance et que leur amour est pervers, tout aurait été plus simple pour Perdicant.

  • Speaker #1

    Tu me parles d'une religieuse qui me paraît avoir eu sur toi une influence funeste. Tu dis qu'elle a été trompée, qu'elle a trompé elle-même et qu'elle est désespérée. Es-tu sûre que si son mari ou son amant... Revenez lui tendre la main à travers la grille du parloir, elle ne lui tendrait pas la sienne.

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, les femmes se sont beaucoup libérées de cette pression religieuse. Pourtant Camille reste un rôle crucial dans la construction du féminin. Même si la religion n'a plus autant de poids, il reste un discours dominant de société qui intime aux femmes d'être méfiantes en amour. En deux siècles, ce paradoxe n'a pas bougé. Il faut trouver le prince charmant, mais ça se trouve, cet homme que tu aimes est celui qui t'anéantira socialement. Super. En 2023, il n'y a pas besoin d'aller dans les couvents pour trouver des récits de femmes à vous dégoûter de l'amour. En cela, les doutes de Camille résonnent encore beaucoup. Si Badine n'était qu'une querelle d'amoureux avec deux conceptions opposées de l'amour, on pourrait tout à fait inverser les rôles homme-femme. Or, ce n'est pas le cas. On imagine assez mal une perdicant ou un Camille. Les femmes trompées ne sont plus déshonorées aujourd'hui, mais elles ont plus à perdre que les hommes.

  • Speaker #1

    On est souvent trompé en amour, souvent blessé, souvent malheureux, mais on aime.

  • Speaker #0

    Aimer librement pour une femme, ce n'est pas seulement prendre le risque d'être blessé et malheureuse, c'est encore celui d'être durement jugé et dévalorisé. Là-dessus, il y a une tirade de Camille que je trouve sublime, criante et toujours d'actualité. Connaissez-vous le cœur des femmes, perdicant ? Êtes-vous sûre de leur inconstance ? Et savez-vous si elles changent réellement de pensée en changeant quelquefois de langage ? Il y en a qui disent que non. Sans doute, il nous faut souvent jouer un rôle, souvent mentir. Vous voyez que je suis franche. mais êtes-vous sûre que tout mente dans une femme lorsque sa langue ment avez-vous bien réfléchi à la nature de cet être faible et violent à la rigueur avec laquelle on le juge aux principes qu'on lui impose et qui sait si forcée à tromper par le monde la tête de ce petit être sans cervelle ne peut pas y prendre plaisir et mentir quelquefois par passe-temps par folie comme elle ment par nécessité Les femmes, ces petits êtres sans cervelle, dont on attend qu'elles soient les plus sensées, les plus raisonnables et matures. Perdicant a deux ans de plus que Camille, mais c'est lui qui, par jalousie, dépit et vengeance, séduit Rosette. Tout ça parce qu'à la base, Camille n'a pas voulu lui faire la bise. Alors j'entends l'appel de Perdicant qui dit qu'il ne faut pas se fermer au monde. Mais j'entends aussi tellement le triomphe de Camille qui nous montre par son exemple que quand on tombe sur un lâche et un menteur, il n'y a rien à concéder. Camille et Perdicand m'évoquent deux louveteaux qui auraient grandi, plus qu'un couple de perruches inséparables. Et une louve adulte s'est montrée l'écrot. Il ne s'agit pas d'être misandre, mais aguerri. Et si je devais finir par un proverbe, plutôt qu'on ne badine pas avec l'amour, je choisirais Il ne faut pas lâcher la proie pour l'ombre Une morale qui nous vient de Jean de La Fontaine, dans une fable très courte, qui met en scène non pas une louve, mais un chien. Chacun se trompe ici-bas. On voit courir après l'ombre tant de fous qu'on n'en sait pas la plupart du temps le nombre. Aux chiens dont parle Aesop, il faut les renvoyer. Ce chien, voyant sa proie en l'eau représentée, la quitta pour l'image et pensa se noyer. La rivière devint tout d'un coup agitée. À toute peine, il regagna les bords et n'eut ni l'ombre ni le corps. Le monde est encore plein d'injonctions qui poussent les jeunes gens à lâcher la proie pour l'ombre. Ils s'en retrouvent forcés, comme dit Camille, à tromper par le monde et à prendre les reflets pour des vérités. Alors, appliquons notre sagesse et notre honnêteté à faire tomber les masques pour distinguer les vrais amants de leurs ombres et allons-y, nom d'un chien. On ne badine pas avec l'amour est une pièce pour tous, mais particulièrement vitale pour la jeunesse. Mettez-la entre les mains de tous les adolescents. Et demandez-leur s'ils pensent que la fameuse tirade de Perdicant peut s'inverser. Car si les hommes et les femmes sont tels qu'il le dit, toutes les femmes sont donc plus honnêtes, constantes et courageuses que les hommes, et les hommes, loyaux, droits et vertueux, on peut rêver. Merci d'avoir écouté Rôles Titres. Cet épisode touche à sa fin. J'espère que vous garderez en vous un fragment de cette héroïne. Si vous avez apprécié cet épisode, voici trois choses que vous pouvez faire après l'écoute. Vous abonner à Rôle titre sur votre plateforme de podcast préférée et laisser 5 étoiles s'il s'agit d'Apple Podcast ou de Spotify. Partagez cet épisode sur les réseaux sociaux pour faire entendre la voix des héroïnes de fiction à des auditeurs toujours plus nombreux. Rejoindre la newsletter de Rôle titre ou son compte Instagram pour encore plus de contenu inspirant. Toutes les infos sont dans la description de l'épisode. A bientôt pour découvrir la prochaine héroïne de rôle-titre.

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