- Speaker #0
Bienvenue à cette exploration du phénomène des boissons énergisantes.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Leur consommation, elle explose littéralement, notamment chez les 20-25 ans. Et ça, ça soulève pas mal de questions quand même. Oui,
- Speaker #1
tout à fait.
- Speaker #0
On va essayer de plonger un peu dans les raisons de ce succès, les risques aussi, qui sont souvent méconnus, et puis tout l'écosystème autour de ces canettes.
- Speaker #1
Exactement. Et pour pour nourrir notre discussion, on a pas mal de sources en fait. Ah oui ? Oui, une étude assez poussée de l'Unil en Suisse, des avis scientifiques comme ceux de l'INSPQ au Québec, des données de santé publique française aussi.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Et puis des articles de presse, agromédia, Medscape, et même, ce qui est intéressant, des témoignages directs d'utilisateurs trouvés sur Reddit par exemple.
- Speaker #0
Très bien. Donc l'objectif c'est un peu de démêler le vrai du faux, c'est ça ?
- Speaker #1
Comprendre les enjeux.
- Speaker #0
C'est ça. comprendre pourquoi ça marche autant et quels sont les revers de la médaille.
- Speaker #1
Et il y a un truc qui m'a interpellée d'emblée, une donnée un peu paradoxale.
- Speaker #0
Ah oui ? Laquelle ?
- Speaker #1
Le café, avec sa caféine, on entend parfois qu'il pourrait avoir un effet protecteur pour la santé mentale, contre certains risques, alors que les boissons énergisantes, avec leur propre cocktail, elles sembleraient parfois aller dans le sens inverse. C'est curieux, non ?
- Speaker #0
C'est très curieux. Et c'est une des questions importantes qu'on va aborder. Comment expliquer cette différence ?
- Speaker #1
Alors commençons par la base. C'est quoi exactement une boisson énergisante ?
- Speaker #0
Alors une boisson énergisante, c'est une boisson sans alcool qui contient des ingrédients stimulants. Le principal, c'est la caféine.
- Speaker #1
L'herbe matée, ce genre de choses.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Et à côté de ça, on trouve très souvent une quantité importante de sucre. Vraiment, beaucoup. Et puis d'autres substances comme la taurine ou le ginseng, des vitamines aussi, des colorants.
- Speaker #0
Et la taurine, le ginseng, c'est censé faire quoi ?
- Speaker #1
La taurine est souvent présentée comme améliorant la performance, même si c'est débattu. Le ginseng, c'est une plante dite adaptogène qui aiderait l'organisme à résister au stress. Enfin, c'est l'argument marketing.
- Speaker #0
D'accord. Et pour important, vous disiez ne pas confondre avec les boissons énergétiques.
- Speaker #1
Ah oui, crucial. Celles pour les sportifs, elles visent surtout à réhydrater.
- Speaker #0
Donc, sel minéraux, moins de sucre ?
- Speaker #1
C'est ça. Moins de sucre en général et surtout, pas de stimulants comme la caféine. Et elles ne sont pas gazéifiées non plus souvent. Deux produits vraiment différents.
- Speaker #0
Et donc, ces boissons énergisantes, leur consommation a grimpé en flèche ?
- Speaker #1
Ah oui, c'est assez spectaculaire ces dernières décennies. Si on prend l'exemple de l'Espagne, chez les 14-18 ans, la prévalence de consommation mensuelle est passée de 40% environ en 2014 à quasiment 48% en 2023. C'est énorme.
- Speaker #0
Quasiment un jeune sur deux, quoi.
- Speaker #1
Voilà. C'est une tendance lourde qu'on retrouve un peu partout et principalement chez les 15-25 ans.
- Speaker #0
Au départ, c'était plutôt les garçons, non ? Mais ça évolue.
- Speaker #1
Oui, majoritairement des hommes au début, mais on observe une nette augmentation chez les femmes aussi. La consommation se féminise.
- Speaker #0
Oui, ça peut devenir régulier, j'imagine. Voir quotidien.
- Speaker #1
Exactement. Et c'est là qu'il y a un risque de dépendance qui s'installe. Une étude suisse a même noté une possible hausse après la pandémie de Covid.
- Speaker #0
Ah oui, Amon ? Pourquoi ?
- Speaker #1
Peut-être une hypothèse, c'est ce besoin de rattraper le temps perdu. Sortir plus, faire la fête. de tenir plus longtemps.
- Speaker #0
Besoin d'énergie pour revivre, en quelque sorte.
- Speaker #1
Peut-être, oui.
- Speaker #0
Et ce qui est intéressant, c'est quand on regarde les profils des consommateurs. L'étude de l'Uni l'en parle bien. Ça dit quoi ?
- Speaker #1
Ça montre que ça touche des groupes assez variés, mais souvent liés à une recherche de performance ou une gestion de la fatigue.
- Speaker #0
Par exemple ?
- Speaker #1
Il y a les étudiants, les jeunes actifs qui sont sous pression. Le stress, les examens, le besoin de se concentrer, de tenir.
- Speaker #0
Classique. Le coup de fouet pour les révisions ?
- Speaker #1
C'est ça. Ensuite, il y a les fêtards, clairement, pour rester éveillé tard. Logique. Il y a aussi les sportives. Et ça, c'est intéressant parce que c'est souvent des amateurs.
- Speaker #0
Ah bon ? Pas que les pros ?
- Speaker #1
Non, beaucoup d'amateurs, inspirés par le sponsoring massif qu'on voit partout, avec des athlètes de sport extrême, etc., ils cherchent un petit plus pour la performance.
- Speaker #0
Alors même que ces boissons ne sont pas forcément adaptées à l'effort, on y reviendra.
- Speaker #1
Exactement, c'est paradoxal. Et puis enfin, il y a des adultes qui les prennent juste comme substituts au café.
- Speaker #0
D'accord. Et derrière ces profils, les motivations, c'est quoi ? La fatigue, le stress ?
- Speaker #1
Oui, principalement. Lutter contre la fatigue, gérer le stress, répondre à cette pression sociale énorme pour être productif, performant.
- Speaker #0
C'est presque un dopant socialement acceptable alors ?
- Speaker #1
On peut le voir comme ça, oui. En tout cas, c'est banalisé.
- Speaker #0
D'autres raisons ?
- Speaker #1
Oui, il y a l'effet de mode, l'influence du groupe, la peur d'être exclu, de ne pas tenir la distance avec les autres.
- Speaker #0
Ne pas être le rabat-joie qui baille à minuit ?
- Speaker #1
C'est un peu ça, oui. Le goût joue aussi beaucoup. C'est souvent très sucré, ça plaît. Parfois, il y a une perception un peu erronée de bénéfice pour la santé. Genre, il y a des vitamines dedans.
- Speaker #0
Alors que bon.
- Speaker #1
Voilà. Ou alors, pour améliorer le goût de l'alcool quand on fait des mélanges. Et puis, très vite, ça peut devenir une habitude, un rituel.
- Speaker #0
Une habitude quotidienne même.
- Speaker #1
Oui, pour certains, c'est la canette du matin ou celle de l'après-midi pour tenir.
- Speaker #0
Ces banalisations, elles tranchent quand même avec les risques pour la santé. Et ils sont bien documentés, non ?
- Speaker #1
Ah oui, très bien documenté. Les agences sanitaires, comme l'ANSES en France, l'INSPQ au Québec, tirent la sonnette d'alarme depuis longtemps, surtout sur les risques cardiovasculaires.
- Speaker #0
C'est-à-dire ?
- Speaker #1
On parle d'hypertension artérielle, d'arythmie, le cœur qui bat irrégulièrement, de palpitations, de tachycardie, donc le cœur qui bat trop vite.
- Speaker #0
Potentiellement grave, donc ?
- Speaker #1
Oui, potentiellement grave. Surtout lié à la caféine, mais peut-être aussi aux autres composants en synergie. Il y a eu des cas médiatisés, comme ce jeune de 15 ans dans l'Oise.
- Speaker #0
Oui, j'ai lu ça. Décédé pendant une course.
- Speaker #1
C'est ça. Et l'enquête a été relancée parce qu'on a trouvé un taux élevé de taurine dans son organisme. Ça suggère un lien possible avec la boisson énergisante qu'il aurait consommé juste avant.
- Speaker #0
Ça fait froid dans le dos. Un rappel que c'est pas anodin.
- Speaker #1
Absolument pas anodin.
- Speaker #0
Et au-delà du cœur, l'impact métabolique, avec tout ce sucre.
- Speaker #1
Bah oui, c'est énorme. La teneur en sucre est souvent comparable, voire supérieure à celle des sodas classiques.
- Speaker #0
Donc risque d'obésité, de surpoids ?
- Speaker #1
Exactement. Et à terme, ça peut favoriser la résistance à l'insuline et donc le diabète de type 2.
- Speaker #0
Sans oublier les dents ?
- Speaker #1
Ah, les dents, elles souffrent aussi. Le sucre, bien sûr, ça donne des caries, mais l'acidité de ces boissons est aussi très agressive pour les mailles.
- Speaker #0
Plus que les sodas ?
- Speaker #1
Potentiellement, oui. Certaines études le suggèrent. Ça attaque les mailles, ça les rôde.
- Speaker #0
D'accord. Cardiovasculaires, métaboliques, dentaires, d'autres effets physiques ?
- Speaker #1
Oui, la liste est encore longue. On note des maux de tête, des céphalées, des tremblements, des petits soubresauts musculaires parfois.
- Speaker #0
Neurologique alors.
- Speaker #1
Oui, et puis des troubles digestifs, nausées, vomissements, des problèmes d'estomac. Ça a aussi un effet diurétique assez marqué. Et bien sûr, les troubles du sommeil. L'insomnie, c'est un classique avec la caféine.
- Speaker #0
C'est clair. Donc un tableau physique assez chargé quand même.
- Speaker #1
Oui, très chargé. Et le problème, c'est que ça peut toucher même des jeunes qui se pensent en pleine forme.
- Speaker #0
Mais il n'y a pas que le physique. La santé mentale aussi, elle peut être impactée.
- Speaker #1
Ah oui, et c'est un point de plus en plus documenté et préoccupant. Plusieurs sources, dont une grosse étude britannique sur plus d'un million d'enfants, mais aussi l'INSPQ, le confirment.
- Speaker #0
Qu'est-ce qu'elles disent ?
- Speaker #1
Elles établissent un lien assez clair entre la consommation de boissons énergisantes et une augmentation de l'anxiété, de l'irritabilité, de la nervosité.
- Speaker #0
Ça peut rendre plus anxieux donc.
- Speaker #1
Oui, et c'est particulièrement inquiétant parce que ça peut aussi aggraver des troubles psy qui existent déjà.
- Speaker #0
Comme quoi ?
- Speaker #1
Comme la dépression, les troubles bipolaires. Chez des personnes vulnérables, ça pourrait même déclencher des épisodes psychotiques ou maniaques.
- Speaker #0
D'accord, c'est sérieux.
- Speaker #1
Très sérieux. L'étude britannique a même trouvé une association avec des symptômes de TDAH, le trouble du déficit de l'attention, et une plus grande détresse psychologique chez les jeunes qui en consomment.
- Speaker #0
Et on en arrive à ce point troublant évoqué au début, le lien potentiel avec le risque suicidaire.
- Speaker #1
Oui, c'est un sujet sensible mais important. Une méta-analyse récente, dont parle Medscape, a compilé plusieurs études.
- Speaker #0
Et la conclusion ?
- Speaker #1
Elle suggère une augmentation significative des idées suicidaires et même des tentatives de suicide chez les consommateurs de boissons énergisantes.
- Speaker #0
Une augmentation significative ?
- Speaker #1
Oui. Et ce qui est encore plus frappant, c'est que ça semble dépendre de la dose. plus le risque augmenterait. Il pourrait même tripler dans certains cas. Tripler,
- Speaker #0
c'est énorme.
- Speaker #1
C'est énorme. Et c'est là que le contraste avec le café est saisissant.
- Speaker #0
Parce que le café, lui...
- Speaker #1
La même analyse suggère qu'une consommation régulière de café, on parle de plus de 60 tasses par mois, pourrait au contraire réduire ce risque suicidaire.
- Speaker #0
C'est complètement paradoxal. Comment on explique ça ? C'est la caféine dans les deux cas, non ?
- Speaker #1
C'est la grande question. Est-ce que ce sont les autres ingrédients des boissons énergisantes ? La taurine, le guarana ? Le sucre en quantité massive, est-ce que ces substances interagissent négativement ?
- Speaker #0
Ou alors c'est le profil des consommateurs. Peut-être que ceux qui boivent beaucoup de boissons énergisantes ont déjà d'autres facteurs de risque.
- Speaker #1
C'est une autre piste, oui. Peut-être des profils plus jeunes, plus impulsifs, avec des comorbidités psychiatriques. Les chercheurs explorent tout ça.
- Speaker #0
C'est complexe.
- Speaker #1
Très. Le docteur Davido, cité par Medscape, insiste bien là-dessus. Faut nuancer. La caféine n'agit pas seule. Son effet dépend de sa source, de la dose, des autres composants, du contexte. Le cocktail spécifique des boissons énergisantes semble avoir des effets propres et potentiellement plus risqués sur le plan mental que le café seul.
- Speaker #0
Et il y a aussi le risque de dépendance qu'on évoquait, c'est réel ?
- Speaker #1
Ah oui, tout à fait. On parle souvent d'addiction au café, mais c'est pareil ici. Une dépendance physique et psychologique peut s'installer.
- Speaker #0
Liée à la caféine ?
- Speaker #1
Principalement la caféine, mais le sucre joue aussi un rôle dans le côté récompense et l'envie d'en reprendre.
- Speaker #0
Et si on arrête, il y a un sevrage.
- Speaker #1
Oui, et il est même officiellement reconnu dans le DSM 5TR, le manuel de référence en psychiatrie. Les symptômes de sevrage à la caféine existent bel et bien.
- Speaker #0
Et ça se manifeste comment ?
- Speaker #1
Ça peut être assez pénible en fait. Des maux de tête, souvent intenses, une grosse fatigue, une somnolence, une humeur un peu dépressive ou irritable, ce qu'on appelle dysphorique.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Des difficultés à se concentrer et parfois même des symptômes qui ressemblent à une grippe, nausées, douleurs musculaires.
- Speaker #0
Ah oui, quand même. Donc si on boit ça tous les jours, on peut finir par être en état d'intoxication chronique.
- Speaker #1
C'est ça. C'est ce qu'on appelle le caféinisme. Même avec une consommation qui semble modérée mais régulière.
- Speaker #0
Justement, la caféine, parlons-en. Les quantités varient beaucoup d'une canette à l'autre.
- Speaker #1
Énormément. C'est un lécroblème. Une petite canette de 250 ml, c'est environ 80 mg de caféine. Déjà l'équivalent d'un bon expresso.
- Speaker #0
Et les grands formats ?
- Speaker #1
Là, ça grimpe vite. Les canettes de 470 ou 500 ml, qui sont très courantes, contiennent facilement 140 à 160 mg. Parfois plus.
- Speaker #0
Voire beaucoup plus pour certaines marques ou formage aimants.
- Speaker #1
Oui, certains dépassent les 240 mg par canette. Et puis, il y a ces petits shots concentrés.
- Speaker #0
Ah oui, les énergie-shots.
- Speaker #1
Voilà. Tout petit volume, 60-315 ml, mais ça peut contenir jusqu'à 200 mg de caféine d'un coup. C'est énorme.
- Speaker #0
Pour comparer, la recommandation pour un adulte, c'est quoi, par jour ?
- Speaker #1
Santé Canada, par exemple, recommande de ne pas dépasser 400 mg par jour pour un adulte en bonne santé.
- Speaker #0
Et pour les femmes enceintes ou qui allaitent ?
- Speaker #1
C'est moins, 300 mg maximum.
- Speaker #0
Et les ados ? C'est eux les gros consommateurs souvent.
- Speaker #1
Et c'est là que ça coince. La recommandation pour les ados, plus de 13 ans, c'est... 2,5 mg par kilo de poids corporel par jour.
- Speaker #0
Donc pour un ado de 50 kg, ça fait 125 mg.
- Speaker #1
Exactement. Et pour un enfant de 10-12 ans, c'est encore moins, autour de 85 mg.
- Speaker #0
Donc une seule grande canette à 160 mg, ça dépasse déjà la douce pour un ado.
- Speaker #1
Oui, largement pour beaucoup d'adolescents. Et même une petite canette à 80 mg dépasse la limite pour un enfant. C'est pour ça que Santé Canada est très clair. Ils déconseillent carrément la consommation par les enfants.
- Speaker #0
Et même pour les adultes, certaines personnes sont plus sensibles.
- Speaker #1
Bien sûr. Les enfants et ados sont plus sensibles en général parce que leur corps est plus petit et moins habitué, mais aussi les femmes enceintes, les personnes qui ont déjà des problèmes cardiaques, de l'hypertension, des troubles anxieux, psychotiques ou des problèmes d'estomac.
- Speaker #0
Il faut être prudent aussi s'il y a des traitements en cours.
- Speaker #1
Oui, il peut y avoir des interactions médicamenteuses. Par exemple avec certains antipsychotiques comme la clozapine ou avec les psychostimulants comme les amphétamines utilisées pour le TDAH. Il faut vraiment être vigilant.
- Speaker #0
Un autre point super important, le mélange avec l'alcool. C'est très courant en soirée, mais c'est dangereux, non ?
- Speaker #1
Extrêmement dangereux, oui. Toutes les autorités sanitaires le déconseillent fortement. C'est une pratique à très haut risque.
- Speaker #0
Pourquoi exactement ?
- Speaker #1
Le danger principal, c'est que la caféine masque la sensation d'ivresse. On se sent moins saoule, plus alerte, plus en forme.
- Speaker #0
Mais on l'est quand même !
- Speaker #1
Exactement ! Les capacités réelles, la coordination, le temps de réaction, le jugement sont tout aussi diminués par l'alcool, voire plus parce qu'on a tendance à boire davantage.
- Speaker #0
On se croit capable de conduire, par exemple.
- Speaker #1
Voilà, ça augmente le risque de prendre le volant alors qu'on ne devrait pas, d'avoir des comportements impulsifs, dangereux, des accidents, des prises de risques sexuels aussi.
- Speaker #0
Même si, comme le nuance l'INSPQ, c'est difficile de faire la part des choses. Est-ce que c'est le mélange lui-même ? ou le fait que ceux qui font ces mélanges sont peut-être déjà plus portés sur le risque ?
- Speaker #1
C'est une nuance juste. La causalité est complexe à établir. Mais le lien est là, et dans le doute, le principe de précaution doit absolument s'appliquer.
- Speaker #0
Surtout ?
- Speaker #1
Oui. Surtout qu'on voit apparaître des boissons pré-mélangées, alcoolisées et caféinées.
- Speaker #0
Les hard seltzers énergisants, ce genre de choses ?
- Speaker #1
Par exemple. Et ça, l'INSPQ considère que c'est très problématique. Souvent, le marketing cible les jeunes et les avertissements sur la caféine sont minimes, voire absents. C'est un vrai souci de santé publique.
- Speaker #0
Tout ça nous amène à parler du marketing justement. Comment ces boissons sont-elles devenues si populaires malgré tous ces risques ?
- Speaker #1
Ah, le marketing, c'est clairement une clé de voûte de leur succès. Il est massif, omniprésent et surtout extrêmement bien ciblé. L'étude de l'UNIL et l'INSPQ insiste beaucoup là-dessus.
- Speaker #0
La cible numéro 1 ?
- Speaker #1
Les jeunes.
- Speaker #0
Carrément. Via les réseaux sociaux bien sûr, mais aussi le sponsoring d'événements qui leur parlent. Les sports extrêmes, skate, surf, F1, parachute, la musique alternative, le hip-hop, les jeux vidéo.
- Speaker #1
On voit les logos partout ! Associé à l'énergie, à l'adrénaline, au dépassement de soi.
- Speaker #0
Exactement. Une image très travaillée autour de la performance, de l'aventure, d'un style de vie intense, un peu rebelle aussi parfois.
- Speaker #1
Et la distribution ? Échantillons gratuits distribués massivement, placements très étudiés dans les magasins, souvent à hauteur des yeux. Le design des canettes aussi est très soigné, évolue pour toucher de nouveaux segments, y compris les femmes avec des codes plus féminins.
- Speaker #0
Et dans tout ça, on parle peu des risques pour la santé sur les pubs.
- Speaker #1
Très peu, voire pas du tout, c'est souvent le grand absent du message marketing. On vante l'énergie, la performance, mais on occulte les potentiels effets négatifs.
- Speaker #0
L'association avec le sport est particulièrement ambiguë, non ? Ça laisse penser que c'est bon pour faire du sport ? Oui,
- Speaker #1
c'est très trompeur. Alors qu'on l'a dit, pour un effort intense ou d'endurance, ce n'est pas du tout adapté. Risques de déshydratation, troubles digestifs, potentiels problèmes cardiaques. C'est un message marketing qui peut être dangereux.
- Speaker #0
Ou en vente libre, comme un simple soda. Ça contribue à banaliser, j'imagine ?
- Speaker #1
Énormément. Ça les positionne comme des boissons « normales » du quotidien, dans les supermarchés, les épiceries, les stations-service, les distributeurs automatiques.
- Speaker #0
Et les grands formats, souvent non-refermables.
- Speaker #1
Ça encourage une consommation rapide de toute la canette. Ça normalise l'idée de prendre un stimulant pour étudier, travailler, sortir, faire du sport. La perception du risque diminue forcément.
- Speaker #0
L'étude de Lunil ajoute que l'environnement joue un rôle. C'est pas... plus présents en ville.
- Speaker #1
Oui, les milieux urbains sont plus exposés à la publicité, l'accès est plus facile.
- Speaker #0
Et les milieux sociaux ?
- Speaker #1
C'est complexe. Les milieux peut-être plus défavorisés pourraient être plus vulnérables par manque d'accès à l'information de prévention ou parce que ces boissons sont parfois vues comme un moyen pas cher d'avoir de l'énergie.
- Speaker #0
Mais les milieux favorisés sont touchés aussi.
- Speaker #1
Oui, absolument. Parfois via un marketing différent, axé sur des produits qui se veulent plus sains, plus naturels, comme ceux à base de maté, qui sont aussi des stimulants. La pression à la performance, la culture de la productivité, ça touche tout le monde.
- Speaker #0
Face à ce tableau, consommation élevée, risque réel, marketing puissant, qu'est-ce qu'on a comme réglementation ? Est-ce que ça suffit ?
- Speaker #1
C'est une question épineuse. Au niveau européen, il y a quand même un cadre.
- Speaker #0
Lequel ?
- Speaker #1
Un étiquetage obligatoire. Il doit y avoir la mention « teneur élevée en caféine déconseillée aux enfants et aux femmes enceintes ou allaitantes » et la teneur exacte en caféine, MG 100 ml. doit être indiqué.
- Speaker #0
Mais ça reste classé comme une simple denrée alimentaire ?
- Speaker #1
Oui, en général. Au Canada, ça a été un temps classé comme produit de santé naturelle, mais c'est revenu dans la catégorie aliment. Ça change la façon dont c'est réglementé.
- Speaker #0
Et la surveillance des effets indésirables, ça existe ?
- Speaker #1
Oui, heureusement. En France, par exemple, l'ANSES a mis en place dès 2009 un dispositif de nutrivigilance. Ça permet aux professionnels de santé et aux consommateurs de signaler les effets indésirables potentiellement liés à ces produits.
- Speaker #0
Et ça a donné des résultats ?
- Speaker #1
Oui, il y a eu des signalements, ce qui a conduit le ministère de la Santé à demander à l'ANSES de renforcer la vigimance et l'évaluation de ces boissons.
- Speaker #0
L'industrie elle-même, elle fait des efforts ? Ou elle subit juste ?
- Speaker #1
Il y a des engagements volontaires. Par exemple, l'association Boissons énergisantes France, qui regroupe certains fabricants, a signé un code de bonne pratique.
- Speaker #0
Qui dit quoi à ce code ?
- Speaker #1
Ils s'engagent par exemple à donner une information claire, à ne pas promouvoir ces boissons pour la réhydratation pendant le sport. a suggéré une portion raisonnable, genre 250-500 ml.
- Speaker #0
Et sur la publicité ?
- Speaker #1
Il s'engage à ne pas cibler directement les moins de 12 ans, à ne pas faire d'action commerciale près des écoles primaires et à ne pas encourager le mélange avec l'alcool sur l'étiquette ou prétendre que ça neutralise les effets de l'alcool.
- Speaker #0
Bon, c'est un début. Mais est-ce que ça va assez loin ? L'étude suisse de l'UNIL semblait dire qu'il y a des freins à une réglementation plus stricte.
- Speaker #1
Oui, c'est ce qui ressort des entretiens menés, l'influence des lobbies. notamment celui du sucre, mais aussi de l'industrie agroalimentaire en général, est cité comme un obstacle majeur.
- Speaker #0
Classique. D'autres freins ?
- Speaker #1
La complexité administrative en Suisse, avec les cantons, ça rend la coordination difficile. Le manque de moyens alloués à la prévention spécifique sur ce sujet. Un certain flou juridique aussi, et puis, il faut le dire, une méconnaissance encore importante des risques par une partie du public, et même des décideurs.
- Speaker #0
Du coup, difficile d'aller vers des mesures plus fortes ? Comme interdire la vente aux mineurs ou limiter la publicité de passe au plus drastique.
- Speaker #1
C'est compliqué, oui. Ça se heurte à des résistances économiques et à une certaine inertie.
- Speaker #0
Alors, que faire ? Quelles seraient les pistes d'action recommandées par les experts ?
- Speaker #1
Il y en a plusieurs. D'abord, renforcer la prévention. Vraiment cibler les messages dans les écoles, les universités, les milieux sportifs, les lieux festifs. Expliquer les risques clairement.
- Speaker #0
Mieux encadrer la publicité et la vente aussi.
- Speaker #1
Oui, c'est une piste. Limiter la publicité sur toutes celles qui ciblent les jeunes. Peut-être restreindre la vente à proximité des établissements scolaires.
- Speaker #0
Et pour ceux qui sont déjà consommateurs réguliers ?
- Speaker #1
Là, les approches doivent être plus individualisées. On parle d'entretien motivationnel.
- Speaker #0
C'est quoi ça ?
- Speaker #1
C'est une technique de discussion spécifique, utilisée en addictologie notamment, pour aider la personne à explorer ses motivations, les avantages et inconvénients de sa consommation. et à trouver elle-même l'envie et les moyens de changer, si elle le souhaite, sans jugement.
- Speaker #0
D'accord. D'autres outils ?
- Speaker #1
Encourager l'auto-observation. tenir un petit journal de sa consommation pour voir quand, pourquoi, combien on boit. Ça aide à prendre conscience. Et si on veut réduire, le faire progressivement, pour éviter le sevrage brutal dont on parlait.
- Speaker #0
Très bien. Pour terminer, parlons un peu des expériences vécues. Ces témoignages qu'on trouve en ligne, sur Reddit notamment, ils sont assez frappants.
- Speaker #1
Oui, c'est une dimension qui complète bien les données scientifiques. Ce sont des récits de consommateurs et beaucoup se recoupent.
- Speaker #0
Qu'est-ce qu'ils racontent ?
- Speaker #1
Le schéma récurrent, c'est celui de... de personnes qui consomment ces boissons régulièrement, parfois depuis des années, sans problème apparent. Un témoignage parle de deux canettes de Monster par jour pendant six ou sept ans.
- Speaker #0
Ah oui, c'est énorme.
- Speaker #1
Énorme. Et puis soudainement, après avoir bu une canette comme d'habitude, ils développent une anxiété très forte, des palpitations, parfois de véritables crises de panique.
- Speaker #0
Du jour au lendemain, après des années de tolérance.
- Speaker #1
C'est ce que beaucoup rapportent. Une rupture soudaine. L'impression que leur corps ne tolère plus du tout quelque chose qu'il acceptait avant.
- Speaker #0
C'est assez incroyable ça. Ça remet en question l'idée qu'on s'habitue et puis c'est tout.
- Speaker #1
Complètement. La sensibilité semble pouvoir changer. Certains disent même être devenus intolérants après avoir arrêté un temps, puis repris.
- Speaker #0
Comment ça ?
- Speaker #1
Genre ils arrêtent quelques mois, puis un jour ils reprennent une boisson énergisante, ou même juste un ou deux sodas caféinés. Et là, c'est la catastrophe. Grosse anxiété, nervosité extrême. Alors qu'avant, ils buvaient des quantités bien plus importantes sans cet effet.
- Speaker #0
Le corps aurait désappris à gérer la caféine. Ou autre chose.
- Speaker #1
C'est difficile à dire. Certains de ces témoignages font une hypothèse intéressante, mais non prouvée scientifiquement à ce stade.
- Speaker #0
Laquelle ?
- Speaker #1
Ils notent un lien temporel entre l'apparition de cette intolérance et le fait d'avoir eu le Covid-19, même une forme légère ou asymptomatique.
- Speaker #0
Ah bon ? Le Covid aurait pu dérégler quelque chose ?
- Speaker #1
C'est leur questionnement. Peut-être un impact sur le système nerveux, sa régulation. C'est purement anecdotique pour l'instant, mais ça fait réfléchir sur les effets à long terme de certaines infections virales.
- Speaker #0
Quoi qu'il en soit, ces réactions soudaines sont souvent décrites comme très violentes.
- Speaker #1
Oui, les crises de panique sont décrites comme terrifiantes. L'impression de faire une crise cardiaque, de mourir. Certains racontent avoir fini aux urgences.
- Speaker #0
Et les médecins, ils disent quoi ?
- Speaker #1
Plusieurs témoignages mentionnent que les médecins, notamment aux urgences, leur ont conseillé d'arrêter totalement et définitivement les boissons énergisantes.
- Speaker #0
Et même après l'arrêt, ça peut laisser des traces.
- Speaker #1
Oui, certains rapportent des symptômes qui persistent pendant des semaines ou des mois. Des palpitations la nuit, une anxiété de fond, la récupération peut être longue.
- Speaker #0
Bon, si on essaie de faire une synthèse de tout ça, on a un produit hyper populaire.
- Speaker #1
Oui, surtout chez les gènes, porté par une quête de performance, une pression sociale et un marketing redoutablement efficace.
- Speaker #0
Mais avec des risques bien réels et multiples, physiques, mentaux, risques de dépendance.
- Speaker #1
C'est ça, des risques souvent sous-estimés, banalisés et des aspects encore un peu mystérieux. comme ce paradoxe avec le café sur le risque suicidaire, ou ces histoires d'anxiété soudaine, ça montre qu'on ne maîtrise pas tous les effets de ces cocktails.
- Speaker #0
Face à ça, la réglementation et la prévention peinent un peu à suivre, freinées par les intérêts économiques et la complexité du sujet.
- Speaker #1
Exactement. Et il faut aussi retenir que la sensibilité est très individuelle, et qu'elle peut changer avec le temps, l'âge, ou peut-être même suite à une maladie comme le Covid.
- Speaker #0
D'où l'importance d'être bien informé pour faire des choix éclairés.
- Speaker #1
C'est crucial. Pour sa propre consommation, ou celle de ses proches, de ses enfants, dans un environnement où ses boissons sont partout, comprendre les enjeux, c'est la première étape.
- Speaker #0
Tout à fait. Et pour finir, peut-être une dernière pensée, une question qui reste ouverte.
- Speaker #1
Oui, peut-être revenir sur cette différence d'impact entre le café et les boissons énergisantes, notamment sur la santé mentale, alors que la star, c'est la caféine dans les deux cas.
- Speaker #0
Qu'est-ce que ça nous dit ?
- Speaker #1
Ça nous pousse à nous interroger plus profondément. Au-delà de la simple dose de caféine, quels sont les effets réels à long terme et peut-être combinés de tout le reste qu'il y a dans ces canettes ?
- Speaker #0
Le sucre, la taurine, le guarana, les additifs.
- Speaker #1
Voilà. Comment tout ça interagit ? Quels sont les effets sur notre cerveau, notre équilibre psychique ? Et surtout, comment on peut mieux évaluer ces risques complexes et mieux les communiquer au public ? Dépasser la simple question des milligrammes de caféine.
- Speaker #0
C'est un vrai défi pour la recherche et pour la santé publique. Effectivement.
- Speaker #1
Absolument.