- Speaker #0
Saviez-vous qu'environ 10% des médicaments vendus dans le monde pourraient être faux ? C'est un chiffre assez incroyable.
- Speaker #1
Oui, et on parle d'un trafic qui serait jusqu'à 25 fois plus rentable que celui de l'héroïne.
- Speaker #0
25 fois ! Aujourd'hui, on va se pencher sur ce phénomène complexe des médicaments contrefaits et falsifiés en s'appuyant sur des recherches universitaires.
- Speaker #1
Exactement.
- Speaker #0
Qu'est-ce qui se cache derrière ces termes ? Quelle est l'ampleur du problème ? Et puis surtout, quels sont les dangers ? Notre mission, décrypter ensemble, cette menace pour la santé publique. Alors, on commence ?
- Speaker #1
Allons-y. Et c'est vrai que pour bien comprendre, il faut d'abord clarifier un peu le vocabulaire. On entend souvent « contrefaçon » , ça, ça évoque surtout la propriété intellectuelle, vous voyez, une marque copiée, un brevet qui n'est pas respecté. Mais les instances internationales, comme l'OMS ou même la réglementation européenne, je pense à la directive 2162 ou la convention MediCrim, Oui. Elles insistent plutôt sur le terme médicaments falsifiés.
- Speaker #0
Alors, c'est quoi la différence fondamentale, justement ?
- Speaker #1
Ce qui est intéressant, c'est que falsifié, ça met vraiment l'accent sur la tromperie, sur l'identité du produit, son origine, son historique.
- Speaker #0
Ah, c'est plus large que juste la marque !
- Speaker #1
Voilà, exactement. On ne protège plus seulement une marque, mais on protège directement la santé, la vie des patients, en fait. C'est vraiment un changement de perspective qui montre la gravité du risque sanitaire.
- Speaker #0
Et quand on regarde les chiffres, ça donne le vertige. L'OMS, la FDA américaine, Il parle de 10% du marché mondial.
- Speaker #1
10%, c'est énorme. 10%
- Speaker #0
et la rentabilité, on disait un investissement de 1000 dollars qui pourrait rapporter jusqu'à 500 000 dollars.
- Speaker #1
Oui, contre 20 000 pour l'héroïne. On comprend pourquoi ça attire les réseaux criminels.
- Speaker #0
Carrément.
- Speaker #1
Et cette rentabilité folle, ça alimente un trafic qui est mondial. Ça touche très durement les pays en développement, c'est vrai. En Afrique, en Asie du Sud-Est.
- Speaker #0
Là où l'accès aux médicaments est plus compliqué.
- Speaker #1
Exactement. L'accès aux circuits légaux est plus limité, la réglementation est parfois, disons, moins solide. Mais attention, les pays développés sont loin, très loin d'être épargnés. Il y a principalement deux vecteurs.
- Speaker #0
Lesquels ?
- Speaker #1
D'abord, les importations parallèles. C'est-à-dire un médicament qui est autorisé dans un pays A, importé dans un pays B, où il est aussi autorisé, souvent pour jouer sur les prix. Le risque, c'est si le reconditionnement n'est pas fait avec un contrôle strict, ça peut masquer des produits douteux. Et puis surtout, il y a l'immense porte d'entrée.
- Speaker #0
Internet, j'imagine.
- Speaker #1
Internet, exactement. On pourrait presque dire le Far West pharmaceutique.
- Speaker #0
C'est un peu ça,
- Speaker #1
oui. Une étude américaine de la NABP, l'association des conseils de pharmacie là-bas, a montré que 96%…
- Speaker #0
Vous disiez ?
- Speaker #1
Oui, 96%. Des pharmacies en ligne qu'ils ont regardées étaient illégales ou non conformes.
- Speaker #0
Non, non, 6%. C'est effrayant.
- Speaker #1
C'est énorme. Ça montre bien la facilité avec laquelle ces produits dangereux peuvent arriver jusqu'aux consommateurs, sans aucun contrôle réel.
- Speaker #0
Et concrètement, pour la personne qui prend ces médicaments, quels sont les dangers ?
- Speaker #1
Ils sont vraiment multiples. Au mieux, enfin si on peut dire, le médicament ne contient pas de principe actif, donc zéro effet thérapeutique.
- Speaker #0
D'accord, inefficace.
- Speaker #1
Inefficace. Souvent, le dosage est incorrect. Trop faible ou parfois trop fort, ce qui peut être dangereux aussi. Et au pire, il contient des substances toxiques. Toxiques ? Oui, on a des exemples terribles. Un sirop contre la toux à Haïti en 1990. Il contenait de l'antigel.
- Speaker #0
Mon Dieu !
- Speaker #1
Ou de faux vaccins contre la méningite au Niger en 1995. Des morts directes. Et même sans aller jusqu'à ces drames, ça cause des échecs de traitement. Et pire encore. Oui. Ça favorise la résistance aux antibiotiques, aux antiviraux, pour le paludisme, le VIH, la tuberculose. C'est un vrai problème de santé publique à l'échelle mondiale.
- Speaker #0
Et il y a aussi l'impact économique, j'imagine.
- Speaker #1
Ah oui, bien sûr. Des pertes d'emplois dans l'industrie pharmaceutique légale, des pertes de revenus fiscaux pour les États. C'est un système perdant-perdant, sauf pour les criminels.
- Speaker #0
Qu'est-ce qui rend ce trafic si difficile à arrêter ? À part l'argent et Internet, bien sûr.
- Speaker #1
Complicité des chaînes d'approvisionnement aujourd'hui. Elles sont mondialisées, très fragmentées. Aux Etats-Unis, par exemple, on parle du marché gris.
- Speaker #0
Le marché gris ?
- Speaker #1
C'est un réseau de grossistes secondaires, moins transparents, où les produits peuvent passer de main en main. En Europe, on a vu le reconditionnement des importations parallèles, qui peut poser problème si les contrôles ne sont pas top.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Et puis, il faut ajouter les faiblesses réglementaires dans certains pays. Et parfois, malheureusement, il faut le dire, la corruption. Oui,
- Speaker #0
ça facilite les choses pour les trafiquants.
- Speaker #1
Évidemment.
- Speaker #0
Face à tout ça, qu'est-ce qu'on fait ? Comment on lutte ?
- Speaker #1
La lutte, elle se fait sur plusieurs fronts. D'abord, la coopération internationale, c'est essentiel. Interpol, l'OMS, les outils juridiques comme la Convention Medi-Crime. Ensuite, au niveau national, les pays renforcent leurs lois, leurs surveillances. En France, par exemple, c'est la NSM, l'Agence du Médicament, qui est en première ligne.
- Speaker #0
Il surveille le marché, hein ?
- Speaker #1
Oui, via la pharmacovigilance notamment. Quand on signale des effets indésirables, ça peut parfois mettre la puce à l'oreille sur un lot suspect. Et puis... Il y a la technologie.
- Speaker #0
La technologie, c'est-à-dire ?
- Speaker #1
Des systèmes pour tracer les médicaments, comme le code unique Data Matrice qu'on voit maintenant sur les boîtes en Europe. Ah oui,
- Speaker #0
ce petit carré avec des points.
- Speaker #1
C'est ça. Chaque boîte a son identifiant unique. Et il y a aussi des méthodes d'authentification pour vérifier si le produit est vrai.
- Speaker #0
Mais est-ce que ces technologies comme ce Data Matrice, c'est vraiment suffisant face à des réseaux aussi organisés, aussi sophistiqués ? Ou c'est un peu une course sans fin ?
- Speaker #1
C'est une très bonne question. Ces technologies, c'est une avancée. C'est certain. Une barrière supplémentaire. Mais ce n'est pas une solution miracle.
- Speaker #0
Pourquoi ?
- Speaker #1
D'abord, ça a un coût. Le déploiement n'est pas encore universel partout dans le monde. Et surtout, les faussaires s'adaptent. Ils sont très rapides, très ingénieux malheureusement.
- Speaker #0
Donc c'est une course technologique constante.
- Speaker #1
Exactement. Il faut combiner la technologie avec la réglementation, la coopération et puis la vigilance de chacun, des professionnels de santé comme des patients.
- Speaker #0
D'accord. Donc si on essaie de résumer un peu tout ça, les médicaments falsifiés, c'est un fléau mondial, extrêmement rentable pour le crime organisé et potentiellement mortel pour nous tous.
- Speaker #1
C'est ça.
- Speaker #0
La distinction entre contrefaçon et falsification, elle est clé pour comprendre que c'est avant tout un problème de santé publique.
- Speaker #1
Tout à fait. L'enjeu sanitaire est primordial.
- Speaker #0
Et Internet, ça reste un défi immense pour la sécurité de la chaîne d'approvisionnement.
- Speaker #1
Absolument. Et tout ça, ça nous amène à une réflexion, je crois. Face à cette sophistication des réseaux criminels, face à la facilité de créer des sites web qui ont l'air tout à fait légitimes, et en connaissant les limites, forcément, des systèmes de contrôle, quelle confiance on peut vraiment accorder à un médicament qu'on obtient en dehors des circuits classiques ? La pharmacie du coin, l'hôpital, surtout via Internet, même si l'offre paraît alléchante ou si on pense répondre à un besoin urgent.
- Speaker #0
C'est une question de vigilance de tous les instants en fait.
- Speaker #1
Essentielle, oui, pour chacun d'entre nous.