- Speaker #0
J'ai l'impression que je suis en train de me faire un peu de mal.
- Speaker #1
Avez-vous remarqué que ceux qui arrivent à conjuguer aspiration personnelle et professionnelle font des trucs de dingue ?
- Speaker #2
Ils excellent dans leur domaine et deviennent des références alors même qu'ils ne recherchent qu'à réaliser leur passion. Mais comment ont-ils fait ? Quels sont les chemins qu'ils ont dû emprunter ? Se sont-ils perdus avant de se retrouver ?
- Speaker #1
Bienvenue dans Sens et Vie, le podcast qui croise deux regards, deux générations, celui des filles et de son père, de Sarah et de Laurent, sur des parcours de personnalités inspirantes, alignées, accomplies.
- Speaker #2
Aujourd'hui, croisons nos regards sur Marie-Madeleine Vigny-Vera de Lachenal, un grand témoin du siècle dans un tempo hors du temps pour une rencontre atypique.
- Speaker #1
Cette voix apaisée évoque les grands moments de sa vie, ses sources d'inspiration, ses joies, pour des enseignements qui se dessinent en filigrane.
- Speaker #2
Prenez cette parenthèse sonore pour vous. installez-vous confortablement et écoutez cet épisode midi. Bonjour Marie-Madeleine.
- Speaker #0
Bonjour Sarah, bonjour Laurent.
- Speaker #1
Bonjour Marie-Madeleine.
- Speaker #2
Bienvenue dans le podcast Sens et Vie. On est très contentes de t'avoir à nos côtés aujourd'hui. Et pour commencer, pour nos éditeurs qui ne te connaissent pas encore, Marie-Madeleine, qui es-tu ?
- Speaker #0
Je parlerai d'abord de mes origines familiales. qui sont très importantes pour moi. Je suis née à la ferme du Carmel-du-Reposoir.
- Speaker #1
En Haute-Savoie.
- Speaker #0
En Haute-Savoie, en 1937, février 1937. Nous étions nombreux en famille et j'ai beaucoup apprécié ces dix années passées dans cette ferme à Valon. J'ai appris beaucoup de choses et surtout j'étais très entourée. Avec l'amour de mes parents et de mes frères et sœurs.
- Speaker #1
D'accord. Donc on va parcourir ta vie tout au long de ce podcast. Cette petite vie, 1937, nous sommes en 2024, donc quasiment un siècle passé. Tu es un grand témoin du siècle passé. Et ça va être un plaisir de découvrir tout ce que tu as fait. Et justement, tu l'as évoqué, tu étais dans une famille aimante. Est-ce que tu peux nous décrire un petit peu la famille dans laquelle tu as grandi ?
- Speaker #0
Oui, mes parents, soit l'un soit l'autre, étaient originaires de Manigault, du village de Joux, maman, et papa était du village de Lachenal, il vaudrait mieux que je dise du Hamot. Et puis en 1936, ils ont... Sur la demande de l'oncle de papa, qui était aumônier au Carmel du Reposoir, ils sont partis pour venir s'installer à la ferme du Carmel, où je suis née l'année suivante.
- Speaker #1
Et là, tu étais, toi, la...
- Speaker #0
Sixième enfant.
- Speaker #2
Sixième enfant.
- Speaker #1
Et ensuite, il y a eu...
- Speaker #0
Et ensuite, il y a eu... Nous sommes 13, nous étions 13, et il y en a eu 7 ensuite qui ont suivi, mais... Et durant la guerre de 1939-1945, des années 1942-1943, une petite sœur, Marie-Joseph, est décédée. Et puis, une année et demie après, un petit frère, André, est décédé lui aussi. Et maman n'a jamais pu vraiment nous expliquer ce qui avait été la cause de leur décès.
- Speaker #2
D'accord.
- Speaker #0
J'aime bien parce que j'ai refait faire la photo où on voit les deux enfants qui sont dans leur berceau et qui sont partis. Jeunes. Oui, j'avais sept mois, six mois et sept mois. C'est très jeune et pour moi ce sont des anges gardiens. J'ai le mien mais j'ai aussi ces deux anges gardiens.
- Speaker #1
Alors on va poursuivre cette plongée en arrière. plonger dans ton passé, est-ce que tu peux choisir une année, un moment précis dans cette vie familiale pour nous décrire ta famille à ce moment-là et pourquoi ce moment-là ?
- Speaker #0
Alors ma famille, je me souviens au reposoir encore dans les dernières années que nous n'étions pas encore tous nés. Puisqu'il y en a deux autres qui sont nés après notre départ, et nous étions très unis et nous jouions beaucoup, il n'y avait pas de... nous étions seuls sur tout l'hiver, c'est un vallon. Il y avait les montagnes autour, très hautes même, et on se retrouvait, on jouait beaucoup ensemble, et puis on travaillait, on allait garder les vaches, on allait porter le lait, le beurre et le fromage au caramel. Je me souviens de ces marches le soir où on allait porter cela. Et puis un des souvenirs qui me restent, qui est très marqué en moi, c'est... Quand venait Noël et le jour de l'an, nous allions souhaiter la bonne année au Carmel, religieuse. Les enfants qui n'avaient pas fait leur communion solennelle pouvaient regarder la supérieure, et les autres étaient à droite et ils ne regardaient pas. Et les sœurs nous offraient, enfin oui, les sœurs je vais dire comme ça, elles nous offraient des cadeaux, un jeu de... deux dames, un jeu de petits chevaux. J'avais un très bel oeuf nacré, avec un chapelet dedans, et puis d'autres, une petite poupée, plusieurs poupées. On recevait nos cadeaux là-bas. C'est un très bon souvenir. Un autre plus douloureux, quand nous étions au reposoir aussi, c'était la guerre, et nous voyions... Passaient les soldats bien plus loin sur la route et on entendait le bruit. Et puis nous avions très peur parce que certains soldats venaient, rentraient et venaient voir si papa n'avait pas caché un résistant. Et ça je m'en souviens aussi. C'était des moments très très difficiles, très dur. Papa craignait pour nous. Une fois, il a dit à un de mes frères, mes grands frères, il faut que tu partes, tu prends le cheval, tu t'en vas, tu ne restes pas là. Tu reviendras demain matin. Et parce qu'il avait peur que si la milice arrivait et questionnait, mon frère aîné ne dise quelque chose.
- Speaker #2
Et sur ces différents souvenirs que tu as évoqués, est-ce que tu penses que, enfin plutôt, qu'est-ce que tu en as tiré ? pour la personne que tu es devenue ensuite ?
- Speaker #0
Je pense que nous allions souvent marcher. Et nous allions l'été ramasser des myrtilles et des framboises. Et nous faisions de grands, grands trajets. Et j'ai toujours apprécié de marcher. Et je tempêtais un peu parce que maman ne voulait pas que je parte. J'étais trop jeune et moi j'assissais. Je disais si, si, si, j'y vais. Et de même... À l'école, il y avait la promenade scolaire en fin d'année, et il n'y avait que les grands qui partaient pour faire cette longue balade un peu en altitude. Et j'ai insisté très très fort, j'ai dit si je veux y aller. Et la sœur a accepté de m'emmener, puis je marchais très bien. Parce que j'avais l'habitude, mais à un moment donné, quand on est arrivé au sommet, je me suis approchée, je voulais voir, découvrir. Et puis la sœur est venue et elle m'a dit, viens Marie-Madeleine, il faut repartir maintenant. Et je suis repartie avec elle et ensuite elle m'a grondée. Pourquoi ? Parce que j'étais tout près de la falaise, du précipice.
- Speaker #1
Donc tu étais une frondeuse en fait, c'est ça ?
- Speaker #0
Certainement. Assez timide mais voilà, quand même, il y a des choses que je désirais, surtout ce désir de marcher. De partir, de découvrir.
- Speaker #1
De mettre en mouvement.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Alors, si tu en avais la possibilité aujourd'hui, qu'est-ce que tu dirais à la petite fille que tu étais à l'époque ? Celle qui, justement, contemplait les horizons du haut de sa falaise.
- Speaker #0
Je crois que je lui dirais merci. En racontant ses souvenirs, je suis touchée, je suis émue. Je sens aussi que j'ai beaucoup reçu de la part de mes parents et de mes frères et soeurs.
- Speaker #2
Tu entretenais quelle relation avec tes parents ? Vous étiez proches ?
- Speaker #0
Oui, on était proches. Papa était sévère, très sévère. Avec de nombreux enfants, je pense qu'il faut l'être. Maman était plus douce, elle était patiente aussi. N'hésitez pas à nous gronder quand on le méritait. Il nous apprenait aussi à nous écouter mutuellement. Nous avions tous chacun notre caractère. Et maman était malade dans les années 42-43. Elle a dû se faire opérer de la mastoïdite. Elle est allée à l'hôpital. Une autre personne, dont je ne me souviens pas le nom, est venue tenir un peu le rôle de maman. Et puis, on nous a appris très tôt. à travailler, à faire certains gestes comme écrimer le lait, battre le beurre aussi, ou surveiller, à les donner à manger aux animaux. Je n'ai pas vraiment trait les vaches, j'étais encore trop jeune, mais je pouvais les garder avec maman, les surveiller. Et puis on essayait, on chantait beaucoup, énormément. On fricotait, on raccommodait les chaussettes, on cousait, les filles surtout. Et puis il y avait le week-end, on ne parlait pas de week-end, le samedi puis le dimanche, surtout le dimanche, nous jouions au quille. Et puis un jeu qui s'appelle la bornoille, qui est très particulier, très intéressant. On jouait et comme on était nombreux, eh bien... On pouvait jouer à plusieurs. Et près de chez nous, mais assez loin quand même, il y avait une maison. Et pendant l'été, il y avait, on les appelait les filles de Vallon. Et elles nous écoutaient, elles nous entendaient chanter. Ça les réjouissait.
- Speaker #1
Quelle relation est-ce que tu entretenais avec tes frères et soeurs ? Est-ce que tu entretiens encore ?
- Speaker #0
Oui, je l'entretiens encore. Mais à l'époque,
- Speaker #1
cette fratrie, parce que très nombreuses, on imagine que les petits s'occupaient, enfin les grands étaient...
- Speaker #0
Les grands s'occupaient, ma soeur Marie-Thérèse, l'aînée des filles, s'est beaucoup occupée des plus jeunes. Et mon frère André qui est venu avec moi, qui a marché avec moi à Jérusalem, et bien pour lui c'était sa seconde maman. Parce qu'elle était très très présente, j'avais sept ans d'écart avec Marie-Thérèse. Et puis André en avait 17 quand même. Alors elle était comme une maman. Pour beaucoup de choses, on secondait maman.
- Speaker #1
Et est-ce que c'est les relations que tu as eues avec ta fratrie, donc avec tes frères et sœurs, comment ça a joué après dans tes relations avec le monde extérieur lorsque tu es partie à la découverte du monde, entre guillemets ?
- Speaker #0
Je pense qu'on avait... Appris à partager, à s'écouter, à se respecter et à voir nos différences. Betty était très différente de Marie-Thérèse et de moi. Par exemple, elle était beaucoup moins timide que moi. Et elle disait encore mieux que moi ce qu'elle voulait. Et mes frères étaient aussi très proches. Je constate aussi avec les années. très différents l'un de l'autre. Marius était l'aîné et alors il nous surveillait beaucoup. Qu'on ne fasse pas des bêtises et même dans les années qui ont suivi, d'après les photos, on peut se rendre compte aussi un peu du caractère des personnes. Je crois pouvoir dire que d'après les photos, moi j'étais quand même très timide. Puis peu à peu, naturellement, je suis devenue...
- Speaker #1
Un peu moins.
- Speaker #0
Quelqu'un d'autre, tout un apprentissage. Mais au décès de papa, c'était très très dur pour nous. C'était en 84, il avait 82 ans. Et nous étions près de lui, à ce moment-là, nous habitions à Régnier. Pas tous, mais les parents habitaient à Régnier. Ils avaient laissé la ferme, mais je me souviendrai toujours. On a entouré papa à la maison de retraite, c'est là où il y avait le, comment on dit, le funérarium, on peut dire. Et nous étions tous autour de lui. Et puis, je me souviens toujours du message de maman qui nous a dit, écoutez, avec papa, on a toujours désiré que vous vous entendiez très bien les uns les autres, qu'il n'y ait pas entre vous de cassure. C'est ce qui s'est passé. Je vois plus voir plus. Parce que maintenant, mon frère Bernard est décédé au mois de janvier. Je suis, comme m'a dit mon frère André, je suis la doyenne de la famille. Et nous maintenons les liens. Et je peux dire maintenant aussi que depuis le décès de maman, qui est parti très vite, à 96 ans, mais je veux dire très vite, elle n'est pas allée à l'hôpital. J'étais près d'elle quand elle est décédée. Et quand on s'est retrouvés, après la belle sépulture, où il y avait énormément de monde, nous nous sommes retrouvés dans la salle des fêtes. Et c'est mon neveu, Pascal, qui est venu me voir et puis qui m'a dit, dis donc, Marie-Madeleine, Marie-Made, comment va-t-on faire maintenant ? Maintenant, pour se retrouver, nous avions l'habitude aux grandes fêtes de nous retrouver chez maman, dans son appartement. Comment allons-nous faire ? Et je lui ai dit, c'est à vous les jeunes d'organiser une fête pour deux familles. Et depuis, elle est décédée en 2001, et dès 2002, nous nous sommes organisés pour faire la fête de famille Ausha de famille à Manigault.
- Speaker #1
La fameuse cousinade.
- Speaker #0
Oui. Oui, alors, vraiment, chaque année, à des dates diverses, nous nous retrouvons une grande partie de la famille. Et l'année dernière, il y avait 40 adultes, et puis au moins une douzaine de plus jeunes, de très jeunes, de bébés aussi.
- Speaker #2
La tradition perdue. Marie-Madeleine, est-ce qu'il y a des personnes qui t'ont aidé à grandir ?
- Speaker #0
Oui. Il y a plusieurs personnes qui m'ont aidé à grandir. Je dirais d'abord, quand j'ai pu commencer mes études au pensionnat de la Sainte-Famille à La Roche-sur-Ferrand, si j'ai pu faire ces études, c'est parce que ma sœur Betty ne voulait pas continuer à faire des études. Et elle a dit, moi je veux aller travailler. Et papa lui a dit, eh bien Marie-Madeleine prendra ta place. J'ai pu. pu faire des études. J'avais un an de retard parce que je n'étais pas forte en maths. Et puis, ensuite, j'ai pu avoir une bourse et je suis allée à ce pensionnat. Et une des religieuses que j'appréciais beaucoup, c'était Serenay. Elle était prof de maths et de physique. Elle était très jeune, très dynamique et elle m'a beaucoup aidée tout au long de ces années. J'ai fait partie de ce que l'on appelait la jeunesse étudiante chrétienne, la GEC, et elle en faisait partie, elle nous aidait. Alors vraiment, elle m'a aidée. Là aussi, je dirais que j'ai eu quand même, j'allais dire beaucoup de chance, c'est peut-être pas le mot, mais... Maman est arrivée quand j'étais en cinquième, un jeudi, puisque c'était congé, puis elle m'a dit, écoute, tu ne pourras pas continuer des études parce que nous n'avons pas assez d'argent. et je pleurais. Je me suis mise à pleurer puis elle a expliqué cela à ma tante religieuse qui était la soeur de papa. Elle lui a expliqué et ma tante a dit nous allons aller voir Mère Bernadette. Je vais lui expliquer. Nous sommes rentrés dans le bureau. Je n'oublierai pas l'antichambre et puis le bureau. Et ma tante a expliqué ce qui se passait. Mère Bernadette a vu que j'étais très triste, alors elle a dit, attendez, nous allons trouver une solution. Vous ne payerez rien, mais vous nous apporterez des produits de la terre, des prunes, des pommes, des pommes de terre et autre chose, des noix. Et c'est ainsi que j'ai pu continuer à faire mes études et être très aidée pour arriver à obtenir le bac. C'était difficile, je travaillais beaucoup, beaucoup pendant les vacances, parce que je n'avais pas autant de capacités. Et puis, comme en rédaction, nous n'avions pas des livres, parce que nous étions trop pauvres pour acheter des livres. Et puis, il y avait l'autre travail de la terre. Et de ce fait-là, mes rédactions n'étaient pas très bonnes, les maths non plus, en grammaire ça allait. Et je dois dire que j'ai réussi le bac. Je sais pourquoi j'ai fait un bac philo et je sais pourquoi j'ai réussi, parce qu'il y avait un sujet de philo qui concernait l'art en général. Et comme on avait de l'instruction religieuse une fois par semaine, on avait une sorte de livre pour nous aider et il y avait tout un chapitre sur l'art. Et moi ça m'a vraiment intéressée, j'ai souligné ce qui est important dans le chapitre, j'ai gardé le livre et... Avec le sujet qui était donné, j'ai beaucoup redit. Je suis pratiquement sûre que c'est à cause de cela que j'ai pu réussir le bac. Et après, quand j'ai réussi, on pouvait repasser le premier bac en septembre. Je l'ai repassé parce que je l'avais raté. Et puis après, le deuxième bac, la philo, j'ai tout de suite été reçue. Et je suis allée voir les profs dans la salle des profs, et Mademoiselle L'Espagne, qui avait été ma prof de français, m'a dit, elle avait été ma prof de français en sixième, cinquième, elle m'a dit, il faut que je vous dise, Marie-Madeleine, j'étais sûre que vous ne réussiriez jamais à passer le bac. Elle me l'a dit, donc j'étais toute étonnée. Mais c'est aussi grâce au travail de bien des professeurs. Je me souviens de Sœur Hélène qui était prof en seconde. Sœur Hélène m'a beaucoup aidée aussi, donc Sœur Hélène, Sœur René, qui nous encourageait. Puis j'étais malade avant de passer le bac. Tout le deuxième trimestre j'étais malade, opérée, mastoidite. Et puis j'ai dit à Sœur René, je vais rater, je ne peux pas passer le bac. Tout un trimestre à être malade, je n'y arriverai pas. Elle m'a dit si. Je vais t'aider pour les maths, je vais te donner des leçons particulières. Et passe le bac, on ne sait jamais, tu peux tomber sur un sujet que tu connais bien. Et c'est ce qui s'est passé.
- Speaker #1
Quels sont les enseignements que tu retiens de cet appui justement des enseignants ? Parce qu'on entend bien à travers ce que tu racontes que ces enseignants étaient très proches et t'ont aidé justement à arriver à... à passer ton bac, quels sont les enseignements que tu en as retirés pour la suite de ton parcours d'adulte, après, de jeune adulte ?
- Speaker #0
Eh bien, ce que j'ai retenu, c'est qu'il ne faut pas... Il faut donner confiance aux élèves. Et les aider à s'en sortir par des actes concrets, comme me donner des cours en plus.
- Speaker #1
Mais pour toi ? En tant qu'adulte, qu'est-ce que tu en as retiré pour la suite de ton parcours ?
- Speaker #0
La suite de mon parcours, je me suis beaucoup... Je me suis occupée d'élèves en difficulté. On m'a demandé de m'occuper des élèves des classes de transition. Et c'est le directeur à Meugev qui me l'avait dit. Et nous discutions avec... Je discutais beaucoup avec ce directeur après la fin des cours le matin. Et on échangeait sur les difficultés qu'il y avait à enseigner. J'avais des classes de primaire à ce moment-là. Et il m'a demandé de m'occuper des élèves en difficulté. Et leur difficulté était quand même importante pour certains. J'avais un élève, Georges, il ne savait pas lire, il ne savait pratiquement pas écrire, il avait 11 ans, et il n'avait pas été vraiment aidé par sa famille. D'autres étaient une fille de commerçant. Une fille, un garçon de... le père était menuisier, il savait d'autres. Et Georges Soquet, il était fils de paysan. Et c'est pour ça aussi qu'il croyait qu'il n'y arriverait jamais. Et je me suis occupée particulièrement de lui. En appliquant ? Oui, en lui demandant chaque semaine un effort particulier pour découvrir le programme. Et puis, ces classes de transition en français et en maths, nous formions le professeur, l'instit, en ce temps-là, on ne disait pas professeur. L'instit devait, dès le début, essayer de voir le niveau de chaque élève en français et en maths, en donnant des exercices. Et en fonction de cela, je devais constituer des groupes avec tel Travailler avec tout un matériel que j'ai fabriqué moi-même, ce qui était très long à faire. Et puis, dès le début, il fallait prendre contact avec les parents lors de la réunion. essayer de comprendre, de leur demander pourquoi l'enfant avait des difficultés, qu'est-ce qui s'était passé. Et quant à Georges, eh bien, ses parents ne sont pas venus. Donc, j'ai demandé à Georges d'aller voir ses parents un dimanche. On ne pouvait pas se rendre chez lui avec la voiture. Je suis montée, parce que c'était un petit peu haut, à pied. Et j'ai été très, très bien reçue par la maman. Et Georges est ressorti. Elle m'a dit, vous savez, Georges, je pensais que vous ne viendriez jamais nous voir. Pourquoi ? J'ai demandé. Mais parce qu'on est des paysans. Alors, je lui ai dit, Madame, moi, je suis fille de paysan. Et puis, tout s'est bien passé. Georges a fait d'énormes progrès, d'énormes progrès dans toutes les matières. En ce qui concerne les autres matières, en ce temps-là, c'était dans les années... En 65-66, et puis ensuite, quand j'étais à Meugeff, nous allions faire des enquêtes avec le magnétophone. On préparait le travail, les élèves interrogeaient. C'était très vivant, c'était très bien. Et quand je pense qu'on faisait déjà cela en 65-67, c'était beau. Et on faisait tout un travail. Et l'enfant reprenait confiance en lui, il était fier. Il fallait enseigner toutes les matières, y compris le chant, la gymnastique, je fais du foot. Toutes les matières, j'ai appris aussi à jouer de la flûte. Et puis, il y avait aussi quelque chose de très très important, c'était les travaux manuels. On nous demandait, pour intéresser les élèves, d'apprendre les travaux manuels. Pendant les vacances d'été, je faisais des sessions et j'ai appris à faire du retin, de la marqueterie, de la métallerie, de la patate aux gravures. C'était avec une pomme de terre, on dessinait. D'abord il y avait le dessin qui était fait et ensuite avec nos morceaux de pommes de terre, coupés comme pour des frites. c'est bien, on faisait de la mosaïque.
- Speaker #2
C'est ça, d'accord.
- Speaker #0
Alors c'était merveilleux, j'ai beaucoup aimé.
- Speaker #1
Donc tu as été, après avoir obtenu ton bac, tu es devenue enseignante.
- Speaker #0
Est-ce que tu peux nous dire quels ont été les principaux jalons de ta vie ?
- Speaker #1
Sans rentrer dans tout le détail.
- Speaker #0
Après le bac, j'ai fait une année d'école normale à Lyon, qui m'a vraiment bien, bien servi. On avait de la pédagogie. La psychologie et puis d'autres cours, on apprenait à enseigner tel sujet, soit en maths, soit en français. J'ai vraiment beaucoup appris. Et pendant trois ans, j'ai enseigné à Meugev, même si je n'étais pas très très forte en maths, en troisième, quatrième. C'était aussi une sacrée expérience. Mais j'y suis arrivée, mes élèves, je n'avais que des filles, pas beaucoup, mais elles ont toutes réussi leur BEPC. C'était une victoire pour moi.
- Speaker #1
Donc, jeune femme qui débarque. pour enseigner à Meugev, là on est dans les années...
- Speaker #0
Alors avant, j'ai oublié, il y a eu autre chose d'important pour moi, c'est qu'après trois années à Chamonix, j'ai voulu devenir religieuse. Parce que j'avais eu un appel que j'ai ressenti très jeune quand nous étions à la ferme, dans une ferme à la chapelle Rambaud. Et c'est un jour où j'étais dans l'église que j'ai eu ce désir de devenir religieuse. Et je voulais être missionnaire, comme ma grande cousine qui était en Inde. Mais je n'avais pas forcément envie d'être dans cette... d'appartenir à cette congrégation. Mais j'ai eu ce désir. Je n'en ai parlé à personne, même pas à maman. Je n'ai rien dit et je sentais bien qu'il fallait d'abord que ça devienne... vraiment important en moi. Et après, j'ai eu l'occasion de faire une rencontre avec d'autres, j'ai oublié le mot, mais avec d'autres personnes. Et j'ai connu ces religieuses qui étaient des sœurs blanches, fondées par le cardinal Lavigerie. Ce sont des sœurs missionnaires qui étaient surtout en Algérie. Puisque le cardinal Lavigerie a fondé les Pères Blancs. J'étais en Algérie et je suis devenue religieuse à partir de septembre 1960. J'ai fait mon postulat, dans la première étape. Ensuite, on fait une promesse des voeux et on rentre au novicia. J'ai pris le nom, c'était comme ça, disons. On changeait de nom et je me suis appelée Sœur François d'Assise. Et puis, alors j'ai appris à connaître bien sûr François d'Assise, que je connaissais un peu. Et puis là, ce qui s'est passé, j'ai... J'étais fatiguée, malade, opérée et puis je n'arrivais plus à m'en sortir. J'ai été opérée de la thyroïde et s'il aurait fallu vraiment m'opérer, un autre professeur m'a dit que normalement on n'aurait pas dû m'opérer. Alors j'ai fait un certain séjour, j'ai été opérée à Grange Blanche et puis après, comme je n'étais pas bien, je suis restée un certain temps à l'hôpital de la Part-Dieu. qu'on me l'a dit et je n'arrivais pas à retrouver ma forme. Et c'est là que notre accompagnateur spirituel qui venait de Saint-Luc-de-Bivier, un jésuite, m'a conseillé de sortir et puis on verrait par la suite, mais il fallait d'abord que je retrouve ma forme. Et c'est pour ça que j'ai laissé, je suis partie, je suis retournée chez mes parents qui étaient à ce moment-là. à Régné, dans une très grande ferme. Et puis j'ai essayé de me reposer, et de moi-même, j'ai décidé de ne plus prendre ce Valium pour pouvoir dormir pendant la nuit. Et je partais, et j'allais me promener, marcher dans ce qu'on appelle la plaine des rocailles, c'est très beau, du côté de Régné. Et je revenais, j'étais fatiguée, papa ne voulait pas... Il me conseillait de rester et de me reposer. Je lui ai dit non. Et peu à peu, je n'ai plus eu besoin de prendre ce médicament. J'ai retrouvé ma forme. J'en ai reparlé, j'ai revu le directeur spirituel. Et puis, il m'a conseillé plus tôt, pour le moment, de ne pas retourner au couvent.
- Speaker #1
Et toi, tu voulais, à l'époque, retourner au couvent, Marie-Made ?
- Speaker #0
Un peu, quand même, oui, puisque ça me tenait. Étant donné que j'en avais, comme on dit, bavé avec cette santé, je me suis dit, j'ai pensé qu'il valait mieux l'écouter. Et je n'ai pas pu reprendre l'enseignement, c'est trop dur, c'était trop difficile, trop fatigant. Donc j'ai préféré être monitrice dans une maison d'enfants à Isser-Romand, près de Morzine. Et là, j'ai passé presque deux ans monitrice. Ça m'a bien plu, s'occuper, on avait un groupe d'enfants, marche et puis activités diverses. Puis après, j'ai désiré reprendre l'enseignement.
- Speaker #1
Et ne pas retourner dans la religion.
- Speaker #0
Et ne pas retourner pour être religieuse. J'ai accepté et puis mon désir étant d'être missionnaire, comme on m'a dit, je n'ai pas toujours tout compris tout de suite, mais on m'a dit, tu peux être une amie. Je l'ai connue par la suite, elle m'a dit, mais tu peux être missionnaire sans être religieuse missionnaire. Et c'est vrai. Les expériences après, par la suite, me l'ont montré.
- Speaker #1
Qu'est-ce que ça veut dire être missionnaire pour toi, Marie-Madeleine ?
- Speaker #0
Avoir une mission, c'est cette mission que le Christ a donnée à ses apôtres, aller dans tous les pays et prêcher la bonne nouvelle. annoncer le Christ et son amour et sa miséricorde. Et puis annoncer qu'il est ressuscité, qu'il est avec nous. Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. Je vous ai dit ces choses pour que votre joie soit parfaite. Et cette relation aussi avec le Père et puis l'Esprit Saint, tout ça peut se vivre au jour le jour.
- Speaker #1
Et donc cette cette conviction, cette foi, parce que là on parle de foi pour le coup, tu l'as mis un petit peu entre parenthèses pour choisir plutôt d'aller vers l'enseignement et on te retrouve à Meugev, donc pour tes premières années en tant qu'enseignante, pour le coup là on est dans les années 60
- Speaker #0
On est dans les années, à Meugev j'étais dans les années 64 65 et je suis restée 5 ans à Meugev.
- Speaker #1
Et après Meugev,
- Speaker #0
qu'est-ce que tu as fait ? Après Meugev, eh bien je suis partie... Et puis j'ai décidé d'enseigner du côté d'Anmas, à la chamarette, et ensuite à Villagrand, au Juvena. Parce que, et puis c'est en 70 que j'ai fait la connaissance de René. Nous nous sommes mariés assez vite et puis nous habitions à Vieux-en-Sala, ce n'est pas très loin du Gévena, de Villagran. Et puis j'ai enseigné à Villagran de 71, à partir de 71 jusqu'à 96.
- Speaker #1
Donc pendant 25 ans.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Et après tu as pris ta retraite.
- Speaker #0
Ensuite, j'ai pris ma retraite, oui. Et puis, il faut dire aussi que je voulais avoir cinq enfants. J'aimais beaucoup les enfants. Étant d'une famille nombreuse, j'avais toujours ce désir. Mais je n'ai pas pu avoir d'enfants. Nous n'avons pas pu avoir d'enfants. Mais nous avons eu la grande joie, le bonheur indicible, j'allais dire, de pouvoir adopter des enfants de l'Inde. qui venait de l'orphelinat d'Amravati, où se trouvait ma grande cousine religieuse des Sœurs de la Croix de Chavannot. Et je lui ai écrit une longue lettre pour lui dire que nous aimerions bien pouvoir adopter un enfant, un jeune. Et nous, Sylvain est arrivé en 1979, il avait trois ans et demi. Est-ce que c'était sa bonne date de naissance ? J'ai trouvé deux dates de naissance différentes, peu importe. Et Sabine ensuite, deux ans après, nous avons décidé d'en adopter, d'adopter une fille. J'en avais parlé à Sylvain aussi, je le mettais au courant, il comprenait très bien. Et Sabine est arrivée en 81. Et cette adoption s'est très très bien passée, il n'y a pas eu de problème, ils ont fait des études. Sylvain s'est arrêté après le BEPC, il a fait une formation dans... dans la mécanique auto. Quant à Sabine, elle a pu avoir le bac. Mais c'était un très, très grand bonheur pour nous, les parents. Et vraiment, pas de problème, quoi. Alors, voilà.
- Speaker #1
Qu'est-ce qui t'a fait choisir l'enseignement ?
- Speaker #0
Alors, j'ai choisi l'enseignement. Être infirmière ne me disait rien. Apprendre aux autres, est-ce que c'est parce que j'ai eu des difficultés ? J'ai été aussi pour apprendre et je ne pouvais pas faire une licence. Je n'avais pas d'argent. Mes parents n'avaient pas d'argent.
- Speaker #1
Alors,
- Speaker #0
je me suis dit, je fais, et sur le conseil aussi des professeurs, j'ai dit, je vais faire cette année d'école normale et puis j'enseignerai. Et je voulais enseigner en primaire, mais j'ai dû enseigner en troisième, quatrième. Mais c'est une autre expérience, comme quoi on ne peut pas toujours décider de tout. Mais j'ai beaucoup appris.
- Speaker #2
Et qu'est-ce qui te donne de l'inspiration dans ton quotidien, que ce soit à l'époque ou même aujourd'hui ?
- Speaker #0
Moi, ce qui m'a beaucoup aidée, je dirais, après ma vie d'enseignant, c'est parce que je sentis en moi le désir de partir, d'aller marcher. Je crois que c'est... un désir qui fait partie de mes racines. La famille de maman on les appelait les routiers. Et je me demande, je n'ai jamais su. Maman, on disait un peu en patois, il y a la fille, enfin c'est une route, on parlait plutôt patois, c'était les routiers. Les verres à charvillon, c'était les routiers.
- Speaker #1
Donc plutôt itinérants.
- Speaker #0
Alors je ne sais pas si... Je ne sais pas s'il y avait vraiment des personnes qui partaient dans un autre pays. Je ne crois pas dans la famille de maman, mais il faudrait que je recherche beaucoup.
- Speaker #1
C'est intéressant.
- Speaker #0
Les routiers. Et d'ailleurs, là, dans ce texte que j'ai fait...
- Speaker #1
Elle nous transmet une feuille qu'elle a amenée avec elle. Et en fait, la marche... On l'a entendu quand tu étais enfant parce que tu as voulu absolument marcher avec tes frères et soeurs contre la vie. Puis quand tu as été malade également pour retrouver la sensée, tu t'es mis en marche. Donc on sent bien que la marche est chevillée au corps, c'est viscéral et vital pour toi. Donc est-ce que tu peux nous dire en quelques phrases, en quelques expériences, les chemins que tu as parcourus à travers ce monde justement pour... traduire concrètement ce désir de mouvement.
- Speaker #0
Le premier c'est Compostelle, la Voix du Puy, en 2004. Et c'est sur ce chemin de Compostelle que j'étais... Je suis toujours partie seule. Et c'est sur ce chemin de Compostelle, peut-être dix ou quinze jours après, j'étais tellement heureuse que je me suis dit Et pourquoi tu n'irais pas à Jérusalem ? Et je me souvenais de la carte que j'avais dans le livre d'histoire géographique, j'enseignais, où on voyait les chemins au Moyen-Âge vers Saint-Jacques-de-Compostelle, vers Rome et vers Jérusalem. J'ai eu ce désir de partir vers Jérusalem.
- Speaker #1
Juste pour comprendre, ça veut dire que jusque dans les années 2004, jusqu'à ton premier voyage, ton premier cheminement, en dehors du moment où tu t'es mis en mouvement pour retrouver la santé, entre les deux, tu n'as pas entrepris de... de randonnée sur plusieurs jours ?
- Speaker #0
C'est-à-dire, pendant que j'étais à Meugev, je faisais partie du CAF de Salange. Oui,
- Speaker #1
tu faisais partie du CAF.
- Speaker #0
Et je faisais, nous faisions de belles ascensions. On marchait beaucoup, j'ai fait la pointe percée.
- Speaker #1
Ah oui ?
- Speaker #2
C'est vraiment inscrit dans...
- Speaker #1
C'est l'enseignante qui se met à la marche.
- Speaker #0
La pointe percée, et même, on m'a proposé de faire ce jour-là, on a rencontré un autre groupe de Régnier, et... Un gars de Régnier m'a dit, mais est-ce qu'il y aurait quelqu'un qui voudrait marcher avec moi ? Parce qu'il était seul. Et nous avons, j'ai dit oui. Il m'a appris à faire de l'artificiel. Je n'avais jamais vu. Donc, l'artificiel, on escalade et puis, comment dire, je ne sais plus tellement bien expliquer, mais je me revois en train de gravir à cet endroit-là.
- Speaker #1
Avec des piolets, les cordes... Oui,
- Speaker #0
oui, les cordes, oui, oui, les cordes, et puis les échelles aussi, pour arriver à passer une plateforme. Et j'y suis très, très bien arrivée.
- Speaker #1
Donc tu as fait de l'escalade ?
- Speaker #0
Oui, et j'en ai fait à plusieurs reprises, j'ai fait de l'escalade, l'aiguille de l'aim à Chamonix aussi, et d'autres, beaucoup d'escalades, et j'aimais. Et mon amie de Chamonix, Micheline, elle, elle était très forte. en montagne et c'est elle, elle m'a beaucoup appris. Et on allait du côté d'Argentière pour faire de l'escalade. Et parfois elle me disait, non, non, on n'aimait pas le pied aussi haut, il ne faut pas. On a deux mains et deux pieds, il faut avoir tout le temps trois pieds, trois prises. Ça c'est important, alors j'en ai fait quand même un petit peu. Et j'aimais beaucoup cette marche, ces montées, ces escalades. J'ai fait aussi, grâce à cet ami, beaucoup de ski. Et monter à l'aiguille du Midi et descendre la Vallée Blanche. Une merveille.
- Speaker #1
Pas de Pau de Foc ?
- Speaker #0
Non, pas de Pau de Foc, non. J'en ai pas fait.
- Speaker #1
Tu montais comment alors ?
- Speaker #0
On montait avec le... Il y avait un téléphérique. Ah,
- Speaker #1
avec le téléphérique.
- Speaker #0
On allait avec le téléphérique et après on descendait. La Vallée Blanche. La descente. Oui, bien sûr. Une merveille, je l'ai fait plusieurs fois, la vallée blanche.
- Speaker #1
Il faut faire tirer les oreilles pour les chamonnières, si on grimpe, on le fait comme la vallée blanche en pot de phoque, Laurent c'est n'importe quoi.
- Speaker #2
Donc la marche est vraiment inscrite dans ton ADN depuis toujours en fait.
- Speaker #0
Je crois qu'on peut dire, oui.
- Speaker #1
Qu'est-ce que ça procure la marche, Marie-Madeleine ?
- Speaker #0
La marche, je suis avec moi-même, je retrouve mon intérieur, je vais dire un peu. Et puis en même temps, la marche c'est la respiration, c'est l'ouverture au monde extérieur, la beauté des paysages, la contemplation, la découverte des plantes et des animaux aussi, les fleurs c'est une merveille. Et puis il y a aussi dans la marche cette rencontre avec l'un ou l'autre, c'est très variable. Au cours de mes pèlerinages... On fait quelques kilomètres seuls et ensuite on rencontre quelqu'un, on parle un tout petit peu. Ça aussi c'est important et c'est surtout durant le pèlerinage à Jérusalem, où on devait demander le gîte, ou j'avais, on ne sait pas, on devait, mais c'était l'esprit de la route de Jérusalem de demander le gîte et le couvert pour justement favoriser cette fraternité. Et presque tout. Tous les jours, quand j'étais seule, deux mois seule, j'ai pu. J'ai pu avoir le gîte et le couvert, sauf des fois où j'ai bougé dans une remise. Mais ce n'est pas grave, on trouve toujours quelque chose. Ce qu'il faut avoir, c'est de l'eau. Il y avait de l'eau. Et puis, on a un certain matériel, des sacs de couchage et autre chose. Moi, ça ne... Ça ne me fait pas peur. Pourquoi avoir peur ? Non, moi, comme je l'ai écrit dans le texte avant de partir en 2004, je me mets aussi sous la protection de Notre-Dame du Sacré-Cœur parce que ça, mes parents récitaient toujours la prière à Notre-Dame du Sacré-Cœur. Et puis, de ceux qui nous sont chers et qui sont déjà partis, ils peuvent nous aider. Et puis de mes anges gardiens. Alors, c'est très réconfortant pour moi de pouvoir marcher, de laisser de côté les soucis du quotidien, de la maison, et même des enfants de la famille. On reste en relation, mais c'est pour moi. C'est une marche pour moi, pour être bien et continuer à avancer dans la vie.
- Speaker #1
Prendre soin de toi. Quelle est ta devise, Marie-Madeleine ?
- Speaker #0
Je ne sais pas si j'ai une devise, mais voilà la phrase qui me guide, qui m'aide. Le Seigneur te garde au départ, au retour, dès lors et à jamais. Et cette image sur laquelle c'est écrit, elle date de 1961, quand j'étais au couvent. Et on me l'a offerte. Elle est tout le temps, je l'ai toujours gardée. Et souvent quand... Quand ça ne va pas bien, quand j'ai des problèmes de santé, pas beaucoup, ou des problèmes aussi quand il y a des épreuves dans la vie, comme la maladie de ma soeur, la dépression d'une autre soeur. Des fois je me fais du souci, et puis après c'est cette photo du Christ qui marche le long de l'Inde tibérienne, avec cette phrase qui me revient, mais elle est en moi et elle m'aide. Ça m'aime. Il y a une deuxième phrase au dos qui est très jolie aussi. Oui, je l'ai rajoutée il n'y a pas si longtemps que ça. On me la... mais elle est très belle. Je vais la lire.
- Speaker #2
C'est voir quelqu'un de dos, c'est voir les traces de son passage.
- Speaker #0
Oui, c'est pour ça que je l'ai mise sur cette image. Je l'ai entendue, alors je ne sais pas de qui a dit cela, mais j'ai trouvé qu'elle allait bien.
- Speaker #2
Avec l'image en question. On la mettra, si tu es d'accord, on la mettra en photo.
- Speaker #0
Oui, si vous pouvez. Oui,
- Speaker #2
bien sûr.
- Speaker #0
Je la mettrai en photo. Ce que je voulais vous apporter, mais j'ai pas retrouvé la boîte dans laquelle se trouvent les signets. Avant de partir à Jérusalem, j'ai réalisé une petite, toute petite image, je mettrai donc un signet. Et j'ai fait une enluminure. J'aime bien faire des enluminures. Et j'ai écrit Le Seigneur te garde au départ, au retour, dès lors et à jamais Et j'ai offert à tous mes frères et sœurs, les amis, ce signet. Et j'en avais fait beaucoup. C'est une de mes nièces qui m'a aidée. Et quand j'étais reçue chez les personnes, je leur offrais le signet. Et puis, j'ai voulu en faire comme je suis partie, comme je suis passée avec André en Turquie. Ce sont des familles musulmanes qui nous ont reçues. Alors... J'avais fait un autre signet sur fond bleu, toujours avec l'enluminure. Et puis j'avais inscrit au bas, au nom du Dieu clément et miséricordieux. C'est ce qui est au début de chaque surate dans le Coran. Et derrière, je mettais d'où j'étais partie, et puis où je passais et où j'allais à Jérusalem, Terre Sainte. Je mettais un mot soit en italien, en reconnaissant l'allemand, on mettait aussi un petit mot. Et puis après, j'avais appris quelques mots turcs et je les mettais derrière pour remercier les personnes qui nous avaient reçus.
- Speaker #2
Peut-être encore une dernière question. Quel enseignement, peut-être un enseignement principal que tu as tiré des pèlerinages que tu as fait pour les partager à nos auditeurs ?
- Speaker #0
Alors pour moi, je... Je crois que le mot principal, j'ai essayé vraiment de le vivre, c'est le mot fraternité. Accueillir l'autre, quel qu'il soit, et accepter que cet autre puisse me dire aussi un message. Je n'ai pas à juger l'autre, je l'accueille et je fraternise avec lui, quelle que soit sa religion. J'ai rencontré aussi des juifs, j'ai rencontré beaucoup de musulmans. Des orthodoxes des protestants, des athées. Tout au long de mes chemins, j'ai rencontré des personnes qui étaient aussi du point de vue social très différentes et puis de religions différentes. Ce qui prime pour moi, ce qui est premier, c'est la fraternité. Aimer l'autre tel qu'il est. Faire un bout de chemin avec lui aussi, pour moi, c'est important.
- Speaker #1
Alors on arrive à la conclusion de... de cette interview. Alors, on va te demander de te prêter un petit exercice en fermant les yeux. Projette-toi dans l'avenir. Je veux bien que tu fermes les yeux, Marie-Madeleine.
- Speaker #0
Tout de suite.
- Speaker #1
Tu fermes les yeux, tu te projettes dans l'avenir, peu importe le temps, dans l'avenir. À quel endroit est-ce que tu te trouves et qui fais-tu ?
- Speaker #0
Je voudrais pouvoir encore marcher. Puisque j'en ai la forme, ou je ne sais pas, je repense au dernier pèlerinage, j'étais à Tamanrasset dans le sud algérien, ça m'a beaucoup impressionné. Peut-être que je pourrais réaliser à nouveau une marche peut-être au Portugal ou encore en France, il y a beaucoup de chemins que je ne connais pas.
- Speaker #2
Magnifique. Merci beaucoup Marie-Madeleine.
- Speaker #0
Merci, c'était un plaisir. C'était parti.
- Speaker #2
Chers auditeurs, nous espérons que, comme nous, vous vous êtes laissés prendre par le récit de vie de Marie-Madeleine, un témoignage précieux sur une époque pas si lointaine et pourtant oubliée. Alors, cher papa, quels enseignements as-tu retiré de cette interview de Marie-Madeleine ?
- Speaker #1
Eh bien, c'était une interview tout en douceur, pour des clés de vie qui se révèlent au fil de son récit. À plusieurs reprises, Marie-Madeleine évoque des buts qu'elle a cherchés à atteindre, et cela sans succès pour des raisons de santé, de moyens financiers. Et en fait, elle les atteindra par d'autres voies que celles qu'elle avait imaginées. Notamment grâce à sa ténacité, mais aussi par les rencontres qu'elle a faites tout au long de sa vie.
- Speaker #2
Et oui, c'est vrai. Et par exemple, pour les études supérieures qu'elle n'a pas réussi à faire faute de moyens, elle réussira tout de même à continuer de se cultiver en devenant enseignante et en faisant l'école normale. Et ça a... également été le cas concernant sa volonté de devenir missionnaire. Elle le sera, mais sous une toute autre forme, là encore.
- Speaker #1
Autre enseignement, c'est la marche. La marche est au cœur de sa vie, chevillée à elle. A la fois connexion à elle-même, traitement curatif face à la maladie, et mouvement existentiel pour aller à la découverte des autres à travers le monde. C'est sa façon à elle d'incarner sa vocation de missionnaire que je viens de citer. Et cela, sans prosélytisme.
- Speaker #2
Et oui, et il y a également la réciprocité qui anime Marie-Madeleine. Elle rend ce qu'elle a reçu. Elle s'investira bien au-delà de sa mission d'enseignante pour soutenir ses élèves et les faire réussir alors même que leur contexte familial ou social les conduisait à l'échec.
- Speaker #1
Enfin, c'est pas le moindre de ses enseignements, Marie-Madeleine nous livre une grande leçon de fraternité, valeur centrale pour elle construite au sein de sa famille, qu'elle porte au cours de ses pèlerinages. à la rencontre en totale confiance d'autres cultures, d'autres religions.
- Speaker #2
Bah oui, en effet. Pourquoi avoir peur des autres, nous dit-elle avec un étonnement amusé.
- Speaker #1
Merci à vous qui nous avez écouté jusqu'au bout. Si vous avez des questions, des remarques ou des suggestions d'invités, écrivez-nous à sensévie.lepodcast at gemmine.com Nous serons ravis de vous répondre.
- Speaker #2
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- Speaker #1
Si ce podcast a répondu à vos attentes, c'est ce que nous espérons, faites-le savoir en nous laissant un avis étoilé et en le partageant autour de vous. Merci encore de votre écoute et à très bientôt.