- Speaker #0
Bonjour à tous et bienvenue dans Superdocteur, le podcast des soignants qui veulent soigner autrement. Imaginez un patient qui vous dit en consultation « Docteur, j'entends battre mon cœur dans mon oreille. » Un symptôme étrange, déroutant, parfois tellement envahissant qu'il gâche le quotidien. Certains patients en viennent à douter de leur santé mentale ou même à envisager le pire, tant la gêne est intolérable. Dans la majorité des cas, on parle d'acouphène, mais lorsqu'il est pulsatile, Ce bruit intérieur peut révéler une pathologie identifiable et surtout, traitable. Le problème, c'est que ce diagnostic reste encore largement méconnu, y compris chez les soignants, et beaucoup de patients restent des années sans réponse. Pour nous éclairer sur l'acouphène pulsatile, j'ai l'honneur d'accueillir aujourd'hui le professeur Emmanuel Houdard. Professeur de médecine, neuroradiologue à l'hôpital Lariboisière à Paris, il est l'un des plus grands spécialistes de cette pathologie. Avec lui... On va comprendre ce qui se cache derrière ce bruit qui bat au rythme du cœur, explorer les mécanismes, le parcours diagnostique, les traitements, et surtout, la place du médecin généraliste dans cette véritable enquête clinique. Bonjour Emmanuel.
- Speaker #1
Bonjour Mathieu, et bonjour à tous.
- Speaker #0
Je vous remercie beaucoup Emmanuel d'avoir accepté mon invitation. Vous êtes donc neuroradiologue. On va peut-être commencer par la base. Est-ce que vous voulez, s'il vous plaît, m'expliquer ce qu'est... la neuroradiologie interventionnelle et en quoi un neuroradiologue peut être compétent pour le diagnostic d'un symptôme qui relève plutôt de la sphère ORL ?
- Speaker #1
Oui, tout à fait. Alors la neuroradiologie interventionnelle est une spécialité qui est née dans les années 70 et qui a connu un essor très important ces 30 dernières années. Alors si j'avais la résume née en deux mots... D'abord, on entend trois racines, un neuro qui renvoie au cerveau, radio qui renvoie au rayon et intervention qui renvoie à une intervention. En fait, ça consiste à intervenir sur une anomalie d'un vaisseau cérébral en passant par les voies naturelles que sont les artères et les veines. Donc on opère le cerveau sans ouvrir la boîte crânienne par un point de ponction d'une artère périphérique ou d'une veine périphérique. Pour vous donner un exemple, en urgence, désobstruent les artères cérébrales quand il y a un AVC, ou on bouche un anévrisme qui s'est rompu et qui a donné lieu à une hémorragie méningée. Mais à côté de ces cas d'urgence, qui sont importants bien sûr, il y a l'effectu des interventions programmées, soit sur des anévrismes par exemple, soit sur d'autres pathologies, dont des pathologies qui peuvent donner lieu à symptômes chroniques invalidants. Et comme avant toute intervention, chirurgicale, parce que c'est de la chirurgie qui dépasse au nom, on reçoit les gens en consultation pour faire le diagnostic, le confirmer, leur expliquer l'intervention qu'on peut leur proposer, le cas échéant, et puis obtenir leur consentement, bien sûr. Donc, ça signifie qu'un ororadiologue interventionnel a une activité opératoire, mais une activité de consultation, ce qui est assez rare en radiologie finalement. Par exemple, dans mon service, on a trois salles de consultation qui sont pleines tous les jours. Et donc, en ce qui concerne le symptôme qui nous intéresse, pourquoi est-ce que ça relève de la neuroradiologie interventionnelle ? Parce que historiquement, la première cause qui a été identifiée, qui était l'acouphène pulsatile, a été une cause traitable par voie neuroradiologique. Et on va voir que l'essentiel des causes d'acouphène pulsatile sont traitables par voie neuroradiologique, d'où le développement ensuite. de la prise en charge de ce symptôme par des neuroradiologues internationaux qui se sont un peu intéressés, ce qui est mon cas, à ce symptôme à cause du retentissement extrêmement invalidant qu'il peut avoir.
- Speaker #0
Très bien, je vous remercie beaucoup pour ces précisions. C'est important de savoir déjà de quoi on parle. Du coup, ce qui m'amène à ma deuxième question, est-ce que vous pouvez me préciser tout simplement qu'est-ce qu'un acouphène ?
- Speaker #1
Alors, un acouphène, c'est défini comme un son simple perçu en absence de son extérieur. C'est donc un son que un patient est le seul à entendre. L'adjectif simple permet de distinguer un acouphène d'une hallucination auditive, qu'elle soit d'origine psychiatrique ou neurologique, qui occasionne dans l'hallucination un son complexe, comme une phrase ou une musique. Dans l'acouphène, c'est un bruit qui est monotone et répétitif. L'acouphène, il faut le savoir, c'est un symptôme fréquent. Puisqu'on estime environ qu'il y a 4 millions de Français qui en souffrent. Donc, ce n'est pas une pathologie mineure.
- Speaker #0
Très bien, c'est clair. Du coup, vous parlez et votre spécialité, vous êtes spécialiste de l'acouphène pulsatile. C'est donc que tous les acouphènes ne se ressemblent pas, c'est ça ?
- Speaker #1
C'est exactement ça. Et c'est cette nuance qui manque, hélas, beaucoup au corps médical. Je ne jette la pierre à personne, mais c'est ça que je cherche à faire changer. En fait, le mot acouphène devrait toujours, toujours être accompagné d'un adjectif qui qualifie le son entendu. Il y a en gros deux types d'acouphènes. Et c'est très simple d'en faire la distinction, juste par l'interrogatoire. C'est un diagnostic d'interrogatoire, puisqu'un acouphène est une perception. C'est comme la douleur, c'est que l'interrogatoire qui vous permet de dire que quelqu'un a mal. Vous ne pouvez pas le vérifier, objectivement. Il faut, devant toute personne qui se présente en disant « j'entends un bruit dans une oreille » , lui demander ce que je fais en consultation. « Est-ce que vous entendez ? » ou « Est-ce que vous entendez ? » ou boum, boum, boum. Si c'est un bruit un peu aigu, généralement un 4 mHz en gros, ça, c'est l'acouphène dit de timbre continu. On peut résumer en disant acouphène continu, c'est le plus fréquent. Mais si c'est un bruit qui est rythmé par le cœur, c'est ça qui définit l'acouphène pulsatile. Et cette distinction, elle est essentielle, et de ne pas la faire, ce serait un peu... Pour moi, comme si un collègue médecin recevant quelqu'un qui se plaint d'une douleur n'en précisait pas la localisation. Si vous voulez, une douleur de la tête, ça ne s'explore pas de la même façon qu'une douleur de la gorge, une douleur thoracique ou qu'une douleur abdominale. Eh bien, c'est vraiment du même niveau. Il ne faudrait pas parler de douleur, il faut dire une douleur céphalique, une douleur thoracique ou une douleur abdominale. Eh bien, on ne devrait pas parler d'acouphène tout court. On devrait dire que c'est un acouphène continu ou un acouphène plus tactile.
- Speaker #0
Très bien, je vous remercie pour cette précision. Je crois que c'est le premier message important de notre discussion, c'est de veiller à caractériser l'acouphène. L'acouphène, ce n'est pas suffisant. Il faut aller plus loin simplement en posant des questions et veiller avec son patient en consultation à caractériser cette acouphène et notamment à caractériser son caractère pulsatile ou non. Mais du coup, du point de vue médical, en quoi cette distinction est importante ?
- Speaker #1
Cette distinction, elle est essentielle. L'acouphène continue, on peut dire que c'est un symptôme maladie. C'est-à-dire que ce bruit linéaire, horizontal, c'est un mystère depuis Hippocrate. On ne trouve rien sur les explorations radiologiques, on ne trouve rien, ni dans le cerveau, ni dans l'oreille interne, et fait malheureux, on n'a pas... traitement médical actif. En dépit de toutes les recherches, pour l'instant, il n'y a pas un médicament, parce qu'il arrive dans les symptômes maladie, par exemple je pense à la migraine, c'est un symptôme maladie aussi, on ne sait pas très bien à quoi c'est dû, mais on a des traitements qui sont actifs. Malheureusement, dans l'acouphène continue, on n'a rien. Et donc, parce que l'acouphène continue est le plus fréquent, 90 à 95% des acouphènes sont de timbre continu. On en oublie les 5 à 10% qui sont pulsatiles, qui, eux, reconnaissent des tas de causes curables. Curable, c'est très important. Curable, ça veut dire que par une intervention, l'acouphène disparaît, l'acouphène pulsatile. C'est-à-dire que des gens qui entendent comme ça dans l'oreille, au réveil, n'entendent plus rien. Donc, vous voyez que... Vous conviendrez que pour un patient qui souffre d'un acouphène pulsatile, c'est très regrettable de s'étendre ennuyer pendant des années. C'est un acouphène, tout court, on ne peut rien faire. Ce fatalisme, c'est vraiment ça qui règne. C'est d'autant plus regrettable que vous voyez que quelques secondes d'écoute et d'interrogatoire suffisent, pas en redressant, en mettant un adjectif qualificatif, à changer la vie de quelqu'un.
- Speaker #0
C'est passionnant parce qu'en vous écoutant, je me rends compte qu'il y a peut-être des milliers, peut-être des dizaines, peut-être des centaines de milliers de patients qui ont été étiquetés à un moment donné de leur histoire par un diagnostic trop flou et qui n'ont donc pas mérité avoir une prise en charge adaptée. Donc, on aurait pu les guérir de cette acouphène pulsatile. C'est passionnant. Du coup, en me penchant sur vos travaux, Emmanuel, vous avez passé votre vie à travailler la question de l'acouphène pulsatile. J'ai cru comprendre et je sous-estimais le caractère invalidant de cette pathologie. Est-ce que vous pouvez me décrire un petit peu ce que vous racontent vos patients ? À quel point cette pathologie peut être invivable pour certains ? Et je crois même que certains de nos patients envisagent le pire tellement psychologiquement. Cet acouphène pulsatif est invivable, c'est ça ?
- Speaker #1
Oui, c'est tout à fait ça. C'est un des symptômes les plus invalidants. Imaginez d'ailleurs que vous entendiez à la cadence de votre cœur. Donc quand vous faites par exemple du sport, ça va s'accélérer. Quand vous avez une activité relationnelle caline, ça s'accélère. Donc vous imaginez le retentissement sur le... la vie affective, la libido, tout ce que vous pouvez avoir qui peut accélérer votre cœur, c'est insupportable. Il y a des gens qui me disent que leur vie est un calvaire, il y a des gens qui me parlent au suicide, et je suis malheureusement informé du suicide de deux collègues médecins qui ont motivé leur acte à cause de l'oracouphène pulsatile. et à cause de l'enfer que ça pouvait être. Donc, ceci est... D'ailleurs, il y a une étude qui est parue à propos du retentissement d'un acouphène en termes de qualité de vie. Eh bien, il faut savoir que c'est le même retentissement, la même réduction de qualité de vie que des gens qui ont une insuffisance rénale chronique. nécessitant une hémodialyse, vous voyez ce que c'est que l'hémodialyse, c'est-à-dire que c'est trois séances par semaine, quatre heures à l'hôpital, à se faire piquer. Eh bien ça, ça occasionne le même retentissement qu'un acouphène, une pulsative. Donc, vous voyez que... D'ailleurs, c'est très surprenant parce que quand je parle à des collègues médecins de ces malheureux collègues qui se sont suicidés, ils n'en reviennent pas, ils me disent que c'était des dépressifs. Bon, c'est très curieux parce que... On admet en médecine que certaines douleurs soient suicidantes. Je pense par exemple à la névralgie du trésumeau. Avant qu'on ait des traitements, on la classait dans les douleurs suicidantes, le tic douloureux de la face. Et on ne peut pas admettre qu'un acouphène puisse être suicidant. C'est étrange, et on pourra en reparler. Je pense que ça vient du fait que tout le monde... y compris les médecins, ont eu mal un jour dans leur vie, et que le mécanisme, l'opération du parallèle qu'on effectue avec soi-même s'opère dans le cadre d'une douleur, alors que tout le monde n'ayant pas ressenti un acouphène et a fortiori un acouphène fiatile, si on ne le penche pas dans la souffrance des gens, si on a le temps de les écouter et de voir ce que ça implique dans leur vie, et le temps de les voir pleurer par exemple, eh bien on ne peut pas compatir. On ne peut pas ressentir de l'empathie et on ne peut pas comprendre cette souffrance.
- Speaker #0
C'est passionnant, phénoménologiquement. C'est-à-dire que comme c'est une sensation qu'on ne vit pas la majorité du temps, en tant qu'être humain, parce qu'on ne souffre pas d'acouphènes pulsatiles, on ne peut pas se rendre compte à quel point c'est invalidant. Du coup, on a du mal à faire le lien avec ces patients qui s'en plaignent. C'est très intéressant. Du coup, Emmanuel, quelle est la signification d'un acouphène pulsatile ? Et est-ce que vous pouvez me dire quand est-ce qu'il faut y penser ?
- Speaker #1
Alors, quand il pensait, premièrement, si vous avez un patient qui se présente en disant « j'entends pas que mon cœur dans mon oreille » , partez de l'idée qu'il n'est pas fou. Il entend, il a un acouphène pulsatile. Mais même s'il n'a pas prononcé cette phrase, parce que ce n'est pas toujours évident, quelqu'un vous consulte pour un acouphène en disant « j'entends un bruit dans une oreille » , il faut, je le répète, c'est le message essentiel. Prenez 10 secondes et dites, est-ce que vous entendez ? Et moi, je le dessine. Je fais une ligne horizontale. Ou est-ce que c'est pchit, pchit ? Ou boum, boum, boum ? Parce que ça peut être un timbre soufflant ou d'un timbre un peu sourd. Si c'est ça, si c'est le pchit, pchit, pchit, c'est un akoufène de saty. Alors maintenant, comment l'expliquer ? Comment un jour, on se met à entendre son cœur battre dans une oreille ? Pour le comprendre, il y a un modèle physiopathologique qu'on a construit. à partir de l'observation de différentes causes d'acophènes pulsatives. Ce modèle part de l'idée, il faut l'avoir compris, que tous les liquides intracrâniens, c'est-à-dire le sang artériel, le sang véneux, mais aussi le liquide céphalo-archinien, sont pulsatiles. C'est assez curieux parce que le cerveau n'est pas un organe contractile. Mais à chaque systole, les artères ébranlent la malle cérébrale et cet ébranlement est transmis. aux grosses veines, aux sinus veineux, et aux liquides céphalo-archidiens. Donc en fait, tous les liquides intracrâniens sont pulsatiles et donc peuvent être à l'origine d'un acrène pulsative. La seconde question, c'est comment un liquide pulsatile peut-il devenir un jour audible par la cochlée ? Il y a deux maîtres mots qui sont turbulence et déhiscence. Qu'est-ce qu'une turbulence ? C'est l'augmentation de la sonorité d'un flux vasculaire. À l'état normal, dans tous nos vaisseaux, sauf dans la horte ascendante, tous les flux sont laminaires et donc non sonores. Un flux devient turbulent. C'est exactement comme une rivière qui s'écoule, on ne l'entend pas, et s'il y a une cascade, s'il y a un dénivelé, ça devient une cascade, et là, ça devient extrêmement sonore, quand les vecteurs létidiens s'entrechoquent entre eux, si vous voulez. Donc une cascade est placée près de l'oreille. Le deuxième mot, déhiscence, ça veut dire perte de la couverture osseuse. Normalement, l'oreille interne est isolée de tous les liquides avoisinants par de l'os. Eh bien, vous savez qu'on a un phénomène d'ostéopénie qui commence à partir de 25 ans. Sur un os congénitalement fin ou par d'autres mécanismes, on peut perdre de l'os et mettre en relation une partie de l'oreille interne avec un liquide. À ce moment-là, avoir un acouphène bixative. L'exemple que je prends pour mes patients, c'est de dire que c'est comme si vous vous trouviez dans une pièce avec une canalisation. qui est recouvert d'un coffrage, vous retirez le coffrage, vous collez votre oreille sur la canalisation, vous allez entendre l'eau circuler dans la canalisation. C'est exactement ça le mécanisme de l'adhéissance, ou dans nos cas. Quand on explore un acouphène pulsatile, ce qui est là pour le coup l'affaire du spécialiste, je tiens à le dire, le rôle du généraliste est essentiel pour faire le diagnostic positif de l'acouphène. pulsatiles. Et là, c'est l'interrogatoire. Ensuite, il faut adresser à quelqu'un qui va explorer la cause, rechercher la cause. L'exploration, elle est non-invasive, elle passe par deux examens. Une IRM un peu spécifique, c'est pas une IRM cérébrale standard, parce que le cerveau n'a rien, c'est les vaisseaux du cerveau qui ont quelque chose. Donc c'est une IRM qui est centrée sur l'exploration des vaisseaux, la recherche d'une turbulence. Et deuxièmement, un... scanner, non pas du cerveau encore, mais de l'os qui entoure l'oreille, qu'on appelle le rocher. Donc c'est un scanner des rochers qu'il faut faire pour rechercher une déhiscence. Et ce bilan doit toujours être confronté à un examen clinique. Parce que certaines des images qu'on peut diagnostiquer au cours de ce bilan peuvent se rencontrer chez des gens qui n'ont pas d'acouphène pulsative. Donc là, il y a un examen physique. On va le voir en fonction des causes retrouvées.
- Speaker #0
Très bien, merci pour ces précisions. Je rappelle les deux causes anatomiques, donc vasculaires de l'acouphène pulsatile. C'est soit des phénomènes de turbulence vasculaire, soit des déhiscences avec des anomalies de la paroi ou du contenant des vaisseaux. Bravo, vous êtes bien arrivé à la fin de cette partie. La suite vous attend dans le prochain épisode. Pour ne rien manquer de Superdocteur, pensez à vous abonner dès maintenant à ce podcast. Et si vous aimez mon travail, le meilleur moyen de me soutenir, c'est d'en parler autour de vous, à vos consoeurs ou vos confrères. Enfin, un petit geste qui fait une grande différence. Laissez-moi une belle note de 5 étoiles sur votre application de podcast préférée. Ça m'encourage énormément et ça aide d'autres médecins à découvrir Superdocteur et partager ensemble des idées pour améliorer nos soins et enrichir nos pratiques. A très vite sur le podcast !