- Speaker #0
La biodiversité, c'est l'interaction de l'ensemble du vivant. Et donc, quand on va agir avec une collectivité, quand on va lui conseiller de fonctionner ou de créer des trames vertes, par exemple, ou avoir des politiques de renaturation, ce n'est pas juste de faire un point où il va y avoir, on va planter trois arbres. Il faut voir comment tout le vivant fonctionne autour.
- Speaker #1
Quand on entre dans le bureau de Julie Colombat, difficile de rater Dourgui. La loutre en peluche ne quitte plus la directrice de l'Agence bretonne de la biodiversité, même dans ses déplacements. Il faut dire que la petite mascotte, symbole de la reconquête de la qualité des eaux, joue à merveille son rôle d'ambassadrice. C'est donc sous l'œil bienveillant de Dourgui que s'est déroulé l'enregistrement de ce nouvel épisode de Synapse, le podcast sur les transitions. en Bretagne. Julie Colombat a pris ses fonctions à la tête de l'Agence bretonne de la biodiversité début 2024. Depuis, elle met toute son énergie à l'accompagnement des porteurs de projets autour de cette vaste thématique qu'est le vivant.
- Speaker #0
La première des cibles, c'est quand même la collectivité et la collectivité au sens large, c'est-à-dire que ça peut être aussi bien effectivement une commune, une petite commune rurale qui choisit d'avoir une action sur son territoire parce qu'elle a... Elle a décidé, par exemple, qu'elle veut être accueillante pour la biodiversité, mais aussi accueillante parce que c'est un élément d'accueil des populations. Donc, dans cette démarche-là, elle peut très bien avoir une démarche, parfois, qui commence par un atlas de la biodiversité communale. Donc, la connaissance de ce qui se passe sur son territoire, la diffusion auprès de la population, et puis après, avoir un plan d'action qui permette d'être, justement, à partir de la connaissance qu'on a, d'agir. Ça peut être aussi à l'échelle d'une communauté d'agglos, enfin une communauté de communes, donc là où on a une action un peu plus large, où on peut travailler sur des trams, sur des déplacements d'espèces plus importants. Et puis après, c'est aussi du coup à l'échelle du pays, à l'échelle du département et puis à l'échelle régionale, la mise en œuvre des politiques. Donc les collectivités à tous les niveaux. Et puis après, on accompagne aussi les acteurs associatifs qui sont des acteurs... très très présents en Bretagne et avec un mouvement associatif fort. Donc du coup, là où il y a parfois des besoins, que ça soit en consolidation de leur structure, de leur financement, en les mettant en lien aussi avec tous les appels à projets qui existent, donc comment est-ce qu'ils peuvent financer leurs projets. Donc il y a cette expertise sur toutes les finances publiques liées à la biodiversité. Et puis on peut aussi, et ça c'est assez nouveau pour l'agence, mais c'est normal, elle est assez jeune. Finalement, aller vers la cible entreprise puisque les entreprises ont tout naturellement un impact sur le territoire, simplement parce qu'elles sont installées à un endroit et donc à minima sur ce qu'on appelle la biodiversité in situ, c'est-à-dire sur leur site de production, mais aussi sur l'ensemble de la chaîne de valeur qu'elles doivent étudier pour pouvoir voir aussi bien leur dépendance à la biodiversité, parce que ça c'est quelque chose qui est quand même assez nouveau. En fait, la ressource, elle n'est pas inépuisable. Maintenant, ça commence à être quand même une réalité. Et du coup, c'est comment est-ce qu'on intègre cette dépendance comme un facteur important, comme on a pour une entreprise, par exemple, intégrer la dépendance à la question de l'énergie. Et ces derniers temps, on a eu cette problématique-là qui est arrivée très fortement. Cette dépendance aux vivants, elle est aussi souvent très forte et pas assez connue. Il y a ce côté en amont et puis en aval aussi, finalement, quels sont les impacts que l'entreprise peut avoir sur le vivant, sur la biodiversité. Ce qui est important, c'est de le raccrocher aussi à une logique de territoire. C'est-à-dire une entreprise, elle vit dans un territoire, elle est adossée à une collectivité en général, elle a ses salariés qui sont des habitants souvent de la collectivité, qui sont proches, donc on a une responsabilité partagée en fait sur cette dynamique de territoire. On a beaucoup agi depuis pas mal d'années sur l'éducation à l'environnement en milieu scolaire et ça, c'était très bien parce qu'effectivement, il fallait prendre aussi, faire prendre conscience aux plus jeunes de la fragilité du vivant et ils sont très, très ouverts à ça. Et aujourd'hui, ces mêmes personnes, elles sont dans des entreprises, elles travaillent dans des entreprises et du coup, c'est là où aussi on peut continuer à montrer qu'il y a des solutions qui existent et qu'on peut tous les mettre en route ensemble. C'est toujours un peu frustrant pour nous parce que ça fait des années qu'on porte ce discours sur la fragilité du vivant et sur la nécessité de le préserver. Et finalement, les scientifiques ont fait beaucoup de choses. Ils sortent des chiffres. L'IPBES est là pour sortir tous ces chiffres. Mais parfois, ça ne suffit pas pour passer à l'action. Et donc, on s'est aperçu qu'en parlant climat et en parlant... aujourd'hui, solutions fondées sur la nature. Dans l'équipe, il y a une personne qui est vraiment spécialiste de cette question-là et qui, du coup, voit que la porte, elle s'ouvre beaucoup plus parce que les acteurs sont plus sensibles à ça. Déjà, ils sont directement impactés, alors qu'ils ont l'impression que le vivant, finalement, ça ne les impacte pas. Alors que la question climatique, je pense qu'en Bretagne particulièrement, mais dans toutes les régions de France, on a cette question-là. Un pacte fort et réel. Et donc, du coup, quand on aborde les questions de biodiversité ou en tout cas de solutions fondées sur la nature et d'expliquer pourquoi, quand on a un vivant qui est, je dirais, en bon état, du coup, notre territoire va être plus résilient aux impacts climatiques. Ça fonctionne, ça marche mieux. Donc, du coup, voilà, on se dit, allons-y.
- Speaker #1
Vous auriez un exemple, justement, d'un projet avec cette entrée par la thématique climat ? et ensuite qui embarquent le vivant, la biodiversité ?
- Speaker #0
Alors, oui, il y a pas mal d'exemples. L'exemple que je pense tout un chacun connaît, c'est la question de la renaturation des cours d'école, par exemple. C'est des actions qui sont finalement assez simples et qui amènent effectivement des effets sur le climat, parce qu'effectivement, là, on est sur... Il y a déjà tout l'effet que peuvent procurer les arbres ou la nature. Donc dans le rafraîchissement urbain, ça c'est connu et c'est mesuré. Il y a l'effet aussi qu'apporte sur les questions de ruissellement des eaux. Quand on renature aussi une cour d'école, on va aller déconnecter finalement des réseaux. Donc on va mettre moins de pression d'eau dans les réseaux gris, les tuyaux qui font qu'on va traiter cette eau. Donc du coup, naturellement, l'eau de pluie, elle va... s'infiltrer dans nos nappes phréatiques et c'est quand même beaucoup mieux pour avoir une résilience aux épisodes de sécheresse et puis aussi au coût de traitement des os bien sûr. Et puis ça va apporter cet aspect quand même beaucoup plus agréable et ludique pour les enfants. Et puis on peut créer un corridor vert et les oiseaux vont venir, il va y avoir une renaturation naturelle. avec souvent pas grand-chose à faire, juste à enlever du béton et à créer des zones où la nature peut venir s'implanter. Alors bien sûr, on va planter des arbres, mais il y a aussi beaucoup de choses qui se passent naturellement. Donc voilà, un exemple très très simple. Après, d'autres exemples qui, je pense, sont intéressants et qui peuvent parler aux Bretons, c'est la question du littoral, puisqu'on fait face à une montée des eaux et une érosion du littoral. Et donc du coup, face à ça, recréer des cordons d'une aire plutôt que de faire des digues, qui sont des solutions en dur, comme on dit, qui coûtent très cher, et qui finalement vont créer... La digue va protéger un endroit, mais elle va créer d'autres mouvements d'eau qui vont accélérer l'érosion sur les côtés qui ne sont pas protégés par la digue. Et par exemple, à Quiberon, il y a eu un travail important sur la presqu'île de Quiberon, à Gavre. qui a été fait, où on a recréé un cordon dunaire, qu'on a protégé, bien sûr, du piétinement humain. Il y a des petits chemins de bois qui sont faits pour qu'on puisse accéder à la plage. Et du coup, le cordon dunaire et la végétation qui va s'y installer vont permettre de stabiliser la plage et la dune, va protéger finalement, beaucoup mieux qu'une digue, les habitations derrière. Donc ça, c'est des solutions qui sont... qu'on met en œuvre doucement, parce que bien sûr, ça induit un certain nombre de changements. Ça veut dire que peut-être qu'on va enlever un parking à ce moment-là pour recréer le cordon d'une aire. Peut-être qu'on va être aussi amené demain, et ça, c'est des vraies questions, à déloger quelques habitations qui sont très, très fortement menacées aujourd'hui. Et ça, les chiffres, il y a des plans de prévention, des risques qui mettent très clairement en image les habitations qui sont menacées. Donc voilà, ça va demander d'avoir une... Autant quand on fait une cour végétalisée, quoique les premières cours végétalisées, les parents ont souvent été vent debout contre ces actions, ou même les enseignants eux-mêmes, parce que ça a amené plus de saleté dans l'école, avec de la terre et des choses comme ça. Mais aujourd'hui, le concept est très bien partagé. Par contre, sur la question du littoral, c'est vrai que c'est... Ça nécessite une concertation, ça nécessite un accompagnement aussi avec l'ensemble de la population, qui n'est pas évident et ça se comprend. On est habitué à un usage du bord de mer qui est particulier et il faut qu'on change nos habitudes. Et ça, c'est un travail qui est de longue haleine. Nous, on va apporter des solutions qui sont des solutions techniques, mais ça veut dire que ça doit se faire avec la collectivité et avec un accompagnement sur la transition. Ce n'est pas aussi simple que ça. On a conscience, parce que souvent, les scientifiques arrivent en disant, il faut faire ça. Mais ça ne suffit pas. Il faut aussi se mettre à la place de la population et accompagner cette transition.
- Speaker #1
Alors vous Julie Colombat, vous êtes arrivée à l'Agence bretonne de la biodiversité en début d'année. Quel est votre parcours ? Qu'est-ce qui vous a menée ici à Brest et en Bretagne ?
- Speaker #0
J'ai quand même toujours été dans mon parcours sur des questions environnementales, en milieu associatif d'abord en Rhône-Alpes et puis après... en milieu, je dirais, plus politique public en Ile-de-France, puisque je dirigeais l'Agence régionale de biodiversité d'Ile-de-France pendant une petite dizaine d'années. Et donc, du coup, je suis arrivée ici effectivement parce que j'avais aussi un besoin de nature et de sortir de cet univers quand même qui est très, très urbanisé en Ile-de-France et par choix sentimental aussi. Après, pourquoi la Bretagne ? Je pense que... J'avais envie aussi de me confronter. Moi, je suis d'origine savoyarde, donc je suis un peu habituée aux espaces, aux grands espaces. Et l'idée de découvrir aussi une autre région, des choses nouvelles à apprendre finalement. Ce qui m'intéressait dans ce poste, c'est que j'avais géré le milieu plutôt montagne, forêt, en Rhône-Alpes. En Ile-de-France, c'était quand même l'aspect très nature en ville. Et du coup, là, c'était aussi de me confronter et d'apprendre des acteurs du monde de la mer. Alors, ce n'est pas toujours évident parce que la biodiversité terrestre et la biodiversité marine sont aujourd'hui dans les compétences des acteurs un peu partagés. On n'est pas toujours très en lien, mais c'était de se dire, il y a un territoire qui est nouveau, il y a une problématique maritime qui est forte. Et dans la culture aussi, qui est quand même très, très présente. Il se trouve qu'en plus, je navigue. Donc voilà, c'est un terrain de jeu que je connais de l'autre côté, à partir de la mer. Et voilà, cette envie de découvrir. Et puis aussi, je pense que c'est une région qui m'a beaucoup plu par sa dynamique culturelle, sa force. Vraiment, c'est une population et une région qui est très forte, qui est très engagée. Même sur les questions environnementales, individuellement, même si des fois, globalement, politiquement, ce n'est pas toujours le cas. Il y a des vraies problématiques avec le monde agricole, très clairement. On ne va rien cacher quand on parle des algues vertes et de cette problématique en Bretagne. Mais il y a une force de vie qui est très forte et c'est ça qui m'a plu dans cette région.
- Speaker #1
Quand on arrive justement de la région parisienne avec, vous l'avez dit, un environnement très urbain, qu'on arrive ici, qu'est-ce qui est marquant dans, alors c'est peut-être très général, mais la biodiversité bretonne ? Qu'est-ce qui la caractérise ? S'il fallait sortir des grands traits, qu'est-ce que vous pourriez dire ?
- Speaker #0
On a souvent l'image peut-être un peu idyllique de la Bretagne avec des paysages incroyables, que ce soit dans les monts d'Arrée, la forêt de Brosséliande ou tout le littoral extraordinaire. Mais… La Bretagne a quand même un souci sur la question de l'artificialisation des sols. On est, d'après les chiffres du SRADET, donc ça c'est vraiment les chiffres officiels donnés par la région, on est à 11,4% des surfaces qui sont artificialisées. Et c'est quand même des chiffres qui nous mettent aujourd'hui en taux d'artificialisation au même niveau, voire juste en dessous de l'île de France. finalement, quand on pense arriver sur un territoire qui est très naturel, on est aujourd'hui à 80% sont des terres agricoles sur le territoire breton. Donc, entre les terres agricoles et les terres artificialisées, finalement, il n'y a pas énormément d'espace naturel aussi important que ce qu'on imagine. Et du coup, entre les pollutions liées aux pratiques agricoles et l'artificialisation des sols, on voit qu'on a les deux principales... pression donnée par l'IPBES sur les questions de biodiversité. Et donc automatiquement, c'est tout ce qui arrive derrière en termes de mise en œuvre du zéro artificialisation net, mais qui amène aussi beaucoup d'autres questions sociales. Parce que pourquoi est-ce qu'on artificialise ? C'est que globalement, tout le littoral est essentiellement pris à des tarifs qui sont... complètement inabordables pour la population. Donc les gens vont toujours plus loin sur le territoire pour se loger. Il y a un vrai problème de logement lié au tourisme et lié à tout l'habitat secondaire. Et donc cette problématique, elle est prise en compte aujourd'hui par les collectivités qui se disent Ben oui, on ne peut pas continuer à s'étendre d'ailleurs. La loi, même si elle est remise en cause par le gouvernement actuel, mais elle a quand même été votée, la loi zéro artificialisation nette. Donc... Comment est-ce qu'on agit quand on veut que la population puisse se loger à côté de là où elle travaille ? Donc il y a ce vrai problème qui est en fait un problème plutôt social en Bretagne et qui du coup a des conséquences sur la biodiversité et sur les espaces naturels. Donc ça, c'est un souci. Après, en Bretagne, on a une responsabilité sur la question de préservation du littoral pour les oiseaux nicheurs. On a 43% des oiseaux nicheurs qui sont sur les 160 espèces. évaluées en Bretagne. On a 43% qui sont menacés à court terme en Bretagne. Donc c'est quand même important. Ça veut dire qu'il faut qu'on préserve les falaises, il faut qu'on préserve les espaces littoraux, que ça soit de la pression humaine quand on parle de construire ou on parle juste d'un usage touristique. Aujourd'hui, de plus en plus, quand vous allez sur des espaces naturels en bord de mer, vous voyez qu'il y a des espaces qui sont protégés. On a recréé des endroits où les oiseaux peuvent venir nicher. Et ça, c'est très important. Et d'informer la population, de dire, à cette époque-là, si vous allez à cet endroit-là, vous allez écraser des oiseaux nicheurs. Et donc, il y a des impacts importants, puisque c'est un endroit, ou en tout cas, c'est une région, qui accueille énormément d'oiseaux nicheurs. Donc, cette responsabilité-là de la Bretagne, il faut continuer à la porter. Et elle est importante. Quand on est dans l'action, on n'est pas au moins touché par les poids-anxiété. On voit des choses se faire. Alors, bien sûr qu'on est souvent frustré parce qu'on voudrait faire dix fois mieux, mais déjà, il y a des petits pas qui se font. Et ça, c'est super important. Moi, je travaille dans cet environnement-là depuis quand même plus de 25 ans. Je vois les choses s'organiser, je vois les mentalités changer. Et les dialogues aussi s'instaurer entre les filières socio-professionnelles, les acteurs de la protection de l'environnement, les services de l'État, les services publics, en tout cas qui interagissent sur cette question de biodiversité, et le monde de la recherche. Donc les choses se mettent en route. C'est plus long que pour les questions climat ou les questions énergie, par exemple, où là, les enjeux étaient plus clairs, les solutions étaient plus claires. La biodiversité, ce n'est pas toujours évident parce que C'est un mélange et c'est une alchimie de tous vivants. Mais oui, j'ai espoir.
- Speaker #1
C'était Synapse, le podcast de l'agence Conseil en transition Hippocampe. Merci à Julie Colombat, directrice de l'agence bretonne de la biodiversité. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site biodiversité. Et pour découvrir un nouveau parcours inspirant, rendez-vous dans un mois. En attendant, je compte sur vous pour parler de synapses autour de vous. A très vite !