- Speaker #0
Bienvenue dans Celles de la Terre, une série de portraits aux féminins. Dans cette première série, je vous propose de partir à la rencontre de 8 femmes qui vivent et travaillent dans le monde agricole. Je vous emmène avec moi dans l'Ain, l'Allier, la Drôme, le Puy-de-Dôme et on ira aussi dans le Rhône. Ces femmes, aux profils pourtant différents, ont un point commun. Elles ont choisi, parfois contre toute attente, de s'ancrer dans cette vie avec force et conviction. Au fil des épisodes, elles nous raconteront ce qui les anime et surtout pourquoi elles se sentent à leur place. Parce qu'au-delà des clichés, ces femmes trouvent dans ce métier exigeant une vraie forme d'épanouissement. Alors que vous soyez proche ou loin de ce monde, je vous invite à tendre l'oreille. Partons ensemble au cœur de leurs histoires. Celles de la Terre. Épisode 2. Les multiples casquettes de Christine. Depuis 1993, Christine est chef d'exploitation sur une ferme familiale de 300 hectares en grande culture céréalière spécialisée en maïs. Elle travaille avec un associé et développe une activité originale, la production de popcorn. La soixantaine, Christine est une femme motivée et passionnée par tout ce qu'il y a de nouveau. Autodidacte, elle porte plusieurs casquettes et aime particulièrement apprendre pour transmettre ce qu'elle sait. Au départ, rien ne la destine à faire ce qu'elle fait aujourd'hui. Et pourtant, vous verrez que par amour, un avenir d'entrepreneur s'ouvre à elle. Je me rends à Toulon-sur-Allier, dans le Val d'Allier-Bourbonnet, et retrouve Christine qui m'accueille avec impatience dans le bureau de son exploitation, où elle me raconte son histoire.
- Speaker #1
Pour la petite histoire, mes parents n'étaient pas agriculteurs. Par contre, mes grands-parents étaient agriculteurs. J'ai passé une bonne partie de mon enfance, du moins toutes les vacances, chez mes grands-parents. Ce n'était pas une vie facile. Moi, j'y ai passé des moments très heureux. Mais j'ai aussi vu la vie de mes grands-parents, qui était quand même assez rude. Donc je ne peux pas dire que c'est quelque chose qui me tentait. A l'origine, j'ai fait des études littéraires. Et après, je suis partie à Clermont en fac de droit. Et puis, catastrophe ou pas, non, ce n'est pas une catastrophe. Je suis tombée amoureuse de l'agriculteur et c'est comme ça que je suis tombée aussi dans l'agriculture. Donc j'ai arrêté mes études et mes parents à ce moment-là m'ont dit « Ok, t'arrêtes tes études, mais t'as 15 jours pour trouver du travail. » Donc, j'ai mis à profit ces 15 jours et j'ai trouvé le premier emploi que j'ai trouvé à l'époque, secrétaire médicale, pareil, c'était pas du tout mon cursus, mais j'ai appris. Mon employeur cherchait quelqu'un de très motivé et j'étais motivée. Très vite, je me suis rendue compte qu'entre ce que moi j'avais connu, l'agriculture de mes grands-parents et l'agriculture dans laquelle je suis tombée, il y avait quand même un grand fossé et que finalement, je ne connaissais pas grand-chose. Je pouvais difficilement participer aux conversations de ma nouvelle famille et des amis de mon mari. Donc, j'ai décidé de suivre une formation. Alors moi, je suis assez comme ça, c'est-à-dire que je suis assez autodidacte. Dans ma vie, j'étais très autodidacte. Donc, je me suis dit qu'il faut absolument que je suive une formation agricole parce que sinon... Je vais très très éloignée du sujet. En trois ans, on pouvait avoir un BEPA, un brevet d'études professionnelles agricoles. C'était réservé aux conjoints d'exploitants agricoles. Donc je l'ai fait et j'ai eu mon BEPA. Donc ça, c'était dans les années 90. Simultanément, j'ai préparé un BTS-AXE qui existe toujours d'ailleurs. Dans l'époque, on appelait ça analyse et conduite des systèmes d'exploitation. Donc voilà, j'ai fait les deux en même temps. Et à la suite, on m'a proposé, alors c'était l'émergence d'une nouvelle société informatique qui s'appelait Isagri à l'époque, maintenant une grande société, et on m'a proposé de devenir correspondante. Et en fait, je me suis occupée de formation. Je faisais énormément de formation sur des logiciels professionnels, des logiciels de comptabilité, paye, gestion commerciale et gestion parcellaire. Et ça, ça a été une formidable ouverture pour moi parce que j'ai vu d'autres systèmes de production aussi. Mais c'était très enrichissant et c'était aussi le début de l'informatique dans les années 90 en milieu agricole. Je me suis installée en 1993. Mon beau-père est parti en retraite. Du coup, il s'est trouvé qu'il y avait une ferme juste à côté à reprendre en location. Je me suis installée un peu aussi. Ce n'était pas prévu l'installation au départ. Quand j'ai fait le brevet professionnel, c'était vraiment... pour connaître le BTS, pareil, c'était pour savoir, pour connaître, pour comprendre aussi ce qui se passait autour de moi.
- Speaker #0
Être exploitant agricole, c'est mener un cycle biologique, du début jusqu'à la fin, en production végétale comme animal. Tout commence par le travail du sol, par différents moyens, qui permet à la plante d'être semée. Vient ensuite l'épandage à engrais, apportant à la plante les éléments nutritifs essentiels, comme l'azote, puis la gestion des adventices. ou mauvaises herbes, qui est primordial pour assurer une bonne croissance des cultures. Viennent ensuite l'irrigation, la récolte, le séchage et le stockage.
- Speaker #1
Autant quand on parle maïs, les gens ont du mal à imaginer à quoi ça sert le maïs. C'est pour les poules ou à la rigueur pour les cochons ? Non, pas du tout. Nous, le premier marché, c'est l'alimentation, ce qu'on appelle le pet food pour les petits animaux. Le deuxième marché qu'on a, c'est l'alimentation humaine. Là, on travaille avec l'imagrin, donc là on est hyper en proximité. Le troisième nouveau marché, c'est le pop-corn. On travaille avec une société qui est dans le Gers, qui est le premier producteur de pop-corn européen. Cocorico, comme on peut le dire. Et puis nous, on a une toute petite activité où on vend du pop-corn en local.
- Speaker #0
Dans le cadre de son travail, Christine nous explique son rôle.
- Speaker #1
Donc mon activité, en fait... Elle s'est vite cantonnée, j'allais dire, à tout ce qui était aspect commercial, administratif, économique, voilà. Ça n'a jamais été vraiment ma fonction première d'être sur le terrain, quoi. Quand je vais vendre, par exemple, mon maïs, je connais mon prix d'équilibre. Je sais ce qu'il me faut. C'est tout le problème de la contractualisation, où souvent on me dit... « Ah oui, mais alors si tu contractualises avant, tu ne feras jamais de bons coûts. » Eh bien oui, mais je ne ferai jamais de mauvais coûts non plus, parce que je sécurise. Mais ça, c'est une stratégie d'entreprise. On peut choisir la contractualisation comme se dire « Non, non, je ne vends rien avant, et j'attends de voir comment ça va tourner, et je vendrai au meilleur moment. » C'est aussi une stratégie. Mais pour mener cette stratégie à bien, il faut faire quand même quelques calculs avant, et connaître ce coût de production. connaître son seuil de commercialisation. Enfin, voilà, il y a tout un tas de paramètres. Tant que tu ne livres pas, tu n'es pas payé de toute façon. Voilà, ça c'est du très concret, ça. Un camion dans la cour qui charge, pour moi c'est top, parce que je sais qu'après, il y a un paiement. Et ça, c'est mon travail. Et puis après, on peut parler aussi d'un rôle quatre associés, donc trois garçons et moi. Et ça, je pense que c'est un peu dans toutes les entreprises agricoles où il y a plusieurs associés, dont une femme ou plusieurs femmes. On a aussi un rôle de médiateur, de liant, du style. Quand je suis arrivée, je dis bon, maintenant on est quatre, c'est bien de boire le café ensemble, mais c'est aussi bien de discuter de choses sérieuses à ce moment-là. Donc on avait instauré une sorte de petit rituel où une fois par semaine, on se posait pendant deux heures. Et on faisait le tour de ce que chacun avait fait, et puis de faciliter la communication entre les associés. Je pense que s'il y a bien quelqu'un qui sait le faire, ce sont les femmes. Parce que ce n'est pas toujours évident, même s'ils s'entendent bien, bien s'entendre, ce n'est pas forcément communiquer. En fait, quand tu es entrepreneur, tu n'as jamais l'esprit tranquille. Tu n'as jamais l'esprit tranquille parce que tu as plein de choses à penser. entre ce que tu dois faire, ce que tu as peut-être oublié et ce qui pourrait te tomber sur le museau, voilà, tu n'as jamais l'esprit tranquille. Mais c'est aussi ce qui fournit cette adrénaline pour prendre des risques, pour prendre des décisions. Moi, ce que je gardais toujours à l'esprit, c'est que c'est énormément de responsabilité dans la mesure où tu sais que, par exemple, nous, on était quatre associés et on avait trois familles à faire vivre. Voilà. Et quand tu dis une famille, c'est une famille. Alors pour ma part, je n'ai pas eu d'enfant, mais les deux autres associés ont des enfants. C'est aussi assurer la vie des familles qui travaillent. Quand tu as un salarié, tu sais que la priorité, ça sera d'abord de payer ton salarié. C'est pour ça que l'agriculture, ça ne peut pas être qu'un métier de passion. Il faut avoir multiples compétences dans une même entreprise, parce qu'on est trop petit pour avoir... un comptable, un juriste à domicile, un commercial à domicile. Moi, je dis qu'aujourd'hui, 50% du revenu, il se fait également au bureau, parce qu'il faut tout suivre. Et c'est aussi ce qui nous a donné la possibilité d'être à plusieurs, de pouvoir aussi sortir de notre exploitation, et j'allais dire, entre guillemets, très humblement, de travailler aussi pour l'intérêt général. C'est-à-dire d'oublier un peu ce qu'on fait chez nous, d'aller voir ce qui se passe ailleurs, et de défendre aussi la profession.
- Speaker #0
Au-delà de son travail sur l'exploitation, Christine s'est aussi investie dans les instances agricoles, notamment à la Chambre d'agriculture de l'Allier. Une implication où sa place en tant que femme a aussi pris son sens.
- Speaker #1
Alors moi je suis un pur produit de cette parité. Alors en Chambre d'agriculture, ce n'est pas la parité, c'est la représentativité, puisqu'on estime qu'il y a 30% de chefs d'exploitation environ. Donc il fallait 30% de femmes dans le collège des exploitants. C'est la première année, quand je suis... Je suis arrivée en 2013, où on mettait ça en place. Et je suis persuadée qu'on est venue me chercher parce que j'étais une femme. J'ai été vice-présidente tout de suite, mon premier mandat. Et j'ai des collègues qui sont venus me voir en me disant « Moi, tu sors de nulle part, effectivement, je sortais de nulle part, et t'es déjà vice-présidente. » Et là, j'ai répondu, parce que j'ai toujours beaucoup d'humour et je suis un peu tout terrain, moi. Donc j'ai répondu « Mais tu verras que j'ai bien d'autres qualités. » Ouais, alors certes. Certes, tu es là pour une belle et bonne raison, défendre l'intérêt général de l'agriculture, sauf qu'il faut travailler, il faut connaître ses dossiers. C'est toujours pareil, il faut de la rigueur, de la formation aussi, parce que c'est plein de nouveaux sujets que tu n'avais pas forcément l'habitude d'aborder. Quand tu es en chambre d'agriculture, c'est aussi défendre toutes les agricultures. Donc, tu n'as pas forcément le même modèle d'exploitation que tu as chez toi. Et puis, c'est encore des responsabilités. Et en tant que femme, au bout de 12 ans, maintenant j'ai des collègues qui sont des amis, et en fait, on est tous d'accord pour dire, hommes comme femmes, de dire que ça a été une vraie complémentarité, le travail entre hommes et femmes. D'abord parce que nous, on leur apporte une façon de travailler qui est différente de la leur. Et ça, j'ai pu le faire parce que justement, j'avais une vie de famille qui m'a permis de le faire. Et puis surtout, ça c'est très important, j'avais un conjoint aussi qui est à tout. tout fait pour que je puisse le faire dans de bonnes conditions.
- Speaker #0
En tant qu'associée sur l'exploitation, Christine participe aux décisions, Ausha stratégiques et assume sa part des responsabilités économiques. Un statut qui structure aussi la question de la rémunération, du partage du travail et parfois celle de devoir affirmer sa légitimité en tant que chef d'entreprise.
- Speaker #1
On a toujours eu la même répartition du capital, chacun avait la même répartition du capital et toujours la même rémunération. On part du principe qu'on a tous investi, tous les quatre au moment où c'est installé, on a investi dans des parts sociales, dans du matériel, des bâtiments, etc. On a tous emprunté, y compris moi l'année dernière j'ai réemprunté, j'avais 58 ans quand même. Donc là il fallait racheter les parts sociales de ceux qui sortaient. Des fois, je vois des représentants qui passent, etc. « Ah ben, la secrétaire est là. » Non, ce n'est pas la secrétaire. Ce n'est pas la secrétaire, c'est l'associé. Donc ça, c'est hyper important. Et est-ce que je gagne bien ma vie ? Oui, je gagne bien ma vie. Moi, ça me fait toujours beaucoup rire parce que des fois, je reçois des appels. Est-ce que je pourrais parler au directeur commercial ? Oui, vous l'avez au bout du fil. Non mais le patron il est là, parce que finalement après avoir fait la phrase très polie, c'est non mais le patron il est là, et bien oui la patronne est là, je vous écoute. Donc il y a des jours où ça passe très bien, puis il y a des jours où ça agace un peu. Mais voilà, c'est comme ça. Oui, il faut faire ses preuves, il faut s'imposer sans vraiment s'imposer non plus. Mais ça les filles elles savent bien faire en fait. Non mais c'est vrai, une fille c'est plus malin. C'est plus sain dans ce genre d'attitude.
- Speaker #0
Christine sait ce qu'elle doit aux générations de femmes qui l'ont précédée. Et si les mentalités changent aujourd'hui, c'est aussi parce que la loi a fini par suivre.
- Speaker #1
La législation a aussi aidé à faire en sorte que les femmes aient un statut sur les exploitations. Parce que moi j'ai connu des exploitations où les femmes travaillaient autant si ce n'est plus que... que les hommes et qui n'a été absolument pas déclaré, etc. Notamment, je pense aux GAEC entre époux. Je crois que c'est de 2010, l'autorisation des GAEC entre époux. Ça, ça a été une vraie avancée, quoi. Parce que combien de femmes travaillaient sur les exploitations sans vraiment avoir de statut ? Ou alors, à la rigueur, le statut de conjoint collaborateur ? Mais c'est vrai qu'on est dans un milieu très masculin. Mais alors, moi, je ne me suis jamais posé la question est-ce que je suis une fille ? Est-ce que je suis un garçon ? prendre des décisions pour faire quoi que ce soit. Un message que je pourrais faire passer aussi, c'est de ne pas se précipiter. On l'a dit tout à l'heure, d'aller voir ailleurs. Ça, c'est hyper important. L'ouverture d'esprit. Ça, quand je vois les lycées qui encouragent maintenant les jeunes à faire des stages à l'étranger, c'est hyper important. Il faut y aller, il ne faut pas traîner les pieds. C'est un métier fabuleux, ça c'est clair. C'est un beau métier. Aujourd'hui, il y a quand même une chose qui me dit que j'ai fait le bon choix. c'est que des fois quand je réfléchis je me dis je me suis installée en 93 j'ai pas vu le temps passer et je me dis que ça c'est un bon signe quand même parce que si j'avais vu le temps passer ça veut peut-être dire que j'aurais eu du temps pour me poser plein de questions et là je me suis posé plein de questions mais pour faire avancer les choses si c'était à refaire tu referais le même choix ? tu vois mes yeux qui brillent là ? bien sûr que je referais le même choix Aussi bien pour avoir épousé l'agriculteur que l'agriculture.
- Speaker #0
Merci à Christine Lemaire pour cet échange et à ses associés pour m'avoir accueillie sur leur exploitation. Merci à vous pour votre écoute et je vous donne rendez-vous dans le Puy-de-Dôme avec Mélanie, fromagère en production de Saint-Nectaire sur la ferme du Bois-Joli. C'était l'épisode 2 de Celles de la Terre, une série de 8 épisodes immersifs à l'initiative de plusieurs acteurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes, la DRAF, l'ANEFA et France Travail, avec le soutien de la DRETS. Pour en savoir davantage sur les 100 métiers possibles en agriculture, connectez-vous sur anefa.org. En région, je vous invite à retrouver tous les événements mettant en lumière les emplois et les métiers de l'agriculture sur le site mesévénementsemploi.francetravail.fr. Pour suivre toute l'actualité du monde agricole, rendez-vous sur les réseaux sociaux de la Presse agricole du Massif Central et sur notre site web agriculture-massif-central. Merci et à bientôt !