Speaker #0Bonjour à toutes et à tous et ravi de vous retrouver pour un nouvel épisode de Think Macro. Cette fois sur un sujet marché, un sujet marché qui pourrait rapidement avoir des conséquences macroéconomiques. Je voudrais vous parler de la hausse des taux longs. Oui, en effet, depuis quelques années, les... taux directeurs des banques centrales ont tendance à baisser. Et malgré tout, les taux longs augmentent. Et ça, au Japon, en France, aux Etats-Unis, pratiquement de concert, on a une hausse des taux longs malgré la baisse des taux courts. Et ça, ça a des implications économiques. Alors, évidemment, pour la capacité à emprunter et à rembourser sa dette, des Etats, des ménages, des entreprises, mais aussi et surtout... pour la stabilité de l'économie. Alors, de quoi on parle pour commencer ? Qu'est-ce que c'est que cette prime de terme ? Qu'est-ce qui fait que les investisseurs réclament d'être davantage payés pour leurs prêts à long terme qu'avant ou plutôt que pour prêter à court terme ? D'abord, il y a la question de la solvabilité. évidemment lorsque vous êtes investisseur si vous percevez le moindre risque de pas être remboursé vous voulez mieux payer ensuite il ya l'inflation inflation c'est l'érosion de la valeur de la monnaie au fil du temps si en tant que prêteur vous y pensez que vous risquez d'être remboursé en monnaie de singe évidemment là encore vous allez vouloir être mieux rémunéré puis enfin il ya un troisième élément un élément de stabilité institutionnelle ? Quel est le cadre dans lequel vous empruntez ? Le cadre légal, le fonctionnement des institutions ? Est-ce que la Banque Centrale est indépendante ? Est-ce que les règles ne risquent pas de changer en cours de route ? Auquel cas, vous pourriez tout simplement, par décision, ne pas être remboursé par exemple par un gouvernement populiste qui l'aurait décidé. Donc toutes ces considérations, solvabilité, inflation, cadre institutionnel. sont des éléments très importants pour l'investisseur et ils cherchent à être rémunérés pour faire face à l'éventuel risque qu'ils impliquent. Pendant 30 ans, il n'y avait pas vraiment de sujet. Mais depuis la crise Covid, les trois risques sont apparus l'un après l'autre. D'abord, la solvabilité. Avec la crise Covid, on a dû, par endettement, injecter des liquidités dans le système, relancer la machine économique. Ça a provoqué un endettement. une augmentation de l'endettement des États importants. Aujourd'hui, on se pose la question de la solvabilité. Si on prend le cas des États-Unis, le CBO, qui est l'équivalent de la Cour des comptes américaine, mesure qu'aujourd'hui, la dette est à peu près à 120% du PIB. Dans 10 ans, si des mesures drastiques ne sont pas prises, elle atteindra 150% et dans 20 ans, 200%. On voit qu'il y a un dérapage mécanique qui peut être tout à fait important et devenir rapidement incontrôlable. Ensuite est apparue l'inflation, ces injections de liquidités, cette relance de la machine économique. Ça a provoqué une réaccélération importante dans tous les pays en même temps. Ça a fait revenir l'inflation. On le voit depuis maintenant un peu plus de trois ans. Une inflation d'ailleurs qui ne semble pas si simple. de contrôler aujourd'hui, qu'on imaginait un peu temporaire, elle ne l'est pas tant que ça. Là encore, l'investisseur a besoin d'être mieux rémunéré pour son risque et d'être mieux payé pour ce qu'il considère comme une érosion potentielle du prêt qu'il a pu proposer aux différents États. Et puis plus récemment, ce sont les institutions qui sont mises en question, ceux qu'on croyait les garants. de l'orthodoxie économique, les autorités fiscales, monétaires des pays développés, où on pensait que tout ça était d'une grande stabilité, eh bien c'est maintenant remis en question, au moins dans la discussion, dans le débat. On voit apparaître des pays qui creusent un déficit alors même qu'il y a de la croissance. C'est ce que les États-Unis ont fait par exemple en 2022-2023. On voit de l'influence des gouvernements. sur les banques centrales, qui peuvent se poser la question de leur indépendance. On voit des banques centrales qui tordent leur mandat. comme la Réserve fédérale qui dit aujourd'hui, j'ai un double mandat, mais je vais favoriser la croissance, quitte à négliger un peu le contrôle de l'inflation. Donc on voit bien que ce cadre institutionnel, encore une fois, qui était considéré comme ultra solide et stable dans les pays développés, aujourd'hui, il ne l'est peut-être plus tout à fait. Et ça, encore une fois, à nouveau, ça mérite, pour l'investisseur de long terme, d'être mieux payé. Alors quand on additionne les trois éléments, solvabilité, inflation... stabilité institutionnelle, on a là trois risques qui viennent de réapparaître, de revenir sur le devant de la scène, qui disent aux investisseurs « je dois être mieux payé pour prêter aux États » . Ensuite, il y a les implications de ces taux longs plus élevés. Qu'est-ce que ça veut dire pour l'économie ? Évidemment, il y a une conséquence directe, mais pas seulement. Directement, oui, l'État paie sa dette plus chère, mais ce sont aussi les ménages, les entreprises, indirectement, qui évidemment... sont influencés par le taux auquel l'État emprunte. Et la dette plus chère, alors ça paraît souvent des chiffres qui peuvent paraître négligeables ou qui se voient au fil du temps, donc pas très importants. Ça a très vite un gros impact, il ne faut pas se tromper. Si on prend par exemple le cas de la France, les taux d'intérêt français ont augmenté depuis 10 ans, en gros, de presque 1% de plus que dans les autres pays européens. Ça, en régime courant. A terme, c'est 25-30 milliards de services de la dette supplémentaires par an. Et 30 milliards de services supplémentaires de la dette par an, c'est grosso modo deux fois ce qu'on espère économiser avec la réforme de la retraite, le passage de 62 à 64 ans. Donc vous imaginez, le rapport de force, c'est un phénomène qui est très important et qui peut très fortement mettre pression les comptes de l'État. Aux États-Unis... Autre exemple, les taux sont passés de 3 à 6 % depuis 5 ans. Pour un ménage, un taux qui passe de 3 à 6 % quand il emprunte à 30 ans pour acheter un appartement, une maison, c'est grosso modo 30 % de prix d'achat en plus. Vous voyez que même pour des ménages aisés, c'est un impact lourd. Ça pèse forcément sur l'économie. Au-delà de ces impacts directs très mécaniques, on a des impacts indirects. Ceux-là sont un peu plus cachés, mais d'autant plus vicieux. Le premier impact indirect important, c'est que la hausse des taux longs, la pantification des courbes de taux, ça grève, ça amoindrit l'impact des politiques monétaires et fiscales. D'abord... La politique monétaire. Lorsque la Fed baisse ses taux, ou n'importe une banque centrale baisse ses taux, mais que les taux longs réagissent mal en disant « attendez, tu baisses les taux, mais il va y avoir plus d'inflation » . Et puis, il y a la question de la solidarité. La courbe des taux se pentifie. Les taux longs, au lieu de baisser de concert avec la baisse des taux directeurs, au contraire, montent. D'une certaine façon, le marché, en faisant monter ses taux longs, casse. l'effet bénéfique de la baisse des taux. Quelque part, lorsque la banque centrale baisse les taux, elle vous donne d'une main du capital moins cher, que le marché va vous reprendre de l'autre main en le rendant plus cher sur la partie long terme. Vous avez considérablement absorbé, réduit, l'impact de la politique monétaire de la banque centrale. Maintenant, fiscalement, c'est un peu la même chose. fiscalement, si l'État, le gouvernement dit écoutez, voilà, moi je vais relancer la machine économique par du déficit, un bon plan fiscal, mais que le marché obligataire le prend négativement et dit, attends, non, non, en faisant ça, tu risques la solvabilité du pays, tu risques de ne pas être en position de rembourser ta dette de long terme. À nouveau, on a une stimulation économique d'un côté, mais on a des taux longs qui réagissent dans l'autre sens, qui grimpe face à cette stimulation fiscale et qui reprenne de l'autre main ce que le gouvernement a voulu donner dans la première. Et de fait, amortit, amoindrit l'impact de la politique fiscale. Vous voyez, la pontification des taux longs, la réaction du marché, qui peut être violente, rapide, à un programme fiscal qui serait jugé excessif ou à des baisses de taux aux directeurs qui seraient jugées complaisantes, Eh bien... ça neutralise d'une certaine façon les politiques monétaires et fiscales. Et alors une politique monétaire, fiscale, une politique économique handicapée, eh bien évidemment c'est une moindre capacité à relancer la machine économique lorsque c'est nécessaire, c'est une moindre capacité à absorber les chocs, et notamment les chocs de marché. Reprenons l'exemple des États-Unis, dont on sait qu'ils sont très sensibles au marché financier, qu'ils participent à la croissance économique. Aujourd'hui, la Fed, la réserve fédérale et le gouvernement qui ont toujours absorbé, relancé la machine en cas de choc, en 2001 avec la bulle internet, en 2008 avec la grande crise financière, en 2020 au moment de Covid. Aujourd'hui, parce que les investisseurs le refusent en réagissant mal, en faisant grimper les taux longs, le marché retire à la réserve fédérale et au gouvernement. c'est la capacité L'efficacité de ces outils, quelque part, le fameux put de la Fed, celui qui nous a relancés et protégés à plusieurs reprises par le passé, aujourd'hui a perdu beaucoup de sa valeur. Et les actifs financiers américains n'en sont plus vraiment protégés. On est dans une situation finalement où la prime d'assurance augmente et les conditions de remboursement sont de plus en plus sévères. Il y a un deuxième effet indirect. Lorsque la banque centrale baisse les taux davantage qu'elle ne devrait, lorsqu'elle dit « je favorise la croissance au détriment de l'inflation » ou en étant peut-être un peu plus négligent sur l'inflation, elle favorise l'investissement en actifs risqués. Elle baisse le coût du capital, donc évidemment c'est plus facile, l'argent est moins cher et ça, ça favorise un peu la spéculation dans les actifs risqués. Et on a un phénomène aux États-Unis qu'on observe beaucoup en ce moment où ce capital facile d'accès est investi en actions et entraîne la hausse des actifs risqués, notamment des actions. Mais ça, ça s'opère à un moment qui n'est pas très opportun parce que c'est précisément le moment où ces actifs risqués sont moins protégés. Puisqu'on l'a dit, la politique monétaire, la politique fiscale sera moins efficace. Donc on a un phénomène de levier qui se crée précisément au moment... où on est en train d'augmenter le risque. Finalement, le capital pas cher, le capital presque gratuit, c'est une espèce de carotte qui attire le marché vers un fossé qu'on est en train de creuser pour lui. Évidemment, c'est un mouvement dangereux. Pour résumer, la hausse des taux longs, c'est directement un frein à l'économie et indirectement une moindre efficacité des outils économiques. L'idée qu'on va alimenter une forme de levier à un moment pas très opportun. C'est une forme de poison qu'il faut absolument contrôler. Évidemment, aujourd'hui, les pays, les États-Unis en tête, vont chercher à garder le contrôle sur ces taux longs. Comment gérer le phénomène ? La réponse macroéconomique orthodoxe, elle est simple. On assainit les comptes, on réduit la dépense, on augmente les impôts. De ce fait, on améliore la solvabilité. On a immédiatement une inflation qui a tendance à baisser par le ralentissement de l'économie. On a scié une forme de crédibilité d'un pays bien géré. L'investisseur est heureux, il est prêt à être moins payé. C'est imparable. C'est imparable, sauf que politiquement, évidemment, ce n'est pas du tout populaire. Et précisément, les pays... dont on parlait, la France, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, sont là précisément parce qu'ils ne sont pas en position, ils n'ont pas réussi à mettre en place des mesures aussi impopulaires qui leur auraient permis d'avoir l'intérêt des investisseurs pour ne pas les faire payer davantage leurs dettes. Alors, on peut aller vers des solutions différentes, mais forcément plus hasardeuses. Et en reprenant l'exemple des Etats-Unis, ... Que font les États-Unis ? Plutôt que d'aller vers un choc récessionniste important pour assainir les comptes, les États-Unis ont décidé de laisser un peu filer l'inflation. Et pourquoi pas, en corollaire, de laisser filer le change. Voilà une autre solution qui fonctionne aussi. Simplement, elle ne touche pas tout à fait les mêmes. Lorsque les États-Unis laissent filer l'inflation et acceptent qu'elle aille plutôt à 4% plutôt qu'à 2%, lorsque de fait, par dévaluation de la monnaie... par l'inflation, elle affaiblit le dollar, l'économie américaine fait payer son ajustement les investisseurs étrangers, qui perdent deux fois, qui vont perdre d'abord parce que la valeur de leur dette est érodée, et ensuite parce que l'Ibelé en dollars, qui dans ce cadre se déprécie, va évidemment là aussi perdre une seconde fois de la valeur. Voilà la route. que les Américains ont choisi de prendre. En somme, on se polie les investisseurs étrangers pour se redonner une forme de solvabilité. Lorsque l'inflation est un peu plus élevée, la croissance nominale est un peu plus forte, donc la dette sur le PIB est un peu plus facile à contrôler. mais ça se fait au détriment des investisseurs étrangers. C'est un phénomène que les Américains ont utilisé à plusieurs reprises par le passé. Ils ont cette force par le dollar, par l'importance qu'ils ont vis-à-vis du reste du monde, le besoin que le monde a de la sécurité américaine, des actifs américains. Ils ont cette possibilité, évidemment, de faire porter une partie du coût de leurs difficultés aux investisseurs étrangers. Pourquoi pas ? Mais c'est un jeu difficile et c'est un jeu... C'est dangereux. Alors, difficile et dangereux, d'abord parce que l'inflation, ça ne se décrète pas. L'inflation, quand on dit « tiens, je vais la laisser filer à 4 plutôt qu'à 2 » , ça paraît simple, mais en réalité, à 4%, l'inflation, c'est un animal qui est extrêmement visqueux. Et à 4%, c'est beaucoup plus compliqué de la contrôler qu'à 2. C'est d'ailleurs précisément pour ça que les banques centrales ont, dans l'ensemble, choisi 2% comme objectif. A2 ou en dessous, on garde le contrôle, ça ne peut pas vraiment déraper. A4, c'est plus compliqué. Il y a un vrai risque que les anticipations des agents se désancrent et que finalement, ils se mettent à entrer dans un régime, dans une spirale dans laquelle ils intègrent une hausse des prix endémique et qui, sous forme de spirale, fasse déraper l'inflation. Et là, 4, 6, 8, 10, elle accélère. Et on sait... par l'expérience économique, à quel point ça peut être compliqué alors d'en reprendre le contrôle. Après la décennie de l'inflation des années 70, il a fallu 10 ans de politique extrêmement sévère, extrêmement récessionniste aux États-Unis pour reprendre le contrôle de l'inflation. Donc en ce sens, là, les États-Unis en tête, d'autres pays sont tentés, mais les États-Unis en tête jouent un jeu tout à fait dangereux. Il y a un deuxième enjeu, un deuxième challenge. Il faut convaincre les investisseurs d'acheter cette dette. Si vous en avez fuit certains, il faut en trouver d'autres. Et là, l'enjeu est vraiment de taille. On regarde des montants en jeu, de l'insolvabilité chronique. C'est l'artillerie lourde qu'il faut sortir. Alors, aux États-Unis, ça a déjà commencé. On a déjà le Trésor qui émet sa dette sur des maturités plus courtes, la maturité moyenne de la dette américaine. Elle est de 6 ans. Aujourd'hui, on a bien davantage d'émissions très courtes, même des bons du trésor, 1 an, 2 ans, pour essayer de retirer un peu de pression sur les taux longs. C'est un premier moyen, d'une certaine façon, de contrôler la pression qui est exercée sur ces taux longs par les investisseurs. Évidemment, c'est un jeu un peu dangereux, une forme de fuite en avant, parce que la dette, la maturité moyenne est déjà très courte. On ne peut pas faire ça à l'infini. Elle se raccourcit. Donc, il faut renouveler de plus en plus fréquemment. Si vous voulez, c'est une réponse qui ne peut fonctionner qu'un temps. On a, encore plus récemment, ça a été annoncé il y a quelques jours, la Réserve fédérale a dit, voilà, je vais interrompre mon programme de revente de la dette que j'ai accumulée avec les différents programmes d'assouplissement après la grande crise financière, après Covid. Bon, ce programme a été interrompu plus tôt que prévu. Pourquoi pas, là aussi, moins de pression pour les taux longs, moins d'offres. de dette sur le marché, mais la contrepartie, c'est qu'on se retrouve avec une réserve fédérale, une banque centrale, dont le bilan va rester très important, ce qui forcément la fragilise. Et parce que finalement, étant donné l'insolvabilité chronique, la trajectoire de tendance de la dette, tout ça ne suffira pas, il faudra probablement trouver d'autres investisseurs, alors les forcer, les inciter. On peut penser notamment aux banques, aux institutions financières, qu'on peut inciter à acheter la dette de l'État en en réduisant, par exemple, le coût du capital dans les bilans. Alors ça, c'est des sujets qui sont discutés, débattus. documenté depuis un moment, il reste finalement qu'à appuyer sur le bouton et on retrouvera là, aux États-Unis, un acheteur providentiel qui pourra investir dans la dette de l'État et contenir la hausse des taux longs. Lorsqu'elle contrôle la courbe des taux d'intérêt, lorsqu'elle galvaude l'efficacité monétaire de la politique monétaire et de la politique fiscale, L'administration américaine fait porter un risque plus grand pour l'investisseur. Et lorsqu'elle dévalue la monnaie en laissant glisser l'inflation, et qu'elle baisse artificiellement les taux d'intérêt plus qu'il ne le devrait, elle lèse les investisseurs étrangers en rémunérant moins bien ce risque, pourtant plus grand. Et de fait, elle les pousse vers la sortie. Ils ne peuvent plus que refuser d'investir, s'écarter de ces instruments et donc augmenter à nouveau la pression sur les actifs américains, les taux d'intérêt et le dollar. En gros, après avoir laissé craindre la dévaluation des actifs américains, la nouvelle administration aujourd'hui l'organise. Et les taux d'intérêt, le dollar, puis sans doute... dès que la frénésie sur l'intelligence artificielle retombera, les actions vont vraisemblablement rester sous pression l'an prochain. Voilà, c'est tout pour cet épisode de Think Macro. Merci pour votre fidélité, c'est toujours un plaisir d'échanger avec vous. Et à bientôt pour un nouvel épisode.