Speaker #0Bonjour à tous, ravi de vous retrouver sur Think Macro. Aujourd'hui je suis seul au micro, mais c'est l'été, et dans ces marchés un peu plus calmes, c'est l'occasion de prendre un peu de recul et d'observer l'économie sous un angle un peu plus large. Alors je vous propose dans cet épisode de nous tourner vers l'Europe, sa stabilité apparente, ses vulnérabilités, et surtout, comment elle commence à mobiliser son capital pour tenter de renouer avec l'innovation et la croissance. Alors allons-y et commençons par un petit point de situation. Il y a 15 ans, l'Europe était au bord du démantèlement. Aujourd'hui, il est juste d'affirmer que la zone est économiquement solide. Elle exporte, l'inflation est sous contrôle et le chômage est bas. L'euro offre de la stabilité aux pays du sud et... parce qu'il reste globalement plutôt des côtés, de la compétitivité au pays du Nord. La dette, qui était au centre des difficultés il y a quelques années, est aujourd'hui détenue par des institutions locales qui sont solides, et elle a même d'ailleurs commencé à être mutualisée, donc il devient compliqué de l'attaquer. Alors, cette rapide transformation s'est faite sous la pression de la crise, bien sûr, mais pas seulement. Cette volonté de stabilité, de sécurité, ça répond aussi à la culture européenne et aux souhaits de ses électeurs. Le problème, c'est que ça n'est pas un état stable. L'économie croit moins qu'ailleurs, à peine plus de 1% par an depuis 15 ans. Moins encore ces cinq dernières années. La compétitivité diminue. Et moins de compétitivité, c'est davantage de dépendance et à terme, de la sécurité. La crise Covid a révélé la dépendance sanitaire de l'Europe. Les masques, les gels étaient chinois et le vaccin était trouvé aux Etats-Unis. La guerre en Ukraine a révélé la dépendance militaire aux Etats-Unis, mais aussi la dépendance énergétique à la Russie avec le prix du gaz qui a été multiplié par 10. Aujourd'hui, c'est le changement de politique américaine et l'accord déséquilibré qui vient d'en découler qui révèle la dépendance commerciale de l'Europe. Sans croissance, il est juste impossible d'assurer l'indépendance, qu'elle soit sanitaire, militaire ou commerciale. Sans croissance, le continent subit les choix de ses partenaires. Sans croissance, finalement, c'est la sécurité qui est à terme en risque. Alors qu'est-ce qui bloque cette croissance ? C'est la productivité qui stagne et derrière, un vrai déficit d'innovation. Depuis la création de l'euro en 1999, la productivité croît deux fois moins vite qu'avant la monnaie unique. Trois fois moins qu'aux Etats-Unis depuis. Au contraire, elle accélère. Et sans productivité, pas de croissance. A l'époque, l'Europe déposait plus d'un tiers des brevets mondiaux. Aujourd'hui, sa part a diminué de moitié. Elle est dépassée par la Chine, les Etats-Unis et même le Japon. Le plan pour l'Europe de Mario Draghi diffusé l'an dernier le dit clairement. Il est indispensable de redresser la productivité pour éviter la lente agonie économique et politique. Et pour ça, il faut relancer massivement l'investissement. Alors investir, ok, mais avec quel capitaux ? Et la bonne nouvelle, l'Europe n'en manque pas, au contraire. Sous la pression de la crise de la dette et puis aussi d'une certaine frugalité des États du Nord, l'État en moyenne est plutôt moins endetté qu'ailleurs. Finalement, la solidité monétaire acquise ces 15 dernières années permettrait d'emprunter davantage, à des taux qui resteraient sans doute bas, ce qui est de plus en plus compliqué dans d'autres pays, aux États-Unis par exemple. L'épargne aussi est très élevée, deux fois celle des États-Unis depuis des décennies. Le hic, c'est que cette considérable réserve de capitaux privés, aujourd'hui, reste gelée dans des placements sans risque, ou bien elle part à l'étranger. En 10 ans, c'est près de 3000 milliards d'euros qui se sont envolés de l'Europe vers les Etats-Unis. C'est l'équivalent de 15 années de croissance partie financée de la concurrence. Mais pourquoi cette réticence à investir en Europe ? À investir de manière productive ? Il y a d'abord une raison culturelle. L'européen est prudent, il choisira un placement monétaire ou en obligation plutôt qu'en action. Il craint en général le capitalisme et préfère le rendement aux perspectives de gains. Plus élevée, mais aussi plus spéculative des actions. La bulle internet n'a d'ailleurs sans doute pas aidé en faisant perdre des sommes importantes aux épargnants qui se sont fait attraper dans l'euphorie de la fin des années 90. La faible culture économique, de manière générale, joue un rôle important. Parce qu'elle donne lieu à des réflexes d'investissement qui sont souvent inadaptés, peuvent être source de pertes ou de frustrations. Il faut... absolument créer une culture propice à l'investissement. Il y a ensuite une raison financière. C'est un fait, investir en Europe rapporte moins et se révèle souvent plus risqué, plus volatile qu'ailleurs. C'est difficile dans ce contexte de ne pas préférer une alternative américaine ou chinoise. Et enfin, il y a une raison réglementaire. En voulant protéger... L'Europe a freiné les investissements productifs, elle les a contraints lourdement et a empêché la prise de risque à long terme. C'était pour la bonne cause, le système est aujourd'hui solide, mais il est figé et il ne fait pas progresser l'économie. Bref, les entreprises européennes sont sevrées de capitaux pour investir et innover. Elles sont condamnées à payer le capital plus cher, par des dividendes plus élevés ou à s'autofinancer, ce qui est bien plus lent. et bien moins efficace que l'effet de levier offert par les marchés de capitaux. L'exemple du secteur automobile illustre bien cette dynamique. Il y a 25 ans, les constructeurs européens dominent le marché mondial, mais lorsqu'il faut investir pour passer à l'électrique, impossible de suivre le rythme. Pourquoi ? Là où l'investisseur réclame des dividendes de 7-8% à Renault ou Volkswagen, Tesla n'a jamais payé le moindre dividende de son histoire. Là où l'européen doit financer sa recherche sur ses réserves, sur ses profits, la capitalisation de Tesla atteint 1000 milliards de dollars, 5 fois celle de ses concurrents européens réunis pour des ventes qui sont pourtant 10 fois plus faibles. L'effet de levier est considérable et donc lui permet évidemment d'investir et d'innover bien plus vite que ses concurrents. Il a fallu 10 ans à Tesla pour réaliser ses premiers profits, mais il n'a pas été nécessaire d'attendre tout ce temps pour investir bien davantage que ses concurrents européens grâce au marché de capitaux. Enfin, là où l'Europe impose la transition par la réglementation, par la contrainte, en Chine, aux Etats-Unis, on subventionne, on incite à l'investissement des épargnants. D'ailleurs, la réglementation touche un peu à l'absurde lorsque les constructeurs européens se voient infliger plusieurs milliards d'amendes pour non-respect des quotas carbone. imposés par l'Union. Des amendes qui derrière sont reversées aux concurrents américains et chinois. L'autofinancement, même important, ne peut rien faire face aux multiplicateurs du marché lorsqu'il s'agit de ruptures technologiques. Il est trop faible, trop lent. La révolution des médias, des télécoms, ou plus récemment le vaccin contre la Covid, l'ont montré aussi. Il faut parier que ce sera encore le cas pour l'IA si l'Europe continue de réglementer avant d'innover. Il faut donc absolument mobiliser les capitaux pour participer à la course de l'innovation et rattraper la productivité perdue. Et c'est déjà le cas au niveau de l'État. Il semble que les crises récentes ont fait prendre conscience des enjeux. L'Europe agit un peu plus vite qu'à son habitude. Suite à la crise Covid, le plan Nouvelle Génération Europe, 1 500 milliards d'euros d'investissement, finance les infrastructures, l'indépendance énergétique. L'éducation des pays du Sud et de l'Est, en échange de réformes structurelles et de la gestion rigoureuse des comptes publics. C'est le premier plan d'investissement vraiment européen. Il est financé conjointement par l'ensemble de l'Union, sur une base donnant-donnant, qui incite les pays concernés à investir dans le sens de l'Union. Par ses réformes structurelles et aussi par son alignement des intérêts, il est très positif pour la croissance de la zone. Plus récemment, cette année, c'est l'Allemagne qui a modifié sa constitution pour investir dans les infrastructures et doubler son budget de défense. Ce que l'Europe suit avec le plan Rearm Europe, qui donne de la flexibilité budgétaire et des incitations à la coopération sur les projets militaires. Au total, c'est plus d'un point de PIB d'investissement par an pour l'Europe. Deux à trois points pour l'Allemagne. C'est important. Et si les effets sont faibles à court terme, ces investissants auront, comme le plan nouvelle génération, un impact important sur la croissance de long terme. Par leur volume évidemment, mais aussi parce qu'ils répondent à de vrais besoins. On estime l'impact de l'ensemble de ces plans à un demi-point de croissance supplémentaire pour les dix prochaines années. Mais l'État ne peut pas tout. Il est efficace pour les investissements stratégiques de services publics, la santé, l'éducation, la défense, l'énergie. mais il l'est beaucoup moins pour innover et relancer la productivité. Pour ça, il faut mobiliser l'épargne. Alors comment ? L'épargne, on ne peut pas la forcer, il faut l'inciter, il faut la convaincre. Sans perspective de rendement en Europe, l'épargne privée préférera toujours la sécurité obligataire ou la performance des actions américaines. Depuis 30 ans, les capitaux privés européens sont rémunérés 2 à 3% de moins par an qu'aux États-Unis. Alors, ça peut paraître peu, mais à l'échelle d'une carrière, c'est une épargne accumulée trois fois plus faible. Améliorer le rendement de l'épargne européenne, ne serait-ce que d'un point, un point et demi, ça doublerait la pension de retraite accumulée. L'enjeu, il est donc de taille pour l'économie, qui stagne sans capitaux actifs, mais aussi pour l'épargnant, qui doit mieux rémunérer son épargne pour financer sa retraite. Et c'est cette boucle vertueuse d'épargne-investissement qui permet aujourd'hui aux États-Unis de financer à la fois la création d'une entreprise, l'innovation, et de rémunérer solidement les retraites. C'est ce capitalisme qui a permis là-bas de créer les champions qui dominent la sphère technologique, ou bien d'imposer un concurrent sur les véhicules électriques à partir de rien. L'épargne doit financer davantage les entreprises qui, plus productives, pourront en retour mieux la rémunérer. Et là aussi, ça bouge. L'Europe se donne aujourd'hui les moyens d'avoir son capitalisme, avec l'encadrement nécessaire. Comme pour le financement d'État, les progrès sont récents, mais réels. On note même une accélération cette année, sous la pression probablement du changement de politique américaine. Mais d'abord, il faut de bonnes bases, un marché de capitaux solide et harmonisé. Et après 15 ans de consolidation bockère, on peut dire qu'on y est presque. Le secteur est bien capitalisé, deux fois plus qu'il y a 15 ans. Son harmonisation a commencé avec la première tentative de rapprochement transfrontalier d'envergure qui doit réunir Unicredit, l'Italien et l'Allemand Commerce Bank. La réglementation doit être assouplie cette année pour favoriser le financement de projets à l'échelle européenne. avec une supervision unifiée, une simplification des procédures de contrôle, des incitations à la sécurisation. Bon, il reste encore du boulot, mais la boîte à outils du financement européen commence à être bien équipée et permet désormais un soutien efficace aux projets continentaux. Ensuite, il faut inciter l'épargnant à déplacer son capital vers la part productive de l'économie. Pour ça, il faut que l'opportunité soit réelle. Il faut l'inciter et il faut lui expliquer. Et c'est précisément ce que propose le nouveau plan allemand, avec moins de barrières pour investir dans les actifs risqués, avec des avantages fiscaux, avec, c'est important, le développement de fonds de pension. Les entreprises participent aussi avec le plan WIN, qui regroupe 30 grandes entreprises. C'est encore peu, mais leur objectif est vraiment de rétablir la confiance et puis évidemment d'en entraîner d'autres. L'aspect culturel aussi est pris au sérieux. Le gouvernement va alimenter un compte d'investissement pour chaque jeune citoyen dès l'âge de 8 ans, qu'il devra ensuite placer en action et dont il devra suivre et commenter l'évolution. Alors ça pourrait paraître anecdotique, mais ça ne l'est pas, parce qu'investir en actifs risqués sans comprendre, on sait que ça peut être désastreux, comme la bulle internet l'a montré. Et une éducation financière commencée tôt, ça doit changer les comportements en profondeur. Bref, ce plan est à la fois ambitieux et complet. Comme nous connaissons la force d'entraînement de l'Allemagne, il faut parier que d'autres pays suivront. Et il reste une dernière source de capitaux potentiels, ce sont les 3000 milliards d'euros que les Européens ont envoyés aux Etats-Unis ces 10 dernières années. Alors, difficile de leur en vouloir, pendant longtemps, cette allocation s'est justifiée. Les actions américaines ont largement surperformé et la force du dollar a renforcé le mouvement. Non seulement il s'est apprécié, mais il le faisait en plus chaque fois que les actions corrigeaient, ce qui de surcroît amortissait les chocs. Plus de performance pour moins de risques. Un investissement parfait en somme. Mais les choses changent. La politique américaine devient plus incertaine, le climat politique est instable, et le dollar a commencé à s'affaiblir. Pire, le dollar récemment a même évolué dans le même sens que les marchés d'actions. ce qui augmente leurs risques au lieu de le compenser. En avril, par exemple, cette nouvelle corrélation a aggravé les pertes. Résultat, les investisseurs européens ont commencé à rapatrier une partie de leur capitaux devenu plus volatile. Investir aux Etats-Unis, pour un Européen, c'est devenu plus risqué et donc un peu moins attractif. Et les autorités européennes ne s'y trompent pas. Dans son rapport de mai, la BCE souligne les dangers croissants des investissements aux Etats-Unis. Valorisation élevée, forte concentration, manque de diversification. Madame Lagarde et Madame van der Leyen ont d'ailleurs appelé à rééquilibrer les portefeuilles et à sortir un peu du tout-dollar. C'est un discours nouveau, on n'a pas tellement l'habitude en Europe de commenter la direction de l'épargne, mais c'est un discours très clair. Et l'objectif est sans doute autant d'alerter du nouveau risque américain que de tenter d'attirer les capitaux vers la maison Europe. Et toutes ces mesures ne sont qu'un début, il reste encore beaucoup à faire, et leurs effets ne seront probablement pas immédiats. elles couvrent toutes les dimensions nécessaires à l'investissement privé, que ce soit les outils, que ce soit la simplification, l'incitation, la rémunération et même l'éducation culturelle de l'investissement. Ces mesures, elles amèneront l'épargnant à réorienter son épargne vers la partie productive de l'économie et de ce fait, en réduiront le coût et en facilitera l'accès pour les entreprises, ce qui permettra ensuite... à ces dernières de participer à nouveau à la course à l'innovation. C'est bon pour les rendements, c'est bon pour l'innovation. Couplé aux investissements d'État, la mobilisation de l'épargne devrait permettre de rattraper ce quart de siècle de productivité perdu et d'améliorer durablement la croissance de la zone. L'initiative allemande et l'accélération observée cette année permettent Merci. Un certain optimisme sur la rapidité des résultats, qui devrait d'ailleurs commencer à s'observer dès cette année par une bonne résistance de la zone face à l'inévitable ralentissement américain avant, pourquoi pas, d'accélérer dans le prochain. Au regard de l'importante décode des actifs européens, l'investisseur en quête d'alternatives au tout dollar devrait y trouver son compte. Merci à tous de votre écoute et pour votre fidélité à ThinkMacro. On se retrouve très bientôt pour un prochain épisode. Et d'ici là, belle rentrée à tous et à très vite sur ThinkMacro.