- Speaker #2
Bonjour, je m'appelle Olivia et vous écoutez Un beau jour, le podcast qui donne la parole à des croyants dont la vie et la foi ont été changées à jamais par un événement imprévu. Et dans cet épisode, je rencontre Bertrand Vigneron. Je me suis déplacée à Nantes pour venir l'interviewer, car cet homme de 64 ans est atteint depuis 6 ans d'une maladie dégénérative terrible, la maladie de Charcot, qui emporte les personnes qu'elle touche au bout de quelques années. Mais ce qui est extraordinaire... C'est que chez Bertrand, qui est aujourd'hui entièrement paralysé, il est devant moi avec un fauteuil roulant, qui est dépendant à 100% des autres, il reste la voix. Et ce n'est pas pour rien. Vous allez donc écouter un témoignage unique et bouleversant d'un grand combattant animé par une espérance de malade. Bonjour Bertrand.
- Bertrand Vigneron
Bonjour Olivia et bonjour aux auditrices et auditeurs.
- Olivia
Bertrand, traditionnellement, les invités du podcast apportent un objet. Alors, il est déjà sur la table, parce que vous ne pouvez pas bouger votre main. C'est votre chère épouse qui vous l'a déposé. Est-ce que vous pouvez nous dire ce que c'est que cet objet ?
- Bertrand Vigneron
Alors, c'est une croix, l'essence même de notre foi chrétienne. Mais ce n'est pas n'importe quelle croix, c'est la croix de mon baptême. J'ai cette croix depuis ma naissance. Et la croix, c'est quelque chose de très important pour moi. Parce que c'est le passage de la vie à la mort. La passion du Christ se termine sur la croix. Mais en même temps, c'est le début de la vie nouvelle. Il n'y a pas de résurrection sans mort sur la croix. On reviendra sur tout ça plus tard, mais voilà l'importance de la croix pour moi.
- Olivia
Merci Bertrand, vous mettez d'emblée ce podcast sous le signe de la foi. Donc vous allez nous raconter en quoi elle est importante pour vous dans votre maladie. Je vous propose d'abord de repartir dès le début, enfin dès le début. Vous avez 60 ans, donc vous êtes marié, vous avez quatre enfants, vous avez une carrière dans le commerce international. J'ai vu aussi que vous faisiez des expositions photographiques à Berlin, à Paris. Donc vous aviez une vie d'un homme comblé. Est-ce que vous vous en rendiez compte sur le moment ?
- Bertrand Vigneron
Oui, quand même, la chance d'avoir pu, je dirais presque, vivre. Plusieurs vies en une vie. Vie professionnelle, j'entends, parce que côté familial, ça a été très stable. Oui, c'est une chance de pouvoir avoir différentes expériences et toucher à des métiers différents.
- Olivia
Vous étiez très actif, vous sautiez au-dessus des murs pour prendre des clichés.
- Bertrand Vigneron
Oui, alors ça, c'était le hobby, ça. La vie professionnelle, elle a été toujours orientée vers l'international. Donc, beaucoup de voyages, un peu partout en Europe, au Moyen-Orient. en Europe de l'Est, en Russie, en Amérique du Sud, où ils allaient plusieurs fois par an. Mais il y a eu une expérience de trader en matière première, de directeur export dans l'ingénierie, en robotique industrielle. Et puis, depuis ma plus tendre enfance, l'adolescence exactement, la photo que j'ai pratiquée toute ma vie. Et à l'âge de 40 ans, en fait, je me suis découvert un peu une âme d'artiste. Donc, ça a été une révélation. Et j'ai eu la chance de pouvoir faire des... de grandes expositions en extérieur, outdoor, dans des jardins, dans des parcs, et pour terminer, sur l'esplanade de la Défense. Une belle exposition avec l'RATP, station Luxembourg, où pendant six mois, j'ai exposé, il y avait 600 m² de photos. Donc ça, c'était vraiment l'apothéose.
- Olivia
Donc vous étiez toujours un boîtier à la main. Et puis, un beau jour, en octobre 2018, vous réalisez que vous avez du mal à vous couper les ongles. C'est le premier signe de votre maladie. Est-ce que vous pouvez nous raconter les étapes ?
- Bertrand Vigneron
Oui, effectivement, ça a été la première étape. Je n'ai pas accordé beaucoup d'importance. Sauf que deux semaines après, je n'arrivais plus à essuyer le verre de mes lunettes. Quand il est un peu gras, avec la pince, il faut bien appuyer. Et puis, 15 heures après, je n'arrivais plus à me moucher, à boucher une narine pour expulser l'autre. Et là, je me suis dit, vraiment, il se passe quelque chose. Donc, on va chercher quoi ? Je suis allé voir un neurologue pour un premier ENG électromyogramme. Et là, effectivement, il a découvert que j'avais des fasciculations sur tout le corps. Les fasciculations, c'est les muscles qui tremblent pour essayer de retrouver la connexion au nerf. Mais pas de diagnostic pour autant. Et puis, au bout de six mois, on m'est orienté vers... vers le centre neuro-SLA du CHU d'Angers.
- Olivia
Alors qu'est-ce que c'est, SL1 ?
- Bertrand Vigneron
C'est le syndrome... latéral amyotrophique, qui est le nom scientifique de la maladie de Charcot. Cette maladie, en France, on dit Charcot parce que le découvreur de la maladie, c'est le docteur Charcot. Donc, on est à la salpêtrière au milieu du 19e siècle. Mais le nom scientifique, c'est SLA. Et à l'étranger, tout le monde dit ALS. On ne dit pas Charcot à l'étranger parce que personne ne comprend. C'est très français, mais c'est la même maladie. Donc c'est une maladie neurodégénérative.
- Olivia
Et quand est-ce qu'on vous l'a annoncé, ce diagnostic ? Je sais que le diagnostic de SLA est très long à faire. Donc entre le moment où vous êtes coupé les ongles et le moment où vous avez fait ce rendez-vous chez le docteur avec qui vous avez établi la fasciculation ?
- Bertrand Vigneron
Oui. Non, mais il y a eu pas mal d'examens entre deux. IRM, de scanner, à nouveau d'électromyogramme, etc. Il a fallu deux ans avant de... poser un diagnostic. Il y a eu un moment, il y a eu une lueur d'espoir de croire que ce n'était pas la SLA, mais une autre maladie, la NMM, une neuropathie motrice multifocale qui, elle, peut se soigner. Mais on a fait ça pendant six mois, et puis au bout de six mois, les choses ne s'amélioraient pas. Et on s'est dit qu'on faisait fausse route. Et un peu par dépit, par défaut, on en est venu à statuer sur un diagnostic de SLA. Donc, il a fallu au moins deux ans.
- Olivia
Donc, en 2020, vous avez le diagnostic officiel. Au moment de l'annonce, qu'est-ce que vous vous dites ?
- Bertrand Vigneron
Je ne me dis pas grand-chose, en fait. Curieusement, d'ailleurs, je me dis que c'est comme ça. C'est comme ça, c'est un état de fait auquel on ne peut rien changer. C'est vrai qu'il y a une bascule dans votre vie, mais en même temps, on ne se rend pas compte de ce qui vous attend, de ce qui va vous arriver, ce qui est aussi bien d'ailleurs, parce que l'avenir va aller en devenant de plus en plus compliqué et douloureux. On n'imagine pas au début. Je le prends comme ça vient. Comment dire ? Les philosophies orientales disent que l'unique façon d'accéder au bonheur, c'est d'accepter son destin. Et moi, je me suis dit, voilà, si c'est mon destin, ce n'est pas autre chose. Et on va essayer de le vivre au mieux.
- Olivia
Et vous ne vous êtes jamais révolté ? Vous n'avez jamais été en colère ? Vous n'avez jamais dit pourquoi moi ? Même Jésus s'est révolté sur la croix.
- Bertrand Vigneron
Ben oui, mais... Pour ma part, je n'ai pas connu ces moments de révolte. Dieu merci, parce que je pense que ça ne m'aurait avancé à rien. Ça ne guérit pas. Moi, j'y vois plutôt des inconvénients que des avantages. Alors, est-ce que c'est par raison que j'ai rejeté la révolte ? Je ne sais pas, mais dans mon cas, un, j'ai refusé de me plaindre. Parce que comme je le disais en introduction, j'ai quand même eu une vie bien remplie, très heureuse. Je n'ai jamais connu la souffrance de toute ma vie jusqu'à cette maladie. Je n'ai manqué de rien. On a très bien vécu avec mon épouse, en famille. Donc franchement, me plaindre maintenant avec cette maladie qui m'arrive, je pense que ce n'était pas très bienvenu. L'idée, c'était plutôt de vivre. continuer à vivre dignement, sereinement, malgré la maladie.
- Olivia
Vous n'avez jamais demandé à Dieu de vous guérir ?
- Bertrand Vigneron
Bien sûr, bien sûr, et je continue de demander. Effectivement, plus la maladie avance, moins ça paraît plausible, possible, bien sûr. Tout le temps possible pour Dieu, c'est le guérir, me guérir. Il peut le faire en un instant, en un claquement de doigts. Il n'y a aucun doute là-dessus, mais... S'il ne le fait pas, c'est qu'il a ses raisons, que je ne comprends pas forcément maintenant, mais que je comprendrai bientôt.
- Olivia
Bertrand, cette acceptation que vous avez eue, c'est un peu une grâce ?
- Bertrand Vigneron
Oui, je pense. Certainement, c'est au-delà de mes petites forces humaines. Forcément, il y a quelqu'un d'autre qui agit. Dieu en premier lieu, mais il y a aussi la prière de beaucoup de personnes qui nous portent, mon épouse et moi. Et le plus incroyable, c'est quand vous rencontrez des gens que vous ne connaissez pas. à telle ou telle occasion, vous les rencontrez, et ils vous disent « je prie pour vous » . Alors ça, c'est quand même incroyable. Et on découvre la puissance de la prière. C'est vraiment quelque chose de très très fort.
- Olivia
Vous y croyez avant, la puissance de la prière, ou vous l'avez découverte ?
- Bertrand Vigneron
J'y ai toujours cru, mais je ne l'avais pas expérimenté. Là, on l'aperçoit. Avant, on m'avait dit qu'effectivement, ça fonctionne bien, et je le croyais volontiers. Mais là, je la vis, ce qui est quand même autre chose.
- Olivia
Qu'est-ce que ça vous apporte, cette prière des autres ?
- Bertrand Vigneron
Ça nous apporte une force de continuer à vivre, de garder un sens à la vie, malgré la souffrance, la déchéance du corps. Voilà, ça alimente le moteur de la joie de vivre.
- Olivia
Est-ce que votre femme et vos quatre enfants ont réagi aussi bien que vous ?
- Bertrand Vigneron
Alors, mon épouse a été la première, avant même avant moi. à comprendre ce qui se passait. Pourquoi ? Parce qu'elle travaille dans l'événementiel et que pendant dix ans, elle avait organisé les journées neurologiques en langue française et qu'elle côtoyait les grands pontes neurologues parisiens pendant quelques années, etc. Et que dans les amphis, il y avait des projections, elle entendait un peu des conférences et quand je lui ai décrit d'un symptôme, avant même le neurologue, elle m'a dit « Hum, ça serait bien une SLA » . Et tout de suite, elle m'a suivi dans l'acceptation de la maladie. On s'est dit tous les deux, c'est comme ça, c'est pas autrement. En revanche, pour les enfants, nous avons quatre enfants, comme vous disiez Olivier en introduction, trois garçons et une fille. Et bien chacun a eu son chemin, sa façon de s'approprier, entre guillemets, la maladie du papa. Pour certains, ça a été assez rapide. Pour d'autres, je ne dirais pas qu'ils ont été dans le déni. Mais quand il n'y a pas de diagnostic, tu n'es pas malade, même si les symptômes s'amplifiaient déjà. La perte des doigts notamment, ne plus pouvoir saisir un objet. Et comme j'ai la chance d'être sur une SLA à évolution lente, ça fait maintenant six ans, du coup ils ont eu ce temps de maturation un peu chacun à leur niveau. Et maintenant, je pense qu'ils sont, j'allais dire, apaisés. Oui, c'est le mot, je pense. Bien sûr qu'ils sont tristes de voir le papa s'éloigner et bientôt partir. Mais moi, je tiens à laisser derrière moi une grande paix. Et je pense qu'ils seront apaisés.
- Olivia
On va donc parler de votre foi. Est-ce que cette paix, cette acceptation a un lien avec votre foi ?
- Bertrand Vigneron
Bien sûr, il y a ces grâces qu'on reçoit. En fait, la foi... Alors, dans mon cas, je ne suis pas un converti. Je ne suis pas passé de rien à tout. Je suis né dans un milieu catholique, pratiquant. J'étais moi-même choriste à la cathédrale de Nantes dès l'âge de 7 ans. Et puis, 10 années de scoutisme. J'ai pratiqué toute ma vie, on a transmis une éducation chrétienne à nos enfants. D'ailleurs, nos neuf petits-enfants sont tous baptisés, ce qui est assez extraordinaire. Donc pour moi, la foi, ça a été un peu de toujours, mais ça a été une lente progression. C'est vrai que quand on en reste à l'Assemblée dominicale du dimanche, la foi, elle est un peu... un peu théorique ou culturel. C'est vraiment la découverte, la rencontre, la relation intime, personnelle avec Dieu qui fait que votre foi s'épanouit, grandit, se renforce. Sachant que ce n'est pas un chemin linéaire. D'abord, c'est un chemin très personnel. Chacun vit la foi au plus intime de lui-même.
- Olivia
Mais est-ce que vous aviez déjà fait cette rencontre personnelle avant ? le diagnostic de votre maladie.
- Bertrand Vigneron
Oui, mais encore une fois, je n'ai pas été foudroyé. Je ne peux pas me dire, il n'y a pas une date avec vraiment une bascule, comme pour certaines personnes à qui la foi est donnée de cette façon. Moi, elle m'a été donnée dès ma naissance à travers ma famille. Et tout mon parcours, ça a été une lente progression. Après, oui, Olivia, il peut y avoir des étapes, des petites marches quand même, qui font grandir. On parlait en préliminaire de Medjugorje, par exemple, en Bosnie. C'est un endroit incroyable. On a l'impression que la terre touche le ciel. Là, forcément, ces moments d'intensité avec le Seigneur de cœur à cœur. Ils sont très très forts. Je compare un peu, pour prendre une image, le signal Wi-Fi. Souvent, on a 2-3 barres. Ça oscille un peu. Des moments de forte intensité, 5 barres, là, c'est très rare. Mais quand on l'expérimente, c'est quelque chose d'assez incroyable.
- Olivia
Vous l'avez expérimenté à quel moment ?
- Bertrand Vigneron
Je l'ai expérimenté à Lourdes, au Pèlerinage du Rosaire, en 2023. où là j'ai eu des communions eucharistiques avec des expériences mystiques très très fortes, très fortes. À six reprises, à l'instant où l'hostie touchait ma langue, mon corps partait un peu en convulsion. J'étais broyé, tordu dans mon fauteuil avec une immense souffrance, on va dire, physique pour le coup. Et en même temps, un immense réconfort à la hauteur de la douleur, et qui en fait, annule, c'est très curieux à expliquer, il y a à la fois une grande souffrance et en même temps une grande consolation.
- Olivia
C'est le résumé de votre vie aujourd'hui, j'ai l'impression de ça.
- Bertrand Vigneron
En quelque sorte, oui. Voilà, il y a à la fois cette tristesse de quitter les miens, ce que... tous ceux que j'aime éperdument, et puis de quitter aussi les petits plaisirs de la terre, parce que moi je suis un jouisseur de la vie, au sens épicurien du terme.
- Olivia
Quel plaisir de la vie vous manque le plus ?
- Bertrand Vigneron
Alors, le premier plaisir, c'est de pouvoir étreindre ma femme, de ne plus pouvoir la prendre dans les bras, la serrer contre moi, ça c'est le plus grand manque. Voilà, après il y a... Il y en a beaucoup d'autres, mais le fait de ne plus pouvoir photographier, notamment, pour moi, c'était quelque chose de tout à fait jouissif. Oui, il y a la tristesse, et puis en même temps, il y a cette grande joie de savoir où je vais. Et cette joie est à la hauteur de ma tristesse. Donc, il y a annulation un petit peu. Donc, c'est ça ma vie aujourd'hui, pour répondre à votre question.
- Olivia
Quand vous dites que vous savez où vous allez ? Comment vous pouvez l'expliquer concrètement ? Vous allez vers où ?
- Bertrand Vigneron
Concrètement, ce n'est pas facile. En fait, c'est la troisième vie. Tout homme sur Terre, tout humain aura eu trois vies. Une première vie qui a la même durée pour tout le monde, neuf mois. Une vie utérine. Après, il y a une vie terrestre avec une durée très variable. de un jour à un siècle, on va dire. Et puis après, il y a la vie qui est la même durée également pour tout le monde, puisque celle-là est éternelle. Et c'est la vraie vie à mon sens, avec ce passage d'une vie à l'autre, la naissance... On n'est pas conscient de nous-mêmes, donc on n'en a pas le souvenir. En revanche, le passage de la vie terrestre à la vie éternelle, pour les humains, est beaucoup plus angoissant. Il ne l'est pas du tout pour moi, parce que je sais qu'un grand bonheur m'attend. Je serai dans l'amour. Quand on a été en quête de Dieu toute sa vie sur Terre, et qu'on sait que là, on aura les cinq barres de signal, au débit, en permanence, à jamais, on ne peut que se réjouir. Donc voilà, c'est cette vie dans l'éternité qui m'attend et que j'espère.
- Olivia
Vous iriez jusqu'à dire que vous avez hâte de mourir.
- Bertrand Vigneron
Ah oui, je suis prêt à mourir. Pas plus tard qu'hier, j'ai cru mourir. Pendant trois quarts d'heure, j'étais... J'ai été confronté à la mort imminente. C'est la quatrième fois en trois ans. Donc quand on vit avec le risque de la mort à chaque instant, parce que comme je ne peux pas respirer, enfin je ne peux respirer que assis, allongé, je ne peux pas respirer si je tombe de mon fauteuil par terre par exemple. S'il n'y a personne, en trois minutes, je suis mort. Si je fais une fausse route en mangeant, comme je ne peux pas tousser, je me rétouffais. Je manque parfois de faire une fausse route avec ma propre salive. Donc, en fait, la mort, pour moi, peut être de chaque instant. Quand vous vous rapprochez si près de la mort, forcément que la vie est différente. Donc, moi, je suis... Oui, j'y suis... Prêt, je ne la désire pas, mais je sais qu'elle est inéluctable. Et puis, ce n'est pas moi qui décide. Elle peut survenir d'un moment à l'autre. Le tout, c'est de s'y préparer et d'essayer d'être prêt pour la vraie grande rencontre.
- Olivia
Et comment vous vous y préparez ? Parce que j'imagine que votre préparation a changé.
- Bertrand Vigneron
C'est vrai qu'on vit la maladie un peu comme un temps de purification. Plusieurs personnes me disent « Ah mais toi, t'as déjà fait ton purgatoire sur Terre, t'iras directement au paradis » . Je ne sais pas. En tout cas, on s'y prépare en en parlant, tout d'abord, en famille, où la parole est très libérée. Avec ma femme et mes enfants, on discute de savoir, enfin, j'aime avoir leur point de vue, si je serais incinéré ou enterré, dans quelles conditions mourir. Est-ce qu'une sédation profonde est envisageable ou pas ? Qu'est-ce qu'ils en pensent ? Il y a mon point de vue, et puis j'aime prendre compte de leur avis. Après, on s'y prépare en cheminant avec un conseiller spirituel. Moi, je m'y prépare en préparant ma messe de funérailles, vu que j'ai encore toute ma tête, choisir les lectures, les chants, la musique. plutôt que de laisser ça à ma famille dans la précipitation des trois jours après le décès.
- Olivia
Est-ce que je peux vous demander ce que vous avez choisi comme évangile au funérail ?
- Bertrand Vigneron
Il n'est pas encore choisi, il y en a encore trois en balance. Donc voilà, je médite ça, c'est en cours.
- Olivia
Est-ce qu'une parole de la Bible vous soutient ?
- Bertrand Vigneron
Bon, alors, quand même pour donner mon réponse à la question précédente, il y a le discours sur le pain de vie. qui pour moi est quelque chose de très fort. Celui qui mange mon corps ou boit mon sang ne mourra jamais à la vie éternelle en lui, etc. C'est un des... Il est dans le lit de parade pour le choix de ma messe.
- Olivia
Vous pouvez communier d'ailleurs, toujours ?
- Bertrand Vigneron
Oui, parce que j'ai cette chance de garder la parole et de pouvoir continuer de manger, boire et parler. Ce qui, dans le cas de beaucoup de malades de la SLA, n'est pas le cas. Ils sont privés de la parole. Je pense que ça ajoute à la frustration. Parce que déjà, cette maladie, elle est très pénible à vivre. Mais comme le cerveau reste intact, si on ne peut plus communiquer, ça va être terrible.
- Olivia
Est-ce que vous voyez... Un signe spirituel dans le fait que vous puissiez toujours parler, alors que le reste de vos fonctions ne sont plus ?
- Bertrand Vigneron
C'est ce que je me dis petit à petit, ou de plus en plus. Et quand je vois encore qu'hier, où franchement, j'ai vu l'instant de mourir, qui n'est pas arrivé, à quelques minutes près, et je me dis que tout ceci n'est peut-être pas un hasard. Et effectivement, sans doute que j'ai une mission et que Dieu me laisse l'occasion ou me demande de parler, de témoigner, d'essayer de transmettre une espérance à ceux qui en manquent. Et ce qui fait que malgré cet incident d'hier, nous sommes là ce matin à converser autour du micro.
- Olivia
Et je pense que votre témoignage va effectivement aider beaucoup de personnes. atteinte de la même maladie que vous et d'autres maladies et les proches. D'ailleurs, je me demandais, que peuvent faire vos proches pour vous ?
- Bertrand Vigneron
Alors, ils font beaucoup de choses. Sans les proches, ce serait très difficile de vivre. Il y a en premier lieu mon épouse, qui est ma première aidante. Et cette maladie, elle se vit vraiment à deux. Parce que ça a impacté autant sa vie que la mienne. Moi, au sens physique. Mais elle, dans son quotidien, dans tous ses projets, dans sa vie en globalité, quoi. Et puis, après, mes enfants, très présents aussi, puis beaucoup d'amis également. des vieux amis que j'ai retrouvés, que je n'avais pas vus depuis 40 ans. Et là, il y a de très beaux moments d'amitié, de fraternité. Non, là encore, je suis nanti. Je vis dans des conditions excellentes. Je ne peux pas rêver meilleure famille quand je pense à des gens atteints qui seront dans des conditions bien moindres ou même sur d'autres continents. Avoir laissé aller en Afrique, je me dis, déjà ici, ce n'est pas simple, mais là-bas, je me dis que, somme toute, j'ai de la chance dans mon malheur.
- Olivia
Qu'est-ce que vous a apporté la maladie, puisque vous avez l'air de l'absendre si bien ?
- Bertrand Vigneron
Elle m'a permis de développer deux qualités. Un, c'est la patience. Parce que comme on ne peut plus rien faire, quand je dis plus rien, c'est vraiment plus rien. On ne peut pas saisir une feuille de papier, on ne peut pas saisir aucun objet, on ne peut pas lever la main. Moi, ça fait quatre ans que je n'ai pas pu me frotter l'œil ou me passer la main dans les cheveux. On ne peut rien, rien, rien, rien faire. On est comme une statue en pierre. Donc on passe beaucoup de temps à attendre. parce que l'autre n'est pas forcément disponible immédiatement. Donc il faut vraiment s'armer de patience. Là où c'est compliqué, c'est que plus ça va... Là maintenant, je suis complètement tétraplégique, et je ne peux même plus piloter mon fauteuil tout seul. Donc il faudrait un surcroît de patience, sauf qu'au bout de 5 ans, 6 ans, la patience est déjà un peu usée. Mais bon... On la demande au Seigneur et il l'accorde. Et puis l'autre chose, c'est l'humilité. Parce que comme on ne peut plus faire les actes de la vie au courant, se laver, s'habiller. Donc voilà, ce sont les autres qui... Vous avez l'impression de perdre votre corps. Et ce sont les autres qui s'occupent de votre corps dans les parties les plus intimes. Donc il faut en même temps une grande humilité. J'ai plus qui disait... L'humilité, cette vertu, quand on croit qu'on l'a, on ne l'a déjà plus. Et ça, ça me fait beaucoup méditer, ça.
- Olivia
Est-ce que vous avez déjà songé à l'euthanasie ?
- Bertrand Vigneron
Alors l'euthanasie, on en parle beaucoup actuellement. Ce projet de loi qui fait grand tapage, que franchement, moi, je ne comprends pas. Déjà, dans tout ce tapage médiatique, on voudrait nous faire croire que c'est mourir dignement. Comme si, jusqu'à présent... on ne mourrait pas dignement, que c'est grâce à l'euthanasie qu'on mourra dans la dignité. C'est une usurpation des mots qui, moi, me révolte un peu. Il y a déjà la loi Leonetti de 2005, qui est devenue la loi Claes-Leonetti en 2016, qui prévoit, qui permet, par une sédation profonde, mais dans des conditions très encadrées, de maladies incurables et irréversibles. en état avancé, etc., de supprimer la douleur pour une mort naturelle. C'est-à-dire que l'euthanasie, c'est un acte, une injection létale, par exemple, qui va entraîner la mort directe. La loi Leonetti, elle permet d'endormir la personne avec, pour effet indirect, la mort naturelle. Donc, il y a quand même une différence. Voilà, moi, je ne comprends pas pourquoi... On veut aller plus loin. Moi, je considère ça comme un dernier caprice de l'homme qui veut décider de l'instant même de sa mort. Moi, je ne suis pas du tout pour cette loi. J'y vois des risques même d'eugénisme au niveau d'une société. Quand on regarde les Pays-Bas, par exemple, eux, ils l'ont voté avant 2000. C'était pour les personnes majeures. Puis après, ils l'ont accordé aux personnes. aux mineurs de 2016, et maintenant, il vaudrait 16 ans, et maintenant, pour les mineurs de 14 ans, aux Pays-Bas, 6% des décès par euthanasie. On sait très bien qu'ils nous disent, oui, il y a des... des garde-fous, etc. Mais on sait très bien par expérience que les verrous sautent les uns après les autres. Et on peut s'attendre à des dérives dangereuses. Donc moi, je pense que la loi actuelle est très suffisante et je n'exclus pas dans mon cas d'y faire recours le moment venu.
- Olivia
Pour éviter la souffrance de la faim, c'est ça ?
- Bertrand Vigneron
Exactement. Oui, parce que dans mon cas, ce n'est pas sympa. Parce que comme c'est la mort par asphyxie, vous entendez que je manque un peu de souffle là quand je parle. Parce que les muscles disparaissent des membres, mais aussi les muscles respiratoires. On perd les pectoraux, les intercostaux, le diaphragme, et on ne peut plus respirer sans la machine. Donc voilà, après, ça devient de l'acharnement thérapeutique. Ce que moi, je ne souhaite pas non plus.
- Olivia
Merci de votre réponse très claire. Est-ce que vous iriez jusqu'à dire que votre vie aujourd'hui est plus belle que celle que vous aviez avant 60 ans ?
- Bertrand Vigneron
Ah, ça c'est très compliqué, Olivia, comme question. Franchement, ma réponse c'est oui et non. Non, parce qu'on est privé de tout, et tout ce que j'adorais faire... J'adorais danser, j'adorais skier, j'adorais faire un barbecue, et balader dans des endroits extrêmes, des endroits où personne ne va. C'est tout ce que j'adorais, je ne peux plus le faire. Et puis oui, parce qu'elle m'a fait grandir en qualité, en découverte, en relation, en plein de choses. Donc je termine sur le oui.
- Olivia
Ça ne m'étonne pas de vous. Qu'est-ce que vous voudriez laisser... derrière vous, au monde, et à vos enfants, et à votre femme ?
- Bertrand Vigneron
Le souvenir d'un père aimant. Tout d'abord. Ce qui a été le cas, ce qui est toujours le cas, malgré la déchéance de la maladie, un père aimant est entièrement donné à son épouse, à sa famille. Certains écrivent un livre, certains... Moi, je leur laisse une belle photothèque. avec plein de belles images sur la création en général. Voilà, je voudrais surtout essayer qu'il soit en paix. J'ai moi-même vécu, quand mon père est décédé en 2010, et avec mes quatre sœurs, il nous a laissé une grande paix derrière lui, mais vraiment une paix perceptible. Je souhaiterais pouvoir faire la même chose pour eux. pour mes enfants.
- Olivia
Bertrand, qu'est-ce que vous pouvez encore apporter aux autres ?
- Bertrand Vigneron
En fait, moi-même, je m'interroge, mais c'est plutôt les autres qui me disent, qui me disent, mais si, tu nous apportes beaucoup de choses. Tu nous apportes une certaine joie, tu nous partages une espérance, tu nous invites à prier. Moi, je ne m'en rends pas compte forcément, en fait. C'est ce retour des autres qui me fait dire que oui, je peux continuer à apporter à mon entourage.
- Olivia
Merci beaucoup, Bertrand. Avant de clore cet entretien, j'ai trois questions à vous poser, les questions traditionnelles de ce podcast. Donc la première, c'est quel conseil donneriez-vous à quelqu'un qui vit la même épreuve que vous ?
- Bertrand Vigneron
Moi, j'ai la chance d'avoir la foi. On vient d'en parler largement. C'est ce qui me permet de traverser cette maladie. Pour ceux qui ne l'ont pas, c'est très compliqué. Les deux qualités que j'ai développées, moi, comme je disais tout à l'heure, la patience et l'humilité, c'est le conseil que je leur ferai. Mais de se tourner vers Dieu, je pense que c'est la meilleure solution. Et là, il ne faut pas aller chercher très très loin. dans des philosophies orientales, ésotérie, je ne sais quoi. Non, non, il est en vous. Il faut creuser. Il est au plus profond de vous. Et c'est là que vous le découvrirez.
- Olivia
La deuxième question, c'est est-ce qu'il y a un livre qui vous a rejoint dans votre épreuve ?
- Bertrand Vigneron
Il y a Le Retour du Fils Prodigue qui m'a beaucoup marqué. Et puis un autre livre récent, un livre tout simple, qui est Le Journal de Joseph, qui est écrit par... Francis Lalanne. Je ne savais pas qu'il était croyant, d'ailleurs. Il a joué le rôle de Joseph dans le film Marie.
- Olivia
Joseph, le père de Jésus.
- Bertrand Vigneron
Oui. Ce livre a ému Jean-Paul II aux larmes. Et c'est un livre de... extraordinaire, d'ordinaire, du quotidien de Joseph, qu'on connaît très peu dans les Écritures. On n'a pas beaucoup d'informations sur Joseph. Et en lisant ce livre, vous êtes vraiment dans la peau du papa de Jésus, avec ses soucis, ses joies, ses inquiétudes, du quotidien de la Sainte Famille. Ça se lit très vite, très bien. C'est un livre édifiant que je recommande. Le journal de Joseph.
- Olivia
Et Bertrand, comment ça se passe ? ça vous aide dans la maladie ?
- Bertrand Vigneron
Voilà, c'est d'essayer de rester ce père engagé jusqu'au bout. Quand vous vous mariez et vous dites... Je promets de t'aimer pour le bonheur, et dans le bonheur et le malheur, dans la santé et dans la maladie, là on sait ce que ça veut dire. Et Saint Joseph, il n'a pas fait de bruit, mais il a été jusqu'au bout. Voilà, et comme je disais tout à l'heure, c'est cette paix que je voudrais essayer de laisser derrière moi.
- Olivia
Et la dernière question, avant la question surprise, quelle est votre prière préférée ? Est-ce que vous pouvez nous la lire ? Donc là, je vois que vous n'en avez pas apporté.
- Bertrand Vigneron
Non, parce qu'on les connaît par cœur. La première, c'est celle de ma prière des époux, des époux de mon mariage. Seigneur, nous te confions notre amour, qu'il puisse prendre sa source en toi pour que, etc. C'est la prière de Sœur Emmanuelle Duquerre. Il y a une prière que j'ai apprise plus récemment, pendant la maladie, c'est la prière à Saint-Joseph. qui est très belle aussi. Après, il y a la prière scout, que j'ai récitée toute ma vie. Donc, les prières, il y en a... Elles sont plusieurs.
- Olivia
Vous continuez à en apprendre et à en lire ?
- Bertrand Vigneron
La dernière que j'ai apprise, c'est celle de Saint Joseph, depuis un an à peu près. Je la récite presque tous les jours maintenant.
- Olivia
Vous pouvez nous la réciter ou elle est trop longue ?
- Bertrand Vigneron
Non, elle n'est pas très longue. Je vous salue Joseph, vous que la grâce divine a comblé. Le Sauveur a reposé dans vos bras. et grandit sous vos yeux. Vous êtes béni, Joseph, et Jésus, le fruit divin de votre virginale épouse, est béni. Saint Joseph, vous qui étiez donné comme père au Sauveur de l'humanité, priez pour nous dans nos soucis de famille, de santé, de travail, et daignez nous secourir à l'heure de la mort. Amen.
- Olivia
Et dernière question, si vous aviez le Christ en face de vous, qui ne saurait tarder, qu'est-ce que vous lui diriez ?
- Bertrand Vigneron
Enfin, enfin je te vois. Enfin je te vois après toute une vie. Enfin maintenant, je ne serai plus jamais séparé de toi.
- Olivia
Merci beaucoup Bertrand.
- Bertrand Vigneron
Merci Olivia et merci aux chers auditeurs et auditrices.
-
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