- Speaker #0
Bonjour
- Speaker #1
Marie-Laure Ferrari.
- Speaker #2
Bonjour Marlène.
- Speaker #1
Merci d'avoir accepté mon invitation. Tu es thérapeute en relations d'aide, formatrice en développement personnel, Tu proposes des stages avec des thèmes très différents. Alors aujourd'hui, on va mettre un peu plus en avant le dernier petit stage que tu proposes. Alors, ce n'est peut-être pas un stage, c'est plus une journée.
- Speaker #2
Effectivement, ce n'est pas un stage, c'est un atelier témoignage.
- Speaker #1
Un atelier témoignage qui s'appelle Apprivoiser sa mort
- Speaker #2
Et l'intitulé complet, c'est Apprivoiser sa mort pour donner du sens à sa vie et être plus heureux.
- Speaker #1
C'est assez récent en fait, cette journée témoignage que tu proposes. Oui. Mais j'ai l'impression que j'ai regardé un petit peu ton parcours. C'est un peu comme si tout t'avait amené... à proposer cette journée. J'ai vu que tu étais intervenue, par exemple, dans un hôpital en soins palliatifs.
- Speaker #2
Oui.
- Speaker #1
Je me demandais si ça avait un lien ou pas, si cette expérience-là t'avait aussi, très certainement, nourrie de questionnements, peut-être d'une approche de voir comment les gens étaient, s'ils étaient accompagnés ou pas.
- Speaker #2
Je crois qu'aussi loin que je puisse me souvenir, même dans mon enfance, La mort m'a toujours interpellée en tant que telle et pour une histoire très personnelle qui faisait suite à un deuil. Et puis effectivement j'ai choisi d'intervenir dans ce centre de soins palliatifs bénévolement à l'époque. Parce que j'avais le sentiment, peut-être aussi avec l'expérience d'une dame qui a beaucoup compté pour moi, que les gens mourraient dans une grande solitude. Et certainement que cette expérience... m'a donné cette envie de contribuer. Est-ce que c'est clair quand je dis contribuer, contribuer à la vie ? En tout cas, intervenir auprès des gens qui se meurent, c'est pour moi contribuer à la vie, aussi paradoxal que ça puisse paraître. Marshall Rosenberg, dans son apprentissage de la communication non-violente, parle beaucoup de contribuer à la vie. Il dit ceci, il dit que même dans les univers les plus hostiles, Il s'est rendu compte que ce qui rendait l'homme le plus heureux, c'est quand il pouvait contribuer et aider son prochain, même dans des univers hostiles, en guerre.
- Speaker #1
Il faut peut-être que tu rappelles qui il est.
- Speaker #2
Marshall Rosenberg, c'est un grand psychothérapeute qui travaillait d'ailleurs avec Carl Rogers, qui a créé la communication non-violente, un mode de communication pour pouvoir échanger. J'allais dire en douceur, c'est pas tout à fait exact, en vérité. Oui, parce que ça peut être ferme. Absolument, en vérité, mais vraiment en cherchant à ne pas blesser l'autre. Voilà pourquoi j'employais le mot douceur.
- Speaker #1
D'ailleurs, tu as fait des stages aussi écoute et communication.
- Speaker #2
Oui.
- Speaker #1
Où tu en parles.
- Speaker #2
Oui.
- Speaker #1
Et où tu donnes des outils.
- Speaker #2
Oui, effectivement. Ça,
- Speaker #1
ça pourrait faire l'objet d'autres émissions, mais il y a peut-être aussi, je me disais, des passerelles. Entre les différents stages que tu as pu faire et les conseils que tu as pu donner et cette journée témoignage ?
- Speaker #2
L'atelier témoignage est une journée extrêmement singulière sur une thématique effrayante. D'ailleurs, j'admire les participants qui ont osé franchir la porte pour pouvoir tenter d'apprivoiser leur mort durant cette journée.
- Speaker #1
Pour être complètement honnête, on va dire que j'ai franchi la porte. C'est pour ça que ça m'intéressait de le partager.
- Speaker #2
Je suis très heureuse que tu le dises. Je pense que ça demande beaucoup de courage. pour pouvoir participer à cette journée. Et je ne suis pas certaine que d'avoir fait d'autres ateliers qu'ont pu être confiance en soi, estime de soi, écouter communication, le lâcher prise, je ne pense pas que ce soit une passerelle pour pouvoir approcher cet atelier témoignage, qui est quand même, je le répète, extrêmement singulier, dans sa particularité, mais pas uniquement parce qu'on parle de sa mort. parce qu'il s'appuie sur mon témoignage. Et autant pour moi que pour les participants, je pense que ce n'est pas neutre.
- Speaker #1
Est-ce que tu veux en parler de ce témoignage ? Est-ce que tu veux dire pourquoi tu as créé ce stage ou pas du tout ? On va peut-être arrêter de dire stage, parce que je suis restée sur l'atelier. C'est une journée. C'est vrai que les autres moments que tu proposais étaient sur deux jours ?
- Speaker #2
Oui.
- Speaker #1
Alors là, c'est une journée, peut-être parce que c'est tellement intense que ça suffit.
- Speaker #2
Oui, et puis pour être tout à fait honnête, je me demandais si deux jours, ce ne serait pas trop pour un sujet aussi lourd. Et puis que c'était une grande première pour moi. Pourquoi ? Si j'ai accepté de participer à cette émission Marlène, c'est parce que je pense qu'il est temps de parler de la mort. J'ai donc appris il y a trois ans que j'avais un cancer. et parce que j'avais choisi une manière différente de me soigner, que j'étais condamnée à court terme. J'y ai vu là, non pas une forme d'injustice ou une punition, mais une expérience de vie. Et je me souviens avoir dit à mes proches, j'en ferai quelque chose, et peut-être un jour aurai-je l'occasion de témoigner, en tout cas je ferai tout pour. D'où cette idée d'atelier témoignage. Et donc j'en profite pour te remercier Marlène, parce que tu me donnes par la même l'occasion de témoigner encore aujourd'hui.
- Speaker #1
C'est que tu apportes tellement aux autres, et j'ai un peu envie de partager ça avec d'autres personnes encore qui pourraient trouver ici, avec cette émission, des moyens d'aller mieux. Parce que c'est ça qu'on cherche en fait. Et de s'apaiser. Alors comment est-ce qu'on peut s'apaiser avec l'idée de la mort ?
- Speaker #2
Parce qu'on touche là véritablement à la vie, à la vie dans l'instant présent, dans ce qu'elle nous offre. Certes, on le sait, on peut tous mourir demain, j'ai rien inventé en disant ça. Lorsqu'on voule la Seine, c'est autre chose, véritablement. On prend conscience de la précarité de la vie. Donc tout devient urgent, tout devient important, tout, mais vraiment tout. Je dis souvent à titre d'exemple que je ne dis plus jamais au revoir de la même façon. Quand je quitte quelqu'un qui m'éproche sur un quai de gare, par exemple, ça n'est pas anodin. Je ne dis pas au revoir comme ça. Je sais que peut-être je ne reverrai pas cette personne. Et ça ne me rend pas triste, ça me donne une envie de vivre, mais comme jamais. Et c'est juste ça que j'ai envie de dire, au-delà ce témoignage de la mort, au-delà de ce qui peut paraître effrayant, c'est mais vivez ! Comme dirait Nietzsche, consumez votre vie, vivez !
- Speaker #1
Alors qu'est-ce que ça veut dire, de vivre ?
- Speaker #2
Profitez de tout ce que la vie nous offre, tout sans exception.
- Speaker #1
Mais parfois, les gens n'y parviennent pas. Et je pense que c'est ça qu'ils viennent chercher aussi dans les journées que tu proposes. Et moi, c'est ce qui me marque le plus avec toi. C'est ta façon d'aller chercher chacun dans son histoire. Pas seulement chercher, d'ailleurs, trouver. Trouver chacun dans son histoire. Parce qu'évidemment, on a tous envie de vivre. On peut se le dire, mais jour après jour, on a tous des blocages, des choses qui ne fonctionnent pas, des façons de se voir qui ne vont pas du tout. Donc c'est peut-être là où toi, tu apportes des outils, des choses, un éclairage.
- Speaker #2
Oui, ceci étant, restons humbles. Dire que c'est tous les jours facile, ce n'est pas vrai du tout. Je suis comme toi Marlène, je suis comme tout le monde. Moi aussi j'ai des journées où ça va moins bien. Moi aussi il ne m'arrive de ne pas regarder ma journée comme je devrais la voir. Par contre, j'ai ce privilège, parce que je crois que depuis trois ans j'ai ce privilège, de pouvoir de temps en temps faire un arrêt sur image et me dire Voyons, est-ce que tu peux compter aujourd'hui ? Tout ce que la vie t'a offert, de bénédiction comme dirait un de mes amis et pas au sens religieux du terme, et je suis riche de ça, de pouvoir me dire en fin de journée, oui quand même, ça n'a pas été simple. Aujourd'hui j'ai souffert, aujourd'hui j'ai eu des mauvaises nouvelles, mais quand même, qu'est-ce qu'il y a eu comme beau moment. Aujourd'hui je suis vivante et j'ai pu faire ça, j'ai pu partager un verre avec une amie, j'ai pu cueillir des fleurs dans mon jardin, j'ai pu contempler mes montagnes.
- Speaker #1
j'ai pu faire tout ça waouh c'est là où moi je fais un lien avec un des stages que tu proposais sur face au stress et cultiver sa joie parce qu'il y avait ça dans cultiver sa joie c'était chaque jour Même sans savoir qu'on va mourir, déjà, profiter, être... Alors, ce n'est pas la positive attitude, parce que ce n'est pas ça. C'est aussi accueillir les choses qui ne vont pas bien. Mais en tout cas, essayer d'être complètement, peut-être, acteur de sa vie et faire des choses qui nous font du bien. En tout cas, choisir entre des choses qui... qui ne sont pas top et des choses qui peuvent nous faire du bien, cultiver sa joie. J'aime bien cette expression.
- Speaker #2
Oui, effectivement. Je te remercie de reparler de ce stage. C'est curieux. C'est un peu comme si je l'avais oublié alors qu'on était précisément là-dedans. Et je me souviens effectivement de moments extraordinaires qu'on a pu partager, grâce à toi. Mais finalement, je vais reprendre ton mot passerelle. Puisque le premier stage que j'ai créé, c'était Oser sa vie, et que c'est finalement une belle passerelle pour cet atelier qui signe, je l'espère, pas la fin de mon parcours, mais peut-être le début d'un nouveau parcours, mais pour effectivement, j'abordais déjà dans le stage Oser sa vie, la nécessité de vivre l'instant présent. Je ne savais pas à quel point j'avais raison de le dire en ce moment-là. En tout cas, je le supposais. Maintenant, je le sais et je le sens.
- Speaker #1
C'est vrai que c'est peut-être une préparation à mieux accepter, à mieux accueillir une telle... Ce n'est pas qu'une nouvelle, parce que tu le vis dans ton corps, donc je ne sais pas comment dire, d'accueillir une nouvelle vie, une nouvelle expérience difficile. Et sans doute que tu as dû pouvoir toi aussi utiliser tout ce que tu proposais aux autres pour mieux le vivre, mais peut-être avec quelque chose qui est venu accentuer. peut-être qu'avant tu proposais des choses mais c'était peut-être je ne vais pas dire que c'était seulement théorique parce que c'était concret aussi mais là c'est venu encore plus dans ton expérience ça aurait pu en fait ou tout détruire et
- Speaker #2
c'est peut-être venu réaffirmer quelque chose là encore elle est extrêmement pertinente cette question je pense notamment au stage estime de soi confiance en soi Et je l'avoue, il faut une sacrée confiance en soi pour relever un tel défi. C'est-à-dire, peut-être la médecine peut se tromper aussi. Je parle de moi, je ne parlerai toujours que de moi en l'occurrence. Et peut-être que je peux vivre plus longtemps. Et la preuve, je suis encore là. Ça fait trois ans, comme je le disais en préambule. Je crois effectivement qu'il faut et de la confiance en soi et de l'estime de soi. vraiment, donc j'ai certainement puisé, c'est même pas certainement, j'ai bien sûr puisé dans ces ressources là, oui oui, et je dois dire qu'en dépit des vicissitudes de la vie et particulièrement depuis ces trois ans J'ai perdu mon père. Je pense, c'est important de le dire, c'est qu'en dépit de ça, justement, je n'ai quand même jamais perdu ma joie. Elle n'est pas constante, une joie n'est jamais constante. Mais je n'ai jamais perdu cette capacité à me relier à la joie. Jamais.
- Speaker #1
Est-ce que tu penses que ça, c'est un peu une question débile ? C'est évident, mais peut-être que c'est bien de le rappeler quand même. Dans le fait que tu sois toujours là, et on espère pour longtemps, est-ce que cette joie, elle est justement importante dans ton état chaque jour ?
- Speaker #2
Elle n'est pas débile. Est-ce qu'elle est vraie cette question ? Mais oui, bien sûr Marlène, ça j'en suis intimement persuadée, effectivement, que c'est ma joie qui fait que je suis encore en vie. Alors là encore, il y a bien des jours où je pleure, il y a des jours où je suis comme tout le monde, mais vraiment en filigrane. Il y a toujours cette joie qui est là. C'est de l'ordre de l'espérance aussi, je crois.
- Speaker #1
Et de la foi ? C'est pareil ou pas ? L'espérance et la foi, c'est…
- Speaker #2
Oui, en tout cas pour moi. Je pense à une amie particulièrement qui me dirait que non, c'est pas la même chose, mais pour moi, oui. Oui, c'est de l'ordre de la foi, oui. Ah oui, d'ailleurs, je dis fréquemment et… Tu as dû me l'entendre dire, j'ai foi en la vie. Oui, ah oui. J'ai vraiment foi en la vie. J'ai une foi inébranlable en la vie.
- Speaker #1
J'en profite pour parler de ton site internet, parce que j'ai deux petites phrases que j'ai notées. Donc, tu as un site qui s'appelle développezvous.com Oui. Il y a les stages que tu proposes ou que tu proposais, parce que je crois que tu m'as dit qu'il y a certains stages que tu n'avais pas.
- Speaker #2
Je les ai mis en pause, effectivement.
- Speaker #1
Il y a également des témoignages. Je trouve que c'est intéressant d'aller lire ce que les personnes ont pu mettre et qui sait peut-être qu'un jour tu reprendras ces autres stages. Il y a un blog, tu écris des textes.
- Speaker #2
Oui.
- Speaker #1
J'ai retenu deux phrases qui m'ont interpellée. Tu dis la vie est si belle, mais comme le monde peut être laid Oui. Je trouve ça très juste. Ma question c'est comment on fait pour s'y retrouver ? Parce que c'est un peu ça aussi, comment la joie... Comment on la conserve dans un monde qui est... Je ne sais pas s'il est de plus en plus difficile, parce que moi je pense que, sincèrement, le monde a toujours été cruel et que chaque époque, il y a quand même des choses incroyablement monstrueuses. Et la question c'est comment on fait pour être à la fois dans le monde... Soit on se cache, soit on va dans sa caverne et on ne voit plus le monde. Et quand on a envie d'être dans le monde, comment faire pour trouver la vie belle ? Avoir encore cette sensation que la vie est...
- Speaker #2
J'allais dire, comme le préconisent les montagnards, faire un pas de côté.
- Speaker #1
Toi, tu aimes beaucoup la montagne.
- Speaker #2
Oui.
- Speaker #1
Tu viens d'ailleurs de...
- Speaker #2
J'arrive. J'arrive de mon royaume, comme je l'appelle. Faire un pas de côté, oui. C'est... Prendre un peu de recul avec ce qui se passe dans le monde au risque de s'y noyer. Et j'aurais pu, de temps en temps, lorsque j'ai travaillé à Médecins du Monde, me noyer. Effectivement, dans cette souffrance, dans cette brutalité, dans cette violence qui me fait dire mais comme le monde est laid Les récents événements le prouvent encore. Et tu as raison, Marlène, le monde, il a toujours été violent. mais faire ce pas de côté pour justement contempler la vie les gens se méprennent souvent Quand je dis la vie est belle, je vois bien qu'on me regarde un petit peu comme si j'étais la reine des bisounours, avec un regard un peu angélique sur le monde. Et je dis bien volontiers que non, mon expérience à MDN m'a prouvé que le monde n'était pas beau, n'était pas joli. Et j'ai entendu des horreurs. Mais la vie, elle, est belle, comme je le disais en préambule. Regarde comme il fait beau aujourd'hui. Regarde l'environnement dans lequel tu m'accueilles.
- Speaker #1
Oui, on remercie Nicole qui nous accueille dans son beau lieu, l'atelier 68 à Angoulême. C'est vrai que ça, ça fait partie des choses sympas.
- Speaker #2
Oui, c'est un lieu à contempler. Voilà.
- Speaker #1
La beauté, oui, la beauté, ça en fait partie. J'aimerais bien que tu parles un petit peu de ton expérience à Médecins du Monde, parce que justement, c'est vrai que quand on parle parfois de joie ou de voir que la vie est belle, et encore une fois, surtout en ce moment, comme on est beaucoup plus en lien, je pense, avec les uns et les autres, la communication, les réseaux, j'entendais un débat récemment, enfin, on ne va pas parler de politique parce qu'on n'est pas là pour ça, mais je trouve que c'est intéressant. Pour appuyer cette joie, on parle beaucoup de guerre en ce moment, et c'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de voix sur le fait de chercher des voix pacifistes. Ça, ça m'étonne beaucoup. Et en même temps, je me dis que c'est vrai, c'est peut-être être complètement naïf, bison-ours, dingue, de pouvoir croire qu'il y a des conflits qui vont se résoudre par la paix. Donc c'est pour ça que je voudrais que tu parles aussi de ton expérience, de ce que tu as vu, et que malgré tout, tu restes dans cette joie et dans cet optimisme, on peut dire ça comme ça. À Médecins du Monde, qu'est-ce que tu faisais exactement ?
- Speaker #2
Lorsque je suis rentrée à Médecins du Monde, je suis rentrée pour faire de l'écoute et de l'accueil, tout simplement. Alors ça se rattrachait quand même à un événement précis. J'avais perdu un ami, toxicomane, qui est mort lui aussi dans une solitude abyssale. Et j'avais ouï dire qu'il y avait des actions qui étaient menées à Médecins du Monde. Donc je suis rentrée pour faire du programme Échange Seringue. Pourquoi j'ai aimé Médecins du Monde ? Certes, pour les actions que nous avons accomplies. Je dis nous, puisque j'ai eu la chance après d'être responsable de l'antenne. Et parce que j'ai vraiment eu cet immense privilège d'être accompagnée d'une équipe extraordinaire et que pendant 15 ans, j'ai vraiment connu la solidarité, la fraternité, tout ce qui peut se construire pour... pour venir en aide aux plus démunis, aux grands marginaux, quels qu'ils soient. On est vraiment intervenu parfois avec un public, quand je dis difficile, je veux dire en grande souffrance. Et ça, ça a été une expérience humaine extraordinaire, vraiment. Vraiment.
- Speaker #1
L'antenne était à Angoulême et toi tu bougeais en France, à l'étranger ?
- Speaker #2
Non, moi j'étais uniquement sur le secteur France. Donc je me déplaçais au siège, effectivement, pour recueillir les informations là-bas et puis pouvoir apporter du travail qui était fait sur le terrain. Mais j'étais responsable de l'antenne d'Angoulême et déléguée du Poitou-Charentes. Et j'ai vraiment été très bien accompagnée. Je profite même de ce micro pour rendre hommage encore à ceux qui poursuivent les actions encore en Goulême.
- Speaker #1
Qu'est-ce que tu as comme souvenir de ces expériences ? Qu'est-ce qui te marque ? Est-ce qu'il y a quelque chose qui te revient dans les rencontres que tu as pu faire ?
- Speaker #2
Je me souviens, on a décidé de monter une action auprès des gens du voyage. qui sont considérés comme des voleurs de poules. Il ne faut pas se mentir, ils sont quand même perçus comme ça, encore aujourd'hui. Alors là non plus, ce n'est pas d'angélisme, bien sûr, comme partout. Il y a des êtres qui sont plus difficiles, on va dire. Mais ça a été vraiment une rencontre extraordinaire. Vraiment, de pouvoir les approcher, de pouvoir connaître la façon dont ils vivaient aussi, avec une expérience qui date de loin, puisque je me souviens d'une famille qui nous parlait de ce qu'ils avaient pu vivre dans les camps de concentration. Ils ont une histoire absolument dingue, les gens du voyage.
- Speaker #1
Surtout qu'à Angoulême, il y avait un camp où les gens du voyage étaient enfermés.
- Speaker #2
Absolument. Et à l'époque, je remercie Médecins du Monde-Siège parce que c'était inédit. Aucunement en France, il y avait des actions qui avaient été menées auprès des gens du voyage. On nous l'a accepté et ça a été vraiment une expérience hors du commun. Vraiment. De l'altérité, ce mot-là m'est cher. De l'altérité. Et je crois que c'est ce qu'on a pu cultiver à Médecins du Monde. L'altérité. Notamment aussi avec ce programme Échange Seringue, où nous avons été vus au départ comme des pauvres voyeurs de seringues. Et là encore, je veux dire, on ne se pique pas par hasard, on ne shoot pas par hasard. Ça raconte une histoire de vie fracassée tout ça.
- Speaker #1
L'échange seringue, c'était pour avoir des... Les toxicomanes puissent avoir des seringues propres.
- Speaker #2
Stériles. Et qui nous remettaient le matériel souillé. Ça aussi, c'est important.
- Speaker #1
Donc ça ne reste pas...
- Speaker #2
Dans les jardins verts, comme c'était le cas. Et puis ça nous permettait de les accompagner dans leur trajectoire de vie. Parfois en les dirigeant vers un centre comme Agora, pour qu'ils puissent se faire aider. Parfois juste pour être là. Simplement être là.
- Speaker #1
Et une autre phrase. que j'ai trouvée dans ton blog. Après, la vie est si belle, mais comme le monde peut être laid, tu dis qu'il faut de l'audace pour vivre aujourd'hui selon nos convictions.
- Speaker #2
Oui.
- Speaker #1
Est-ce que ça, ça rejoint la façon dont toi, tu as choisi de te soigner ?
- Speaker #2
Oui.
- Speaker #1
Ce n'est pas une phrase qui existait déjà avant. Est-ce que tu trouves qu'aujourd'hui, c'est encore plus difficile ?
- Speaker #2
Je ne sais pas si c'est plus dur aujourd'hui. Je ne peux parler que de l'expérience à laquelle je suis confrontée, en l'occurrence celle de choisir une médecine différente. J'ai eu de l'hostilité devant moi, n'ayons pas peur des mots, j'ai eu de l'hostilité.
- Speaker #1
De la part des médecins ?
- Speaker #2
Oui, je ne parle pas de mon médecin traitant qui est un... Un thérapeute extraordinaire et très à l'écoute de ceux que j'ai connus à Médecins du Monde. Mais oui, oui, j'ai eu affaire à une hostilité, vraiment.
- Speaker #1
Mais ils t'ont dit quoi ? Que t'étais folle ? Que tu ne te rendais pas compte de ce que tu faisais ?
- Speaker #2
Oui, oui, oui. On m'a demandé si je pensais pouvoir guérir par la pensée. Et on m'a dit que j'allais mourir, rapidement. Oui, en ces termes. Non, c'est difficile. Il faut être solide. je n'étais pas censée avoir d'autre alternative que celle qu'on me proposait je ne suis pas marlène et j'insiste en train de dire que je détiens la vérité, que je suis contre cette médecine conventionnelle. Ce n'est pas ce que je dis du tout. Je ne voudrais pas que mes propos soient interprétés. Non, non,
- Speaker #1
mais c'est bien de le préciser.
- Speaker #2
Je dis simplement que ce n'était pas ce que j'avais choisi.
- Speaker #1
Oui, c'est bien d'entendre aussi qu'on peut choisir, sentir des choses, et qu'il y a différentes propositions de soins. Moi, ce que j'entends aussi, c'est sans doute très difficile, mais c'est aussi choisir comment on veut vivre, soit ces derniers moments, ou soit les moments qui vont encore venir ensuite, mais il y a ça aussi.
- Speaker #2
Tout à fait. Je ne voulais pas me lancer dans un parcours qui, je le savais, Je pouvais laisser des séquelles, d'une part, et puis de toute façon, j'allais pas sortir indemne. On sort pas indemne d'un... d'un parcours comme pouvait être le mien, comme celui qu'on me proposait. Ce n'était pas possible. Et je préférais vivre moins longtemps, prendre le risque en tout cas de vivre moins longtemps, mais de vivre comme je l'entendais. Le fait est que depuis trois ans, je parcours mes montagnes, je vis comme je l'entends. Je vis comme je l'entends.
- Speaker #1
Tu as changé des choses dans ta vie ?
- Speaker #2
Oui. Oui, oui, absolument.
- Speaker #1
je passe un mois sur deux dans mes montagnes oui ça c'est le cadeau que je me suis fait un mois sur deux je suis dans mon royaume et ça c'est quelque chose que tu ne te serais pas permise avant jamais est-ce que c'est quelque chose aujourd'hui tu te dis mais pourquoi je n'ai pas fait avant
- Speaker #2
Non. Non, parce que je n'aurais pas su faire autrement. Je pense que la culpabilité de laisser les miens aurait été trop forte. Je le dis souvent, la culpabilité, ça a été mon fond de commerce, seul et encore un peu de temps en temps. Donc j'aurais été rattrapée par cette culpabilité. Non, ça aurait été trop difficile de laisser les miens. Aujourd'hui, je me donne la priorité.
- Speaker #1
Donc ça veut dire que c'est la maladie qui te permet vraiment de travailler sur cette culpabilité ?
- Speaker #2
Bien sûr.
- Speaker #1
De ne plus l'avoir en fait.
- Speaker #2
Bien sûr. Là encore, ce serait bien présomptueux de dire que je ne l'ai plus du tout. Mais on va dire qu'elle s'est bien amoindrie, oui. J'y travaille. Quand j'arpente mes montagnes, j'y travaille. Et je ne ressens là-bas aucune culpabilité. J'ai juste l'impression de me fondre dans la nature et d'être en osmose. Avec mes montagnes, c'est vraiment... Je vis des moments extraordinaires de ceux que je n'ai pas connus avant. Et pourtant, la montagne fait partie de ma vie depuis 30 ans. Mais je n'ai jamais connu des moments en haute montagne comme ceux que je vis en ce moment. Jamais.
- Speaker #1
Est-ce que tu pourrais vivre seulement à la montagne ou est-ce que tu as aussi besoin d'être dans le monde et de travailler ou est-ce que le travail c'est juste financier ? C'est quoi l'équilibre en fait ?
- Speaker #2
Je pense avoir trouvé l'équilibre, c'est-à-dire que je ne me verrais pas pas travailler. Non, ce n'est pas possible. J'aime ce que je fais, passionnément. Je ne fais plus qu'aujourd'hui que de l'analyse de pratique. professionnelles, dans des centres médico-sociaux.
- Speaker #1
Qu'est-ce que c'est, l'analyse de pratique ?
- Speaker #2
Alors, dans des établissements qui rencontrent des publics encore à la marge, quelle que soit cette marge, que ce soit le handicap ou des SDF, par exemple, c'est accompagner les travailleurs sociaux dans les difficultés qu'ils rencontrent sur le terrain. J'ai donc, à regret, je dis bien à regret, quitté récemment Puisque ça date d'il y a deux mois, deux établissements auxquels j'étais très attachée, mais je sentais qu'il fallait que je fasse une pause pour pouvoir me donner des chances supplémentaires de guérir. Mais j'ai besoin de travailler pour répondre précisément à ta question. Je ne me verrais pas pas travailler, ça c'est pas... Je ne l'envisage même pas. Non ? Alors là pour le coup je m'ennuierais.
- Speaker #1
Je trouve que c'est difficile cet équilibre souvent à trouver entre l'extérieur et l'intériorité, l'activité, le repos.
- Speaker #2
Oui, ça demande je crois une grande écoute de son corps, de ses limites, des limites que dans le passé je n'ai jamais su écouter.
- Speaker #1
Alors que toi, tu apprends ça aux autres ?
- Speaker #2
Oui.
- Speaker #1
Les besoins ?
- Speaker #2
Absolument, mais il semblerait qu'on apprenne... On n'enseigne jamais mieux que ce qu'on a besoin d'apprendre. Oui. J'ai payé cher le tribut de ne pas pouvoir... J'avais l'impression de connaître mes limites, mais non, du tout. Du tout, du tout. Comme quoi toute expérience dans la vie. toute expérience c'est pour ça qu'aussi difficile que ça puisse paraître je ne parle que de moi bien entendu je ne parle pas de la maladie en général je parle de ce que je vis moi à travers cette maladie je trouve que c'est je vais oser le mot
- Speaker #0
Pour moi, c'est un cadeau. Parce que là, par contre, je peux toucher mes limites. Je peux. Et j'ai dû aussi me frotter à... Ce qui est difficile pour moi, c'est de rompre mes engagements. Donc quand je décide d'accompagner une structure, je me dis que je l'accompagne pour longtemps. En tout cas, si elle veut bien de moi. Et là, j'ai dû rompre cet engagement. Et ça, ça a été difficile pour moi. Mais je n'avais pas le choix.
- Speaker #1
C'est ce que j'entendais et ce que je pensais tout à l'heure quand tu parlais d'arrêter, que ça aussi, c'est de la culpabilité. Oui. Et c'est vraiment... J'ai l'impression que parfois... La maladie, c'est vraiment amener vers le chemin, enfin le ramener vers soi.
- Speaker #0
Mais c'est juste.
- Speaker #1
C'est-à-dire s'aimer soi en premier. Bien sûr. Ce n'est pas de l'égoïsme. C'est pour mieux rendre au monde, pouvoir s'aimer totalement. Je ne sais pas pourquoi on a du mal à s'aimer. C'est vrai que souvent, c'est le cas.
- Speaker #0
C'est notre éducation qui veut ça. C'est pas malveillant d'ailleurs, mais est-ce que ça vient aussi de cette tradition judéo-chrétienne qui nous dit que nous devons avant tout aimer les autres, peut-être aussi, mais tu viens de le dire très précisément, Marlène, on ne peut pas donner ce qu'on ne sait pas se donner à soi. Pourtant,
- Speaker #1
normalement, ça devrait être aimer les autres comme on aimerait être aimé. C'est comme s'il manquait toujours un bout de l'équation.
- Speaker #0
Oui, mais bien sûr, absolument. Et c'est ce que m'apprend la maladie. C'est de revenir à moi. Toujours. Et c'est un travail de tous les jours. Vraiment. Je ne suis pas arrivée encore, au bout de trois ans. Loin sans faux. Je me vois encore, de temps en temps, être en train de me dire non. Là, je ne suis pas en train de me donner la priorité. Non. Non, c'est un chemin. C'est comme en montagne.
- Speaker #1
C'est pas tellement non plus que nous enseigne la société. Non.
- Speaker #0
Non. Et pourtant, et pourtant... Combien est-ce qu'il y a nombre d'ateliers aujourd'hui qui sont proposés aujourd'hui ? Depuis déjà une dizaine d'années, d'estime de soi, ce que j'ai pu faire. Et combien de gens s'inscrivent ? Donc, comment dirais-je ? Je crois qu'intuitivement, nous savons ça, que nous devons nous aimer, nous donner la priorité. On ne sait pas le mettre en pratique.
- Speaker #1
Il y a une question que je voulais te poser justement, par rapport à tous ces ateliers, ces stages de développement personnel. Et moi c'est vrai que développement personnel, j'aime pas tellement en fait ce terme. Et je me dis que parfois peut-être les gens sont encore plus perdus à se remettre des injonctions, à devoir se développer. Pour moi c'est pas du développement personnel, ce que tu apportes c'est de la compréhension personnelle. Et je préfère ça, et c'est ce que j'ai trouvé.
- Speaker #0
Ok, je suis ravie de l'apprendre. Je reviens sur ce que tu dis, parce que peut-être que c'est important de préciser. Tu avais l'air de dire, et ce n'est pas le mot que tu as employé, mais comme s'il y avait une injonction à aller bien dans le développement personnel, comme s'il fallait faire du développement personnel.
- Speaker #1
Je trouve qu'il y a ça, oui, mais ça c'est la société qui renvoie ça. Tout d'un coup, il faut, et pour moi le chemin c'est passé. C'est ça. De nouveau, on se perd, on se perd dans autre chose, dans une injonction à aller bien, aller mieux, mais c'est comme une idée.
- Speaker #0
On ne peut pas aller bien sans accepter que de toute façon, de temps en temps, on ira mal. C'est ça aussi la vie. Comme tu dis, je crois qu'il y a cette injonction, il faut être heureux, heureux à tout prix, mais ça c'est pas possible, c'est juste pas possible, ça n'est pas la vie. Nous sommes tous confrontés tous les jours à des douleurs plus ou moins violentes, et c'est pas possible de se lever tous les jours en se disant waouh, tout va bien, non ? Non ? Il y a des jours où je vais pas bien du tout, bien sûr, comme tout le monde, et tant mieux, tant mieux.
- Speaker #1
Un monde en joie, c'est donc possible, ça veut pas dire... On n'est pas des bisounours, on sait ce qu'est le monde. Et c'est justement parce qu'on sait ce qu'il est qu'il faut y apporter de la joie.
- Speaker #0
Absolument. C'est une question de survie, je crois. La joie, oui, c'est une question de survie. La joie, le rire. Le rire. Je parle dans cet atelier de l'importance de dédramatiser la maladie quand c'est possible. Quand c'est possible, là aussi, je prends des précautions. Oratoire, dans ce que je dis. Je ne vais parler que de moi. Et de pratiquer l'autodérision, de pouvoir rire de soi. Mais bien sûr que c'est important. Et ce n'est pas la politesse du désespoir. Je crois que c'est deux proches qui disaient ça. Que l'humour était la politesse du désespoir. Je ne crois pas, en tout cas pas chez moi, pas en l'occurrence. Je crois qu'on se prend beaucoup trop au sérieux. Et que la vie, elle peut être plus simple que ça, si on s'autorise à être en joie, simplement.
- Speaker #1
Et tu crois que tout le monde peut avoir la force ? Est-ce que ce n'est pas aussi une certaine force de pouvoir trouver la joie ? Alors quoi qu'il se passe, ça dépend des situations. Je pense qu'il y a des moments où ce n'est vraiment pas possible. Mais par exemple, nous, on n'est pas en guerre pour l'instant. On n'est pas touchés directement. Donc c'est quand même plus facile d'être en joie. Je ne sais pas si c'est un exemple, mais c'est aussi de la culpabilité de se demander est-ce que je peux être en joie ?
- Speaker #0
J'entends ce que tu dis, mais en quoi être en joie ? Comme ça, simplement, le plus souvent possible, enlèverait quelque chose à ceux qui souffrent. On ne leur enlève rien, rien du tout. Par contre, j'entends ce que tu dis et je suis d'accord. Effectivement, c'est facile, là, dans mon canapé avec toi, de dire que oui, je suis aujourd'hui tout à fait en joie d'être avec toi et de partager ce moment. Et je me doute bien que dans certains pays, ce n'est juste pas possible. Et pourtant, j'ai un ami qui vit au Burkina Faso et qui est tous les jours en proie à des actes terroristes. Il a plusieurs de ses amis qui se sont fait tuer dans une église il y a une huitaine de jours. Et quand il me laisse des messages, il y a toujours un moment où il me partage sa joie, juste d'un repas partagé. Alors je ne sais pas si c'est possible, mais en tout cas, lui le dit. Lui le dit. Et à la fois, je me dis, mon Dieu, waouh, quelle force. Quelle force. Donc il nous a bien, il y a bien un moment, je crois, cette possibilité de venir chercher encore ce qui peut nous faire du bien, même dans un quotidien difficile. Mais je le répète, je le dis avec beaucoup de précaution, je ne vis pas au Burkina Faso, ni en Ukraine, ni dans tous ces pays en guerre. Non.
- Speaker #1
on est tellement, tellement, même en mettant à distance les médias, on est quand même imprégné de ce qui se passe ailleurs.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Et c'est parfois difficile.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
De rester en joie. Mais j'ai entendu, j'ai entendu ce que tu as dit. Je suis assez d'accord avec toi. Mais il y a toujours cette petite voix aussi de la culpabilité. Oui. Et qui a un empêchement, en fait, de vivre.
- Speaker #0
Oui. Celle-là, cette petite voix-là, il faut la faire taire. Parce que, je le répète, on ne leur enlève rien.
- Speaker #1
Et c'est là où moi je fais une passerelle avec tous tes différents stages et ce que tu as pu proposer avant. C'est-à-dire que je crois que ce soit sur la confiance en soi, l'estime, le stress, oser sa vie. Tu es intervenue à chaque fois qu'on s'empêchait de vivre, en fait. À chaque fois que quelqu'un dans son histoire, dans son chemin, s'empêchait d'être complètement...
- Speaker #0
C'était le but. Et en même temps, mais qu'est-ce que j'apprends, moi aussi, dans les stages que j'ai pu donner ? Qu'est-ce que j'ai pu apprendre de vous ?
- Speaker #1
Qu'est-ce que tu as appris ? J'aimerais bien qu'on parle peut-être justement des dernières journées. Je ne sais pas combien tu as, parce que ça ne fait pas longtemps que tu fais ces journées.
- Speaker #0
À te dire tes moyens, j'en ai fait une le 3 février, le 3 mars, et la prochaine sera le 4 mai.
- Speaker #1
Et une en décembre aussi.
- Speaker #0
Ah, tu as raison, pardon.
- Speaker #1
Tu avais imaginé déjà quelles allaient être les réactions, qu'est-ce qui allait se passer, est-ce que tu as été étonnée par ce qui s'est passé, comment ça s'est déroulé ?
- Speaker #0
Alors, je m'attendais, à vrai dire, à rien de particulier, parce que, comme je le disais, c'était inédit pour moi. Je me disais, très sincèrement, je me disais, oh my God, pourvu que je puisse dire mon témoignage jusqu'au bout, sans flancher. Pas rien non plus, de parler pendant trois quarts d'heure de son expérience de vie, surtout celle-ci, qui est quand même toute particulière. Et après, je ne m'attendais à rien. Je crois que ce qui m'a surpris, c'est le courage que... Vous avez eu toutes. Déjà de vous inscrire. Mais aussi, et ça pour moi c'est un pari gagné, en dépit de cette thématique de vos histoires très singulières à toutes, d'avoir pu à un moment vous approprier cette joie, d'avoir pu à un moment rire. Honnêtement, qu'est-ce qu'on a ri ? C'est ça qui a été fantastique pour moi. Et c'est ça que je garde. J'ai même de l'émotion, là tu vois, quand je te le partage, c'est de nous voir rire. de la mort, je... Je vous écoutais me raconter des choses difficiles dans vos parcours de vie à toutes. Si tu te rappelles, tout le monde souffre. Et malgré tout, d'avoir pu rire, d'avoir pu parler de vos peurs, de tout ça dans une atmosphère de respect, de compassion, de bienveillance, d'amour. D'amour, ce mot qu'on n'ose pas. Et puis de joie. Ah oui !
- Speaker #1
Et c'est vrai qu'aujourd'hui, dans notre société, on ne parle pas de la mort ?
- Speaker #0
Non. Alors,
- Speaker #1
il y a beaucoup de violence, beaucoup de morts via les images, mais de la mort vraiment de ses voisins, de ses proches, on ne le voit pas ?
- Speaker #0
Non. Ça, j'avais pu le vérifier lorsque je travaillais en cabinet libéral. À quel point la mort était taboue ? Combien c'était difficile ?
- Speaker #1
C'est devenu tabou, parce que ça n'était pas comme...
- Speaker #0
Ça fait des années que ça l'est, quand même. Tu le daterais, Marlène ?
- Speaker #1
Non, je ne sais pas. Mais j'ai l'impression que, par exemple, nos parents, ce n'est pas si vieux, je trouve, parce qu'on entend quand même encore d'une autre génération, par exemple, des corps qu'on veillait à la maison. Tu vois, donc je ne sais pas, moi, 50 ans, je dis peut-être une bêtise que je n'ai pas du tout... Tu vois, il y a quelque chose de... de pas si éloigné que ça.
- Speaker #0
Est-ce que pour autant, ça levait le tabou de la mort ? Est-ce qu'on en parlait ? Ou est-ce que la veillée du corps était un rituel, comme il y en a d'autres aujourd'hui ?
- Speaker #1
Oui, c'est vrai, il y a deux choses différentes. Il y a le rituel et le fait que ce soit tabou ou pas.
- Speaker #0
Tu vois, je... Je ne pense pas qu'on en parlait davantage. Je ne pense pas.
- Speaker #1
Mais on voyait. Parce que maintenant, on n'en parle pas, c'est tabou et on ne voit plus rien.
- Speaker #0
Il y a le funérarium. Les gens vont voir les moments au funérarium.
- Speaker #1
Si tu ne veux pas le voir, tu ne le vois pas. J'ai l'impression que c'était plus quand même dans les familles. Tu étais dans la maison. Ma mère me racontait ça, elle était petite. Tu vois, il y avait quand même cette vie, pardon.
- Speaker #0
Oui, oui, si, si, bien sûr.
- Speaker #1
Cette vie des morts, si on peut dire, qui passait. Là, si tu ne veux pas, si tu ne vas pas finir à rien, tu ne le vois pas.
- Speaker #0
Est-ce qu'à l'époque, il y avait ce rituel que tu dis précisément, oui. Mais est-ce que les gens parlaient de la mort avant ? Je ne sais pas. Pendant, après, je ne suis pas sûre. En tout cas, ce n'est pas ce que j'ai pu entendre au sein de mes consultations ni dans mon entourage proche. Il y avait vraiment une terreur, une terreur de la mort, de perdre les siens et une terreur de mourir. Oui, oui, tout à fait.
- Speaker #1
Qu'est-ce que tu proposes dans cette journée comme outil pour se confronter un peu à sa propre mort ? Je sais que tu proposes des choses comme écrire un des courriers, par exemple. Est-ce qu'on peut le faire ? tout seul chez soi aussi sans être accompagné
- Speaker #0
Je pense. Oui, je pense, bien sûr. Oui. Je pense que quand la terreur est vraiment identifiée, il est bien de se faire aider. Au risque de se laisser surprendre, dernier moment. Mais autrement, oui, on peut se préparer avec des courriers. Est-ce que tu penses à un particulier ? Parce que je n'ai pas fait faire les mêmes exercices dans les deux ateliers.
- Speaker #1
Mais moi, je pense à un courrier assez proche. Par exemple, enfant ou... Amis, compagnons, compagnes, en faisant comme si on était morts ?
- Speaker #0
Oui, exact, bien sûr. Ça peut être aussi quelque chose de plus formel, je le dis. Ça peut être faire son testament, écrire ses dernières volontés. Ça ne fait pas mourir et c'est une bonne façon de toucher du bout du doigt ce que peut être la mort. Ce n'est pas rien d'écrire un testament, ce n'est pas rien d'écrire ses dernières volontés. Et ça, je crois que c'est un bon exercice. En tout cas, ça permet de savoir où on en est et donc possiblement de se faire aider. Je crois qu'il y a urgence, je dis bien urgence à parler de la mort, vraiment, pour mieux vivre, pour vivre sans remords, sans regrets, pour pouvoir aider les nôtres aussi, ou à partir, ou bien à mieux vivre ce qui nous arrive. Je pense, je n'ai pas dit que c'était facile pour mon entourage, mais... qu'avoir pu préparer ma mort en parler parler de mon parcours de ce que je voulais de ce que je ne voulais pas j'ai pas dit qu'ils acceptaient mais ça leur permet en tout cas de c'est une manière de se préparer bien entendu oui oui oui ça j'en suis persuadée
- Speaker #1
Je crois que c'est les bouddhistes, il y a une position d'ailleurs, je me demande si ce n'est pas la position du cadavre d'ailleurs, que tu dois faire tous les jours où tu es allongé par terre. Et si tu le fais tous les jours, en fait, c'est une sorte d'habituation.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Et si tu le fais tous les jours dans cette position-là, tu... Tu l'acceptes. J'ai vu aussi qu'il y avait en Corée un rituel qui était de vivre vraiment ses obsèques. Tu rentres dans un cercueil, tu fais toute la cérémonie, mais tu es vivant. Le fait de passer par ce rituel, un peu comme les outils que toi tu as pu donner aussi, c'est vrai le fait d'écrire, mais de le faire vraiment. C'est pas juste... Il y a une sorte de vérité qui sort de toi. Oui. Il y a une vérité de ce que tu rates, parfois par peur, par fainéantise, par j'ai le temps. Oui. Et le fait d'écrire, tout ressort et ça a de la sève,
- Speaker #0
une énergie qui remonte. Je vais avoir l'opportunité de donner cet atelier témoignage en Suisse. J'ai rencontré une femme extraordinaire qui est bénévole dans un tout petit centre, parce que je crois qu'il y a quatre lits, de soins palliatifs. Les bénévoles se relaient avec leurs différentes casquettes pour accompagner les gens en fin de vie. On demande à ces bénévoles de faire cet exercice qui s'apparente un petit peu à ce que tu me décris de ce qui se fait en Corée. En tout cas, c'est de se mettre vraiment... en posture par le biais d'exercices, où je crois qu'il y a un espèce de... pas un interrogatoire, mais quelque chose comme ça, paraît-il assez fort et pas très facile à vivre, mais qui permet de se mettre en situation, oui.
- Speaker #1
Finalement, en s'y confrontant, on apprend.
- Speaker #0
C'est ce que j'espère de cet atelier, et c'était tout l'enjeu. J'allais dire que je craignais, non, je crains toujours, Que cet atelier ait des répercussions peut-être difficiles. Alors jusqu'à maintenant, je n'ai pas eu de retour, au contraire, dans ce sens-là. Mais bien sûr, je sais que ça peut bousculer et que ça bouscule. À ce titre, je pense notamment à deux personnes. Ça fait deux fois qu'elles s'inscrivent aux deux ateliers précédents et qu'elles se décommandent parce que c'est trop difficile. L'idée même de pouvoir parler de leur mort leur est insupportable.
- Speaker #1
de leur mort ou peut-être de la mort des autres aussi ? Parce qu'il y a ça aussi.
- Speaker #0
Bien sûr. Alors là, en l'occurrence, c'est vraiment parler de leur mort. Elles ne peuvent pas imaginer trépasser. Ça, ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible.
- Speaker #1
Mais c'est terrifiant.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Enfin, beaucoup moins. Moi, je rigole maintenant depuis que je suis allée à cet atelier. Je suis complètement libérée. Pour terminer, Marie-Laure, et puisque nous sommes dans un monde en joie, on voit que la mort et la joie, c'est possible.
- Speaker #0
Absolument. Absolument.
- Speaker #1
Est-ce que tu aurais une photo à partager qui, toi, te parle de...
- Speaker #0
Qui me parle de quoi ? De la joie. De la joie, oui, bien sûr. Mais avec ce que tu sais de moi, peut-être, et avec ce que j'ai pu partager, tu ne seras pas surprise ?
- Speaker #1
Moi, non, mais les gens qui nous écoutent, ceux qui ne te connaissent pas, alors c'est une magnifique photo que je vois de montagne, avec un petit nuage derrière. C'est un lever de soleil ?
- Speaker #0
Oui, c'est un lever de soleil.
- Speaker #1
C'est un lever de soleil. Donc c'est magnifique. C'est tout blanc. Moi, je ne suis pas très montagne. Je suis plus mer. Alors cette photo, c'est toi qui dois en parler de ta photo, Marie-Laure.
- Speaker #0
Alors cette photo, c'est le massif du Mont Blanc et c'est une nuit à la belle étoile. C'est entente, j'entends. Dans mon sac de couchage, voilà, j'assiste au lever du soleil sur mon royaume. Ça, c'est une grande joie. Grande, grande joie. Que je savoure d'autant plus depuis que je suis malade. Vraiment.
- Speaker #1
Et que tu ne t'empêches pas de faire.
- Speaker #0
Ah non, au contraire. Je multiplie les occasions. C'est ton jamais.
- Speaker #1
Et un objet ? Est-ce que tu as un objet ?
- Speaker #0
C'est le plus petit d'une grosse collection.
- Speaker #1
C'est un cœur.
- Speaker #0
C'est un cœur.
- Speaker #1
Un cœur en fer avec un petit fil rouge tout autour.
- Speaker #0
Oui, c'est un petit cœur rouge effectivement, qui est tressé. Comme je dis, c'est le plus petit d'une grosse collection. Je dois avoir peut-être pas moins d'une centaine de cœurs. La plus grande partie m'a été offerte. Pour moi, c'est le symbole de l'amour avec un grand A. J'en parlais tout à l'heure. Je ne sais pas pourquoi on a trop de mal à parler de l'amour. Comme s'il fallait être pudique avec ce mot-là, ou comme si on pouvait être ridicule.
- Speaker #1
Mais c'est souvent par là qu'on a été blessé aussi.
- Speaker #0
C'est vrai, c'est juste. Mais c'est aussi par ça qu'on aime le plus. On est le plus aimé. J'en veux pour preuve ce que dit Einstein. L'amour est la seule réponse possible. Donc je m'entoure de cœur.
- Speaker #1
Est-ce qu'il y a une musique qui te met...
- Speaker #0
Il y en aurait plein, il n'y a rien qui me vient là. Je suis confus, je crois que je ne vais pas pouvoir répondre.
- Speaker #1
Mais ce n'est pas grave. Et si on devait terminer, alors pas sur une phrase de quelqu'un d'autre, mais sur un conseil de Marie-Laure Ferrari pour être dans un monde en joie, et puis même face à la mort, qu'est-ce que tu aurais envie de dire ?
- Speaker #0
S'appliquer à contempler. C'est ça. S'appliquer à contempler. Tout. Tout. Du lever du soleil le matin, au coucher, le soir.
- Speaker #1
Il y a quand même beaucoup de gens qui vont te dire qu'ils n'ont pas le temps.
- Speaker #0
Si, il suffit de le prendre, ce temps. Je fais aussi partie des gens qui ont pu dire mais j'ai pas le temps Ce temps-là, il faut le prendre. Vraiment, il y a urgence. Et quand on imagine qu'on peut mourir, je t'assure, on le prend, ce temps. Et moi, je le prends tous les matins. J'écoute les oiseaux chanter. Tout simplement.
- Speaker #1
Merci Marie-Laure.
- Speaker #0
C'est moi qui te remercie Marlène, vraiment. J'ai eu grand plaisir à te retrouver, telle que je te connais.
- Speaker #1
On se dit à bientôt ?
- Speaker #0
Oui, à bientôt. Merci.