- Speaker #0
Tu vas là-bas. Toi, gentil, il est là-bas.
- Speaker #1
Bon, bah, Nicole, on va commencer. Déjà, moi, je suis super heureuse de faire ce podcast avec toi ici dans l'atelier 68. Parce que c'est toi qui m'accueilles et habituellement je reçois d'autres personnes. Là on est chez toi. L'atelier 68 c'est quoi ?
- Speaker #0
L'atelier 68 c'est un peu une excroissance de mon lieu de vie. C'est un endroit où je désire recevoir les gens que j'aime, de ma famille et mes amis, et pouvoir imaginer des activités. actuellement. On crée une fois par semaine la Ciné-Club qui se termine, pas toujours dans un pugilat, mais de temps en temps, mais en tout cas avec du vin et des victuailles que chacun importe et c'est très sympathique et je crois que ça correspond un petit peu à mon... À mon rêve de vie d'ado, tu sais, le groupe, comment on disait ça, on disait à l'époque, c'était quand on allait dans le Larzac, quand on allait faire...
- Speaker #1
Dans sa communauté ?
- Speaker #0
C'est une communauté, voilà, c'est une communauté où les gens sont très différents les uns des autres, en âge, en... en situations socio-économico-professionnelles, en tendances, en genre, on peut dire, en attirance pour l'un ou l'autre sexe, en différence d'âge, et j'en passe. Et c'est ça que je trouve, c'est une diversité formidable, et des gens qui coexistent, ils font mieux que coexister, ils échangent dans la joie, la bonne humeur, autour d'un film que, évidemment, j'ai choisi, parce que je me prends pour une... Bonne cinéphile. Donc, je revisite toute l'histoire du cinéma et je partage souvent des films que je n'ai pas vus depuis très, très longtemps et que je redécouvre avec mes amis. Et c'était un grand kiff. Voilà.
- Speaker #1
Et moi, j'ai la chance ici d'enregistrer le podcast Un monde en joie. Et aujourd'hui, c'est toi qui est dans Un monde en joie. Et pourquoi ? Eh bien, parce que tu as écrit un livre, L'Albatros. Alors moi, je vais déjà commencer par te dire pourquoi j'ai eu plaisir à lire ton livre. Parce que c'est un livre qui te ressemble, qui est atypique. surtout pas convenu, honnête, très honnête. Tu dis les choses comme tu ressens, quitte à bousculer parfois ton entourage. Souvent tu ressens la vie, les choses de façon intense. Donc le livre, il est vraiment égal à toi. Ça pourrait être un livre sur la maladie, on va en parler puisque tu parles de la maladie de ton amoureux. Mais pour moi, c'est avant tout un livre vivant, extrêmement vivant. qui rend hommage à une histoire d'amour, dont on devine vraiment la passion entre chaque ligne. Et puis c'est aussi un livre qui questionne l'amour de ses parents, de sa famille, l'amour pour les enfants, les siens et ceux des autres. Et puis c'est enfin un livre qui est plein de non-dits. Tous ces non-dits, ils interrogent les silences et les blessures d'une famille. Enfin, je ne sais pas si toi, quand tu t'es mise à écrire, tu savais que tu allais parler de... de tout ça sans même parfois en parler. Par où commencer ? Peut-être par nous dire, si tu t'en souviens, du moment où tu t'es décidée à écrire.
- Speaker #0
Écoute, c'est simple. Je n'avais aucun plan prévu, aucune projection. Je ne me transformais pas en autrice. Je n'avais pas le sentiment d'écrire un bouquin. La seule chose que je savais, c'est que d'abord, j'ai toujours écrit. J'ai toujours écrit parce que j'ai toujours été... J'ai toujours eu des tendances légèrement mélancoliques. Et je parlais avec mon journal, dès l'adolescence, je pense, vers déjà 14-15 ans, je me sentais, comme souvent on se sent quand on a 14-15 ans, différente du monde. On pensait que, on ne savait pas si c'était nous les martiens ou les autres. Donc on essayait de comprendre. Je regrette de ne pas avoir gardé ces cahiers. J'ai juste gardé les cahiers, peut-être que j'écrivais entre 35 et 50 ans, qui sont effrayants de douleur. Mais pour en venir à l'Albatros, je n'ai pas eu l'intention d'écrire un bouquin, pas du tout. J'ai écrit pour m'aider à comprendre, en fait. Mais quand j'ai écrit une pièce de théâtre, j'y reviendrai, mais pour les mêmes raisons. Donc, qu'est-ce que j'écris ? J'écris à partir du jour... où l'homme de ma vie est diagnostiqué par le plus grand neurologue parisien qui exerce à la salpêtrière et qui est d'une violence incroyable. Je vais avec ma fille à la salpêtrière et je me retrouve en face d'un monstre. Et Dieu merci. J'étais pas avec Peter parce que ce qu'il m'annonce de la maladie et du tour qu'elle va prendre et de l'horreur que ça va être pour nous, c'était bien que Peter ne soit pas là. Et ma fille avait 20 ans et ma fille est obligée d'entendre ça. Et dans le bouquin, je raconte, j'explose en racontant comment les questions qu'il m'a posées, qui n'avaient rien à voir avec la médecine, simplement on avait fait une... un examen qui s'appelait une scintigraphie cérébrale qui permettait de déterminer les plaques dans le cerveau pour savoir s'il s'agissait d'Alzheimer ou d'une autre maladie qui est la démence à corps de Lewy dont je n'avais jamais entendu parler. Donc on pense qu'il s'agit de la démence à corps de Lewy et le professeur Méninger, parce qu'il y a plusieurs façons de prononcer, j'en parle dans le bouquin, nous dit que ça a l'air d'être la démence à corps de Léoui. Donc on est abasourdi, on est effondré, on pleure en sortant, mais en même temps je ne veux pas pleurer devant ma fille, je lui dis t'inquiète pas, on va y arriver, on va résister, on ne croit pas un mot de ce qu'il raconte, tu vas voir on est plus fort, etc. Je ne sais pas si j'y croyais, mais il fallait que je remonte le moral, et c'est là que je commence à écrire tous les jours, à partir de début février. 2024, juste après le diagnostic posé par le conseil de l'aménagé.
- Speaker #1
C'est pas 2024 ?
- Speaker #0
Pardon, non. Sûrement pas. C'est 2010, évidemment. Et c'est peu de temps après notre mariage. Et c'est également peu de temps après que Peter ait décidé d'écrire son testament dans les conditions dont je parle dans mon bouquin.
- Speaker #1
Alors ce qu'il faut préciser, c'est que ... vous aviez une différence d'âge, que vous vous êtes mariée tardivement. Peut-être qu'on pourrait raconter la rencontre ?
- Speaker #0
Oui, bien sûr. Je suis une jeune étudiante rue d'Assas, où je suis en train de commencer un doctorat de sciences criminelles sur la récidive des jeunes adultes. J'ai fait un DOS de sciences criminelles après avoir fait une licence de droit des affaires. qui ne me correspondaient pas du tout. De toute façon, j'étais un petit peu par hasard dans cette filière, puisque j'aurais préféré être au Beaux-Arts, mais ça, c'est encore une autre histoire. Et je travaille donc à la fac pour gagner un peu d'argent de poche, à suivre des étudiants étrangers dans les TD, tout simplement. Et je viens donc régulièrement à la fac.
- Speaker #1
Les TD qui sont les travaux dirigés ?
- Speaker #0
Oui, tout à fait. Et je travaille à côté d'un bureau où se trouve une femme très, très charmante ... qui trouvent du boulot pour les étudiants. Et Mme Kramer interagit avec moi une fois pour me dire écoutez j'ai besoin d'un professeur de droit des affaires pour un avocat américain qui s'installe à Paris et qui a besoin de se recycler, enfin pas se recycler, d'apprendre de quoi il retourne. pour la TVA, parce que la TVA, ça n'existait pas aux États-Unis. Alors quand elle me dit TVA, droit des affaires, je dis que nenni, moi, ce n'est pas pour moi. Je ne sais pas, ça ne m'intéresse pas. Et elle insiste tellement, et j'aime tellement cette femme. Et elle me dit, allez-y juste une fois pour me faire plaisir. Je n'ai trouvé personne d'autre. Je dis, pour vous faire plaisir, j'y vais. Mais je vais dire au monsieur que ce n'est pas mon truc. Bon, bref, j'arrive là-bas, rue Galilée, dans le huitième, dans un très joli... Enfin, un immeuble de bureau très chic.
- Speaker #1
On est en quelle année là, Nicole ?
- Speaker #0
On est en 73, on est le 26 janvier 1973. Il est 3 heures de l'après-midi, je débarque avec un manteau en marmotte jusqu'au pied, des plateformes shoes, tu sais comment on fait, de 15 centimètres, le pantalon, pas de d'éléphant, mes cheveux un peu peroxydés, un petit peu bouclés à la... Non, excusez-moi, c'est mon petit chien qui me saute sur les genoux. Donc, très sophistiqué, très maquillé, pas du tout une étudiante en droit typique, mais comme on était toutes comme ça, ce n'était pas vraiment choquant. Et quant à Peter, puisque c'est Peter que j'allais retrouver, il se pensait accueillir un étudiant boutonneux qui allait le brancher sur la TVA, qu'elle n'a pas été sa surprise, et la mienne d'ailleurs aussi, puisque j'ai eu l'impression... de tomber sur l'homme de ma vie. Mais je n'exagère pas quand je dis ça. C'est-à-dire...
- Speaker #1
Juste avant, tu t'attendais à quelque chose ? Tu avais une image ?
- Speaker #0
Aucune image ! J'y allais un peu à contre-cœur, mais vraiment. J'avais ma petite voiture, une auto Bianchi, on pouvait se garer n'importe où. Je ne m'attendais à rien du tout. Et j'étais sans voix, en fait. Je le vois, il est renversé sur son fauteuil. les chaussures par terre, les pieds dénudés, comme on peut imaginer quelqu'un extrêmement décontracté, avec une chemise en Oxford bleu, et ça je m'en souviendrai toujours, avec les manches retroussées, et je suis tombée amoureuse de ses avant-bras.
- Speaker #1
Donc là, toi, tu as 23 ans, et lui, 43, c'est ça ?
- Speaker #0
42. 42. Mais enfin bon, je ne sais pas l'âge qu'il a, il ne connaît pas mon âge non plus, je ne connais pas sa situation familiale, amoureuse, je ne connais rien. tout ce que je sais c'est que Il parle très mal le français. Il m'explique plus tard qu'il va à l'Allemagne française pour apprendre le français. Donc on décide de parler en anglais, puisque je trouve que je le maîtrisais d'ailleurs beaucoup mieux à l'époque que maintenant. Et il me dit, venez, on va prendre un verre, parce qu'il y a un bar évidemment en sous-sol. J'étais très gênée. Je me demandais ce que je foutais là. Et bon, on prend un verre.
- Speaker #1
C'était les années 70, donc tu avais déjà eu plein d'amoureux,
- Speaker #0
j'imagine ? Oui, j'ai eu pas mal d'amoureux. Entre 67 et 73, j'ai eu pas mal d'amoureux. À la fac et surtout au palais, quand j'ai prêté serment en 72 comme avocat, alors évidemment je détonnais un petit peu parce que j'étais un petit peu la jeune avocate, un chouïa plus sophistiqué que les autres. J'ai eu quand même une file d'attente de prétendants. Je rigole parce qu'en fait, j'avais le sentiment d'arriver dans presque une famille que je connaissais, qui ne m'intéressait pas du tout. Et je trouvais qu'ils se prenaient au cerveau, mais ce n'était pas mon truc. Bref, je reviens à Peter, on prend un verre et on remonte et on fixe les jours où je vais venir lui donner des cours. Mais je le préviens en disant que je ne lui donnerai pas des cours sur la TVA, parce que je n'y connais rien, je n'y connais toujours rien d'ailleurs. Et il me dit, ce n'est pas grave, ce n'est pas grave. sur quoi vous pouvez me donner des cours ? J'ai pas du droit criminel, du droit constitutionnel. D'accord, d'accord, dit-il. Il en avait rien à foutre. Et on se voit une fois par semaine. Et quand j'arrive dans son bureau, il s'arrange toujours pour que ça soit l'heure du déjeuner. J'arrive à l'heure du déjeuner pour faire mon cours avec mes documents et tout. Il me dit, venez, on va aller d'abord déjeuner. Et on a fait tous les grands restaurants du 8e arrondissement. Et ce qui est drôle, c'est que Peter, il était C'était pas du tout un snob, c'était pas un bourgeois dans son attitude. Mais d'abord, il connaissait rien à Paris et à la France. Donc comme beaucoup d'Américains qui ne connaissent rien, ils prennent un guide et dans le guide, il y a marqué des étoiles dans des restaurants et tout. C'est là où on va. C'est comme là où on s'habille. On s'habille aussi chez Arnis, on va s'habiller chez Hugo Boss et tout. Il n'a pas d'idée. C'est moi ensuite qui vais lui donner toutes ses idées. Donc je suis complètement décalée. j'ai jamais été avec elle Je n'ai jamais été courtisée, parce que je vais être courtisée un peu plus tard par un homme qui a 20 ans de plus que moi. Il veut découvrir le palais, je me souviens. Deux, trois rendez-vous après, il veut absolument que je la mène au palais de justice pour aller voir la bibliothèque, pour voir des procès en cours. J'étais réticente, parce que moi-même, à la bibliothèque du palais, je n'ai jamais foutu les pieds. L'Internet n'existait pas. Il fallait, quand on voulait... Il fallait consulter des documents, il fallait demander, il y avait un... Je ne sais pas comment ça s'appelle... Il y a un nom pour ça, un monsieur qui était attablé à un bureau, et puis on lui disait, voilà, je cherche telle décision, de telle cour, de telle date... Donc il vous sortait des gros, gros, gros dossiers, puis vous les consultiez et tout. Je ne savais même pas comment ça fonctionnait. J'arrive, ça l'a amusé. parce qu'il n'y avait rien à foutre de la bibliothèque non plus. Il voulait voir si je connaissais quelque chose. Je ne connaissais pas grand-chose. Et ensuite, on est allé écouter un procès d'assises. On m'a laissé rentrer parce que je portais la robe, parce que normalement, à l'époque, c'était très conventionnel. Il y avait des gardes à l'entrée, donc il fallait qu'on soit habillé en avocat. Mais je n'ai jamais été, comment dire, je n'ai jamais été dupe de ça. Je savais très bien que ce n'était pas parce que je portais la robe. que j'avais une identité d'avocat. De toute façon, j'ai très, très peu fait quand j'étais au palais. La seule chose qui m'intéressait, c'était de participer à la revue des jeunes avocats qui avait lieu une fois par an et où on se moquait de la profession en la... Comment dire ? en prenant des chansons qui étaient connues et en l'adaptant au monde de la profession avec pas mal d'humour quand même. Bon, il y en a qui savaient très bien chanter, ce qui n'était pas mon cas. On m'a donné une chanson que j'ai très mal chantée et ça a plu énormément parce que les gens sont venus me voir en me disant « Comment vous faites pour imiter quelqu'un qui chante aussi faux ? »
- Speaker #1
C'était toi.
- Speaker #0
C'était moi.
- Speaker #1
Est-ce que tu savais, toi, à ce moment-là, ce que tu voulais faire ?
- Speaker #0
Je savais ce que je ne voulais pas faire déjà. que je n'allais pas rester dans cette profession qui ne me ressemblait pas et qui, pour moi, ressemblait à la mort. Je veux dire, ce costume qu'on portait noir, qui était d'ailleurs très chaud, très lourd, ma mère, elle ne l'a pas fait exprès, mais elle était tellement fière d'aller chez Bosque, en face du palais, pour me commander la robe d'avocat la plus lourde, la plus épaisse. C'était importable. Et même quand on ne la portait pas rien que sur le bras, c'était important.
- Speaker #1
Est-ce que tu peux raconter peut-être le lien avec ta famille ? C'était quel milieu ? Parce que dans le livre, on sent qu'il y a plein de creux, plein de non-dits. C'est pas toujours très cool avec ta maman ?
- Speaker #0
J'ai un ami qui m'a dit « mais tu ne parles pas du fait qu'elle était médecin » . Oui, elle était médecin. C'est vrai que j'avais tendance à l'oublier parce que c'était un drôle de médecin. En fait, elle avait eu vraiment le mérite formidable de faire des études de médecine en tant que juive pendant l'occupation. C'est-à-dire qu'elle avait fait des études longues, puisqu'elle les termine à 26 ans, je crois, quelque chose comme ça, ou plus. Elle les termine à 34, et elle fait donc sa spécialité en pédiatrie. Et comme elle ne voulait pas voir des enfants malades dans les hôpitaux, elle décide de travailler pour... La médecine infantile, les préventions. Donc elle,
- Speaker #1
elle était déjà à Paris ?
- Speaker #0
Oui, elle était restée à Paris.
- Speaker #1
Et c'était en quelle année, ces études ?
- Speaker #0
Si elle est née, c'est simple. Si elle est née en 16, qu'elle a commencé... C'est avant la guerre qu'elle a commencé. Voilà. Elle a commencé. Et à 20 ans, elle épouse un jeune homme qui peut-être fait des études aussi de médecine. Je sais très peu de choses. Je sais qu'il s'appelait... Mott a dit qu'il était iranien et qu'elle fait un pied de main à sa famille en épousant un iranien, donc un musulman en fait, alors qu'elle était d'une famille juive, même qui n'était pas pratiquante, pour échapper à une famille qui était compliquée. Donc ça,
- Speaker #1
c'était avant ton père ?
- Speaker #0
Oui, oui, oui. Donc à 20 ans, elle épouse un iranien. Donc en fait, elle va faire ses études de médecine sous le nom de... Madeleine Motadi alors qu'elle était née Madeleine Stern. Or Stern, c'est pas cool de s'appeler Stern pendant l'occupation.
- Speaker #1
Mais donc ça, c'est pas anodin et ça a forcément des répercussions sur, sans doute, l'éducation. Je sais pas ce qui... Tu penses qu'elle t'a transmis quoi ?
- Speaker #0
Par rapport à la judaïté ?
- Speaker #1
Oui, tout, la judaïté, mais aussi la modernité.
- Speaker #0
Je vais te dire un truc, à son crédit, c'est qu'elle n'avait rien à foutre du judaïsme. C'était pas son truc. La seule chose qu'elle aimait dans le judaïsme, c'est une chanson. dans le col nidré, c'est une chanson que Johnny Mathis chantait et qu'on chante au moment de Kippour, elle avait le 45 tours, et elle avait un autre 45 tours qui était Mayidish Mama, je ne sais plus qui est-ce qui chantait ça, donc il y avait deux ou peut-être trois chansons qui pourraient la relier au judaïsme. Et le Goffil Teufich, qu'elle ne savait pas faire, mais qu'elle allait acheter chez les traiteurs de... du Marais ou derrière le Moulin Rouge. Pas le Moulin Rouge, si c'est ça, dans le 9e arrondissement, où il y avait d'ailleurs un restaurant Ashkenaz très connu. Donc ma mère, oui, une féministe de la première heure, je dirais, qui s'ignorait, mais avec des idées très féministes. C'est-à-dire une femme travaille, une femme ne dépend pas de son mari, une femme élève ses filles. pour être indépendante. Je reconnais tout ça. Ça, c'est à son crédit. Pour le reste, c'était plus compliqué. C'était une femme un peu dure, égoïste, assez narcissique. Peut-être qu'elle avait eu pas mal de manques dans son enfance. Elle avait un père que j'admirais, moi, mon grand-père, parce que j'ignorais comment il avait été un mauvais père et comment il avait été un mari terrible. Ma mère ne s'est pas gênée pour me raconter ça, après, par brible. tu vois mais Je ne sais pas quoi, je ne peux pas dire grand chose de plus sur ma mère, sauf qu'elle ne savait rien faire. Mais rien du tout. Elle ne savait pas coudre, elle ne savait pas cuisiner, elle ne savait pas décorer sa maison, elle ne savait pas conduire. Elle conduisait 9 à Roméo, à 20 à l'heure.
- Speaker #1
Est-ce que c'était un bon médecin ? Est-ce que tu sais si c'est un médecin ?
- Speaker #0
Non, comment c'était pas un médecin ? Ils piquaient les enfants les uns après les autres dans les dispensaires de Houille, de Maison Lafitte et tout. Mais ce qu'elle adorait faire, c'est prendre son coupé Alfa Romeo, partir à 20 à l'heure avec le coupé, elle s'arrêtait d'ailleurs au feu vert parce qu'ils allaient devenir rouges. C'est très Ashkenaz. Mon père, ça le rendait fou. Il lui disait, « Es wird nicht grün sein. » Ce qui est la traduction de... Pourquoi il disait ça en allemand ? C'est bizarre. Ça veut dire, ça ne viendra jamais davantage vers...
- Speaker #1
Mais oui, parce que ton père, il venait d'où,
- Speaker #0
lui ? Alors, ma mère venait d'une mère juive polonaise, d'un père juif roumain. Juif roumain, récemment émigré quand il avait 7 ou 8 ans, alors que ma grand-mère polonaise était née en France. Du côté de mon père, c'est un peu différent. Les parents de mon père étaient nés en Russie. à Minsk. Mon grand-père, que je n'ai pas connu, était un activiste socialiste, ami de Trotsky, soi-disant, et souvent enfermé dans la forteresse Pierre et Paul, où il a rencontré la femme de sa vie, qui était ma grand-mère, que je n'ai pas connue, qui s'appelait Rosa Lieberfeld, et qui passait des documents politiques à mon grand-père, qui avait terriblement envie de manifester avec les étudiants à l'époque. beaucoup plus que d'exécution. On me dit qu'il était cheminot. C'est tout ce qu'on m'a dit. Ça ne veut rien dire pour moi. J'ai entendu dire qu'il était cheminot. Je n'imagine pas. Je ne sais pas ce qu'il faisait exactement. Mais tout ce que je sais, c'est qu'il était d'une famille très nombreuse, que son père lui-même était un rabbin ultra-orthodoxe, qui ne travaillait pas, qui étudiait la Torah toute la journée, qui allait prier à la synagogue, qui vivait des œuvres. de la synagogue. C'était à l'époque, c'était comme ça que ça se passait. Les hommes ne travaillaient pas, ils étudiaient. Pendant que la mère au foyer essayait de faire bouillir la marmite pour une tripotée d'enfants qui manquaient de rien. C'était pas la misère.
- Speaker #1
Et toi, dans ce que t'as connu directement dans ton enfance, qu'est-ce qui transpire ?
- Speaker #0
Le malheur. Le malheur général. Le malheur de mon père qui... qui perd son père gazé à Auschwitz, qui apprend ça après, à la fin de la guerre. Sa mère, ma grand-mère, que j'ai pas connue puisque j'avais deux ans quand elle s'est jetée par la fenêtre du quatrième étage et que mon père est allé récolter les restes, si je puis dire, de sa mère au rez-de-chaussée. Et j'ai connu... Dans mon corps, ça a été marqué. Quand j'ai fait une réharmonisation cellulaire, Le médecin a remarqué qu'à deux ans, j'ai eu un énorme traumatisme. Je ne savais pas ce que c'était. Et on a déterminé que c'était ça.
- Speaker #1
Qu'est-ce que c'est une réharmonisation cellulaire ?
- Speaker #0
C'est-à-dire que je faisais du psoriasis, beaucoup d'épousées de psoriasis. Un jour, quelqu'un a expliqué que c'était pour que ma mère puisse me caresser. Donc, on me mettait de la pâte sur le dos et tout. Elle me touchait. C'est une façon de me toucher.
- Speaker #1
Parce qu'elle ne le faisait pas,
- Speaker #0
si. Non. Et donc... que je... Au moment où j'ai créé cette pièce de théâtre, j'ai eu une poussée d'obsoriasis. Et j'ai une amie qui m'a dit, va voir une certaine Nguyen Cam Tam, qui est une médecin généraliste, acupuncteur, qui va faire un travail très intéressant. C'est tout ce qu'elle me dit. Mais moi, il suffit qu'on me dise ça. Je fais confiance, tu vois. Donc, je vais la voir. Je tombe sur une vétérinienne avec un visage tout à fait charmant, de vieux sage, qui me dit, allongez-vous. Elle me dit, vous venez, pourquoi ? Elle ne voulait même pas que je parle de psoriasis. Elle ne veut pas que je parle, ce n'est pas grave. Donc, pendant une heure et demie, elle a mis des filtres, elle a mis des petites coupes, c'est quoi ? En plastique, sur mes chakras, et puis elle les a réharmonisées au diapason, elle a trouvé que c'était le dos dièse, pour moi. Donc elle m'a réharmonisée au dos dièse, et moi, de toute façon, j'accepte n'importe quoi. C'est pas... On a des intuitions. J'ai eu l'intuition que cette femme qui était un médecin généraliste, adoubée par la faculté et acupunctrice, elle avait tout à fait le droit de trouver une méthode qui se trouvait être la méthode du docteur Laroche, qui n'était pas très connue, mais qui était une méthode de réharmonisation cellulaire. C'est-à-dire, en fait, j'ai compris, c'est comme la tuyauterie, c'est la plomberie. C'est-à-dire, ça bloque à certains endroits, on essaye de débloquer et on remarque que les organes sont liés les uns avec les autres. Et pour moi, cette théorie, elle a fait sens tout de suite. Donc, je suis rentrée à la maison, puis j'ai pleuré. C'est-à-dire, je n'ai pleuré pas activement. C'est-à-dire, j'ai eu des larmes chaudes qui m'ont descendu sur les joues pendant une semaine. C'était bon, c'était chaud, c'était très chaud. Ça sortait.
- Speaker #1
Et quand tu me parles des liens entre tous les organes, ça me fait penser aussi aux liens de toute une histoire, en fait, de retricoter tous les liens. Et ça, on va revenir à Peter, si tu veux bien. Et je te questionnais sur ton enfance, tes origines, parce que quand tu rencontres Peter, donc il s'appelle et il s'appellera toujours Léman. Est-ce que quand tu le rencontres, le fait qu'il s'appelle Léman, tu te dis, tiens...
- Speaker #0
Il est juif, bien sûr, je lui dis d'ailleurs. Et c'est-à-dire qu'il s'appelle en fait Armand Stéphane Léman. Mais il se fait appeler Peter, et je te dirai pourquoi. Donc Peter, oui, Peter, Léman, je lui dis de façon complètement naïve et incongrue, mais je dis Léman, mais c'est un nom juif ça. Il me dit oui, pourquoi ? Non mais parce que moi aussi je lui dis, ça le fait rire, il s'en foutait un peu. Sa première femme et sa deuxième femme, elles ne l'étaient pas. Ils ne cherchaient pas une petite Ashkenaz. Il s'est trouvé que ça a été formidable parce qu'on a... découvert énormément de choses en commun, mais pas forcément sur notre passé, mais sur l'énergie qu'il y avait en nous, et autour de la curiosité, autour de beaucoup de choses, beaucoup d'intérêts qu'on avait en commun, qui en fait étaient des intérêts culturels qui sont très liés à cette appartenance.
- Speaker #1
Ce qui était compliqué par contre, c'est que Peter, quand tu le rencontres, lui n'est pas disponible.
- Speaker #0
Mais ça je ne le sais pas, mais je me doute qu'il ait... Je me doute, il a 42 ans, il n'apporte pas d'alliance, de toute façon il n'en aurait jamais porté de sa vie, mais je me doute qu'il n'est pas libre. Et surtout que je le surprends au téléphone, un jour où nous avons rendez-vous, il cherche une babysitter. Donc je me suis dit, tiens, il a des enfants. Je sais déjà qu'il a des enfants. Mais enfin, je ne lui ai pas demandé sa main tout de suite, mais presque. Parce qu'un jour il m'invite au restaurant et il commande du vin. Et moi je bois jamais, et puis je sais que quand je bois je suis très très bavarde, encore plus que d'habitude. Donc je bois une demi-gorgée de vin, et alors il me dit, vous habitez chez vos parents ? Et je dis non non non, j'ai un studio, ah bon. Et vous êtes mariés ? Non non non, je vis seule. Et je me dis, mais c'est amusant ça, parce qu'il me pose des questions un peu directes. Et il me dit à un moment, et je lui dis, comme j'avais un peu bu, je lui dis... « Écoutez, je ne suis pas mariée, mais si vous, vous ne l'êtes pas non plus, et si vous me demandez ma main, je vous dis oui tout de suite. » Et l'éclate de rire, elle m'a dit, si je n'avais pas été mariée, ça ferait longtemps que je vous aurais demandé. Voilà, on est allé dans son bureau et je me souviendrai toujours, et ça c'est Peter, tout à fait. Il m'a pris dans ses bras et il m'a dit, let's fuck. Ah, j'ai dit non, non, ah ben non, non, ça ne va pas se passer comme ça. Mais ça m'a fait rire en même temps parce que j'ai vu le personnage. C'était un personnage qui s'autorisait tout. Il n'avait pas de filtre, il n'avait pas de limites. et Et voilà, j'ai passé 37 ans de bonheur avec cet homme-là avant qu'il sombre.
- Speaker #1
Alors, ce que j'ai découvert, parce que moi, je pensais que tu l'avais appelé l'albatros, parce que le livre s'appelle l'albatros. Évidemment, l'albatros, c'est Peter. Et je croyais que tu l'avais appelé comme ça à partir de sa maladie, mais non.
- Speaker #0
Non. Baudelaire, qu'est-ce qu'il dit ? Il dit qu'il est identique au poète, cet oiseau qui vole au-dessus. Il volait au-dessus du monde, mais il était parfois un peu ridicule en société, Peter. Non pas que... Donc, pas... physiquement parce qu'il avait une allure folle et en plus j'aimais bien lui faire porter des beaux vêtements et tout, donc il était il avait une prestance et une classe mais c'est vrai qu'il était il était déplacé la seule concession qu'il m'a fait, d'ailleurs on le retrouve dans les photos, c'est de m'emmener à une soirée chez l'ambassadrice des Etats-Unis, je ne sais pas par quel miracle on y avait été invité, donc il fallait y aller en smoking et en reblongue il a loué un smoking qui lui allait d'ailleurs très bien, parce que tout lui allait bien. Et il m'a acheté, à l'époque, dans le plus grand... J'ai le plus grand photographe, ça s'appelait Loris Azzaro, une robe longue incroyable que j'ai mise une fois.
- Speaker #1
Tu es entourée de photos sur la table, des photos avec toi, Peter, les enfants, des amis. Est-ce qu'il y a une photo préférée dans toutes ces photos que tu as là ?
- Speaker #0
Oui, la photo préférée, elle est en grand chez moi, mais c'est celle-là, c'est la première photo. qu'on a pris de nous, on était partis sur l'Acropole. En fait, on se rendait en Grèce pour un truc qui était complètement loufoque pour moi, c'est qu'il devait choisir un bateau de croisière qui allait lui permettre de faire une croisière avec ses meilleurs amis qu'ensuite j'allais fréquenter pendant des années, qui voulaient partir ensemble avec leur épouse, et Peter avec son épouse. Alors je peux te dire que ce n'était pas un truc qui me plaisait tellement. Il fallait qu'on choisisse le bateau. Donc j'ai choisi le pire bateau, celui qui allait sombrer. Et comme Peter s'en foutait complètement, ça a été un voyage catastrophe. Ou d'ailleurs, les liens de famille se sont un petit peu distendus. Voilà. Et quand ils m'ont rappelé ça, ça le faisait rire. Ça le faisait rire parce que c'était un acte manqué, hautement réussi. Et je viens de penser, en regardant cette... Cette photo, parce que c'était la raison du voyage en Grèce, choisir le bateau. La deuxième photo est très importante. Ça, c'est tout à fait à l'image de Peter, de l'Albatros. Pourquoi cette photo est importante ? Parce qu'il me dit, écoute, on va aller voir, j'ai un ami en Espagne, et j'ai très, très envie d'aller le voir. C'est un écrivain et tout. Viens, on part, parce que c'est comme ça. Viens, on part, on prend un billet d'avion. Ben d'accord, viens, on part. Donc on va, je ne sais plus où, ou en Espagne, et on arrive devant une porte. On sonne, mais il n'y a personne. Les volets sont fermés et tout. Il n'avait pas pris le soin de savoir s'il a mis en question. Je me demande même s'il avait pris rendez-vous avec lui. Alors là, il monte. Tu vois, il est très agile. Comme il ne peut pas sonner, comme il n'y a personne, il voulait voir s'il y a derrière. Mais on savait très bien qu'il n'y avait personne. Mais tout ça, je trouve ça... Tout m'émerveille.
- Speaker #1
Alors ce mariage ?
- Speaker #0
Un mariage, mais il a lieu beaucoup, beaucoup plus tard. Et puis on avait eu un autre entre les deux, à Acapulco. On a les photos là. Nos meilleurs amis, justement, les Rubins. Peter avait connu Miles Rubin sans doute à Harvard. Et Miles et Nancy ne comprennent pas pourquoi on n'est pas mariés. Donc, ils nous organisent un mariage surprise à Acapulco. Ils convoquent 22 mariachis et leurs amis, le descendant du metteur en scène Joseph Mankiewicz. le fils ou petit-fils, qui servira de témoin du mariage. Bref, on se retrouve à Acapulco, et avec un juge mexicain, qui va nous faire une cérémonie de mariage qui se trouve être valable si on l'a fait valider. On ne l'a pas fait, nous. Parce qu'on n'avait toujours pas envie de se marier. Mais la fête était très amusante. Alors pourquoi le mariage après, des années après ?
- Speaker #1
Oui, et puis un mariage traditionnel. Donc qu'est-ce que ça voulait dire pour toi ?
- Speaker #0
Tout ! Ça voulait dire, tout le travail que j'ai fait pour me relier à une histoire de laquelle on avait essayé de m'évincer, pas m'évincer, mais qu'on ne m'avait pas raconté, c'était je retrouvais un lien avec une histoire qui était en fait la mienne, qui aurait dû être la mienne. J'élève mon fils dans le judaïsme sans rien y connaître, en le faisant prendre en charge par ce qu'on appelle la Sunday School, le Talmud Torah, parce que moi j'ai pu, incapable, et puis Peter... Il est trop fantaisiste, même s'il fait lui-même sa bar mitzvah, il est trop fantaisiste pour prendre ça en charge.
- Speaker #1
Ça veut dire qu'il va dans un lieu spécifique ?
- Speaker #0
Pour étudier. Oui. Ça s'appelle une yeshiva. Ça, c'est une yeshiva, c'est quand on veut devenir rabbin. Sinon, c'est simplement une petite école du dimanche, Sunday School, hébraïque, où on apprend les fondamentaux. L'Ancien Testament, Abraham, Isaac. toutes les histoires de la Bible avec leur symbolique c'est très lié à l'ancien testament l'identité juive parce que c'est joli en même temps alors le mariage Peter a été bar mitzvah, c'est à dire qu'il a fait donc son entrée dans le monde adulte Jonathan l'a fait aussi moi, j'ai pas été bat mitzvah c'est l'équivalent pour les femmes Pour la bonne raison, de toute façon, j'ai été baptisée catholique à naissance. Mais on s'en fout, personne ne le sait.
- Speaker #1
Mais c'est important ça, que tu aies été baptisée compte tenu de tes origines.
- Speaker #0
Je n'ai jamais vu le certificat de baptême. Et tout ce que je sais, c'est qu'on a changé mon nom de Gatovski en Gato. Donc non, il y avait un refus chez mes parents. Alors ce refus a rencontré chez moi le contraire. C'était l'envie d'appartenir à une histoire. et que mon grand-père, que je n'ai pas connu, ne soit pas mort en vain. C'était mon idée. Je n'avais pas le droit de changer le cours des choses. Je ne raisonnais pas en termes d'assimilation ou pas. Je ne savais pas ce que ça veut dire l'assimilation. J'étais française avant d'être juive.
- Speaker #1
Je vous ai sentie, toi et Peter, au travers de tout ce que tu écris dans ce livre, un peu comme deux enfants.
- Speaker #0
Tout à fait. Mais oui, on a eu les mêmes traumatismes aussi, avec des âges différents, dans des pays différents. Bien sûr, et avec des rapports extrêmement difficiles avec ses propres parents. Et enfant, c'est sûr, alors ses enfants, ils l'étaient. Parce que Peter, c'est pas rien, c'est Peter Pan. Pourquoi Peter quand on s'appelle Armand ? C'est déjà très étrange. Mais c'était un gosse, c'était pas un enfant, c'était un gosse.
- Speaker #1
C'est lui qui s'est rebaptisé
- Speaker #0
Peter ? Bien sûr. D'ailleurs, là-bas, quand il est arrivé aux États-Unis, tout le monde l'appelait Army. Parce que personne ne pouvait le prononcer. Armand, ça ne se prononçait pas. Et moi, je trouvais ça tellement... romantique. Armand, c'est joli. Mais non, pour lui, c'était ridicule. Et pourquoi Armand ? Parce que son grand-père paternel, qu'il n'avait pas connu, s'appelait Armand. Son père s'appelait Lucien. Ils avaient tous des noms français parce qu'ils venaient tous d'Alsace. Tu vois ? Donc, il y avait un lien avec l'Europe très clair. Et avec la culture aussi, c'était évident.
- Speaker #1
Est-ce que tu crois que... Alors, tu peux donner le nom de la maladie ?
- Speaker #0
La démence à Cordelewé.
- Speaker #1
Est-ce qu'à un moment donné, tu t'es demandé si cette maladie-là avait un lien avec toutes ces histoires ?
- Speaker #0
Je me demande toujours ce genre de choses. Parce que ma grand-mère, que j'admirais, qui était une femme qui, à une autre époque, serait devenue une femme de pouvoir, qui serait devenue une avocate, une autrice, qui aurait eu une maison de couture, qui aurait été une grande décoratrice, elle avait tous ces talents, ma grand-mère. qui a été brimée, celle qui n'a pas été déportée, c'était Rosalie Burfeld qui a fait de la couture pendant l'occupation pour que ma mère puisse suivre ses études de médecine. Pas m'admirable, qui m'aimait pas particulièrement, mais que j'admirais pour son style et pour son élégance et sa classe, ça c'est une chose. Quand elle est devenue Alzheimer, j'ai compris qu'elle s'auto-détruisait. Il y avait trop de choses qu'elle voulait oublier. Et j'ai pensé à un autre truc. Quand Peter a tout perdu, je ne saurais pas dire par sa faute, parce que c'était par inadvertance, il a confondu ses biens avec sa société. Mais je dirais inadvertance parce que peut-être qu'il perdait un petit peu la boule déjà. Eh bien, il a fallu quitter cette incroyable maison que j'avais refaite sur six étages dans le Marais, avec un ascenseur à l'intérieur. comment dire, une piscine, des trucs de débiles. Quand il a fallu partir de cette maison après un arrangement un peu bancal avec un avocat marron, et bien à ce moment-là, Peter, la seule chose qui le concernait, c'est que... La mémoire de son ordinateur avait disparu. La mémoire, c'est extraordinaire. Avant même qu'il ait un diagnostic, qu'on puisse penser qu'il est quelque chose, la mémoire de son ordinateur avait disparu. J'ai vu plus tard un symbole très fort.
- Speaker #1
Dans le livre, on comprend que tu as écrit et tu as attendu 13 ans pour écrire un épilogue et puis finalement l'éditer. Ce qui est très important dans cette épreuve aussi, c'est que tu es partie de Paris. et que tu t'es installée à Angoulême. Alors moi, je ne te connaissais pas à l'époque, mais je savais que tu habitais dans cette maison. Et pour moi, cette maison, c'est un moulin, un petit château.
- Speaker #0
Tu sais à quoi ça m'a fait penser ? J'avais l'impression de rentrer à Disney World. Et comme Peter était un spécialiste des parcs d'attractions, et qu'il m'avait fait visiter tous les parcs du monde entier, je rentrais à Disney. Parce que c'était loufoque, ce portail.
- Speaker #1
Quelque part, tu m'as dit plusieurs fois que la ville t'avait sauvée.
- Speaker #0
Elle m'a sauvée parce que si j'étais restée à Paris, on serait morts. On serait morts tous les deux. Lui, il serait rentré dans une maison, comme on dit. Il aurait peut-être passé trois semaines. C'est terrible. Moi, je me souviens quand j'ai mis mon père malade dans une maison, comme on dit. Il a disparu très vite. Ma grand-mère aussi. Pour moi, dans l'état où on met l'individu, où il est totalement inconscient, C'est la fin du monde. Donc, on ne peut pas rester à Paris. Peter s'évade. On ne le retrouve pas. On devient fou. Donc, il faut partir. Et je ne voulais pas partir définitivement. Bêtement et dans le déni dans lequel j'étais, je me disais, un peu de vacances au vert, ça va le calmer. On aurait dit, j'aurais pu dire n'importe quoi.
- Speaker #1
Tu as pu maintenir Peter à côté de toi jusqu'au bout ? Jusqu'à son dernier souffle.
- Speaker #0
J'ai eu la chance de bénéficier de revenus exceptionnels dont j'ignorais la provenance au départ, puisque on avait chacun notre compte et que lui recevait des dividendes provenant de l'allocation d'un terrain dont il était propriétaire et dans lequel on puisait du pétrole. Donc il n'était pas propriétaire de parts sur des puits de pétrole. négociables ou cotés en bourse. Non, il était juste propriétaire de parts de terrain qui justifiaient qu'il reçoive donc des émoluments mensuellement. Mais lesquels sont devenus très importants à une époque où justement tout s'est cassé la gueule. Ça, j'ai jamais compris parce que je n'avais pas une vision. Je ne savais pas ce qui touchait. Je savais que grâce à ça, il pouvait payer une pension alimentaire très chère à une précédente euh... comment dire, épouse, qui était la maman de Benjamin et Anna. Mais à l'époque, donc, quand je m'installe, le pétrole est relativement haut et me permet d'imaginer et des travaux de la Tour Garnier et un hébergement à quatre personnes. Mais cet hébergement à quatre personnes jour et nuit ne coûte pas plus cher qu'une EHPAD haut de gamme. Je calcule et je vois que j'ai la chance de pouvoir rester à côté de mon mari dans un lieu médicalisé. qu'on fait médicaliser très rapidement. Et voilà. Donc, c'était plutôt un miracle.
- Speaker #1
Tu parles du... Je dis de mémoire, du passé qui n'existe plus et de l'avenir auquel il ne faut pas penser, quelque chose comme ça, et donc, du coup, qui te met dans le présent. Parce que tu parles quand même de... Malgré la difficulté et l'épreuve, vraiment, tu nous fais ressentir des moments de bonheur d'être avec lui.
- Speaker #0
Mais Marlène, j'écris au jour le jour. Je ne peux pas savoir. Je n'arrive pas à me remettre dans... l'état d'esprit dans lequel j'étais au moment où j'écris. La seule chose dont je peux me souvenir, c'est du côté tragique de certains moments de ma vie et de moments de désespoir tellement forts que Alice au Péau de Merveille qui tombe au fond d'un puits sans fond. Et voilà, je me disais, est-ce que je vais arriver au fond ? Oui, mais en même temps, il n'y avait rien d'autre à faire que ce que j'avais décidé de faire. Il n'y a pas eu une seule fois un doute sur la prise en charge que je faisais. Mon mari, parce que je voulais le garder près de moi. C'était l'amour de ma vie, il était hors de question qu'il soit... Parce qu'il avait fait un mois dans un Ehpad, une, je ne sais pas comment on dit, une Ehpad, au moment où je faisais les travaux à Tourgarnier. Il a tellement tout cassé là-bas, rendu fous les gens. Comme je dis, le vol au-dessus d'un nez de coucou, c'était rien à côté de ce à quoi j'ai assisté. Il a cassé le nez d'une infirmière, il a cassé sa télé, il a cassé... Il avait une chaise à la main à chaque fois qu'il y avait quelqu'un qui rentrait dans sa chambre, il la brisait sur sa... C'était pas possible. Ils sont devenus fous. Et heureusement, quand on est allés le chercher, les enfants en aient d'arriver, on l'a kidnappé, et les travaux étaient terminés. Et dès qu'il s'est senti bien, Là, calme, dans un lieu où il savait que ses proches n'étaient pas loin. Il était encore physiquement mobile, je veux dire. Eh bien, il a commencé à s'apaiser.
- Speaker #1
Comme on est dans un monde en joie, alors est-ce qu'il y avait une joie avant ? Est-ce qu'il y a une joie possible aujourd'hui ?
- Speaker #0
La joie, tu sais que c'est quelque chose de limité dans le temps. C'est ponctuel, c'est comme le bonheur. On dit, il y a des choses qui m'apportent beaucoup de joie. Je citais ces réunions du mercredi où je revois des films que j'ai adorés. Tous les films, je les ai vus avec lui. C'est lui qui m'a initié en plus. à certains cinémas, parce qu'il se trouve qu'il avait été avocat sur la côte ouest et il défendait aussi bien des comédiens célèbres que des boîtes de production ou des studios. Donc il connaissait tout, absolument tout, et puis même la petite histoire derrière l'histoire. Donc j'étais passionnée de cinéma américain, et puis aussi anglais, et puis aussi français, puisqu'il le connaissait et ça m'avait sidéré qu'il me citait comme un de ses films préférés, La Talente. qui était un film comme Jean Vigo, un film muet. Donc, il y avait quand même un niveau de culture qui me frappait de temps en temps. Pourquoi je dis ça ? Alors, pour en revenir à... Oui, de la joie, parce que je connecte facilement avec lui par rapport à quand je choisis un film, c'est que je me rappelle d'un film qu'on avait aimé ensemble. Quand j'ai construit cette maison à Léron, je me souviens que c'est lui qui m'a appris ce que c'était que l'architecture en bois. Baos, enfin toutes ces choses-là c'était, il venait de lui, donc il m'accompagne en fait je suis une partie de lui
- Speaker #1
Est-ce qu'il y a de la joie sans lui ? Est-ce que tous tes moments de joie sont reliés forcément à Peter ?
- Speaker #0
Ils sont beaucoup reliés à Peter mais c'est difficile à dire c'est difficile, quand je me balade le long de l'océan et qu'il adorait tellement les vagues et tout, je crois qu'à ce moment-là je peux avoir une joie profonde en moi ça je crois que c'est possible C'est pour ça que j'aime aller là-bas. Et surtout, j'aime le côté complètement isolé et sauvage, parce que c'est ce qu'il aimait quand il m'emmenait sur les plages de Californie ou des plages de Long Island et tout. Il adorait ça, les vagues, le sable, l'absence de monde. Je retrouve ça et ça me donne de la joie, oui.
- Speaker #1
Est-ce qu'il y a une musique qui te met en joie ?
- Speaker #0
Il aimait beaucoup, beaucoup Stevie Wonder. Et quand j'étais dans la boutique, il m'avait aidé à... à financer quand j'ai ouvert une boutique de couture après avoir laissé tomber l'école dans laquelle j'enseignais le droit après avoir été membre du barreau, et bien c'est lui qui m'a apporté des musiques et des musiques que je ne connaissais pas. C'est lui qui m'a fait découvrir Fats Waller, qui m'a fait découvrir des jazzmen que j'ai adorés. Il avait une corde à sauter, il mettait Donna Summer, et puis il sautait à la corde sur Donna Summer, mais comme un expert, il saut à la corde. Je ne sais pas quoi te dire, il aimait beaucoup... Ce qu'on dit, la grande musique, ce n'était pas son truc. Il aimait le jazz, et il aimait... Il aimait Elton John, il aimait Stevie Wonder, il aimait Mick Jagger, il aimait... Et aussi, des groupes pour lesquels il avait travaillé, je ne sais même plus comment ils s'appellent, ces groupes. Des groupes américains... Oui. Je ne sais plus comment c'était. Peu importe. Ah, si, Joe Cocker. Il adorait Joe Cocker.
- Speaker #1
Alors, le livre, la couverture est très belle. Il faut dire que c'est toi, c'est Peter qu'on voit sur la couverture. Et c'est toi qui as fait ce portrait.
- Speaker #0
J'ai devenu portraitiste quand j'avais une trentaine d'années. Et j'ai découvert la joie de peindre des visages dans une autre situation que la situation habituelle du personnage. Donc, je trouvais amusant de peindre Peter d'une façon un peu sophistiquée puisqu'il ne l'était pas. pas. Et surtout, il adorait Balzac. Il appartenait à un club de lecture où il lisait Balzac, il lisait James Joyce, il lisait Proust. Donc, on retrouve un héros romantique là. Mais moi, je le connaissais à 42 ans. Je suis tombée sur une photo de lui à 26, une photo noir et blanc, et je me suis dit, je vais le reproduire tel un héros de Balzac, avec le visage de 26 ans. Et en fait, quand j'ai Quand j'ai fait ce visage, j'ai passé 60 heures dessus, tellement je voulais que ça soit parfait. Mais il y a quelque chose de très fort, je trouve, dans son regard. Et ça me fait plaisir, parce que les gens remarquent cette couverture et ça leur plaît.
- Speaker #1
Nicole, pour terminer, ce livre, je sais que c'était comme un journal et que c'était une nécessité d'écrire au fur et à mesure, mais tu aurais pu garder ces feuillets pour toi. Qu'est-ce qui a fait que tu l'as édité ? Qu'est-ce que tu voudrais que les gens... pensant ?
- Speaker #0
C'est bien ta question, parce que j'ai jamais pensé que je le ferais, pour la bonne raison que je parle mal de ma famille. Je parle, mon père, non, mais ma mère, ma soeur, la belle famille, la fille de Peter, un peu Benjamin, même s'il est réhabilité à la fin, puisque j'aime beaucoup Benjamin.
- Speaker #1
Je pense que c'est important d'aller au bout du livre, oui, pour trouver des réconciliations.
- Speaker #0
Mais pas suffisamment, à mon avis, mais de toute façon, j'ai pas voulu retoucher. Non, d'ailleurs, j'étais... bizarrement encouragée par ma fille quand je lui ai demandé « Est-ce que ça te dérange que je rende public un journal que j'ai tenu au quotidien, que tu ne connais pas, mais que j'ai soutenu ton père, où j'écorne un petit peu des membres de la famille, et notamment un peu ton frère, parce que j'étais déçue qu'il ne soit pas là le jour de mes 60 ans et de mon mariage. » Elle me dit « Mais pas du tout. Il faut que tu laisses intacte ce que tu as ressenti, parce que ce que tu as écrit, c'est du ressenti, tu ne peux plus y toucher. » Quant à Jonathan, il ne s'est pas franchement prié, privé, pour te parler de toi. Mais elle l'a dit gentiment. Mais c'est vrai qu'il se manque gentiment de sa maman, et c'est OK. Et moi, je ne dis rien de vraiment très grave concernant Jonathan. Mais pourquoi je l'ai publié ? C'est sur la pression des personnes très proches de moi, de femmes très proches de moi, à qui je l'ai donné à lire, pour savoir comment... Parce que je n'ai pas parlé, il fallait bien qu'elles savent ce qu'ils savent. Ça étonne tout le monde. on ne savait pas que... On ne savait même pas que tu savais peindre, on ne savait même pas que ton mari était à côté de toi, on ne savait pas qu'il était malade, il y a tellement de choses. Donc d'un seul coup, on sait.
- Speaker #1
Parce qu'en plus, à la Tour Garnier, c'est vrai que tu faisais des fêtes, que Peter était dans sa chambre et toi, tu invitais des gens, tu avais à cœur que la vie continue.
- Speaker #0
Tout à fait, ce qui ne m'empêchait pas de le voir régulièrement. Quand je faisais une fête, je savais que mon pauvre mari était grabataire deux étages au-dessus et qu'il était surveillé et aimé par les personnes qui l'encadraient. Et l'accompagner, c'est ça qui était formidable. Ça a été un miracle pour moi. Et je me rends compte, et il faut le dire absolument, que j'ai eu une chance exceptionnelle, que peu de gens ont eu pour garder un être cher. J'ai eu cette chance-là, et je suis pleine de gratitude pour la vie, et pour la ville d'Angoulême. Et j'y tiens beaucoup, parce que cette ville est extrêmement bienveillante. La première personne que j'ai rencontrée, c'était la pharmacienne, qui m'a donné des tuyaux formidables, et qui m'a même trouvé... un chef de chantier pour pouvoir refaire. Tout est venu. C'était comme un puzzle où tout est venu. En tout cas,
- Speaker #1
tous les choix que tu as faits là, tu les assumes. Et c'est ce qu'on retrouve dans l'Albatros. Ça parle de Peter et ça parle de toi aussi, d'une femme qui fait des choix.
- Speaker #0
Mais je tiens à insister que je n'ai aucun mérite à voir ça, mais je le pense vraiment. Parce que pour moi, je n'avais pas le choix. C'était une mission qui s'est imposée à moi sans que j'aie besoin de réfléchir à son sens. On me dit, tu as du courage. Non, je n'ai pas de courage. C'est du courage, c'est quand on a le choix. Moi, je n'avais pas le choix, c'était ma mission. Et une mission, on la mène jusqu'au bout. Et c'est une mission que j'ai aimée mener. Il faut savoir, je n'étais pas sacrifiée. Pendant 30 ans, j'ai parcouru tous les bouquins sur la spiritualité des anciens philosophes de l'Antiquité jusqu'à tous les maîtres zen du Japon, d'Inde et tout.
- Speaker #1
Et aussi la psychanalyse.
- Speaker #0
Oui, et je me dis, au moment où m'arrive une épreuve, et d'ailleurs, le yogi que je suivais me disait, le divin ne t'envoie aucune épreuve que tu ne peux supporter. Donc, c'est que je pouvais la supporter. Donc, si je la supporte, il faut que je la mène à bien. Donc, c'était ma conviction. Et pourquoi je me révolte au départ ? Parce que j'ai l'impression que je n'accepte pas. Et en fait, je me dis, mais pourquoi je n'accepte pas ? À quoi ça sert toute cette... ce travail que j'ai fait, si je n'accepte pas.
- Speaker #1
Voilà, tu parles des moments où tu n'es pas bien, des moments où tu es dans le déni, des moments où tu es en colère, mais c'est tout ça qui, à un moment donné, va amener l'acceptation. Et ça, il faut lire le livre, maintenant, pour voir un petit peu tout ce que tu racontes et tous les moments par lesquels tu es passée.
- Speaker #0
Merci beaucoup, Marlène, de m'avoir permis de mettre en mots sonores et rajouter des choses qui, peut-être, ne se retrouvent pas. dans l'Albatros, mais il y aurait quand même tellement à dire, mais j'ai déjà beaucoup parlé.
- Speaker #1
Mais ce sera peut-être un prochain livre ?
- Speaker #0
C'est difficile. C'est difficile, pas d'écrire, ce qui est difficile, c'est de rendre public à un moment donné, et de faire en sorte que ça soit quelque chose de parfait. Quelque part parfait, je m'entends, c'est-à-dire sans aspérité, qui coule de source. C'est ça, les compliments que j'ai reçus, c'est ça, et je trouve ça bien. C'est-à-dire que ça vient du cœur, ça vient des tripes, et c'est pour ça que c'est reçu de cette façon. On ne cherche pas à faire du style. C'est pour ça que quand on voit des formules un petit peu grossières, de ma part, un petit peu, je ne dirais pas ordurières, mais enfin, parfois je dis des gros mots, comme on dit, mais j'assume complètement, même si au quotidien je n'en dis pas. J'étais très, très, très en colère. Très, très, très, très triste. Et j'en voulais à la terre entière. Et j'ai dit des choses pas terribles sur ma mère. Et je suis en train de me rendre compte qu'il va falloir que je fasse un travail pour voir si elle a été si vilaine que ça. Mais parce que quand je lis ce bouquin, je trouve que c'est moyen. Merci encore.
- Speaker #1
Merci à toi.