- Frédéric Vuillod
Le monde associatif expérimente et étudie des solutions au cœur de la ville pour améliorer la vie des habitants. Souvent très riches d'enseignements, ces solutions méritent d'être partagées. Je m'appelle Frédéric Vuillod, je suis journaliste et je pars à leur découverte. Vous écoutez Ville solidaire, ville durable, le podcast de la Fondation des solidarités urbaines, le laboratoire des bailleurs sociaux de la ville de Paris, qui offre ici un espace de partage d'expériences aux projets qu'elle soutient. Aujourd'hui, je vous emmène sur une île, une île au milieu de la ville. Sur les boucles de la Seine, aux portes de Paris, je vous emmène sur l'île Saint-Denis. C'est une commune à part entière de 7000 habitants, dont 70% résident en logements sociaux. Et sur la pointe nord de cette petite île se trouve un espace naturel incroyable, un laboratoire de biodiversité sur une superficie de plus de 3 hectares. Et c'est ici que l'association Halage a décidé de porter un projet multidimensionnel. unique en son genre, qui s'appelle Lil'Ô. Bonjour Quentin Medj.
- Quentin Metge
Bonjour.
- Frédéric Vuillod
Vous êtes coordinateur du site de Lil'Ô. Ce projet s'est installé sur une ancienne friche. Quelle est la particularité de ce lieu et pourquoi est-ce que vous l'avez choisi pour mener vos actions ?
- Quentin Metge
Plusieurs choses. Déjà, la particularité de ce lieu, je dirais qu'on est sur une île. Donc, j'ai l'habitude... C'est rare. C'est rare. J'ai l'habitude, quand je croise des amis, je travaille sur une île, dans une ferme, en région parisienne. Donc, c'est rare.
- Frédéric Vuillod
aux portes de Paris. Exactement.
- Quentin Metge
Déjà, on est sur une île, 7 km de long, 200 m de large, au maximum de sa largeur. La Seine qui court le long de notre parcelle est complètement présente sur notre île. C'est une île qui est reconstituée. Au départ, c'est plusieurs petits îlots qui sont sur la Seine, qui a servi de base arrière pour les Vikings, d'ailleurs, quand ils sont venus envahir Paris. C'est une île qui s'est constituée avec la construction de Paris. mais en récupérant tous les remblais de Paris. Donc c'est une île avec un sol qui a été très dégradé, modifié. On appelle ça, nous, un anthroposol. Sur notre parcelle, on a un sol qui est contaminé et qui est pollué.
- Frédéric Vuillod
Et on peut même ajouter que cette île est une municipalité avec son maire. Alors, pourquoi est-ce que vous avez choisi ce site pour mener vos actions ? Comment c'est arrivé ?
- Quentin Metge
C'est une opportunité qui s'est présentée. Anciennement, c'était une terre maraîchère, après-guerre en tout cas, qui était cultivée par les habitants de l'île Saint-Denis. Et ensuite, c'est un lieu qui a été occupé pendant une quarantaine d'années par une entreprise du bâtiment, qui a utilisé le site à des fins de stockage de matériaux divers et variés. En fait, c'est le département du 93 qui décide de racheter ce site à cette entreprise du bâtiment. pour y installer un laboratoire de biodiversité, un laboratoire de restauration des sols. Et donc, on a co-construit un projet avec le département du 93, qui est propriétaire des lieux, et l'association Halage, qui est une association aujourd'hui qui a 30 ans, donc un acteur important sur l'île Saint-Denis, qui connaît les techniques pour la restauration des milieux naturels et urbains.
- Frédéric Vuillod
Oui, elle a des caractéristiques quand même, cette association Halage. Elle ne fait pas n'importe quoi et pas avec n'importe qui. Vous pouvez nous en toucher un mot ?
- Quentin Metge
Bien sûr ! L'association à l'âge, c'est une association qui est née en 1994, qui s'est créée sur la base de deux constats. Donc le chômage sur le territoire et le cadre de vie qui se dégradait. Et aujourd'hui, du coup, on est une association avec plus d'une centaine de salariés et on est une structure d'insertion par l'activité économique. Notre activité historique, c'est de faire de l'insertion professionnelle au travers de deux activités, donc les espaces verts et naturels et grâce au site de l'îlot, notamment l'horticulture.
- Frédéric Vuillod
Alors concrètement... Qu'est-ce que vous faites sur ce terrain de plus de 3 hectares au nord de l'île Saint-Denis ?
- Quentin Metge
Notre but, c'est de restaurer le lieu. Restaurer, ça veut dire à la fois en termes d'humains, c'est-à-dire créer de l'emploi, faire un lieu de formation, faire un lieu d'expérimentation, faire un lieu de transmission, où tout est possible, un lieu de convivialité aussi, d'échange. Mais aussi en parlant de tout ce qui est biodiversité, donc restaurer les sols, refaire venir des oiseaux, refaire venir des insectes, refaire venir des vers de terre, des champignons. Donc voilà. travailler vraiment l'humain et la nature ensemble pour restaurer le lieu. Et donc concrètement, on a différentes activités sociales et écologiques qui viennent s'installer sur ce lieu.
- Frédéric Vuillod
Par exemple ?
- Quentin Metge
Par exemple, on accueille une entreprise qui s'appelle Les Alchimistes qui fait du compostage de déchets alimentaires. Ils vont récupérer auprès des cantines, des restaurateurs, etc. tous les déchets alimentaires, les biodéchets, on appelle ça des biodéchets. les épluchures de carottes, de pommes, les coquilles d'œufs, etc. Il les récupère, il les apporte sur le site de l'îlot et il les transforme pour créer du compost qui va ensuite renourrir les sols, à la fois les sols de l'îlot mais aussi les sols d'Île-de-France.
- Frédéric Vuillod
Et il y a une dimension participative aussi dans tout ce que vous impulsez comme type d'action ?
- Quentin Metge
Évidemment, le cœur du projet, c'est que Halage ne soit pas seul non plus à travailler sur ce projet-là et sur ce site, mais que ce soit vraiment un collectif. Et en effet, l'aspect participatif, il est essentiel chez Halage. On a entamé au départ, quand on a eu le lieu, une participation citoyenne où on a interrogé les habitants du territoire pour savoir ce qu'eux aussi avaient envie de développer sur ce lieu. Et donc voilà, il y a eu l'idée d'un petit jardin partagé. Donc on travaille aujourd'hui avec des associations très en local sur l'île Saint-Denis qui ont construit un petit jardin partagé, donc le jardin Nieleni, autour des plantes aromatiques et médicinales. Et là, notamment, on développe en plus la cuisine, donc l'alimentation. Donc on a une cuisine semi-professionnelle où on développe aussi des ateliers de cuisine avec les habitants du territoire.
- Frédéric Vuillod
Alors on voit bien à travers vos propos le caractère multidimensionnel, comme je le disais. en introduction de votre projet, et c'est un projet de recherche-action. Est-ce que vous pouvez nous parler un peu plus en détail de l'axe recherche de ce projet ?
- Quentin Metge
Alors en effet, un des piliers de notre projet, c'était de faire de la recherche scientifique, à la fois de la recherche en sciences sociales et de la recherche en sciences dures, en pédologie, donc qui est la science du sol. On travaille notamment avec l'Institut de recherche pour le développement, et là on va s'intéresser à la restauration du sol, comment on fait demain. avec une terre qui a été très abîmée, compactée, voire polluée, pour restaurer un sol, on va dire, le plus rapidement possible et aussi à moindre coût. On fait différents tests en apportant notamment des déchets urbains, en tout cas de la terre inerte urbaine, des composts, des mélanges aussi, on essaye de voir en faisant des mélanges. Et là, du coup, on a différentes formulations qu'on teste et donc on va faire un suivi. à la fois physique, biologique, chimique aussi de ces sols-là. Donc on va compter les espèces qui poussent, on va compter le nombre de vers de terre ou de cloport qu'on peut trouver sur chacune des parcelles. On va faire des analyses de sols en laboratoire pour vérifier la quantité de carbone, la quantité d'azote dans ces sols-là, la rétention en eau, etc. Et de voir l'évolution dans le temps. Heureusement, on a eu le site en tout cas pour 10 ans dans une première convention d'occupation. Mais voilà. On continue et on va aller jusqu'au bout. On s'intéresse aussi à la pollution des sols et notamment à la migration des polluants, notamment ce qu'on appelle les éléments traces métalliques, donc les ETM, et la migration de ces polluants dans les légumes, par exemple. Et donc, pareil, on va essayer de trouver des techniques et de mettre des espèces de barrières, en tout cas des filtres. Donc, on va utiliser ce qu'on appelle des technosols. C'est des mélanges de terre, de compost, etc. ou des substrats. Et on va vérifier si oui ou non, ça permet de faire une barrière pour la migration des polluants dans les légumes et de vérifier quel type de légumes. Par exemple, est-ce qu'une tomate aussi, elle va absorber plus de polluants qu'une salade, par exemple.
- Frédéric Vuillod
Parce qu'évidemment, si les sols précédemment étaient pollués par des métaux et qu'ils se retrouvent dans les légumes, ils sont ensuite dans notre estomac. Ça prend combien de temps, ce type d'expérimentation ?
- Quentin Metge
Ça prend énormément de temps. Aujourd'hui, on est à 6 ans, ça fait 6 ans qu'on l'a. Il ne s'est jamais fini, on est toujours en perpétuité. Perpétuel mouvement, envie de créer, envie d'innover, envie de découvrir de nouvelles choses. On a l'impression qu'on s'intéresse à un sujet, on découvre une chose, mais ça ouvre trois nouvelles questions à chaque fois qu'on a envie de creuser.
- Frédéric Vuillod
C'est passionnant.
- Quentin Metge
En effet, c'est passionnant.
- Frédéric Vuillod
Alors pendant ces six années, est-ce que vous avez tissé des liens avec d'autres friches urbaines ? Parce qu'il y en a d'autres, il n'y a pas que la vôtre évidemment.
- Quentin Metge
Il y en a beaucoup, notamment en Ile-de-France, on est assez présent. On a des contacts également dans d'autres régions en France, notamment. Dans le nord, il y avait la ferme du Trichon qui a aussi des questions sur la pollution des sols. Cette question pollution des sols, elle revient très concrètement quasiment partout. Et c'est vrai qu'on nous interroge, on nous questionne souvent. Comment vous faites ? Quelles sont vos techniques ? Qu'est-ce que vous avez découvert ? C'est des savoirs qui sont échangés. Comment eux, ils ont fait ? Qu'est-ce qu'ils ont pu découvrir ? Et voilà, on échange ensemble avec les collectivités aussi, avec la partie académique, avec les chercheurs aussi également.
- Frédéric Vuillod
Alors revenons sur l'île Saint-Denis. Qu'est-ce que vous avez observé de plus frappant depuis le début du projet ? Comment vous documentez d'ailleurs ce qui s'y passe ? Et puis quels sont les principaux enseignements que vous en tirez ?
- Quentin Metge
Moi ce qui me frappe, c'est vraiment que c'est redevenu un lieu où vraiment la nature a toute sa place.
- Frédéric Vuillod
Elle a repris ses droits.
- Quentin Metge
Elle continue de reprendre ses droits. On sent, il y a des oiseaux, il y a des champignons, il y a des vers de terre qui reviennent. On a des espèces rares. D'ailleurs on est dans une... On est en zone Zniev. C'est une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique.
- Frédéric Vuillod
On apprend des nouveaux mots avec vous, c'est bien.
- Quentin Metge
Et on s'aperçoit qu'il y a des espèces qui étaient rares, ça faisait longtemps qu'elles n'étaient pas là, qui sont très importantes en Ile-de-France et pour la biodiversité, et qui reviennent sur notre site. On crée des zones humides, on crée des bosquets-forêts, on laisse au maximum la nature faire d'elle-même. Et là, on s'aperçoit que nos sols commencent à être cultivables, donc intéressant pour les plantes, comment ça s'y plaire. Après, ce qui ne change pas, je dirais, c'est quand on creuse suffisamment profond dans nos sols. On a encore énormément de goudron, on a encore énormément de pollution, on a des odeurs nauséabondes qui se dégagent. Et donc ça, quand on creuse trop profond, ça nous l'avait fait en 2018 et six ans après, c'est toujours le cas.
- Frédéric Vuillod
La pollution s'enfonce en profondeur. Quel conseil est-ce que vous donneriez à d'autres acteurs qui voudraient répliquer votre projet ?
- Quentin Metge
Un des conseils que nous on donne souvent, c'est déjà de faire collectif. À l'âge, on a la convention d'occupation du lieu. avec le département, mais pour autant, on n'est pas tout seul. On a des entreprises, on a des associations, on a des chercheurs qui sont avec nous. Donc voilà, l'idée, c'est vraiment de faire collectif et faire ensemble. L'autre point que je voulais soulever, c'était de choisir une direction plutôt qu'une destination. C'est-à-dire qu'évidemment, on fait un croquis au départ, là où on voudrait arriver, les idées qu'on a, mais il faut aussi savoir jouer avec les opportunités qui se présentent. Au départ, ce ne sont pas toujours positives, ça peut être des problématiques, mais il faut aussi savoir s'en saisir pour en faire une nouvelle activité à créer, une opportunité ou quelque chose. Donc, on garde nos valeurs, nous, qui sont l'insertion professionnelle, l'environnement, la biodiversité, la recherche scientifique et l'éducation populaire. Ça, c'est vraiment nos quatre axes de développement. Mais pour autant, sur le papier, quand on voit l'évolution du site, ça a énormément bougé. Et c'est ça qu'on garde, on garde vraiment la direction et non pas la destination.
- Frédéric Vuillod
Et bien sûr, ça se visite. On peut aller sur l'île Saint-Denis, on peut aller vous rencontrer, on peut aller découvrir cet îlot de biodiversité.
- Quentin Metge
Évidemment, vous pouvez venir visiter ce site. On organise des visites sur le site de Explore Paris, donc tous les mois. Vous tapez Explore Paris, visite l'îlot. Vous pouvez vous inscrire et visiter l'îlot en tant que particulier, en tant que curieux. Et après, vous pouvez me contacter directement, il y a mes coordonnées sur le site de Halage, sur la page de Lil'Ô, pour organiser une visite, un atelier ou d'autres choses sans problème aussi.
- Frédéric Vuillod
Eh bien, on ira vous voir. Merci beaucoup, Quentin Medj. Merci. C'était Ville solidaire, ville durable. Vous pouvez retrouver cet épisode et tous les autres sur toutes les grandes plateformes de podcast, sur le média de l'économie sociale et solidaire Mediatico.fr et sur le site internet de la Fondation des solidarités urbaines fondée par les bailleurs sociaux Paris Habitat. la RIVP et Elogie-Siemp, Aximo, l'Habitation Confortable et l'Habitat Social Français. A bientôt !