- Frédéric Vuillod
Le monde associatif expérimente et étudie des solutions au cœur de la ville pour améliorer la vie des habitants. Souvent très riches d'enseignements, ces solutions méritent d'être partagées. Je m'appelle Frédéric Vuillon, je suis journaliste et je pars à leur découverte. Vous écoutez Ville solidaire, ville durable, le podcast de la Fondation des solidarités urbaines, le laboratoire des bailleurs sociaux de la ville de Paris, qui offre ici un espace de partage d'expérience aux projets qu'elle soutient. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais sur les toits des villes poussent de plus en plus de jardins. Des toits végétalisés qui commencent à être à la mode et surtout, qui remplissent des fonctions indispensables à l'heure de la transition écologique. Ils régulent les eaux pluviales, ils rafraîchissent les bâtiments, ils stimulent la biodiversité. Mais beaucoup de questions entourent encore ces toits végétalisés. Et pour y répondre, la Fondation AgroParisTech a mis en place une recherche-action dès 2022, pilotée par des experts. Bonjour Sophie Joimel.
- Sophie Joimel
Bonjour.
- Frédéric Vuillod
Vous êtes maître de conférence à l'école d'ingénieurs Agro-ParisTech et vous êtes aussi responsable scientifique d'un projet de toit potager expérimental. Votre recherche-action étudie la biodiversité des toitures végétalisées et les services écosystémiques qu'elles rendent. Mais de quoi est-ce qu'on parle exactement ? Qu'est-ce qu'on appelle des services écosystémiques ?
- Sophie Joimel
Les services écosystémiques, en fait, ce sont tous les bienfaits qu'on va pouvoir retirer des écosystèmes. On pense assez facilement, par exemple, à tout ce qu'on va retirer des sols agricoles avec la production alimentaire. Donc ça, c'est des services qui viennent assez rapidement à l'esprit. Et puis, quand on est en ville, par exemple, un jour de canicule, si on va se promener dans un parc, on va apprécier la fraîcheur qui va être procurée par ces espaces.
- Frédéric Vuillod
Ça, c'est un service ?
- Sophie Joimel
Ça, ce sont des services qui sont rendus par les écosystèmes. Et la base, en fait, de ces services, la façon dont ils sont rendus, c'est notamment grâce à la biodiversité.
- Frédéric Vuillod
Alors cette recherche à action, elle s'est déroulée en plusieurs temps. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?
- Sophie Joimel
Alors oui, on a fait deux étapes au niveau de ce projet. La première étape, c'était principalement ce qu'on appelle nous des synthèses bibliographiques. En fait, c'est une revue qu'on va réaliser sur l'ensemble de la littérature scientifique qui existe, donc une littérature qui est plutôt en langue anglaise. En tout, on a trouvé une centaine d'articles, 150 articles à peu près, qui traitaient du sujet. biodiversité et toiture végétalisée. Et on a analysé ces articles pour voir si les toitures pouvaient rendre des services de manière globale, mais surtout pour accueillir la biodiversité. Et puis la deuxième partie, c'est qu'on s'est intéressé plutôt aux collectivités, aux bailleurs sociaux, à différentes organisations qui vont gérer l'installation d'espaces d'agriculture urbaine, dont font parfois partie les toitures. Et donc on a regardé un petit peu comment ils prenaient en compte ces espaces d'agriculture urbaine en lien avec la biodiversité.
- Frédéric Vuillod
Alors vous nous dites que vous avez examiné la littérature et vous avez aussi examiné bien sûr les toits végétalisés. Mais combien vous en avez examiné ? À quel endroit se situent-ils ? Est-ce qu'ils ont toutes les mêmes caractéristiques ou pas du tout ?
- Sophie Joimel
Alors ça c'était plutôt dans un troisième temps. En fait c'est après l'issue de la littérature, de l'analyse de la littérature. On s'est aperçu que certains groupes taxonomiques étaient très peu étudiés. La plupart du temps, quand on va étudier la biodiversité, c'est surtout les plantes. C'est d'ailleurs ce que la plupart des collectivités mettaient en avant. Ils avaient en tête que les toitures, l'agriculture urbaine, ça sert aux plantes. Ça accueille des plantes, les gens sont capables de citer des noms d'espèces de plantes.
- Frédéric Vuillod
Donnez-nous en quelques-uns.
- Sophie Joimel
Je pense que par exemple, on pense aux biléas, sur des espèces qui sont... Plus exotiques, mais les pensées, on va penser aux chênes, tout le monde est capable de citer des noms d'espèces comme ça, d'arbres, alors que ce n'est pas la seule biodiversité qui va vivre en ville et non plus la seule biodiversité qu'on va retrouver dans les toitures ou dans les espaces d'agriculture urbaine.
- Frédéric Vuillod
Vous voulez dire qu'il y a des espèces animales, il y a des invertébrés, c'est ça ?
- Sophie Joimel
Exactement, et notamment certaines espèces sont complètement délaissées, certains mammifères par exemple sont très peu étudiés, peut-être aussi parce qu'ils sont... Il y a un certain a priori négatif par exemple.
- Frédéric Vuillod
Les chauves-souris.
- Sophie Joimel
Alors les chauves-souris sont un petit peu étudiées parce qu'il y a des questions liées par exemple au tram noir. Mais voilà, les animaux qui sont moins aimés. En règle générale, les scientifiques c'est pareil, ils les étudient moins.
- Frédéric Vuillod
Vous pensez à quels animaux ?
- Sophie Joimel
À certaines espèces qui vivent dans les sols, sur lesquelles nous on va se pencher un peu plus particulièrement. On s'est aperçu qu'ils étaient très peu étudiés, donc je pense par exemple aux vers de terre, aux araignées. à des organismes un peu plus spécifiques comme les colamboles, qui sont des tout petits organismes qu'on trouve dans les sols, tous ces organismes-là, au final, sont très peu étudiés, alors qu'ils représentent une grande diversité. Environ 25% des espèces terrestres vivent dans les sols, mais au final représentent très peu de la littérature. Donc nous, notre objectif, ça a été d'aller sur ces toits, en région parisienne, donc un petit peu moins de 20 toits qu'on a suivis. pour essayer d'aller voir ces groupes un peu plus particuliers. On s'est focalisé vraiment sur la biodiversité des sols, en étudiant les micro-organismes, ce qu'on appelle les nématodes, des petits vers qui vivent dans les sols, les fameux colamboles, ces petits organismes qui sautent. Quand on gratte la terre, des fois on les voit, ils sautent un petit peu. Vous pouvez en avoir dans vos jardinières. Et puis les vers de terre qui sont un petit peu plus connus. Et on a suivi à la fois des toitures qu'on appelle nous extensives, des toitures semi-intensives et intensives. En fait, c'est surtout lié à la profondeur du substrat. Ces toitures, pour être végétalisées, elles ont besoin d'un substrat ou d'un sol. Et les extensives vont plutôt avoir des substrats qui sont très faibles, de moins de 5 cm. Quand on est sur du semi-intensif, on est plutôt aux alentours de 15 cm. Et puis alors les intensives, on est au-dessus de 30 cm. Et donc en fonction, on ne va pas avoir les mêmes communautés qui vont s'installer.
- Frédéric Vuillod
Et bien sûr, tous les bâtiments ne peuvent pas accueillir 30 cm de substrat pèse sur le toit, notamment quand la terre est humide, et qu'on ne peut pas faire la même chose sur tous les toits végétalisés ?
- Sophie Joimel
Non, ce n'est pas possible. Alors, il y a deux types de végétalisation des toits qui sont possibles. On peut faire ce qu'on pourrait appeler de la pleine terre, c'est-à-dire que sur l'ensemble du toit, on va végétaliser, on va mettre du substrat, ou bien on peut aussi faire de la culture en bac, qui permet d'avoir à des endroits donnés une certaine profondeur. Mais c'est sûr que on a des portances au niveau des toits qui vont permettre plus ou moins de végétaliser. Très clairement, à Paris, les bâtiments haussmanniens ne sont pas adaptés à la végétalisation des toitures. Mais il y a d'autres bâtiments, même anciens, dont, une fois des études de portance réalisées, sont tout à fait à même d'être végétalisés en termes de toiture.
- Frédéric Vuillod
Alors, qu'est-ce que vous avez constaté pendant ce travail de recherche ?
- Sophie Joimel
Ce qu'on se doutait un peu, mais au final, ça a confirmé, c'est qu'on avait des communautés différentes si on avait des subtrats beaucoup plus profonds que si on avait des subtrats moins profonds. mais qu'il y avait des différences entre les groupes taxonomiques, c'est-à-dire que certaines espèces se plaisent mieux sur les toitures insensives et d'autres plutôt sur les toitures extensives. Si je prends par exemple l'exemple des micro-organismes, donc bactéries, champignons, c'est minuscule, on ne les voit pas à l'œil nu. Elles, globalement, se plaisent très bien, y compris sur des substrats qui vont être très peu profonds. Ça ne leur pose pas de soucis, elles ne se déplacent pas sur des kilomètres. Tandis que d'autres espèces, et notamment ceux qui vont plutôt être des espèces de plus grande taille, alors les vers de terre, certains coléoptères, les scarabées, tout ça vont avoir tendance à préférer quand même avoir plus d'espace, plus de superficie, et donc aussi plus de profondeur au niveau du sol. Et donc généralement, on a des communautés beaucoup plus diversifiées quand on est sur des toitures intensives que quand on est sur des toitures extensives.
- Frédéric Vuillod
Pourquoi c'est important de se préoccuper, de l'ensemble de cette biodiversité, y compris quand on parle d'espèces dont, pardon, mais nous ne connaissons même pas le nom.
- Sophie Joimel
En fait, on estime que plus on a de biodiversité, meilleur sera le fonctionnement des écosystèmes, meilleur sera les services rendus. Donc si je diminue ma biodiversité, quelle qu'elle soit, celle qu'on voit à la surface, la biodiversité aérienne ou cette biodiversité souterraine plus méconnue, en fait, on risque d'avoir une baisse de ces services rendus. C'est notamment le cas dans des systèmes où on veut végétaliser. On a besoin que les plantes s'installent, qu'elles produisent de la biomasse pour nous rafraîchir ou pour l'alimentation. Et pour favoriser cette fertilité des sols, on a besoin de ces organismes qui sont présents dans les sols. S'ils sont absents, ça peut poser une problématique sur le maintien de la végétalisation dans le temps.
- Frédéric Vuillod
Donc on a besoin d'une réflexion large. Est-ce que la biodiversité des toits verts est prise en compte dans les politiques de la ville ?
- Sophie Joimel
Alors la plupart du temps, les toits verts sont au même titre, je dirais nous on l'a regardé aussi dans cet angle d'agriculture urbaine, ils sont pris en compte, c'est-à-dire que souvent l'agriculture urbaine est souvent vue comme un moyen de favoriser la biodiversité en ville. Donc ça permet d'avoir des plantes, mais ce n'est pas le cas dans toutes les collectivités. Certaines collectivités vont... Vraiment mettre fortement l'accent sur ces projets en lien avec la biodiversité, tandis que d'autres auront très peu de projets pour favoriser la biodiversité.
- Frédéric Vuillod
Concrètement sur le terrain, en quoi a consisté le travail de recherche ?
- Sophie Joimel
Sur le travail de recherche, quand on va sur les toits, on y va avec une tarière. C'est une sorte d'objet en tourbillon qui nous permet de prélever les sols. Et puis on vient avec des petits carottiers pour prélever d'autres échantillons. On a des glacières pour conserver au frais. Donc on va faire plein de trous, partout, un petit peu partout. On extrait des blocs pour trier, pour trouver les verres. Et puis on va emmener tous ces échantillons au laboratoire, qui vont nous permettre ensuite de pouvoir extraire ces organismes et de les analyser à la loupe binoculaire, au microscope, puis de faire des statistiques dessus.
- Frédéric Vuillod
Alors quels sont les résultats de cette recherche-action ? Qu'est-ce qu'elle a apporté et à qui sont destinés ces enseignements ?
- Sophie Joimel
Alors il y a deux directions en termes d'enseignement. Il y a bien sûr pour nos collègues chercheurs d'apporter de nouvelles données, de nouvelles informations sur ces aspects biodiversité et aider à mieux comprendre ces écosystèmes. Et puis il y a aussi une part qui est plutôt à destination de porteurs de projets qui voudraient installer des nouveaux bâtiments, des toitures. de façon à donner des conseils ou en tout cas des données qui pourront par la suite être mises dans des outils d'aide à la décision pour favoriser en fait certaines configurations, certaines constructions de toitures végétalisées qui seront plus propices à la biodiversité que d'autres. L'idée c'est vraiment d'optimiser la construction de ces toitures vis-à-vis de la biodiversité et d'autres services qui peuvent être rendus.
- Frédéric Vuillod
Aujourd'hui, est-ce que vous envisagez des suites à cette recherche-action et est-ce que vous avez un message à faire passer aux acteurs urbains ?
- Sophie Joimel
Alors oui, on a plein de perspectives. Comme toujours, on a plein d'idées. Ce qu'on aimerait par la suite, c'est notamment se pencher vraiment sur la configuration des toitures au niveau hauteur, au niveau surface, au niveau aménagement. Essayer de vraiment être à même de pouvoir dire c'est comme ça et ou plutôt comme ça qu'il faut construire plutôt que de faire ce type de toiture-là qui va être moins favorable à la biodiversité. Donc on aimerait pouvoir étudier un peu plus finement ces questionnements-là. Et le message que je veux faire passer, c'est que quand on s'intéresse en tout cas à toutes les problématiques qu'on peut avoir en ville, par exemple liées aux inondations, aux problèmes des îlots de chaleur, on s'intéresse à la biodiversité et qu'il ne faut pas seulement voir justement que cette biodiversité visible, connue, mais il faut aussi s'intéresser à cette biodiversité un peu méconnue qui est sous nos pieds.
- Frédéric Vuillod
Merci beaucoup Sophie Joamel.
- Sophie Joimel
Merci à vous.
- Frédéric Vuillod
C'était Ville solidaire, Ville durable. Vous pouvez retrouver cet épisode et tous les autres sur... toutes les grandes plateformes de podcast sur le média de l'économie sociale et solidaire Mediatico.fr et sur le site internet de la Fondation des Solidarités Urbaines, fondée par les bailleurs sociaux Paris Habitat, la RIVP et Logisiemp, Aximo, l'Habitation Confortable et l'Habitat Social Français. A bientôt !