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Ville Solidaire, Ville Durable - Le podcast de la Fondation des solidarités urbaines

Episode 4 – Odile Rosset et Louise Lacoste nous parlent de l'insertion par le travail des personnes sans-domicile

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22min |06/06/2024
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22min |06/06/2024
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Description

Odile Rosset, directrice de l’association Carton Plein et Louise Lacoste, doctorant.e en sociologie à l‘IDHES (Institutions et Dynamiques Historiques de l’Économie et de la Société) de Paris Nanterre, racontent leur recherche-action menée sur le dispositif Premières heures.

Au micro du journaliste Frédéric Vuillod, on découvre ce dispositif mis en œuvre chez Carton Plein comme dans une vingtaine d’autres associations parisiennes pour proposer un parcours d’insertion aux personnes en situation de grande précarité, et plus particulièrement les personnes à la rue.

Odile Rosset et Louise Lacoste expliquent comment la recherche-action portée par Carton Plein a permis de mieux comprendre les enjeux et les effets du dispositif, en particulier sur le lien social et la confiance en soi, et en retirer ainsi des enseignements et des bonnes pratiques dans le cadre d’un parcours de réinsertion.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Frédéric Vuillod

    Le monde associatif expérimente et étudie des solutions au cœur de la ville pour améliorer la vie des habitants. Souvent très riches d'enseignements, ces solutions méritent d'être partagées. Je m'appelle Frédéric Vuillon, je suis journaliste et je pars à leur découverte. Vous écoutez Ville solidaire, ville durable, le podcast de la Fondation des solidarités urbaines, le laboratoire des bailleurs sociaux de la ville de Paris, qui offre ici un espace de partage d'expérience aux projets qu'elle soutient. Aujourd'hui, nous sommes avec Odile Rosset, directrice de l'association Carton Plein, qui accompagne vers l'emploi des personnes en situation d'exclusion, avec notamment de la collecte de cartons et de la logistique à vélo. Bonjour à vous, Odile Rosset. Bonjour. Et puis, nous sommes avec Louise Lacoste, qui est doctorante en sociologie à Paris-Nanterre. Et pour sa thèse, elle a été en immersion justement chez Carton Plein. Bonjour, Louise Lacoste.

  • Louise Lacoste

    Bonjour.

  • Frédéric Vuillod

    Alors, on va se tourner d'abord vers vous, Odile Rosset, parce que chez Carton Plein, vous avez choisi de mener un travail de recherche-action, donc de travailler avec une chercheuse. Sur cette question de l'insertion par le travail des personnes sans domicile, en quoi consistait sur le terrain cette recherche-action et quel était le lien avec un dispositif qu'on appelle premières heures et que vous allez nous expliquer ?

  • Odile Rosset

    Oui, alors je vais peut-être commencer par ça parce que c'est effectivement un dispositif qui est peu connu du grand public. Donc c'est un dispositif qui s'est construit à côté de tout ce qui se passait en termes d'insertion, de chantier d'insertion, entreprise d'insertion, avec un constat assez facile, assez simple qui était... que ces dispositifs produisaient des résultats intéressants de retour vers l'emploi, mais laissait de côté certaines personnes, et notamment des personnes en situation de grande précarité, particulièrement les personnes à la rue, pour qui le temps plein ou le quasi-temps plein était inaccessible. Quand vous vivez dehors, ça paraît assez simple que venir bosser 35 heures par semaine, avoir la disponibilité d'esprit, la force physique, etc., ça paraît un peu compliqué. Voire même à mi-temps. Il fallait créer à cette époque-là des dispositifs atypiques, trouver des mécanismes administratifs et juridiques qui permettaient de faire ça dans le cadre légal. Mais c'est quand même quelque chose qui était déjà expérimental sur des contrats de très faible volume horaire. Quand on parle de faible volume horaire, ça peut vouloir dire venir travailler trois heures par semaine et puis après six heures, on est sur des tout petits volumes de réamorces.

  • Frédéric Vuillod

    Ce qui est complètement dérogatoire au droit du travail. C'est pour ça qu'il fallait un dispositif très particulier.

  • Odile Rosset

    D'autant plus à l'époque où les chantiers d'insertion n'avaient pas le droit de signer des contrats de travail en dessous de 20 heures par semaine. Et donc d'emblée, on a été dans cette expérimentation, dans ce test. Il y a eu ce modèle-là, mais il y en a eu d'autres. Et donc il y a eu ces défrichages, ces tests menés par des associations qui étaient dans la sphère de l'insertion ou non. Et du coup, d'emblée, il y a eu cette envie de se retrouver entre associations, d'avoir des espaces de... d'échanges sur les pratiques, sur ce qu'on faisait, sur ce qui était bien moyen, etc. et d'analyser. Et du coup, cette notion d'évaluation est arrivée relativement vite. Sur Paris, par exemple, Carton Plein avait embauché une collègue, Laure, qui avait notamment dans ses missions d'animer ce collectif des associations qui portaient le DPH, le dispositif Premières Heures parisien. Et donc tout ça, les envies de Louise de se projeter sur une thèse, les besoins des acteurs sur mieux documenter, mieux savoir ce qu'on faisait. peut-être réorienter aussi le dispositif pour peut-être un jour le pérenniser dans une forme ou une autre, ont amené à ce projet de recherche-action.

  • Frédéric Vuillod

    Concrètement, ça veut dire quoi pour le public que vous accompagnez chez Carton plein ? Vous avez donc des personnes en grande exclusion qui venaient travailler deux heures, trois heures par jour pour faire quoi ? De la collecte de carton, de l'emballage, du transport, du déménagement ?

  • Odile Rosset

    Alors, il faut vraiment que les activités soient accessibles. Il ne faut pas que ce soit une barrière. Le principe, c'est des activités simples, facilement appropriables, pour qu'il n'y ait pas vraiment de recrutement sur des compétences. Les personnes d'un carton plein viennent d'une part parce qu'elles sont à peu près dans les cases des dispositifs, mais surtout parce qu'elles ont envie de venir. Et du coup, il n'y a pas de sélection à l'entrée sur les compétences, les aptitudes, les expériences passées, etc. Donc c'est vrai que la filière carton est assez intéressante pour ça, parce qu'elle est très simple. Elle est mine de rien assez variée, parce qu'on développe tout un tas de produits autour du carton. N'importe quelle personne, quelle que soit sa forme physique, quelle que soit sa forme psychique, peut avoir des tâches très simples et du coup peut travailler sans se mettre en échec. Et effectivement, on propose un peu de cyclo-logistique autour, si la personne en a envie, si la personne se sent capable. Et c'est vraiment ça qui est intéressant dans le dispositif Premières Heures, c'est qu'il n'y a aucune pression sur la production. Si vous pouvez travailler ce jour-là, c'est génial. Si vous ne pouvez pas travailler, ou si vous ne travaillez pas très vite, ou si vous travaillez de manière peu efficace, ce n'est pas très grave.

  • Frédéric Vuillod

    Alors Louise Lacoste, est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur le volet recherche de ce projet ?

  • Louise Lacoste

    Moi j'ai commencé à faire de la recherche avec Carton Plein en 2019 parce que j'ai fait mon stage de fin d'études dans l'association et très vite il a été possible de formuler des propos assez critiques sur certaines pratiques ou certains fonctionnements associatifs qui ont été en fait très bien reçus, ce qui a donné lieu à la co-élaboration de mon sujet de thèse. Parce que moi je travaillais pour mon stage que sur Carton Plein et on a eu l'envie, avec Laure dont parlait Odile tout à l'heure, qui a été... Avec Carton plein dès 2017 sur la question du collectif et de l'évaluation, on a eu envie de mener une recherche un peu plus vaste sur le dispositif Premières Heures et pas que à Carton plein mais un peu sur comment ça fonctionnait, comment ça se déployait dans d'autres structures aussi, à Paris, en Ile-de-France et plus tard ailleurs en France. L'envie qu'on a eue en fait c'est de pouvoir porter une recherche qui puisse traiter de tous les niveaux du dispositif. En fait la grande richesse... du projet c'est que ce dispositif n'avait jamais été évalué parce que moi quand je suis arrivé avec mon projet de thèse on était en fin 2019 début 2020 et il a été expérimenté fin 2009 début 2010 ce dispositif d'abord par Emmaüs Défi et donc un dispositif qui avait dix ans d'existence et qui n'avait jamais été évalué c'était une manne de projets de recherche et de perspectives sociologiques très stimulantes et donc on s'est dit on va travailler sur en fait on voulait partir des salariés en insertion, pour comprendre en quoi ce dispositif les aidait à avancer dans leur quotidien, avancer dans leur vie professionnelle, avancer dans leur vie relationnelle également, et aussi avoir une perspective vraiment de recherche et pas que d'évaluation pour nommer les dysfonctionnements, parce qu'une perspective sociologique se permet d'avoir un regard le plus objectifant, le plus neutre possible, et donc aussi de prendre en compte l'intégralité des enjeux, y compris les choses qui fonctionnent moins bien. Et donc, La plupart du temps, les dysfonctionnements dans les dispositifs d'insertion ou d'action publique, ils ne viennent pas de l'action des structures, mais de la manière dont sont conçus, financés, portés les dispositifs par l'action publique. Donc il y avait cet enjeu très fort d'aller regarder plusieurs structures, plusieurs manières de faire, en reliant tout ça, dans une logique comparative, à la question du financement, la question du portage institutionnel de ces dispositifs, et avec un peu en question centrale, en fil conducteur de la recherche. Cette question de la filiation, de l'inclusion, du lien, avec lequel on a beaucoup collaboré avec la Fondation des Solidarités Urbaines, et cette question du lien et de l'inclusion, elle est très importante dans ce dispositif.

  • Frédéric Vuillod

    Alors très concrètement, comment vous vous y êtes prise pour mener cette recherche-action ? Vous avez commencé par quoi et comment vous avez mené votre barque ?

  • Louise Lacoste

    À mon arrivée, j'étais déjà identifiée par plusieurs structures du DPH parisien parce que j'avais déjà fait un stage à carton plein. Et on avait pendant, il y a eu tout un laps de temps de quasiment un an entre la fin de mon stage et le début de ma thèse, où on est allé déjà ouvrir mon terrain, c'est comme ça, en langage sociologique, ouvrir un terrain, ça veut dire trouver les acteurs et actrices qui acceptent de collaborer à l'enquête.

  • Frédéric Vuillod

    Ils étaient combien ?

  • Louise Lacoste

    En fait à Paris, je suis allée voir 16 des associations qui portent le dispositif Premières Ordres, donc les structures accueillantes, 5 associations intermédiaires qui sont dans le montage un peu particulier du dispositif, les employeurs. des salariés en insertion. Et plus tard dans la thèse, dès 2021, on a également intégré le dispositif Alto-Cecané à la recherche et à la recherche Action.

  • Frédéric Vuillod

    Dans le département des Hauts-de-Seine ?

  • Louise Lacoste

    Exactement. Et là, j'ai enquêté auprès majoritairement de trois associations. Et encore un peu plus tard, en 2022, je suis allée enquêter dans deux structures à Lyon et à Brive-la-Gaillarde pour avoir une perspective un peu à l'échelle du territoire. Et donc très concrètement, et surtout à Paris, ce qui s'est passé en fait c'est qu'on a animé des réunions régulières d'analyse de pratique et de mise en commun des interrogations et des enjeux portés par les associations autour du dispositif. On a trouvé des solutions intermédiaires, de mise à disposition de résultats intermédiaires par un rapport que j'ai produit et qui se nourrissait de toutes ces réunions d'analyse de pratique et d'aller-retour avec le terrain, mais aussi de deux outils qui ont été super... Enrichissant pour la recherche-action, c'est deux journées de co-formation qu'on a co-animées avec ATD Quart Monde en juin 2021 et plusieurs ateliers de théâtre forum qui ont été animés par moi et une amie comédienne, Chloé Dufresne, de juillet 2021 à avril 2023. Et donc on a rencontré plusieurs salariés en insertion et plusieurs intervenants sociaux et intervenantes sociales autour de la pratique du théâtre forum pour avoir un peu cette envie de redistribuer, repartager certains apprentissages issus de la recherche.

  • Frédéric Vuillod

    Alors on ne va pas attendre la publication de votre thèse pour en savoir plus, on va vous demander directement qu'est-ce que votre travail a révélé sur l'impact du dispositif Premières Heures et sur son rôle dans la lutte contre l'isolement des personnes en situation de grande exclusion.

  • Louise Lacoste

    Ce que le travail de recherche action a pu montrer, démontrer, c'est des choses assez de l'ordre relationnel. Moi, je n'ai pas fait une enquête statistique très poussée. En fait, j'ai fait une enquête statistique à l'échelle de carton plein. Il y a notamment un résultat assez fort, c'est que si on regarde les personnes qui dormaient dehors, qui étaient sans abri strictement, sans aucune solution d'hébergement, même d'urgence à leur entrée dans le dispositif premières heures à carton plein, 50% des personnes ne sont plus à la rue à leur sortie du programme. Ce qui ne dit rien évidemment de la qualité et de la pérennité des situations d'hébergement qu'elles ont pu retrouver, mais ce qui montre l'effet du dispositif sur la situation d'errance. Donc ces recherches qualitatives, ce qu'elles ont montré, c'est à quel point les salariés en insertion sont attachés au dispositif, au lien social qui y est créé, et à quel point ça les aide dans leur sentiment d'affiliation sociale, dans leur confiance en soi, en les autres, et peut-être même plus largement. leur intégration à la société et ça nourrit beaucoup leur capacité à entrer en relation et à travailler en collectif. Et après il y a des effets plus intermédiaires de capacité à gérer un budget, capacité à être reconnue comme personne utile, ce qui est un peu malheureux mais le travail aujourd'hui est encore un des vecteurs du sentiment d'utilité. Et ça c'est très fort dans ce dispositif.

  • Frédéric Vuillod

    Odile Rosset, qu'est-ce que nous dit Louise Lacoste ? réveille chez vous ? À quoi ça fait écho ? Est-ce que vous avez le même ressenti, le même vécu de cette expérimentation ?

  • Odile Rosset

    Alors oui, forcément. Et c'est bien l'intérêt d'une recherche à action, c'est qu'on était ensemble et que le théâtre forum dont tu as parlé, Louise, ça a été un moment un peu charnière dans la recherche à action, même si, vous l'avez compris, il y a une histoire antérieure à la recherche à action. Donc Louise savait très bien ce qu'on faisait, Carton plein savait très bien ce que faisait Louise, mais n'empêche qu'à partir du moment où c'est devenu sociologique, il y a forcément quelque chose qui se... qui s'éloignent un petit peu entre l'objet terrain et l'objet théorisation ou analyse. Et le Théâtre Forum a permis vraiment de rallier, de réconcilier, le terme est un petit peu fort, mais vraiment de rapprocher les deux aspects et de mettre des mots aussi sur des réalités terrain. Donc tout ce que Louise dit aujourd'hui, on le comprend bien. Ce n'est pas forcément des mots qu'on utilisait, mais par exemple la réaffiliation, c'est quelque chose dont on parle beaucoup maintenant. On trouve que c'est vraiment le concept qui parle très bien de ce qu'on vit au quotidien. Il y a vraiment cette notion, ce qu'on essaye de vivre à carton plein, et qu'on travaille beaucoup avec des notions de convivialité, par exemple, on est dans un cadre de travail, c'est évident. C'est par là que la relation se crée. Donc c'est très intéressant parce qu'elle est relativement peu descendante. Ce n'est pas un travailleur social ou une travailleuse sociale qui reçoit quelqu'un pour faire parler de ses problèmes, et je ne mets aucun jugement de valeur là-dessus. On est au travail, donc on a ensemble des... des problématiques liées au travail, on doit ensemble préparer une commande pour un client, tout ça annule un peu les différences. Alors évidemment, pas complètement, on n'est pas complètement avec le même contrat, on n'a pas complètement le même salaire, on n'a pas évidemment les mêmes vies privées, mais cette notion de travail est assez intéressante pour créer la relation. Et du coup, pour se réaffilier, effectivement, il faut se sentir faire partie prenante de quelque chose. Et à Carton Plein, on joue beaucoup là-dessus, et jouer au sens levier. Parce qu'effectivement, se sentir à nouveau faire partie d'un collectif, être en capacité à nouveau de parler à quelqu'un, de se sentir faire partie d'un groupe, de se projeter, etc. On voit bien les impacts que ça a sur la confiance en soi et sur une capacité de se projeter à nouveau dans, et là ça appartient aux personnes, dans un travail, dans une prise en considération de ces problématiques de santé, etc.

  • Frédéric Vuillod

    Toutes les deux, vous avez des souvenirs particuliers, des images, des mots-clés, des petites phrases qui vous auraient marqué, que vous voudriez nous livrer ici ?

  • Odile Rosset

    Là, on se regarde toutes les deux. Ce qui restait très fort pour moi, c'est ma première arrivée à Carton Plein. Oui, effectivement, on ne sait pas très bien comment... Moi, je n'ai pas su exactement comment me comporter. On se fait tout un monde, toute une théorie, en se disant, ça va être des personnes à la rue, qu'est-ce que je vais leur dire, comment je vais me comporter, etc. Et en fait, quand on arrive là, c'est ce truc de... C'est un cadre de travail, donc en fait, c'est classique. C'est des collègues. Donc c'est pas une personne à la rue, ou c'est pas je n'ai pas la même vie, je ne sais pas ce qu'elle vit, elle ne sait pas ce qu'elle vit, ce que je vis, et on ne sait pas très bien quoi se dire, on est collègues, et donc ça nous rapproche. Et je me souviens de ma première arrivée où il y avait Joseph, qui était en train de dormir en plein milieu de l'atelier, c'était le moment de la pause, et voilà je me suis dit bon qu'est-ce qu'on fait ? Et en fait très vite après, on a bossé ensemble et ça a fonctionné. Et donc je trouve que c'est, pour moi c'est vraiment le témoin de la force de ce dispositif-là, vraiment la remobilisation par le travail. Ce n'est pas en discours, c'est en acte. Et l'intérêt d'une collaboration comme celle qu'on a eue avec Louise, c'est quand même de documenter un peu cette mise en pratique.

  • Frédéric Vuillod

    Louise, un souvenir particulier ?

  • Louise Lacoste

    Je pense que quelque chose, moi, qui m'a vraiment marquée... Plus comme événement que comme souvenir précis, c'est le moment au bout d'un an de recherche-action où il y a quelque chose qui s'est aligné entre... Je ne saurais pas le dire autrement. Moi, ce qui m'a marquée, c'est la facilité à partir du moment où on a appris à parler un langage commun, à avancer ensemble en venant de perspectives professionnelles tellement éloignées.

  • Frédéric Vuillod

    Louise, est-ce que les résultats de cette recherche-action ont soulevé d'autres questions ou d'autres réflexions ?

  • Louise Lacoste

    Il y a deux choses qui sont encore à penser très fortement pour moi. La première chose qui reste à penser dans ces dispositifs, c'est la prise en compte de la dimension genrée de l'accompagnement et la prise en compte de la place particulière des femmes face à l'emploi et particulièrement des femmes sans domicile. Parce que ce que cette recherche a montré, c'est qu'il y a une forme d'impensée du genre dans la création de la politique publique. On ne pense pas à une place particulière aux femmes dans ces dispositifs d'insertion. Sauf qu'elles sont spontanément un peu moins facilement ciblées par les associations d'accompagnement social des personnes à la rue, et donc moins recrutées, et il faut un accompagnement très volontariste, ce qui demande un temps, ça demande une énergie folle, ça c'est quelque chose qui reste à creuser. La deuxième chose, ce serait la difficulté à penser le travail en dehors de l'emploi, et à penser notamment le quotidien de travail des personnes à la rue en dehors d'un cadre salarié. Parce que faire la manche, faire ses papiers, être en relation, ne pas sombrer dans la folie quand on est sans domicile, moi j'appelle ça du travail en tant que sociologue, du travail reproductif, d'entretien de sa propre vie. Et c'est un travail à plein temps, de survivre à la rue. Et le dispositif Premières Heures vise à faire travailler des personnes dans un retour à l'emploi. Et s'il n'y a pas de retour à l'hébergement pérenne pendant le dispositif, le retour à l'emploi il est impossible parce qu'on ne peut pas retourner à l'emploi quand on a déjà un plein temps. Donc il y a l'articulation travail-logement qui est à repenser, et notamment la prise en compte par les pouvoirs publics et les structures d'accompagnement social de ce que c'est le travail en dehors de l'emploi dans la vie des personnes sans domicile.

  • Frédéric Vuillod

    Odile, quelle suite prévoyez-vous à cette recherche-action ?

  • Odile Rosset

    Alors on y est déjà, la couture s'est faite pendant la présence de Louise, et c'est ce que tu as dit un peu rapidement tout à l'heure, et ce qui est intéressant je pense pour une recherche-action réussie, c'est qu'il y ait des jalons. un peu au fur et à mesure du parcours. Et nous, il y a eu des répercussions depuis ton passage avec nous. Tu as évoqué par exemple le fait d'analyser sous le prisme du genre ce dispositif premières heures, ces impensées, etc. Ça, clairement, c'est un des aspects qui a eu le plus de conséquences pratiques chez nous, avec le fait d'ouvrir un peu nos yeux sur ce que toi, tu as appelé la violence sexiste en milieu ordinaire, qui n'est pas de l'ordre du pénal, mais toutes ces petites choses au quotidien. Et en fait, bien évidemment, la main sur le cœur, on se dit mais non, mais chez nous, il n'y a pas de ça. Mais en fait, il y a forcément un peu, parce qu'on reproduit toutes et tous un peu les schémas sans le vouloir, etc. Donc, le fait qu'on ait une certaine forme de lucidité, qu'on ait pris le sujet en main, qu'on se soit rendu compte que si on n'avait pas une stratégie d'action assez volontariste sur le sujet des femmes, en fait, il n'y avait pas de femmes dans nos ateliers. Si on ne fait rien, il y a 100% d'hommes. Donc, on est parti de 15% de femmes. Aujourd'hui, on est plutôt à 40-45% de femmes, ce qui est un peu au-delà de la représentation des femmes dans les personnes à la rue. Donc ça, c'est pas rien. Donc ça a créé des partenariats nouveaux. On a été chercher des partenariats nouveaux aussi, avec des structures spécialisées qui vont chercher les femmes, notamment les femmes célibataires et sans-enfants, qui sont les plus invisibles dans la rue. On a créé des nouvelles formations, on diffuse des nouvelles formations internes sur le sexisme. On a pérennisé dans le temps des demi-journées d'accueil en non-mixité, pour qu'une fois par semaine, il ne s'agit pas de créer un état dans l'état ou un microcosme particulier, mais qu'il y ait cet espace. le mardi après-midi où ce ne sont que des femmes qui sont accueillies à carton plein. Et en fait, on a remarqué qu'en mixité, c'était souvent les hommes qui s'affectaient sur les missions en premier et restaient les tâches plutôt dans l'atelier. Et là, effectivement, quand il n'y a que des femmes, il faut faire tout et c'est un autre jeu qui se joue. Après, il y a d'autres choses évidemment qui se jouent, mais ça, c'était quelque chose de très concret et qui est aujourd'hui dans le quotidien récurrent et plus du tout questionné de l'association.

  • Frédéric Vuillod

    Alors, on entend le plaisir que vous avez. parler, la fierté aussi d'avoir mené ce travail de recherche-action. Est-ce que vous auriez un conseil pour les porteurs de projets qui souhaiteraient se lancer eux aussi dans une recherche-action et qui voudraient travailler avec un chercheur ?

  • Odile Rosset

    D'y aller. Vraiment, sans aucune réserve. C'est hyper intéressant d'avoir quelqu'un qui soit de ce côté un peu dedans-dehors, évidemment très dedans parce qu'au quotidien avec nous, très sachante, etc. Mais cette capacité et cette fiche de poste faites pour. Parce qu'on pourrait se dire, ça fait partie aussi de nos jobs de lever la tête du guidon et de regarder un peu ce qui se passe. On n'est pas complètement formé pour et puis en fait ça ne marche jamais. Là, c'est quand même quelqu'un qui avait du temps pour ça. Et aussi, je ne sais même pas si je te l'ai déjà exprimé, mais moi je suis assez frappée de la reconnaissance aussi pour la structure que ça a apporté. Ça amène des nouveaux partenariats. Le partenariat avec la Fondation des Solidarités Urbaines s'est fait autour de ce projet de recherche. Il y en a eu d'autres, la Fondation du Crédit Coopératif. Tu as fait venir des personnes de la recherche, des personnes, enfin, la personne comédienne que tu citais tout à l'heure, etc. Enfin, c'est des gens qu'on n'aurait pas forcément vus. Donc, ça fait venir du monde dans le projet. Ça permet d'ouvrir les portes et de croiser des mondes et des regards. Et c'est vraiment hyper enthousiasmant avec juste le petit conseil d'être OK sur le fait que ça fasse bouger des lignes. Enfin, sinon, ça n'a aucun intérêt.

  • Frédéric Vuillod

    Louise Lacoste, si vous deviez retenir une seule chose de ce projet, ce serait quoi ?

  • Louise Lacoste

    Le Théâtre Forum. qui est donc une pédagogie du théâtre de l'opprimé qui consiste à mettre au travail un sujet lié à une oppression. et a animé une discussion autour de la mise en scène de cette oppression. Ça, c'était l'élément qui a fait déclic, parce que je parlais tout à l'heure de ce moment où tout s'est aligné et où on a parlé le même langage. Et le Théâtre Forum a permis qu'on parle le même langage avec carton plein et la sociologie. Parce que, moi je vous dis qu'à mon sens, il y a du sexisme ordinaire qui se déroule dans la structure. Je prends cet exemple-là parce qu'il est assez frappant. Par exemple... S'il y a un repas collectif, il y a un salarié en insertion qui vient draguer une service civique, ou lui parler de manière avec des intentions pas forcément très claires sur son intention ou pas d'être dans un rapport de séduction, ça peut la mettre mal à l'aise, elle peut ne pas avoir les outils, c'est du sexisme. Et en fait, mettre en scène une situation de ce type en disant on va la rejouer et on va la rejouer au prisme de la personne qui a vécu ça comme une situation de violence ou de difficulté personnelle, et après... Une fois que ça a été bien remontré à tout le monde, la sociologie peut dire, voilà, moi en fait ce que je qualifie de sexisme, ce n'est pas des choses énormes, ce n'est pas des atrocités misogynes, ça peut juste être ça. Et on peut le qualifier en prenant acte de l'absence d'intention de nuire, mais ça n'empêche pas que l'absence d'intention de nuire peut provoquer des nuisances dans la pratique professionnelle ou dans les situations de travail.

  • Frédéric Vuillod

    C'est très éclairant. Merci beaucoup Louise Lacoste.

  • Louise Lacoste

    Merci beaucoup de parler de ce sujet qui nous tient très à cœur. Enfin, en tout cas, moi, me tient vraiment très à cœur.

  • Frédéric Vuillod

    Et merci beaucoup, Odile Rosset, directrice de l'association Carton Plein.

  • Odile Rosset

    Merci beaucoup à vous.

  • Frédéric Vuillod

    C'était Ville solidaire, Ville durable. Vous pouvez retrouver cet épisode et tous les autres sur toutes les grandes plateformes de podcast, sur le média de l'économie sociale et solidaire Mediatico.fr et sur le site internet de la Fondation des solidarités urbaines, fondée par les bailleurs sociaux Paris Habitat, la RIVP et Elogie-Siemp, Aximo, l'Habitation confortable et l'Habitat social français. A bientôt !

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Odile Rosset, directrice de l’association Carton Plein et Louise Lacoste, doctorant.e en sociologie à l‘IDHES (Institutions et Dynamiques Historiques de l’Économie et de la Société) de Paris Nanterre, racontent leur recherche-action menée sur le dispositif Premières heures.

Au micro du journaliste Frédéric Vuillod, on découvre ce dispositif mis en œuvre chez Carton Plein comme dans une vingtaine d’autres associations parisiennes pour proposer un parcours d’insertion aux personnes en situation de grande précarité, et plus particulièrement les personnes à la rue.

Odile Rosset et Louise Lacoste expliquent comment la recherche-action portée par Carton Plein a permis de mieux comprendre les enjeux et les effets du dispositif, en particulier sur le lien social et la confiance en soi, et en retirer ainsi des enseignements et des bonnes pratiques dans le cadre d’un parcours de réinsertion.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

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  • Frédéric Vuillod

    Le monde associatif expérimente et étudie des solutions au cœur de la ville pour améliorer la vie des habitants. Souvent très riches d'enseignements, ces solutions méritent d'être partagées. Je m'appelle Frédéric Vuillon, je suis journaliste et je pars à leur découverte. Vous écoutez Ville solidaire, ville durable, le podcast de la Fondation des solidarités urbaines, le laboratoire des bailleurs sociaux de la ville de Paris, qui offre ici un espace de partage d'expérience aux projets qu'elle soutient. Aujourd'hui, nous sommes avec Odile Rosset, directrice de l'association Carton Plein, qui accompagne vers l'emploi des personnes en situation d'exclusion, avec notamment de la collecte de cartons et de la logistique à vélo. Bonjour à vous, Odile Rosset. Bonjour. Et puis, nous sommes avec Louise Lacoste, qui est doctorante en sociologie à Paris-Nanterre. Et pour sa thèse, elle a été en immersion justement chez Carton Plein. Bonjour, Louise Lacoste.

  • Louise Lacoste

    Bonjour.

  • Frédéric Vuillod

    Alors, on va se tourner d'abord vers vous, Odile Rosset, parce que chez Carton Plein, vous avez choisi de mener un travail de recherche-action, donc de travailler avec une chercheuse. Sur cette question de l'insertion par le travail des personnes sans domicile, en quoi consistait sur le terrain cette recherche-action et quel était le lien avec un dispositif qu'on appelle premières heures et que vous allez nous expliquer ?

  • Odile Rosset

    Oui, alors je vais peut-être commencer par ça parce que c'est effectivement un dispositif qui est peu connu du grand public. Donc c'est un dispositif qui s'est construit à côté de tout ce qui se passait en termes d'insertion, de chantier d'insertion, entreprise d'insertion, avec un constat assez facile, assez simple qui était... que ces dispositifs produisaient des résultats intéressants de retour vers l'emploi, mais laissait de côté certaines personnes, et notamment des personnes en situation de grande précarité, particulièrement les personnes à la rue, pour qui le temps plein ou le quasi-temps plein était inaccessible. Quand vous vivez dehors, ça paraît assez simple que venir bosser 35 heures par semaine, avoir la disponibilité d'esprit, la force physique, etc., ça paraît un peu compliqué. Voire même à mi-temps. Il fallait créer à cette époque-là des dispositifs atypiques, trouver des mécanismes administratifs et juridiques qui permettaient de faire ça dans le cadre légal. Mais c'est quand même quelque chose qui était déjà expérimental sur des contrats de très faible volume horaire. Quand on parle de faible volume horaire, ça peut vouloir dire venir travailler trois heures par semaine et puis après six heures, on est sur des tout petits volumes de réamorces.

  • Frédéric Vuillod

    Ce qui est complètement dérogatoire au droit du travail. C'est pour ça qu'il fallait un dispositif très particulier.

  • Odile Rosset

    D'autant plus à l'époque où les chantiers d'insertion n'avaient pas le droit de signer des contrats de travail en dessous de 20 heures par semaine. Et donc d'emblée, on a été dans cette expérimentation, dans ce test. Il y a eu ce modèle-là, mais il y en a eu d'autres. Et donc il y a eu ces défrichages, ces tests menés par des associations qui étaient dans la sphère de l'insertion ou non. Et du coup, d'emblée, il y a eu cette envie de se retrouver entre associations, d'avoir des espaces de... d'échanges sur les pratiques, sur ce qu'on faisait, sur ce qui était bien moyen, etc. et d'analyser. Et du coup, cette notion d'évaluation est arrivée relativement vite. Sur Paris, par exemple, Carton Plein avait embauché une collègue, Laure, qui avait notamment dans ses missions d'animer ce collectif des associations qui portaient le DPH, le dispositif Premières Heures parisien. Et donc tout ça, les envies de Louise de se projeter sur une thèse, les besoins des acteurs sur mieux documenter, mieux savoir ce qu'on faisait. peut-être réorienter aussi le dispositif pour peut-être un jour le pérenniser dans une forme ou une autre, ont amené à ce projet de recherche-action.

  • Frédéric Vuillod

    Concrètement, ça veut dire quoi pour le public que vous accompagnez chez Carton plein ? Vous avez donc des personnes en grande exclusion qui venaient travailler deux heures, trois heures par jour pour faire quoi ? De la collecte de carton, de l'emballage, du transport, du déménagement ?

  • Odile Rosset

    Alors, il faut vraiment que les activités soient accessibles. Il ne faut pas que ce soit une barrière. Le principe, c'est des activités simples, facilement appropriables, pour qu'il n'y ait pas vraiment de recrutement sur des compétences. Les personnes d'un carton plein viennent d'une part parce qu'elles sont à peu près dans les cases des dispositifs, mais surtout parce qu'elles ont envie de venir. Et du coup, il n'y a pas de sélection à l'entrée sur les compétences, les aptitudes, les expériences passées, etc. Donc c'est vrai que la filière carton est assez intéressante pour ça, parce qu'elle est très simple. Elle est mine de rien assez variée, parce qu'on développe tout un tas de produits autour du carton. N'importe quelle personne, quelle que soit sa forme physique, quelle que soit sa forme psychique, peut avoir des tâches très simples et du coup peut travailler sans se mettre en échec. Et effectivement, on propose un peu de cyclo-logistique autour, si la personne en a envie, si la personne se sent capable. Et c'est vraiment ça qui est intéressant dans le dispositif Premières Heures, c'est qu'il n'y a aucune pression sur la production. Si vous pouvez travailler ce jour-là, c'est génial. Si vous ne pouvez pas travailler, ou si vous ne travaillez pas très vite, ou si vous travaillez de manière peu efficace, ce n'est pas très grave.

  • Frédéric Vuillod

    Alors Louise Lacoste, est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur le volet recherche de ce projet ?

  • Louise Lacoste

    Moi j'ai commencé à faire de la recherche avec Carton Plein en 2019 parce que j'ai fait mon stage de fin d'études dans l'association et très vite il a été possible de formuler des propos assez critiques sur certaines pratiques ou certains fonctionnements associatifs qui ont été en fait très bien reçus, ce qui a donné lieu à la co-élaboration de mon sujet de thèse. Parce que moi je travaillais pour mon stage que sur Carton Plein et on a eu l'envie, avec Laure dont parlait Odile tout à l'heure, qui a été... Avec Carton plein dès 2017 sur la question du collectif et de l'évaluation, on a eu envie de mener une recherche un peu plus vaste sur le dispositif Premières Heures et pas que à Carton plein mais un peu sur comment ça fonctionnait, comment ça se déployait dans d'autres structures aussi, à Paris, en Ile-de-France et plus tard ailleurs en France. L'envie qu'on a eue en fait c'est de pouvoir porter une recherche qui puisse traiter de tous les niveaux du dispositif. En fait la grande richesse... du projet c'est que ce dispositif n'avait jamais été évalué parce que moi quand je suis arrivé avec mon projet de thèse on était en fin 2019 début 2020 et il a été expérimenté fin 2009 début 2010 ce dispositif d'abord par Emmaüs Défi et donc un dispositif qui avait dix ans d'existence et qui n'avait jamais été évalué c'était une manne de projets de recherche et de perspectives sociologiques très stimulantes et donc on s'est dit on va travailler sur en fait on voulait partir des salariés en insertion, pour comprendre en quoi ce dispositif les aidait à avancer dans leur quotidien, avancer dans leur vie professionnelle, avancer dans leur vie relationnelle également, et aussi avoir une perspective vraiment de recherche et pas que d'évaluation pour nommer les dysfonctionnements, parce qu'une perspective sociologique se permet d'avoir un regard le plus objectifant, le plus neutre possible, et donc aussi de prendre en compte l'intégralité des enjeux, y compris les choses qui fonctionnent moins bien. Et donc, La plupart du temps, les dysfonctionnements dans les dispositifs d'insertion ou d'action publique, ils ne viennent pas de l'action des structures, mais de la manière dont sont conçus, financés, portés les dispositifs par l'action publique. Donc il y avait cet enjeu très fort d'aller regarder plusieurs structures, plusieurs manières de faire, en reliant tout ça, dans une logique comparative, à la question du financement, la question du portage institutionnel de ces dispositifs, et avec un peu en question centrale, en fil conducteur de la recherche. Cette question de la filiation, de l'inclusion, du lien, avec lequel on a beaucoup collaboré avec la Fondation des Solidarités Urbaines, et cette question du lien et de l'inclusion, elle est très importante dans ce dispositif.

  • Frédéric Vuillod

    Alors très concrètement, comment vous vous y êtes prise pour mener cette recherche-action ? Vous avez commencé par quoi et comment vous avez mené votre barque ?

  • Louise Lacoste

    À mon arrivée, j'étais déjà identifiée par plusieurs structures du DPH parisien parce que j'avais déjà fait un stage à carton plein. Et on avait pendant, il y a eu tout un laps de temps de quasiment un an entre la fin de mon stage et le début de ma thèse, où on est allé déjà ouvrir mon terrain, c'est comme ça, en langage sociologique, ouvrir un terrain, ça veut dire trouver les acteurs et actrices qui acceptent de collaborer à l'enquête.

  • Frédéric Vuillod

    Ils étaient combien ?

  • Louise Lacoste

    En fait à Paris, je suis allée voir 16 des associations qui portent le dispositif Premières Ordres, donc les structures accueillantes, 5 associations intermédiaires qui sont dans le montage un peu particulier du dispositif, les employeurs. des salariés en insertion. Et plus tard dans la thèse, dès 2021, on a également intégré le dispositif Alto-Cecané à la recherche et à la recherche Action.

  • Frédéric Vuillod

    Dans le département des Hauts-de-Seine ?

  • Louise Lacoste

    Exactement. Et là, j'ai enquêté auprès majoritairement de trois associations. Et encore un peu plus tard, en 2022, je suis allée enquêter dans deux structures à Lyon et à Brive-la-Gaillarde pour avoir une perspective un peu à l'échelle du territoire. Et donc très concrètement, et surtout à Paris, ce qui s'est passé en fait c'est qu'on a animé des réunions régulières d'analyse de pratique et de mise en commun des interrogations et des enjeux portés par les associations autour du dispositif. On a trouvé des solutions intermédiaires, de mise à disposition de résultats intermédiaires par un rapport que j'ai produit et qui se nourrissait de toutes ces réunions d'analyse de pratique et d'aller-retour avec le terrain, mais aussi de deux outils qui ont été super... Enrichissant pour la recherche-action, c'est deux journées de co-formation qu'on a co-animées avec ATD Quart Monde en juin 2021 et plusieurs ateliers de théâtre forum qui ont été animés par moi et une amie comédienne, Chloé Dufresne, de juillet 2021 à avril 2023. Et donc on a rencontré plusieurs salariés en insertion et plusieurs intervenants sociaux et intervenantes sociales autour de la pratique du théâtre forum pour avoir un peu cette envie de redistribuer, repartager certains apprentissages issus de la recherche.

  • Frédéric Vuillod

    Alors on ne va pas attendre la publication de votre thèse pour en savoir plus, on va vous demander directement qu'est-ce que votre travail a révélé sur l'impact du dispositif Premières Heures et sur son rôle dans la lutte contre l'isolement des personnes en situation de grande exclusion.

  • Louise Lacoste

    Ce que le travail de recherche action a pu montrer, démontrer, c'est des choses assez de l'ordre relationnel. Moi, je n'ai pas fait une enquête statistique très poussée. En fait, j'ai fait une enquête statistique à l'échelle de carton plein. Il y a notamment un résultat assez fort, c'est que si on regarde les personnes qui dormaient dehors, qui étaient sans abri strictement, sans aucune solution d'hébergement, même d'urgence à leur entrée dans le dispositif premières heures à carton plein, 50% des personnes ne sont plus à la rue à leur sortie du programme. Ce qui ne dit rien évidemment de la qualité et de la pérennité des situations d'hébergement qu'elles ont pu retrouver, mais ce qui montre l'effet du dispositif sur la situation d'errance. Donc ces recherches qualitatives, ce qu'elles ont montré, c'est à quel point les salariés en insertion sont attachés au dispositif, au lien social qui y est créé, et à quel point ça les aide dans leur sentiment d'affiliation sociale, dans leur confiance en soi, en les autres, et peut-être même plus largement. leur intégration à la société et ça nourrit beaucoup leur capacité à entrer en relation et à travailler en collectif. Et après il y a des effets plus intermédiaires de capacité à gérer un budget, capacité à être reconnue comme personne utile, ce qui est un peu malheureux mais le travail aujourd'hui est encore un des vecteurs du sentiment d'utilité. Et ça c'est très fort dans ce dispositif.

  • Frédéric Vuillod

    Odile Rosset, qu'est-ce que nous dit Louise Lacoste ? réveille chez vous ? À quoi ça fait écho ? Est-ce que vous avez le même ressenti, le même vécu de cette expérimentation ?

  • Odile Rosset

    Alors oui, forcément. Et c'est bien l'intérêt d'une recherche à action, c'est qu'on était ensemble et que le théâtre forum dont tu as parlé, Louise, ça a été un moment un peu charnière dans la recherche à action, même si, vous l'avez compris, il y a une histoire antérieure à la recherche à action. Donc Louise savait très bien ce qu'on faisait, Carton plein savait très bien ce que faisait Louise, mais n'empêche qu'à partir du moment où c'est devenu sociologique, il y a forcément quelque chose qui se... qui s'éloignent un petit peu entre l'objet terrain et l'objet théorisation ou analyse. Et le Théâtre Forum a permis vraiment de rallier, de réconcilier, le terme est un petit peu fort, mais vraiment de rapprocher les deux aspects et de mettre des mots aussi sur des réalités terrain. Donc tout ce que Louise dit aujourd'hui, on le comprend bien. Ce n'est pas forcément des mots qu'on utilisait, mais par exemple la réaffiliation, c'est quelque chose dont on parle beaucoup maintenant. On trouve que c'est vraiment le concept qui parle très bien de ce qu'on vit au quotidien. Il y a vraiment cette notion, ce qu'on essaye de vivre à carton plein, et qu'on travaille beaucoup avec des notions de convivialité, par exemple, on est dans un cadre de travail, c'est évident. C'est par là que la relation se crée. Donc c'est très intéressant parce qu'elle est relativement peu descendante. Ce n'est pas un travailleur social ou une travailleuse sociale qui reçoit quelqu'un pour faire parler de ses problèmes, et je ne mets aucun jugement de valeur là-dessus. On est au travail, donc on a ensemble des... des problématiques liées au travail, on doit ensemble préparer une commande pour un client, tout ça annule un peu les différences. Alors évidemment, pas complètement, on n'est pas complètement avec le même contrat, on n'a pas complètement le même salaire, on n'a pas évidemment les mêmes vies privées, mais cette notion de travail est assez intéressante pour créer la relation. Et du coup, pour se réaffilier, effectivement, il faut se sentir faire partie prenante de quelque chose. Et à Carton Plein, on joue beaucoup là-dessus, et jouer au sens levier. Parce qu'effectivement, se sentir à nouveau faire partie d'un collectif, être en capacité à nouveau de parler à quelqu'un, de se sentir faire partie d'un groupe, de se projeter, etc. On voit bien les impacts que ça a sur la confiance en soi et sur une capacité de se projeter à nouveau dans, et là ça appartient aux personnes, dans un travail, dans une prise en considération de ces problématiques de santé, etc.

  • Frédéric Vuillod

    Toutes les deux, vous avez des souvenirs particuliers, des images, des mots-clés, des petites phrases qui vous auraient marqué, que vous voudriez nous livrer ici ?

  • Odile Rosset

    Là, on se regarde toutes les deux. Ce qui restait très fort pour moi, c'est ma première arrivée à Carton Plein. Oui, effectivement, on ne sait pas très bien comment... Moi, je n'ai pas su exactement comment me comporter. On se fait tout un monde, toute une théorie, en se disant, ça va être des personnes à la rue, qu'est-ce que je vais leur dire, comment je vais me comporter, etc. Et en fait, quand on arrive là, c'est ce truc de... C'est un cadre de travail, donc en fait, c'est classique. C'est des collègues. Donc c'est pas une personne à la rue, ou c'est pas je n'ai pas la même vie, je ne sais pas ce qu'elle vit, elle ne sait pas ce qu'elle vit, ce que je vis, et on ne sait pas très bien quoi se dire, on est collègues, et donc ça nous rapproche. Et je me souviens de ma première arrivée où il y avait Joseph, qui était en train de dormir en plein milieu de l'atelier, c'était le moment de la pause, et voilà je me suis dit bon qu'est-ce qu'on fait ? Et en fait très vite après, on a bossé ensemble et ça a fonctionné. Et donc je trouve que c'est, pour moi c'est vraiment le témoin de la force de ce dispositif-là, vraiment la remobilisation par le travail. Ce n'est pas en discours, c'est en acte. Et l'intérêt d'une collaboration comme celle qu'on a eue avec Louise, c'est quand même de documenter un peu cette mise en pratique.

  • Frédéric Vuillod

    Louise, un souvenir particulier ?

  • Louise Lacoste

    Je pense que quelque chose, moi, qui m'a vraiment marquée... Plus comme événement que comme souvenir précis, c'est le moment au bout d'un an de recherche-action où il y a quelque chose qui s'est aligné entre... Je ne saurais pas le dire autrement. Moi, ce qui m'a marquée, c'est la facilité à partir du moment où on a appris à parler un langage commun, à avancer ensemble en venant de perspectives professionnelles tellement éloignées.

  • Frédéric Vuillod

    Louise, est-ce que les résultats de cette recherche-action ont soulevé d'autres questions ou d'autres réflexions ?

  • Louise Lacoste

    Il y a deux choses qui sont encore à penser très fortement pour moi. La première chose qui reste à penser dans ces dispositifs, c'est la prise en compte de la dimension genrée de l'accompagnement et la prise en compte de la place particulière des femmes face à l'emploi et particulièrement des femmes sans domicile. Parce que ce que cette recherche a montré, c'est qu'il y a une forme d'impensée du genre dans la création de la politique publique. On ne pense pas à une place particulière aux femmes dans ces dispositifs d'insertion. Sauf qu'elles sont spontanément un peu moins facilement ciblées par les associations d'accompagnement social des personnes à la rue, et donc moins recrutées, et il faut un accompagnement très volontariste, ce qui demande un temps, ça demande une énergie folle, ça c'est quelque chose qui reste à creuser. La deuxième chose, ce serait la difficulté à penser le travail en dehors de l'emploi, et à penser notamment le quotidien de travail des personnes à la rue en dehors d'un cadre salarié. Parce que faire la manche, faire ses papiers, être en relation, ne pas sombrer dans la folie quand on est sans domicile, moi j'appelle ça du travail en tant que sociologue, du travail reproductif, d'entretien de sa propre vie. Et c'est un travail à plein temps, de survivre à la rue. Et le dispositif Premières Heures vise à faire travailler des personnes dans un retour à l'emploi. Et s'il n'y a pas de retour à l'hébergement pérenne pendant le dispositif, le retour à l'emploi il est impossible parce qu'on ne peut pas retourner à l'emploi quand on a déjà un plein temps. Donc il y a l'articulation travail-logement qui est à repenser, et notamment la prise en compte par les pouvoirs publics et les structures d'accompagnement social de ce que c'est le travail en dehors de l'emploi dans la vie des personnes sans domicile.

  • Frédéric Vuillod

    Odile, quelle suite prévoyez-vous à cette recherche-action ?

  • Odile Rosset

    Alors on y est déjà, la couture s'est faite pendant la présence de Louise, et c'est ce que tu as dit un peu rapidement tout à l'heure, et ce qui est intéressant je pense pour une recherche-action réussie, c'est qu'il y ait des jalons. un peu au fur et à mesure du parcours. Et nous, il y a eu des répercussions depuis ton passage avec nous. Tu as évoqué par exemple le fait d'analyser sous le prisme du genre ce dispositif premières heures, ces impensées, etc. Ça, clairement, c'est un des aspects qui a eu le plus de conséquences pratiques chez nous, avec le fait d'ouvrir un peu nos yeux sur ce que toi, tu as appelé la violence sexiste en milieu ordinaire, qui n'est pas de l'ordre du pénal, mais toutes ces petites choses au quotidien. Et en fait, bien évidemment, la main sur le cœur, on se dit mais non, mais chez nous, il n'y a pas de ça. Mais en fait, il y a forcément un peu, parce qu'on reproduit toutes et tous un peu les schémas sans le vouloir, etc. Donc, le fait qu'on ait une certaine forme de lucidité, qu'on ait pris le sujet en main, qu'on se soit rendu compte que si on n'avait pas une stratégie d'action assez volontariste sur le sujet des femmes, en fait, il n'y avait pas de femmes dans nos ateliers. Si on ne fait rien, il y a 100% d'hommes. Donc, on est parti de 15% de femmes. Aujourd'hui, on est plutôt à 40-45% de femmes, ce qui est un peu au-delà de la représentation des femmes dans les personnes à la rue. Donc ça, c'est pas rien. Donc ça a créé des partenariats nouveaux. On a été chercher des partenariats nouveaux aussi, avec des structures spécialisées qui vont chercher les femmes, notamment les femmes célibataires et sans-enfants, qui sont les plus invisibles dans la rue. On a créé des nouvelles formations, on diffuse des nouvelles formations internes sur le sexisme. On a pérennisé dans le temps des demi-journées d'accueil en non-mixité, pour qu'une fois par semaine, il ne s'agit pas de créer un état dans l'état ou un microcosme particulier, mais qu'il y ait cet espace. le mardi après-midi où ce ne sont que des femmes qui sont accueillies à carton plein. Et en fait, on a remarqué qu'en mixité, c'était souvent les hommes qui s'affectaient sur les missions en premier et restaient les tâches plutôt dans l'atelier. Et là, effectivement, quand il n'y a que des femmes, il faut faire tout et c'est un autre jeu qui se joue. Après, il y a d'autres choses évidemment qui se jouent, mais ça, c'était quelque chose de très concret et qui est aujourd'hui dans le quotidien récurrent et plus du tout questionné de l'association.

  • Frédéric Vuillod

    Alors, on entend le plaisir que vous avez. parler, la fierté aussi d'avoir mené ce travail de recherche-action. Est-ce que vous auriez un conseil pour les porteurs de projets qui souhaiteraient se lancer eux aussi dans une recherche-action et qui voudraient travailler avec un chercheur ?

  • Odile Rosset

    D'y aller. Vraiment, sans aucune réserve. C'est hyper intéressant d'avoir quelqu'un qui soit de ce côté un peu dedans-dehors, évidemment très dedans parce qu'au quotidien avec nous, très sachante, etc. Mais cette capacité et cette fiche de poste faites pour. Parce qu'on pourrait se dire, ça fait partie aussi de nos jobs de lever la tête du guidon et de regarder un peu ce qui se passe. On n'est pas complètement formé pour et puis en fait ça ne marche jamais. Là, c'est quand même quelqu'un qui avait du temps pour ça. Et aussi, je ne sais même pas si je te l'ai déjà exprimé, mais moi je suis assez frappée de la reconnaissance aussi pour la structure que ça a apporté. Ça amène des nouveaux partenariats. Le partenariat avec la Fondation des Solidarités Urbaines s'est fait autour de ce projet de recherche. Il y en a eu d'autres, la Fondation du Crédit Coopératif. Tu as fait venir des personnes de la recherche, des personnes, enfin, la personne comédienne que tu citais tout à l'heure, etc. Enfin, c'est des gens qu'on n'aurait pas forcément vus. Donc, ça fait venir du monde dans le projet. Ça permet d'ouvrir les portes et de croiser des mondes et des regards. Et c'est vraiment hyper enthousiasmant avec juste le petit conseil d'être OK sur le fait que ça fasse bouger des lignes. Enfin, sinon, ça n'a aucun intérêt.

  • Frédéric Vuillod

    Louise Lacoste, si vous deviez retenir une seule chose de ce projet, ce serait quoi ?

  • Louise Lacoste

    Le Théâtre Forum. qui est donc une pédagogie du théâtre de l'opprimé qui consiste à mettre au travail un sujet lié à une oppression. et a animé une discussion autour de la mise en scène de cette oppression. Ça, c'était l'élément qui a fait déclic, parce que je parlais tout à l'heure de ce moment où tout s'est aligné et où on a parlé le même langage. Et le Théâtre Forum a permis qu'on parle le même langage avec carton plein et la sociologie. Parce que, moi je vous dis qu'à mon sens, il y a du sexisme ordinaire qui se déroule dans la structure. Je prends cet exemple-là parce qu'il est assez frappant. Par exemple... S'il y a un repas collectif, il y a un salarié en insertion qui vient draguer une service civique, ou lui parler de manière avec des intentions pas forcément très claires sur son intention ou pas d'être dans un rapport de séduction, ça peut la mettre mal à l'aise, elle peut ne pas avoir les outils, c'est du sexisme. Et en fait, mettre en scène une situation de ce type en disant on va la rejouer et on va la rejouer au prisme de la personne qui a vécu ça comme une situation de violence ou de difficulté personnelle, et après... Une fois que ça a été bien remontré à tout le monde, la sociologie peut dire, voilà, moi en fait ce que je qualifie de sexisme, ce n'est pas des choses énormes, ce n'est pas des atrocités misogynes, ça peut juste être ça. Et on peut le qualifier en prenant acte de l'absence d'intention de nuire, mais ça n'empêche pas que l'absence d'intention de nuire peut provoquer des nuisances dans la pratique professionnelle ou dans les situations de travail.

  • Frédéric Vuillod

    C'est très éclairant. Merci beaucoup Louise Lacoste.

  • Louise Lacoste

    Merci beaucoup de parler de ce sujet qui nous tient très à cœur. Enfin, en tout cas, moi, me tient vraiment très à cœur.

  • Frédéric Vuillod

    Et merci beaucoup, Odile Rosset, directrice de l'association Carton Plein.

  • Odile Rosset

    Merci beaucoup à vous.

  • Frédéric Vuillod

    C'était Ville solidaire, Ville durable. Vous pouvez retrouver cet épisode et tous les autres sur toutes les grandes plateformes de podcast, sur le média de l'économie sociale et solidaire Mediatico.fr et sur le site internet de la Fondation des solidarités urbaines, fondée par les bailleurs sociaux Paris Habitat, la RIVP et Elogie-Siemp, Aximo, l'Habitation confortable et l'Habitat social français. A bientôt !

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Description

Odile Rosset, directrice de l’association Carton Plein et Louise Lacoste, doctorant.e en sociologie à l‘IDHES (Institutions et Dynamiques Historiques de l’Économie et de la Société) de Paris Nanterre, racontent leur recherche-action menée sur le dispositif Premières heures.

Au micro du journaliste Frédéric Vuillod, on découvre ce dispositif mis en œuvre chez Carton Plein comme dans une vingtaine d’autres associations parisiennes pour proposer un parcours d’insertion aux personnes en situation de grande précarité, et plus particulièrement les personnes à la rue.

Odile Rosset et Louise Lacoste expliquent comment la recherche-action portée par Carton Plein a permis de mieux comprendre les enjeux et les effets du dispositif, en particulier sur le lien social et la confiance en soi, et en retirer ainsi des enseignements et des bonnes pratiques dans le cadre d’un parcours de réinsertion.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Frédéric Vuillod

    Le monde associatif expérimente et étudie des solutions au cœur de la ville pour améliorer la vie des habitants. Souvent très riches d'enseignements, ces solutions méritent d'être partagées. Je m'appelle Frédéric Vuillon, je suis journaliste et je pars à leur découverte. Vous écoutez Ville solidaire, ville durable, le podcast de la Fondation des solidarités urbaines, le laboratoire des bailleurs sociaux de la ville de Paris, qui offre ici un espace de partage d'expérience aux projets qu'elle soutient. Aujourd'hui, nous sommes avec Odile Rosset, directrice de l'association Carton Plein, qui accompagne vers l'emploi des personnes en situation d'exclusion, avec notamment de la collecte de cartons et de la logistique à vélo. Bonjour à vous, Odile Rosset. Bonjour. Et puis, nous sommes avec Louise Lacoste, qui est doctorante en sociologie à Paris-Nanterre. Et pour sa thèse, elle a été en immersion justement chez Carton Plein. Bonjour, Louise Lacoste.

  • Louise Lacoste

    Bonjour.

  • Frédéric Vuillod

    Alors, on va se tourner d'abord vers vous, Odile Rosset, parce que chez Carton Plein, vous avez choisi de mener un travail de recherche-action, donc de travailler avec une chercheuse. Sur cette question de l'insertion par le travail des personnes sans domicile, en quoi consistait sur le terrain cette recherche-action et quel était le lien avec un dispositif qu'on appelle premières heures et que vous allez nous expliquer ?

  • Odile Rosset

    Oui, alors je vais peut-être commencer par ça parce que c'est effectivement un dispositif qui est peu connu du grand public. Donc c'est un dispositif qui s'est construit à côté de tout ce qui se passait en termes d'insertion, de chantier d'insertion, entreprise d'insertion, avec un constat assez facile, assez simple qui était... que ces dispositifs produisaient des résultats intéressants de retour vers l'emploi, mais laissait de côté certaines personnes, et notamment des personnes en situation de grande précarité, particulièrement les personnes à la rue, pour qui le temps plein ou le quasi-temps plein était inaccessible. Quand vous vivez dehors, ça paraît assez simple que venir bosser 35 heures par semaine, avoir la disponibilité d'esprit, la force physique, etc., ça paraît un peu compliqué. Voire même à mi-temps. Il fallait créer à cette époque-là des dispositifs atypiques, trouver des mécanismes administratifs et juridiques qui permettaient de faire ça dans le cadre légal. Mais c'est quand même quelque chose qui était déjà expérimental sur des contrats de très faible volume horaire. Quand on parle de faible volume horaire, ça peut vouloir dire venir travailler trois heures par semaine et puis après six heures, on est sur des tout petits volumes de réamorces.

  • Frédéric Vuillod

    Ce qui est complètement dérogatoire au droit du travail. C'est pour ça qu'il fallait un dispositif très particulier.

  • Odile Rosset

    D'autant plus à l'époque où les chantiers d'insertion n'avaient pas le droit de signer des contrats de travail en dessous de 20 heures par semaine. Et donc d'emblée, on a été dans cette expérimentation, dans ce test. Il y a eu ce modèle-là, mais il y en a eu d'autres. Et donc il y a eu ces défrichages, ces tests menés par des associations qui étaient dans la sphère de l'insertion ou non. Et du coup, d'emblée, il y a eu cette envie de se retrouver entre associations, d'avoir des espaces de... d'échanges sur les pratiques, sur ce qu'on faisait, sur ce qui était bien moyen, etc. et d'analyser. Et du coup, cette notion d'évaluation est arrivée relativement vite. Sur Paris, par exemple, Carton Plein avait embauché une collègue, Laure, qui avait notamment dans ses missions d'animer ce collectif des associations qui portaient le DPH, le dispositif Premières Heures parisien. Et donc tout ça, les envies de Louise de se projeter sur une thèse, les besoins des acteurs sur mieux documenter, mieux savoir ce qu'on faisait. peut-être réorienter aussi le dispositif pour peut-être un jour le pérenniser dans une forme ou une autre, ont amené à ce projet de recherche-action.

  • Frédéric Vuillod

    Concrètement, ça veut dire quoi pour le public que vous accompagnez chez Carton plein ? Vous avez donc des personnes en grande exclusion qui venaient travailler deux heures, trois heures par jour pour faire quoi ? De la collecte de carton, de l'emballage, du transport, du déménagement ?

  • Odile Rosset

    Alors, il faut vraiment que les activités soient accessibles. Il ne faut pas que ce soit une barrière. Le principe, c'est des activités simples, facilement appropriables, pour qu'il n'y ait pas vraiment de recrutement sur des compétences. Les personnes d'un carton plein viennent d'une part parce qu'elles sont à peu près dans les cases des dispositifs, mais surtout parce qu'elles ont envie de venir. Et du coup, il n'y a pas de sélection à l'entrée sur les compétences, les aptitudes, les expériences passées, etc. Donc c'est vrai que la filière carton est assez intéressante pour ça, parce qu'elle est très simple. Elle est mine de rien assez variée, parce qu'on développe tout un tas de produits autour du carton. N'importe quelle personne, quelle que soit sa forme physique, quelle que soit sa forme psychique, peut avoir des tâches très simples et du coup peut travailler sans se mettre en échec. Et effectivement, on propose un peu de cyclo-logistique autour, si la personne en a envie, si la personne se sent capable. Et c'est vraiment ça qui est intéressant dans le dispositif Premières Heures, c'est qu'il n'y a aucune pression sur la production. Si vous pouvez travailler ce jour-là, c'est génial. Si vous ne pouvez pas travailler, ou si vous ne travaillez pas très vite, ou si vous travaillez de manière peu efficace, ce n'est pas très grave.

  • Frédéric Vuillod

    Alors Louise Lacoste, est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur le volet recherche de ce projet ?

  • Louise Lacoste

    Moi j'ai commencé à faire de la recherche avec Carton Plein en 2019 parce que j'ai fait mon stage de fin d'études dans l'association et très vite il a été possible de formuler des propos assez critiques sur certaines pratiques ou certains fonctionnements associatifs qui ont été en fait très bien reçus, ce qui a donné lieu à la co-élaboration de mon sujet de thèse. Parce que moi je travaillais pour mon stage que sur Carton Plein et on a eu l'envie, avec Laure dont parlait Odile tout à l'heure, qui a été... Avec Carton plein dès 2017 sur la question du collectif et de l'évaluation, on a eu envie de mener une recherche un peu plus vaste sur le dispositif Premières Heures et pas que à Carton plein mais un peu sur comment ça fonctionnait, comment ça se déployait dans d'autres structures aussi, à Paris, en Ile-de-France et plus tard ailleurs en France. L'envie qu'on a eue en fait c'est de pouvoir porter une recherche qui puisse traiter de tous les niveaux du dispositif. En fait la grande richesse... du projet c'est que ce dispositif n'avait jamais été évalué parce que moi quand je suis arrivé avec mon projet de thèse on était en fin 2019 début 2020 et il a été expérimenté fin 2009 début 2010 ce dispositif d'abord par Emmaüs Défi et donc un dispositif qui avait dix ans d'existence et qui n'avait jamais été évalué c'était une manne de projets de recherche et de perspectives sociologiques très stimulantes et donc on s'est dit on va travailler sur en fait on voulait partir des salariés en insertion, pour comprendre en quoi ce dispositif les aidait à avancer dans leur quotidien, avancer dans leur vie professionnelle, avancer dans leur vie relationnelle également, et aussi avoir une perspective vraiment de recherche et pas que d'évaluation pour nommer les dysfonctionnements, parce qu'une perspective sociologique se permet d'avoir un regard le plus objectifant, le plus neutre possible, et donc aussi de prendre en compte l'intégralité des enjeux, y compris les choses qui fonctionnent moins bien. Et donc, La plupart du temps, les dysfonctionnements dans les dispositifs d'insertion ou d'action publique, ils ne viennent pas de l'action des structures, mais de la manière dont sont conçus, financés, portés les dispositifs par l'action publique. Donc il y avait cet enjeu très fort d'aller regarder plusieurs structures, plusieurs manières de faire, en reliant tout ça, dans une logique comparative, à la question du financement, la question du portage institutionnel de ces dispositifs, et avec un peu en question centrale, en fil conducteur de la recherche. Cette question de la filiation, de l'inclusion, du lien, avec lequel on a beaucoup collaboré avec la Fondation des Solidarités Urbaines, et cette question du lien et de l'inclusion, elle est très importante dans ce dispositif.

  • Frédéric Vuillod

    Alors très concrètement, comment vous vous y êtes prise pour mener cette recherche-action ? Vous avez commencé par quoi et comment vous avez mené votre barque ?

  • Louise Lacoste

    À mon arrivée, j'étais déjà identifiée par plusieurs structures du DPH parisien parce que j'avais déjà fait un stage à carton plein. Et on avait pendant, il y a eu tout un laps de temps de quasiment un an entre la fin de mon stage et le début de ma thèse, où on est allé déjà ouvrir mon terrain, c'est comme ça, en langage sociologique, ouvrir un terrain, ça veut dire trouver les acteurs et actrices qui acceptent de collaborer à l'enquête.

  • Frédéric Vuillod

    Ils étaient combien ?

  • Louise Lacoste

    En fait à Paris, je suis allée voir 16 des associations qui portent le dispositif Premières Ordres, donc les structures accueillantes, 5 associations intermédiaires qui sont dans le montage un peu particulier du dispositif, les employeurs. des salariés en insertion. Et plus tard dans la thèse, dès 2021, on a également intégré le dispositif Alto-Cecané à la recherche et à la recherche Action.

  • Frédéric Vuillod

    Dans le département des Hauts-de-Seine ?

  • Louise Lacoste

    Exactement. Et là, j'ai enquêté auprès majoritairement de trois associations. Et encore un peu plus tard, en 2022, je suis allée enquêter dans deux structures à Lyon et à Brive-la-Gaillarde pour avoir une perspective un peu à l'échelle du territoire. Et donc très concrètement, et surtout à Paris, ce qui s'est passé en fait c'est qu'on a animé des réunions régulières d'analyse de pratique et de mise en commun des interrogations et des enjeux portés par les associations autour du dispositif. On a trouvé des solutions intermédiaires, de mise à disposition de résultats intermédiaires par un rapport que j'ai produit et qui se nourrissait de toutes ces réunions d'analyse de pratique et d'aller-retour avec le terrain, mais aussi de deux outils qui ont été super... Enrichissant pour la recherche-action, c'est deux journées de co-formation qu'on a co-animées avec ATD Quart Monde en juin 2021 et plusieurs ateliers de théâtre forum qui ont été animés par moi et une amie comédienne, Chloé Dufresne, de juillet 2021 à avril 2023. Et donc on a rencontré plusieurs salariés en insertion et plusieurs intervenants sociaux et intervenantes sociales autour de la pratique du théâtre forum pour avoir un peu cette envie de redistribuer, repartager certains apprentissages issus de la recherche.

  • Frédéric Vuillod

    Alors on ne va pas attendre la publication de votre thèse pour en savoir plus, on va vous demander directement qu'est-ce que votre travail a révélé sur l'impact du dispositif Premières Heures et sur son rôle dans la lutte contre l'isolement des personnes en situation de grande exclusion.

  • Louise Lacoste

    Ce que le travail de recherche action a pu montrer, démontrer, c'est des choses assez de l'ordre relationnel. Moi, je n'ai pas fait une enquête statistique très poussée. En fait, j'ai fait une enquête statistique à l'échelle de carton plein. Il y a notamment un résultat assez fort, c'est que si on regarde les personnes qui dormaient dehors, qui étaient sans abri strictement, sans aucune solution d'hébergement, même d'urgence à leur entrée dans le dispositif premières heures à carton plein, 50% des personnes ne sont plus à la rue à leur sortie du programme. Ce qui ne dit rien évidemment de la qualité et de la pérennité des situations d'hébergement qu'elles ont pu retrouver, mais ce qui montre l'effet du dispositif sur la situation d'errance. Donc ces recherches qualitatives, ce qu'elles ont montré, c'est à quel point les salariés en insertion sont attachés au dispositif, au lien social qui y est créé, et à quel point ça les aide dans leur sentiment d'affiliation sociale, dans leur confiance en soi, en les autres, et peut-être même plus largement. leur intégration à la société et ça nourrit beaucoup leur capacité à entrer en relation et à travailler en collectif. Et après il y a des effets plus intermédiaires de capacité à gérer un budget, capacité à être reconnue comme personne utile, ce qui est un peu malheureux mais le travail aujourd'hui est encore un des vecteurs du sentiment d'utilité. Et ça c'est très fort dans ce dispositif.

  • Frédéric Vuillod

    Odile Rosset, qu'est-ce que nous dit Louise Lacoste ? réveille chez vous ? À quoi ça fait écho ? Est-ce que vous avez le même ressenti, le même vécu de cette expérimentation ?

  • Odile Rosset

    Alors oui, forcément. Et c'est bien l'intérêt d'une recherche à action, c'est qu'on était ensemble et que le théâtre forum dont tu as parlé, Louise, ça a été un moment un peu charnière dans la recherche à action, même si, vous l'avez compris, il y a une histoire antérieure à la recherche à action. Donc Louise savait très bien ce qu'on faisait, Carton plein savait très bien ce que faisait Louise, mais n'empêche qu'à partir du moment où c'est devenu sociologique, il y a forcément quelque chose qui se... qui s'éloignent un petit peu entre l'objet terrain et l'objet théorisation ou analyse. Et le Théâtre Forum a permis vraiment de rallier, de réconcilier, le terme est un petit peu fort, mais vraiment de rapprocher les deux aspects et de mettre des mots aussi sur des réalités terrain. Donc tout ce que Louise dit aujourd'hui, on le comprend bien. Ce n'est pas forcément des mots qu'on utilisait, mais par exemple la réaffiliation, c'est quelque chose dont on parle beaucoup maintenant. On trouve que c'est vraiment le concept qui parle très bien de ce qu'on vit au quotidien. Il y a vraiment cette notion, ce qu'on essaye de vivre à carton plein, et qu'on travaille beaucoup avec des notions de convivialité, par exemple, on est dans un cadre de travail, c'est évident. C'est par là que la relation se crée. Donc c'est très intéressant parce qu'elle est relativement peu descendante. Ce n'est pas un travailleur social ou une travailleuse sociale qui reçoit quelqu'un pour faire parler de ses problèmes, et je ne mets aucun jugement de valeur là-dessus. On est au travail, donc on a ensemble des... des problématiques liées au travail, on doit ensemble préparer une commande pour un client, tout ça annule un peu les différences. Alors évidemment, pas complètement, on n'est pas complètement avec le même contrat, on n'a pas complètement le même salaire, on n'a pas évidemment les mêmes vies privées, mais cette notion de travail est assez intéressante pour créer la relation. Et du coup, pour se réaffilier, effectivement, il faut se sentir faire partie prenante de quelque chose. Et à Carton Plein, on joue beaucoup là-dessus, et jouer au sens levier. Parce qu'effectivement, se sentir à nouveau faire partie d'un collectif, être en capacité à nouveau de parler à quelqu'un, de se sentir faire partie d'un groupe, de se projeter, etc. On voit bien les impacts que ça a sur la confiance en soi et sur une capacité de se projeter à nouveau dans, et là ça appartient aux personnes, dans un travail, dans une prise en considération de ces problématiques de santé, etc.

  • Frédéric Vuillod

    Toutes les deux, vous avez des souvenirs particuliers, des images, des mots-clés, des petites phrases qui vous auraient marqué, que vous voudriez nous livrer ici ?

  • Odile Rosset

    Là, on se regarde toutes les deux. Ce qui restait très fort pour moi, c'est ma première arrivée à Carton Plein. Oui, effectivement, on ne sait pas très bien comment... Moi, je n'ai pas su exactement comment me comporter. On se fait tout un monde, toute une théorie, en se disant, ça va être des personnes à la rue, qu'est-ce que je vais leur dire, comment je vais me comporter, etc. Et en fait, quand on arrive là, c'est ce truc de... C'est un cadre de travail, donc en fait, c'est classique. C'est des collègues. Donc c'est pas une personne à la rue, ou c'est pas je n'ai pas la même vie, je ne sais pas ce qu'elle vit, elle ne sait pas ce qu'elle vit, ce que je vis, et on ne sait pas très bien quoi se dire, on est collègues, et donc ça nous rapproche. Et je me souviens de ma première arrivée où il y avait Joseph, qui était en train de dormir en plein milieu de l'atelier, c'était le moment de la pause, et voilà je me suis dit bon qu'est-ce qu'on fait ? Et en fait très vite après, on a bossé ensemble et ça a fonctionné. Et donc je trouve que c'est, pour moi c'est vraiment le témoin de la force de ce dispositif-là, vraiment la remobilisation par le travail. Ce n'est pas en discours, c'est en acte. Et l'intérêt d'une collaboration comme celle qu'on a eue avec Louise, c'est quand même de documenter un peu cette mise en pratique.

  • Frédéric Vuillod

    Louise, un souvenir particulier ?

  • Louise Lacoste

    Je pense que quelque chose, moi, qui m'a vraiment marquée... Plus comme événement que comme souvenir précis, c'est le moment au bout d'un an de recherche-action où il y a quelque chose qui s'est aligné entre... Je ne saurais pas le dire autrement. Moi, ce qui m'a marquée, c'est la facilité à partir du moment où on a appris à parler un langage commun, à avancer ensemble en venant de perspectives professionnelles tellement éloignées.

  • Frédéric Vuillod

    Louise, est-ce que les résultats de cette recherche-action ont soulevé d'autres questions ou d'autres réflexions ?

  • Louise Lacoste

    Il y a deux choses qui sont encore à penser très fortement pour moi. La première chose qui reste à penser dans ces dispositifs, c'est la prise en compte de la dimension genrée de l'accompagnement et la prise en compte de la place particulière des femmes face à l'emploi et particulièrement des femmes sans domicile. Parce que ce que cette recherche a montré, c'est qu'il y a une forme d'impensée du genre dans la création de la politique publique. On ne pense pas à une place particulière aux femmes dans ces dispositifs d'insertion. Sauf qu'elles sont spontanément un peu moins facilement ciblées par les associations d'accompagnement social des personnes à la rue, et donc moins recrutées, et il faut un accompagnement très volontariste, ce qui demande un temps, ça demande une énergie folle, ça c'est quelque chose qui reste à creuser. La deuxième chose, ce serait la difficulté à penser le travail en dehors de l'emploi, et à penser notamment le quotidien de travail des personnes à la rue en dehors d'un cadre salarié. Parce que faire la manche, faire ses papiers, être en relation, ne pas sombrer dans la folie quand on est sans domicile, moi j'appelle ça du travail en tant que sociologue, du travail reproductif, d'entretien de sa propre vie. Et c'est un travail à plein temps, de survivre à la rue. Et le dispositif Premières Heures vise à faire travailler des personnes dans un retour à l'emploi. Et s'il n'y a pas de retour à l'hébergement pérenne pendant le dispositif, le retour à l'emploi il est impossible parce qu'on ne peut pas retourner à l'emploi quand on a déjà un plein temps. Donc il y a l'articulation travail-logement qui est à repenser, et notamment la prise en compte par les pouvoirs publics et les structures d'accompagnement social de ce que c'est le travail en dehors de l'emploi dans la vie des personnes sans domicile.

  • Frédéric Vuillod

    Odile, quelle suite prévoyez-vous à cette recherche-action ?

  • Odile Rosset

    Alors on y est déjà, la couture s'est faite pendant la présence de Louise, et c'est ce que tu as dit un peu rapidement tout à l'heure, et ce qui est intéressant je pense pour une recherche-action réussie, c'est qu'il y ait des jalons. un peu au fur et à mesure du parcours. Et nous, il y a eu des répercussions depuis ton passage avec nous. Tu as évoqué par exemple le fait d'analyser sous le prisme du genre ce dispositif premières heures, ces impensées, etc. Ça, clairement, c'est un des aspects qui a eu le plus de conséquences pratiques chez nous, avec le fait d'ouvrir un peu nos yeux sur ce que toi, tu as appelé la violence sexiste en milieu ordinaire, qui n'est pas de l'ordre du pénal, mais toutes ces petites choses au quotidien. Et en fait, bien évidemment, la main sur le cœur, on se dit mais non, mais chez nous, il n'y a pas de ça. Mais en fait, il y a forcément un peu, parce qu'on reproduit toutes et tous un peu les schémas sans le vouloir, etc. Donc, le fait qu'on ait une certaine forme de lucidité, qu'on ait pris le sujet en main, qu'on se soit rendu compte que si on n'avait pas une stratégie d'action assez volontariste sur le sujet des femmes, en fait, il n'y avait pas de femmes dans nos ateliers. Si on ne fait rien, il y a 100% d'hommes. Donc, on est parti de 15% de femmes. Aujourd'hui, on est plutôt à 40-45% de femmes, ce qui est un peu au-delà de la représentation des femmes dans les personnes à la rue. Donc ça, c'est pas rien. Donc ça a créé des partenariats nouveaux. On a été chercher des partenariats nouveaux aussi, avec des structures spécialisées qui vont chercher les femmes, notamment les femmes célibataires et sans-enfants, qui sont les plus invisibles dans la rue. On a créé des nouvelles formations, on diffuse des nouvelles formations internes sur le sexisme. On a pérennisé dans le temps des demi-journées d'accueil en non-mixité, pour qu'une fois par semaine, il ne s'agit pas de créer un état dans l'état ou un microcosme particulier, mais qu'il y ait cet espace. le mardi après-midi où ce ne sont que des femmes qui sont accueillies à carton plein. Et en fait, on a remarqué qu'en mixité, c'était souvent les hommes qui s'affectaient sur les missions en premier et restaient les tâches plutôt dans l'atelier. Et là, effectivement, quand il n'y a que des femmes, il faut faire tout et c'est un autre jeu qui se joue. Après, il y a d'autres choses évidemment qui se jouent, mais ça, c'était quelque chose de très concret et qui est aujourd'hui dans le quotidien récurrent et plus du tout questionné de l'association.

  • Frédéric Vuillod

    Alors, on entend le plaisir que vous avez. parler, la fierté aussi d'avoir mené ce travail de recherche-action. Est-ce que vous auriez un conseil pour les porteurs de projets qui souhaiteraient se lancer eux aussi dans une recherche-action et qui voudraient travailler avec un chercheur ?

  • Odile Rosset

    D'y aller. Vraiment, sans aucune réserve. C'est hyper intéressant d'avoir quelqu'un qui soit de ce côté un peu dedans-dehors, évidemment très dedans parce qu'au quotidien avec nous, très sachante, etc. Mais cette capacité et cette fiche de poste faites pour. Parce qu'on pourrait se dire, ça fait partie aussi de nos jobs de lever la tête du guidon et de regarder un peu ce qui se passe. On n'est pas complètement formé pour et puis en fait ça ne marche jamais. Là, c'est quand même quelqu'un qui avait du temps pour ça. Et aussi, je ne sais même pas si je te l'ai déjà exprimé, mais moi je suis assez frappée de la reconnaissance aussi pour la structure que ça a apporté. Ça amène des nouveaux partenariats. Le partenariat avec la Fondation des Solidarités Urbaines s'est fait autour de ce projet de recherche. Il y en a eu d'autres, la Fondation du Crédit Coopératif. Tu as fait venir des personnes de la recherche, des personnes, enfin, la personne comédienne que tu citais tout à l'heure, etc. Enfin, c'est des gens qu'on n'aurait pas forcément vus. Donc, ça fait venir du monde dans le projet. Ça permet d'ouvrir les portes et de croiser des mondes et des regards. Et c'est vraiment hyper enthousiasmant avec juste le petit conseil d'être OK sur le fait que ça fasse bouger des lignes. Enfin, sinon, ça n'a aucun intérêt.

  • Frédéric Vuillod

    Louise Lacoste, si vous deviez retenir une seule chose de ce projet, ce serait quoi ?

  • Louise Lacoste

    Le Théâtre Forum. qui est donc une pédagogie du théâtre de l'opprimé qui consiste à mettre au travail un sujet lié à une oppression. et a animé une discussion autour de la mise en scène de cette oppression. Ça, c'était l'élément qui a fait déclic, parce que je parlais tout à l'heure de ce moment où tout s'est aligné et où on a parlé le même langage. Et le Théâtre Forum a permis qu'on parle le même langage avec carton plein et la sociologie. Parce que, moi je vous dis qu'à mon sens, il y a du sexisme ordinaire qui se déroule dans la structure. Je prends cet exemple-là parce qu'il est assez frappant. Par exemple... S'il y a un repas collectif, il y a un salarié en insertion qui vient draguer une service civique, ou lui parler de manière avec des intentions pas forcément très claires sur son intention ou pas d'être dans un rapport de séduction, ça peut la mettre mal à l'aise, elle peut ne pas avoir les outils, c'est du sexisme. Et en fait, mettre en scène une situation de ce type en disant on va la rejouer et on va la rejouer au prisme de la personne qui a vécu ça comme une situation de violence ou de difficulté personnelle, et après... Une fois que ça a été bien remontré à tout le monde, la sociologie peut dire, voilà, moi en fait ce que je qualifie de sexisme, ce n'est pas des choses énormes, ce n'est pas des atrocités misogynes, ça peut juste être ça. Et on peut le qualifier en prenant acte de l'absence d'intention de nuire, mais ça n'empêche pas que l'absence d'intention de nuire peut provoquer des nuisances dans la pratique professionnelle ou dans les situations de travail.

  • Frédéric Vuillod

    C'est très éclairant. Merci beaucoup Louise Lacoste.

  • Louise Lacoste

    Merci beaucoup de parler de ce sujet qui nous tient très à cœur. Enfin, en tout cas, moi, me tient vraiment très à cœur.

  • Frédéric Vuillod

    Et merci beaucoup, Odile Rosset, directrice de l'association Carton Plein.

  • Odile Rosset

    Merci beaucoup à vous.

  • Frédéric Vuillod

    C'était Ville solidaire, Ville durable. Vous pouvez retrouver cet épisode et tous les autres sur toutes les grandes plateformes de podcast, sur le média de l'économie sociale et solidaire Mediatico.fr et sur le site internet de la Fondation des solidarités urbaines, fondée par les bailleurs sociaux Paris Habitat, la RIVP et Elogie-Siemp, Aximo, l'Habitation confortable et l'Habitat social français. A bientôt !

Description

Odile Rosset, directrice de l’association Carton Plein et Louise Lacoste, doctorant.e en sociologie à l‘IDHES (Institutions et Dynamiques Historiques de l’Économie et de la Société) de Paris Nanterre, racontent leur recherche-action menée sur le dispositif Premières heures.

Au micro du journaliste Frédéric Vuillod, on découvre ce dispositif mis en œuvre chez Carton Plein comme dans une vingtaine d’autres associations parisiennes pour proposer un parcours d’insertion aux personnes en situation de grande précarité, et plus particulièrement les personnes à la rue.

Odile Rosset et Louise Lacoste expliquent comment la recherche-action portée par Carton Plein a permis de mieux comprendre les enjeux et les effets du dispositif, en particulier sur le lien social et la confiance en soi, et en retirer ainsi des enseignements et des bonnes pratiques dans le cadre d’un parcours de réinsertion.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Frédéric Vuillod

    Le monde associatif expérimente et étudie des solutions au cœur de la ville pour améliorer la vie des habitants. Souvent très riches d'enseignements, ces solutions méritent d'être partagées. Je m'appelle Frédéric Vuillon, je suis journaliste et je pars à leur découverte. Vous écoutez Ville solidaire, ville durable, le podcast de la Fondation des solidarités urbaines, le laboratoire des bailleurs sociaux de la ville de Paris, qui offre ici un espace de partage d'expérience aux projets qu'elle soutient. Aujourd'hui, nous sommes avec Odile Rosset, directrice de l'association Carton Plein, qui accompagne vers l'emploi des personnes en situation d'exclusion, avec notamment de la collecte de cartons et de la logistique à vélo. Bonjour à vous, Odile Rosset. Bonjour. Et puis, nous sommes avec Louise Lacoste, qui est doctorante en sociologie à Paris-Nanterre. Et pour sa thèse, elle a été en immersion justement chez Carton Plein. Bonjour, Louise Lacoste.

  • Louise Lacoste

    Bonjour.

  • Frédéric Vuillod

    Alors, on va se tourner d'abord vers vous, Odile Rosset, parce que chez Carton Plein, vous avez choisi de mener un travail de recherche-action, donc de travailler avec une chercheuse. Sur cette question de l'insertion par le travail des personnes sans domicile, en quoi consistait sur le terrain cette recherche-action et quel était le lien avec un dispositif qu'on appelle premières heures et que vous allez nous expliquer ?

  • Odile Rosset

    Oui, alors je vais peut-être commencer par ça parce que c'est effectivement un dispositif qui est peu connu du grand public. Donc c'est un dispositif qui s'est construit à côté de tout ce qui se passait en termes d'insertion, de chantier d'insertion, entreprise d'insertion, avec un constat assez facile, assez simple qui était... que ces dispositifs produisaient des résultats intéressants de retour vers l'emploi, mais laissait de côté certaines personnes, et notamment des personnes en situation de grande précarité, particulièrement les personnes à la rue, pour qui le temps plein ou le quasi-temps plein était inaccessible. Quand vous vivez dehors, ça paraît assez simple que venir bosser 35 heures par semaine, avoir la disponibilité d'esprit, la force physique, etc., ça paraît un peu compliqué. Voire même à mi-temps. Il fallait créer à cette époque-là des dispositifs atypiques, trouver des mécanismes administratifs et juridiques qui permettaient de faire ça dans le cadre légal. Mais c'est quand même quelque chose qui était déjà expérimental sur des contrats de très faible volume horaire. Quand on parle de faible volume horaire, ça peut vouloir dire venir travailler trois heures par semaine et puis après six heures, on est sur des tout petits volumes de réamorces.

  • Frédéric Vuillod

    Ce qui est complètement dérogatoire au droit du travail. C'est pour ça qu'il fallait un dispositif très particulier.

  • Odile Rosset

    D'autant plus à l'époque où les chantiers d'insertion n'avaient pas le droit de signer des contrats de travail en dessous de 20 heures par semaine. Et donc d'emblée, on a été dans cette expérimentation, dans ce test. Il y a eu ce modèle-là, mais il y en a eu d'autres. Et donc il y a eu ces défrichages, ces tests menés par des associations qui étaient dans la sphère de l'insertion ou non. Et du coup, d'emblée, il y a eu cette envie de se retrouver entre associations, d'avoir des espaces de... d'échanges sur les pratiques, sur ce qu'on faisait, sur ce qui était bien moyen, etc. et d'analyser. Et du coup, cette notion d'évaluation est arrivée relativement vite. Sur Paris, par exemple, Carton Plein avait embauché une collègue, Laure, qui avait notamment dans ses missions d'animer ce collectif des associations qui portaient le DPH, le dispositif Premières Heures parisien. Et donc tout ça, les envies de Louise de se projeter sur une thèse, les besoins des acteurs sur mieux documenter, mieux savoir ce qu'on faisait. peut-être réorienter aussi le dispositif pour peut-être un jour le pérenniser dans une forme ou une autre, ont amené à ce projet de recherche-action.

  • Frédéric Vuillod

    Concrètement, ça veut dire quoi pour le public que vous accompagnez chez Carton plein ? Vous avez donc des personnes en grande exclusion qui venaient travailler deux heures, trois heures par jour pour faire quoi ? De la collecte de carton, de l'emballage, du transport, du déménagement ?

  • Odile Rosset

    Alors, il faut vraiment que les activités soient accessibles. Il ne faut pas que ce soit une barrière. Le principe, c'est des activités simples, facilement appropriables, pour qu'il n'y ait pas vraiment de recrutement sur des compétences. Les personnes d'un carton plein viennent d'une part parce qu'elles sont à peu près dans les cases des dispositifs, mais surtout parce qu'elles ont envie de venir. Et du coup, il n'y a pas de sélection à l'entrée sur les compétences, les aptitudes, les expériences passées, etc. Donc c'est vrai que la filière carton est assez intéressante pour ça, parce qu'elle est très simple. Elle est mine de rien assez variée, parce qu'on développe tout un tas de produits autour du carton. N'importe quelle personne, quelle que soit sa forme physique, quelle que soit sa forme psychique, peut avoir des tâches très simples et du coup peut travailler sans se mettre en échec. Et effectivement, on propose un peu de cyclo-logistique autour, si la personne en a envie, si la personne se sent capable. Et c'est vraiment ça qui est intéressant dans le dispositif Premières Heures, c'est qu'il n'y a aucune pression sur la production. Si vous pouvez travailler ce jour-là, c'est génial. Si vous ne pouvez pas travailler, ou si vous ne travaillez pas très vite, ou si vous travaillez de manière peu efficace, ce n'est pas très grave.

  • Frédéric Vuillod

    Alors Louise Lacoste, est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur le volet recherche de ce projet ?

  • Louise Lacoste

    Moi j'ai commencé à faire de la recherche avec Carton Plein en 2019 parce que j'ai fait mon stage de fin d'études dans l'association et très vite il a été possible de formuler des propos assez critiques sur certaines pratiques ou certains fonctionnements associatifs qui ont été en fait très bien reçus, ce qui a donné lieu à la co-élaboration de mon sujet de thèse. Parce que moi je travaillais pour mon stage que sur Carton Plein et on a eu l'envie, avec Laure dont parlait Odile tout à l'heure, qui a été... Avec Carton plein dès 2017 sur la question du collectif et de l'évaluation, on a eu envie de mener une recherche un peu plus vaste sur le dispositif Premières Heures et pas que à Carton plein mais un peu sur comment ça fonctionnait, comment ça se déployait dans d'autres structures aussi, à Paris, en Ile-de-France et plus tard ailleurs en France. L'envie qu'on a eue en fait c'est de pouvoir porter une recherche qui puisse traiter de tous les niveaux du dispositif. En fait la grande richesse... du projet c'est que ce dispositif n'avait jamais été évalué parce que moi quand je suis arrivé avec mon projet de thèse on était en fin 2019 début 2020 et il a été expérimenté fin 2009 début 2010 ce dispositif d'abord par Emmaüs Défi et donc un dispositif qui avait dix ans d'existence et qui n'avait jamais été évalué c'était une manne de projets de recherche et de perspectives sociologiques très stimulantes et donc on s'est dit on va travailler sur en fait on voulait partir des salariés en insertion, pour comprendre en quoi ce dispositif les aidait à avancer dans leur quotidien, avancer dans leur vie professionnelle, avancer dans leur vie relationnelle également, et aussi avoir une perspective vraiment de recherche et pas que d'évaluation pour nommer les dysfonctionnements, parce qu'une perspective sociologique se permet d'avoir un regard le plus objectifant, le plus neutre possible, et donc aussi de prendre en compte l'intégralité des enjeux, y compris les choses qui fonctionnent moins bien. Et donc, La plupart du temps, les dysfonctionnements dans les dispositifs d'insertion ou d'action publique, ils ne viennent pas de l'action des structures, mais de la manière dont sont conçus, financés, portés les dispositifs par l'action publique. Donc il y avait cet enjeu très fort d'aller regarder plusieurs structures, plusieurs manières de faire, en reliant tout ça, dans une logique comparative, à la question du financement, la question du portage institutionnel de ces dispositifs, et avec un peu en question centrale, en fil conducteur de la recherche. Cette question de la filiation, de l'inclusion, du lien, avec lequel on a beaucoup collaboré avec la Fondation des Solidarités Urbaines, et cette question du lien et de l'inclusion, elle est très importante dans ce dispositif.

  • Frédéric Vuillod

    Alors très concrètement, comment vous vous y êtes prise pour mener cette recherche-action ? Vous avez commencé par quoi et comment vous avez mené votre barque ?

  • Louise Lacoste

    À mon arrivée, j'étais déjà identifiée par plusieurs structures du DPH parisien parce que j'avais déjà fait un stage à carton plein. Et on avait pendant, il y a eu tout un laps de temps de quasiment un an entre la fin de mon stage et le début de ma thèse, où on est allé déjà ouvrir mon terrain, c'est comme ça, en langage sociologique, ouvrir un terrain, ça veut dire trouver les acteurs et actrices qui acceptent de collaborer à l'enquête.

  • Frédéric Vuillod

    Ils étaient combien ?

  • Louise Lacoste

    En fait à Paris, je suis allée voir 16 des associations qui portent le dispositif Premières Ordres, donc les structures accueillantes, 5 associations intermédiaires qui sont dans le montage un peu particulier du dispositif, les employeurs. des salariés en insertion. Et plus tard dans la thèse, dès 2021, on a également intégré le dispositif Alto-Cecané à la recherche et à la recherche Action.

  • Frédéric Vuillod

    Dans le département des Hauts-de-Seine ?

  • Louise Lacoste

    Exactement. Et là, j'ai enquêté auprès majoritairement de trois associations. Et encore un peu plus tard, en 2022, je suis allée enquêter dans deux structures à Lyon et à Brive-la-Gaillarde pour avoir une perspective un peu à l'échelle du territoire. Et donc très concrètement, et surtout à Paris, ce qui s'est passé en fait c'est qu'on a animé des réunions régulières d'analyse de pratique et de mise en commun des interrogations et des enjeux portés par les associations autour du dispositif. On a trouvé des solutions intermédiaires, de mise à disposition de résultats intermédiaires par un rapport que j'ai produit et qui se nourrissait de toutes ces réunions d'analyse de pratique et d'aller-retour avec le terrain, mais aussi de deux outils qui ont été super... Enrichissant pour la recherche-action, c'est deux journées de co-formation qu'on a co-animées avec ATD Quart Monde en juin 2021 et plusieurs ateliers de théâtre forum qui ont été animés par moi et une amie comédienne, Chloé Dufresne, de juillet 2021 à avril 2023. Et donc on a rencontré plusieurs salariés en insertion et plusieurs intervenants sociaux et intervenantes sociales autour de la pratique du théâtre forum pour avoir un peu cette envie de redistribuer, repartager certains apprentissages issus de la recherche.

  • Frédéric Vuillod

    Alors on ne va pas attendre la publication de votre thèse pour en savoir plus, on va vous demander directement qu'est-ce que votre travail a révélé sur l'impact du dispositif Premières Heures et sur son rôle dans la lutte contre l'isolement des personnes en situation de grande exclusion.

  • Louise Lacoste

    Ce que le travail de recherche action a pu montrer, démontrer, c'est des choses assez de l'ordre relationnel. Moi, je n'ai pas fait une enquête statistique très poussée. En fait, j'ai fait une enquête statistique à l'échelle de carton plein. Il y a notamment un résultat assez fort, c'est que si on regarde les personnes qui dormaient dehors, qui étaient sans abri strictement, sans aucune solution d'hébergement, même d'urgence à leur entrée dans le dispositif premières heures à carton plein, 50% des personnes ne sont plus à la rue à leur sortie du programme. Ce qui ne dit rien évidemment de la qualité et de la pérennité des situations d'hébergement qu'elles ont pu retrouver, mais ce qui montre l'effet du dispositif sur la situation d'errance. Donc ces recherches qualitatives, ce qu'elles ont montré, c'est à quel point les salariés en insertion sont attachés au dispositif, au lien social qui y est créé, et à quel point ça les aide dans leur sentiment d'affiliation sociale, dans leur confiance en soi, en les autres, et peut-être même plus largement. leur intégration à la société et ça nourrit beaucoup leur capacité à entrer en relation et à travailler en collectif. Et après il y a des effets plus intermédiaires de capacité à gérer un budget, capacité à être reconnue comme personne utile, ce qui est un peu malheureux mais le travail aujourd'hui est encore un des vecteurs du sentiment d'utilité. Et ça c'est très fort dans ce dispositif.

  • Frédéric Vuillod

    Odile Rosset, qu'est-ce que nous dit Louise Lacoste ? réveille chez vous ? À quoi ça fait écho ? Est-ce que vous avez le même ressenti, le même vécu de cette expérimentation ?

  • Odile Rosset

    Alors oui, forcément. Et c'est bien l'intérêt d'une recherche à action, c'est qu'on était ensemble et que le théâtre forum dont tu as parlé, Louise, ça a été un moment un peu charnière dans la recherche à action, même si, vous l'avez compris, il y a une histoire antérieure à la recherche à action. Donc Louise savait très bien ce qu'on faisait, Carton plein savait très bien ce que faisait Louise, mais n'empêche qu'à partir du moment où c'est devenu sociologique, il y a forcément quelque chose qui se... qui s'éloignent un petit peu entre l'objet terrain et l'objet théorisation ou analyse. Et le Théâtre Forum a permis vraiment de rallier, de réconcilier, le terme est un petit peu fort, mais vraiment de rapprocher les deux aspects et de mettre des mots aussi sur des réalités terrain. Donc tout ce que Louise dit aujourd'hui, on le comprend bien. Ce n'est pas forcément des mots qu'on utilisait, mais par exemple la réaffiliation, c'est quelque chose dont on parle beaucoup maintenant. On trouve que c'est vraiment le concept qui parle très bien de ce qu'on vit au quotidien. Il y a vraiment cette notion, ce qu'on essaye de vivre à carton plein, et qu'on travaille beaucoup avec des notions de convivialité, par exemple, on est dans un cadre de travail, c'est évident. C'est par là que la relation se crée. Donc c'est très intéressant parce qu'elle est relativement peu descendante. Ce n'est pas un travailleur social ou une travailleuse sociale qui reçoit quelqu'un pour faire parler de ses problèmes, et je ne mets aucun jugement de valeur là-dessus. On est au travail, donc on a ensemble des... des problématiques liées au travail, on doit ensemble préparer une commande pour un client, tout ça annule un peu les différences. Alors évidemment, pas complètement, on n'est pas complètement avec le même contrat, on n'a pas complètement le même salaire, on n'a pas évidemment les mêmes vies privées, mais cette notion de travail est assez intéressante pour créer la relation. Et du coup, pour se réaffilier, effectivement, il faut se sentir faire partie prenante de quelque chose. Et à Carton Plein, on joue beaucoup là-dessus, et jouer au sens levier. Parce qu'effectivement, se sentir à nouveau faire partie d'un collectif, être en capacité à nouveau de parler à quelqu'un, de se sentir faire partie d'un groupe, de se projeter, etc. On voit bien les impacts que ça a sur la confiance en soi et sur une capacité de se projeter à nouveau dans, et là ça appartient aux personnes, dans un travail, dans une prise en considération de ces problématiques de santé, etc.

  • Frédéric Vuillod

    Toutes les deux, vous avez des souvenirs particuliers, des images, des mots-clés, des petites phrases qui vous auraient marqué, que vous voudriez nous livrer ici ?

  • Odile Rosset

    Là, on se regarde toutes les deux. Ce qui restait très fort pour moi, c'est ma première arrivée à Carton Plein. Oui, effectivement, on ne sait pas très bien comment... Moi, je n'ai pas su exactement comment me comporter. On se fait tout un monde, toute une théorie, en se disant, ça va être des personnes à la rue, qu'est-ce que je vais leur dire, comment je vais me comporter, etc. Et en fait, quand on arrive là, c'est ce truc de... C'est un cadre de travail, donc en fait, c'est classique. C'est des collègues. Donc c'est pas une personne à la rue, ou c'est pas je n'ai pas la même vie, je ne sais pas ce qu'elle vit, elle ne sait pas ce qu'elle vit, ce que je vis, et on ne sait pas très bien quoi se dire, on est collègues, et donc ça nous rapproche. Et je me souviens de ma première arrivée où il y avait Joseph, qui était en train de dormir en plein milieu de l'atelier, c'était le moment de la pause, et voilà je me suis dit bon qu'est-ce qu'on fait ? Et en fait très vite après, on a bossé ensemble et ça a fonctionné. Et donc je trouve que c'est, pour moi c'est vraiment le témoin de la force de ce dispositif-là, vraiment la remobilisation par le travail. Ce n'est pas en discours, c'est en acte. Et l'intérêt d'une collaboration comme celle qu'on a eue avec Louise, c'est quand même de documenter un peu cette mise en pratique.

  • Frédéric Vuillod

    Louise, un souvenir particulier ?

  • Louise Lacoste

    Je pense que quelque chose, moi, qui m'a vraiment marquée... Plus comme événement que comme souvenir précis, c'est le moment au bout d'un an de recherche-action où il y a quelque chose qui s'est aligné entre... Je ne saurais pas le dire autrement. Moi, ce qui m'a marquée, c'est la facilité à partir du moment où on a appris à parler un langage commun, à avancer ensemble en venant de perspectives professionnelles tellement éloignées.

  • Frédéric Vuillod

    Louise, est-ce que les résultats de cette recherche-action ont soulevé d'autres questions ou d'autres réflexions ?

  • Louise Lacoste

    Il y a deux choses qui sont encore à penser très fortement pour moi. La première chose qui reste à penser dans ces dispositifs, c'est la prise en compte de la dimension genrée de l'accompagnement et la prise en compte de la place particulière des femmes face à l'emploi et particulièrement des femmes sans domicile. Parce que ce que cette recherche a montré, c'est qu'il y a une forme d'impensée du genre dans la création de la politique publique. On ne pense pas à une place particulière aux femmes dans ces dispositifs d'insertion. Sauf qu'elles sont spontanément un peu moins facilement ciblées par les associations d'accompagnement social des personnes à la rue, et donc moins recrutées, et il faut un accompagnement très volontariste, ce qui demande un temps, ça demande une énergie folle, ça c'est quelque chose qui reste à creuser. La deuxième chose, ce serait la difficulté à penser le travail en dehors de l'emploi, et à penser notamment le quotidien de travail des personnes à la rue en dehors d'un cadre salarié. Parce que faire la manche, faire ses papiers, être en relation, ne pas sombrer dans la folie quand on est sans domicile, moi j'appelle ça du travail en tant que sociologue, du travail reproductif, d'entretien de sa propre vie. Et c'est un travail à plein temps, de survivre à la rue. Et le dispositif Premières Heures vise à faire travailler des personnes dans un retour à l'emploi. Et s'il n'y a pas de retour à l'hébergement pérenne pendant le dispositif, le retour à l'emploi il est impossible parce qu'on ne peut pas retourner à l'emploi quand on a déjà un plein temps. Donc il y a l'articulation travail-logement qui est à repenser, et notamment la prise en compte par les pouvoirs publics et les structures d'accompagnement social de ce que c'est le travail en dehors de l'emploi dans la vie des personnes sans domicile.

  • Frédéric Vuillod

    Odile, quelle suite prévoyez-vous à cette recherche-action ?

  • Odile Rosset

    Alors on y est déjà, la couture s'est faite pendant la présence de Louise, et c'est ce que tu as dit un peu rapidement tout à l'heure, et ce qui est intéressant je pense pour une recherche-action réussie, c'est qu'il y ait des jalons. un peu au fur et à mesure du parcours. Et nous, il y a eu des répercussions depuis ton passage avec nous. Tu as évoqué par exemple le fait d'analyser sous le prisme du genre ce dispositif premières heures, ces impensées, etc. Ça, clairement, c'est un des aspects qui a eu le plus de conséquences pratiques chez nous, avec le fait d'ouvrir un peu nos yeux sur ce que toi, tu as appelé la violence sexiste en milieu ordinaire, qui n'est pas de l'ordre du pénal, mais toutes ces petites choses au quotidien. Et en fait, bien évidemment, la main sur le cœur, on se dit mais non, mais chez nous, il n'y a pas de ça. Mais en fait, il y a forcément un peu, parce qu'on reproduit toutes et tous un peu les schémas sans le vouloir, etc. Donc, le fait qu'on ait une certaine forme de lucidité, qu'on ait pris le sujet en main, qu'on se soit rendu compte que si on n'avait pas une stratégie d'action assez volontariste sur le sujet des femmes, en fait, il n'y avait pas de femmes dans nos ateliers. Si on ne fait rien, il y a 100% d'hommes. Donc, on est parti de 15% de femmes. Aujourd'hui, on est plutôt à 40-45% de femmes, ce qui est un peu au-delà de la représentation des femmes dans les personnes à la rue. Donc ça, c'est pas rien. Donc ça a créé des partenariats nouveaux. On a été chercher des partenariats nouveaux aussi, avec des structures spécialisées qui vont chercher les femmes, notamment les femmes célibataires et sans-enfants, qui sont les plus invisibles dans la rue. On a créé des nouvelles formations, on diffuse des nouvelles formations internes sur le sexisme. On a pérennisé dans le temps des demi-journées d'accueil en non-mixité, pour qu'une fois par semaine, il ne s'agit pas de créer un état dans l'état ou un microcosme particulier, mais qu'il y ait cet espace. le mardi après-midi où ce ne sont que des femmes qui sont accueillies à carton plein. Et en fait, on a remarqué qu'en mixité, c'était souvent les hommes qui s'affectaient sur les missions en premier et restaient les tâches plutôt dans l'atelier. Et là, effectivement, quand il n'y a que des femmes, il faut faire tout et c'est un autre jeu qui se joue. Après, il y a d'autres choses évidemment qui se jouent, mais ça, c'était quelque chose de très concret et qui est aujourd'hui dans le quotidien récurrent et plus du tout questionné de l'association.

  • Frédéric Vuillod

    Alors, on entend le plaisir que vous avez. parler, la fierté aussi d'avoir mené ce travail de recherche-action. Est-ce que vous auriez un conseil pour les porteurs de projets qui souhaiteraient se lancer eux aussi dans une recherche-action et qui voudraient travailler avec un chercheur ?

  • Odile Rosset

    D'y aller. Vraiment, sans aucune réserve. C'est hyper intéressant d'avoir quelqu'un qui soit de ce côté un peu dedans-dehors, évidemment très dedans parce qu'au quotidien avec nous, très sachante, etc. Mais cette capacité et cette fiche de poste faites pour. Parce qu'on pourrait se dire, ça fait partie aussi de nos jobs de lever la tête du guidon et de regarder un peu ce qui se passe. On n'est pas complètement formé pour et puis en fait ça ne marche jamais. Là, c'est quand même quelqu'un qui avait du temps pour ça. Et aussi, je ne sais même pas si je te l'ai déjà exprimé, mais moi je suis assez frappée de la reconnaissance aussi pour la structure que ça a apporté. Ça amène des nouveaux partenariats. Le partenariat avec la Fondation des Solidarités Urbaines s'est fait autour de ce projet de recherche. Il y en a eu d'autres, la Fondation du Crédit Coopératif. Tu as fait venir des personnes de la recherche, des personnes, enfin, la personne comédienne que tu citais tout à l'heure, etc. Enfin, c'est des gens qu'on n'aurait pas forcément vus. Donc, ça fait venir du monde dans le projet. Ça permet d'ouvrir les portes et de croiser des mondes et des regards. Et c'est vraiment hyper enthousiasmant avec juste le petit conseil d'être OK sur le fait que ça fasse bouger des lignes. Enfin, sinon, ça n'a aucun intérêt.

  • Frédéric Vuillod

    Louise Lacoste, si vous deviez retenir une seule chose de ce projet, ce serait quoi ?

  • Louise Lacoste

    Le Théâtre Forum. qui est donc une pédagogie du théâtre de l'opprimé qui consiste à mettre au travail un sujet lié à une oppression. et a animé une discussion autour de la mise en scène de cette oppression. Ça, c'était l'élément qui a fait déclic, parce que je parlais tout à l'heure de ce moment où tout s'est aligné et où on a parlé le même langage. Et le Théâtre Forum a permis qu'on parle le même langage avec carton plein et la sociologie. Parce que, moi je vous dis qu'à mon sens, il y a du sexisme ordinaire qui se déroule dans la structure. Je prends cet exemple-là parce qu'il est assez frappant. Par exemple... S'il y a un repas collectif, il y a un salarié en insertion qui vient draguer une service civique, ou lui parler de manière avec des intentions pas forcément très claires sur son intention ou pas d'être dans un rapport de séduction, ça peut la mettre mal à l'aise, elle peut ne pas avoir les outils, c'est du sexisme. Et en fait, mettre en scène une situation de ce type en disant on va la rejouer et on va la rejouer au prisme de la personne qui a vécu ça comme une situation de violence ou de difficulté personnelle, et après... Une fois que ça a été bien remontré à tout le monde, la sociologie peut dire, voilà, moi en fait ce que je qualifie de sexisme, ce n'est pas des choses énormes, ce n'est pas des atrocités misogynes, ça peut juste être ça. Et on peut le qualifier en prenant acte de l'absence d'intention de nuire, mais ça n'empêche pas que l'absence d'intention de nuire peut provoquer des nuisances dans la pratique professionnelle ou dans les situations de travail.

  • Frédéric Vuillod

    C'est très éclairant. Merci beaucoup Louise Lacoste.

  • Louise Lacoste

    Merci beaucoup de parler de ce sujet qui nous tient très à cœur. Enfin, en tout cas, moi, me tient vraiment très à cœur.

  • Frédéric Vuillod

    Et merci beaucoup, Odile Rosset, directrice de l'association Carton Plein.

  • Odile Rosset

    Merci beaucoup à vous.

  • Frédéric Vuillod

    C'était Ville solidaire, Ville durable. Vous pouvez retrouver cet épisode et tous les autres sur toutes les grandes plateformes de podcast, sur le média de l'économie sociale et solidaire Mediatico.fr et sur le site internet de la Fondation des solidarités urbaines, fondée par les bailleurs sociaux Paris Habitat, la RIVP et Elogie-Siemp, Aximo, l'Habitation confortable et l'Habitat social français. A bientôt !

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