- Audrey
Bonjour et bienvenue sur 1, 2, 3 français, le podcast des parents expatriés. Je m'appelle Audrey, je suis franco-allemande et je vis en Allemagne depuis 15 ans. Je suis maman de deux enfants nés en Allemagne et qui grandissent avec deux langues, l'allemand et le français. Je suis professeure de français langue étrangère et langue maternelle. En 2022, j'ai lancé les Franco-Expat pour permettre aux enfants francophones de Cologne et de l'étranger de garder un lien actif avec la langue française ainsi qu'avec la culture francophone. Aujourd'hui, je lance le podcast 1, 2, 3 français afin de donner la parole aux parents expatriés sur leur expérience de l'éducation bilingue au quotidien de leurs enfants. J'accueillerai aussi des professionnels qui apporteront des conseils et donneront des idées pour soutenir ces familles expatriées. Bonne écoute ! Aujourd'hui, j'ai le plaisir d'accueillir Leïla, maman française qui vit en Allemagne et qui va nous parler de son expérience avec ses deux enfants. Ils sont tous les deux nés en Allemagne et donc ont appris à parler français avec leurs deux parents qui sont tous les deux français. Bonjour Leïla.
- Leila
Bonjour Audrey.
- Audrey
Alors, est-ce que tu peux te présenter un petit peu ?
- Leila
Oui. Alors, je m'appelle Leïla Labatt, j'ai 40 ans. Je vis en Allemagne depuis 15 ans, dans un petit village dans le nord de la Bavière. J'ai trois enfants, deux grands-enfants qui ont 11 et 8 ans, et une petite dernière qui a 3 ans. Et voilà, mes trois enfants sont nés en Allemagne. Et voilà, le papa et moi sommes tous les deux français.
- Audrey
D'accord. Et donc, tes enfants ont grandi dès le début de manière bilingue. le français et la langue.
- Leila
C'est ça.
- Audrey
Alors, aujourd'hui, c'est notre sujet. Comment s'est passée cette transmission de la langue française à tes enfants ?
- Leila
Alors, pour nous, ce qui était très important, c'est que nos enfants soient à l'aise dans les deux langues. Donc, on a essayé de les mettre dans les bonnes conditions pour qu'ils puissent, en tant qu'enfants étrangers, parce que ça, on ne l'oublie jamais quand on est finalement étranger. pour qu'ils puissent avoir une intégration la meilleure possible. Donc, par exemple, ça a été notre choix de mettre très rapidement nos enfants dans le groupe crèche du kindergarten. Normalement, en Bavière, surtout, les enfants restent longtemps à la maison avec les parents, jusqu'à leurs 3 ans, et après, on les intègre au kindergarten. Et nous, on a voulu les intégrer dès 12 mois pour qu'ils passent. des journées entières en n'entendant que de l'allemand, parce qu'à la maison, ils n'entendaient que du français. Donc pour nous, ça a été très important de surveiller ça. Ça a été notre souhait aussi d'inclure dans ce développement de nos enfants l'équipe du kindergarten, qui est une très bonne équipe pédagogique. Et on leur a dit qu'on aimerait beaucoup avoir des retours s'ils avaient l'impression que nos enfants... avaient parfois des difficultés de compréhension ou des difficultés à s'exprimer. On sait à quel point ça peut être parfois difficile pour un enfant d'exprimer quand il est en colère, quand il est frustré, quand il est... Donc on est toujours demandé de faire attention. Est-ce que c'est lié au développement de l'enfant ? Est-ce que c'est lié au fait que l'enfant ait du mal à exprimer ses sentiments ? Ou est-ce que c'est un problème de langue ? Et à ce moment-là, comment on peut agir ? Donc voilà, c'est pour nos trois enfants, on a essayé de mettre l'accent là-dessus. À la maison, on parle exclusivement français, sauf, et ça c'est une règle que mon mari et moi nous sommes imposées dès le départ quand on était en Allemagne même sans enfants, sauf quand nous avons des Allemands à la maison, même entre nous, même si c'est juste à table pour dire est-ce que tu peux aller me chercher du beurre dans la cuisine, on essaye de se parler entre nous même en allemand quand nous avons des invités allemands pour ne pas exclure. pour ne pas exclure les invités allemands, ou que les invités allemands se disent, oh là là, ils sont en train de parler en français, qu'est-ce qu'ils disent de moi ? Il y a quelque chose qui ne se passe pas bien. On essaie d'inculquer cette règle à nos enfants aussi, ce qui se passe très bien. Hier encore, j'en ai fait l'expérience dans la voiture avec ma fille. On revenait d'un match de corballes, et on avait sa copine dans la voiture, et ma fille et moi, on parlait de quelque chose, et on parlait en allemand, pour ne pas que la copine se sente exclue. Donc, voilà. un petit peu pour les accents que nous avons voulu mettre sur l'accompagnement de nos enfants sur ces deux langues. Et je dois dire que le kindergarten nous a vraiment facilité la tâche, parce qu'ils ont très vite compris notre projet, et pas nos angoisses, mais nos appréhensions par rapport à ça, le fait de devenir parent et le fait de vouloir que son enfant se sente bien. Et il y a eu quelques petites anecdotes ou quelques petites choses comme ça qui ont été très intéressantes pour nous. Notamment ma grande-fille qui, à l'âge de 4 ans et demi, je crois, était à une activité à table dans un groupe du Kindergarten avec une institutrice. Et elle faisait une petite activité. Ils étaient cinq enfants et elle. En attendant que d'autres enfants aient fini avec d'autres instituts leur activité, le groupe dans lequel était ma fille avait fini son activité en premier. Pour attendre les autres, l'institutrice leur a proposé de faire un dessin pour Félix, dont c'était l'anniversaire ce jour-là. Et donc elle a demandé aux enfants, « Möchtest du ein Geburtstag bild für Félix Marlen ? » Donc littéralement, est-ce que tu veux destiner une image d'anniversaire ? qui est Boots Tax Builds, image d'anniversaire pour Félix. Et ce mot qui, en français, comporte trois mots, en allemand, on entend « franquois » , et c'était un mot un peu compliqué. Donc les autres enfants ont dit tout de suite « oui, oui, oui » . Et ma fille est restée regarder l'institutrice un petit peu. « Bah non, moi je ne veux pas faire ça » . Et l'institutrice a distribué des feuilles et des crayons aux autres enfants qui ont commencé à dessiner. Ma fille s'est retrouvée toute seule là. Et donc elle a regardé l'institutrice, elle a dit « Attends, moi aussi je veux faire un dessin » . prostituées. ma fille, elle lui a dit, est-ce que tu veux faire un dessin pour Félix ? Parce qu'aujourd'hui, c'est son anniversaire. Et là, elle a compris. Là, elle a réalisé. Le mot « tax build » , donc deux mots réunis en un seul mot, elle n'avait pas compris en fait. Donc, elle s'est retrouvée en difficulté. Et je trouve que l'Institut 10 a merveilleusement bien réagi en se mettant à son niveau, en se disant, là, elle n'a pas compris, elle est frustrée, elle n'est pas bien parce qu'elle voit que les autres font un dessin, puis elle est là toute seule. Bon, ben oui, allez, je vais reformuler et puis je vais voir si elle a bien compris. Voilà, donc c'est pour ça que je dis que le kindergarten dans lequel ont été nos enfants était absolument fantastique. Mais voilà, c'est plein de petites choses comme ça, des années comme ça, j'en ai encore à la tête. Mais voilà, nous, on essaye de soutenir comme on peut et où les instits jouent un rôle très, très important aussi. Et en français, il y a des choses, oui, il y a des petites choses comme ça aussi. où nos enfants finalement ne comprennent pas certains mots en français et on est obligé de les traduire en allemand pour que nos enfants les comprennent.
- Audrey
Oui, surtout qu'il y a des mots en allemand qui, enfin moi je le sais par mes enfants, il y a des mots qui n'existent pas en fait en français. Donc voilà, il faut leur expliquer ce complément, ce système, ce concept qui est des fois, c'est vraiment compliqué à mettre des mots pour enfants en plus pour qu'ils comprennent.
- Leila
C'est ça. C'est aussi s'adapter à l'enfant. Et moi, dans les difficultés, alors ce n'est pas vraiment une difficulté, mais dans les questions que j'ai pu me poser aussi, c'est comment un enfant peut exprimer ses sentiments, ce qui est déjà pour un enfant pas facile, mais alors en plus, dans une autre langue, ce n'est pas forcément évident. Et moi, j'ai mes deux enfants qui ont, pareil, à l'âge du kindergarten, donc 3-4 ans, qui ne réagissent pas de la même façon. Notre grande fille, par exemple, Quand je suis allée la chercher au kindergarten, elle avait même pas 3 ans. Et elle passait la journée au kindergarten, j'allais la chercher vers les 14 ou 15 heures. Et en fait, j'étais enceinte de mon deuxième à ce moment-là, et à chaque fois que j'allais chercher Amina au kindergarten, on rentrait à la maison et ça se passait mal. Il y avait un quart d'heure, 20 minutes, parfois une demi-heure où ça se passait mal, où on pouvait rien faire, on pouvait pas commencer une activité. j'avais l'impression qu'elle était frustrée de tout en fait. Je pouvais vraiment lui demander enlève tes chaussures, mets tes chaussures, tu peux le faire toute seule, non tu veux que je le fasse avec toi. Bon je me disais ok elle a besoin de moi, elle a passé la journée au kindergarten, ça a peut-être été un peu long, je vais l'aider, elle a peut-être besoin d'un câlin, on va lire un livre. Donc j'ai essayé énormément d'activités comme ça et je me disais oh là là c'est parce que je suis enceinte, elle sent qu'il y a le bébé qui va arriver, elle me sent différente etc. Et en faites pas du tout. J'ai mis à peu près six semaines à comprendre que c'était entièrement de ma faute. Parce que quand je la cherchais au kindergarten, la cocotte, elle venait de se passer toute la journée en allemand. Et moi, je la cherchais au kindergarten. Et tout de suite, j'attaquais, même sur le chemin pour rentrer à la maison. Comment s'est passée la journée ? Est-ce que tu as bien mangé ? Est-ce que tu as joué avec ta copine ? Est-ce que tu as fait des beaux dessins ? En français ?
- Audrey
Oui, c'était votre livre.
- Leila
Mais oui, mais c'était d'une violence inouïe pour la conclure, parce qu'elle, elle avait passé toute sa journée en allemand, et moi, je l'assommais de questions en français, donc il fallait que son cerveau comprenne, « Oh là, je suis dans une autre langue, comment je peux lui raconter ça en français ? » Parce qu'elle me le demandait en français, donc il va falloir que je réponde en français. Et en fait, c'était… Et j'ai mis… Ça s'est passé mal pendant cinq à six semaines, et je ne savais plus quoi faire, parce que je voyais qu'elle n'était pas bien, en fait, et je ne savais pas comment l'aider. Et à un moment donné, je me suis dit, je ne vais rien dire en fait. Je vais juste la prendre au kindergarten, je ne vais rien lui dire, je vais la laisser s'exprimer, je vais la laisser, voilà, et on verra bien comment ça va se passer. Effectivement, on arrivait à la maison et elle faisait son truc en fait. Donc j'étais à côté, puis je la laissais dans sa salle de jeu, jouer avec ses poupées, tout ça, jusqu'à ce qu'elle vienne vers moi et qu'elle me dise « Maman, tu peux me lire un livre ? » ou « J'ai faim » ou « J'ai besoin d'un câlin » , tout ça, etc. Et naturellement, elle venait en français, alors parfois elle venait avec des petits mots allemands. Et là, elle s'est beaucoup plus apaisée. Mais en fait, je me suis dit, c'est incroyable pour les enfants de passer d'une langue à une autre comme ça. Et je me suis rendu compte que ce que je demandais à ma fille de 2 ans et demi, c'était finalement beaucoup trop. Ce n'était pas possible. Et encore maintenant, avec Amina particulièrement, donc maintenant, elle est au Gymnasium, elle est dans la 6e classe, ce qui correspond à la 6e française. Même encore maintenant, quand il y a quelque chose de particulier qui s'est passé à l'école, à table le soir, elle a envie de nous le raconter, elle commence à le raconter en français, et puis au bout d'un moment, elle baisse les bras, et elle lui dit, non, là, il faut que je vous le raconte en allemand, parce que je ne vais pas avoir les mots en français. Donc ça montre que, finalement, entre 2 ans et demi et 11 ans, oui, ça fait partie du développement normal de l'enfant, et que pour exprimer ses sentiments de quelque chose qui s'est passé à un moment donné, et qui s'est passé dans une langue, peut-être qu'il faut le restituer dans la même langue, finalement. Donc je trouvais ce processus assez... assez intéressant et de pouvoir trouver les armes pour la soutenir et de pouvoir réfléchir à ça et en tant que maman ce sentiment de frustration on l'a toutes pour tout qu'est-ce qui ne va pas, qu'est-ce que je fais mal comment je peux, voilà et en fait non des fois c'est juste, c'est juste, bah maman t'es trop quoi, t'es trop avec ton avec tes questions et peut-être que voilà peut-être qu'il faut freiner un peu là-dessus et et sur le Merci. Sur l'expression des sentiments aussi, mon fils qui a toujours eu beaucoup de mal à gérer sa frustration et qui parfois gérait sa frustration ou sa colère avec un... comment expliquer ça ? En se démembrant complètement, en partant dans des colères, même physiquement à tomber par terre et à pleurer. Voilà, c'est pareil, on se dit... Comment on va pouvoir gérer ça ? Ça se passait à la maison comme ça, ça se passait au kindergarten comme ça. Et j'ai eu une des institutrices du kindergarten qui m'a dit, mais est-ce que un petit peu d'orthophonie, ça ne lui ferait pas du bien, justement ? Moi, je n'avais pas l'impression qu'il avait un manque de vocabulaire par rapport à notre grande fille qui, elle, à 4 ans, on a commencé l'orthophonie parce qu'elle avait un champ lexical qui était très pauvre et une grammaire en allemand qui était très pauvre aussi. Et là, on sentait qu'il y avait vraiment des besoins. Et elle a fait 18 mois d'orthophonie. et ça lui fait du bien. Et autant pour Denoal, notre numéro 2, j'avais moins ce sentiment-là. Donc, à 5 ans, quand il avait 5 ans, on a quand même consulté une orthophoniste qui nous a dit, oui, effectivement, je vais faire un premier bilan et puis on va voir un petit peu. Et elle nous a dit qu'effectivement, ça avait plus un lien avec... l'organisation de ses sentiments et l'expression de ses sentiments et le fait de faire le tri à l'intérieur de moi entre ma colère, entre comment je peux l'exprimer, comment je peux réagir et pas forcément finalement le champ lexical. Donc on a fait de l'orthophonie avec elle et ça lui a apporté beaucoup de choses dans le fait par exemple d'associer des petites images à des petits sentiments. Ça c'était très important pour lui et très intéressant pour lui et on a continué à le faire à la maison en lisant des livres. Tiens, regarde le petit personnage là, comment il est, est-ce qu'il a peur, est-ce qu'il est triste, est-ce qu'il est content, tout ça, etc. Donc ça l'a un petit peu aidé à exprimer en français. Nous, on a pu lui apporter des sentiments aussi. Et c'était très intéressant parce qu'au Kindergarten, ils avaient, quelques mois plus tard, ils ont eu le même thème pour le fait de Kindergarten sur le livre de, comment elle s'appelle ? Anna Lenas, qui est une auteure espagnole, je ne sais pas si tu connais, qui... qui a écrit un livre il y a une dizaine d'années maintenant sur le monstre des couleurs.
- Audrey
Oui, oui, il est connu celui-là.
- Leila
Le monstre des couleurs, donc il y a toute la série, il y a le jeu aussi. Donc nous, on a fait la grosse boîte avec le jeu sur le monstre des couleurs, qui propose plein de petites activités comme ça pour aider à exprimer ses sentiments avec les bonbons. Et les livres sont absolument fantastiques. Donc ça, ça nous a bien soutenus aussi pour l'aider justement à exprimer ses sentiments. Et en parallèle au kindergarten, ça a été vraiment fantastique aussi. Mais c'est vrai que ce n'est pas facile. L'expression de ses sentiments pour un enfant, il faut pouvoir le soutenir en tant que parent. Et en plus, il faut trouver la bonne langue, il faut trouver le bon...
- Audrey
C'est ça, c'est ce que tu dis. C'est que de toute façon, les enfants, ils ont besoin de construire ces sentiments, de les reconnaître. Et c'est déjà difficile dans... la langue maternelle, on va dire, ou leur langue maternelle, s'ils sont dans des pays de manière générale bilingue. Et en plus, elle est exprimée dans les différentes langues. Surtout que pour nous, évidemment, c'est évident parce qu'on les connaît, mais en fait, on n'exprime pas tous les jours la peur ou des sentiments de manière générale. Il y a certains, on les exprime très rarement. Et du coup, l'enfant, ce n'est pas inné chez lui, il faut qu'il les apprenne. dans sa propre langue. Et puis en français, du coup, quand il grandit dans cette langue, donc en effet, utiliser des livres, utiliser même des jeux ou des films ou des trucs comme ça, c'est très bien aussi pour les aider à acquérir ce vocabulaire et du coup, ces sensations et pouvoir les exprimer ensuite dans toutes les langues qu'ils veulent.
- Leila
Exactement. Et puis, rester en échange permanent aussi avec le kindergarten. Et puis... Et puis voir, voilà, est-ce que c'est lié à la langue ? Est-ce qu'on peut agir dessus ? Comment on peut agir dessus ? Ou alors, est-ce que c'est lié à autre chose ? Mais c'est vrai que la question de la langue, de toute façon, et la question de la compréhension se posent toujours, parce qu'on voit bien comment ça a pu nous mettre, nous, en adultes, en difficulté, quand on est arrivé dans le permis, de se dire, oh là là, là, j'ai pas compris un truc, oh là là, là, je me suis exprimé bizarrement, mon interlocuteur ne m'a peut-être pas compris. et nous en tant qu'adultes on a les armes peut-être pour réagir. mais un enfant, il ne va pas l'avoir, ça. Donc, c'est important d'avoir le feedback du Kindergarten aussi, et puis des autres parents aussi, parfois. Aussi,
- Audrey
hein.
- Leila
Ou des autres enfants avec qui on peut rester en contact aussi, de voir, voilà, dans la gestion des petits conflits, ou même juste sur l'air de jeu, ou sur, voilà, quoi, c'est... Et d'être à l'écoute de ces enfants, surtout.
- Audrey
Oui, oui. J'enchaîne avec la question où tu as plus ou moins répondu, mais c'est justement comment, dans votre entourage allemand, donc au Kindergarten, les familles des amis, comment était vu ce bilinguisme ? Est-ce que vous vous êtes sentie soutenue ? Est-ce que plutôt c'était du rejet ? Comment est vu le bilinguisme chez vous, et notamment pour tes enfants, comment ça a été vu et accepté ou non ?
- Leila
Alors, je pense qu'en tant que parent... En tant que parent, c'est très important de transmettre à tes enfants comment toi tu gères ton bilinguisme aussi. C'est-à-dire que mon mari et moi ne sommes absolument pas fiers au niveau de la langue et on se laisse très facilement corriger. On a un très grand groupe d'amis ici à Schwannfeld, dans notre petit village de même pas 2000 habitants, donc tout le monde se connaît. Nous, c'est rigolo parce qu'on a intégré un groupe d'amis où les gens se connaissent depuis l'école maternelle. Donc c'est très rigolo, c'est très riche, c'est notre famille allemande maintenant depuis 15 ans. Et en fait, dès le départ, à ce groupe d'amis-là, on leur a toujours dit qu'on n'était pas fiers. Donc si je dis quelque chose, si je m'exprime et que tu ne me comprends pas ou que je fais des fautes de grammaire, s'il te plaît, corrige-moi. S'il te plaît, corrige-moi parce qu'il n'y a que comme ça que je peux progresser. Moi, je sais que je le fais beaucoup au travail aussi, je suis infirmière, donc la communication avec les patients, c'est extrêmement important. La communication dans les transmissions avec mes collègues, c'est aussi extrêmement important. Et il n'y a aucun moment où je me sens vexée parce qu'un collègue me dit « Ah, j'ai pas compris ce que tu viens de dire, tu ne peux pas le dire comme ça, Leïla, c'est un peu… » On n'a pas compris là, c'est pas… Voilà. Et c'est ce que j'essaie de transmettre à mes enfants aussi, c'est que quand il y a quelqu'un qui te corrige, c'est juste pour ton bien et c'est pour que ça te passe bien. Et nous, c'est comme ça qu'on le fait, c'est comme ça qu'on le vit aussi. nos amis et nos entourages voient notre bilinguisme vraiment comme une richesse et nous soutiennent vraiment là-dedans et soutiennent nos enfants aussi. On a la chance d'avoir dans notre entourage et dans notre groupe d'amis, dans notre petit village, deux copines qui sont orthophonistes, justement.
- Audrey
C'est pratique.
- Leila
C'est très pratique. Et donc, oui, ça enrichit ça aussi. On en parle beaucoup. On lit aussi beaucoup, on a lu beaucoup sur le sujet maintenant, un peu moins. Mais on a lu beaucoup aussi sur le sujet parce que c'est très important. Je pense que pour s'intégrer à la langue, il faut accepter qu'on te corrige, il faut accepter de pouvoir t'améliorer. Quand je suis arrivée en Allemagne, on m'a conseillé assez rapidement de trouver un tandem, c'est-à-dire un Allemand qui voulait améliorer son français. Et donc au bout d'un an, je crois, j'ai trouvé quelqu'un de très intéressant. qui est devenu un petit peu mon papa allemand parce qu'il était beaucoup plus âgé que moi maintenant, il est presque à la retraite. C'est vrai que il est très inclus même dans notre famille, nos enfants le connaissent, ils connaissent ses enfants aussi. C'était rigolo de voir et c'est très rigolo de voir pour nos enfants aussi comment lui parle français et comment parfois il nous pose des questions. il va nous raconter quelque chose en français ou il va nous faire parler de quelque chose en français. Et des fois il nous regarde et il nous dit « c'est correct » ou « je l'ai dit correctement » ou « j'ai pas fait de faute » ou « il n'y a pas un autre mot pour dire ça » . Le fait que nos enfants voient quelqu'un d'autre que nous se poser aussi cette question, mais du coup un peu en miroir, c'est-à-dire un Allemand qui pose des questions en français, alors au départ ça les faisait beaucoup rire et c'est génial en fait parce qu'il n'y a pas que nous déjà, c'est super et puis ça peut aller dans l'autre sens aussi. Et puis, ce n'est pas que les enfants, c'est aussi les adultes. Donc, je pense que tout le monde voit ça comme une richesse autour de nous et on est vraiment beaucoup soutenus. Et le fait justement de dire dès le départ, « Corrige-moi parce que là, ou alors je ne sais pas comment dire, ou alors il n'y a pas un mot pour ça. » Nos enfants font un petit peu la même chose. Oui, je trouve ça très riche.
- Audrey
Oui, c'est très chouette parce que c'est vrai que ce n'est pas tout le temps le cas. On entend souvent des expatriés. Moi aussi, j'ai eu des expériences où, si on ne connaît pas un mot, si on fait une faute de grammaire, c'est tout de suite vu comme quelque chose d'irréparable. Il faudrait avoir honte. Donc, c'est vraiment super qu'il y ait quand même une grosse majorité de gens qui sont très ouverts et qui vous ont donné ce sentiment et qui vous ont ouvert leurs portes. Et ça, c'est vraiment génial. Et pour les enfants aussi, comme tu dis, parce qu'ils voient ça. imitent, les enfants imitent les adultes, donc c'est vraiment super. Est-ce que, vers chez toi, ou de manière générale, est-ce qu'il y a des actions qui soutiennent aussi ces enfants ? Est-ce qu'il y a par exemple des cours, il y a des fois des groupes qui se retrouvent pour rassembler les enfants francophones ? Est-ce que sinon, il y a des cours en ligne ? Est-ce que vous, vous avez choisi une de ces actions pour pouvoir à soutenir le bilinguisme de vos enfants ? Par exemple, je pense qu'il y a beaucoup, à partir de 6-7 ans, il y a la question de savoir écrire, savoir lire qui se pose. Comment ça s'est passé ? Est-ce que vous avez fait appel à quelqu'un ? Est-ce que vous l'avez fait vous ?
- Leila
Je sais qu'à Würzburg, à 30 kilomètres, on connaît des familles aussi franco-allemandes qui ont des enfants. Je sais qu'il y a une famille qui a participé comme ça à un groupe. à Würzburg de quelqu'un qui faisait ça un petit peu bénévolement. C'était le samedi matin et nous le samedi matin on avait déjà des activités avec nos employés, d'une, et de deux voilà, il y avait quand même 30 minutes de route à faire pour aller jusqu'à ce groupe-là. Donc déjà ça, ça nous a freinés. Et ensuite on a surtout voulu nous mettre l'accent sur l'allemand. dès qu'ils sont rentrés à l'école, ou même avant, quand ils étaient en dernière année au kindergarten, on est resté fixé énormément sur l'allemand, parce qu'on s'est dit de toute façon, l'allemand ça va être la base de leur école, le français ils savent déjà le parler, s'ils choisissent de faire du français après, plus tard, quand ils seront au collège, on pourra agir à ce moment-là. Mais on ne leur a pas du tout apporté de base de grammaire. de vocabulaire, de les forcer à lire en français, etc. Moi, j'ai deux grands-enfants qui ont 11 et 8 ans. Ce sont des dévoreurs de livres. Ils sont parfois privés de livres parce qu'ils laissent du coup tout le reste de prémé à côté et ils sont affinés dans leurs livres. La pomme ne tombe jamais loin de là parce que je lis beaucoup aussi. Mais j'ai des enfants qui sont passionnés de lecture. Je pense que la meilleure amie de ma fille, c'est la libraire. Par contre, pour eux, lire en français, parce qu'évidemment, à chaque fois qu'on rentre en France, moi je m'achète une dizaine de livres que je vais lire pour les six prochains mois. Ça me donne une patrie. Et du coup, nos enfants viennent avec nous aussi. Il y a parfois des livres qui les intéressent. Mais du coup, ils ne vont pas les acheter parce qu'ils me disent « Non, je n'ai aucun plaisir à lire en français. » Alors là, la grande, ça commence un petit peu, mais c'est vraiment des tout petits romans. Et elle dit, mais non, c'est trop fatigant pour moi, j'ai aucun plaisir à lire en français. Et ça me demande une énergie de dingue. Et Denoal, qui a 8 ans, lui commence un petit peu à lire des petits livres à sa petite sœur de 4 ans. Alors, il sait lire en français, ce n'est pas le problème. Même les « en » , les « est-ce que je prononce le « t » à la fin, est-ce que je ne prononce pas le « t » à la fin ? » le E à la fin, etc. Il arrive à reconnaître le mot et du coup la lecture se passe finalement de manière très intuitive sans qu'on ait eu besoin de lui apprendre quoi que ce soit, comme c'est déjà un très bon lecteur en allemand. Mais ils nous disent... Non, on n'a aucun plaisir à lire en français, ça ne nous intéresse pas. Alors, quand on est chez les grands-parents en Bretagne, les grands-parents ont une collection d'Astérix et Obélix. Donc là, ils vont lire les Astérix et Obélix, mais au bout d'un moment, on voit bien que ça les fatigue. Donc, on voit qu'ils ne font que tourner les pages, donc ils ne regardent que les images, en fait, parce que ça les fatigue énormément. Donc, on n'a rien forcé à ce niveau-là. On a plutôt tout misé sur l'allemand, sur la grammaire allemande. sur écrire des textes, etc. Et je dois dire que les deux grands qui ont 11 et 8 ans ont un bon, voire très bon niveau en allemand. Avec le français, ça ne m'a pas stressée. Je n'ai pas du tout fait le forcing. Là, Amina, qui est en 6e, elle a commencé le français cette année. Donc, ça se passe très bien, évidemment. petit peu de mal au niveau de la grammaire, mais elle a un petit peu de mal en grammaire au niveau de l'allemand aussi. Je la soutiens dans les deux langues, j'ai essayé de lui faire comprendre que c'est un peu pareil dans les deux langues finalement. Mais ça se passe très bien. Parfois, c'est rigolo parce que quand elle a des listes de vocabulaire à apprendre, elle nous dit « c'est marrant, ce mot-là, je ne l'aurais pas écrit comme ça » .
- Audrey
Ah oui, surtout en français. Oui, en français,
- Leila
il y a des mots comme ça. « Ah, c'est marrant, je ne l'aurais pas du tout écrit comme ça » . C'est très rigolo. Mais voilà, donc on n'a pas fait le forcing parce qu'on s'est dit qu'on n'avait pas envie de leur mettre la tête, de leur remplir trop la tête et de les laisser d'abord gérer leur système scolaire allemand correctement avant de pouvoir introduire du français et qu'on pourrait introduire le français au moment où ils l'apprendraient à l'école. Donc voilà, après, ils ont des contacts avec d'autres enfants ici français, d'autres familles expatriées. et c'est très rigolo parce qu'ils correspondent dans les deux langues. Il y a une famille franco-allemande aussi, le papa est français, la maman est allemande. Et donc la maman parle allemand avec sa fille, le papa parle français avec cette petite Nina et nos filles ont quatre semaines d'écart. Donc elles ont vraiment grandi ensemble, vous voyez beaucoup au début. Et même encore maintenant, elles ont 11 ans toutes les deux. Quand elles sont à table avec nous, elles vont parler français. de sujets d'autres, comment ça se passe à l'école, etc. Et quand elles jouent ensemble, elles vont parler allemand. C'est leur petit monde à elles et on les laisse comme ça et voilà et c'est comme ça que ça se passe pour elles. Mais voilà dès qu'il y a un jeu, que ce soit un jeu de roule avec des poupées ou alors dès qu'il y a un jeu de société où elles se sont toujours beaucoup costumées, etc. ça va basculer en allemand et un table avec nous qui parlons français, ça va être en français quoi. Donc c'est incroyable cette capacité qu'elles ont.
- Audrey
C'est toujours fascinant chez les enfants, les petits qui traduisent, c'est génial, c'est une sacrée richesse.
- Leila
Oui, c'est assez impressionnant, oui.
- Audrey
Alors, je vais te poser une dernière question, tu en as déjà cité une tout à l'heure, mais est-ce que tu as une autre anecdote à nous partager sur justement ce bilinguisme et des fois des anecdotes de langues qui font des mélanges des deux langues, ou culturelles aussi des fois ? Alors des choses...
- Leila
Du bilinguisme, il y avait une chose très rigolote que m'a dit mon fils il y a quelques années. Il me demandait où dormaient les chevaux. Je lui dis que les chevaux dorment dans une étable, dans une écurie, on appelle ça une écurie en français. Du coup, je voyais qu'il ne comprenait pas le mot, donc je lui dis le mot en allemand, « Pferdestall » . Et du coup, il me dit comment ils font pour ne pas avoir froid la nuit, parce qu'ils dorment dehors, ils doivent quand même faire froid. Et je dis, du coup, ils ont des poils. Et en fait, je ne sais pas, il devait avoir 4 ans, donc peut-être le mot poil, c'est un mot qu'il n'avait jamais entendu. Et à la maison, on a un poil. Donc, il me dit, ah bon, il a des poils ? Mais comment ils font pour allumer le feu ? C'est des cheveux.
- Audrey
Ah, c'est génial.
- Leila
C'est juste exceptionnel de tout le monde comme ça.
- Audrey
Ça,
- Leila
c'est génial. Je me suis dit, ah là là, bon, finalement, entre le mot poil et le mot poil... Et oui. Il avait pas compris, il avait peut-être jamais entendu, il avait peut-être jamais fait le show. Pareil, il a fallu que je traduise le mot poil en allemand pour qu'il comprenne. C'était juste très mignon. Et ma fille nous en a fait une belle aussi, je pense que j'ai ri pendant au moins un quart d'heure. On était dans un autre village, elle était petite et il fallait qu'elle marche. Et ça montait. Et je lui dis, allez Mimi, tu t'inquiètes pas, ça va aller, regarde. Après le deuxième lampadaire, on est déjà arrivés à la maison. Et je vois ma fille qui s'arrête, qui regarde dans le ciel et qui me dit, mais... Où ça ? Des lapins d'air. C'est très mignon. Elle n'avait jamais entendu le mot lampadaire. Là où on est, il n'y a pas de lampadaire où on n'a peut-être jamais exprimé le mot. Mais le mot lampadaire, et de l'avoir regardé dans le ciel et cherché des lapins.
- Audrey
C'est génial.
- Leila
C'était juste exceptionnel. Et puis, le mot français comme ça, où on se rend compte que... Oui, tiens, c'est peut-être un mot français qui ne fait pas encore partie de son vocabulaire.
- Audrey
Mais oui,
- Leila
ouais. Et donc, c'est marrant parce que nous, en tant que... Enfin, notre réflexe, c'est de passer forcément par le mot allemand pour qu'ils comprennent. Parce qu'on se dit, peut-être que ce mot ou cette chose qu'elle n'a pas compris en français, peut-être qu'elle l'a déjà entendu en allemand. Et du coup, ils font « Ah ! »
- Audrey
Mais oui. Mais ça fait des belles anecdotes à raconter après, justement.
- Leila
Je les écris dans un petit carnet.
- Audrey
Ça, il faut les garder écrits, toi.
- Leila
C'est exceptionnel qu'on l'a vu comme ça, c'est juste fantastique.
- Audrey
Du coup, on a fini pour aujourd'hui, donc je te remercie pour ton témoignage. C'était vraiment très intéressant, je suis sûre que ça intéressera beaucoup de gens.
- Leila
J'espère que ça pourrait les soutenir aussi, parce que c'est vrai que parfois, on se sent un petit peu seul et ça fait du bien d'être dans d'autres familles comme ça.
- Audrey
C'est ça, je pense que c'est aussi le problème de beaucoup de familles, c'est qu'elles sont isolées, parce qu'il y en a de partout, pas que dans les grandes villes. C'est l'intérêt aussi de ce podcast, de rassembler un peu les familles virtuellement pour entendre d'autres familles se sentir moins seules dans cette expérience, cette aventure du bilinguisme.
- Leila
Et merci à toi en tout cas de faire ça, parce que ça va sauver beaucoup de gens.
- Audrey
De rien, et merci aussi. J'espère que cet épisode vous a plu, et je vous donne rendez-vous bientôt pour un nouvel épisode. N'hésitez pas à me partager en commentaire vos impressions et vos questions. A bientôt !