- Speaker #0
J'ai dit une complète tension émotionnelle, pas de la hargne. Essaye une fois encore, mais avec moi. Voilà, c'est ça. Et qu'est-ce que tu as senti en le faisant ? Eh bien, je pense que j'ai... Ne pense rien. Il faut sentir. C'est comme si tu voyais un doigt pointer en direction de la lune. Surtout, ne concentre pas ton attention sur le doigt, sinon tu passeras à côté de toute la splendeur céleste.
- Speaker #1
Quelques éléments de la philosophie de Bruce Lee dans cet extrait du film Opération Dragon. On va continuer de s'intéresser dans ce podcast à l'œuvre de cette figure populaire. On évoquera aussi l'héritage de Bruce Lee et ses accusations de racisme à l'encontre de Tarantino par rapport à son film Il était une fois Hollywood. Je vous dirai pourquoi ces accusations sont, selon moi, justifiées et pourquoi on fait le parallèle avec le film Rocky. Rocky, un film qui n'est rien d'autre qu'une revanche contre la domination sportive des afro-américains. Burn, Hollywood Burn, Bruce Lee face à l'Amérique Blanche, deuxième partie, c'est tout de suite sur 80 BPM. Bonjour, bienvenue dans 80 BPM, loin du stress des réseaux sociaux et des chaînes d'infos. A la fin de la première partie, on s'était arrêté au succès du film La Fureur du Dragon, avec cette raclée monumentale. et ô combien symbolique infligé à Chuck Norris. Hollywood s'apprête à reprendre contact avec Bruce Lee après l'avoir recalé et lui avoir volé son projet de série. Il faut comprendre que Bruce Lee, à l'époque, n'attend pas spécialement un coup de fil des Etats-Unis. Il est concentré sur cette nouvelle carrière qu'il a développée à Hong Kong en seulement trois films. Il boucle La Fureur du Dragon en juillet 1972 et commence le tournage de son nouveau long-métrage le mois suivant. Il s'agit bien entendu de Game of Death. le film qui aurait dû être son grand chef-d'oeuvre et sur lequel on s'attardera plus tard dans ce podcast. Donc Bruce Lee est essentiellement basé à Hong Kong, mais il garde le contact bien entendu avec son pays de naissance, les Etats-Unis. Il vit en partie sur la côte ouest. Ce qui est un peu paradoxal, c'est qu'il a été rejeté par les producteurs, mais qu'il est une véritable star dans le petit milieu d'Hollywood, notamment auprès d'acteurs et de réalisateurs tels que Steve McQueen et Roman Polanski. Il leur enseignait les arts martiaux, il a partagé avec eux sa connaissance de la philosophie orientale. Bref, ils sont tous... fasciné par le phénomène Bruce Lee. Hollywood, voyant arriver la mode des films d'art martiaux, prend donc contact avec Bruce Lee pour lui proposer de tourner un film avec eux, en langue anglaise, etc. Bruce Lee, qui avait initialement pour objectif de percer aux Etats-Unis, est ravi, mais il ne se jette pas automatiquement sur le projet. Il ne veut pas être seulement l'une des stars du film, mais la star du film. Il veut le rôle principal, comme dans les films qui viennent tourner à Hong Kong, et il veut que le projet soit construit autour de lui, comme ça se fait souvent avec les stars d'Hollywood. Cette condition est acceptée par les producteurs. Deuxièmement, il exige d'avoir un contrôle sur le plan créatif. Il veut chorégraphier toutes les scènes de combat, notamment pour faire la promotion du nouvel art martial qu'il a créé, qui s'appelle le Jitkundo. D'ailleurs, il est considéré comme l'un des précurseurs, voire le précurseur du MMA, les arts martiaux mixtes, puisque le Jitkundo est un mélange de plusieurs arts martiaux, de sports de combat, Kung Fu, la boxe anglaise, la lutte, le Jujitsu, etc. Bruce Lee veut aussi avoir un droit de regard sur le scénario. et il va intégrer plusieurs éléments qui font écho à son parcours et à la lutte contre le racisme, comme on le verra dans un instant. Tout ça est accepté une nouvelle fois par les producteurs. Troisième et dernier volet, c'est bien sûr la question de l'argent. Hollywood propose un cachet supérieur à ceux que Bruce Lee a touchés pour ses films à Hong Kong, mais inférieur à ceux des stars d'Hollywood. Les producteurs qui ont donc dit oui à toutes les exigences de Bruce Lee s'attendent à ce qu'il accepte sans problème, sans protester, mais ce n'est pas du tout ce qui va se passer. Bruce Lee leur dit la chose suivante. Il leur dit... Quand vous faites un film avec Steve McQueen, vous lui donnez combien ? Les producteurs lui répondent, ils lui disent c'est entre 1 et 2 millions de dollars. Et là, le petit dragon leur dit, si vous les donnez à Steve McQueen, alors vous pouvez les donner à Bruce Lee. Il ne lâche rien, il sait ce qu'il vaut, il sait ce qu'on lui a refusé, il tient sa revanche.
- Speaker #0
Quatrième cap, le petit dragon accroche sa proie. Et avec sa queue, il frappe.
- Speaker #1
Finalement, Bruce Lee va obtenir mieux qu'une rémunération comparable aux stars d'Hollywood. Il va avoir un cachet confortable, on va dire, mais il va surtout coproduire le film via la société qu'il a créée qui s'appelle Concorde Productions. C'est donc signé entre Hollywood et Bruce Lee qui, il faut le rappeler, est en train de tourner les premières scènes de Game of Death qui s'annoncent grandioses. Bruce Lee arrête donc ce tournage pour aller faire Opération Dragon, son premier film avec Hollywood. Dans les grandes lignes, le scénario est le suivant. Le personnage joué par Bruce Lee qui est membre du temple Shaolin, est approché puis engagé par une agence de renseignement occidentale. Il a pour mission d'infiltrer un tournoi d'arts martiaux sur une île qui appartient à un homme puissant appelé Han et soupçonné d'être un trafiquant de drogue d'envergure internationale. Donc ce qu'on remarque tout de suite, c'est que Bruce Lee a quitté Hollywood. Il était acteur qui jouait le majordome du super-héros de Gwynharnot et qu'il revient par la grande porte puisque cette fois-ci, il est agent secret. C'est James Bond. Et ça, c'est une victoire pour Bruce Lee. et les acteurs d'origine asiatique et de manière plus générale pour les acteurs racisés. Mais Bruce Lee ne va pas s'arrêter là. On va retrouver dans le film plusieurs scènes très explicites concernant le racisme. On peut citer par exemple cette scène sur le bateau où un combattant occidental très arrogant et violent maltraite un marin asiatique puis provoque Bruce Lee. Et là, le personnage joué par Bruce Lee va finir par neutraliser avec la ruse et sans violence cet homme avant de confier son sort à ces mêmes marins asiatiques. Bruce Lee est dans son rôle symbolique de justicier qui vient mettre à l'amende... le racisme et venger les victimes. L'autre dimension antiraciste du film se confond pratiquement avec le personnage de Williams, un combattant afro-américain. Juste après sa première apparition, il y a un flashback au cours duquel on le voit pénétrer dans un dojo où s'entraînent des karatékas noirs et il vient être en quelque sorte adoubé avant son départ pour ce fameux tournoi. Et on voit le personnage de Williams saluer le sensei du dojo avec le poing levé et on comprend tout de suite que c'est un clin d'œil au Black Panther Partier. Ce personnage de Williams, c'est pas du tout le gentil noir rigolo. C'est le noir qui n'hésite pas à riposter physiquement quand on le menace, y compris lorsqu'il s'agit de policiers. Ceux qui ont vu le film savent de quoi je parle. Jim Kelly, l'acteur qui joue Williams, sera tellement parfait dans ce rôle d'américain noir fort qu'il deviendra par la suite l'une des stars de la Blacksploitation. Tu as des renseignements au sujet de Han ? Seulement des bruits, on dit qu'il aime la grande vie. Ceux-là là-bas, ils ne mènent pas la grande vie. Les ghettos sont pareils dans le monde entier. Dégueulasse. Toujours le même Williams. Après le tournage du film Opération Dragon, Bruce Lee s'apprête à se remettre au travail pour poursuivre le projet qu'il avait interrompu, Game of Death. Le premier film qui vient de tourner avec Hollywood va bientôt devenir un classique des films d'art martiaux et un carton box-office. Alors qu'il était déjà une vedette sur le marché asiatique, Bruce Lee va prendre une nouvelle dimension et accéder au statut de star planétaire. Malheureusement, le petit dragon n'aura ni le temps de terminer son film, ni le temps de savourer son succès. Le 10 juillet 1973, Bruce Lee, la légende Bruce Lee, meurt à Hong Kong d'un œdème cérébral à l'âge de seulement 32 ans. Une mort soudaine en pleine gloire, voire à quelques jours de la gloire, puisque le film Opération Dragon sortira dès le mois suivant dans le monde entier. Le sentiment qui domine, c'est la sidération. On parle d'un artiste martial, jeune, supposé être en pleine forme, et là... Il meurt comme ça, de manière très brutale. Le choc est immense, surtout en Asie. Lorsque le convoi funéraire traverse Hong Kong, des milliers de personnes en pleurs sont entassées derrière des barrières de sécurité pour saluer le petit dragon. Les images sont vraiment impressionnantes et parfois déchirantes lorsqu'on aperçoit les deux enfants de Bruce Lee au cœur de la foule, complètement à gare, portés ensuite par des proches de la famille pour se pencher sur le cercueil et dire au revoir à leur papa. La mort de Bruce Lee a toujours fait l'objet de théories plus ou moins farfelues. On a parlé parfois de malédiction, parfois de revanche des gardiens de la tradition des arts martiaux chinois, et même de l'implication du crime organisé à travers les fameuses triades. Soyons clairs, il n'y a aucune preuve tangible. Ce type de rumeurs sont courantes lorsqu'une star meurt de manière aussi soudaine, mais ce qui est concret c'est la science, et la science a expliqué la mort de Bruce Lee. On sait qu'il a fait une réaction allergique à un médicament pris le jour de son décès, et on sait... qu'il y avait eu une alerte deux mois auparavant et il avait été transporté d'urgence à l'hôpital après de violentes convulsions d'origine épileptique. Je l'ai dit précédemment, Bruce Lee va devenir une star mondiale après sa mort. En France, il va faire un carton dans les salles grâce au distributeur René Château, qui va ensuite définitivement populariser le phénomène Bruce Lee grâce au cassette VHS dans les années 80. C'est comme ça qu'on va pour beaucoup d'entre nous en tout cas se mettre aux arts martiaux dans les dojos ou dans la rue. Après la mort de Bruce Lee, il y a une question qui se pose. c'est l'avenir du film d'art martiaux. Que va devenir le genre après la mort de sa plus grande star ? Il y aura tout un tas de films très corrects, voire très bons, qui vont voir le jour avec leur propre identité. Mais il va aussi y avoir toute une industrie avec des films très inspirés de Bruce Lee, voire avec des sosies du petit dragon. Mais il ne faut pas oublier une chose, c'est que Bruce Lee a commencé à tourner un film avant sa mort. Il y avait même eu des photos qui avaient fuité dans la presse. Le producteur historique de Bruce Lee, Raymond Shaw, est en possession des bandes, mais refuse d'en faire quoi que ce soit. Dans un premier temps. Il va tenir quelques années avant de décider d'utiliser les scènes tournées par Bruce Lee qui durent au total à peu près 40 minutes. Et là, soyez attentifs parce que c'est une histoire complètement dingue. A l'origine, Bruce Lee avait écrit un scénario en 1972 pour donc le film Game of Death qu'on désigne généralement par l'acronyme God 72. L'histoire est la suivante. Un champion d'art martiaux à la retraite est contraint par une organisation criminelle de partie... à une mission dangereuse qui consiste à récupérer un trésor gardé au dernier étage d'une pagode. Pagode qui est située dans un village où les armes sont interdites. Et cette pagode comporte cinq étages, chaque étage étant gardé par un combattant qui maîtrise un art martial spécifique. J'ai pu consulter des croquis de cette pagode avec une statue géante à côté, lors d'une exposition exceptionnelle sur Bruce Lee. Et on peut voir que Bruce Lee était également doué pour le dessin. Pour en revenir au personnage de cet ex-champion joué par Bruce Lee, il est aidé par quatre complices. Ils doivent tous affronter les gardes qui sont bien entendu redoutables. Ce concept de mission où l'on doit affronter à chaque étape un expert différent sera par la suite repris par de nombreux jeux vidéo. Donc ça aussi, on le doit à Bruce Lee. Ce film devait être la vitrine du Jeet Kune Do, l'art martial inventé par Bruce Lee qui a inspiré au moins en partie l'invention du MMA, on le rappelle. sous-jacent de Bruce Lee a toujours une visée spirituelle et humaniste. Dans la vie comme dans l'arène, tu dois t'adapter à ton adversaire et aux conditions qui te sont imposées.
- Speaker #0
Les styles ont tendance à séparer les hommes. Chacun a sa doctrine qui devient parole d'évangile et n'est jamais remise en cause. Parce que le style est quelque chose de figé, une cristallisation. Alors que si on cherche à s'exprimer, on évolue sans cesse.
- Speaker #1
Bruce Lee a donc tourné seulement quelques scènes de combat, dont celle désormais célèbre contre son ami Dan Inosanto, et surtout celle contre Karim Abdul-Jabbar, l'ancienne star de la NBA qui était également proche du petit dragon. Donc pour en faire un film, les producteurs vont devoir changer pas mal de choses, et là on va passer à la version Game of Death de 1978, qu'on appelle également God 78. Ils vont surtout changer le scénario et engager de nouveaux acteurs, y compris pas moins de trois doublures pour jouer le rôle de Bruce Lee. On voit qu'ils sont obligés de bricoler pour cacher l'absence de Bruce Lee et ça va donner un film avec des scènes de qualité. Parfois la magie opère, on peut le dire, surtout avec Bruce Lee, mais pas seulement. Mais il y a surtout des scènes où on sombre complètement dans le ridicule. Tous les prétextes sont bons dans le scénario pour dissimuler le visage des doublures. Casque de moto, grosse barbe, lunettes noires énormes, c'est du n'importe quoi. Il y a aussi de vraies scènes d'anciens films de Bruce Lee qui sont intégrées alors que c'est pas du tout. cohérent. Il y a même des montages avec des photos de Bruce Lee incrustés par dessus le visage des doublures. Ils sont allés très loin dans le bricolage. Mais c'est peut-être pas de plus choquant. Il faut savoir que dans le scénario du film, le personnage principal est blessé gravement avant de simuler sa propre mort et même son enterrement. Et là, les producteurs ont carrément utilisé les vraies images des funérailles de Bruce Lee pour réaliser cette scène. Il y a même un plan où on voit le visage de Bruce Lee dans son cercueil. Ce qui est fou avec ce film, c'est qu'entre la fiction et la réalité, on s'y perd parfois. Le plus dingue étant évidemment le caractère prémonitoire de cette scène où le personnage principal se fait passer pour mort après avoir été atteint par une balle sur un tournage. En 1993, le propre fils de Bruce Lee, Brandon, est mort dans des conditions identiques. Malgré toutes ces controverses, God 78, rythmé on le rappelle par la sublime musique de John Barry, est un film culte. Un film culte qui a inspiré de nombreux... réalisateur, dont Quentin Tarantino, pour son diptyque Kill Bill. Et ça me donne l'occasion de boucler ce podcast sur la polémique avec ce réalisateur. Déjà, ce qu'il faut noter pour Kill Bill, c'est qu'il a repris plusieurs codes du film Le jeu de la mort, mais qu'il a engagé l'acteur David Carradine, l'imposteur, on le rappelle, qui a pris la place de Bruce Lee dans la série Kung Fu. Est-ce qu'il faut y voir un signe ? Perso, je ne crois pas au hasard, mais venons-en donc à cette scène d'un autre film de Tarantino, Il était une fois à Hollywood. où apparaît le personnage Bruce Lee. Tarantino fait dire à Bruce Lee qu'il battrait Mohamed Ali au cours d'un combat. Et Tarantino affirme que c'est sa femme, Linda Lee, qu'il aurait écrit dans son livre. Ce qui est faux. Linda Lee dit que de nombreuses personnes qui ont vu les démonstrations de Bruce Lee se disent qu'ils pourraient battre Mohamed Ali. Donc déjà, Tarantino est un menteur. Mais le plus important, c'est cette scène avec ce personnage de Cliff, un genre de redneck joué par Brad Pitt, qui flanque une raclée à Bruce Lee. Une scène qui vise à humilier... sorti tout droit du cerveau de Tarantino. Et c'est là que je vais faire le parallèle avec la saga Rocky qui porte en elle un message tabou sur la question raciale, surtout dans les deux premiers volets. En voyant Rocky II, dans lequel Rocky Balboa bat Apollo Creed, Mohamed Ali avait dit la chose suivante, ouvrez les guillemets, « J'ai été tellement grand, tellement génial dans la vraie vie, qu'ils ont dû créer une image comme Rocky, une image blanche à l'écran pour contrer la mienne. » Fermez les guillemets. Parce qu'il faut le savoir, dans Rocky, pour ceux qui n'avaient pas encore compris, Apollo Creed, c'est Mohamed Ali. Pour moi, ce que Tarantino a décidé de faire avec Bruce Lee relève des mêmes mécanismes. Bruce Lee a été tellement sublime dans la vraie vie, avec ce côté insoumis face à cette Amérique blanche, on sent comme une envie de le rabaisser à travers une œuvre de fiction. Ce n'est pas la première fois que Tarantino est accusé de racisme. On se souvient que Spike Lee avait relevé son utilisation douteuse et systématique du mot « nègre » dans ses films. Il y avait eu aussi son approche controversée de l'esclavage dans le film Django Unchained. Bref, je ne suis pas là pour dire qui est raciste et qui ne l'est pas. Peut-être que Tarantino est juste un fan de Chuck Norris et qu'il a voulu venger cet idole de l'Amérique blanche. J'ai souvent vibré devant des films de Tarantino, mais ce qu'il a fait à Bruce Lee est selon moi impardonnable et je comprends tout à fait les accusations de racisme de Shannon Lee, la fille de Bruce Lee. Mais ce coup bas, même signé de la part d'un grand réalisateur, n'entachera jamais l'image de Bruce Lee auprès de ceux qui continuent de le voir tel qu'il est. Une figure planétaire de la lutte contre le racisme systémique, une figure de l'insoumission et une figure de l'universalisme. Le petit dragon est mort, mais Bruce Lee est éternel. Merci de m'avoir écouté.