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80 BPM

"Chroniques franco-DZ : l'insoumission originelle"

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17min |09/01/2025
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17min |09/01/2025
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Description

Dans ce premier volet des chroniques franco-DZ, je vous parle d'une époque révolue qui a traumatisé toute une génération : celle du service militaire.

Arrestation d'un ami considéré comme un déserteur, les fameux trois jours dans une caserne, comment et pourquoi j'ai choisi d'opter pour l'armée algérienne en pleine décennie noire pour éviter le service militaire en France... Vous retrouverez toutes ces anecdotes et bien plus encore dans ce nouvel épisode de 80 BPM !

Bonne écoute


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Contrairement à l'idée véhiculée par l'extrême droite, les Français issus de l'immigration n'ont jamais à choisir entre la France et leur pays d'origine. Jamais, hormis peut-être une exception pour un cas de figure qui n'existe plus, c'est le service militaire. Pour inaugurer cette série de chroniques Franco-DZ, je vais vous raconter comment, en pleine décennie noire, j'ai opté pour l'armée algérienne pour échapper au service militaire en France. Je vous expliquerai aussi comment j'ai pu retourner en Algérie alors qu'à l'époque... Comme beaucoup de binationaux dans mon cas, je pensais ne plus jamais revoir ce pays. Je m'appelle Abdelkrim Branine et vous écoutez 80 BPM. Tous les garçons qui ont grandi dans les années 80 redoutaient l'arrivée de la majorité pour une chose, c'est le service militaire. À l'époque, ça veut dire 10 mois loin de chez toi en tenue kaki et tous ceux qui l'ont fait nous disaient la même chose, que c'est une galère, que tu n'apprends rien. Bref, c'est une perte de temps. Dès que tu as 18 ans, tu commences donc à recevoir les courriers du ministère et, sauf pour quelques motivés, tu fais tout ce qui est possible pour repousser ton incorporation avec des motifs valables, bien sûr. Et dans mon cas, pendant quelques années, c'était les études supérieures. Au cours de la deuxième moitié des années 90, le président d'époque Jacques Chirac annonce la fin du service national, mais seulement pour les Français nés après le 31 décembre 1978. Pour tous les autres dont je fais partie, c'est quasi impossible d'y échapper. Pour les plus jeunes, j'ai l'air d'un vieux combattant quand je raconte ça, mais je peux vous assurer qu'à l'époque, ce n'était pas de la plaisanterie. Et j'ai vu plusieurs personnes de mon entourage avoir des problèmes avec cette histoire de service militaire. Il y a notamment... une anecdote qui est arrivée à un ami. C'est une première alerte en ce qui me concerne et je vais vous raconter ça. La scène se déroule dans ma ville de Vienzon, dans le Berry, où à cette époque, je reviens quasiment tous les week-ends car je fais mes études à Tours. On est en centre-ville et on croise une connaissance qui vient d'acheter une nouvelle voiture. Comme le veut la tradition, la phrase qui vient tout de suite, c'est Vas-y, fais-nous un tour Ça, c'était valable pour n'importe quel véhicule. Voiture, vélo, scooter, skateboard, roller, tout. Deux amis à moi montent à bord et c'est parti pour un petit tour rapide. Celui qui conduit se croit dans Fast & Furious avant l'heure et se met à faire le fou. Mais problème, une voiture de police passe par là et ça part en contrôle assez musclé. Tout le monde donne ses papiers et les flics se mettent à vérifier s'il n'y a pas de problème. On voit bien que ça prend plus de temps que prévu et la discussion se concentre entre les policiers et l'un de mes amis qui était assis tranquillement à l'arrière. Ce qu'on ne sait pas encore, et lui non plus, c'est qu'il ne va pas rentrer chez lui ce soir. Après vérification, l'information qui remonte au policier, c'est que mon ami est identifié comme ASN. ASN pour apte au service national. C'est-à-dire qu'il remplit tous les critères pour marcher au pas pendant 10 mois à l'autre bout de la France. Mais ce n'est pas tout. Mon ami, qui ne savait pas trop quoi faire de sa vie à l'époque, avait complètement ignoré tous les courriers qui lui avaient été adressés par le bureau du service national. Et ça, à l'époque, ça s'appelait être un déserteur. Mon ami était... tout simplement considéré comme un déserteur de l'armée française. Il est parti illico rejoindre une caserne dans l'est du pays. Cette histoire m'avait pas mal stressé à l'époque, mais le pire était à venir puisque le moment était venu pour moi de faire ce qu'on appelait les trois jours. Je n'ai jamais compris pourquoi on appelait ça les trois jours, puisque ça ne durait qu'une journée ou deux. Mais bref, c'était un passage obligatoire dans une caserne pour effectuer un certain nombre de tests en vue du service militaire. Pour moi, ça s'est passé à la caserne de Blois. J'arrive à la mi-journée et on nous fait passer toute une batterie d'examens de santé. Ça passe assez vite et en fin de journée, alors qu'on s'attend tous à repartir chez nous, on nous annonce qu'on doit passer la nuit sur place. J'étais pas du tout prêt. On n'avait même pas d'affaires de rechange. Pas d'affaires de toilettes, bref, c'était n'importe quoi. On nous emmène dans des dortoirs avec des lits qui devaient faire genre 60 cm de large. Et franchement, je n'exagère pas quand je dis ça. J'ai passé l'une des pires nuits de ma vie. Faut se rendre compte qu'à l'époque, il n'y a ni smartphone, ni Netflix. Tout ça n'existe pas. Le seul truc sympa, c'est qu'on est entre mecs de la même génération, dont pas mal de gars de la banlieue parisienne avec qui je sympathise rapidement. Certains vont même mettre un peu le boxon jusqu'à tard le soir. Et ce qui nous est... étonnent tous un peu, c'est que les militaires qui encadrent laissent faire. En revanche, ils vont nous réveiller genre à 5h du matin, c'est assez violent, ils nous font descendre dans la cour et ils se mettent à nous faire un discours sur la discipline, le respect, le drapeau, etc. À ce moment-là, j'ai juste envie de me sauver en courant tellement j'en peux plus, mais il reste encore une bonne demi-journée avant de quitter cet enfer. On nous fait entrer dans une espèce de cabine individuelle. ou tu es face à un écran et des manettes, comme un jeu vidéo. Ça sert à évaluer tes capacités psychotechniques. Je suis tellement blasé que je réponds absolument n'importe quoi et après ça, on termine par un entretien avec un psychologue. Là, je me dis, c'est ta dernière chance pour te faire réformer. Je sors mon meilleur numéro pour faire le mec déprimé, pas sociable du tout, un peu anarchiste. Mais très rapidement, le psy m'arrête pour me dire, jeune homme, te fatigue pas, j'en ai vu d'autres. J'ai ton dossier sous les yeux, je connais toute ta vie, t'es absolument normal, fin du game. Et je sors de la caserne avec mon papier qui comporte désormais le gros tampon apte. Je prends mon train Garde-Blois et, dans le trajet du retour, ma décision est déjà prise. Alors il paraît qu'on cherche,

  • Speaker #1

    que la France a besoin de moi, c'est con,

  • Speaker #0

    je suis en Ardèche,

  • Speaker #1

    il fait beau, tu ne crois pas, c'est là, avec des potes, les égouts...

  • Speaker #0

    Avant ce passage en caserne, j'étais déjà très réticent à l'idée de donner 10 mois de ma vie au service national pour plein de raisons évoquées précédemment, mais il y a autre chose. Il y a comme une petite voix qui me dit tu ne peux pas faire ça, tu ne dois pas faire ça Je ne me l'explique pas clairement à l'époque, mais c'est en lien avec ma condition de français issue de l'immigration et dans mon cas, l'immigration algérienne. Je me pose des questions sur ma place dans cette institution qu'est l'armée française, tout simplement. Lors de mes fameux trois jours, j'ai constaté qu'il y avait déjà une certaine diversité, entre guillemets, au sein des militaires. Mais je voyais bien que les racisés étaient une fois de plus des sans-grades, c'est le cas de le dire. Quelques jours après mon retour de blois, je me rends à la sous-préfecture du Cher pour remplir un papier. C'est le formulaire de l'accord de 1983 relatif aux obligations du service militaire. En fait, c'est un accord entre la France et l'Algérie qui donne le droit aux franco-algériens de choisir où ils veulent faire l'armée. Dans ce formulaire, il y a un encadré avec écrit Vous voulez faire votre service militaire en… Et là, tu as deux choix, France et Algérie. Et moi, je coche Algérie. On est en pleine décennie noire et le terrorisme a déjà fait des dizaines de milliers de morts. Je n'ai évidemment pas du tout envie de jouer les héros et aller combattre en première ligne les groupes terroristes. Je fais ça pour m'éviter de faire l'armée en France. Donc, une fois rempli, je tends le formulaire à la dame derrière le guichet. Elle regarde le document et elle me dit Attendez un instant 30 secondes plus tard, il y a un monsieur qui sort d'un bureau. Il fait le tour du guichet pour venir à ma rencontre. Il a le formulaire dans les mains et il me dit Jeune homme, je ne peux pas te laisser faire ça Moi, je ne comprends pas où il veut en venir, mais lui insiste et commence à me dire T'as vu ce qui se passe là-bas en Algérie, t'as de fortes chances de te faire tuer, etc. Le mec est à deux doigts de déchirer le formulaire devant moi. En fait, je comprends que n'étant pas dans ma tête, il pense vraiment que je vais prendre un billet d'avion pour aller servir dans l'armée algérienne. Au bout d'un moment, je suis un peu obligé de lui expliquer ma stratégie et quand il comprend que je veux juste esquiver le service national, il me tape dans le dos et il me dit t'as raison Et puis il ajoute sur le ton de la rigolade, il me dit t'as pas intérêt à mettre les pieds en Algérie Et il a raison, puisque c'est le gros point négatif de ce choix. S'il me venait à l'idée de me pointer en Algérie, je suis assuré de faire non pas 10, mais 18 mois de service militaire. Et là, on est sur un tout autre projet, puisque les appelés sont en première ligne pour combattre dans les montagnes ou dans le désert. Ceux qui n'ont pas connu cette période, l'Algérie était à l'époque dans une situation catastrophique. Elle est complètement abandonnée par le monde entier et on ne comprend pas ce qui se passe. Il y a des assassinats ciblés qui visent policiers, militaires, intellectuels, artistes, enseignants. Puis ensuite, on a les massacres de civils. C'est un véritable carnage et on n'arrive pas à expliquer comment ce pays a plongé brutalement en enfer 30 ans après son indépendance. Au niveau de ma famille, on se rend désormais très peu, voire pas du tout sur place. Surtout qu'on est basé à Alger et palestro. qu'on appelle aujourd'hui l'Ardalia, deux villes où le danger est omniprésent. C'est fou quand j'y repense aujourd'hui, mais à ce moment-là, j'avais fait mon deuil de l'Algérie. Je me disais que c'était foutu, que la situation était irréversible. Et je pense qu'on était beaucoup à l'époque à penser ça. Quand je parle de ma décision à mon entourage, certains me disent que j'ai bien fait et d'autres me traitent de fou, notamment des anciens copains de la fac à Tours. Plusieurs, qui sont aussi franco-algériens, me disent Tu sais, la situation va sûrement finir par s'améliorer un jour. On pourra tous retourner au bled. et pas toi. Il y en a deux, trois qui me disent qu'ils vont faire l'armée en France pour être tranquille et qu'ils m'enverront plus tard une carte postale d'Alger. Oui, à l'époque, on envoie encore des cartes postales. Je ne veux pas être à leur place quand je les imagine plus tard dans leur caserne, mais j'avoue que je commence quand même à me poser quelques questions et à me demander tout simplement si j'ai fait le bon choix. Et là, je ne sais pas si vous croyez au miracle, mais moi, oui. Et vous allez comprendre pourquoi. On devait être à la toute fin des années 90. Je suis chez mes parents à Vierzon et je regarde les infos à la télé algérienne avec mon père. Il y a un sujet sur l'armée, sur les services militaires, mais je ne suis pas sûr de comprendre ce qu'ils disent, donc je demande à mon père de me traduire. Et là, mon père me dit que le gouvernement vient d'annoncer que les Algériens nés en 1974 et après sont exemptés du service militaire. Je demande deux fois à mon père de me répéter ce qu'il vient de me dire. Je lui demande s'il est sûr de lui et il me confirme que c'est une réforme un peu comme celle initiée auparavant par Chirac en France. Je suis dans tous mes états, j'arrive à peine à réaliser. Et là je dis à mon père, attends je reviens, j'ai quelques coups de fil à passer. Là évidemment j'appelle mes potes de la fac, j'en parle avec des amis de Vierzon, surtout ceux qui m'avaient traité de fou. quand j'avais choisi l'Algérie. Plusieurs me disent, ok, tu l'as joué fine, bravo, mais le bled, c'est encore tendu, tu ne peux toujours pas y aller à cause du terrorisme. Ils ont raison, c'est toujours dangereux d'aller en Algérie, du moins à ce moment précis, puisque bientôt, il va y avoir un autre miracle qui va prendre forme progressivement. Entre la fin des années 90 et la première moitié des années 2000, il va y avoir une série d'événements qui va contribuer à pacifier le pays. Je vais en citer deux. En 1999, il y a l'élection d'Abdelaziz Bouteflika qui va faire adopter par référendum Une loi controversée qui s'appelle Loi sur la concorde civile C'est une loi qui offrait une amnistie partielle aux terroristes qui déposaient des armes et qui n'étaient pas impliqués dans des crimes graves, style massacre, viol ou attentat. En 2002, il y a la dissolution officielle de l'AIS, l'armée islamique du salut, qui avait déjà cessé ses activités armées depuis 1997. C'est une étape majeure dans le processus de pacification. Peu après ce dernier événement, on s'accorde à dire que la décennie noire est terminée. Ce qui paraissait impensable il y a quelques années est devenu une réalité. L'Algérie a vaincu le terrorisme. C'est peut-être même le seul pays du monde à avoir gagné seule une guerre de cette ampleur. Je me souviens que c'était un moment de bonheur incroyable pour tous les Algériens. Et d'un coup, je prends conscience d'une chose, c'est que je vais enfin pouvoir retourner en Algérie. Je fais tous mes papiers, carte consulaire, passeport, carte militaire. Ça se passe en 2005, 16 ans après mon dernier séjour et le voyage est prévu avec deux de mes frères et mon père. La veille du départ... C'est impossible de dormir pour moi. Je suis super nerveux. Je m'étais tellement fait à l'idée de ne pas renvoir à l'Algérie que je n'y crois pas. Avant la fin de la décennie noire, je me disais que j'avais plus de chances d'aller sur la lune que de retourner à Alger. Mais c'est finalement arrivé grâce aux deux miracles, entre guillemets, dont je viens de vous parler. Notre séjour a lieu en avril et n'a absolument rien à voir avec les séjours que j'avais fait jusqu'ici en Algérie. D'habitude, l'Algérie, c'est l'été et c'est vacances. Plage, soleil, gazouze et il fait 30 ou 40 degrés. La... Le premier choc que j'ai en arrivant, c'est la pluie. C'est la première fois que je voyais Alger sous la pluie. On a des manteaux, on a des écharpes, c'est très bizarre. L'autre différence majeure avec mes précédents voyages, c'est que cette fois-ci, je reviens en Algérie en tant qu'adulte. Évidemment, on voit les choses autrement et on vous traite différemment, notamment la famille. C'est le voyage où on va creuser plus loin concernant son identité, ses racines. On a beaucoup de questions et on cherche des réponses. Dès qu'on débarque, on voit quand même que le contexte est encore... Assez lourd. On subit plusieurs fouilles dont la première dès la descente de l'avion. Sur le tarmac, on entre chacun notre tour par la porte arrière d'un bus vide où se trouvent des militaires armés qui nous font un contrôle assez musclé et ensuite on sort par la porte du conducteur. On se croirait dans un film. Et avant d'arriver au contrôle des passeports, on a deux autres fouilles. C'est super long avant qu'on puisse enfin quitter l'enceinte de l'aéroport. Dans un premier temps, on tourne beaucoup dans le quartier où est basée la majeure partie de ma famille, un quartier qui s'appelle Husendé. C'est un quartier populaire d'Alger. A l'époque, les Algériens n'ont pas encore le recul pour évoquer vraiment la décennie noire. Je pense que c'est trop tôt, donc sauf s'ils l'évoquent spontanément, moi je n'ose pas en parler. En revanche, j'apprends beaucoup de choses sur la période française et ça tombe bien parce que je suis en demande par rapport à ça. On me parle de plusieurs événements tristement célèbres qui ont eu lieu pendant la colonisation et plus précisément pendant la guerre d'Algérie. On visite des sites historiques, des sites clés dans l'histoire de la Révolution comme la Casbah et... On se rend également dans des endroits où ont eu lieu des attentats de l'OAS. Donc même en quelques jours, j'ai pas mal de réponses par rapport aux questions que je me posais durant toutes ces années sans voir l'Algérie. Durant la deuxième partie du séjour, on quitte Alger parce que l'un de mes oncles paternels nous emmène en pèlerinage en quelque sorte à Palestro. Palestro, c'est la ville d'où est originaire la famille de mon père, la famille Brannine. On visite la ville qu'on n'avait pas vue depuis longtemps, évidemment avec mes frères. Puis on se dirige vers le monument aux morts qui rend hommage au Moudjahidine de Palestro tombé. pendant la guerre d'indépendance. On prend quelques photos, puis on s'approche du monument pour lire les inscriptions. Et là, mon oncle nous montre deux noms gravés. C'était deux membres de ma famille, deux branines, comme moi, tués par l'armée française. Ce podcast contient des extraits de la chanson R.A.S. du groupe Ideal J, Deserteur de Renaud, Denia de Manu Chao, Outro du groupe M83 et enfin Killing in the Name de Rage Against the Machine. Merci de m'avoir écouté et à très bientôt sur 80 BPM.

Description

Dans ce premier volet des chroniques franco-DZ, je vous parle d'une époque révolue qui a traumatisé toute une génération : celle du service militaire.

Arrestation d'un ami considéré comme un déserteur, les fameux trois jours dans une caserne, comment et pourquoi j'ai choisi d'opter pour l'armée algérienne en pleine décennie noire pour éviter le service militaire en France... Vous retrouverez toutes ces anecdotes et bien plus encore dans ce nouvel épisode de 80 BPM !

Bonne écoute


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Contrairement à l'idée véhiculée par l'extrême droite, les Français issus de l'immigration n'ont jamais à choisir entre la France et leur pays d'origine. Jamais, hormis peut-être une exception pour un cas de figure qui n'existe plus, c'est le service militaire. Pour inaugurer cette série de chroniques Franco-DZ, je vais vous raconter comment, en pleine décennie noire, j'ai opté pour l'armée algérienne pour échapper au service militaire en France. Je vous expliquerai aussi comment j'ai pu retourner en Algérie alors qu'à l'époque... Comme beaucoup de binationaux dans mon cas, je pensais ne plus jamais revoir ce pays. Je m'appelle Abdelkrim Branine et vous écoutez 80 BPM. Tous les garçons qui ont grandi dans les années 80 redoutaient l'arrivée de la majorité pour une chose, c'est le service militaire. À l'époque, ça veut dire 10 mois loin de chez toi en tenue kaki et tous ceux qui l'ont fait nous disaient la même chose, que c'est une galère, que tu n'apprends rien. Bref, c'est une perte de temps. Dès que tu as 18 ans, tu commences donc à recevoir les courriers du ministère et, sauf pour quelques motivés, tu fais tout ce qui est possible pour repousser ton incorporation avec des motifs valables, bien sûr. Et dans mon cas, pendant quelques années, c'était les études supérieures. Au cours de la deuxième moitié des années 90, le président d'époque Jacques Chirac annonce la fin du service national, mais seulement pour les Français nés après le 31 décembre 1978. Pour tous les autres dont je fais partie, c'est quasi impossible d'y échapper. Pour les plus jeunes, j'ai l'air d'un vieux combattant quand je raconte ça, mais je peux vous assurer qu'à l'époque, ce n'était pas de la plaisanterie. Et j'ai vu plusieurs personnes de mon entourage avoir des problèmes avec cette histoire de service militaire. Il y a notamment... une anecdote qui est arrivée à un ami. C'est une première alerte en ce qui me concerne et je vais vous raconter ça. La scène se déroule dans ma ville de Vienzon, dans le Berry, où à cette époque, je reviens quasiment tous les week-ends car je fais mes études à Tours. On est en centre-ville et on croise une connaissance qui vient d'acheter une nouvelle voiture. Comme le veut la tradition, la phrase qui vient tout de suite, c'est Vas-y, fais-nous un tour Ça, c'était valable pour n'importe quel véhicule. Voiture, vélo, scooter, skateboard, roller, tout. Deux amis à moi montent à bord et c'est parti pour un petit tour rapide. Celui qui conduit se croit dans Fast & Furious avant l'heure et se met à faire le fou. Mais problème, une voiture de police passe par là et ça part en contrôle assez musclé. Tout le monde donne ses papiers et les flics se mettent à vérifier s'il n'y a pas de problème. On voit bien que ça prend plus de temps que prévu et la discussion se concentre entre les policiers et l'un de mes amis qui était assis tranquillement à l'arrière. Ce qu'on ne sait pas encore, et lui non plus, c'est qu'il ne va pas rentrer chez lui ce soir. Après vérification, l'information qui remonte au policier, c'est que mon ami est identifié comme ASN. ASN pour apte au service national. C'est-à-dire qu'il remplit tous les critères pour marcher au pas pendant 10 mois à l'autre bout de la France. Mais ce n'est pas tout. Mon ami, qui ne savait pas trop quoi faire de sa vie à l'époque, avait complètement ignoré tous les courriers qui lui avaient été adressés par le bureau du service national. Et ça, à l'époque, ça s'appelait être un déserteur. Mon ami était... tout simplement considéré comme un déserteur de l'armée française. Il est parti illico rejoindre une caserne dans l'est du pays. Cette histoire m'avait pas mal stressé à l'époque, mais le pire était à venir puisque le moment était venu pour moi de faire ce qu'on appelait les trois jours. Je n'ai jamais compris pourquoi on appelait ça les trois jours, puisque ça ne durait qu'une journée ou deux. Mais bref, c'était un passage obligatoire dans une caserne pour effectuer un certain nombre de tests en vue du service militaire. Pour moi, ça s'est passé à la caserne de Blois. J'arrive à la mi-journée et on nous fait passer toute une batterie d'examens de santé. Ça passe assez vite et en fin de journée, alors qu'on s'attend tous à repartir chez nous, on nous annonce qu'on doit passer la nuit sur place. J'étais pas du tout prêt. On n'avait même pas d'affaires de rechange. Pas d'affaires de toilettes, bref, c'était n'importe quoi. On nous emmène dans des dortoirs avec des lits qui devaient faire genre 60 cm de large. Et franchement, je n'exagère pas quand je dis ça. J'ai passé l'une des pires nuits de ma vie. Faut se rendre compte qu'à l'époque, il n'y a ni smartphone, ni Netflix. Tout ça n'existe pas. Le seul truc sympa, c'est qu'on est entre mecs de la même génération, dont pas mal de gars de la banlieue parisienne avec qui je sympathise rapidement. Certains vont même mettre un peu le boxon jusqu'à tard le soir. Et ce qui nous est... étonnent tous un peu, c'est que les militaires qui encadrent laissent faire. En revanche, ils vont nous réveiller genre à 5h du matin, c'est assez violent, ils nous font descendre dans la cour et ils se mettent à nous faire un discours sur la discipline, le respect, le drapeau, etc. À ce moment-là, j'ai juste envie de me sauver en courant tellement j'en peux plus, mais il reste encore une bonne demi-journée avant de quitter cet enfer. On nous fait entrer dans une espèce de cabine individuelle. ou tu es face à un écran et des manettes, comme un jeu vidéo. Ça sert à évaluer tes capacités psychotechniques. Je suis tellement blasé que je réponds absolument n'importe quoi et après ça, on termine par un entretien avec un psychologue. Là, je me dis, c'est ta dernière chance pour te faire réformer. Je sors mon meilleur numéro pour faire le mec déprimé, pas sociable du tout, un peu anarchiste. Mais très rapidement, le psy m'arrête pour me dire, jeune homme, te fatigue pas, j'en ai vu d'autres. J'ai ton dossier sous les yeux, je connais toute ta vie, t'es absolument normal, fin du game. Et je sors de la caserne avec mon papier qui comporte désormais le gros tampon apte. Je prends mon train Garde-Blois et, dans le trajet du retour, ma décision est déjà prise. Alors il paraît qu'on cherche,

  • Speaker #1

    que la France a besoin de moi, c'est con,

  • Speaker #0

    je suis en Ardèche,

  • Speaker #1

    il fait beau, tu ne crois pas, c'est là, avec des potes, les égouts...

  • Speaker #0

    Avant ce passage en caserne, j'étais déjà très réticent à l'idée de donner 10 mois de ma vie au service national pour plein de raisons évoquées précédemment, mais il y a autre chose. Il y a comme une petite voix qui me dit tu ne peux pas faire ça, tu ne dois pas faire ça Je ne me l'explique pas clairement à l'époque, mais c'est en lien avec ma condition de français issue de l'immigration et dans mon cas, l'immigration algérienne. Je me pose des questions sur ma place dans cette institution qu'est l'armée française, tout simplement. Lors de mes fameux trois jours, j'ai constaté qu'il y avait déjà une certaine diversité, entre guillemets, au sein des militaires. Mais je voyais bien que les racisés étaient une fois de plus des sans-grades, c'est le cas de le dire. Quelques jours après mon retour de blois, je me rends à la sous-préfecture du Cher pour remplir un papier. C'est le formulaire de l'accord de 1983 relatif aux obligations du service militaire. En fait, c'est un accord entre la France et l'Algérie qui donne le droit aux franco-algériens de choisir où ils veulent faire l'armée. Dans ce formulaire, il y a un encadré avec écrit Vous voulez faire votre service militaire en… Et là, tu as deux choix, France et Algérie. Et moi, je coche Algérie. On est en pleine décennie noire et le terrorisme a déjà fait des dizaines de milliers de morts. Je n'ai évidemment pas du tout envie de jouer les héros et aller combattre en première ligne les groupes terroristes. Je fais ça pour m'éviter de faire l'armée en France. Donc, une fois rempli, je tends le formulaire à la dame derrière le guichet. Elle regarde le document et elle me dit Attendez un instant 30 secondes plus tard, il y a un monsieur qui sort d'un bureau. Il fait le tour du guichet pour venir à ma rencontre. Il a le formulaire dans les mains et il me dit Jeune homme, je ne peux pas te laisser faire ça Moi, je ne comprends pas où il veut en venir, mais lui insiste et commence à me dire T'as vu ce qui se passe là-bas en Algérie, t'as de fortes chances de te faire tuer, etc. Le mec est à deux doigts de déchirer le formulaire devant moi. En fait, je comprends que n'étant pas dans ma tête, il pense vraiment que je vais prendre un billet d'avion pour aller servir dans l'armée algérienne. Au bout d'un moment, je suis un peu obligé de lui expliquer ma stratégie et quand il comprend que je veux juste esquiver le service national, il me tape dans le dos et il me dit t'as raison Et puis il ajoute sur le ton de la rigolade, il me dit t'as pas intérêt à mettre les pieds en Algérie Et il a raison, puisque c'est le gros point négatif de ce choix. S'il me venait à l'idée de me pointer en Algérie, je suis assuré de faire non pas 10, mais 18 mois de service militaire. Et là, on est sur un tout autre projet, puisque les appelés sont en première ligne pour combattre dans les montagnes ou dans le désert. Ceux qui n'ont pas connu cette période, l'Algérie était à l'époque dans une situation catastrophique. Elle est complètement abandonnée par le monde entier et on ne comprend pas ce qui se passe. Il y a des assassinats ciblés qui visent policiers, militaires, intellectuels, artistes, enseignants. Puis ensuite, on a les massacres de civils. C'est un véritable carnage et on n'arrive pas à expliquer comment ce pays a plongé brutalement en enfer 30 ans après son indépendance. Au niveau de ma famille, on se rend désormais très peu, voire pas du tout sur place. Surtout qu'on est basé à Alger et palestro. qu'on appelle aujourd'hui l'Ardalia, deux villes où le danger est omniprésent. C'est fou quand j'y repense aujourd'hui, mais à ce moment-là, j'avais fait mon deuil de l'Algérie. Je me disais que c'était foutu, que la situation était irréversible. Et je pense qu'on était beaucoup à l'époque à penser ça. Quand je parle de ma décision à mon entourage, certains me disent que j'ai bien fait et d'autres me traitent de fou, notamment des anciens copains de la fac à Tours. Plusieurs, qui sont aussi franco-algériens, me disent Tu sais, la situation va sûrement finir par s'améliorer un jour. On pourra tous retourner au bled. et pas toi. Il y en a deux, trois qui me disent qu'ils vont faire l'armée en France pour être tranquille et qu'ils m'enverront plus tard une carte postale d'Alger. Oui, à l'époque, on envoie encore des cartes postales. Je ne veux pas être à leur place quand je les imagine plus tard dans leur caserne, mais j'avoue que je commence quand même à me poser quelques questions et à me demander tout simplement si j'ai fait le bon choix. Et là, je ne sais pas si vous croyez au miracle, mais moi, oui. Et vous allez comprendre pourquoi. On devait être à la toute fin des années 90. Je suis chez mes parents à Vierzon et je regarde les infos à la télé algérienne avec mon père. Il y a un sujet sur l'armée, sur les services militaires, mais je ne suis pas sûr de comprendre ce qu'ils disent, donc je demande à mon père de me traduire. Et là, mon père me dit que le gouvernement vient d'annoncer que les Algériens nés en 1974 et après sont exemptés du service militaire. Je demande deux fois à mon père de me répéter ce qu'il vient de me dire. Je lui demande s'il est sûr de lui et il me confirme que c'est une réforme un peu comme celle initiée auparavant par Chirac en France. Je suis dans tous mes états, j'arrive à peine à réaliser. Et là je dis à mon père, attends je reviens, j'ai quelques coups de fil à passer. Là évidemment j'appelle mes potes de la fac, j'en parle avec des amis de Vierzon, surtout ceux qui m'avaient traité de fou. quand j'avais choisi l'Algérie. Plusieurs me disent, ok, tu l'as joué fine, bravo, mais le bled, c'est encore tendu, tu ne peux toujours pas y aller à cause du terrorisme. Ils ont raison, c'est toujours dangereux d'aller en Algérie, du moins à ce moment précis, puisque bientôt, il va y avoir un autre miracle qui va prendre forme progressivement. Entre la fin des années 90 et la première moitié des années 2000, il va y avoir une série d'événements qui va contribuer à pacifier le pays. Je vais en citer deux. En 1999, il y a l'élection d'Abdelaziz Bouteflika qui va faire adopter par référendum Une loi controversée qui s'appelle Loi sur la concorde civile C'est une loi qui offrait une amnistie partielle aux terroristes qui déposaient des armes et qui n'étaient pas impliqués dans des crimes graves, style massacre, viol ou attentat. En 2002, il y a la dissolution officielle de l'AIS, l'armée islamique du salut, qui avait déjà cessé ses activités armées depuis 1997. C'est une étape majeure dans le processus de pacification. Peu après ce dernier événement, on s'accorde à dire que la décennie noire est terminée. Ce qui paraissait impensable il y a quelques années est devenu une réalité. L'Algérie a vaincu le terrorisme. C'est peut-être même le seul pays du monde à avoir gagné seule une guerre de cette ampleur. Je me souviens que c'était un moment de bonheur incroyable pour tous les Algériens. Et d'un coup, je prends conscience d'une chose, c'est que je vais enfin pouvoir retourner en Algérie. Je fais tous mes papiers, carte consulaire, passeport, carte militaire. Ça se passe en 2005, 16 ans après mon dernier séjour et le voyage est prévu avec deux de mes frères et mon père. La veille du départ... C'est impossible de dormir pour moi. Je suis super nerveux. Je m'étais tellement fait à l'idée de ne pas renvoir à l'Algérie que je n'y crois pas. Avant la fin de la décennie noire, je me disais que j'avais plus de chances d'aller sur la lune que de retourner à Alger. Mais c'est finalement arrivé grâce aux deux miracles, entre guillemets, dont je viens de vous parler. Notre séjour a lieu en avril et n'a absolument rien à voir avec les séjours que j'avais fait jusqu'ici en Algérie. D'habitude, l'Algérie, c'est l'été et c'est vacances. Plage, soleil, gazouze et il fait 30 ou 40 degrés. La... Le premier choc que j'ai en arrivant, c'est la pluie. C'est la première fois que je voyais Alger sous la pluie. On a des manteaux, on a des écharpes, c'est très bizarre. L'autre différence majeure avec mes précédents voyages, c'est que cette fois-ci, je reviens en Algérie en tant qu'adulte. Évidemment, on voit les choses autrement et on vous traite différemment, notamment la famille. C'est le voyage où on va creuser plus loin concernant son identité, ses racines. On a beaucoup de questions et on cherche des réponses. Dès qu'on débarque, on voit quand même que le contexte est encore... Assez lourd. On subit plusieurs fouilles dont la première dès la descente de l'avion. Sur le tarmac, on entre chacun notre tour par la porte arrière d'un bus vide où se trouvent des militaires armés qui nous font un contrôle assez musclé et ensuite on sort par la porte du conducteur. On se croirait dans un film. Et avant d'arriver au contrôle des passeports, on a deux autres fouilles. C'est super long avant qu'on puisse enfin quitter l'enceinte de l'aéroport. Dans un premier temps, on tourne beaucoup dans le quartier où est basée la majeure partie de ma famille, un quartier qui s'appelle Husendé. C'est un quartier populaire d'Alger. A l'époque, les Algériens n'ont pas encore le recul pour évoquer vraiment la décennie noire. Je pense que c'est trop tôt, donc sauf s'ils l'évoquent spontanément, moi je n'ose pas en parler. En revanche, j'apprends beaucoup de choses sur la période française et ça tombe bien parce que je suis en demande par rapport à ça. On me parle de plusieurs événements tristement célèbres qui ont eu lieu pendant la colonisation et plus précisément pendant la guerre d'Algérie. On visite des sites historiques, des sites clés dans l'histoire de la Révolution comme la Casbah et... On se rend également dans des endroits où ont eu lieu des attentats de l'OAS. Donc même en quelques jours, j'ai pas mal de réponses par rapport aux questions que je me posais durant toutes ces années sans voir l'Algérie. Durant la deuxième partie du séjour, on quitte Alger parce que l'un de mes oncles paternels nous emmène en pèlerinage en quelque sorte à Palestro. Palestro, c'est la ville d'où est originaire la famille de mon père, la famille Brannine. On visite la ville qu'on n'avait pas vue depuis longtemps, évidemment avec mes frères. Puis on se dirige vers le monument aux morts qui rend hommage au Moudjahidine de Palestro tombé. pendant la guerre d'indépendance. On prend quelques photos, puis on s'approche du monument pour lire les inscriptions. Et là, mon oncle nous montre deux noms gravés. C'était deux membres de ma famille, deux branines, comme moi, tués par l'armée française. Ce podcast contient des extraits de la chanson R.A.S. du groupe Ideal J, Deserteur de Renaud, Denia de Manu Chao, Outro du groupe M83 et enfin Killing in the Name de Rage Against the Machine. Merci de m'avoir écouté et à très bientôt sur 80 BPM.

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Description

Dans ce premier volet des chroniques franco-DZ, je vous parle d'une époque révolue qui a traumatisé toute une génération : celle du service militaire.

Arrestation d'un ami considéré comme un déserteur, les fameux trois jours dans une caserne, comment et pourquoi j'ai choisi d'opter pour l'armée algérienne en pleine décennie noire pour éviter le service militaire en France... Vous retrouverez toutes ces anecdotes et bien plus encore dans ce nouvel épisode de 80 BPM !

Bonne écoute


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Contrairement à l'idée véhiculée par l'extrême droite, les Français issus de l'immigration n'ont jamais à choisir entre la France et leur pays d'origine. Jamais, hormis peut-être une exception pour un cas de figure qui n'existe plus, c'est le service militaire. Pour inaugurer cette série de chroniques Franco-DZ, je vais vous raconter comment, en pleine décennie noire, j'ai opté pour l'armée algérienne pour échapper au service militaire en France. Je vous expliquerai aussi comment j'ai pu retourner en Algérie alors qu'à l'époque... Comme beaucoup de binationaux dans mon cas, je pensais ne plus jamais revoir ce pays. Je m'appelle Abdelkrim Branine et vous écoutez 80 BPM. Tous les garçons qui ont grandi dans les années 80 redoutaient l'arrivée de la majorité pour une chose, c'est le service militaire. À l'époque, ça veut dire 10 mois loin de chez toi en tenue kaki et tous ceux qui l'ont fait nous disaient la même chose, que c'est une galère, que tu n'apprends rien. Bref, c'est une perte de temps. Dès que tu as 18 ans, tu commences donc à recevoir les courriers du ministère et, sauf pour quelques motivés, tu fais tout ce qui est possible pour repousser ton incorporation avec des motifs valables, bien sûr. Et dans mon cas, pendant quelques années, c'était les études supérieures. Au cours de la deuxième moitié des années 90, le président d'époque Jacques Chirac annonce la fin du service national, mais seulement pour les Français nés après le 31 décembre 1978. Pour tous les autres dont je fais partie, c'est quasi impossible d'y échapper. Pour les plus jeunes, j'ai l'air d'un vieux combattant quand je raconte ça, mais je peux vous assurer qu'à l'époque, ce n'était pas de la plaisanterie. Et j'ai vu plusieurs personnes de mon entourage avoir des problèmes avec cette histoire de service militaire. Il y a notamment... une anecdote qui est arrivée à un ami. C'est une première alerte en ce qui me concerne et je vais vous raconter ça. La scène se déroule dans ma ville de Vienzon, dans le Berry, où à cette époque, je reviens quasiment tous les week-ends car je fais mes études à Tours. On est en centre-ville et on croise une connaissance qui vient d'acheter une nouvelle voiture. Comme le veut la tradition, la phrase qui vient tout de suite, c'est Vas-y, fais-nous un tour Ça, c'était valable pour n'importe quel véhicule. Voiture, vélo, scooter, skateboard, roller, tout. Deux amis à moi montent à bord et c'est parti pour un petit tour rapide. Celui qui conduit se croit dans Fast & Furious avant l'heure et se met à faire le fou. Mais problème, une voiture de police passe par là et ça part en contrôle assez musclé. Tout le monde donne ses papiers et les flics se mettent à vérifier s'il n'y a pas de problème. On voit bien que ça prend plus de temps que prévu et la discussion se concentre entre les policiers et l'un de mes amis qui était assis tranquillement à l'arrière. Ce qu'on ne sait pas encore, et lui non plus, c'est qu'il ne va pas rentrer chez lui ce soir. Après vérification, l'information qui remonte au policier, c'est que mon ami est identifié comme ASN. ASN pour apte au service national. C'est-à-dire qu'il remplit tous les critères pour marcher au pas pendant 10 mois à l'autre bout de la France. Mais ce n'est pas tout. Mon ami, qui ne savait pas trop quoi faire de sa vie à l'époque, avait complètement ignoré tous les courriers qui lui avaient été adressés par le bureau du service national. Et ça, à l'époque, ça s'appelait être un déserteur. Mon ami était... tout simplement considéré comme un déserteur de l'armée française. Il est parti illico rejoindre une caserne dans l'est du pays. Cette histoire m'avait pas mal stressé à l'époque, mais le pire était à venir puisque le moment était venu pour moi de faire ce qu'on appelait les trois jours. Je n'ai jamais compris pourquoi on appelait ça les trois jours, puisque ça ne durait qu'une journée ou deux. Mais bref, c'était un passage obligatoire dans une caserne pour effectuer un certain nombre de tests en vue du service militaire. Pour moi, ça s'est passé à la caserne de Blois. J'arrive à la mi-journée et on nous fait passer toute une batterie d'examens de santé. Ça passe assez vite et en fin de journée, alors qu'on s'attend tous à repartir chez nous, on nous annonce qu'on doit passer la nuit sur place. J'étais pas du tout prêt. On n'avait même pas d'affaires de rechange. Pas d'affaires de toilettes, bref, c'était n'importe quoi. On nous emmène dans des dortoirs avec des lits qui devaient faire genre 60 cm de large. Et franchement, je n'exagère pas quand je dis ça. J'ai passé l'une des pires nuits de ma vie. Faut se rendre compte qu'à l'époque, il n'y a ni smartphone, ni Netflix. Tout ça n'existe pas. Le seul truc sympa, c'est qu'on est entre mecs de la même génération, dont pas mal de gars de la banlieue parisienne avec qui je sympathise rapidement. Certains vont même mettre un peu le boxon jusqu'à tard le soir. Et ce qui nous est... étonnent tous un peu, c'est que les militaires qui encadrent laissent faire. En revanche, ils vont nous réveiller genre à 5h du matin, c'est assez violent, ils nous font descendre dans la cour et ils se mettent à nous faire un discours sur la discipline, le respect, le drapeau, etc. À ce moment-là, j'ai juste envie de me sauver en courant tellement j'en peux plus, mais il reste encore une bonne demi-journée avant de quitter cet enfer. On nous fait entrer dans une espèce de cabine individuelle. ou tu es face à un écran et des manettes, comme un jeu vidéo. Ça sert à évaluer tes capacités psychotechniques. Je suis tellement blasé que je réponds absolument n'importe quoi et après ça, on termine par un entretien avec un psychologue. Là, je me dis, c'est ta dernière chance pour te faire réformer. Je sors mon meilleur numéro pour faire le mec déprimé, pas sociable du tout, un peu anarchiste. Mais très rapidement, le psy m'arrête pour me dire, jeune homme, te fatigue pas, j'en ai vu d'autres. J'ai ton dossier sous les yeux, je connais toute ta vie, t'es absolument normal, fin du game. Et je sors de la caserne avec mon papier qui comporte désormais le gros tampon apte. Je prends mon train Garde-Blois et, dans le trajet du retour, ma décision est déjà prise. Alors il paraît qu'on cherche,

  • Speaker #1

    que la France a besoin de moi, c'est con,

  • Speaker #0

    je suis en Ardèche,

  • Speaker #1

    il fait beau, tu ne crois pas, c'est là, avec des potes, les égouts...

  • Speaker #0

    Avant ce passage en caserne, j'étais déjà très réticent à l'idée de donner 10 mois de ma vie au service national pour plein de raisons évoquées précédemment, mais il y a autre chose. Il y a comme une petite voix qui me dit tu ne peux pas faire ça, tu ne dois pas faire ça Je ne me l'explique pas clairement à l'époque, mais c'est en lien avec ma condition de français issue de l'immigration et dans mon cas, l'immigration algérienne. Je me pose des questions sur ma place dans cette institution qu'est l'armée française, tout simplement. Lors de mes fameux trois jours, j'ai constaté qu'il y avait déjà une certaine diversité, entre guillemets, au sein des militaires. Mais je voyais bien que les racisés étaient une fois de plus des sans-grades, c'est le cas de le dire. Quelques jours après mon retour de blois, je me rends à la sous-préfecture du Cher pour remplir un papier. C'est le formulaire de l'accord de 1983 relatif aux obligations du service militaire. En fait, c'est un accord entre la France et l'Algérie qui donne le droit aux franco-algériens de choisir où ils veulent faire l'armée. Dans ce formulaire, il y a un encadré avec écrit Vous voulez faire votre service militaire en… Et là, tu as deux choix, France et Algérie. Et moi, je coche Algérie. On est en pleine décennie noire et le terrorisme a déjà fait des dizaines de milliers de morts. Je n'ai évidemment pas du tout envie de jouer les héros et aller combattre en première ligne les groupes terroristes. Je fais ça pour m'éviter de faire l'armée en France. Donc, une fois rempli, je tends le formulaire à la dame derrière le guichet. Elle regarde le document et elle me dit Attendez un instant 30 secondes plus tard, il y a un monsieur qui sort d'un bureau. Il fait le tour du guichet pour venir à ma rencontre. Il a le formulaire dans les mains et il me dit Jeune homme, je ne peux pas te laisser faire ça Moi, je ne comprends pas où il veut en venir, mais lui insiste et commence à me dire T'as vu ce qui se passe là-bas en Algérie, t'as de fortes chances de te faire tuer, etc. Le mec est à deux doigts de déchirer le formulaire devant moi. En fait, je comprends que n'étant pas dans ma tête, il pense vraiment que je vais prendre un billet d'avion pour aller servir dans l'armée algérienne. Au bout d'un moment, je suis un peu obligé de lui expliquer ma stratégie et quand il comprend que je veux juste esquiver le service national, il me tape dans le dos et il me dit t'as raison Et puis il ajoute sur le ton de la rigolade, il me dit t'as pas intérêt à mettre les pieds en Algérie Et il a raison, puisque c'est le gros point négatif de ce choix. S'il me venait à l'idée de me pointer en Algérie, je suis assuré de faire non pas 10, mais 18 mois de service militaire. Et là, on est sur un tout autre projet, puisque les appelés sont en première ligne pour combattre dans les montagnes ou dans le désert. Ceux qui n'ont pas connu cette période, l'Algérie était à l'époque dans une situation catastrophique. Elle est complètement abandonnée par le monde entier et on ne comprend pas ce qui se passe. Il y a des assassinats ciblés qui visent policiers, militaires, intellectuels, artistes, enseignants. Puis ensuite, on a les massacres de civils. C'est un véritable carnage et on n'arrive pas à expliquer comment ce pays a plongé brutalement en enfer 30 ans après son indépendance. Au niveau de ma famille, on se rend désormais très peu, voire pas du tout sur place. Surtout qu'on est basé à Alger et palestro. qu'on appelle aujourd'hui l'Ardalia, deux villes où le danger est omniprésent. C'est fou quand j'y repense aujourd'hui, mais à ce moment-là, j'avais fait mon deuil de l'Algérie. Je me disais que c'était foutu, que la situation était irréversible. Et je pense qu'on était beaucoup à l'époque à penser ça. Quand je parle de ma décision à mon entourage, certains me disent que j'ai bien fait et d'autres me traitent de fou, notamment des anciens copains de la fac à Tours. Plusieurs, qui sont aussi franco-algériens, me disent Tu sais, la situation va sûrement finir par s'améliorer un jour. On pourra tous retourner au bled. et pas toi. Il y en a deux, trois qui me disent qu'ils vont faire l'armée en France pour être tranquille et qu'ils m'enverront plus tard une carte postale d'Alger. Oui, à l'époque, on envoie encore des cartes postales. Je ne veux pas être à leur place quand je les imagine plus tard dans leur caserne, mais j'avoue que je commence quand même à me poser quelques questions et à me demander tout simplement si j'ai fait le bon choix. Et là, je ne sais pas si vous croyez au miracle, mais moi, oui. Et vous allez comprendre pourquoi. On devait être à la toute fin des années 90. Je suis chez mes parents à Vierzon et je regarde les infos à la télé algérienne avec mon père. Il y a un sujet sur l'armée, sur les services militaires, mais je ne suis pas sûr de comprendre ce qu'ils disent, donc je demande à mon père de me traduire. Et là, mon père me dit que le gouvernement vient d'annoncer que les Algériens nés en 1974 et après sont exemptés du service militaire. Je demande deux fois à mon père de me répéter ce qu'il vient de me dire. Je lui demande s'il est sûr de lui et il me confirme que c'est une réforme un peu comme celle initiée auparavant par Chirac en France. Je suis dans tous mes états, j'arrive à peine à réaliser. Et là je dis à mon père, attends je reviens, j'ai quelques coups de fil à passer. Là évidemment j'appelle mes potes de la fac, j'en parle avec des amis de Vierzon, surtout ceux qui m'avaient traité de fou. quand j'avais choisi l'Algérie. Plusieurs me disent, ok, tu l'as joué fine, bravo, mais le bled, c'est encore tendu, tu ne peux toujours pas y aller à cause du terrorisme. Ils ont raison, c'est toujours dangereux d'aller en Algérie, du moins à ce moment précis, puisque bientôt, il va y avoir un autre miracle qui va prendre forme progressivement. Entre la fin des années 90 et la première moitié des années 2000, il va y avoir une série d'événements qui va contribuer à pacifier le pays. Je vais en citer deux. En 1999, il y a l'élection d'Abdelaziz Bouteflika qui va faire adopter par référendum Une loi controversée qui s'appelle Loi sur la concorde civile C'est une loi qui offrait une amnistie partielle aux terroristes qui déposaient des armes et qui n'étaient pas impliqués dans des crimes graves, style massacre, viol ou attentat. En 2002, il y a la dissolution officielle de l'AIS, l'armée islamique du salut, qui avait déjà cessé ses activités armées depuis 1997. C'est une étape majeure dans le processus de pacification. Peu après ce dernier événement, on s'accorde à dire que la décennie noire est terminée. Ce qui paraissait impensable il y a quelques années est devenu une réalité. L'Algérie a vaincu le terrorisme. C'est peut-être même le seul pays du monde à avoir gagné seule une guerre de cette ampleur. Je me souviens que c'était un moment de bonheur incroyable pour tous les Algériens. Et d'un coup, je prends conscience d'une chose, c'est que je vais enfin pouvoir retourner en Algérie. Je fais tous mes papiers, carte consulaire, passeport, carte militaire. Ça se passe en 2005, 16 ans après mon dernier séjour et le voyage est prévu avec deux de mes frères et mon père. La veille du départ... C'est impossible de dormir pour moi. Je suis super nerveux. Je m'étais tellement fait à l'idée de ne pas renvoir à l'Algérie que je n'y crois pas. Avant la fin de la décennie noire, je me disais que j'avais plus de chances d'aller sur la lune que de retourner à Alger. Mais c'est finalement arrivé grâce aux deux miracles, entre guillemets, dont je viens de vous parler. Notre séjour a lieu en avril et n'a absolument rien à voir avec les séjours que j'avais fait jusqu'ici en Algérie. D'habitude, l'Algérie, c'est l'été et c'est vacances. Plage, soleil, gazouze et il fait 30 ou 40 degrés. La... Le premier choc que j'ai en arrivant, c'est la pluie. C'est la première fois que je voyais Alger sous la pluie. On a des manteaux, on a des écharpes, c'est très bizarre. L'autre différence majeure avec mes précédents voyages, c'est que cette fois-ci, je reviens en Algérie en tant qu'adulte. Évidemment, on voit les choses autrement et on vous traite différemment, notamment la famille. C'est le voyage où on va creuser plus loin concernant son identité, ses racines. On a beaucoup de questions et on cherche des réponses. Dès qu'on débarque, on voit quand même que le contexte est encore... Assez lourd. On subit plusieurs fouilles dont la première dès la descente de l'avion. Sur le tarmac, on entre chacun notre tour par la porte arrière d'un bus vide où se trouvent des militaires armés qui nous font un contrôle assez musclé et ensuite on sort par la porte du conducteur. On se croirait dans un film. Et avant d'arriver au contrôle des passeports, on a deux autres fouilles. C'est super long avant qu'on puisse enfin quitter l'enceinte de l'aéroport. Dans un premier temps, on tourne beaucoup dans le quartier où est basée la majeure partie de ma famille, un quartier qui s'appelle Husendé. C'est un quartier populaire d'Alger. A l'époque, les Algériens n'ont pas encore le recul pour évoquer vraiment la décennie noire. Je pense que c'est trop tôt, donc sauf s'ils l'évoquent spontanément, moi je n'ose pas en parler. En revanche, j'apprends beaucoup de choses sur la période française et ça tombe bien parce que je suis en demande par rapport à ça. On me parle de plusieurs événements tristement célèbres qui ont eu lieu pendant la colonisation et plus précisément pendant la guerre d'Algérie. On visite des sites historiques, des sites clés dans l'histoire de la Révolution comme la Casbah et... On se rend également dans des endroits où ont eu lieu des attentats de l'OAS. Donc même en quelques jours, j'ai pas mal de réponses par rapport aux questions que je me posais durant toutes ces années sans voir l'Algérie. Durant la deuxième partie du séjour, on quitte Alger parce que l'un de mes oncles paternels nous emmène en pèlerinage en quelque sorte à Palestro. Palestro, c'est la ville d'où est originaire la famille de mon père, la famille Brannine. On visite la ville qu'on n'avait pas vue depuis longtemps, évidemment avec mes frères. Puis on se dirige vers le monument aux morts qui rend hommage au Moudjahidine de Palestro tombé. pendant la guerre d'indépendance. On prend quelques photos, puis on s'approche du monument pour lire les inscriptions. Et là, mon oncle nous montre deux noms gravés. C'était deux membres de ma famille, deux branines, comme moi, tués par l'armée française. Ce podcast contient des extraits de la chanson R.A.S. du groupe Ideal J, Deserteur de Renaud, Denia de Manu Chao, Outro du groupe M83 et enfin Killing in the Name de Rage Against the Machine. Merci de m'avoir écouté et à très bientôt sur 80 BPM.

Description

Dans ce premier volet des chroniques franco-DZ, je vous parle d'une époque révolue qui a traumatisé toute une génération : celle du service militaire.

Arrestation d'un ami considéré comme un déserteur, les fameux trois jours dans une caserne, comment et pourquoi j'ai choisi d'opter pour l'armée algérienne en pleine décennie noire pour éviter le service militaire en France... Vous retrouverez toutes ces anecdotes et bien plus encore dans ce nouvel épisode de 80 BPM !

Bonne écoute


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Contrairement à l'idée véhiculée par l'extrême droite, les Français issus de l'immigration n'ont jamais à choisir entre la France et leur pays d'origine. Jamais, hormis peut-être une exception pour un cas de figure qui n'existe plus, c'est le service militaire. Pour inaugurer cette série de chroniques Franco-DZ, je vais vous raconter comment, en pleine décennie noire, j'ai opté pour l'armée algérienne pour échapper au service militaire en France. Je vous expliquerai aussi comment j'ai pu retourner en Algérie alors qu'à l'époque... Comme beaucoup de binationaux dans mon cas, je pensais ne plus jamais revoir ce pays. Je m'appelle Abdelkrim Branine et vous écoutez 80 BPM. Tous les garçons qui ont grandi dans les années 80 redoutaient l'arrivée de la majorité pour une chose, c'est le service militaire. À l'époque, ça veut dire 10 mois loin de chez toi en tenue kaki et tous ceux qui l'ont fait nous disaient la même chose, que c'est une galère, que tu n'apprends rien. Bref, c'est une perte de temps. Dès que tu as 18 ans, tu commences donc à recevoir les courriers du ministère et, sauf pour quelques motivés, tu fais tout ce qui est possible pour repousser ton incorporation avec des motifs valables, bien sûr. Et dans mon cas, pendant quelques années, c'était les études supérieures. Au cours de la deuxième moitié des années 90, le président d'époque Jacques Chirac annonce la fin du service national, mais seulement pour les Français nés après le 31 décembre 1978. Pour tous les autres dont je fais partie, c'est quasi impossible d'y échapper. Pour les plus jeunes, j'ai l'air d'un vieux combattant quand je raconte ça, mais je peux vous assurer qu'à l'époque, ce n'était pas de la plaisanterie. Et j'ai vu plusieurs personnes de mon entourage avoir des problèmes avec cette histoire de service militaire. Il y a notamment... une anecdote qui est arrivée à un ami. C'est une première alerte en ce qui me concerne et je vais vous raconter ça. La scène se déroule dans ma ville de Vienzon, dans le Berry, où à cette époque, je reviens quasiment tous les week-ends car je fais mes études à Tours. On est en centre-ville et on croise une connaissance qui vient d'acheter une nouvelle voiture. Comme le veut la tradition, la phrase qui vient tout de suite, c'est Vas-y, fais-nous un tour Ça, c'était valable pour n'importe quel véhicule. Voiture, vélo, scooter, skateboard, roller, tout. Deux amis à moi montent à bord et c'est parti pour un petit tour rapide. Celui qui conduit se croit dans Fast & Furious avant l'heure et se met à faire le fou. Mais problème, une voiture de police passe par là et ça part en contrôle assez musclé. Tout le monde donne ses papiers et les flics se mettent à vérifier s'il n'y a pas de problème. On voit bien que ça prend plus de temps que prévu et la discussion se concentre entre les policiers et l'un de mes amis qui était assis tranquillement à l'arrière. Ce qu'on ne sait pas encore, et lui non plus, c'est qu'il ne va pas rentrer chez lui ce soir. Après vérification, l'information qui remonte au policier, c'est que mon ami est identifié comme ASN. ASN pour apte au service national. C'est-à-dire qu'il remplit tous les critères pour marcher au pas pendant 10 mois à l'autre bout de la France. Mais ce n'est pas tout. Mon ami, qui ne savait pas trop quoi faire de sa vie à l'époque, avait complètement ignoré tous les courriers qui lui avaient été adressés par le bureau du service national. Et ça, à l'époque, ça s'appelait être un déserteur. Mon ami était... tout simplement considéré comme un déserteur de l'armée française. Il est parti illico rejoindre une caserne dans l'est du pays. Cette histoire m'avait pas mal stressé à l'époque, mais le pire était à venir puisque le moment était venu pour moi de faire ce qu'on appelait les trois jours. Je n'ai jamais compris pourquoi on appelait ça les trois jours, puisque ça ne durait qu'une journée ou deux. Mais bref, c'était un passage obligatoire dans une caserne pour effectuer un certain nombre de tests en vue du service militaire. Pour moi, ça s'est passé à la caserne de Blois. J'arrive à la mi-journée et on nous fait passer toute une batterie d'examens de santé. Ça passe assez vite et en fin de journée, alors qu'on s'attend tous à repartir chez nous, on nous annonce qu'on doit passer la nuit sur place. J'étais pas du tout prêt. On n'avait même pas d'affaires de rechange. Pas d'affaires de toilettes, bref, c'était n'importe quoi. On nous emmène dans des dortoirs avec des lits qui devaient faire genre 60 cm de large. Et franchement, je n'exagère pas quand je dis ça. J'ai passé l'une des pires nuits de ma vie. Faut se rendre compte qu'à l'époque, il n'y a ni smartphone, ni Netflix. Tout ça n'existe pas. Le seul truc sympa, c'est qu'on est entre mecs de la même génération, dont pas mal de gars de la banlieue parisienne avec qui je sympathise rapidement. Certains vont même mettre un peu le boxon jusqu'à tard le soir. Et ce qui nous est... étonnent tous un peu, c'est que les militaires qui encadrent laissent faire. En revanche, ils vont nous réveiller genre à 5h du matin, c'est assez violent, ils nous font descendre dans la cour et ils se mettent à nous faire un discours sur la discipline, le respect, le drapeau, etc. À ce moment-là, j'ai juste envie de me sauver en courant tellement j'en peux plus, mais il reste encore une bonne demi-journée avant de quitter cet enfer. On nous fait entrer dans une espèce de cabine individuelle. ou tu es face à un écran et des manettes, comme un jeu vidéo. Ça sert à évaluer tes capacités psychotechniques. Je suis tellement blasé que je réponds absolument n'importe quoi et après ça, on termine par un entretien avec un psychologue. Là, je me dis, c'est ta dernière chance pour te faire réformer. Je sors mon meilleur numéro pour faire le mec déprimé, pas sociable du tout, un peu anarchiste. Mais très rapidement, le psy m'arrête pour me dire, jeune homme, te fatigue pas, j'en ai vu d'autres. J'ai ton dossier sous les yeux, je connais toute ta vie, t'es absolument normal, fin du game. Et je sors de la caserne avec mon papier qui comporte désormais le gros tampon apte. Je prends mon train Garde-Blois et, dans le trajet du retour, ma décision est déjà prise. Alors il paraît qu'on cherche,

  • Speaker #1

    que la France a besoin de moi, c'est con,

  • Speaker #0

    je suis en Ardèche,

  • Speaker #1

    il fait beau, tu ne crois pas, c'est là, avec des potes, les égouts...

  • Speaker #0

    Avant ce passage en caserne, j'étais déjà très réticent à l'idée de donner 10 mois de ma vie au service national pour plein de raisons évoquées précédemment, mais il y a autre chose. Il y a comme une petite voix qui me dit tu ne peux pas faire ça, tu ne dois pas faire ça Je ne me l'explique pas clairement à l'époque, mais c'est en lien avec ma condition de français issue de l'immigration et dans mon cas, l'immigration algérienne. Je me pose des questions sur ma place dans cette institution qu'est l'armée française, tout simplement. Lors de mes fameux trois jours, j'ai constaté qu'il y avait déjà une certaine diversité, entre guillemets, au sein des militaires. Mais je voyais bien que les racisés étaient une fois de plus des sans-grades, c'est le cas de le dire. Quelques jours après mon retour de blois, je me rends à la sous-préfecture du Cher pour remplir un papier. C'est le formulaire de l'accord de 1983 relatif aux obligations du service militaire. En fait, c'est un accord entre la France et l'Algérie qui donne le droit aux franco-algériens de choisir où ils veulent faire l'armée. Dans ce formulaire, il y a un encadré avec écrit Vous voulez faire votre service militaire en… Et là, tu as deux choix, France et Algérie. Et moi, je coche Algérie. On est en pleine décennie noire et le terrorisme a déjà fait des dizaines de milliers de morts. Je n'ai évidemment pas du tout envie de jouer les héros et aller combattre en première ligne les groupes terroristes. Je fais ça pour m'éviter de faire l'armée en France. Donc, une fois rempli, je tends le formulaire à la dame derrière le guichet. Elle regarde le document et elle me dit Attendez un instant 30 secondes plus tard, il y a un monsieur qui sort d'un bureau. Il fait le tour du guichet pour venir à ma rencontre. Il a le formulaire dans les mains et il me dit Jeune homme, je ne peux pas te laisser faire ça Moi, je ne comprends pas où il veut en venir, mais lui insiste et commence à me dire T'as vu ce qui se passe là-bas en Algérie, t'as de fortes chances de te faire tuer, etc. Le mec est à deux doigts de déchirer le formulaire devant moi. En fait, je comprends que n'étant pas dans ma tête, il pense vraiment que je vais prendre un billet d'avion pour aller servir dans l'armée algérienne. Au bout d'un moment, je suis un peu obligé de lui expliquer ma stratégie et quand il comprend que je veux juste esquiver le service national, il me tape dans le dos et il me dit t'as raison Et puis il ajoute sur le ton de la rigolade, il me dit t'as pas intérêt à mettre les pieds en Algérie Et il a raison, puisque c'est le gros point négatif de ce choix. S'il me venait à l'idée de me pointer en Algérie, je suis assuré de faire non pas 10, mais 18 mois de service militaire. Et là, on est sur un tout autre projet, puisque les appelés sont en première ligne pour combattre dans les montagnes ou dans le désert. Ceux qui n'ont pas connu cette période, l'Algérie était à l'époque dans une situation catastrophique. Elle est complètement abandonnée par le monde entier et on ne comprend pas ce qui se passe. Il y a des assassinats ciblés qui visent policiers, militaires, intellectuels, artistes, enseignants. Puis ensuite, on a les massacres de civils. C'est un véritable carnage et on n'arrive pas à expliquer comment ce pays a plongé brutalement en enfer 30 ans après son indépendance. Au niveau de ma famille, on se rend désormais très peu, voire pas du tout sur place. Surtout qu'on est basé à Alger et palestro. qu'on appelle aujourd'hui l'Ardalia, deux villes où le danger est omniprésent. C'est fou quand j'y repense aujourd'hui, mais à ce moment-là, j'avais fait mon deuil de l'Algérie. Je me disais que c'était foutu, que la situation était irréversible. Et je pense qu'on était beaucoup à l'époque à penser ça. Quand je parle de ma décision à mon entourage, certains me disent que j'ai bien fait et d'autres me traitent de fou, notamment des anciens copains de la fac à Tours. Plusieurs, qui sont aussi franco-algériens, me disent Tu sais, la situation va sûrement finir par s'améliorer un jour. On pourra tous retourner au bled. et pas toi. Il y en a deux, trois qui me disent qu'ils vont faire l'armée en France pour être tranquille et qu'ils m'enverront plus tard une carte postale d'Alger. Oui, à l'époque, on envoie encore des cartes postales. Je ne veux pas être à leur place quand je les imagine plus tard dans leur caserne, mais j'avoue que je commence quand même à me poser quelques questions et à me demander tout simplement si j'ai fait le bon choix. Et là, je ne sais pas si vous croyez au miracle, mais moi, oui. Et vous allez comprendre pourquoi. On devait être à la toute fin des années 90. Je suis chez mes parents à Vierzon et je regarde les infos à la télé algérienne avec mon père. Il y a un sujet sur l'armée, sur les services militaires, mais je ne suis pas sûr de comprendre ce qu'ils disent, donc je demande à mon père de me traduire. Et là, mon père me dit que le gouvernement vient d'annoncer que les Algériens nés en 1974 et après sont exemptés du service militaire. Je demande deux fois à mon père de me répéter ce qu'il vient de me dire. Je lui demande s'il est sûr de lui et il me confirme que c'est une réforme un peu comme celle initiée auparavant par Chirac en France. Je suis dans tous mes états, j'arrive à peine à réaliser. Et là je dis à mon père, attends je reviens, j'ai quelques coups de fil à passer. Là évidemment j'appelle mes potes de la fac, j'en parle avec des amis de Vierzon, surtout ceux qui m'avaient traité de fou. quand j'avais choisi l'Algérie. Plusieurs me disent, ok, tu l'as joué fine, bravo, mais le bled, c'est encore tendu, tu ne peux toujours pas y aller à cause du terrorisme. Ils ont raison, c'est toujours dangereux d'aller en Algérie, du moins à ce moment précis, puisque bientôt, il va y avoir un autre miracle qui va prendre forme progressivement. Entre la fin des années 90 et la première moitié des années 2000, il va y avoir une série d'événements qui va contribuer à pacifier le pays. Je vais en citer deux. En 1999, il y a l'élection d'Abdelaziz Bouteflika qui va faire adopter par référendum Une loi controversée qui s'appelle Loi sur la concorde civile C'est une loi qui offrait une amnistie partielle aux terroristes qui déposaient des armes et qui n'étaient pas impliqués dans des crimes graves, style massacre, viol ou attentat. En 2002, il y a la dissolution officielle de l'AIS, l'armée islamique du salut, qui avait déjà cessé ses activités armées depuis 1997. C'est une étape majeure dans le processus de pacification. Peu après ce dernier événement, on s'accorde à dire que la décennie noire est terminée. Ce qui paraissait impensable il y a quelques années est devenu une réalité. L'Algérie a vaincu le terrorisme. C'est peut-être même le seul pays du monde à avoir gagné seule une guerre de cette ampleur. Je me souviens que c'était un moment de bonheur incroyable pour tous les Algériens. Et d'un coup, je prends conscience d'une chose, c'est que je vais enfin pouvoir retourner en Algérie. Je fais tous mes papiers, carte consulaire, passeport, carte militaire. Ça se passe en 2005, 16 ans après mon dernier séjour et le voyage est prévu avec deux de mes frères et mon père. La veille du départ... C'est impossible de dormir pour moi. Je suis super nerveux. Je m'étais tellement fait à l'idée de ne pas renvoir à l'Algérie que je n'y crois pas. Avant la fin de la décennie noire, je me disais que j'avais plus de chances d'aller sur la lune que de retourner à Alger. Mais c'est finalement arrivé grâce aux deux miracles, entre guillemets, dont je viens de vous parler. Notre séjour a lieu en avril et n'a absolument rien à voir avec les séjours que j'avais fait jusqu'ici en Algérie. D'habitude, l'Algérie, c'est l'été et c'est vacances. Plage, soleil, gazouze et il fait 30 ou 40 degrés. La... Le premier choc que j'ai en arrivant, c'est la pluie. C'est la première fois que je voyais Alger sous la pluie. On a des manteaux, on a des écharpes, c'est très bizarre. L'autre différence majeure avec mes précédents voyages, c'est que cette fois-ci, je reviens en Algérie en tant qu'adulte. Évidemment, on voit les choses autrement et on vous traite différemment, notamment la famille. C'est le voyage où on va creuser plus loin concernant son identité, ses racines. On a beaucoup de questions et on cherche des réponses. Dès qu'on débarque, on voit quand même que le contexte est encore... Assez lourd. On subit plusieurs fouilles dont la première dès la descente de l'avion. Sur le tarmac, on entre chacun notre tour par la porte arrière d'un bus vide où se trouvent des militaires armés qui nous font un contrôle assez musclé et ensuite on sort par la porte du conducteur. On se croirait dans un film. Et avant d'arriver au contrôle des passeports, on a deux autres fouilles. C'est super long avant qu'on puisse enfin quitter l'enceinte de l'aéroport. Dans un premier temps, on tourne beaucoup dans le quartier où est basée la majeure partie de ma famille, un quartier qui s'appelle Husendé. C'est un quartier populaire d'Alger. A l'époque, les Algériens n'ont pas encore le recul pour évoquer vraiment la décennie noire. Je pense que c'est trop tôt, donc sauf s'ils l'évoquent spontanément, moi je n'ose pas en parler. En revanche, j'apprends beaucoup de choses sur la période française et ça tombe bien parce que je suis en demande par rapport à ça. On me parle de plusieurs événements tristement célèbres qui ont eu lieu pendant la colonisation et plus précisément pendant la guerre d'Algérie. On visite des sites historiques, des sites clés dans l'histoire de la Révolution comme la Casbah et... On se rend également dans des endroits où ont eu lieu des attentats de l'OAS. Donc même en quelques jours, j'ai pas mal de réponses par rapport aux questions que je me posais durant toutes ces années sans voir l'Algérie. Durant la deuxième partie du séjour, on quitte Alger parce que l'un de mes oncles paternels nous emmène en pèlerinage en quelque sorte à Palestro. Palestro, c'est la ville d'où est originaire la famille de mon père, la famille Brannine. On visite la ville qu'on n'avait pas vue depuis longtemps, évidemment avec mes frères. Puis on se dirige vers le monument aux morts qui rend hommage au Moudjahidine de Palestro tombé. pendant la guerre d'indépendance. On prend quelques photos, puis on s'approche du monument pour lire les inscriptions. Et là, mon oncle nous montre deux noms gravés. C'était deux membres de ma famille, deux branines, comme moi, tués par l'armée française. Ce podcast contient des extraits de la chanson R.A.S. du groupe Ideal J, Deserteur de Renaud, Denia de Manu Chao, Outro du groupe M83 et enfin Killing in the Name de Rage Against the Machine. Merci de m'avoir écouté et à très bientôt sur 80 BPM.

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