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80 BPM - (2/2) "Un ovni dans le ciel de Paris... Une histoire du rap français." (Partie 2)

80 BPM - (2/2) "Un ovni dans le ciel de Paris... Une histoire du rap français." (Partie 2)

15min |06/10/2024
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15min |06/10/2024
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Description

Un concert de NTM en plein air, au milieu des blocs... Ministère A.M.E.R qui se fait virer de scène avant que la situation ne dégénère complètement...


Dans la deuxième partie de cet épisode consacré aux débuts du rap français, je partage quelques anecdotes pour vous décrire la dimension "underground" de l'époque. Ce podcast revient également sur la condescendance des médias à l'égard des rappeurs dans les années 90, invités la plupart du temps dans des débats de société ou pour être moqués.


Enfin, à travers la rupture entre NTM et Assassin, cet épisode évoque le point de non-retour atteint en 1995 et la fin d'une ère pour le rap français.


"Quand le vaisseau rap a atterri à Paris et ailleurs en France, on les a vus comme les sauveurs, pas comme les envahisseurs… Mais on aurait dû rester prudents..."






Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Ça, c'est pour vous donner une idée de la puissance de NTM, à l'ancienne. Dans ce deuxième volet consacré au rap français, je vais vous raconter un concert épique de NTM auquel j'ai assisté en 91. Ça se passait au milieu de la cité du Sanitas, à Tours. Je vais aussi vous parler d'un concert du ministère amer à Bourse qui s'est terminé dans la confusion de la pluie totale avec le groupe qui s'est fait virer de scène et leur garde du corps qui est obligé de sortir un calibre pour calmer tout le monde. Et puis j'évoquerai la rupture entre NTM et Assassin pour expliquer pourquoi et comment le rap français s'est transformé au milieu des années 90. Bonjour et bienvenue dans 80 BPM, le podcast qui vous transporte au loin du stress des chaînes d'infos et des réseaux sociaux. A la fin de la première partie de cet épisode consacré au rap français, on s'est arrêté à la sortie de l'album Authentic, considéré comme un disque pionnier. Difficile de citer tout le monde au niveau des pionniers, donc ne m'en voulez pas si je ne cite pas vos artistes favoris. Je suis ici pour vous raconter une histoire du rap français, pas l'histoire du rap français. On a évidemment Solar, qui va cartonner dès son premier album, Proz Combat, qui va se vendre à 400 000 exemplaires, C'est un style très différent, assez loin du hardcore comme on l'aime à l'époque dans les quartiers. Donc très vite, Solar va s'intégrer au show business et sortir en quelque sorte du milieu du rap. D'ailleurs, il est très critiqué d'emblée par NTM qui le déteste vraiment. Grosse scène aussi à Vitry avec notamment des Little MC, Super Group qui est dû aussi dans un délire plus cool, mais ils vont se séparer assez rapidement malheureusement. Et on peut citer Marseille avec évidemment I Am qui est à l'époque le seul gros groupe hors région parisienne et surtout qui va devenir le principal rival de NTM. Lorsque je vous parle de ces artistes, on pourrait avoir l'impression que ça avait déjà explosé partout en France, alors que ce n'est pas du tout le cas. A l'époque des premières sorties d'Aura Français, il y a encore un côté très confidentiel, très marginal. J'ai envie de dire qu'il fallait en être pour connaître. L'Aura Français ne passait pas du tout à la radio, les concerts étaient assez rares et se déroulaient souvent dans des lieux dits alternatifs. En tout cas, on avait rarement droit aux vraies salles de concert. Et c'était assez rudimentaire au niveau des moyens mis à disposition. Moi, par exemple, la première fois que j'ai vu NTM, c'était à Tours, donc en... en 1991, dans le quartier du Sanitas. Le Sanitas qui est un gros quartier à l'intérieur de la ville de Tours, aujourd'hui réhabilité, mais à l'époque c'était très chaud. D'ailleurs, c'est un concierge qui était placé sous le signe de la lutte contre la drogue. Il y avait une partie de ce quartier qu'on appelait la Cité Blanche, tellement la drogue dure était présente. La Seine avait été montée au milieu du quartier, c'était gratuit, je devais avoir 13 ou 14 ans. NTM avait débarqué avec une rage vraiment incroyable. Pour ceux qui ont seulement connu la version de NTM en duo, il faut préciser qu'à leur début, NTM, ils étaient je crois 8 ou 9 sur scène et on n'avait jamais vu ça. Que ce soit Joey Star avec sa voix éraillée qui hurlait pour demander au public de faire du bruit, Cool Chen qui faisait des figures de breakdance juste dingues, c'était une vraie claque. Je le dis souvent, mais pour moi, le NTM de cette époque, c'était le meilleur groupe de rap du monde sur scène. Je les ai vus plusieurs fois par la suite, et j'ai vu beaucoup de grands artistes de rap, y compris américains. NTM sur scène, c'était une tornade. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien si c'est l'un des seuls groupes de rap à avoir sorti des albums live comme celui que j'ai passé au début de ce podcast. Et pour en revenir à ce jour-là, à la fin du concert, ils ont salué le public. Leur van avec le graphe NTM a débarqué derrière la scène. La porte coulissante s'est ouverte. Ils se sont jetés dedans. Ils ont démarré immédiatement. C'était ça le rap à l'époque. Il n'y avait ni loge, ni caprice de star, ni selfie avec le public. Et c'est en ça que c'était unique. Et on sait très bien qu'on ne retrouvera plus jamais cette énergie, ce frisson des débuts. et c'est normal, c'est logique. Autre concert dont je voulais vous parler, c'est celui du Ministère Hammer auquel j'ai assisté en 92. Ça s'est passé au Centre Culturel de la Chancellerie. La Chancellerie, c'est l'un des plus gros quartiers de la ville de Bourges. Ministère Hammer, c'est un groupe mythique, mais malheureusement, ils occupent la plus mauvaise place dans le classement historique du rap français puisqu'ils arrivent quatrième, au pied du podium. C'est un peu comme les Kings pour le rock, si vous voulez. C'est ce que j'avais déjà écrit dans mon livre, K.O. Football Club. Donc ce jour de juin 92, le ministère se produit sur scène. Le concert est génial, super énergie, il donne absolument tout. Et à un moment, il s'apprête à chanter un titre qui s'appelle Traître. Et comme son nom l'indique, ce titre dénonce les traîtres au sein des communautés noires. Et juste avant d'attaquer le morceau, il y a Kenzie qui prend la parole pour introduire le titre. Kenzie, membre du ministère Murr, qui a un rôle assez unique en son genre, puisqu'il est à la fois manager, porte-parole, et il fait même quelques apparitions sur des titres. Donc Kenzie s'adresse au public, qui est majoritairement d'origine maghrébine, et dit la chose suivante. Chez nous, les Noirs, les traîtres, on les appelle les Bountis. Chez vous, on les appelle les Harkis. Et vous savez ce qu'on fait aux traîtres. Et là, c'est le drame, puisque, mauvaise pioche, à Bourges, la majorité des Algériens qui vivent dans les quartiers sont des familles de harkis. Nous, on est des mecs de Vierzon, on n'est pas concernés, et on a envie qu'ils continuent, mais les mecs de Bourges ne digèrent pas du tout ces paroles et ça part complètement en vrille. Insultes, projectiles, ça part dans tous les sens. Et le groupe, qui venait d'attaquer donc le titre Traître, ne peut même pas terminer la chanson, il est obligé de quitter la scène tellement ça devient explosif. Le concert s'arrête là. Très vite. Le van du ministère Hammer sur le parking est identifié et il y a du monde qui commence à se rassembler autour. Beaucoup de tension, mais les membres du ministère Hammer parviennent à monter dans le van sans violence. Le van démarre, mais se prend quand même quelques projectiles. Le véhicule fait une espèce de demi-tour. Le mec et leur serviette chauffeur de garde du corps sort un calibre et là, c'est la panique. Tout le monde court dans tous les sens. Et au moment où le mec arme et tire, on s'aperçoit que c'est un pistolet d'alarme. Ça envoie une espèce de fusée de détresse. Ça fait un bruit sourd, ça éclate dans le ciel comme un feu d'artifice. Donc plus de peur que de mal, mais ça excite un peu tout le monde. Et je me souviens qu'on était en équipe avec plusieurs mecs des quartiers de Vierzon et on se disait, il est peut-être temps de foutre le camp parce que ça commence à sentir mauvais. Je vous raconte ces deux anecdotes pour vous montrer à quel point le rap à cette époque se vivait comme un monde culturel parallèle. On le vivait entre mecs des quartiers. D'où cette image d'un ovni dans le ciel de Paris que j'empruntais à Kenaton. Et dès qu'on a aperçu cet ovni, on s'est réjouis tellement on ne trouvait pas notre place à l'époque. Philippe Manœuvre, encore lui, m'a raconté quasiment la même chose pour le rock. Quand il était minot, il vivait en province et à son époque, le grand truc, c'était la musette, les balles musette. Les artistes musette étaient les rois de la France et tout le monde en bouffait à volonté. Ceux qui ne savent pas ce que c'est, cherchez sur Google et vous comprendrez. Et Philippe Manoeuvre me raconte que la première fois avec ses copains, ils entendent un titre de rock avec la guitare électrique, ils se sont barrés en courant. Plus jamais ils n'ont mis les pieds dans un endroit où on jouait de la musette. Pour le rap, c'est pareil. Nous, on se tapait toute la scène pop, variété, rock français et on n'en pouvait plus. Il y avait des choses bien évidemment, mais majoritairement c'était déprimant. C'était même souvent nul. En dehors de copier les américains, il n'y avait pas grand chose. Et en plus, il y avait ce côté excluant de la part des artistes français. En tout cas, c'était perçu comme tel par les quartiers. Donc, quand le vaisseau RAP a atterri à Paris et ailleurs en France, on les a vus comme les sauveurs, pas comme les envahisseurs. Même si on aurait dû rester prudent, car ça s'est compliqué par la suite, comme souvent. Précision importante, la culture qui vient d'ailleurs est généralement apportée... par des gens qui voyagent. Et en général, pour voyager, surtout à l'époque, il faut des moyens financiers. Donc, ce qui peut apparaître paradoxal, c'est que ce sont des personnes qui sont issues de la classe moyenne, voire classe moyenne supérieure, et même bourgeoisie, qui vont amener en France cette culture issue des ghettos américains. Il y a des gens issus de milieux modestes qui l'ont amené ici, mais d'après ce qu'on sait aujourd'hui, ils sont minoritaires. Et donc, le paradoxe, c'est que ces gens issus de milieux aisés vont apporter une culture qui va se développer dans les quartiers, notamment en raison de son côté accessible pour les classes populaires. Il n'y avait pas besoin d'avoir fait le conservatoire, de savoir jouer d'un instrument ou de savoir chanter. Avec un peu de travail et un peu de matériel, on pouvait facilement lancer le truc. Même si souvent le rôle du DJ était occupé par des profils un peu différents étant donné qu'il fallait investir de l'argent. Le problème c'est que ce côté accessible va devenir presque un fardeau et même un outil pour ghettoiser encore plus les quartiers. En gros, le rap c'est à peu près tout ce qu'on va proposer aux jeunes des quartiers niveau musique et loisirs à cette époque. On peut venir d'un quartier et se foutre royalement du rap. J'ai connu beaucoup de personnes comme ça. Et on peut aimer le rap, mais avoir envie de faire autre chose que musique, découvrir d'autres cultures, tout simplement. Donc malheureusement, le rap ne va pas seulement devenir la musique du ghetto, mais devenir le ghetto lui-même. Et il va devenir le ghetto parce qu'on va regarder cette musique uniquement sous un angle social. Donc cela va profiter à plusieurs artistes, pour les raisons que j'ai expliquées dans la première partie, mais ça va également les enfermer dans un rôle dont ils vont vouloir sortir ensuite. Lorsque le rap français explose, à quelques rares exceptions près, on invite les rappeurs dans des débats de société. pas dans des émissions musicales. Et malheureusement, ces rappeurs vont y aller, ça peut se comprendre, et souvent, ça va mal se passer parce qu'ils ne sont pas du tout formés pour contredire un politique qui va la plupart du temps vouloir les humilier. D'ailleurs, c'est ce qui se passe à l'époque, même lorsqu'on invite les rappeurs dans des émissions de divertissement. On s'adresse à eux en faisant yo-yo-yo, en caricaturant l'accent des quartiers, on leur demande de tourner sur la tête ou d'improviser un petit rap en direct. Il y a énormément d'images d'archives qui montrent très bien tout ça. Dans le podium historique du rap français, on a donc dans le désordre NTM, IAM et un groupe dont on n'a pas encore parlé, c'est Assassin. Assassin, c'est l'un des groupes qui symbolise cette tendance hardcore qui va dominer les débuts du rap français. Et c'est un groupe qui est très lié à NTM, ils font leur début à Nova ensemble, ils collaborent régulièrement. Bref, c'est vraiment deux groupes inséparables au début du rap français. Assassin, c'est certainement le groupe le plus politique à l'époque, avec même un discours avant-gardiste assez incroyable, puisque leur premier album, double album, est intitulé Le futur que nous réserve-t-il Le titre de l'album évoque largement la question de l'écologie, et tout ça en 1993, c'est important de le souligner. A ses débuts, Assassin est signé dans une maison de disques, mais ils sont tellement écœurés par l'attitude des majors en général, avec les rappeurs, qu'ils vont très vite casser leur contrat pour créer la première structure indépendante du rap français qui s'appelle Assassin Productions Le titre que vous venez d'entendre est tiré du premier album d'Assassin qui est sorti en 1993. 1993, c'est également l'année où NTM va sortir son deuxième album intitulé 1993. J'appuie sur la gâchette. La chanson-titre est un contre-pied magnifique parce qu'on se dit ça y est, ça va tirer dans tous les sens alors que pas du tout. J'appuie sur la gâchette, c'est une chanson sur le suicide, avec un texte là aussi avant-gardiste sur un fléau qui est aujourd'hui beaucoup plus médiatisé. Donc c'est vrai que c'est à la fois courageux et risqué de miser sur une thématique aussi tragique pour le titre d'un album. L'album est globalement hardcore mais avec un ton parfois un peu plus léger qui apparaît et surtout il est beaucoup plus musical, moins brut que le premier, authentique. Le problème, c'est que cet album va moins bien marcher que le premier. L'effet de nouveauté est passé, il n'y a pas des meutes comme celle de Vaughan Vlin pour pousser l'album. Bref, la maison de disques est déçue. L'album ne passe toujours pas en radio, et NTM en fait même un argument, puisqu'à l'époque, je me souviens qu'il y avait un spot de pub, on voyait Coolshen et Joey Star malmener un poste de radio, et ensuite, on entendait une voix off qui disait J'appuie sur la gâchette, l'album que vous ne risquez pas d'entendre à la radio C'est entre ce disque et le troisième album de NTM, Paris sous les bombes, que la rupture va se faire avec Assassin. Une rupture brutale et définitive qui, 30 années plus tard, n'a jamais été expliquée de manière claire par les principaux protagonistes. Mais on devine que la rupture est évidemment liée à une divergence au niveau de l'évolution artistique. NTM a eu envie de se détacher de ce côté hardcore et voulait être considéré comme un vrai groupe de musique, et plus comme un ambassadeur des quartiers. De son côté, Assassin, représenté par leur leader, Hankinsquat, voulait absolument continuer dans cette veine hardcore avec un engagement politique. contre l'autorité, contre le pouvoir. Pour eux, il n'y avait pas de place pour le fun. Pour dire les choses autrement, NTM a eu envie de passer en radio et de gagner de l'argent. Et c'est normal lorsqu'on vient de milieux modestes et qu'on a des familles à nourrir. En Rock'n'squad, c'est différent. On lui a souvent reproché dans le milieu de venir d'une famille riche, ce qui est vrai. Donc forcément, Rock'n'squad ne vit pas les choses de la même manière qu'un gars qui vient de Saint-Denis. C'est aussi simple que ça. La passion, c'est bien, mais au bout d'un moment, quand on n'est pas rentier, on a juste besoin de gagner sa vie. Il y a un adage qui dit En 1995, je roulais en voiture quand j'ai entendu NTM à la radio pour la première fois. C'était quelques jours avant la sortie de leur troisième album et je suis tombé sur un de leurs titres en exclu, c'était La Fièvre. Ce jour-là, j'ai tout de suite compris que plus rien ne serait comme avant. En bien ou en mal, ce n'est pas la question. C'est juste qu'on avait basculé dans une ère différente. Notre monde parallèle venait de tomber. Le rap français ne nous appartenait plus. Voilà, je vais m'arrêter sur cette date ô combien symbolique de 1995 pour cet épisode de 80 BPM consacré au rap français. Avant de terminer, j'aimerais citer un rappeur que j'aime beaucoup, c'est Fab. Plusieurs années après avoir définitivement quitté le milieu, il a donné une interview unique pour s'expliquer. Il avait notamment dit Le meilleur rappeur, c'est celui qui arrête le rap Je vous laisse méditer sur cette petite phrase. Moi en tout cas, je me dis que le style de rap qu'on écoutait dans les années 90 reviendra peut-être un jour parce que c'est une question de cycle. Tout comme on est revenu à l'âge d'or du rock des années 60-70, on reviendra forcément à l'âge d'or du rap. Le futur nous le dira. J'ai grandi dans les années 80, et si vous me faites l'honneur d'avoir trouvé ce podcast intéressant, alors ça voudrait dire que j'ai réussi à vous transmettre l'esprit de cette décennie. Pensez à liker 80BPM, abonnez-vous, commentez, partagez. Merci pour l'écoute et à bientôt.

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Un concert de NTM en plein air, au milieu des blocs... Ministère A.M.E.R qui se fait virer de scène avant que la situation ne dégénère complètement...


Dans la deuxième partie de cet épisode consacré aux débuts du rap français, je partage quelques anecdotes pour vous décrire la dimension "underground" de l'époque. Ce podcast revient également sur la condescendance des médias à l'égard des rappeurs dans les années 90, invités la plupart du temps dans des débats de société ou pour être moqués.


Enfin, à travers la rupture entre NTM et Assassin, cet épisode évoque le point de non-retour atteint en 1995 et la fin d'une ère pour le rap français.


"Quand le vaisseau rap a atterri à Paris et ailleurs en France, on les a vus comme les sauveurs, pas comme les envahisseurs… Mais on aurait dû rester prudents..."






Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Ça, c'est pour vous donner une idée de la puissance de NTM, à l'ancienne. Dans ce deuxième volet consacré au rap français, je vais vous raconter un concert épique de NTM auquel j'ai assisté en 91. Ça se passait au milieu de la cité du Sanitas, à Tours. Je vais aussi vous parler d'un concert du ministère amer à Bourse qui s'est terminé dans la confusion de la pluie totale avec le groupe qui s'est fait virer de scène et leur garde du corps qui est obligé de sortir un calibre pour calmer tout le monde. Et puis j'évoquerai la rupture entre NTM et Assassin pour expliquer pourquoi et comment le rap français s'est transformé au milieu des années 90. Bonjour et bienvenue dans 80 BPM, le podcast qui vous transporte au loin du stress des chaînes d'infos et des réseaux sociaux. A la fin de la première partie de cet épisode consacré au rap français, on s'est arrêté à la sortie de l'album Authentic, considéré comme un disque pionnier. Difficile de citer tout le monde au niveau des pionniers, donc ne m'en voulez pas si je ne cite pas vos artistes favoris. Je suis ici pour vous raconter une histoire du rap français, pas l'histoire du rap français. On a évidemment Solar, qui va cartonner dès son premier album, Proz Combat, qui va se vendre à 400 000 exemplaires, C'est un style très différent, assez loin du hardcore comme on l'aime à l'époque dans les quartiers. Donc très vite, Solar va s'intégrer au show business et sortir en quelque sorte du milieu du rap. D'ailleurs, il est très critiqué d'emblée par NTM qui le déteste vraiment. Grosse scène aussi à Vitry avec notamment des Little MC, Super Group qui est dû aussi dans un délire plus cool, mais ils vont se séparer assez rapidement malheureusement. Et on peut citer Marseille avec évidemment I Am qui est à l'époque le seul gros groupe hors région parisienne et surtout qui va devenir le principal rival de NTM. Lorsque je vous parle de ces artistes, on pourrait avoir l'impression que ça avait déjà explosé partout en France, alors que ce n'est pas du tout le cas. A l'époque des premières sorties d'Aura Français, il y a encore un côté très confidentiel, très marginal. J'ai envie de dire qu'il fallait en être pour connaître. L'Aura Français ne passait pas du tout à la radio, les concerts étaient assez rares et se déroulaient souvent dans des lieux dits alternatifs. En tout cas, on avait rarement droit aux vraies salles de concert. Et c'était assez rudimentaire au niveau des moyens mis à disposition. Moi, par exemple, la première fois que j'ai vu NTM, c'était à Tours, donc en... en 1991, dans le quartier du Sanitas. Le Sanitas qui est un gros quartier à l'intérieur de la ville de Tours, aujourd'hui réhabilité, mais à l'époque c'était très chaud. D'ailleurs, c'est un concierge qui était placé sous le signe de la lutte contre la drogue. Il y avait une partie de ce quartier qu'on appelait la Cité Blanche, tellement la drogue dure était présente. La Seine avait été montée au milieu du quartier, c'était gratuit, je devais avoir 13 ou 14 ans. NTM avait débarqué avec une rage vraiment incroyable. Pour ceux qui ont seulement connu la version de NTM en duo, il faut préciser qu'à leur début, NTM, ils étaient je crois 8 ou 9 sur scène et on n'avait jamais vu ça. Que ce soit Joey Star avec sa voix éraillée qui hurlait pour demander au public de faire du bruit, Cool Chen qui faisait des figures de breakdance juste dingues, c'était une vraie claque. Je le dis souvent, mais pour moi, le NTM de cette époque, c'était le meilleur groupe de rap du monde sur scène. Je les ai vus plusieurs fois par la suite, et j'ai vu beaucoup de grands artistes de rap, y compris américains. NTM sur scène, c'était une tornade. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien si c'est l'un des seuls groupes de rap à avoir sorti des albums live comme celui que j'ai passé au début de ce podcast. Et pour en revenir à ce jour-là, à la fin du concert, ils ont salué le public. Leur van avec le graphe NTM a débarqué derrière la scène. La porte coulissante s'est ouverte. Ils se sont jetés dedans. Ils ont démarré immédiatement. C'était ça le rap à l'époque. Il n'y avait ni loge, ni caprice de star, ni selfie avec le public. Et c'est en ça que c'était unique. Et on sait très bien qu'on ne retrouvera plus jamais cette énergie, ce frisson des débuts. et c'est normal, c'est logique. Autre concert dont je voulais vous parler, c'est celui du Ministère Hammer auquel j'ai assisté en 92. Ça s'est passé au Centre Culturel de la Chancellerie. La Chancellerie, c'est l'un des plus gros quartiers de la ville de Bourges. Ministère Hammer, c'est un groupe mythique, mais malheureusement, ils occupent la plus mauvaise place dans le classement historique du rap français puisqu'ils arrivent quatrième, au pied du podium. C'est un peu comme les Kings pour le rock, si vous voulez. C'est ce que j'avais déjà écrit dans mon livre, K.O. Football Club. Donc ce jour de juin 92, le ministère se produit sur scène. Le concert est génial, super énergie, il donne absolument tout. Et à un moment, il s'apprête à chanter un titre qui s'appelle Traître. Et comme son nom l'indique, ce titre dénonce les traîtres au sein des communautés noires. Et juste avant d'attaquer le morceau, il y a Kenzie qui prend la parole pour introduire le titre. Kenzie, membre du ministère Murr, qui a un rôle assez unique en son genre, puisqu'il est à la fois manager, porte-parole, et il fait même quelques apparitions sur des titres. Donc Kenzie s'adresse au public, qui est majoritairement d'origine maghrébine, et dit la chose suivante. Chez nous, les Noirs, les traîtres, on les appelle les Bountis. Chez vous, on les appelle les Harkis. Et vous savez ce qu'on fait aux traîtres. Et là, c'est le drame, puisque, mauvaise pioche, à Bourges, la majorité des Algériens qui vivent dans les quartiers sont des familles de harkis. Nous, on est des mecs de Vierzon, on n'est pas concernés, et on a envie qu'ils continuent, mais les mecs de Bourges ne digèrent pas du tout ces paroles et ça part complètement en vrille. Insultes, projectiles, ça part dans tous les sens. Et le groupe, qui venait d'attaquer donc le titre Traître, ne peut même pas terminer la chanson, il est obligé de quitter la scène tellement ça devient explosif. Le concert s'arrête là. Très vite. Le van du ministère Hammer sur le parking est identifié et il y a du monde qui commence à se rassembler autour. Beaucoup de tension, mais les membres du ministère Hammer parviennent à monter dans le van sans violence. Le van démarre, mais se prend quand même quelques projectiles. Le véhicule fait une espèce de demi-tour. Le mec et leur serviette chauffeur de garde du corps sort un calibre et là, c'est la panique. Tout le monde court dans tous les sens. Et au moment où le mec arme et tire, on s'aperçoit que c'est un pistolet d'alarme. Ça envoie une espèce de fusée de détresse. Ça fait un bruit sourd, ça éclate dans le ciel comme un feu d'artifice. Donc plus de peur que de mal, mais ça excite un peu tout le monde. Et je me souviens qu'on était en équipe avec plusieurs mecs des quartiers de Vierzon et on se disait, il est peut-être temps de foutre le camp parce que ça commence à sentir mauvais. Je vous raconte ces deux anecdotes pour vous montrer à quel point le rap à cette époque se vivait comme un monde culturel parallèle. On le vivait entre mecs des quartiers. D'où cette image d'un ovni dans le ciel de Paris que j'empruntais à Kenaton. Et dès qu'on a aperçu cet ovni, on s'est réjouis tellement on ne trouvait pas notre place à l'époque. Philippe Manœuvre, encore lui, m'a raconté quasiment la même chose pour le rock. Quand il était minot, il vivait en province et à son époque, le grand truc, c'était la musette, les balles musette. Les artistes musette étaient les rois de la France et tout le monde en bouffait à volonté. Ceux qui ne savent pas ce que c'est, cherchez sur Google et vous comprendrez. Et Philippe Manoeuvre me raconte que la première fois avec ses copains, ils entendent un titre de rock avec la guitare électrique, ils se sont barrés en courant. Plus jamais ils n'ont mis les pieds dans un endroit où on jouait de la musette. Pour le rap, c'est pareil. Nous, on se tapait toute la scène pop, variété, rock français et on n'en pouvait plus. Il y avait des choses bien évidemment, mais majoritairement c'était déprimant. C'était même souvent nul. En dehors de copier les américains, il n'y avait pas grand chose. Et en plus, il y avait ce côté excluant de la part des artistes français. En tout cas, c'était perçu comme tel par les quartiers. Donc, quand le vaisseau RAP a atterri à Paris et ailleurs en France, on les a vus comme les sauveurs, pas comme les envahisseurs. Même si on aurait dû rester prudent, car ça s'est compliqué par la suite, comme souvent. Précision importante, la culture qui vient d'ailleurs est généralement apportée... par des gens qui voyagent. Et en général, pour voyager, surtout à l'époque, il faut des moyens financiers. Donc, ce qui peut apparaître paradoxal, c'est que ce sont des personnes qui sont issues de la classe moyenne, voire classe moyenne supérieure, et même bourgeoisie, qui vont amener en France cette culture issue des ghettos américains. Il y a des gens issus de milieux modestes qui l'ont amené ici, mais d'après ce qu'on sait aujourd'hui, ils sont minoritaires. Et donc, le paradoxe, c'est que ces gens issus de milieux aisés vont apporter une culture qui va se développer dans les quartiers, notamment en raison de son côté accessible pour les classes populaires. Il n'y avait pas besoin d'avoir fait le conservatoire, de savoir jouer d'un instrument ou de savoir chanter. Avec un peu de travail et un peu de matériel, on pouvait facilement lancer le truc. Même si souvent le rôle du DJ était occupé par des profils un peu différents étant donné qu'il fallait investir de l'argent. Le problème c'est que ce côté accessible va devenir presque un fardeau et même un outil pour ghettoiser encore plus les quartiers. En gros, le rap c'est à peu près tout ce qu'on va proposer aux jeunes des quartiers niveau musique et loisirs à cette époque. On peut venir d'un quartier et se foutre royalement du rap. J'ai connu beaucoup de personnes comme ça. Et on peut aimer le rap, mais avoir envie de faire autre chose que musique, découvrir d'autres cultures, tout simplement. Donc malheureusement, le rap ne va pas seulement devenir la musique du ghetto, mais devenir le ghetto lui-même. Et il va devenir le ghetto parce qu'on va regarder cette musique uniquement sous un angle social. Donc cela va profiter à plusieurs artistes, pour les raisons que j'ai expliquées dans la première partie, mais ça va également les enfermer dans un rôle dont ils vont vouloir sortir ensuite. Lorsque le rap français explose, à quelques rares exceptions près, on invite les rappeurs dans des débats de société. pas dans des émissions musicales. Et malheureusement, ces rappeurs vont y aller, ça peut se comprendre, et souvent, ça va mal se passer parce qu'ils ne sont pas du tout formés pour contredire un politique qui va la plupart du temps vouloir les humilier. D'ailleurs, c'est ce qui se passe à l'époque, même lorsqu'on invite les rappeurs dans des émissions de divertissement. On s'adresse à eux en faisant yo-yo-yo, en caricaturant l'accent des quartiers, on leur demande de tourner sur la tête ou d'improviser un petit rap en direct. Il y a énormément d'images d'archives qui montrent très bien tout ça. Dans le podium historique du rap français, on a donc dans le désordre NTM, IAM et un groupe dont on n'a pas encore parlé, c'est Assassin. Assassin, c'est l'un des groupes qui symbolise cette tendance hardcore qui va dominer les débuts du rap français. Et c'est un groupe qui est très lié à NTM, ils font leur début à Nova ensemble, ils collaborent régulièrement. Bref, c'est vraiment deux groupes inséparables au début du rap français. Assassin, c'est certainement le groupe le plus politique à l'époque, avec même un discours avant-gardiste assez incroyable, puisque leur premier album, double album, est intitulé Le futur que nous réserve-t-il Le titre de l'album évoque largement la question de l'écologie, et tout ça en 1993, c'est important de le souligner. A ses débuts, Assassin est signé dans une maison de disques, mais ils sont tellement écœurés par l'attitude des majors en général, avec les rappeurs, qu'ils vont très vite casser leur contrat pour créer la première structure indépendante du rap français qui s'appelle Assassin Productions Le titre que vous venez d'entendre est tiré du premier album d'Assassin qui est sorti en 1993. 1993, c'est également l'année où NTM va sortir son deuxième album intitulé 1993. J'appuie sur la gâchette. La chanson-titre est un contre-pied magnifique parce qu'on se dit ça y est, ça va tirer dans tous les sens alors que pas du tout. J'appuie sur la gâchette, c'est une chanson sur le suicide, avec un texte là aussi avant-gardiste sur un fléau qui est aujourd'hui beaucoup plus médiatisé. Donc c'est vrai que c'est à la fois courageux et risqué de miser sur une thématique aussi tragique pour le titre d'un album. L'album est globalement hardcore mais avec un ton parfois un peu plus léger qui apparaît et surtout il est beaucoup plus musical, moins brut que le premier, authentique. Le problème, c'est que cet album va moins bien marcher que le premier. L'effet de nouveauté est passé, il n'y a pas des meutes comme celle de Vaughan Vlin pour pousser l'album. Bref, la maison de disques est déçue. L'album ne passe toujours pas en radio, et NTM en fait même un argument, puisqu'à l'époque, je me souviens qu'il y avait un spot de pub, on voyait Coolshen et Joey Star malmener un poste de radio, et ensuite, on entendait une voix off qui disait J'appuie sur la gâchette, l'album que vous ne risquez pas d'entendre à la radio C'est entre ce disque et le troisième album de NTM, Paris sous les bombes, que la rupture va se faire avec Assassin. Une rupture brutale et définitive qui, 30 années plus tard, n'a jamais été expliquée de manière claire par les principaux protagonistes. Mais on devine que la rupture est évidemment liée à une divergence au niveau de l'évolution artistique. NTM a eu envie de se détacher de ce côté hardcore et voulait être considéré comme un vrai groupe de musique, et plus comme un ambassadeur des quartiers. De son côté, Assassin, représenté par leur leader, Hankinsquat, voulait absolument continuer dans cette veine hardcore avec un engagement politique. contre l'autorité, contre le pouvoir. Pour eux, il n'y avait pas de place pour le fun. Pour dire les choses autrement, NTM a eu envie de passer en radio et de gagner de l'argent. Et c'est normal lorsqu'on vient de milieux modestes et qu'on a des familles à nourrir. En Rock'n'squad, c'est différent. On lui a souvent reproché dans le milieu de venir d'une famille riche, ce qui est vrai. Donc forcément, Rock'n'squad ne vit pas les choses de la même manière qu'un gars qui vient de Saint-Denis. C'est aussi simple que ça. La passion, c'est bien, mais au bout d'un moment, quand on n'est pas rentier, on a juste besoin de gagner sa vie. Il y a un adage qui dit En 1995, je roulais en voiture quand j'ai entendu NTM à la radio pour la première fois. C'était quelques jours avant la sortie de leur troisième album et je suis tombé sur un de leurs titres en exclu, c'était La Fièvre. Ce jour-là, j'ai tout de suite compris que plus rien ne serait comme avant. En bien ou en mal, ce n'est pas la question. C'est juste qu'on avait basculé dans une ère différente. Notre monde parallèle venait de tomber. Le rap français ne nous appartenait plus. Voilà, je vais m'arrêter sur cette date ô combien symbolique de 1995 pour cet épisode de 80 BPM consacré au rap français. Avant de terminer, j'aimerais citer un rappeur que j'aime beaucoup, c'est Fab. Plusieurs années après avoir définitivement quitté le milieu, il a donné une interview unique pour s'expliquer. Il avait notamment dit Le meilleur rappeur, c'est celui qui arrête le rap Je vous laisse méditer sur cette petite phrase. Moi en tout cas, je me dis que le style de rap qu'on écoutait dans les années 90 reviendra peut-être un jour parce que c'est une question de cycle. Tout comme on est revenu à l'âge d'or du rock des années 60-70, on reviendra forcément à l'âge d'or du rap. Le futur nous le dira. J'ai grandi dans les années 80, et si vous me faites l'honneur d'avoir trouvé ce podcast intéressant, alors ça voudrait dire que j'ai réussi à vous transmettre l'esprit de cette décennie. Pensez à liker 80BPM, abonnez-vous, commentez, partagez. Merci pour l'écoute et à bientôt.

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Description

Un concert de NTM en plein air, au milieu des blocs... Ministère A.M.E.R qui se fait virer de scène avant que la situation ne dégénère complètement...


Dans la deuxième partie de cet épisode consacré aux débuts du rap français, je partage quelques anecdotes pour vous décrire la dimension "underground" de l'époque. Ce podcast revient également sur la condescendance des médias à l'égard des rappeurs dans les années 90, invités la plupart du temps dans des débats de société ou pour être moqués.


Enfin, à travers la rupture entre NTM et Assassin, cet épisode évoque le point de non-retour atteint en 1995 et la fin d'une ère pour le rap français.


"Quand le vaisseau rap a atterri à Paris et ailleurs en France, on les a vus comme les sauveurs, pas comme les envahisseurs… Mais on aurait dû rester prudents..."






Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Ça, c'est pour vous donner une idée de la puissance de NTM, à l'ancienne. Dans ce deuxième volet consacré au rap français, je vais vous raconter un concert épique de NTM auquel j'ai assisté en 91. Ça se passait au milieu de la cité du Sanitas, à Tours. Je vais aussi vous parler d'un concert du ministère amer à Bourse qui s'est terminé dans la confusion de la pluie totale avec le groupe qui s'est fait virer de scène et leur garde du corps qui est obligé de sortir un calibre pour calmer tout le monde. Et puis j'évoquerai la rupture entre NTM et Assassin pour expliquer pourquoi et comment le rap français s'est transformé au milieu des années 90. Bonjour et bienvenue dans 80 BPM, le podcast qui vous transporte au loin du stress des chaînes d'infos et des réseaux sociaux. A la fin de la première partie de cet épisode consacré au rap français, on s'est arrêté à la sortie de l'album Authentic, considéré comme un disque pionnier. Difficile de citer tout le monde au niveau des pionniers, donc ne m'en voulez pas si je ne cite pas vos artistes favoris. Je suis ici pour vous raconter une histoire du rap français, pas l'histoire du rap français. On a évidemment Solar, qui va cartonner dès son premier album, Proz Combat, qui va se vendre à 400 000 exemplaires, C'est un style très différent, assez loin du hardcore comme on l'aime à l'époque dans les quartiers. Donc très vite, Solar va s'intégrer au show business et sortir en quelque sorte du milieu du rap. D'ailleurs, il est très critiqué d'emblée par NTM qui le déteste vraiment. Grosse scène aussi à Vitry avec notamment des Little MC, Super Group qui est dû aussi dans un délire plus cool, mais ils vont se séparer assez rapidement malheureusement. Et on peut citer Marseille avec évidemment I Am qui est à l'époque le seul gros groupe hors région parisienne et surtout qui va devenir le principal rival de NTM. Lorsque je vous parle de ces artistes, on pourrait avoir l'impression que ça avait déjà explosé partout en France, alors que ce n'est pas du tout le cas. A l'époque des premières sorties d'Aura Français, il y a encore un côté très confidentiel, très marginal. J'ai envie de dire qu'il fallait en être pour connaître. L'Aura Français ne passait pas du tout à la radio, les concerts étaient assez rares et se déroulaient souvent dans des lieux dits alternatifs. En tout cas, on avait rarement droit aux vraies salles de concert. Et c'était assez rudimentaire au niveau des moyens mis à disposition. Moi, par exemple, la première fois que j'ai vu NTM, c'était à Tours, donc en... en 1991, dans le quartier du Sanitas. Le Sanitas qui est un gros quartier à l'intérieur de la ville de Tours, aujourd'hui réhabilité, mais à l'époque c'était très chaud. D'ailleurs, c'est un concierge qui était placé sous le signe de la lutte contre la drogue. Il y avait une partie de ce quartier qu'on appelait la Cité Blanche, tellement la drogue dure était présente. La Seine avait été montée au milieu du quartier, c'était gratuit, je devais avoir 13 ou 14 ans. NTM avait débarqué avec une rage vraiment incroyable. Pour ceux qui ont seulement connu la version de NTM en duo, il faut préciser qu'à leur début, NTM, ils étaient je crois 8 ou 9 sur scène et on n'avait jamais vu ça. Que ce soit Joey Star avec sa voix éraillée qui hurlait pour demander au public de faire du bruit, Cool Chen qui faisait des figures de breakdance juste dingues, c'était une vraie claque. Je le dis souvent, mais pour moi, le NTM de cette époque, c'était le meilleur groupe de rap du monde sur scène. Je les ai vus plusieurs fois par la suite, et j'ai vu beaucoup de grands artistes de rap, y compris américains. NTM sur scène, c'était une tornade. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien si c'est l'un des seuls groupes de rap à avoir sorti des albums live comme celui que j'ai passé au début de ce podcast. Et pour en revenir à ce jour-là, à la fin du concert, ils ont salué le public. Leur van avec le graphe NTM a débarqué derrière la scène. La porte coulissante s'est ouverte. Ils se sont jetés dedans. Ils ont démarré immédiatement. C'était ça le rap à l'époque. Il n'y avait ni loge, ni caprice de star, ni selfie avec le public. Et c'est en ça que c'était unique. Et on sait très bien qu'on ne retrouvera plus jamais cette énergie, ce frisson des débuts. et c'est normal, c'est logique. Autre concert dont je voulais vous parler, c'est celui du Ministère Hammer auquel j'ai assisté en 92. Ça s'est passé au Centre Culturel de la Chancellerie. La Chancellerie, c'est l'un des plus gros quartiers de la ville de Bourges. Ministère Hammer, c'est un groupe mythique, mais malheureusement, ils occupent la plus mauvaise place dans le classement historique du rap français puisqu'ils arrivent quatrième, au pied du podium. C'est un peu comme les Kings pour le rock, si vous voulez. C'est ce que j'avais déjà écrit dans mon livre, K.O. Football Club. Donc ce jour de juin 92, le ministère se produit sur scène. Le concert est génial, super énergie, il donne absolument tout. Et à un moment, il s'apprête à chanter un titre qui s'appelle Traître. Et comme son nom l'indique, ce titre dénonce les traîtres au sein des communautés noires. Et juste avant d'attaquer le morceau, il y a Kenzie qui prend la parole pour introduire le titre. Kenzie, membre du ministère Murr, qui a un rôle assez unique en son genre, puisqu'il est à la fois manager, porte-parole, et il fait même quelques apparitions sur des titres. Donc Kenzie s'adresse au public, qui est majoritairement d'origine maghrébine, et dit la chose suivante. Chez nous, les Noirs, les traîtres, on les appelle les Bountis. Chez vous, on les appelle les Harkis. Et vous savez ce qu'on fait aux traîtres. Et là, c'est le drame, puisque, mauvaise pioche, à Bourges, la majorité des Algériens qui vivent dans les quartiers sont des familles de harkis. Nous, on est des mecs de Vierzon, on n'est pas concernés, et on a envie qu'ils continuent, mais les mecs de Bourges ne digèrent pas du tout ces paroles et ça part complètement en vrille. Insultes, projectiles, ça part dans tous les sens. Et le groupe, qui venait d'attaquer donc le titre Traître, ne peut même pas terminer la chanson, il est obligé de quitter la scène tellement ça devient explosif. Le concert s'arrête là. Très vite. Le van du ministère Hammer sur le parking est identifié et il y a du monde qui commence à se rassembler autour. Beaucoup de tension, mais les membres du ministère Hammer parviennent à monter dans le van sans violence. Le van démarre, mais se prend quand même quelques projectiles. Le véhicule fait une espèce de demi-tour. Le mec et leur serviette chauffeur de garde du corps sort un calibre et là, c'est la panique. Tout le monde court dans tous les sens. Et au moment où le mec arme et tire, on s'aperçoit que c'est un pistolet d'alarme. Ça envoie une espèce de fusée de détresse. Ça fait un bruit sourd, ça éclate dans le ciel comme un feu d'artifice. Donc plus de peur que de mal, mais ça excite un peu tout le monde. Et je me souviens qu'on était en équipe avec plusieurs mecs des quartiers de Vierzon et on se disait, il est peut-être temps de foutre le camp parce que ça commence à sentir mauvais. Je vous raconte ces deux anecdotes pour vous montrer à quel point le rap à cette époque se vivait comme un monde culturel parallèle. On le vivait entre mecs des quartiers. D'où cette image d'un ovni dans le ciel de Paris que j'empruntais à Kenaton. Et dès qu'on a aperçu cet ovni, on s'est réjouis tellement on ne trouvait pas notre place à l'époque. Philippe Manœuvre, encore lui, m'a raconté quasiment la même chose pour le rock. Quand il était minot, il vivait en province et à son époque, le grand truc, c'était la musette, les balles musette. Les artistes musette étaient les rois de la France et tout le monde en bouffait à volonté. Ceux qui ne savent pas ce que c'est, cherchez sur Google et vous comprendrez. Et Philippe Manoeuvre me raconte que la première fois avec ses copains, ils entendent un titre de rock avec la guitare électrique, ils se sont barrés en courant. Plus jamais ils n'ont mis les pieds dans un endroit où on jouait de la musette. Pour le rap, c'est pareil. Nous, on se tapait toute la scène pop, variété, rock français et on n'en pouvait plus. Il y avait des choses bien évidemment, mais majoritairement c'était déprimant. C'était même souvent nul. En dehors de copier les américains, il n'y avait pas grand chose. Et en plus, il y avait ce côté excluant de la part des artistes français. En tout cas, c'était perçu comme tel par les quartiers. Donc, quand le vaisseau RAP a atterri à Paris et ailleurs en France, on les a vus comme les sauveurs, pas comme les envahisseurs. Même si on aurait dû rester prudent, car ça s'est compliqué par la suite, comme souvent. Précision importante, la culture qui vient d'ailleurs est généralement apportée... par des gens qui voyagent. Et en général, pour voyager, surtout à l'époque, il faut des moyens financiers. Donc, ce qui peut apparaître paradoxal, c'est que ce sont des personnes qui sont issues de la classe moyenne, voire classe moyenne supérieure, et même bourgeoisie, qui vont amener en France cette culture issue des ghettos américains. Il y a des gens issus de milieux modestes qui l'ont amené ici, mais d'après ce qu'on sait aujourd'hui, ils sont minoritaires. Et donc, le paradoxe, c'est que ces gens issus de milieux aisés vont apporter une culture qui va se développer dans les quartiers, notamment en raison de son côté accessible pour les classes populaires. Il n'y avait pas besoin d'avoir fait le conservatoire, de savoir jouer d'un instrument ou de savoir chanter. Avec un peu de travail et un peu de matériel, on pouvait facilement lancer le truc. Même si souvent le rôle du DJ était occupé par des profils un peu différents étant donné qu'il fallait investir de l'argent. Le problème c'est que ce côté accessible va devenir presque un fardeau et même un outil pour ghettoiser encore plus les quartiers. En gros, le rap c'est à peu près tout ce qu'on va proposer aux jeunes des quartiers niveau musique et loisirs à cette époque. On peut venir d'un quartier et se foutre royalement du rap. J'ai connu beaucoup de personnes comme ça. Et on peut aimer le rap, mais avoir envie de faire autre chose que musique, découvrir d'autres cultures, tout simplement. Donc malheureusement, le rap ne va pas seulement devenir la musique du ghetto, mais devenir le ghetto lui-même. Et il va devenir le ghetto parce qu'on va regarder cette musique uniquement sous un angle social. Donc cela va profiter à plusieurs artistes, pour les raisons que j'ai expliquées dans la première partie, mais ça va également les enfermer dans un rôle dont ils vont vouloir sortir ensuite. Lorsque le rap français explose, à quelques rares exceptions près, on invite les rappeurs dans des débats de société. pas dans des émissions musicales. Et malheureusement, ces rappeurs vont y aller, ça peut se comprendre, et souvent, ça va mal se passer parce qu'ils ne sont pas du tout formés pour contredire un politique qui va la plupart du temps vouloir les humilier. D'ailleurs, c'est ce qui se passe à l'époque, même lorsqu'on invite les rappeurs dans des émissions de divertissement. On s'adresse à eux en faisant yo-yo-yo, en caricaturant l'accent des quartiers, on leur demande de tourner sur la tête ou d'improviser un petit rap en direct. Il y a énormément d'images d'archives qui montrent très bien tout ça. Dans le podium historique du rap français, on a donc dans le désordre NTM, IAM et un groupe dont on n'a pas encore parlé, c'est Assassin. Assassin, c'est l'un des groupes qui symbolise cette tendance hardcore qui va dominer les débuts du rap français. Et c'est un groupe qui est très lié à NTM, ils font leur début à Nova ensemble, ils collaborent régulièrement. Bref, c'est vraiment deux groupes inséparables au début du rap français. Assassin, c'est certainement le groupe le plus politique à l'époque, avec même un discours avant-gardiste assez incroyable, puisque leur premier album, double album, est intitulé Le futur que nous réserve-t-il Le titre de l'album évoque largement la question de l'écologie, et tout ça en 1993, c'est important de le souligner. A ses débuts, Assassin est signé dans une maison de disques, mais ils sont tellement écœurés par l'attitude des majors en général, avec les rappeurs, qu'ils vont très vite casser leur contrat pour créer la première structure indépendante du rap français qui s'appelle Assassin Productions Le titre que vous venez d'entendre est tiré du premier album d'Assassin qui est sorti en 1993. 1993, c'est également l'année où NTM va sortir son deuxième album intitulé 1993. J'appuie sur la gâchette. La chanson-titre est un contre-pied magnifique parce qu'on se dit ça y est, ça va tirer dans tous les sens alors que pas du tout. J'appuie sur la gâchette, c'est une chanson sur le suicide, avec un texte là aussi avant-gardiste sur un fléau qui est aujourd'hui beaucoup plus médiatisé. Donc c'est vrai que c'est à la fois courageux et risqué de miser sur une thématique aussi tragique pour le titre d'un album. L'album est globalement hardcore mais avec un ton parfois un peu plus léger qui apparaît et surtout il est beaucoup plus musical, moins brut que le premier, authentique. Le problème, c'est que cet album va moins bien marcher que le premier. L'effet de nouveauté est passé, il n'y a pas des meutes comme celle de Vaughan Vlin pour pousser l'album. Bref, la maison de disques est déçue. L'album ne passe toujours pas en radio, et NTM en fait même un argument, puisqu'à l'époque, je me souviens qu'il y avait un spot de pub, on voyait Coolshen et Joey Star malmener un poste de radio, et ensuite, on entendait une voix off qui disait J'appuie sur la gâchette, l'album que vous ne risquez pas d'entendre à la radio C'est entre ce disque et le troisième album de NTM, Paris sous les bombes, que la rupture va se faire avec Assassin. Une rupture brutale et définitive qui, 30 années plus tard, n'a jamais été expliquée de manière claire par les principaux protagonistes. Mais on devine que la rupture est évidemment liée à une divergence au niveau de l'évolution artistique. NTM a eu envie de se détacher de ce côté hardcore et voulait être considéré comme un vrai groupe de musique, et plus comme un ambassadeur des quartiers. De son côté, Assassin, représenté par leur leader, Hankinsquat, voulait absolument continuer dans cette veine hardcore avec un engagement politique. contre l'autorité, contre le pouvoir. Pour eux, il n'y avait pas de place pour le fun. Pour dire les choses autrement, NTM a eu envie de passer en radio et de gagner de l'argent. Et c'est normal lorsqu'on vient de milieux modestes et qu'on a des familles à nourrir. En Rock'n'squad, c'est différent. On lui a souvent reproché dans le milieu de venir d'une famille riche, ce qui est vrai. Donc forcément, Rock'n'squad ne vit pas les choses de la même manière qu'un gars qui vient de Saint-Denis. C'est aussi simple que ça. La passion, c'est bien, mais au bout d'un moment, quand on n'est pas rentier, on a juste besoin de gagner sa vie. Il y a un adage qui dit En 1995, je roulais en voiture quand j'ai entendu NTM à la radio pour la première fois. C'était quelques jours avant la sortie de leur troisième album et je suis tombé sur un de leurs titres en exclu, c'était La Fièvre. Ce jour-là, j'ai tout de suite compris que plus rien ne serait comme avant. En bien ou en mal, ce n'est pas la question. C'est juste qu'on avait basculé dans une ère différente. Notre monde parallèle venait de tomber. Le rap français ne nous appartenait plus. Voilà, je vais m'arrêter sur cette date ô combien symbolique de 1995 pour cet épisode de 80 BPM consacré au rap français. Avant de terminer, j'aimerais citer un rappeur que j'aime beaucoup, c'est Fab. Plusieurs années après avoir définitivement quitté le milieu, il a donné une interview unique pour s'expliquer. Il avait notamment dit Le meilleur rappeur, c'est celui qui arrête le rap Je vous laisse méditer sur cette petite phrase. Moi en tout cas, je me dis que le style de rap qu'on écoutait dans les années 90 reviendra peut-être un jour parce que c'est une question de cycle. Tout comme on est revenu à l'âge d'or du rock des années 60-70, on reviendra forcément à l'âge d'or du rap. Le futur nous le dira. J'ai grandi dans les années 80, et si vous me faites l'honneur d'avoir trouvé ce podcast intéressant, alors ça voudrait dire que j'ai réussi à vous transmettre l'esprit de cette décennie. Pensez à liker 80BPM, abonnez-vous, commentez, partagez. Merci pour l'écoute et à bientôt.

Description

Un concert de NTM en plein air, au milieu des blocs... Ministère A.M.E.R qui se fait virer de scène avant que la situation ne dégénère complètement...


Dans la deuxième partie de cet épisode consacré aux débuts du rap français, je partage quelques anecdotes pour vous décrire la dimension "underground" de l'époque. Ce podcast revient également sur la condescendance des médias à l'égard des rappeurs dans les années 90, invités la plupart du temps dans des débats de société ou pour être moqués.


Enfin, à travers la rupture entre NTM et Assassin, cet épisode évoque le point de non-retour atteint en 1995 et la fin d'une ère pour le rap français.


"Quand le vaisseau rap a atterri à Paris et ailleurs en France, on les a vus comme les sauveurs, pas comme les envahisseurs… Mais on aurait dû rester prudents..."






Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Ça, c'est pour vous donner une idée de la puissance de NTM, à l'ancienne. Dans ce deuxième volet consacré au rap français, je vais vous raconter un concert épique de NTM auquel j'ai assisté en 91. Ça se passait au milieu de la cité du Sanitas, à Tours. Je vais aussi vous parler d'un concert du ministère amer à Bourse qui s'est terminé dans la confusion de la pluie totale avec le groupe qui s'est fait virer de scène et leur garde du corps qui est obligé de sortir un calibre pour calmer tout le monde. Et puis j'évoquerai la rupture entre NTM et Assassin pour expliquer pourquoi et comment le rap français s'est transformé au milieu des années 90. Bonjour et bienvenue dans 80 BPM, le podcast qui vous transporte au loin du stress des chaînes d'infos et des réseaux sociaux. A la fin de la première partie de cet épisode consacré au rap français, on s'est arrêté à la sortie de l'album Authentic, considéré comme un disque pionnier. Difficile de citer tout le monde au niveau des pionniers, donc ne m'en voulez pas si je ne cite pas vos artistes favoris. Je suis ici pour vous raconter une histoire du rap français, pas l'histoire du rap français. On a évidemment Solar, qui va cartonner dès son premier album, Proz Combat, qui va se vendre à 400 000 exemplaires, C'est un style très différent, assez loin du hardcore comme on l'aime à l'époque dans les quartiers. Donc très vite, Solar va s'intégrer au show business et sortir en quelque sorte du milieu du rap. D'ailleurs, il est très critiqué d'emblée par NTM qui le déteste vraiment. Grosse scène aussi à Vitry avec notamment des Little MC, Super Group qui est dû aussi dans un délire plus cool, mais ils vont se séparer assez rapidement malheureusement. Et on peut citer Marseille avec évidemment I Am qui est à l'époque le seul gros groupe hors région parisienne et surtout qui va devenir le principal rival de NTM. Lorsque je vous parle de ces artistes, on pourrait avoir l'impression que ça avait déjà explosé partout en France, alors que ce n'est pas du tout le cas. A l'époque des premières sorties d'Aura Français, il y a encore un côté très confidentiel, très marginal. J'ai envie de dire qu'il fallait en être pour connaître. L'Aura Français ne passait pas du tout à la radio, les concerts étaient assez rares et se déroulaient souvent dans des lieux dits alternatifs. En tout cas, on avait rarement droit aux vraies salles de concert. Et c'était assez rudimentaire au niveau des moyens mis à disposition. Moi, par exemple, la première fois que j'ai vu NTM, c'était à Tours, donc en... en 1991, dans le quartier du Sanitas. Le Sanitas qui est un gros quartier à l'intérieur de la ville de Tours, aujourd'hui réhabilité, mais à l'époque c'était très chaud. D'ailleurs, c'est un concierge qui était placé sous le signe de la lutte contre la drogue. Il y avait une partie de ce quartier qu'on appelait la Cité Blanche, tellement la drogue dure était présente. La Seine avait été montée au milieu du quartier, c'était gratuit, je devais avoir 13 ou 14 ans. NTM avait débarqué avec une rage vraiment incroyable. Pour ceux qui ont seulement connu la version de NTM en duo, il faut préciser qu'à leur début, NTM, ils étaient je crois 8 ou 9 sur scène et on n'avait jamais vu ça. Que ce soit Joey Star avec sa voix éraillée qui hurlait pour demander au public de faire du bruit, Cool Chen qui faisait des figures de breakdance juste dingues, c'était une vraie claque. Je le dis souvent, mais pour moi, le NTM de cette époque, c'était le meilleur groupe de rap du monde sur scène. Je les ai vus plusieurs fois par la suite, et j'ai vu beaucoup de grands artistes de rap, y compris américains. NTM sur scène, c'était une tornade. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien si c'est l'un des seuls groupes de rap à avoir sorti des albums live comme celui que j'ai passé au début de ce podcast. Et pour en revenir à ce jour-là, à la fin du concert, ils ont salué le public. Leur van avec le graphe NTM a débarqué derrière la scène. La porte coulissante s'est ouverte. Ils se sont jetés dedans. Ils ont démarré immédiatement. C'était ça le rap à l'époque. Il n'y avait ni loge, ni caprice de star, ni selfie avec le public. Et c'est en ça que c'était unique. Et on sait très bien qu'on ne retrouvera plus jamais cette énergie, ce frisson des débuts. et c'est normal, c'est logique. Autre concert dont je voulais vous parler, c'est celui du Ministère Hammer auquel j'ai assisté en 92. Ça s'est passé au Centre Culturel de la Chancellerie. La Chancellerie, c'est l'un des plus gros quartiers de la ville de Bourges. Ministère Hammer, c'est un groupe mythique, mais malheureusement, ils occupent la plus mauvaise place dans le classement historique du rap français puisqu'ils arrivent quatrième, au pied du podium. C'est un peu comme les Kings pour le rock, si vous voulez. C'est ce que j'avais déjà écrit dans mon livre, K.O. Football Club. Donc ce jour de juin 92, le ministère se produit sur scène. Le concert est génial, super énergie, il donne absolument tout. Et à un moment, il s'apprête à chanter un titre qui s'appelle Traître. Et comme son nom l'indique, ce titre dénonce les traîtres au sein des communautés noires. Et juste avant d'attaquer le morceau, il y a Kenzie qui prend la parole pour introduire le titre. Kenzie, membre du ministère Murr, qui a un rôle assez unique en son genre, puisqu'il est à la fois manager, porte-parole, et il fait même quelques apparitions sur des titres. Donc Kenzie s'adresse au public, qui est majoritairement d'origine maghrébine, et dit la chose suivante. Chez nous, les Noirs, les traîtres, on les appelle les Bountis. Chez vous, on les appelle les Harkis. Et vous savez ce qu'on fait aux traîtres. Et là, c'est le drame, puisque, mauvaise pioche, à Bourges, la majorité des Algériens qui vivent dans les quartiers sont des familles de harkis. Nous, on est des mecs de Vierzon, on n'est pas concernés, et on a envie qu'ils continuent, mais les mecs de Bourges ne digèrent pas du tout ces paroles et ça part complètement en vrille. Insultes, projectiles, ça part dans tous les sens. Et le groupe, qui venait d'attaquer donc le titre Traître, ne peut même pas terminer la chanson, il est obligé de quitter la scène tellement ça devient explosif. Le concert s'arrête là. Très vite. Le van du ministère Hammer sur le parking est identifié et il y a du monde qui commence à se rassembler autour. Beaucoup de tension, mais les membres du ministère Hammer parviennent à monter dans le van sans violence. Le van démarre, mais se prend quand même quelques projectiles. Le véhicule fait une espèce de demi-tour. Le mec et leur serviette chauffeur de garde du corps sort un calibre et là, c'est la panique. Tout le monde court dans tous les sens. Et au moment où le mec arme et tire, on s'aperçoit que c'est un pistolet d'alarme. Ça envoie une espèce de fusée de détresse. Ça fait un bruit sourd, ça éclate dans le ciel comme un feu d'artifice. Donc plus de peur que de mal, mais ça excite un peu tout le monde. Et je me souviens qu'on était en équipe avec plusieurs mecs des quartiers de Vierzon et on se disait, il est peut-être temps de foutre le camp parce que ça commence à sentir mauvais. Je vous raconte ces deux anecdotes pour vous montrer à quel point le rap à cette époque se vivait comme un monde culturel parallèle. On le vivait entre mecs des quartiers. D'où cette image d'un ovni dans le ciel de Paris que j'empruntais à Kenaton. Et dès qu'on a aperçu cet ovni, on s'est réjouis tellement on ne trouvait pas notre place à l'époque. Philippe Manœuvre, encore lui, m'a raconté quasiment la même chose pour le rock. Quand il était minot, il vivait en province et à son époque, le grand truc, c'était la musette, les balles musette. Les artistes musette étaient les rois de la France et tout le monde en bouffait à volonté. Ceux qui ne savent pas ce que c'est, cherchez sur Google et vous comprendrez. Et Philippe Manoeuvre me raconte que la première fois avec ses copains, ils entendent un titre de rock avec la guitare électrique, ils se sont barrés en courant. Plus jamais ils n'ont mis les pieds dans un endroit où on jouait de la musette. Pour le rap, c'est pareil. Nous, on se tapait toute la scène pop, variété, rock français et on n'en pouvait plus. Il y avait des choses bien évidemment, mais majoritairement c'était déprimant. C'était même souvent nul. En dehors de copier les américains, il n'y avait pas grand chose. Et en plus, il y avait ce côté excluant de la part des artistes français. En tout cas, c'était perçu comme tel par les quartiers. Donc, quand le vaisseau RAP a atterri à Paris et ailleurs en France, on les a vus comme les sauveurs, pas comme les envahisseurs. Même si on aurait dû rester prudent, car ça s'est compliqué par la suite, comme souvent. Précision importante, la culture qui vient d'ailleurs est généralement apportée... par des gens qui voyagent. Et en général, pour voyager, surtout à l'époque, il faut des moyens financiers. Donc, ce qui peut apparaître paradoxal, c'est que ce sont des personnes qui sont issues de la classe moyenne, voire classe moyenne supérieure, et même bourgeoisie, qui vont amener en France cette culture issue des ghettos américains. Il y a des gens issus de milieux modestes qui l'ont amené ici, mais d'après ce qu'on sait aujourd'hui, ils sont minoritaires. Et donc, le paradoxe, c'est que ces gens issus de milieux aisés vont apporter une culture qui va se développer dans les quartiers, notamment en raison de son côté accessible pour les classes populaires. Il n'y avait pas besoin d'avoir fait le conservatoire, de savoir jouer d'un instrument ou de savoir chanter. Avec un peu de travail et un peu de matériel, on pouvait facilement lancer le truc. Même si souvent le rôle du DJ était occupé par des profils un peu différents étant donné qu'il fallait investir de l'argent. Le problème c'est que ce côté accessible va devenir presque un fardeau et même un outil pour ghettoiser encore plus les quartiers. En gros, le rap c'est à peu près tout ce qu'on va proposer aux jeunes des quartiers niveau musique et loisirs à cette époque. On peut venir d'un quartier et se foutre royalement du rap. J'ai connu beaucoup de personnes comme ça. Et on peut aimer le rap, mais avoir envie de faire autre chose que musique, découvrir d'autres cultures, tout simplement. Donc malheureusement, le rap ne va pas seulement devenir la musique du ghetto, mais devenir le ghetto lui-même. Et il va devenir le ghetto parce qu'on va regarder cette musique uniquement sous un angle social. Donc cela va profiter à plusieurs artistes, pour les raisons que j'ai expliquées dans la première partie, mais ça va également les enfermer dans un rôle dont ils vont vouloir sortir ensuite. Lorsque le rap français explose, à quelques rares exceptions près, on invite les rappeurs dans des débats de société. pas dans des émissions musicales. Et malheureusement, ces rappeurs vont y aller, ça peut se comprendre, et souvent, ça va mal se passer parce qu'ils ne sont pas du tout formés pour contredire un politique qui va la plupart du temps vouloir les humilier. D'ailleurs, c'est ce qui se passe à l'époque, même lorsqu'on invite les rappeurs dans des émissions de divertissement. On s'adresse à eux en faisant yo-yo-yo, en caricaturant l'accent des quartiers, on leur demande de tourner sur la tête ou d'improviser un petit rap en direct. Il y a énormément d'images d'archives qui montrent très bien tout ça. Dans le podium historique du rap français, on a donc dans le désordre NTM, IAM et un groupe dont on n'a pas encore parlé, c'est Assassin. Assassin, c'est l'un des groupes qui symbolise cette tendance hardcore qui va dominer les débuts du rap français. Et c'est un groupe qui est très lié à NTM, ils font leur début à Nova ensemble, ils collaborent régulièrement. Bref, c'est vraiment deux groupes inséparables au début du rap français. Assassin, c'est certainement le groupe le plus politique à l'époque, avec même un discours avant-gardiste assez incroyable, puisque leur premier album, double album, est intitulé Le futur que nous réserve-t-il Le titre de l'album évoque largement la question de l'écologie, et tout ça en 1993, c'est important de le souligner. A ses débuts, Assassin est signé dans une maison de disques, mais ils sont tellement écœurés par l'attitude des majors en général, avec les rappeurs, qu'ils vont très vite casser leur contrat pour créer la première structure indépendante du rap français qui s'appelle Assassin Productions Le titre que vous venez d'entendre est tiré du premier album d'Assassin qui est sorti en 1993. 1993, c'est également l'année où NTM va sortir son deuxième album intitulé 1993. J'appuie sur la gâchette. La chanson-titre est un contre-pied magnifique parce qu'on se dit ça y est, ça va tirer dans tous les sens alors que pas du tout. J'appuie sur la gâchette, c'est une chanson sur le suicide, avec un texte là aussi avant-gardiste sur un fléau qui est aujourd'hui beaucoup plus médiatisé. Donc c'est vrai que c'est à la fois courageux et risqué de miser sur une thématique aussi tragique pour le titre d'un album. L'album est globalement hardcore mais avec un ton parfois un peu plus léger qui apparaît et surtout il est beaucoup plus musical, moins brut que le premier, authentique. Le problème, c'est que cet album va moins bien marcher que le premier. L'effet de nouveauté est passé, il n'y a pas des meutes comme celle de Vaughan Vlin pour pousser l'album. Bref, la maison de disques est déçue. L'album ne passe toujours pas en radio, et NTM en fait même un argument, puisqu'à l'époque, je me souviens qu'il y avait un spot de pub, on voyait Coolshen et Joey Star malmener un poste de radio, et ensuite, on entendait une voix off qui disait J'appuie sur la gâchette, l'album que vous ne risquez pas d'entendre à la radio C'est entre ce disque et le troisième album de NTM, Paris sous les bombes, que la rupture va se faire avec Assassin. Une rupture brutale et définitive qui, 30 années plus tard, n'a jamais été expliquée de manière claire par les principaux protagonistes. Mais on devine que la rupture est évidemment liée à une divergence au niveau de l'évolution artistique. NTM a eu envie de se détacher de ce côté hardcore et voulait être considéré comme un vrai groupe de musique, et plus comme un ambassadeur des quartiers. De son côté, Assassin, représenté par leur leader, Hankinsquat, voulait absolument continuer dans cette veine hardcore avec un engagement politique. contre l'autorité, contre le pouvoir. Pour eux, il n'y avait pas de place pour le fun. Pour dire les choses autrement, NTM a eu envie de passer en radio et de gagner de l'argent. Et c'est normal lorsqu'on vient de milieux modestes et qu'on a des familles à nourrir. En Rock'n'squad, c'est différent. On lui a souvent reproché dans le milieu de venir d'une famille riche, ce qui est vrai. Donc forcément, Rock'n'squad ne vit pas les choses de la même manière qu'un gars qui vient de Saint-Denis. C'est aussi simple que ça. La passion, c'est bien, mais au bout d'un moment, quand on n'est pas rentier, on a juste besoin de gagner sa vie. Il y a un adage qui dit En 1995, je roulais en voiture quand j'ai entendu NTM à la radio pour la première fois. C'était quelques jours avant la sortie de leur troisième album et je suis tombé sur un de leurs titres en exclu, c'était La Fièvre. Ce jour-là, j'ai tout de suite compris que plus rien ne serait comme avant. En bien ou en mal, ce n'est pas la question. C'est juste qu'on avait basculé dans une ère différente. Notre monde parallèle venait de tomber. Le rap français ne nous appartenait plus. Voilà, je vais m'arrêter sur cette date ô combien symbolique de 1995 pour cet épisode de 80 BPM consacré au rap français. Avant de terminer, j'aimerais citer un rappeur que j'aime beaucoup, c'est Fab. Plusieurs années après avoir définitivement quitté le milieu, il a donné une interview unique pour s'expliquer. Il avait notamment dit Le meilleur rappeur, c'est celui qui arrête le rap Je vous laisse méditer sur cette petite phrase. Moi en tout cas, je me dis que le style de rap qu'on écoutait dans les années 90 reviendra peut-être un jour parce que c'est une question de cycle. Tout comme on est revenu à l'âge d'or du rock des années 60-70, on reviendra forcément à l'âge d'or du rap. Le futur nous le dira. J'ai grandi dans les années 80, et si vous me faites l'honneur d'avoir trouvé ce podcast intéressant, alors ça voudrait dire que j'ai réussi à vous transmettre l'esprit de cette décennie. Pensez à liker 80BPM, abonnez-vous, commentez, partagez. Merci pour l'écoute et à bientôt.

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