- Speaker #0
Bonjour, bienvenue dans 80 BPM, le podcast qui vous transporte loin du stress des réseaux sociaux et des chaînes d'infos. Merci à tous les auditeurs, grâce à vous 80 BPM a atteint la 21ème place sur Apple Podcast. Pensez à liker, à noter ce podcast, vous pouvez également l'ajouter à vos listes de lecture, vos favoris, etc. Ce petit geste sera très utile pour aider 80 BPM. a circulé davantage. Un ovni dans le ciel de Paris. Première vue, ce titre peut paraître trompeur, puisqu'on ne va pas parler d'extraterrestres, mais de rap français, de la naissance et du développement du rap français. Cette référence aux ovnis m'a d'ailleurs été inspirée par l'un des premiers albums de rap français qui s'intitule De la planète Mars du groupe IAM. Dans le titre éponyme de ce disque, Akhenaton utilise cette image des ovnis dans le ciel de Paris pour prévenir de l'arrivée imminente du rap marseillais en vue de contester la suprématie du rap parisien. On est dans les prémices de la rivalité légendaire entre IAM et NTM. Un ovni dans le ciel de Paris. Paris parce que c'est surtout dans la capitale et sa banlieue que le rap français va naître et se construire. Et un ovni parce que ce genre musical va révolutionner la manière de faire de la musique qu'on parle de la partie instrumentale ou de la partie vocale. Dans cette première partie, je vais surtout vous parler du contexte social, politique et culturelle qui a permis l'arrivée du rap avant qu'il ne soit récupéré par l'industrie musicale. Alors pourquoi la France est devenue le deuxième pays du rap et pas la Suisse par exemple ? On sait que le rap est né dans les ghettos américains, donc pour qu'il se développe dans un autre pays, il faut des conditions semblables. Donc la France, avec ses quartiers défavorisés, se rapproche évidemment plus des ghettos américains que la Suisse. Même si je ne suis pas pour calquer comme ça la condition de nos quartiers sur d'autres pays. J'entends régulièrement des rappeurs français dire qu'ils viennent du ghetto, de la favela ou je ne sais quoi. Perso, je ne suis pas fan de ce genre de discours misérabiliste et je ne suis pas fan non plus des comparaisons abusives avec Gomorrah, la cité de Dieu, les cartels mexicains qu'on retrouve dans le rap actuel. Il y a des points communs, parfois, ok, mais une descente de police dans une favela, c'est pas exactement la même qu'une descente de police en banlieue parisienne, c'est toujours mieux de le rappeler. En tout cas, pour ce qui est des États-Unis et de la France, il y avait... assez de similitudes pour que cette culture se développe ici, dans les quartiers populaires. Il existe une dimension festive dans le rap, mais c'est surtout la tendance plutôt militante, certains diront consciente, qui va conquérir la France, avec des textes qui parlent de racisme, de chômage, d'ennui, d'enclavement, de problèmes de drogue, de violence, etc. Donc le rap, et plus globalement le mouvement hip-hop, vont débarquer en France dans les années 80, mais le problème, c'est que ça va se faire alors qu'un autre phénomène, plus problématique, est en train de se développer, c'est celui des gangs des quartiers. Phénomène également calqué sur le modèle américain, il faut le rappeler. On associait donc ces gangs au mouvement hip-hop qui se développait dans ces mêmes quartiers et on les appelait d'ailleurs les gangs Zoulou, référence à l'organisation Zoulou Nation qui a été créée pour faire la promotion du hip-hop dans d'autres pays. Ceux qui étaient dans le hip-hop étaient régulièrement appelés des Zoulous, c'était un terme courant à l'époque. Pourquoi ces gangs voient-ils le jour à ce moment-là dans les quartiers en France ? Il faut rappeler que les années 80, je l'ai dit dans le précédent numéro de ce podcast, c'est la décennie de l'avènement des quartiers. Les jeunes des grands ensembles ont envie de faire savoir qu'ils existent, qu'ils font partie de ce pays. La manière douce de s'affirmer, c'était la marche de 1983. Et plus tard, forcément, quand ils s'aperçoivent qu'ils ne sont pas écoutés, on verra éclater les premières émeutes d'envergure comme celle de Vaud-en-Velin en 90. En gros, ces jeunes disent, il y a urgence, il faut que la France se penche sur nos problèmes du quotidien dont le rap va bientôt s'emparer. À l'époque, on a plusieurs problèmes majeurs qui marquent les quartiers. Je vais en citer trois qui vont nous intéresser particulièrement. On a le chômage de masse qui touche les familles, qu'on parle du père ou des enfants, avec des causes diverses, désindustrialisation, discrimination, échec scolaire. Ensuite, on a la drogue. Je parle de l'héroïne qui a fait des ravages dans les quartiers. Je pense qu'on peut parler de milliers de morts, que ce soit par overdose ou par seringue contaminée par un virus dont on sait peu de choses à l'époque et qui s'appelle le sida. D'ailleurs, j'espère sincèrement qu'un jour, on se penchera sérieusement sur ce carnage passé sous silence parce que c'est quelque chose d'absolument terrible dans l'histoire des quartiers. Troisième et dernier problème, c'est la montée du FN, le Front National, qui va être accompagné d'une violence raciste du quotidien qui va faire pas mal de dégâts. Qu'on parle de crimes racistes commis de sang froid par certains policiers ou d'actes commis par de simples citoyens racistes qui s'en prenaient aux immigrés et à leurs enfants. Un enfant noir ou arabe qui grandit dans les années 80 grandit dans la peur de la ratonnade. Et je n'exagère pas quand je dis ça. Ça peut paraître assez dingue lorsqu'on le raconte aujourd'hui, mais même à Paris, on peut risquer la ratonnade à n'importe quel moment. Vous avez des bandes de skinheads présentes dans toute la capitale et autour de la capitale, et ils sèment la terreur. A l'époque, l'une de leurs bases, c'est le Parc des Princes, de tout grâce à la complaisance des dirigeants du PSG de l'époque. Et cette situation va perdurer jusqu'à l'inversion du rapport de force, et donc l'apparition de ces gangs, qui vont se monter à Paris et en banlieue, en réaction à ces ratonnades. On peut citer entre autres les Ducky Boys, les Requins Vicieux et les Black Dragons.
- Speaker #1
28 mai 88, après l'annulation d'un concert, des skins passent à tabac trois Antillais et deux Indonésiens avant d'attaquer le commissariat de police. 1er octobre 88, un skin de 19 ans surnommé Neurone tue d'un coup de pied en pleine tête un clochard endormi sur un banc public. 14 novembre 88, inscription nazie sur les vitrines de commerçants juifs dans le quartier du Sentier, au cœur de la capitale.
- Speaker #0
Nous sommes contre l'immigration qui métisse notre culture. Il t'a tapé sur les immigrés. Il t'a les tapé s'il le faut pour se faire connaître et pour se faire comprendre et entendre. Si vraiment c'est les skinheads, on va se croiser, on va les taper. L'extrait que vous venez d'entendre est tiré du DVD qui raconte l'histoire des Black Dragons et qui a été réalisé par l'ancien membre du gang. D'autres gangs anti-skin ont également réalisé leur propre DVD pour évoquer cette période et ensuite les skins de l'époque. ont fourni une réponse globale avec un documentaire qui relate leur version de l'histoire. Ce qui est sûr, c'est qu'en quelques années, les bandes de skinheads qui semaient la terreur ont complètement disparu de la circulation. Les gangs anti-skin ont évidemment contribué largement à cette chasse contre les néo-nazis, mais c'est un sujet un peu controversé puisque plusieurs témoins de l'époque affirment que c'était un travail plutôt collectif de la part de tous les mecs des quartiers. Depuis quelques années, plusieurs personnes qui se présentent comme d'anciens membres de ces gangs ont tendance à se donner le beau rôle et ont tendance à réécrire l'histoire, alors que c'est plus complexe que ça, évidemment. Je dis complexe parce qu'en dehors de la contribution à la chasse anti-skin, il y a eu des choses beaucoup moins glorieuses de la part de ces gangs. Il y a quelques années, j'avais passé un long moment à échanger avec l'un des piliers des Black Dragons, Jean-Yves, qu'on surnommait Shadow, qui est aujourd'hui décédé, paix à son âme, et il m'avait confié plusieurs choses à ce sujet. C'était vraiment une personne intéressante, lucide, capable d'analyser les choses avec un regard critique. Il avait quelques regrets par rapport à cette période. En fait, il m'avait expliqué que lorsqu'il avait rejoint les Black Dragons, en phase 2, ils avaient un noyau dur de 50 à 80 skinheads qui était vraiment la violence incarnée. Il avait insisté là-dessus en me disant qu'il fallait être déterminé pour aller les affronter, tout simplement parce qu'ils étaient redoutables et qu'ils agissaient sans aucune pitié quand il fallait râtonner. Et autour de ce noyau dur, il y avait des dizaines d'autres mecs. des petits blancs, je mets l'expression entre guillemets, qui avaient rejoint le mouvement, non pas à cause de convictions néo-nazis, mais à cause de ce qu'ils avaient subi. En fait, il m'avait dit que ces gangs, y compris le sien, avaient tabassé pas mal de ces petits blancs qui ont ensuite rejoint les rangs de ces néo-nazis. Est-ce qu'ils ont été confondus avec des skins ? Est-ce que c'était gratuit ? Je ne peux pas répondre à ces questions, mais Shadow m'avait dit, texto, parmi ces fachos, malheureusement, on en a fabriqué pas mal nous-mêmes. L'autre regret qu'il avait exprimé, c'était le manque de politisation de ses gangs et notamment du sien. Les Black Dragons avaient des codes vraiment intéressants, en tout cas sur le papier, c'est-à-dire la pratique, l'état d'esprit des arts martiaux, éviter l'alcool, éviter la drogue. Mais il leur a manqué une vraie culture politique au-delà du combat contre les skins. Une culture qui leur aurait conféré une autre dimension et qui les aurait peut-être empêchés de tomber dans certains travers. Parce qu'il faut le savoir, l'ironie du sort, c'est qu'une fois que les skins ont disparu, ces mêmes gangs des quartiers ont commencé à se taper dessus. Et ça a été ultra violent puisqu'il y a eu plusieurs morts. Et tout ça a été gratuit la plupart du temps. J'ai lu, entendu, vu certains reportages, certains docus réalisés par de jeunes journalistes un peu trop fascinés par cette période. Et malheureusement, ils ont relayé pas mal de fantasmes. Soyons clairs, les gangs qui ont chassé les skins, c'était pas les Peaky Blinders ou la série The Wire. D'ailleurs, ces gangs n'avaient pas autant de... de pouvoir qu'on pourrait le croire. En tout cas, à ma connaissance, il n'y avait pas d'application directe par exemple dans un quelconque business légal ou illégal. Certains gangs anti-skin ont fait par exemple le service d'ordre au cours de certains événements, comme des concerts de rap d'ailleurs. On sait qu'un membre d'un gang, je ne donnerai pas de nom, s'est beaucoup appuyé sur son gang pour devenir garde du corps de célébrité. Ce genre de choses, oui, ok, c'est arrivé, mais on est loin des gangs de bikers, par exemple, qui contrôlent des pans entiers, du trafic de stupéfiants ou du trafic d'armes. Sur cette culture des gangs et, disons-le clairement, cette culture de la bagarre, impossible de ne pas évoquer l'énorme influence du cinéma de l'époque. Un cinéma qui fait la part belle à la baston, à commencer par les films de Bruce Lee, qui datent des années 70, mais qui vont être popularisés dans les années 80. Tous les gamins qui regardaient les films de Bruce Lee descendaient ensuite dehors pour essayer de rejouer les scènes. Bruce Lee, figure très importante dans les quartiers, sur laquelle je reviendrai sûrement dans un prochain podcast. Après, on a tous les films de Jackie Chan, de Van Damme, même si ça arrive un peu plus tard, des films qui ont sûrement contribué à faire péter les plombs à quelques-uns. Il faut dire que c'était assez révolutionnaire comme film d'action. Et enfin, on a eu le cinéma américain avec des films dont le sujet principal était la baston. On peut citer Outsiders de... Coppola, le film Roadhouse qui d'ailleurs a récemment fait l'objet d'un remake et surtout un film culte pour toute une génération qui s'appelle Les Guerriers de la Nuit.
- Speaker #2
60 000 soldats !
- Speaker #0
C'est le warrior ! Les guerriers de la nuit, c'est un film qui débute avec une scène très impressionnante durant laquelle tous les gangs de New York se retrouvent pour sceller une union contre les forces de l'ordre. A sa sortie, le film avait été accusé d'incitation à l'émeute aux Etats-Unis et même interdit en France pendant plusieurs mois. puis autorisé mais interdit aux mains de 18 ans. Un clip de Booba, garde la pêche, reprend les tenues d'un gang du film appelé les Baseball Furies. C'est vous dire à quel point ce film a eu une influence sur les quartiers et sur le rap français. Pour en revenir à ces gangs des banlieues françaises qui existent dans les années 80, dès son développement, le mouvement hip-hop va donc être confondu avec ces gangs zoulous, étant donné la porosité entre les deux milieux. Donc on peut supposer que cette situation a contribué à marginaliser cette culture, comme souvent. avec la création d'une musique, il y a une dimension sociale, mais avec le rap, et dans le cas présent, le rap français, ça va beaucoup plus loin. C'est plus seulement une volonté d'affirmation des quartiers, c'est une volonté de révolte, une volonté de révolte qui va dominer les débuts du rap français. Vous l'avez compris, le rap français se construit en tant que contre-culture, donc contre les courants musicaux qui dominent la France à l'époque, que ce soit la variété ou le rock. Ce côté contre-culture est très palpable dans les premiers albums de rap français, où on entend pas mal d'insultes et de moqueries. à l'encontre des artistes de variété ou de rock. C'est une opposition qu'on retrouvait déjà aux Etats-Unis, où les Noirs des ghettos américains considèrent qu'on leur a volé le rock, qu'ils ont largement contribué à inventer et à développer. Donc, quand le rap voit le jour, il faut se démarquer du rock, il faut s'opposer au rock, devenu une musique de blanc, selon les Afro-Américains, et tout faire pour éviter qu'on leur vole à nouveau cette nouvelle musique. Pourtant, en France, avant le rap, il existait une banlieue rock, avec tous les codes qu'on connaît. blouson noir, mobilette, banane, etc., qui a perduré jusqu'aux années 80. La couleur musicale des banlieues françaises a toujours fait l'objet de controverses et de clichés. Le rap français est une musique forcément associée au quartier, mais ça ne veut pas dire pour autant que quartier égale rap. Il y a des styles musicaux, des artistes cultes qu'on retrouve, certes, dans beaucoup de quartiers. On a toujours aimé la musique noire américaine, par exemple, mais il y a toujours eu une grande diversité à ce niveau, y compris après l'arrivée du rap. En tout cas, ce qui est sûr, c'est que parmi les personnes qui vont produire les premiers disques, de rap en France, peu d'entre eux connaissent le rap. Ça va être une grande première pour eux. Et donc, parfois, forcément, ça va poser des petits problèmes d'entente avec les rappeurs et donner des résultats plus ou moins réussis. Dans l'épisode précédent de l'Art du Wesh, j'ai donné quelques repères sur la chronologie du rap en France. Pour terminer cet épisode, je vais en donner d'autres. On a la compilation Rap Attitude qui sort en 90 et qui rassemble plusieurs figures du mouvement. Et l'autre disque pionnier que je vais citer, c'est Authentic, le premier album de NTM. L'album se vend à 90 000 exemplaires, donc il frôle le disque d'or sans passer à la radio. Ce qui va beaucoup pousser les NTM, c'est la situation très tendue dans les banlieues, symbolisée à l'époque par les émeutes très impressionnantes de voix en velin. NTM va donc beaucoup jouer ce rôle de haut-parleur, avant de prendre plus tard leur distance avec cette étiquette. On le verra dans la deuxième partie de cet épisode. Authentic, c'est un album hardcore, hardcore dans le sens inflexible, c'est-à-dire qui ne se plie à aucune barrière. notamment en barrière commerciale. C'est vraiment brut et à l'époque, tous les fans de rap français écoutent ce disque. Une petite anecdote sur la chanson qui donne son titre à l'album, Authentique. Je vais vous révéler l'origine de ce choix qui m'a été raconté par le journaliste Philippe Manœuvre, la légende Philippe Manœuvre. Donc Philippe Manœuvre me raconte qu'à l'époque, un journaliste, un vieux rockeur on va dire, reçoit le premier maxi de NTM, écoute le disque. Et il commence à dire, en gros, que les NTM jouent un peu trop les durs, qu'ils jouent un rôle en se prenant pour des Américains du Bronx. J'ai très envie de vous imiter Philippe Manoeuvre quand il raconte une anecdote, mais je vais m'abstenir. Donc ensuite, ce journaliste pond sa chronique dans laquelle il dit On peut se demander si ces gens sont authentiques Et les NTM, évidemment très remontés, finissent par reprendre à leur compte ce mot
- Speaker #2
Authentique.
- Speaker #0
Fin de cette première partie pour l'épisode de 80 BPM consacré à la genèse du rap français. Pensez à vous abonner, à liker, à commenter ce podcast. J'ai grandi dans les années 80 et si vous me faites l'honneur d'avoir trouvé ce podcast intéressant, alors ça voudrait dire que j'ai réussi à vous transmettre l'esprit de cette décennie. Merci pour l'écoute et à bientôt.