- Speaker #0
Bonjour à toutes et à tous et bienvenue sur le podcast de l'association Adrastia, l'heure du bilan, faire face. Nous sommes ravis que vous nous écoutiez. Nous allons parcourir ensemble les nouvelles pistes d'adaptation face aux altérations profondes et durables du milieu terrestre qui fragilisent tant nos sociétés que le vivant dans son ensemble. En 2024, la concentration en CO2 dans l'atmosphère continue d'augmenter. Les records de température, d'étendue des feux de forêt, de durée de sécheresse et de gravité des inondations tombent les uns après les autres. Les désordres écologiques, politiques et sociaux actuels ne sont pas des crises passagères, mais peut-être les premiers symptômes d'effondrement des sociétés industrielles mondialisées. Il est temps de faire le bilan de notre gestion collective des risques globaux et systémiques, parce que si sans maîtrise nous filons droit vers l'abîme, l'illusion de contrôle nous y précipiterait plus vite encore. Dans ce podcast, nous donnerons la parole aux lanceurs d'alerte, aux scientifiques, aux acteurs de terrain, aux transitionneurs et aux penseurs de l'avenir écologique. L'heure du bilan nous confronte à la réalité à venir, la nécessité de l'adaptation, parfois radicale, au regard du risque d'échec ou d'insuffisance de l'atténuation. Adrasia est une association de citoyens et de citoyennes qui informe et alerte depuis 2014 sur le risque d'effondrement de nos sociétés, dans le but d'éviter une dégradation trop importante ou brutale de leur structure vitale et de préserver les meilleures conditions de vie possibles pour le plus grand nombre. Le podcast de l'association Adrasia est une production collective. L'intervieweur ou l'intervieweuse pourra être différent à chaque épisode, ne vous en étonnez pas. Les interviews sont disponibles sur les plateformes habituelles de diffusion. N'oubliez pas de vous abonner. Vous retrouverez également une page internet dédiée au podcast sur le site internet adrasia.org. Dans l'heure du bilan faire face, nous explorons pendant 60 minutes comment apprendre à nous adapter au monde tel qu'il est, non tel que nous croyons le maîtriser. Et maintenant, place à l'épisode. Bonne écoute !
- Speaker #1
Nabil Wakim, bonjour.
- Speaker #2
Bonjour !
- Speaker #1
Merci d'avoir accepté l'invitation qu'on t'a faite.
- Speaker #2
Avec plaisir.
- Speaker #1
Alors avant que je te laisse te présenter au profil de ton parcours, j'aimerais un petit peu recontextualiser le cadre dans lequel on t'invite. Donc aujourd'hui tu vas participer au merveilleux podcast de Nedrastia, Le Bilan, Faire Face. Ce podcast il vient un petit peu sublimer les 10 ans de l'association qu'on a pu célébrer notamment lors du festival de la décroissance. Et ensemble, à l'occasion de ces différents épisodes, ce qu'on fait, c'est qu'on jette un petit coup d'œil dans le rétro sur ce qui s'est passé sur ces dix dernières années. Moi, ce que j'aime bien faire, c'est surtout appuyer sur la partie personnelle. On va surtout parler de comment toi, tu as vu ces évolutions-là. Aussi également parler de ton parcours, bien sûr, mais vraiment s'appuyer sur ta personne. Plutôt parler de Nabil que de Nabil Ouakim. Bon, je te laisse te présenter. si jamais tu le veux bien et puis après j'aurai d'autres questions à te poser on verra ça par la suite Merci,
- Speaker #2
donc moi je m'appelle Nabil Ouakim j'ai 43 ans je suis journaliste je travaille au Monde depuis 20 ans et je suis né à Beyrouth au Liban, j'ai grandi à Lyon et puis maintenant j'habite à Paris je suis depuis 3 ans j'anime un podcast qui s'appelle Chaleur Humaine dans lequel J'invite des expertes et des experts à parler de la crise climatique et de l'effondrement de la biodiversité. Avant ça, j'ai été journaliste spécialiste des questions d'énergie, j'ai été rédacteur en chef du site du Monde, j'ai été journaliste politique. Voilà, donc j'ai fait des choses diverses au sein de la rédaction du Monde. Un peu souvent quand même avec un... Une ligne directrice qui est la pédagogie, la vulgarisation, l'espèce d'interface entre les trucs compliqués qu'on reçoit quand on est journaliste et une tentative de vulgarisation, d'explication au plus grand nombre avec l'utilisation d'outils numériques, le podcast, la vidéo, l'interactivité. Voilà, c'est plutôt ça mon truc.
- Speaker #1
D'accord, merci beaucoup pour cette présentation concise et complète en même temps. Avant de passer à la première question qui annonce un petit peu la couleur sur nos échanges, Je vais t'annoncer un petit peu comment va se présenter notre échange. On va essayer de garder une structure qui est la même à chaque fois, où en fait on explore notre invité à partir de quatre grandes thématiques. Une première partie où on va parler principalement de toi, d'où est-ce que tu pars au niveau de ton parcours. On passera ensuite sur des questions qui sont plus en rapport avec ton profil. Donc là, le journalisme, mais pas que. Ensuite, on rentrera dans des questionnements un peu plus personnels. Et sur la fin, on terminera avec une rubrique que moi j'appelle « On refait le bilan » . Qui sera une petite conclusion par rapport à tout ce qu'on aura pu se dire pendant cette petite heure, cette grande heure. Je ne sais pas trop, on verra. Pour amorcer le sujet, est-ce qu'il y aurait un trait de caractère ? que tu souhaiterais mettre en avant et qui t'est propre et qui annonce un petit peu, les échanges qu'on va avoir, est-ce que ça peut être par exemple une capacité à s'obstiner sur des sujets plutôt harassants, à ne pas les lâcher, une résilience personnelle, notamment quand on étudie les sujets que tu étudies, laquelle de ces particularités tu souhaiterais mettre en avant ?
- Speaker #2
Eh bien, en fait, je ne dirais pas que je suis du genre à m'obséder sur des sujets super compliqués, si je suis tout à fait honnête. Disons que je pense que je suis une sorte de fainéant contrarié, c'est-à-dire que quand même, je crois que dans la vie, j'aime bien glander. Mais en même temps, comme il se passe plein d'autres trucs et qu'il faut bien avancer, moi, j'ai la chance d'être dans un écosystème qui est très collectif, qui est celui d'une rédaction. Et donc, en fait, ma réflexion ne se fait jamais tout seul. Je ne suis pas du genre à être dans mon coin, bosser sur un sujet pendant des jours et des jours. Je suis plutôt du genre à aller parler à mes collègues à la machine à café pendant toute la journée, pendant qu'ils ont d'autres trucs à faire, leur piquer leur goûter. Ensuite, passer des coups de fil à des gens que je connais pour voir un peu ce qu'ils pensent. Et voilà, je suis plutôt du genre à forger un avis, une opinion, une pensée avec le mélange des efforts des autres et de mes efforts à moi, on va dire.
- Speaker #1
J'aime beaucoup. Très bien. Est-ce que par rapport aux thématiques environnementales, la nature, on va faire vite, est-ce que tu as un lien de base privilégié avec le sujet ? Est-ce que c'est, je ne sais pas, peut-être une origine familiale, des loisirs que tu pouvais avoir jeune sur le sujet ? Est-ce que ça t'est arrivé, on dira, jeune ou plutôt vieux ? Pour quelles raisons ? À quel moment est-ce que tu as décidé vraiment de faire de ce sujet un de tes intérêts personnels et professionnels ?
- Speaker #2
En fait, je n'ai pas de lien d'enfance avec la nature. Moi, je suis né à Beyrouth, au Liban, pendant la guerre. Je suis venu en France quand j'avais 4 ans. J'ai grandi à Lyon, en milieu urbain, dans une famille qui n'avait pas spécialement de lien avec... Enfin, ce n'est pas complètement vrai, puisque ma mère était chercheuse en biologie et donc elle avait travaillé sur, d'ailleurs c'est intéressant, sur des insectes. dans le Rhône, qui s'appelle des éphémères, qui vivent une journée. Mais du coup, pour moi, la nature, ça a longtemps été un objet assez lointain, voire un peu effrayant. J'avais peur des chiens quand j'étais gamin. Honnêtement, je ne savais pas très bien faire la différence entre un mouton et une chèvre. Donc tout ça m'a pris quand même assez longtemps. Je suis arrivé à ces questions-là plutôt pour des raisons politiques et journalistiques, parce que je me disais, ah là là, dis donc, tout ça a l'air très important, en lisant, en parlant avec des gens. Mais pendant longtemps, pour moi, ça avait une dimension qui était quand même assez abstraite. et puis il se trouve qu'il y a une quinzaine d'années j'ai rencontré celle qui est devenue mon épouse il se trouve que son père est hébergé en Corrèze et dans le sud de la Corrèze dans un coin très beau la frontière entre la Corrèze et le Lot je vous recommande c'est magnifique et en fait je me suis retrouvé du coup confronté à une forme de réalité concrète de ce que c'est le vivant ce que c'est l'agriculture ce que c'est un mode d'agriculture qui essaye de subsister face à une agriculture productiviste Et donc ça, ça m'a aussi beaucoup secoué. Ce que c'est aussi d'avoir un lien avec des animaux. C'est-à-dire, je n'avais jamais eu de moments beaux avec des chiens, des Ausha. Et donc en fait, ça a aussi changé ma vie de ce point de vue-là. Et je le vois bien aussi pour mes enfants qui grandissent en ville. Donc moi, j'habite à Paris, mais en fait, mes enfants, ils passent beaucoup de temps là-bas en Corrèze. Et récemment, ma fille qui a une dizaine d'années, il y a une pie qui est née juste à côté de la maison. Et du coup, la pie, c'est prise d'amitié pour ma fille. et donc à... Ils ont passé beaucoup de temps ensemble et elle m'a dit j'ai une amie oiseau. Moi, je n'ai jamais eu d'ami oiseau quand j'étais gamin.
- Speaker #1
C'est une belle anecdote. Je reprendrai quand même que tu t'es intéressé au sujet par opportunisme à la machine à café. Je garde ça quand même.
- Speaker #2
Exactement. Et d'ailleurs, je pense que je ne suis pas le seul. C'est-à-dire qu'en fait, au fur et à mesure, je suis arrivé à ces questions-là en comprenant qu'il y avait des problèmes. dans la société des problèmes économiques, des problèmes politiques liés au climat, à l'effondrement de la biodiversité. Mais du coup, je pense que pendant longtemps, ça a un peu entravé ma compréhension du sujet d'en avoir pas beaucoup une expérience sensible et d'en avoir une expérience qui du coup pouvait se chiffrer. Et donc un regard très... Notamment quand j'ai commencé il y a à peu près dix ans à travailler sur les questions d'énergie, d'avoir un regard très... Bon bah c'est bien, on va prendre les énergies fossiles, on va les remplacer par les énergies renouvelables, puis pof pof, on va résoudre les problèmes comme ça. Et donc, en fait... Et progressivement, j'ai aussi développé une sensibilité plus ouverte, je pense, une forme de curiosité plus grande à tous les autres enjeux, pas simplement le carbone, le climat, mais aussi comprendre qu'en fait, tout ça implique des changements qui sont assez systémiques, qui sont profonds et qu'il ne s'agit pas juste de switcher d'une source d'énergie à une autre.
- Speaker #1
D'accord. Alors, tu y venais presque à la fin de... Avant que je te pose la petite question un peu boutade juste avant. On parle beaucoup, nous, au sein de l'association, du moment où on a, entre guillemets, notre claque environnementale qu'on appelle le « oh shit moment » . Donc, je suppose que toi aussi, tu l'as eu. J'aurais voulu savoir, quand est-ce que tu le situes ? Alors, il y a des personnes qui n'arrivent pas à dire exactement à partir de quel moment, pour quelle raison, ils ont eu un petit peu ce... Cet appel d'air sur le sujet, cette curiosité, mais aussi ces inquiétudes. Toi, est-ce que tu arrives à le situer ? Comment est-ce que ça s'est passé ? Et l'autre partie de la question, c'est est-ce que tu es plutôt prise de conscience ou crise de conscience ? Mais d'après ce que tu m'as répondu là, je dirais que tu es plutôt prise de conscience.
- Speaker #2
Oui, exactement. Et de la même manière, je ne crois pas avoir réussi à identifier un « oh shit moment » où je me dis « ah mais enfin, ce truc-là me tombe dessus » . Je pense que c'est comme relativement progressif. Je pense que pendant un certain temps, comme j'étais très intéressé par la politique et journaliste politique, j'avais l'impression qu'en fait tout ça était une affaire de rapport de force dans la société. Et puis en plus j'étais très nul en sciences historiquement, et donc peut-être lié au fait que j'avais un père prof de maths et une mère prof de bio, du coup j'étais nul. Et donc j'avais l'impression qu'en fait quelque part tout ça c'était une affaire qui comme beaucoup d'autres pouvait se régler par des changements de rapport de force politique dans la société. Et c'est en fait relativement récemment, quand j'ai commencé à travailler sur les questions d'énergie, donc il y a un peu moins de dix ans, que je me suis rendu compte qu'il y avait... Mais en fait, oui, je dirais que c'est venu quand même de manière assez progressive, qu'il y avait un certain nombre de contraintes physiques, qu'il y avait un certain nombre de choses qui n'étaient pas dépassables, qu'il y avait des limites dures, mais c'est venu de manière assez progressive. Il n'y a pas un moment dont je me souviens où je me suis pris une énorme claque et où je me suis dit ça. Ça a été plutôt le fruit, effectivement, de discussions avec des gens, et y compris, en fait, de manière assez paradoxale pour moi, en couvrant la question énergétique, en couvrant beaucoup les énergies fossiles et en discutant avec beaucoup de gens qui travaillent dans le secteur. Des patrons de compagnies pétrolières, des gens qui travaillent dans le secteur gazier, dans des raffineries ou sur des sites gaziers. Voilà, ça, en fait, ça m'a aussi fait prendre conscience de l'ampleur du problème et des menaces auxquelles on est confrontés et de la permanence d'un certain nombre de choses qui subsistent.
- Speaker #1
Très bien. On reviendra sur la partie politique et journalistique juste après. Comme tu l'as dit, tu es journaliste au Monde, spécialisé sur les questions climat-énergie. Également, tu fais des interventions à Sciences Po. Oui,
- Speaker #2
je donne des cours de journalisme, oui.
- Speaker #1
Très bien, je n'ai pas tout faux. Et instigateur du podcast Chaleur Humaine. Tu as répondu précédemment à la question, pourquoi est-ce que tu as choisi cette branche ? pour différentes raisons. Intérêt et aussi... Quand je dis opportunisme, ce n'est pas du tout négatif. C'est qu'il y a un sujet qui arrive, on sent que ça va être intéressant d'un point de vue collectif et du coup, on se met un peu dessus. Je pense qu'on réagit un peu tous comme ça. Quel regard est-ce que tu portes, notamment sur l'évolution du monde journalistique par rapport au traitement du sujet ces dernières années, de façon globale ?
- Speaker #2
En fait, ça dépend de ce qu'on appelle le sujet. C'est-à-dire, si on parle du climat, de la question du changement climatique, je dirais qu'il y a un peu trois phases sur les dix dernières années. Il y a une phase qui va en gros de l'accord de Paris au Covid, dans lequel il y a une forme de montée en puissance, il y a une prise de conscience progressive, il y a des rédactions, des médias qui s'équipent un tout petit peu plus sur le sujet, qui deviennent un peu meilleurs. Mais ça reste un sujet un peu comme un autre, un peu marginal. Pas très bien compris, qui a du mal à faire les gros titres du JT ou les manchettes des journaux. Voilà, pourtant, ça progresse un peu. Il y a un moment d'accélération entre 2019 et 2022, je dirais, au moment du Covid, où là, la claque du Covid pour tout le monde fait aussi se poser un certain nombre de questions. Par ailleurs, interviennent aussi à ce moment-là un certain nombre d'événements climatiques extrêmes. Il y a des inondations en Europe assez fortes. Il y a ensuite la grande vague de chaleur et les canicules de la crise de l'eau de 2022. Et donc là, il y a un moment dans lequel il y a une forme de consensus qui se forme, non pas sur ce qu'il faudrait faire, mais de consensus sur ce vague objectif de neutralité carbone et sur l'idée que tout le monde devrait s'y mettre. Alors on voit, y compris un certain nombre d'entreprises prendre des engagements, des États, des banques, tout ça, tout ça, une prise de conscience qui augmente chez un certain nombre de citoyennes, de citoyens et tout. Et puis, entre 2022 et maintenant, de nos jours, on assiste progressivement à une forme de relâchement de ça, c'est-à-dire un backlash général sur un certain nombre d'engagements qui ont été pris. notamment de la part de grandes entreprises, on pourra revenir sur les pétroliers, c'est un peu mon rayon, ce que j'aime bien. Et donc voilà, moi j'identifie un peu ça, et dans les médias il s'est passé un peu ce truc, c'est-à-dire une forme de prise de conscience, une accélération à un moment donné où le sujet devient très important, et puis ensuite là, une forme de relâchement progressif dont on ne sait pas très bien où il va nous amener. Mais ça, je pense que ça marche pour le climat, sur les autres crises qu'on traverse, et je pense notamment à l'érosion de la biodiversité, mais Je ne sais pas s'il faut dire malheureusement, mais en tout cas, on n'a pas vu la même chose. C'est-à-dire, on voit que c'est des sujets qui peuvent émerger à certains moments dans l'actualité, mais qui n'occupent pas la place qu'ils devraient occuper. on peut dire la même chose par exemple de la question de l'eau Et évidemment, plus globalement, des questions agricoles et alimentaires qui sont encore traitées sous un prisme assez minuscule par rapport à l'ampleur du problème qu'on traverse.
- Speaker #1
J'allais enchaîner sur la partie énergie parce que tu as ouvert la porte, mais juste pour clore cette question, est-ce que selon toi, la diffusion de l'information, c'est quelque chose qui est uniquement entre les mains et qui doit être uniquement entre les mains du monde journalistique ? Parce qu'on a beaucoup parlé de la responsabilité des médias. dans le fait que l'opinion publique, entre guillemets, s'intéresse ou pas au sujet. Donc déjà, c'est ma première question, pour rebondir là-dessus. Est-ce que ça, ça ne dépend que des grands médias ou bien des médias spécialisés sur l'écologie ? Peu importe. Est-ce que tu as senti des blocages ou des résistances, justement, à s'intéresser au sujet, toi, au monde ou ailleurs ? Peu importe, dans les discussions que tu peux avoir avec des confrères, notamment. Et pour terminer là-dessus... Est-ce que, concrètement, puisque j'ai parlé d'opinion publique, parler du sujet c'est efficace pour embarquer la société dans un projet dit soutenable ? Je pense notamment au fait que le mois dernier, mais depuis quelques mois, on voit que les cinq grandes priorités des Français évoluent en fonction des cabinets de sondage bien sûr, mais pour citer Colipsos, les cinq priorités des Français sont... La violence, l'inflation, les inégalités, la santé et les taxes. Et on voit que petit à petit, les problématiques environnementales ou le sujet environnemental dégangolent de la sixième à la septième place, puis peut-être encore davantage.
- Speaker #2
Alors, ça fait plein de questions en même temps. Oui, je suis désolé. Il n'y a pas de problème. Alors, évidemment, aujourd'hui, les gens ne s'informent pas que par les médias installés. Et d'une certaine manière, par médias, je pense qu'il faut entendre quelque chose d'assez vaste. C'est-à-dire, les gens s'informent sur YouTube, sur leur fil Insta, en écoutant des podcasts. Voilà, et en fait, c'est très bien. C'est-à-dire qu'il y a une grande diversité. On n'a jamais eu autant de capacités à s'informer qu'aujourd'hui. Et ça, c'est super. Et d'une certaine manière, c'est aussi... Bon, je l'ai fait tout à l'heure, donc je vais quand même dire qu'il ne faut pas le faire. Mais de toute façon, la catégorie « les médias » , c'est une catégorie nulle parce qu'elle regroupe des gens qui n'ont rien à voir entre eux. C'est-à-dire, moi, je ne me sens pas de parentalité avec un journaliste de Valeurs Actuelles. Et je fais un travail qui est très différent de quelqu'un qui travaille à Mauflé chez Magazine sans... J'adore les mots fléchés, mais ce que je veux dire, c'est qu'en fait, le journalisme et les médias, c'est plein de trucs différents. Et donc, en fait, il y a des modes de traitement et des approches qui sont très différentes. Ça, c'est le cas pour les médias traditionnels et c'est évidemment le cas pour des youtubeurs, des podcasters, des gens qui font des choses sur Insta ou TikTok. Et donc, c'est très bien. Enfin, voilà. Donc, je pense qu'évidemment, aujourd'hui, il y a plein de manières de s'informer. c'est super, c'est même enrichissant et ça met aussi une forme de pression sur les médias traditionnels qui n'est pas forcément une mauvaise chose Une des difficultés, c'est qu'une partie de cette information-là, elle se passe sur des plateformes qui sont détenues par des gens qui n'ont pas forcément à cœur la meilleure information du plus grand nombre, mais qui ont d'abord à cœur des revenus publicitaires massifs. Et donc ça, des fois, ça truque aussi la nature de l'information ou de la diffusion sur ces plateformes-là. La deuxième chose, c'était est-ce que moi j'ai ressenti des blocages ? En fait, paradoxalement, moi j'ai commencé à bosser sur ces questions-là à un moment où, en tout cas au monde, les choses étaient déjà un peu réglées. C'est-à-dire, il y a des journalistes qui bossaient avant moi. Je pense notamment à mon collègue Stéphane Foucard, qui, lui, s'en est pris plein quand il a bataillé contre des climato-sceptiques comme Claude Allègre ou d'autres dans les années 2008-2010. Moi, j'ai commencé à bosser sur ces questions-là un peu après, au moment où, d'une part, aussi bien sur le climat que sur la biodiversité, en fait, le consensus scientifique est déjà hyper largement établi et donc, en fait, il est plus contestable. Donc, en fait, bon, il n'y a pas trop de difficultés. Les difficultés, ce n'est pas des difficultés en termes de blocage, c'est des difficultés pour faire comprendre la dimension systémique du problème. C'est pour dire, toi, tu es journaliste qui bosse sur les questions d'éducation, ça te concerne aussi. Tu bosses sur l'automobile, ça te concerne aussi. Tu fais de la journaliste politique, ça te concerne aussi. Et donc, pas simplement de dire, c'est un peu cette espèce de nouvelle phase, de dire, il ne faut pas juste des journalistes climat, biodiversité, environnement. En fait, il faut que tous les journalistes, quel que soit leur sujet, soient capables d'intégrer ces questions-là climatiques. et d'effondrement de la biodiversité dans leur traitement. Et ça, évidemment, on n'y est pas encore. On progresse. Pour le coup, là, la sensibilisation et la formation en interne dans un certain nombre de rédactions, c'est le cas au monde, mais ça a été aussi le cas à Radio France, à France Télévisions, Parisien, Mediapart, dans plein de rédacs. Ça fait quand même progresser le schmilblick. Évidemment, on n'est pas là où on devrait être, mais on a plutôt bien avancé de ce point de vue-là.
- Speaker #1
Donc, tu dirais que l'apparition de ton podcast, mais je prends d'autres exemples assez enlématiques. la montée de Vert, le média en ligne, ou encore l'association Côte-au-Climat, tout ça, ça s'inscrit dans une dynamique générale qui est quand même encourageante d'un point de vue journalistique.
- Speaker #2
Oui, oui oui oui, absolument.
- Speaker #1
D'accord. On va revenir sur le sujet énergétique dont tu parlais tout à l'heure. Question ouverte. sur la question énergétique. Donc on est toujours aujourd'hui à plus de 80% du mix énergétique mondial qui est d'origine fossile. On a toujours des émissions mondiales de CO2 qui frôlent année après année ou qui les dépassent les 40 milliards de tonnes. Est-ce que, selon toi, la difficulté qu'on a à amorcer sérieusement une transition énergétique réelle, elle tient au fait de notre manque de vision à voir à quoi ça pourrait ressembler, un monde bas carbone, donc les choix qu'il faudrait faire ? Par exemple, ce à quoi il faudrait renoncer, pour dire le gros mot, ou au fait que ces énergies soient inextricablement liées à nos modes de vie, et qu'il est, je cite, « difficile de faire le deuil d'une civilisation thermo-industrielle qui nous réveille le matin, qui nous donne à manger le midi et qui nous permet de regarder Netflix ce soir » .
- Speaker #2
C'est les deux, et plus encore. J'allais dire, de manière évidente, se désincarcérer de notre dépendance aux énergies fossiles, c'est hyper dur. Mais aussi, y compris pour la nature de ce que sont notamment le pétrole et le gaz, c'est-à-dire des concentrés d'énergie incroyables qui n'ont pas d'équivalent. Et donc, en fait, c'est très dur de faire autrement. Ce n'est même pas une histoire de vouloir y renoncer. C'est même techniquement difficile, on s'en rend compte. Évidemment, il faut ajouter à ces deux raisons-là Le fait aussi que des acteurs, et en particulier les acteurs du monde fossile, sont très actifs pour nous y faire rester. C'est-à-dire qu'en fait, on voit bien dans ces dernières années qu'il y avait des opportunités, il y a des chemins qu'on peut prendre quand même pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles. Et depuis la guerre en Ukraine, par exemple, on voit bien l'intérêt qu'auraient les Européens à diminuer leur dépendance aux énergies fossiles. Aujourd'hui, en 2024, j'ai regardé ça récemment. Le premier importateur de pétrole en France, le premier vendeur de pétrole en France, c'est les États-Unis. Voilà, le deuxième et troisième qui nous vendent du gaz, c'est les États-Unis et la Russie. Donc, en fait, on pourrait se dire, au-delà même de la question climatique, on a un intérêt de réduire notre dépendance aux énergies fossiles. Mais on a des acteurs, les compagnies pétrolières, gazières, les acteurs du monde fossile, les cimentiers. enfin voilà qui font un lobbying dont on ne mesure pas la force. C'est-à-dire, ils sont bien meilleurs que tout le monde, ils sont bien meilleurs que les pouvoirs publics pour arriver à imposer dans les politiques publiques des choses qui préservent leurs intérêts toujours. Et donc ça, peut-être que c'est quelque chose qu'on n'avait pas bien perçu. Évidemment, on sait bien qu'il y a toujours eu du lobbying, mais la puissance de ce lobbying et surtout son efficacité, c'est quand même assez ravageur. C'est-à-dire que ce n'est pas juste que les gens ne veulent pas changer parce qu'ils sont attachés à regarder Netflix le soir. c'est aussi qu'il y a... Des groupes d'intérêts économiques puissants qui n'ont pas du tout intérêt à ce que ça change. Total Energy, en 2023 et 2024, chaque année, c'est 20 milliards de profits. En fait, qui va renoncer à 20 milliards de profits pour un échange de on ne sait pas quoi ? Évidemment, il y a cette question-là qui se pose de manière très intense, d'autant plus qu'à ma connaissance, en tout cas aujourd'hui, assez peu de gens ont essayé d'imaginer pas simplement ce que serait un monde sans fossiles en 2050 ou en 2080, ... Mais là, maintenant, qu'est-ce qu'on fait avec toutes les infrastructures du monde fossile ? Demain, si on avait au pouvoir des gens qui voulaient vraiment dire « on va dans le sens de la transition » , qu'est-ce qu'on fait avec Total, Exxon, Chevron et compagnie ? Est-ce qu'on les démantèle ? Est-ce qu'on les nationalise ? Pour faire quoi ? Qu'est-ce qu'on fait des salariés qui travaillent dans les raffineries ? Enfin, je veux dire, il y a des questions vertigineuses qui, il me semble, ne sont pas encore suffisamment posées pour qu'on puisse y répondre.
- Speaker #1
Et d'un autre côté ? Tu as accueilli, par exemple, je le cite parce que c'est un des derniers invités que tu as eu, mais Jean-Baptiste Fressoz, dans ton podcast Chaleur humaine, qui explique que finalement cette histoire de transition énergétique, c'est pas clair. Dans un autre cas, dans sa définition même, est-ce que c'est possible de faire une transition énergétique quand on dispose d'une quantité d'énergie aussi élevée au quotidien ? Et que d'ailleurs, si on regarde les modélisations qui... Et tu dis comment évoluera la demande mondiale, en fait elle va continuer à augmenter, y compris sur les fossiles. Alors pardonne-moi pour la question provoque, mais elle est tout à fait volontaire. Finalement, est-ce que les compagnies pétrolières, sachant ça... Est-ce qu'elles n'ont pas raison de revenir sur leurs engagements, notamment SGBTI, de dire, ben non, mais en fait, il faut mettre encore un coup de boost, même si on sait que quand on découvre, par exemple, un forage qui nous paraît très conséquent, ben en termes de demande mondiale, c'est que 30 ou 40 jours. Qu'est-ce que tu en penses, toi, par rapport à tout ce que tu as pu étudier ?
- Speaker #2
Non, mais c'est évidemment ce que pensent les patrons de compagnies pétrolières. Moi, j'ai déjà eu cette discussion avec le patron de Total, Patrick Pouyanné, il m'a dit, il y a déjà plusieurs années, mais en fait... Oui, il est évident qu'on va vers un monde à 4 degrés. De toute façon, on a besoin d'énergie. Et d'ailleurs, quand on regarde, c'est exactement ce que dit le nouveau secrétaire d'État à l'énergie aux États-Unis, Chris Wright, qui est un patron du fracking. Donc, c'est un patron du secteur du pétrole de schiste américain. Et lui, il ne dit pas qu'il est climato-sceptique. Bon, ça n'intéresse pas beaucoup le climat, mais il pense quand même que ça existe. Mais il dit, le sujet, c'est qu'il y a encore des millions de gens dans le monde. qui n'ont pas accès à ces énergies abordables et géniales que sont les énergies fossiles, il faut qu'on leur apporte. Point. Et donc, évidemment, aujourd'hui, du point de vue des compagnies pétrolières, il n'y a aucun intérêt à changer de modèle. Enfin, c'est très évident. Et donc, du coup, oui, la question, c'est de dire comment on fait pour raisonner en termes d'intérêt général ? Évidemment, une entreprise privée qui a des actionnaires, qui sont des investisseurs partout dans le monde, son but, c'est de faire du profit. Et donc la question, c'est de dire comment on fait pour que ces règles-là, elles ne s'appliquent pas en l'espèce quand notre intérêt général et notre avenir à toutes et à tous est menacé.
- Speaker #1
Très bien, merci. Merci pour tes précisions. Ça aurait valu un épisode entier. La question est à l'heure de l'éthique. J'aimerais qu'on parle un peu plus de toi, comme je l'ai annoncé en préambule. Alors, que ce soit dans le cadre professionnel ou pas, est-ce que... Il y a un message que tu n'arrives jamais à faire passer, soit parce que tu t'auto-censures, ça peut être pour différentes raisons, c'est trop dur à entendre, c'est contre-productif, ça peut être aussi le cas, ou tout simplement ça ne matche pas avec les injonctions au positivisme qui sont un peu les nôtres au quotidien. Est-ce que tu as déjà eu cette impression ? Et si oui, pourquoi ? Pour quelles raisons ?
- Speaker #2
En fait, je dirais que le plus difficile pour moi... en termes de messages à faire passer, c'est quand même un peu... Je vais essayer de dire ça gentiment. C'est un peu de se lâcher la grappe mutuellement. C'est-à-dire qu'on est dans une période qui est très difficile. Il y a des menaces partout. L'extrême droite arrive au pouvoir dans un certain nombre de pays. C'est une vraie menace pour les vies d'un certain nombre d'entre nous. La situation climatique est très mauvaise. L'érosion de la biodiversité se poursuit, les limites planétaires. Je ne vais pas vous refaire le film. Ici, tout le monde connaît de quoi il s'agit. Il y a un certain nombre de guerres, et je suis bien placé pour savoir que ce qui se passe au Proche-Orient est une spirale dont on ne va pas sortir. Donc on est dans la mouise. Et donc je pense que dans le moment dans lequel on est, il faut être assez ouvert avec les gens avec qui on a au moins un tout petit peu de connexion. C'est-à-dire qu'on a besoin d'unité et on a besoin de ne pas chercher systématiquement la division. Tu donnais tout à l'heure l'exemple de l'épisode que j'ai enregistré avec Jean-Baptiste Fressoz. Bon bah, on enregistre cet épisode, là il y a plein de gens qui écrivent, ils disent « Ouais, vous invitez Fressoz, c'est dégueulasse, il dit qu'on peut pas faire la transition énergétique, nanana, machin. » D'autres écrivent en disant « Ah, enfin, vous invitez Fressoz, vous sortez du mythe de la transition énergétique, machin. » 100% de ces gens veulent en fait la même chose, c'est-à-dire ils veulent résoudre les problèmes. Et donc, je ne dis pas qu'il faut que tout le monde pense pareil, je pense qu'il faut qu'on arrive à accepter une diversité d'opinions dans un camp de gens qui ont compris l'ampleur des crises auxquelles on fait face. Parce que sinon, on va juste se prendre la tête entre nous et cette division-là, elle est mortifère. Et ça, ça existe dans nos vies avec nos amis, nos familles, nos collègues de travail et tout ça. Et ça existe aussi, pour moi, dans la question profondément politique qu'on traverse de la crise climatique et de la crise de l'effondrement de la biodiversité. C'est-à-dire qu'il faut essayer de garder le spectre le plus large possible qui peut aller de gens qui tiennent à des positions extrêmement radicales à des gens qui tiennent des positions qui sont extrêmement momoles. mais il faut essayer de garder les gens de bonne volonté dans un même spectre, parce qu'en fait, on est dans un moment difficile et donc on a quand même intérêt à se serrer les coudes.
- Speaker #1
Je rebondis sur ce que tu disais là.
- Speaker #0
Est-ce que ça, c'est un constat que tu fais, y compris, par exemple, au Monde, où vous avez diverses rubriques qui travaillent sur différents sujets qui sont parfois totalement différents ? Et je rebondis avec un sujet que moi je vois au quotidien. Par exemple, à l'université, on voit qu'en fonction des laboratoires dans lesquels tu travailles, tu peux travailler, évidemment, les sujets ne sont pas traités de la même manière. Par exemple, on va rester sur le sujet de la transition écologique ou énergétique, elle n'est pas du tout traitée. avec le même angle, selon si ton laboratoire travaille sur des nouveaux imaginaires en termes d'implication citoyenne ou si tu es physicien. Parfois même, les publications ou des arguments qu'on peut trouver dans des publications propres à ces laboratoires sont contradictoires. Est-ce que tu le vois déjà, ne serait-ce que dans ton petit écosystème au monde ? Oui,
- Speaker #1
mais je dirais qu'il y a deux choses qui sont différentes dans ce que tu dis, en tout cas pour moi. Il y en a une qui est, tu as une diversité d'approches et ça, on en a besoin. C'est-à-dire, si on reprend le sujet, par exemple, des différents champs scientifiques, pendant longtemps, les gens qui se sont exprimés sur ces questions-là venaient plutôt du champ des sciences dures, des climatologues, des chimistes ou des ingénieurs. En fait, on s'est rendu compte assez vite que tout ça, ça ne marchait pas s'il n'y avait pas des sociologues, des historiens, des gens qui venaient des sciences humaines, des géographes, qui avaient aussi une approche qui est différente. Et des fois, il y a des contradictions, mais ce n'est pas grave. Ce sont des approches qui sont complémentaires et on en a besoin. Quand une sociologue comme Sophie Dubuisson-Kellier, elle explique que toutes les injonctions à l'exemplarité, par exemple, dans les petits gestes, ça ne sert à rien, voire c'est contre-productif. Ce n'est pas la même chose que quand Valérie Masson-Delmotte, qui est climatologue, elle dit que ce serait génial que Kylian Mbappé montre l'exemple et que tout le monde puisse l'imiter pour lutter contre le changement climatique. Évidemment, ce sont des discours qui sont un peu différents, mais ce n'est pas grave. Ce sont des gens qui réfléchissent, qui travaillent et qui vont dans le même sens. C'est un peu différent que... des gens qui n'ont pas bien compris le problème. C'est-à-dire que ça, ça arrive dans les médias, y compris ça nous arrive au monde encore. Typiquement, l'exemple que je donne toujours, c'est celui du Salon du Bourget, le moment où nous, toute l'année, on explique que l'aviation pose un très gros problème climatique, qu'il n'y a pas de trajectoire de décarbonation, que les histoires d'avions à l'hydrogène, c'est n'importe quoi et tout. Et puis, en même temps, on publie, un de mes collègues, pensant bien faire son travail par ailleurs, publie un article pour dire, regardez, formidable, Airbus a une commande de 200 avions de Air India. Et donc, leur croissance cette année va être formidable. En fait, ça, ce n'est pas compatible. Et donc, ça, c'est un autre problème. C'est un problème éditorial chez nous, qui est qu'il faut qu'on arrive à mieux se parler pour arriver à faire en sorte qu'on ne va pas ne pas parler du fait qu'Airbus vende des avions. C'est la réalité, ça se passe. Nous, on traite des faits. Mais par contre, il faut le remettre en contexte, dans un contexte de changement climatique, d'impact massif du secteur aérien sur les émissions et de plus en plus massif dans les années à venir. Et donc, il faut expliquer ça. on ne peut pas juste se contenter de dire c'est comme ça puis c'est tout
- Speaker #0
Merci pour avoir dissocié les deux questions. Je ne dirais pas réponse parfaite, mais presque. Et c'était à nouveau un petit peu provocateur, puisque nous, on travaille beaucoup, du moins au sein de l'établissement dans lequel je suis, j'officie, sur l'importance de la pluridisciplinarité et le fait d'impliquer justement tous ces labos qui ne se parlent pas, pour créer une espèce de dynamique collective. Et c'est ça qui, derrière, génère un espèce de dynamisme au niveau du territoire. Et ça marche très bien. Quand c'est fait avec... la collaboration de tout le monde. Je vais finir cette troisième partie en te posant une petite question sur un sujet sur lequel on travaille énormément avec nos adhérents, nous, qui est l'éco-anxiété. Donc, évidemment, l'éco-anxiété, il y a dix ans et maintenant, je dirais que ça a un peu évolué quand même, puisque les thématiques environnementales, le climat, l'effondrement de la biodiversité et les autres sujets connexes...
- Speaker #1
Ça m'intéresse. Qu'est-ce que tu veux dire par ça a évolué ? C'est-à-dire, tu as l'impression que les gens sont plus éco-anxieux maintenant ou qu'en fait, elle a changé de nature ?
- Speaker #0
Je dirais qu'il y a dix ans, tu avais quand même moins de sources généralistes et grand public qui en parlaient autant. Avant, c'est-à-dire que tu lisais beaucoup de publications. Déjà, c'était des publications scientifiques. Moi, au tout début, quand j'ai commencé à m'intéresser à la thématique, c'était uniquement par des papiers de chercheurs qui m'étaient donnés par des amis chercheurs. En dehors de ça, c'était assez délicat. Il n'y avait pas vraiment de vulgarisation, du moins accessible pour quelqu'un qui n'avait pas... pas un profil scientifique, ce qui est mon cas aussi de base. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus simple, je dirais. Donc évidemment, j'ai pas les mêmes échanges, si tu veux, avec les personnes que je connaissais déjà il y a dix ans et dont on parlait du sujet déjà il y a dix ans. Par rapport justement à ces scientifiques et acteurs de terrain concernés, si je cite Valérie Masson-Delmotte, elle dit « Si on part sur un truc trop scientifique, ça ne parle pas aux gens, mais si on est trop engagé, on risque de perdre en rigueur ou d'être trop inutilement anxiogène. » C'est un questionnement permanent vertigineux. Je trouve que c'est une bonne conclusion par rapport à ce que tu dis depuis tout à l'heure. Quel est ton positionnement, toi, là-dessus ? Et puis après, on passera plus à la partie, on refait le bilan.
- Speaker #1
Je veux juste quand même dire, pour ne pas avoir l'air de dire du mal des climatologues, des gens comme Valérie Masson-Delmotte, Christophe Cassou et beaucoup d'autres, ce qu'ils ont fait ces dernières années, c'est hyper courageux. C'est-à-dire qu'ils sont sortis de leur labo et ils sont allés parler de thématiques qui n'étaient pas les leurs. Leur vie pendant des années, ça a été de regarder le climat à l'époque des dinosaures. Et d'un coup, ils sont sur des plateaux télé où on leur demande s'il faut des voitures électriques. Et donc, ils ont fait un chemin dingue de compréhension aussi de la société au prix de beaucoup de travail et parfois aussi beaucoup de cyberharcèlement. et d'ennuis avec des gens pas très agréables. Donc, c'est vraiment un truc qu'il faut saluer. C'est un vrai changement aussi qui permet maintenant un rapprochement avec y compris des gens de sciences humaines, avec des gens du milieu associatif, avec des activistes, avec des journalistes, des chercheurs. Enfin voilà, c'est cool.
- Speaker #0
Surtout que de plus, ce n'est pas des communicants, ce n'est pas leur formation.
- Speaker #1
Clairement.
- Speaker #0
Malheureusement, ça a tendance à se ressentir parfois avec certains profils, mais c'est tout à fait normal là-dessus.
- Speaker #1
Après, moi, j'ai quand même l'impression que... La question, elle se pose un peu différemment quand on est journaliste. Nous, de toute façon, on parle des trucs qui se passent. C'est-à-dire, oui, évidemment, il y a une partie de notre lectorat qui nous le dit. On en a marre que vous nous racontiez des catastrophes. Sauf qu'elles se passent. On ne va pas ne pas parler des incendies à Los Angeles ou des canicules massives en Inde. Voilà, en fait, c'est notre travail de raconter ce qui se passe. Donc, je pense qu'on ne peut pas ne pas raconter le réel. Maintenant, c'est vrai que... Et je le vois bien, par exemple, parce qu'avec le podcast Chaleur Humaine, il y a aussi une newsletter où je réponds aux questions des auditrices et des auditeurs. Je reçois énormément de mails. Chaque fois, chaque mail, chaque mois, je reçois peut-être une centaine de mails. Et une thématique très présente dans ces mails, c'est en fait, on ne comprend pas ce qu'il faut faire. Et donc, ça, c'est une difficulté pour nous, journalistes. C'est qu'en fait, une des questions face à l'éco-anxiété légitime suscitée par le... la crise climatique et l'effondrement de la biodive, une des réponses, c'est l'action. C'est de se dire, en fait, je vais me mettre à agir. Sauf qu'en fait, on voit bien quand même, et c'est un des enseignements de ces dernières années, que les injonctions aux gestes individuels, en fait, ce n'est pas vraiment suffisant, voire parfois pour un certain nombre d'individus, ça accentue les co-anxiétés, parce qu'en fait, ils ont le sentiment de faire énormément d'efforts dans leur vie et que tout ça n'a zéro impact, et donc en fait, ils se privent de choses. ils prennent la tête à tout le monde dans leur entourage et tout ça, et en fait, ça ne marche pas trop. Et donc, il y a un chemin un peu intermédiaire d'action collective, de dire, en fait, on peut faire, des fois, s'engager dans sa copropriété pour faire la rénovation du bâtiment dans lequel on vit ou auprès de son bailleur social, organiser un truc avec une association de parents d'élèves, porter ces questions-là dans des associations dans lesquelles on est déjà investi par ailleurs, ça peut être une association sportive, ça peut être... En fait, il y a plein de manières différentes de faire vivre cette question-là. Et ça, et d'ailleurs, c'est ce que disent un certain nombre de chercheuses, de chercheurs qui travaillent sur cette question-là, c'est qu'en fait, ils voient souvent que les réponses à cette angoisse climatique, elles se trouvent souvent dans le lien avec les autres. Et quelque part, moi, j'y vois une sorte de double réponse, c'est-à-dire une réponse d'abord à des enjeux de santé mentale, d'essayer de dire, en fait, comment on fait pour ne pas être paralysé par cette angoisse-là, qui peut être très forte, et je le comprends tout à fait. Mais aussi, et c'est peut-être un peu plus théorique, je ne sais pas, mais aussi le dessin d'un monde futur. C'est-à-dire qu'en fait, ce dont on a besoin pour faire preuve de résilience face au changement climatique et à l'effondrement de la biodiversité, pour construire un monde qui repose moins sur les énergies fossiles, c'est plus de liens entre les gens, c'est plus de solidarité, c'est plus de construction collective. Et donc, c'est aussi dans ces engagements-là qu'il y a des ressources qui se créent. et qui sont à la fois positives pour les gens parce qu'elles permettent d'être moins déprimées, mais aussi elles permettent de mettre des choses en place qui certes ne vont pas massivement réduire nos émissions de CO2, notre usage et le nombre de barils de pétrole qu'on brûle chaque jour, mais par contre portent en elles le ferment de comment on peut aussi essayer de fonctionner autrement, plus collectivement, de manière plus résiliente et tout.
- Speaker #0
Finalement, c'est un peu créer un cadre de cohérence où on se sentirait épanoui de façon collective. Nous, on essaie beaucoup de rattacher ça dans les échanges qu'on a, notamment avec les nouveaux adhérents. C'est important d'extérioriser et c'est une phase essentielle de dire ce qu'on a sur le cœur, ces craintes, ces angoisses. Ça va durer un temps et derrière, vous verrez, on peut faire des choses à notre échelle. Et nous, c'est aussi pour ça qu'on a l'angle promouvoir qu'on met souvent en avant, avec notamment des organismes qui sont des partenariats, afin que les gens puissent rebondir sur autre chose, sur une certaine mise en action. Ça peut être sur les low-tech, ça peut être sur... Je ne sais pas, des organisations voisines, de jardinage ou peu importe que sais-je. L'important c'est qu'il y ait un début de mise en pratique qui de toute façon sera successif et amènera forcément à quelque chose derrière. Comment est-ce que tu fais ? Parce qu'on parlait du fait de rester en joie. Dans la vie, c'est important, c'est essentiel. Comment est-ce que tu fais pour t'extraire un peu de ces sujets au quotidien ? Alors, des fois, on s'y extrait, mais on reste un peu dessus. C'est juste l'angle qui change. Est-ce que tu as des activités personnelles en famille ? Je ne sais pas, tu fais de la rando ? Tu fais ce genre de choses avec tes enfants ? Voilà, je te laisserai préciser. Et, alors, j'ai tendance à dire à ma fille qu'il ne faut pas faire plan sur la comète, mais toi, tes projections dans la vie sur les 10 à 20 prochaines années, rêvons un peu. C'est quoi ?
- Speaker #1
En fait, moi, je pense assez bien à m'extraire de la question climatique au quotidien. Disons que je n'ai pas trop le choix. J'ai deux mômes. Ils ont 4 et 10 ans et ils ont énormément d'énergie, très joyeuse et aussi fatigante, comme tous les enfants. Et donc, en fait, une fois que je suis chez moi, je suis quand même pris dans un tourbillon d'autres choses qui va de raconter des histoires à vider de la vaisselle. Et donc, en fait, il y a la vie qui reprend aussi un peu le dessus. Paradoxalement, c'est plus difficile pour moi de m'extraire de l'actualité sur le Proche-Orient, particulièrement depuis cet octobre, où c'est plutôt ça qui m'empêche de dormir la nuit. Je sais que c'est bizarre. Pour autant, le changement climatique et la crise de la biodive nous amènent beaucoup plus loin et de manière beaucoup plus collective. Mais bon, on est comme on est. Et puis aussi, d'une certaine manière, la chance que j'ai avec Chaleur Humaine, c'est qu'en fait, les entretiens que je mène avec des gens, c'est des entretiens qu'on a décidé d'amener vers, dans chacun des domaines qu'on touche, qu'est-ce qu'on peut faire. Et ce n'est pas qu'est-ce qu'on peut faire en mode c'est quoi la grosse solution, c'est plutôt c'est quoi le chemin qu'on peut prendre. Et ça, en fait, pour moi, c'est porteur d'une forme de calme, c'est un peu bizarre, mais ça diminue mon stress, on va dire, parce que dans chacun des domaines qu'on voit, qu'il s'agisse du transport, de l'alimentation, du bâtiment, de machin, en fait, on voit qu'il y a énormément de choses qui sont possibles de faire. Ok, ok, on ne les fait pas forcément là maintenant ou pas au bon rythme. Mais en fait, il y a des leviers tout à fait possibles qu'on peut activer dans plein de domaines qui peuvent à la fois rendre nos vies meilleures et nous permettre de diminuer, en tout cas, l'impact que le changement climatique va avoir sur nos vies. Et donc, pour moi, c'est aussi ça, chaleur humaine, c'est-à-dire que, pour les gens qui écoutent, mais aussi pour moi-même, à vrai dire, c'est aussi une manière de rationaliser un certain nombre des dangers qu'on a. Il y a des choses sur lesquelles, quand on fait un épisode sur les glaciers, ben ouais, en fait, les glaciers, c'est horrible, ils vont fondre et on n'a pas vraiment de solution. Mais en fait, quand on fait un épisode sur comment développer le train ou les transports publics, c'est possible. Il y a plein de choses qu'on peut faire. Et on peut commencer par là et on peut faire ça. Et il y a telle ville qui a développé tel truc et machin. Et donc, en fait, ça, ça donne aussi des idées sur ce qu'il est possible de faire. Donc, voilà, c'est aussi un peu cet équilibre-là pour moi qui est à la fois mémome et la manière dont Chaleur humaine a été conçue, qui est un peu tournée vers, à chaque fois, essayer de regarder les trajectoires possibles, là où on peut aller.
- Speaker #0
Très bien. Et autre... Pendant de la question, où est-ce que tu étais, toi, il y a dix ans ? Alors, tu pourras répondre en fonction de la situation que tu voudras mettre le plus en avant. C'était quoi tes aspirations à l'époque ? Et éventuellement, j'ai une question bonus. C'est quoi surtout les aspirations auxquelles tu as dit, entre guillemets, adieu et qui t'ont été les plus coûteuses en termes de deuil, s'il y en a eu ?
- Speaker #1
C'est drôle. Il y a dix ans, en fait, ma fille allait naître. Donc, mon aspiration était de devenir père. Je crois que je ne comprenais pas grand-chose à ce que ça voulait dire. Donc, à vrai dire, ma préoccupation principale était assez peu climatique parce que j'habitais à l'époque à côté de Boston, aux États-Unis. Et c'était l'hiver le plus froid qui ait jamais connu la Nouvelle-Angleterre depuis 150 ans. Donc, il y avait des montagnes de neige partout dans la rue. Il y avait des tempêtes de neige. On ne pouvait pas sortir certains jours. Et donc en fait, la question climatique n'était pas du tout au cœur de mes préoccupations de ce point de vue-là. Et donc voilà, j'étais dans un moment très particulier de la vie, qui est le moment où on devient parent et qui en fait a profondément changé ma vie et ma vision du monde de plein de manières différentes. Évidemment, dans mon rapport au vivant, à la question climatique, aux questions de transmission, en fait, je pense qu'une partie de ce que je fais aujourd'hui, y compris sur ces questions environnementales, est liée au fait que j'ai des enfants et à la découverte d'une partie de ces questions-là avec eux. Et donc voilà, ça c'est important. Et puis il y a une autre chose qui est très importante pour moi, sur laquelle j'ai écrit un livre et réalisé un documentaire, qui est la question de la langue arabe. C'est ma langue maternelle et en fait je la parle très mal. Et quand j'étais aux Etats-Unis justement, je reprenais des cours pour essayer d'apprendre l'arabe et c'était important de me dire, en fait je vais essayer de transmettre cette langue à mes enfants. Ça n'a pas du tout marché, mais par contre, du coup ça m'a fait aussi beaucoup réfléchir à la question de la langue. Et je pense que s'il y a une chose à laquelle j'ai renoncé, c'est renoncer au... Au mythe de je vais redevenir complètement arabophone et pouvoir aller vivre au Proche-Orient et parler l'arabe comme je le parlais quand j'étais petit. En fait, quand j'étais petit, je le parlais comme un enfant et je le parle toujours comme un enfant. Et en fait, ce n'est pas grave. Donc, j'ai fait un petit peu la paix avec ça. Donc, ça s'éloigne un peu du sujet. Mais voilà, c'est évidemment ça plutôt les choses auxquelles ça me fait penser.
- Speaker #0
Je me permets de rebondir. J'ai un peu étudié la culture islamique durant mon cursus universitaire et notamment la façon dont l'arabe a évolué, la langue, qui est une langue très imagée, très basée sur les constats qu'on peut avoir sur la nature finalement. Tu parlais tout à l'heure de la situation au Liban. Comment est-ce que justement le conflit qui génère des désillusions humaines, mais aussi des dégradations... conséquentes de la nature, de l'environnement, de ce qui nous environne. Comment est-ce que tout ça, justement, ça peut avoir des impacts sur et la culture et la langue de l'arabe, par exemple ? Comment est-ce que toi, tu le ressens ? Je ne sais pas si tu es encore de la famille là-bas. Comment est-ce que, finalement, climat, culture, identité, tout ça, c'est intimement lié ?
- Speaker #1
Oui, bien sûr, et particulièrement parce que le Liban, c'est historiquement un pays à la fois un pays agricole, un pays... de pêche, un pays de montagne. Et donc, en fait, on voit bien que là, on est dans une spirale qui est très difficile d'en sortir. Un des exemples qu'on donne souvent, c'est le... Voilà, mon père est originaire d'une famille du sud Liban, d'une région dans laquelle il y a beaucoup d'oliviers. Bon, à chaque invasion israélienne, les oliviers sont coupés. Voilà, donc en fait, après, on ne fait plus de l'huile d'olive. Et en fait, les oliviers, comme peut-être les gens qui écoutent ce podcast le savent, en fait, c'est des arbres qui peuvent vivre extrêmement longtemps, qui nous survivent très souvent et qui peuvent donner des olives pendant plusieurs dizaines d'années et qui ont aussi un rapport qui est très particulier à une terre qui est souvent plus sèche. Donc, évidemment, tout ça est horrible. Et ça fait que dans un pays comme le Liban, mais comme d'ailleurs dans beaucoup de pays qui connaissent la guerre, il y a un paradoxe qui est qu'une grosse partie, par exemple, de l'alimentation, du coup, devient importée. Dans un pays dans lequel on est pourtant capable de produire des fruits et légumes délicieux, on se retrouve à importer beaucoup parce qu'on ne sait plus faire, parce que les terres agricoles ont été en partie abandonnées, qu'un certain nombre de gens sont partis ou sont morts. Et c'est un peu, d'une certaine manière, pour moi, le Liban, il illustre aussi le paradoxe de la résilience. C'est-à-dire, souvent, on voit la résilience comme un truc bien. En se disant, c'est bien, on va être résilients, on va avoir des problèmes qui vont nous arriver, puis on va toujours réussir à s'en sortir parce qu'on sera organisés pour le faire. Des décennies de guerre au Liban, ça fait que les gens sont devenus résilients probablement beaucoup trop. C'est-à-dire que du coup, ils n'ont pas trop d'autres choix que d'accepter à continuellement s'organiser avec des bouts de ficelle. Le Liban aujourd'hui, c'est un pays où la plupart des gens n'ont pas d'électricité, ils n'ont pas accès à l'eau potable. On ne se rend pas compte parce que parfois, on a certaines images du Liban comme... d'un pays qui a pu être assez prospère et tout, ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui. Et donc, en fait, voilà, des choses basiques auxquelles les gens n'ont plus accès. Et notamment, en tout cas, c'est la manière dont moi je le vis, un pays dans lequel il n'y a plus d'État. Et où, en fait, les solidarités locales ou familiales, parfois religieuses, peuvent exister et peuvent permettre de subsister. Mais où, en tout cas, moi, ça m'a assez vite amené à la conviction qu'en fait, s'il n'y a pas d'autorité organisatrice de... ramasser les poubelles, mettre l'électricité, avoir des conduites au potable, en fait, ça ne marche pas. Et donc, en tout cas, les expériences d'essayer de s'organiser de manière tout à fait autonome dans un village, dans un truc, se heurtent à la réalité de tout le reste autour est en crise permanente. Je suis désolé, c'est une réponse assez brouillon, mais les Libanais disent souvent « Ah, mais en fait, nous, on s'en sort toujours, on s'adapte toujours. » Et en fait, parfois, j'y pense aussi en pensant au changement climatique, avec l'idée de « Ah, mais on s'adaptera toujours à des températures plus élevées » . En fait, ce n'est pas vrai. Oui, on s'adapte, mais avec des conditions de vie qui sont hyper dégradées et des conditions de vie dont, franchement, on n'a pas envie du tout.
- Speaker #0
Non, mais c'est une réponse que je trouve, moi, très intéressante parce qu'on parle beaucoup du rôle de l'observation, de ce qui nous entoure pour dessiner, justement, des trajectoires différentes. Or, quand on est dans un environnement qui est désolé, C'est difficile d'arriver à se projeter au-delà de cette désolation qui finalement est devenue un petit peu le quotidien. Et j'ai écouté d'ailleurs dernièrement une... Alors c'était des chercheurs pas forcément spécialistes de la question de l'histoire du Liban ou du conflit, mais qui étaient d'origine libanais, eux, et qui toutes et tous expliquaient qu'il y a plusieurs dizaines d'années, quand les conflits ont démarré, c'était principalement à Beyrouth. Donc quand on sortait de Beyrouth, on arrivait à avoir quand même une vie relativement paisible. La vie suivait son cours, c'était un petit peu deux univers très séparés, aujourd'hui c'est plus le cas. Et d'après ce que tu en dis, évidemment ça complique énormément les choses, notamment en termes d'imagination. Avant-dernière question, qui est un peu liée quand même avec ce que tu disais. Imagination, projection, génération climat. Est-ce que tu y crois, toi, à la génération climat ?
- Speaker #1
Bon, disons que c'est une expression que je trouvais un peu galvaudée. C'est-à-dire, derrière l'expression génération climat, il y avait l'idée de dire la jeunesse se mobilise autour des thématiques climatiques. En fait, ce qu'on voit, c'est qu'il y a une partie de la jeunesse pour qui c'est vrai et une partie de la jeunesse pour qui ce n'est pas vrai. C'est-à-dire, globalement, les catégories jeunes-vieux, ruraux-urbains, tout ça, ce sont quand même des catégories qui sont trop caricaturales. On voit bien que la question climatique et environnementale, et ça revient un peu sur ce que tu disais tout à l'heure sur la question des sondages. En fait, quand on regarde des études qui ne sont plus poussées, par exemple, le baromètre de l'ADEME qui est fait depuis 25 ans, un peu avec les mêmes questions. quand on regarde les études que font une association qui s'appelle le Parlons Climat. qui essaie de rassembler un peu tout le travail sur le sujet, on voit qu'en fait, les différentes générations, elles sont traversées aussi de contradictions et de gens qui n'ont pas du tout le même rapport à ces sujets-là. Donc, je pense qu'il faut être un peu prudent avec le truc général qui consisterait à dire qu'il y a une génération climat. Et puis, en plus, cette expression génération climat, voilà pourquoi je ne l'aime pas. C'est parce que, souvent, en fait, elle est comprise par les gens qui sont plus âgés comme une forme de responsabilité donnée à la jeunesse. Ah, c'est vous la génération climat, vous allez résoudre les problèmes. c'est vrai nous On a fait beaucoup de bêtises, mais vous, vous allez voir. Mais aujourd'hui, qui est au pouvoir ? Ce n'est pas des gens qui ont 25 ans. Ce sont des gens qui ont plutôt 60 ans, qui sont aux manettes d'entreprises du CAC 40, qui sont aux manettes des politiques publiques, qui dirigent des gouvernements. Et donc, en fait, il ne faut pas se raconter d'histoire. La génération climat, ou si elle existait, le moment où elle sera au pouvoir, ce sera à un moment donné où on aura déjà eu une augmentation beaucoup trop violente des températures et où on aura déjà perdu un certain nombre d'espèces. Donc en fait Voilà, c'est pour ça que je trouve que cette question de génération climat, elle est souvent un tout petit peu mal posée, y compris par des journalistes. Je veux dire, je vous inclue dedans très clairement. Et ensuite, sur la question des imaginaires, en fait, je trouve que c'est à la fois louable de se dire, en fait, pour pouvoir se projeter, il faut qu'on ait un horizon plus désirable. Ça, c'est clair, c'est important. Mais aussi pour un certain nombre de gens, tout ça apparaît un tout petit peu comme du flan s'ils ne voient pas par où ça passe. Et la difficulté, ce n'est pas l'horizon lointain où tout le monde est super content. Tout le monde est capable d'imaginer une société dans laquelle on mange mieux, on a plus de temps pour soi, pour ses proches. Voilà, je pense que tout le monde peut rêver de ça. Et c'est super. La question, c'est maintenant, par quel chemin on passe ? C'est quoi les étapes ? Souvent, maintenant, quand je reçois des responsables politiques, j'ai inventé un test que j'ai appelé le test Léon Blum. Je leur pose cette question-là parce qu'en fait, j'ai vachement aimé écouter le podcast de France Inter sur la vie de Léon Blum. réalisé par Philippe Collin. Et il y a un épisode dedans sur les congés payés. Restez avec moi, vous allez voir, je vais quelque part. Il y a un épisode sur les congés payés dans lequel il explique que quand le Front Populaire arrive au pouvoir en 1936, eh ben, ils votent les congés payés au printemps. Et après le printemps, ça, ça ne change pas, il y a l'été. Et ben, l'été, qu'est-ce qui se passe ? Des millions de gens profitent immédiatement des congés payés. C'est-à-dire, tout de suite, leur vie change. Elle s'améliore. Ça faisait des années qu'ils n'avaient pas vu leur famille, ils peuvent l'avoir, ils peuvent profiter d'un moment sans le rythme harassant du travail à l'usine et tout ça. Et donc souvent, moi, je dis ça aux responsables politiques, je dis d'accord, on veut faire des choses qui vont dans le sens de la transition écologique. Qu'est-ce que ça peut être qui a un impact maintenant sur la vie des gens ? Pas dans 10 ans, dans 15 ans. Oui, dans 15 ans, c'est super. Une fois qu'on aura rénové tous les bâtiments, une fois qu'on vivra mieux, une fois qu'on aura taxé les riches et mieux réparti les richesses, ce sera super, tout ça. Mais là, tout de suite, par quelles étapes on passe qui font que l'année prochaine, on vit mieux et on va dans le sens de la transition ? Eh bien, ce n'est pas facile. C'est pas facile parce qu'en fait, on a le sentiment, et je pense beaucoup de gens ont le sentiment, que toute cette histoire, c'est beaucoup d'efforts maintenant, c'est du sang, de la sueur et des larmes, pour peut-être éventuellement du mieux plus tard. Et bien ça, je pense que ça peut pas marcher dans nos têtes. Si on se dit tous, aujourd'hui, on va tous bien galérer, mais bien bien, on va diminuer notre mode de vie, tout ça va être horrible, et peut-être nos petits-enfants, ils en profiteront. Honnêtement, les gens, ils sont gentils avec leurs petits-enfants qui existent pas encore, mais ils sont pas prêts à ça. Et donc, il faut trouver un chemin intermédiaire qui nous permette de nous dire, on va améliorer nos vies maintenant, vraiment, c'est-à-dire des trucs qu'on va sentir dans nos vies qui vont être meilleurs. Et tout ça va nous mettre sur le bon chemin pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, limiter l'effondrement de la biodiversité, etc.
- Speaker #0
En fait, on va recréer des communs pour oublier qu'on a moins de potentialité individuelle. C'est ça que tu es en train de dire ? Non, je plaisante un peu, mais ça peut être une voie.
- Speaker #1
Non, mais évidemment, ça passe par le fait de recréer des cadres collectifs. C'est-à-dire, ces victoires-là, ces améliorations-là de nos vies, elles passent par des cadres collectifs. Un exemple souvent donné, c'est celui de la sécurité sociale de l'alimentation. C'est par exemple l'expérience qui est menée en ce moment à Montpellier, mais il y a d'autres villes qui le mènent. Il y a une expérience aussi en Gironde, de dire qu'en fait on se met en commun pour essayer d'avoir un rapport à une alimentation qui est une alimentation plus saine, plus locale, plus respectueuse du vivant, et aussi plus juste par rapport aux différents niveaux de revenus. Bon, en fait, typiquement, ce type d'expérimentation, elle dessine ça, c'est-à-dire je mange mieux, je suis capable de nourrir mes enfants avec une nourriture de meilleure qualité. Je le fais dans un cadre collectif avec des gens qui, par exemple, vont me filer des recettes super cool. Et ça va aider des agricultrices, des agriculteurs qui travaillent localement, avec qui je vais pouvoir parler. Et ensemble, on va dessiner ce qu'on veut manger, comment on va le manger. Bon, évidemment, tout ça est compliqué. Ça ne marche pas à plein d'égards. C'est super galère à mettre en place. Je ne dis pas que c'est facile. Mais typiquement, ce genre d'expérience, moi, c'est le truc qui me donne de l'espoir. Parce que je me dis, en fait, il y a des chemins qui existent pour construire des choses qui ne sont pas justes. On se prépare au pire. Mais peut-être on invente le meilleur dès maintenant.
- Speaker #0
C'est une très belle conclusion. Eh bien, ça me paraît être une avant-dernière réponse presque parfaite, à nouveau. Alors on va la refaire à l'envers. Nabil, comment ça va ? Non, j'ai bien compris que, émotionnellement parlant, tu essaies de faire de ton maximum, en tout cas pour garder les pieds sur terre et pouvoir gérer ça émotionnellement de façon... De façon digne, je dirais, mais plutôt cohérente avec ce que tu en attends. Dernière question, est-ce que tu en parles de ces sujets-là, avec ta femme, avec des amis, et est-ce que tu es accompagné ?
- Speaker #1
Alors, bien sûr, moi j'en parle, j'en parle tout le temps, ne serait-ce que parce qu'en fait, les gens me posent des questions, c'est-à-dire que le positionnement dans lequel je me retrouve avec Chaleur Humaine, c'est un peu trivial poursuite des fois, c'est-à-dire, comme en fait, à force de répondre à des questions de lectrices et de lecteurs sur ces sujets-là, Évidemment, les gens viennent souvent me voir avec des questions du style « Mais pourquoi on ne met pas du nucléaire partout ? » « Et pourquoi on ne met pas des usines pour dessaliner l'eau ? » Et je ne sais pas quoi. Et donc, il se trouve que comme j'ai bossé là-dessus, je suis parfois, pas toujours, mais parfois je suis capable de donner des éléments de réponse. Et donc, ça, souvent, ça engage la conversation. Moi, j'aime bien en parler. D'abord, j'aime bien parler, en général. Mais aussi, en fait, ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas un positionnement politique d'essayer une sorte d'optimisme forcené. C'est aussi un peu qui je suis. Voilà. Donc, en fait, je suis un peu comme ça. J'aime bien parler des trucs en essayant de se poser les questions et de les laisser un peu ouvertes. J'essaye de ne pas être dans un truc qui dit « c'est comme ça, n'essaye pas autrement » . Et quand j'en discute avec des gens qui disent des choses avec lesquelles je ne suis pas d'accord ou que je ne comprends pas très bien parce que ça arrive d'un autre endroit, j'essaye de me dire « je ne vais pas leur rentrer dans l'art, je vais plutôt essayer de comprendre ce qu'ils disent, essayer d'intégrer ça et ensuite je vais aller en parler avec d'autres gens, essayer de confronter ça pour essayer de trouver la… » le bon équilibre. Et parfois, il n'existe pas. Mais voilà, donc c'est plutôt... Enfin, ce que je veux dire, c'est que je ne force pas le trait pour faire genre Kumbaya, tout le monde est copain et on essaie de trouver des solutions. C'est aussi un peu ma manière d'être. Donc voilà, c'est plutôt ça que je veux dire.
- Speaker #0
Eh bien, c'est une parfaite conclusion cette fois. Je te remercie vraiment sincèrement d'avoir été avec nous ce matin. C'était un plaisir d'échanger.
- Speaker #1
Merci beaucoup pour l'invitation. Salut,
- Speaker #0
Mekine. Salut à tous.
- Speaker #1
Vous venez d'écouter le podcast de l'association Adrastia, le podcast qui fait le bilan sur les risques globaux et les perspectives, afin de faire face tous ensemble. Retrouvez toutes les actualités du podcast et de l'association sur le site internet adrastia.org et sur l'ensemble des réseaux sociaux. L'heure du bilan, faire face, 60 minutes pour apprendre à nous adapter au monde tel qu'il est, non tel que nous croyons le maîtriser.