- Speaker #0
Bonjour à toutes et à tous et bienvenue sur le podcast de l'association Adrastia, l'heure du bilan, faire face. Nous sommes ravis que vous nous écoutiez. Nous allons parcourir ensemble les nouvelles pistes d'adaptation face aux altérations profondes et durables du milieu terrestre qui fragilisent tant nos sociétés que le vivant dans son ensemble. En 2024, la concentration en CO2 dans l'atmosphère continue d'augmenter. Les records de température, d'étendue des feux de forêt, de durée de sécheresse et de gravité des inondations tombent les uns après les autres. Les désordres écologiques, politiques et sociaux actuels ne sont pas des crises passagères, mais peut-être les premiers symptômes d'effondrement des sociétés industrielles mondialisées. Il est temps de faire le bilan de notre gestion collective des risques globaux et systémiques, Parce que si sans maîtrise nous filons droit vers l'abîme, l'illusion de contrôle nous y précipiterait plus vite encore. Dans ce podcast, nous donnerons la parole aux lanceurs d'alerte, aux scientifiques, aux acteurs de terrain, aux transitionneurs et aux penseurs de l'avenir écologique. L'heure du bilan nous confronte à la réalité à venir, la nécessité de l'adaptation, parfois radicale, au regard du risque d'échec ou d'insuffisance de l'atténuation. Adrasia est une association de citoyens et de citoyennes qui informe et alerte depuis 2014 sur le risque d'effondrement de nos sociétés, dans le but d'éviter une dégradation trop importante ou brutale de leur structure vitale et de préserver les meilleures conditions de vie possibles pour le plus grand nombre. Le podcast de l'association Adrasia est une production collective. L'intervieweur ou l'intervieweuse pourra être différent à chaque épisode, ne vous en étonnez pas. Les interviews sont disponibles sur les plateformes habituelles de diffusion. N'oubliez pas de vous abonner. Vous retrouverez également une page internet dédiée au podcast sur le site internet adrasia.org. Dans l'heure du bilan faire face, nous explorons pendant 60 minutes comment apprendre à nous adapter au monde tel qu'il est, non tel que nous croyons le maîtriser. Et maintenant, place à l'épisode. Bonne écoute !
- Speaker #1
Bonjour Olivier Hamon, merci beaucoup de venir. pour cet enregistrement pour le podcast Adrastia, l'heure du bilan faire face. Vous êtes biologiste, vous êtes directeur de recherche à l'INREI, vous me corrigerez si la biographie n'est pas complète. Vous êtes directeur de l'Institut Michel Serres, je précise l'INREI, c'est l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement, c'est bien ça. Vous travaillez spécifiquement sur l'anthropocène.
- Speaker #2
L'anthropocène c'est tellement large que spécifiquement, le sujet, l'institut Michel Serres c'est la relation de l'humanité à la nature, donc c'est très large, la question des ressources, des biens communs, de la robustesse et de la santé commune.
- Speaker #1
Et voilà, vous avez dit le mot clé, vous travaillez spécifiquement sur la robustesse, ce sous-champ du vaste champ de l'anthropocène. Vous avez qualifié la robustesse d'antidote occulte de la performance, alors on va y revenir. Et votre mission, vous qualifierez un petit peu mieux comment vous entendez votre travail, vous souhaitez ringardiser la performance et vous nous définirez un petit peu mieux tous ces concepts. Vous avez écrit de nombreux livres, La troisième voie du vivant, je les cite dans l'ordre et vous me corrigerez également si vous avez d'autres ouvrages également que j'oublie. L'antidote culte de la performance, la robustesse du vivant, de l'incohérence, philosophie politique de la robustesse. Et l'entreprise robuste, c'est le dernier pour une alternative à la performance. C'est bien ça ?
- Speaker #2
C'est bien ça.
- Speaker #1
Parfait.
- Speaker #2
Le dernier, c'est avec Olivier Charbonnier et Sandra Allain.
- Speaker #1
Merci pour la précision. Effectivement, je ne l'avais pas noté. C'est une erreur de ma part. Alors, en quelques mots, je vous donne en priorité la parole pour définir ces concepts qui sont clés manifestement et qui ont eu un écho à la fois rapide et très important. Et j'aimerais que vous définissiez un peu ces concepts. qui peut-être encore interroge certains. Alors, évidemment, robustesse, performance, et puis pourquoi vous les opposez ?
- Speaker #2
Absolument, ça c'est le cœur du sujet. Donc la performance, c'est la somme de l'efficacité et de l'efficience. Donc là, je prends la définition de performance du contrôleur de gestion. Ce n'est pas forcément l'art de bien faire qui était la définition de la performance au départ. Là, c'est vraiment la définition qu'on utilise le plus souvent dans le monde de l'entreprise, dans le monde politique, dans le monde des organisations. c'est vraiment efficacité plus efficience efficacité atteindre son objectif, efficience avec le moins de moyens possible. Donc quand on est performant, on atteint son objectif avec le moins de moyens possible. Et la robustesse, la robustesse ça n'a rien à voir, la définition physique de la robustesse, c'est maintenir le système stable et viable malgré les fluctuations. Donc typiquement, un arbre dans le vent, il est stable malgré les fluctuations, mais il est aussi viable malgré les fluctuations parce qu'il est capable de passer les quatre saisons, donc les gelées hivernales, les sécheresses estivales, donc tout ça c'est des fluctuations et il est capable d'encaisser tout ça. Et donc pourquoi j'oppose les deux ? Et bien tout simplement parce que ces deux grands principes, on va dire, sont pertinents, enfin ils sont différemment pertinents en fonction de l'environnement. Dans un environnement... très stable et abondant en ressources, on peut se permettre d'être performant. Parce que si on atteint rapidement son objectif avec le moins de moyens possibles, on risque quand même de se planter, d'arriver trop vite au mauvais objectif. Mais c'est pas grave, parce que le filet de sécurité, c'est l'environnement qui est abondant en ressources. Donc c'est typiquement la stratégie du parasite. Le parasite va aller très vite, va s'optimiser, va être extrêmement performant, et puis il va un jour finir par se planter, mais c'est pas grave, parce que Il y a un moment où l'environnement va redevenir riche et donc les sports qui l'ont laissé à droite à gauche vont pouvoir redonner des nouveaux parasites ailleurs. Dans un monde qui devient fluctuant, turbulent, en pénurie chronique de ressources, être très performant, c'est surtout être très canalisé, être très adapté. Et donc quand on s'est suradapté dans un environnement fluctuant, on n'est plus capable de changer. Quand on est très adapté, on est peu adaptable. Et donc pour être très adaptable, ça veut dire qu'il faut avoir plein de plans A, B, C, D. Et donc en fait, il faut être robuste, être stable et viable malgré les fluctuations. Donc le choix entre performance et robustesse, c'est pas vraiment nous qui décidons. Enfin si, ça peut être nous qui décidons. Mais ce qui fait la sélection, c'est l'environnement. Dans un environnement stable, on fait plutôt de la performance. Dans un environnement instable, on fait plutôt de la robustesse.
- Speaker #1
D'accord, très bien. Alors, il y a comme une école de pensée que j'ai, comment dire, ressentie. à travers les lectures que j'ai pu faire de vos articles et livres. Et vous évoquez vous-même, je crois, alors je me trompe peut-être, mais sur Mediapart, le blog sur lequel vous avez publié un article est bien le vôtre.
- Speaker #2
Oui, c'est vrai que depuis j'ai changé mon nom pour que ce soit plus transparent, parce que j'avais juste mis mon email.
- Speaker #1
Oui, c'est ça, c'est pour ça que je n'étais pas très sûr. Donc voilà, c'est bien votre blog, en tout cas sur le blog Mediapart, vous avez bien des articles à vous. Et vous avez évoqué récemment la fameuse coopération qui est, vous avez même cité l'autre loi de la jungle, le livre publié et popularisé par, la notion a été popularisée par Gauthier Chapelle et Pablo Servigne dans leur ouvrage, l'entraide, l'autre loi de la jungle, qui est largement inspirée du travail de Pierre Kropotkine initialement. Et alors, est-ce que vous, vos travaux aujourd'hui qui portent sur la robustesse versus performance, convoquent, sont l'héritier, comment vous vous inscrivez, vous, dans cette peut-être filiation ?
- Speaker #2
Alors, il y a des liens, bien sûr. Tout dépend de comment on définit la coopération. J'aime bien revenir à la sémantique. La coopération, pour moi, c'est quand on va contre sa performance individuelle pour nourrir la robustesse du groupe.
- Speaker #1
Parce qu'en fait,
- Speaker #2
quand on fait de la coopération, ça veut dire que quelque part, on pense un peu plus aux autres, finalement, et donc ça veut dire qu'on va peut-être être moins performant individuellement. parce qu'on va faire attention à où va le groupe 1 finalement. Et donc la coopération, typiquement, c'est une façon de mobiliser l'équilibre entre performance et robustesse. On va trouver un compromis. Donc si on est dans la compétition, on va être plutôt dans la performance individuelle au détriment de la robustesse du groupe. Si on est dans la coopération, on va plutôt être contre la performance individuelle au service de la robustesse du groupe.
- Speaker #1
D'accord. Et donc, vous apportez votre précision au concept. Est-ce que l'esprit des travaux de Gauthier Chapelle et Pablo Servigne Merci. Vous le revendiquez ou vous l'interpellez ? Est-ce que vous vous y opposez peut-être ? Non,
- Speaker #2
je suis plutôt d'accord. C'est ce qui est assez chouette dans ces travaux-là, qui en effet réactivent des travaux plus anciens de Kropotkin et d'autres. Ce que ça dit, c'est que notre vision du vivant a été très déformée par la récupération du texte de Darwin, de l'origine des espèces et ceux qui ont suivi. On a voulu faire dire à Darwin des tas de choses. Alors Darwin a dit des tas de choses, il faut aussi le dire quand même. Mais quand on lit Darwin, sa pensée est quand même nettement plus complexe qu'un appel à la compétition, une vision du vivant débridée qui serait l'homme est un loup pour l'homme pour le dire rapidement. Non, en fait, Darwin, c'est plus compliqué quand même. Il a d'autres visions du vivant. Il parle beaucoup de la coopération dans la filiation de l'homme. Son texte de 1871, le mot sympathie arrive 70 fois. Donc, il parle beaucoup de coopération. Et même, d'ailleurs, ça l'interroge, parce qu'il se dit, en fait, finalement, c'est des stratégies de viabilité qui passent par la coopération. Darwin en parlait aussi. Bon, Kropotkin en parlait beaucoup plus, évidemment. Et donc, par rapport à Gauthier Chappelle et Pablo Sarré, on est tout à fait alignés. C'est-à-dire qu'en fait, on a pendant très longtemps voulu enfermer le monde vivant dans cette idée d'une compétition débridée, d'une course à la performance. alors qu'en fait quand on regarde bien et surtout à des échelles plus systémiques quand on commence à élargir un peu le champ ce dont on se rend compte c'est que ce sont les symbioses qui dominent sur Terre Et les symbioses dominent parce que la plupart des écosystèmes font face à des environnements fluctuants, en pénurie chronique de ressources, la mauvaise saison en hiver par exemple, ça c'est une fluctuation qu'on a chaque année en région tempérée, c'est les symbioses qui permettent de passer tout ça. Donc en fait c'est ça qui domine sur Terre, même nous les humains, on trimballe entre 1,5 et 2 kilos de bactéries tous les jours, nous sommes des symbioses ambulantes, donc c'est ça en fait qui domine. Et si je reprends un exemple que j'aime bien citer, c'est la lionne et la gazelle, les documentaires des années 80, où on voyait le moment sanguignolant de la prédation. Donc ça, c'est le moment de performance. Donc il y a des moments de performance dans le vivant. Mais le reste du temps, c'est une lionne qui dort, qui n'est pas très performante, qui se balade au milieu des gazelles sans les chasser, qui s'occupe de ses petits. C'est ça qui domine, en fait, dans la vie d'un être vivant. En général, c'est plutôt la robustesse. Et il y a quelques moments temporaires de performance.
- Speaker #1
Très bien. Et effectivement, alors vous ? Prêché inconverti par rapport aux diverses lectures qu'on a pu faire de Darwin et qui ont en grande partie corrompu, sinon son message, mais en tout cas le fond de son travail, qui se voulait quand même proposer une théorie de l'évolution la plus scientificisable possible, je m'excuse pour ce néologisme s'il n'existe pas. vous avez questionné la robustesse depuis un certain temps et il me semble que dans un entretien vous vous questionniez sur Alors vous avez contextualisé la robustesse par rapport à des variations du milieu, plus ou moins, d'abondance de ressources ou pas. Et on peut éventuellement comprendre que nos sociétés ont excessivement investi la performance. Au détriment de la robustesse, c'est votre thèse. Et pourquoi finalement ? Est-ce que vous pourriez préciser pourquoi nos sociétés auraient surinvesti la performance alors que c'est finalement peut-être contre-productif ?
- Speaker #2
C'est vrai que c'est toujours difficile de voir un regard a posteriori, et c'est un regard. Mais si je devais faire une hypothèse, c'est qu'il y a 10 000 ans, on a inventé l'agriculture, après la grande crise qui a été le dernier âge glaciaire. Les êtres humains ont exprimé la volonté de sécuriser la prise alimentaire. L'agriculture, la domestication, la sédentarisation, c'est un choix conscient. de prendre le contrôle de la nature et donc de sécuriser la prise en alimentaire. Donc en fait, quand on fait ça, on pourrait presque dire qu'on fait de l'arbustesse là, parce qu'on est en train de se protéger. Mais en fait, ce qu'on fait surtout, c'est qu'en contrôlant la nature, on oublie, on perd des compétences. Par exemple, en hiver, si on a des aliments stockés, on va perdre des compétences pour savoir se nourrir dans la forêt de bourgeons, de racines. On ne saura plus les trouver, parce que vu qu'on aura une jarre avec des stocks d'aliments, on n'aura plus besoin de savoir ça. Et donc là, on a commencé à se mettre en situation d'avoir une abondance de ressources. Et donc c'est nous, les humains, qui avons créé un milieu d'abondance. Et donc ça a commencé tout doucement. Évidemment, l'agriculture, au départ, c'était quand même pas grand-chose. Mais après, ça s'est surtout accéléré. La Renaissance, quand on fait des plantations, de la colonisation, là, c'est des humains qui se mettent en situation de surabondance, très clairement, en exploitant l'abondance des esclaves, l'abondance des plantes, des surfaces agricoles. Et puis après, ça ne s'est pas arrêté. La mécanisation, là on utilisait des machines, l'abondance du charbon, l'abondance du pétrole. Et puis aujourd'hui, c'est l'abondance des métaux, finalement. Et donc, on est encore dans ce monde de l'abondance. Alors ça, c'est... Là, je vais faire le biologiste un peu rade et pâcrête, mais un être vivant qui se trouve dans un milieu en abondance de ressources devient un parasite. Et ce qui marche, c'est la compétition. Et donc, pour moi, c'est un peu ce qui s'est passé pour l'humanité. On est tombé dans le piège de la performance. C'est-à-dire que la performance est très utile quand c'est temporaire. Mais le piège performant, c'est que quand il y a une crise, il faut augmenter la performance. C'est la fièvre, par exemple, pour nous. Quand on augmente la température de notre corps, on augmente la performance de nos enzymes. Donc on devient plus performant. Mais on revient à la température de 37 degrés après. La performance est toujours transitoire. Le problème, nous, les humains, c'est qu'on a cranté à chaque fois. On a augmenté la performance. On a du coup découvert des boîtes de Pandore, des nouveaux continents, des nouveaux esclaves, des nouvelles ressources. Et on est dans ce moment incroyable où on a accès à cette abondance de ressources. Sauf qu'aujourd'hui, tout change. On a à peu près occupé tout le territoire. Et en fait, cette histoire d'abondance des ressources, c'est un peu terminé. Même ce qu'avait dit Emmanuel Macron, à un moment, il a dit, c'est la fin de l'abondance. Alors, il faut aller jusqu'au bout. C'est la fin de l'abondance matérielle. Et en fait, ça veut dire que ce sera le début de l'abondance des interactions. Donc, le début de la coopération. C'est un peu ça. Mais en tout cas, ce serait ça ma lecture. c'est qu'on s'est un peu fait piéger par la performance et alors
- Speaker #1
Est-ce qu'on aurait pu éviter ? Alors, a posteriori, c'est toujours difficile, enfin, plutôt facile de réécrire l'histoire par la pensée, mais est-ce qu'on aurait peut-être pu éviter, alors je ne sais pas, un siècle précis, où on aurait pu éviter un choix technique, un choix politique, voilà, est-ce qu'on aurait pu éviter cette course à l'engrenage ?
- Speaker #2
Alors, en théorie, oui, je pense qu'on aurait très bien pu. Par exemple, si on avait eu des religions qui avaient dit qu'on n'écrase pas d'autres humains, voire même, à l'époque, des humains qu'on pensait être des sous-humains, mais Si on avait des religions qui étaient plus animistes, par exemple, qui prenaient soin des milieux naturels, peut-être qu'on aurait moins massacré d'Indiens. Quand on est allé, quand je dis « on » , c'est les colons de l'époque, qui sont allés en Amérique du Sud, etc. Donc peut-être que des religions auraient peut-être mis un frein à ça. Bon, c'est exactement le contraire qui s'est passé, plutôt. C'était plutôt l'éradication qui a été le programme, finalement, et le lore, enfin voilà, tout ça qui a été le moteur. Mais pareil pour le charbon. D'ailleurs, le mouvement des ludites est assez intéressant pour ça. Ça c'était des luttes sociales contre des patrons qui avaient des machines textile. C'est un peu l'équivalent des canuts chez moi à Lyon.
- Speaker #1
Chez moi aussi.
- Speaker #2
Voilà, c'est ça. On a ça en commun. Mais les ludites, en fait, ce qui est intéressant, c'est quand on regarde bien, ça a souvent été vu comme un mouvement technophobe, des ouvriers qui s'en prenaient aux machines, qui prenaient leur emploi, parce que c'était des machines automatiques déjà, contre les emplois. Sauf qu'en fait, quand on regarde bien dans l'histoire, les ludites, en fait, attaquaient les entreprises et les patrons qui rendaient leurs employés esclaves. Les usines à textiles, les entreprises à textiles qui avaient des machines, mais où le patron avait une belle politique sociale, leur machine n'était pas détruite. Donc le mouvement des ludites était vraiment contre cet excès de performance des machines, mais où c'était débridé par un patron qui poussait à performer très fort.
- Speaker #1
D'accord, donc on met de côté toute lecture finaliste, finalement des choix politiques, peut-être des révoltes particulières avec des objectifs plus spécifiques, auraient pu peut-être selon vous éviter cette course, tout à l'heure j'ai dit à l'engrenage, à l'échalote peut-être, je ne sais pas comment la qualifier. Et justement je me fais le relais pour les membres de l'association de certaines questions qu'ils m'ont transmises et que je vous pose. vous avez évoqué cette question On sait qu'on n'a pas pu, peut-être qu'on aurait pu en réécrivant l'histoire. Comment vous vous inscrivez à cette question de robustesse versus performance ? À travers cette image maintenant assez connue, surtout dans le milieu de l'écolo et de la collapsologie, c'est ce fameux syndrome de la reine rouge, qui est illustré par cette... course évolutive entre le guépard et la gazelle, dont on sait que ce sont les deux êtres vivants les plus rapides en tout cas terrestres sur la planète. Comment vous introduisez robustesse et performance dans cette course qui finalement a donné un résultat qui n'a pas révoqué la performance tout au long de cette évolution ?
- Speaker #2
Alors en effet, il y a toujours des moments de compétition de performance dans le vivant et donc l'arène rouge c'est l'exemple typique, on l'utilise beaucoup en effet dans l'écologie pour l'expliquer ça. Sauf que c'est quand même qu'une lecture, une toute petite partie de l'évolution. C'est-à-dire que l'évolution ne se résume pas à des reines rouges qui se courent les unes derrière les autres, parce que si c'était que la reine rouge, ça voudrait dire que nous, les humains, on peut se considérer comme un peu les derniers arrivés de l'évolution, alors c'est pas tout à fait vrai, mais grosso modo, à grosse échelle, on pourrait considérer que c'est ça, on devrait être les plus performants dans cette course. Et donc, en fait, c'est tout le contraire. Nous nageons beaucoup moins bien qu'un saumon, nous ne volons pas. les poissons volants nagent et volent mieux que nous. Alors qu'ils sont beaucoup plus anciens que nous, beaucoup plus archaïques. Donc en fait cette histoire de reine rouge, ça marche dans certaines situations. Donc voilà, la gazelle, etc. c'est le guépard. C'est des exemples où il y a des moments de performance, et dans les moments de performance, oui, là, il y aura une histoire de reine rouge. Il y a beaucoup d'impasses évolutives qui se sont passées comme ça, où un être vivant s'est hyper spécialisé dans une niche écologique, est devenu le roi, enfin la reine rouge vraiment en avance. sauf que la niche écologique a disparu et hop ça a disparu. C'est des impasses évolutives et il y en a plein, c'est ça qui domine finalement, ça décime beaucoup. Par contre les êtres vivants qui ne sont pas tellement dans l'arène rouge, donc des bactéries, des requins par exemple, les requins on peut considérer que c'est pas vraiment une arène rouge, pourtant c'est un gros prédateur. Mais il a aussi plein de défauts le requin, ça fait qu'il a des limites internes, ces limites lui ont donné en fait un espace de viabilité plus grand. Bizarrement. Donc c'est un peu, il faut presque penser à l'envers. Mais peut-être que je peux prendre un exemple plus simple. La main, la main des humains, c'est une main qui n'est pas optimisée. C'est que si on devait suivre la compétition maximale, l'arène rouge, il faudrait faire des mains qui soient hyper performantes. Sauf que nous, les humains, avec une main, on fait du piano, on fait de la trompette, on tourne des tournevis, on va chercher ses courses. Donc il faut plutôt une main polyvalente. Pour faire du piano, moi j'aimerais bien avoir une main avec 12 doigts. sauf que il n'y a que 5 doigts, donc il va bien falloir se débrouiller avec ça, donc ça veut dire qu'on n'arrête pas de se trimballer partout. Ça c'est pas très performant, mais c'est très polyvalent, et par contre ça c'est très robuste. Et c'est aussi la polyvalence de la main qui fait qu'elle va pouvoir continuer à évoluer, et devenir autre chose. Le pouce-préhenseur, d'ailleurs, homo habilis, c'est le moment où l'humain a une main qui commence à vraiment avoir cette polyvalence. Donc voilà, la reine rouge c'est en effet une composante de l'évolution, mais ce n'est qu'une composante de l'évolution.
- Speaker #1
Très bien, est-ce qu'on pourrait envisager un même type de syndrome, c'est-à-dire cette co-évolution, mais cette fois pas sur le critère de la performance, mais sur le critère de la robustesse ? Imaginons deux espèces de requins qui partagent un territoire et qui co-évoluent et qui développent toutes les deux des capacités de robustesse, comme vous les décrivez. D'ailleurs, vous pourrez nous redonner un peu plus précisément tout à l'heure les critères de la robustesse, parce que vous avez quelques mots très précis. Est-ce qu'on pourrait envisager une reine rouge sur le critère de la robustesse ?
- Speaker #2
Alors c'est une bonne question, je ne me suis jamais vraiment posé la question. Mais on pourrait imaginer en effet qu'il y ait des... D'ailleurs c'est un peu ce qui se passe, il y a des espèces, des individus qui vont aller vers beaucoup de robustesse. Alors en fait, là où ça devient assez paradoxal, c'est que si on ne met l'accent que sur la robustesse, et vraiment c'est la course à l'échalote à la robustesse, et bien ça ne marche plus. Parce que si on interdit la performance, on est plus robuste. En fait, ce qui est incroyable, c'est que si on devient un extrémiste de l'orbustesse, on est plus robuste. Typiquement, nous, les êtres humains, si on n'a plus accès à la fièvre, le moindre virus banal, ça devient mortel. Parce que la fièvre, c'est notre première défense immunitaire. On va booster notre système immunitaire par la fièvre. Si on n'a plus accès à cette performance, on est tellement stable, tellement coincé dans un carcan, finalement, qu'on n'est plus capable de se transformer si le milieu change. Je vais sortir du monde biologique, mais plutôt dans le monde social. Des exemples de sociétés humaines qui sont vraiment très fortes dans la robustesse, ce serait plutôt les peuples premiers. Les peuples premiers ont démontré leur robustesse. Ils ont traversé des milliers d'années, y compris les massacres colombiens, etc. Il y a eu vraiment des grosses fluctuations. Donc, ils ont certainement démontré leur robustesse. Par contre, c'est une robustesse des traditions qui ont été écrites depuis plusieurs milliers d'années, c'est-à-dire dans l'Holocène. donc dans une forme de temps de relative stabilité climatique donc l'or carcan traditionnel il est suffisamment large pour gérer des fluctuations de type colonisation voilà les colons espagnols par exemple mais le jour où les coguis n'auront plus de glaciers au sommet de leur montagne leur tradition seront caduques et donc ils devront changer leur tradition et donc là il y a un vrai test de robustesse finalement pour savoir si leur niveau de robustesse est suffisant et en fait Ce qui est incroyable, c'est qu'ils vont devoir passer par des moments de performance. C'est en fait transformer leur tradition. Et donc ça sera forcément transitoire. D'ailleurs, c'est un peu ce qui se passe. Les Kogis, là, ils commencent à prendre l'avion et à voir d'autres sociétés, justement parce qu'ils commencent à revoir leur tradition. Parce qu'ils se rendent bien compte que... Enfin, ils ne sont pas idiots, ils voient bien que ça ne marche pas. On peut très bien imaginer qu'il y a des peuples premiers, notamment en Inde, là, il y a des peuples qu'on n'a pas vus, en fait, qu'aucun humain occidental, on va dire, n'a rencontré. ceux-là ils sont peut-être à fond dans l'arbustesse Et peut-être que ça va être problématique si le niveau d'eau augmente, ils sont sur une île, comment vont-ils faire s'ils ne sont pas capables de se transformer ? Donc voilà, il y a cet équilibre à trouver là aussi.
- Speaker #1
Vous pensez aux sentinelles, au peuple des sentinelles. Voilà, donc c'est une question qu'on laissera ouverte, on ne va pas la trancher aujourd'hui, mais cette question de la reine rouge appliquée à la robustesse, vous auriez tendance à dire que ça, malheureusement ou pas, mais en tout cas on le constaterait, ça aurait tendance à... faire basculer vers des convocations de la performance finalement.
- Speaker #2
C'est ça, en fait, la performance, quand on est dans une forme de radicalité au sens d'extrémisme, pas de retour à la racine, mais d'extrémisme, en fait, on va voir le monde avec une seule lentille. Et donc, c'est là où on peut être très efficace, très efficient. Parce que finalement, vu qu'on a cette lentille, on a un objectif et on y va, et on y va le plus vite possible. Si c'est un objectif de Robussesse, ça sera en fait de la performance. C'est ça qui est un peu difficile à voir, mais finalement, c'est le même problème.
- Speaker #1
D'accord. Alors, on entre dans un temps où c'est la fin de l'abondance. L'association Adrastia s'inquiète des limites, quelles qu'elles soient, climatiques, de biodiversité, puisque nous en dépendons évidemment éminemment, limites d'approvisionnement en ressources. nous atteignons un monde où on peut envisager une évolution de nos sociétés vers une décroissance sinon une... Post-croissance, et une des questions qu'une des membres de l'association, Pauline pour la nommer en particulier, souhaiterait vous poser, c'est comment vous articuleriez-vous les concepts que vous amenez au débat, robustesse en particulier, et performance éventuellement, avec la notion politique ou même applicable de la post-croissance, de la décroissance ?
- Speaker #2
Oui, alors pour moi typiquement la robustesse va pas mal s'aligner avec l'idée de la post-croissance. peu moins avec l'idée de la décroissance, à vrai dire. Donc la décroissance, alors ça dépend comment on en parle, si c'est Timothée Paré que finalement, donc là c'est vraiment un programme politique de transition vers la post-croissance, et c'est en général ce qu'on veut dire par décroissance. Quand on parle de décroissance à un groupe de patrons, d'entrepreneurs, ils vont plutôt prendre ça comme de la récession, pour le dire un petit peu rapidement. Donc c'est vrai que les mots sont compliqués parce qu'ils veulent dire tout et son contraire. Mais donc, il y a des liens avec, en tout cas, la post-croissance, parce que c'est d'ailleurs, c'est ce que Dennis Meadows, l'auteur principal du rapport au Club de Rome, il est venu à Lyon en 2022 pour les 50 ans du rapport au Club de Rome. Il a donné le docteur honoris causa. Nous étions,
- Speaker #1
sans le savoir, nous étions ensemble dans la salle.
- Speaker #2
Ah bah super, bravo. c'était quand même un beau moment et ce que disait Denis Semedos et que d'ailleurs il y en a plusieurs à le dire c'est que dans un moment de basculement dans cette espèce de courbe en cloche on vit bien avant le mouvement du basculement, on vit bien après parce qu'on est dans un autre modèle, le moment difficile c'est le moment de la cloche, le moment du basculement parce qu'il y a les deux mondes ensemble et ces deux mondes incompatibles en fait on a les peuples premiers puis on a les musk pour le dire un peu rapidement enfin peut-être même pas aussi caricaturale que ça mais on a des paysans de l'agroécologie et puis on a monsieur duplomb qui veut nous regarder les néonicotinoïdes par exemple, on a les deux mondes dans le même espace et donc ces deux deux mondes assez difficiles à rendre compatibles parce que c'est quand même deux modèles très très très contraires, donc c'est très polarisant et donc il y a beaucoup de tensions sociales géopolitiques exactement dans ce moment là donc c'est ce que disait Dennis Meadows, le moment difficile c'est maintenant, et donc là on va être dans un moment de basculement et donc la post-croissance c'est déjà se placer dans un monde où on va se poser des questions de robustesse parce que le monde de la post-croissance ça va pas être un monde extraterrestre, ça va être dans un milieu qui sera très fluctuant les crises socio-écologiques, climatiques, effondrement de la biodiversité, etc. On en prend pour deux ou trois siècles quand même de fluctuation. Donc ce n'est pas comme si c'était quelque chose qui était juste transitoire pour le basculement. Ça va fluctuer de plus en plus et on en prend largement pour deux ou trois siècles. Donc c'est vrai qu'au XXIe siècle, ce qui va nous toucher plus directement nous, nos générations, ça veut dire que ça va tanguer de plus en plus. Donc de toute façon, il faudra soigner notre robustesse d'une façon ou d'une autre. Donc dans le monde de la post-croissance, il y aura de la robustesse, c'est sûr.
- Speaker #1
Alors... Je me permets de faire une incise par rapport au quasi-plan de questions que j'ai fait. Mais là, vous avez parlé de Denis Meadows, vous avez donc parlé du rapport Meadows. Et là, à l'instant, vous venez de rappeler qu'effectivement, sur le simple plan climatique, les variations, l'instabilité, le chaos, on en a pour deux ou trois siècles. Alors, rapidement, quelle est votre perception, votre vision éventuellement des anticipations des formes de société à 100 ans, 150 ans, 200 ans ? Quelle est votre ligne de fuite ?
- Speaker #2
Oui, alors là, c'est très compliqué de faire des prédictions aussi longues. Mais ce que j'ai envie de dire, c'est qu'en fait, on parle souvent d'adaptation versus mitigation dans les scénarios écologiques. Et souvent, quand on fait de la mitigation, on va réduire les impacts à court terme. Mais souvent, en faisant ça, on aggrave les problèmes à long terme. Souvent, la mitigation est contre-productive. C'est un peu malheureux parce qu'on a l'impression de réduire les impacts à court terme. Et finalement, on va faire une batterie au lithium qui va générer d'autres problèmes ailleurs. L'adaptation, ça peut faire penser à de la résignation, parce qu'on se dit finalement, ça s'est dégradé, nos environnements sont dévastés, il va falloir accepter cet état de dégradation. Mais ce qui est un peu contre-intuitif, quand on fait de l'adaptation,
- Speaker #0
En fait, on est plutôt réaliste, on est plutôt pragmatique. On se dit, bah oui, en effet, le monde va être, enfin, il est déjà dégradé d'un point de vue, enfin, les sols sont très dégradés, il y a plein de choses qui sont déjà très dégradées, l'urbidivacité. Donc, on prend ça en compte, on se dit, bah voilà, ça va continuer à se dégrader pendant quelques temps. Mais quand on se dit, bah, comment on habite ce monde-là ? Alors, c'est ça qui est incroyable, c'est que quand on commence à se dire, bah, de toute façon, il n'y a plus le choix, l'agriculture intensive, par exemple, bah, ça ne marche plus dans le monde dégradé quand il n'y a plus de services écosystémiques. évidemment qu'on ne peut plus faire de l'agriculture intensive c'est beaucoup trop fragile, donc on fait de l'agroécologie Et ce qui est incroyable, c'est que quand on fait de l'adaptation, on restaure les écosystèmes. Et donc l'adaptation va nourrir la mitigation. Et donc pour répondre à la question, il me semble que dans 100 ou 150 ans, si on a pris le tournant de la robustesse, de la coopération, de la post-croissance, en fait on va avoir des environnements qui seront nettement plus viables. C'est-à-dire qu'il y aura toujours des fluctuations, mais on sera capable de vivre avec les fluctuations. Et pour moi, ce sera nettement plus joyeux que d'être dans un monde suroptimisé où le moindre petit risque, c'est la panique. En fait, on aura tout construit sur le risque et donc on aura réenchanté le risque.
- Speaker #1
Vous avez parlé de joie, effectivement, joyeux, pluriel, arborescence, et ainsi que vous qualifiez finalement les mondes de demain.
- Speaker #0
C'est ça, exactement. J'aime bien arborescent en particulier. C'est qu'en fait, le monde de la performance peut nous enferrer sur le monde de l'autoroute. On va de plus en plus vite toujours à la même destination. Et en fait, c'est très solitaire. On est tout seul dans sa voiture, on rencontre personne et voilà, il n'y a pas beaucoup de sorties. Alors que quand on est dans le monde de l'arbustesse, on va plutôt être dans l'arborescence, on va plutôt avoir des chemins de traverse. Alors c'est plus lent, c'est plus hétérogène. On ne sait pas exactement où on va arriver parce que peut-être qu'on va prendre d'autres branches. Mais par contre, c'est plus joyeux, quoi. Toujours pareil, c'est plus motivant.
- Speaker #1
Alors justement, le vocable que vous utilisez pour décliner la notion de robustesse, vous parlez d'hétérogénéité, de redondance, d'aléa, de gâchis, de lenteur, d'incohérence. Alors, Arthur Keller, qui est intervenu dans l'émission Enquête de politique sur France Inter récemment, a évoqué la robustesse. Vous avez peut-être entendu son intervention.
- Speaker #0
J'en ai en partie, oui.
- Speaker #1
Voilà. Et il a souhaité en rappeler une définition qui, pour lui en tout cas, paraît contradictoire avec votre propre définition et puis surtout les déclinaisons que vous en faites avec d'autres vocabulaires, d'autres sémantiques. Et il rappelle que pour lui, étymologiquement, la robustesse, ça vient du latin robustus, qui veut dire solide, fort, résistant, qui est lui-même dérivé de robure. le chêne qui est réputé pour sa dureté et sa résistance. Alors voilà, ces terminologies sont un peu différentes à l'oreille et puis à la sensation. On sent que c'est différent, l'étymologie de robuste, avec ce que vous amenez, vous, dans le débat, plutôt fait d'hétérogénéité, de gâchis, de lenteur, etc. Alors, comment articuler l'étymologie avec la robustesse d'Olivier Hamon ?
- Speaker #0
Absolument, merci pour la question. En effet, la robustesse telle que l'a définie Arthur Keller, c'est celle qu'on trouve dans les dictionnaires. On va trouver des synonymes de robustesse avec le mot solidité. Et bien ça, c'est les mots du dictionnaire qui ont été définis dans le monde stable. Et donc dans un monde stable, la robustesse, c'est d'être solide. Dans un monde dynamique, dans un monde fluctuant, c'est la définition physique de la robustesse qui domine. Et donc en fait, quand on réfléchit bien, le monde, il est toujours dynamique. Il n'est jamais statique, c'est une fiction ça. Dans un monde fluctuant, la robustesse, c'est être stable et viable malgré les fluctuations. Ça veut dire qu'il faut être un peu souple. C'est là où c'est très fort parce que la racine du chêne, qui en effet, on veut réduire le chêne à un objet rigide, ça en dit de nouveau très long sur notre vision du vivant. Parce que le chêne, c'est un être vivant. Le chêne, il est capable de résister au vent. Il va être quand même un peu souple. Ses branches, elles bougent. Il n'y a pas que le roseau qui plie et ne casse pas. Le chêne aussi plie et ne casse pas. Et surtout, le chêne, il va se prendre des hivers, des étés, des méga-inondations, il grandit, il n'arrête pas de changer tout le temps, et pourtant il est toujours là. Donc il est viable malgré les fluctuations. Et donc la définition, le lien à Robu, moi je le revendique pour la robustesse, parce que les êtres vivants sont robustes. En fait, notre définition de la robustesse, à nous les humains, est très anthropocentrée. C'est que pour nous, la robustesse, c'est nos outils, nos outils qui sont robustes ou qui ne sont pas robustes. On oublie un peu que notre corps, nous aussi, on est robuste. On est capable de jeûner pendant 15 jours. On peut ne pas manger pendant 15 jours. Si vous décidez de le faire, il faut quand même aller voir un médecin. Mais c'est quand même possible. Et en fait, c'est juste qu'on a une vision très... Je veux dire, un arbre, pour moi, c'est un très bel exemple de montrer la robustesse. Parce que ce n'est pas des ruptures systémiques de passer l'hiver. L'arbre, tous les hivers, il va faire l'expérience d'une petite mort. Et c'est un moment incroyable dans la vie d'un arbre. C'est chaque année qu'il doit faire ça. Ça, c'est de la robustesse. Ce n'est pas une rupture, ce n'est pas une météorite qui vient lui tomber dessus chaque hiver. Ça veut dire qu'il a un espace de viabilité qui est très grand. Et nous, les êtres humains modernes, on a réduit notre espace de viabilité parce qu'on a mis l'accent sur la performance. Et donc là, moi, ce qui m'inquiète un peu dans les... quand on critique trop la robustesse pour dire que c'est juste les petites fluctuations de surface, l'alternative, c'est de mettre des canaux de sauvetage sur le bateau. Et donc, mettre des canaux de sauvetage sur le bateau, ça veut dire qu'on ne prend plus soin du bateau. Alors, c'est ça, pour moi, l'opposition. On a eu un dialogue avec Arthur Keller là-dessus. C'est un désaccord fécond, j'ai envie de dire.
- Speaker #1
Très bien.
- Speaker #0
Mais en gros, entre robustesse et résilience... Quand on s'occupe de la robustesse, ça veut dire que sur le bateau, on va s'occuper du bateau et un peu moins des canaux de sauvetage. Quand on fait de la résilience, pour moi, on oublie un peu que le bateau est en train d'être fragile. On va utiliser notre temps, notre énergie pour mettre plus de canaux de sauvetage. Mais en faisant ça, on s'occupe moins du bateau et donc on réduit notre robustesse. Et donc, c'est un choix. C'est-à-dire qu'en fait, le delta avant la rupture, il va augmenter si on ne s'occupe pas de notre robustesse. Et donc, j'aurais plutôt tendance à dire à élargir la robustesse. plutôt que d'attendre que le désastre arrive en ayant dans son armoire un go bag pour partir au cas où les russes attaquent, pour le dire un peu rapidement. Ça me paraît plus intéressant, nettement plus joyeux de travailler la robustesse, parce que ça on peut le faire tout de suite, c'est plus intéressant, il y a plus d'interactions, c'est plus hétérogène, il y a plus de coopération. Et quand on travaille la robustesse, on élargit son espace de viabilité, et donc à mon avis on sera mieux prêt à répondre à une rupture systémique.
- Speaker #1
Très bien. Merci pour ces précisions. Je pense qu'Arthur sera ravi, sûr qu'il est ravi de cette mésentente féconde. Vous avez écrit dans l'entreprise Robust, vous posez une question, s'inspirer de quel vivant ? Et vous préconisez de faire très attention quand on s'inspire du vivant. Et effectivement, je souscris à cette précaution parce qu'on peut très bien projeter des imaginaires contemporains, des imaginaires techniques, technicisants. Donc vous préconisez de faire attention à ne pas voir le vivant comme une machine, comme un ordinateur, comme des échanges d'informations, la version du vivant computationnel, etc. Et vous écrivez aussi, ou vous avez dit que le vivant pour vous se construit selon un système de valeurs. Alors on en a déjà un petit peu parlé tous les deux en amont de cette rencontre aujourd'hui. Et j'aimerais que vous réexpliquiez un petit peu ce que vous entendiez par un vivant qui se construit selon un système de valeurs.
- Speaker #0
Oui, alors à l'époque, et donc merci d'avoir eu notre entretien il y a déjà quelques temps, mais qui m'a permis en effet de rectifier ça. Mais à l'époque, en fait, j'opposais valeur et fait. C'est-à-dire qu'un fait, c'est quelque chose qui est quantifiable. C'est une thèse scientifique, donc ça revient à c'est très complet, bien caractérisé. Et une valeur, c'est un peu plus flou. Et donc j'aimais bien utiliser le mot valeur pour dire quelque chose d'un peu flou, qui n'est pas très précis, qui n'est pas trop... On ne peut pas, par exemple, l'hétérogénéité, on peut mettre... plein de choses derrière la téléjournalité. Il y a quand même une marge d'interprétation qui est assez large. Alors qu'un fait, c'est vraiment, voilà, on fait une thèse sur un sujet, il y a 300 pages et on parle juste d'un tout petit truc, voilà, et on a bien caractérisé. Donc j'aimais bien parler de valeur pour ce côté flou. Mais j'entends en effet que dans le mot valeur, évidemment, c'est assez évident finalement, il y a une valeur morale. C'est-à-dire que la valeur est souvent associée à la morale. Alors que là, moi justement, je parle de viabilité. Qui est quelque chose qui est amorale. Il n'y a pas de morale. Dans le vivant, il n'y a pas Si on prend un regard du dieu de Leibniz sur le vivant, il n'y a pas de morale. C'est juste que c'est viable ou ce n'est pas viable. Si c'est encore là, c'est que c'est viable. Si ça a disparu, c'est que ce n'est plus viable. Et donc la décision d'être performant ou robuste, en tout cas le produit de la sélection naturelle d'être performant ou robuste, c'est une décision ou une émergence de viabilité. Encore une fois, ça dépend du milieu. Et donc là, les valeurs, en effet, depuis qu'on a eu notre entretien, je n'utilise plus ce mot-là. D'ailleurs, je parle plutôt de principe, de critères, de loi, de recettes, des choses comme ça. Pour que ce soit vraiment très clair que ce n'est pas moral du tout, c'est juste des mots qu'on peut activer.
- Speaker #1
Alors, je vous remercie de nouveau parce qu'effectivement, c'était de votre initiative que nous avons eu cet entretien il y a à peu près six mois. Et effectivement, je conserve encore aujourd'hui quelques interrogations sur l'utilisation de la notion de robustesse. Au départ, parce que je craignais d'y voir des projections de valeur, de morale effectivement sur le vivant, et aujourd'hui vous parlez à plus juste titre sans doute d'amoralité, avec le A privatif. Alors ça lève une partie de mon embarras par rapport à la robustesse que vous ne projetez plus de valeur en soi, mais finalement est-ce que la moralité ne vient-elle pas poser de nouvelles questions, d'autres questions ? J'ai un exemple que j'ai apporté avec moi d'une revue qui est un gratuit je pense, qui s'appelle Entreprendre, le magazine de tous les entrepreneurs. et je me permets de citer cette revue parce que vous avez écrit le livre qui qui correspond à la déclinaison pour l'entreprise de la robustesse. Et voilà, donc je vous la ferai passer tout à l'heure, il est écrit en slogan « Passer de la performance à la robustesse » . Donc dans le monde de l'entreprise, on revendique la robustesse. Simplement, en lisant cet article, moi je ne sais pas si derrière l'entreprise qui revendique la robustesse, je ne sais pas s'il y a une association de quartiers qui milite pour les personnes en difficulté pour quelque raison que ce soit. ou une entreprise du CAC 40 qui participe au GAFAM, qui développe des IA ou qui fabrique des armes ou des pesticides. Alors voilà, cette question de la moralité, moi, m'interroge beaucoup. Je ne vous le cache pas par rapport à la robustesse et à sa récupération. Comment fait-on pour articuler une robustesse qui ne soit pas instrumentalisée ?
- Speaker #0
Alors ça, c'est clé. Et moi, c'est presque mon inquiétude principale. parce que... Quand on parle un peu de robustesse avec ses voisins, quand il n'y a pas trop d'écho, on peut se dire que ce n'est pas très grave si on en discute. Mais quand ça commence à devenir un peu plus un mot valise, qui devient un peu plus standard, mainstream, là, en effet, il y a un risque de récupération. Alors en fait, pour moi, il y a un point clé, c'est bien de revenir à la définition de la robustesse, maintenir le système stable et viable, malgré les fluctuations. Parce que très souvent, les entreprises qui récupèrent le mot robustesse ne s'arrêtent qu'au premier mot de stabilité. Et donc, ce sont des entreprises qui ne font que de la gestion des risques. Et donc, en fait, ce sont des entreprises qui vont garder leur même système, qui ne vont pas changer vraiment fondamentalement leur modèle économique, qui vont juste dire, en fait, on était déjà robuste avant, soit parce qu'on avait un gros matelas financier, soit parce qu'on avait un fonctionnement qui nous permettait d'être robuste, donc on est stable malgré les fluctuations. Et bien ça, en fait, ce sont des entreprises qui ne sont pas robustes. Alors, c'est ça qui est fou. Alors, je vais prendre un exemple très concret. Alors, ce n'est pas une entreprise, mais c'est juste une métaphore. Si je construis une maison qui est très robuste, avec des super matériaux biosourcés, qui prennent soin de l'environnement, qui sont dans une maison très bien isolée, avec des panneaux solaires, il y a tout ce qu'il faut pour que ce soit une maison autonome, totalement robuste. Sauf que cette maison, elle se trouve dans un territoire qui est dévasté par une méga-inondation. Cette maison, elle va rester debout, puisqu'elle est très robuste. Donc, elle est capable de gérer la méga-inondation, mais sauf qu'elle est toute seule dans son territoire dévasté. cette maison n'est plus robuste parce qu'elle n'a pas pris soin de la viabilité de son territoire. Et donc c'est pour ça que c'est là où en fait la moralité est toujours là, mais qu'elle est à mon avis quand même positive. C'est qu'en fait une entreprise qui est stable et viable doit nourrir sa robustesse en interne, mais doit aussi nourrir la robustesse du territoire.
- Speaker #1
Alors je suis ravi de votre réponse et pardonnez-moi si je challenge encore cette notion de robustesse. C'est bien,
- Speaker #0
c'est bien.
- Speaker #1
je suis allé rechercher un petit peu quelles étaient les caractéristiques organisationnelles typiques d'une mafia et donc j'ai questionné plusieurs dictionnaires j'ai relevé les mots qui revenaient un petit peu le plus fréquemment dans les particularités qui font qu'une mafia a justement survi aux aléas en particulier et on retrouve un vocable qui correspond un petit peu au vôtre Je vous le soumets, la structure interne d'une mafia, elle est plutôt souple, elle est plutôt flexible, ce qui permet une adaptation rapide en menant, par exemple, des opérations très diversifiées. Donc, on retrouve là l'hétérogénéité, les aléas que vous citez vous aussi. Par définition, une mafia, c'est très fluide, c'est très adaptable. Et puis, elle... peut aussi revendiquer une multiplication des revenus parce qu'il faut des redondances. Vous utilisez aussi ce terme-là. Et puis, il y a des mécanismes internes pour remplacer les membres défaillants ou éventuellement éliminés, ce qui peut faire partie, dans une version un peu plus noire, de la robustesse. Mais en tout cas, il faut quand même que les parties fragiles d'un système robuste soient interchangeables ou substituables, etc. Alors voilà, on a parlé d'amoralité tout à l'heure et on voit peut-être, et je... Je voudrais vous entendre sur ce point que la robustesse, ça correspond aussi à des structures, des organisations pas forcément bonnes.
- Speaker #0
D'accord, d'accord. Alors dans le cadre de la mafia, c'est en effet, il peut y avoir un fonctionnement de robustesse en interne, mais qui n'est pas au service de la robustesse du groupe. Donc c'est ça qui fait que c'est pas robuste en fait. Et donc là, je pourrais aller même plus loin que la mafia. C'est ce que dit Johan Chapoutot dans son livre Libre d'obéir. Si on prend tous les mots du management libéré, qui a beaucoup de connivence avec la robustesse, on trouve tout, l'hétérogénité, l'auto-organisation, la souplesse, tout ça c'est dedans, le côté arborescent et compagnie. Donc ça c'est dedans, donc on trouve tous ces mots-là. Tous ces mots, on les retrouve dans l'armée du Troisième Reich. Parce que l'armée du Troisième Reich, c'était une structure de management libéré au service de la performance. Parce que les nazis étaient des obsédés de la performance. Les mafias, c'est pareil, ce sont des obsédés de la performance financière, en l'occurrence du contrôle de la domination. Quand on fait du management libéré, pour que ça marche, pour que ce soit viable, il faut que le management libéré soit au service de la robustesse du groupe. Et donc le groupe, c'est pas seulement son territoire, c'est pas seulement son collectif, c'est au service de son territoire. qui doit être au service de l'robustesse des autres territoires. Donc c'est pour ça, c'est toujours contre sa performance individuelle pour nourrir la robustesse du groupe. Et donc c'est là où en fait, la mafia, il y a de la robustesse. En fait, ce n'est pas à la carte, la robustesse. C'est en fait dans la chaîne de valeur. S'il y a un maillon performant, ça va contaminer tout le reste de la chaîne. Et donc c'est comme des poupées russes. La première robustesse, c'est sa santé individuelle. C'est son écologie intime, finalement. Cette robustesse-là, elle est au service de la robustesse de ses proches, qui est au service de la robustesse du collectif, qui est au service de la robustesse du territoire, qui est au service de la robustesse des autres territoires. Et là, ça fait une côte de maille, où en fait, c'est très robuste, parce que là, il n'y a plus grand-chose qui peut se passer. Il y a plein de plans B. La mafia, son maillon faible, c'est son objectif de domination. En fait, c'est la stratégie du parasite, qui un jour va tuer son hôte et va mourir avec son hôte. L'armée du Troisième Reich, c'est pareil. Qu'est-ce que ça sélectionne ? Le management libéré au service de la performance, ça fait du burn-out et du désengagement parce que chaque individu porte toute l'entreprise. Donc c'est pas tenable. Donc ça, ça écrase les gens. Et dans l'armée du troisième Reich, qu'est-ce que ça produit ? Mais on le voit aussi avec Poutine, c'est les mêmes logiques. En fait, c'est des systèmes qui vont sélectionner dans l'armée, par exemple, des généraux moins compétents. Parce qu'ils ne vont pas oser aller contre la direction du chef. Et donc, ça va aussi s'auto-détruire au bout d'un moment. Bon, la question, c'est que ça prend souvent trop de temps. Mais bon, le point faible dans ces systèmes de management libérés, c'est qu'en fait, il y a un moment, quand ça casse, c'est parce qu'il y avait eu, quelque part, un moment de performance.
- Speaker #1
D'accord. Donc, la précision que vous apportez en réponse à mon questionnement, et je vous en remercie, c'est de rappeler à quel point la robustesse d'une entité doit être au service des autres entités autour. alors Dans votre livre de l'incohérence, vous soulignez justement que lorsqu'une espèce se développe de façon exponentielle, ce qui va stopper ce développement exponentiel, c'est la survenue, la mise en œuvre, l'arrivée de boucles incohérentes. Je reprends votre mot, votre expression, qui viennent soutenir des stratégies d'adaptation globale plus favorables aux fluctuations. Alors... Là, vous rentrez dans de l'interactionnisme, vous comparez différents systèmes et vous dites que la robustesse permet, elle n'est juste et bonne que quand elle se déploie à l'extérieur de l'entité. Alors, que se passe-t-il quand une espèce se développe comme ça trop et qu'elle réadopte ? Que des boucles incohérentes se mettent en place, qu'une régulation arrive, que se passe-t-il pour une part des individus de cette espèce ? qui ne sont plus adaptées ou qui subissent les boucles incohérentes ? Que se passe-t-il ? Je me permets cette question parce que vous le précisez, et il y a un schéma très clair dans votre livre, il se passe quelque chose.
- Speaker #0
Oui, alors il peut se passer. Il y a plusieurs scénarios. Il y a le scénario, si vraiment l'espèce est allée trop loin, c'est les Blue Malgaire, par exemple. Donc là, c'est plutôt de l'hyperperformance courbe en exponentiel. Le moment où le monde change, quand il n'y a plus de ressources, parce que les cyanobactéries ont épuisé toutes les ressources, il y a un effondrement. Ça, c'est le scénario le plus basique. C'est toujours pareil. C'est le parasite qui finit par tuer sa proie et qui va mourir, enfin, son hôte, et qui va mourir quand son hôte meurt. Mais il y a plein d'autres cas. En fait, ce qui peut se passer, c'est que, et ça, c'est ce qu'on voit dans les écosystèmes, on voit des fluctuations. Donc, on voit arriver une espèce qui, d'un seul coup, va, une plante, par exemple, qui va fleurir partout. Donc, d'un seul coup, on ne va voir qu'une seule plante dans le sous-bois. Mais sauf que cette plante, une fois après, il y a une autre plante qui arrive et qui va plutôt prendre le dessus. mais l'autre plante n'a pas disparu en fait elle a fini son cycle elle va faire des graines, les graines vont passer en viralentie, elles vont laisser passer les autres espèces qui vont passer dessus et hop c'est reparti pour la saison suivante, on va refaire un tour donc en fait la solution du vivant finalement c'est d'osciller C'est l'oscillation. L'oscillation, c'est comme un amortisseur de voiture. Je ne veux pas être trop techno-métaphorique, mais c'est pratique. L'amortisseur, c'est un système, d'ailleurs on le symbolise souvent avec un ressort et un piston. Le ressort permet de revenir le plus vite possible à l'état initial, le piston de revenir le plus lentement possible à l'état initial. Donc c'est une structure totalement incohérente, parce qu'il y a deux fonctions contradictoires. Ce que ça permet, ça permet au système d'osciller. L'oscillation, c'est ce qui permet la stabilité sur le long terme. Vu de loin, ça ressemble à une ligne droite. Alors en fait, non, ça oscille. Et ça permet la transformabilité aussi, parce que tout le temps, on est capable de changer d'état, de muter. Donc ça, c'est ce qui domine chez les êtres vivants. Tous les êtres vivants oscillent. Et ce qui est le plus frappant chez les êtres vivants, c'est les cycles. Les fameux cycles du vivant, le cycle cellulaire, le cycle menstruel, le cycle circadien, il y a plein de cycles partout. Ces cycles, si on les déplie dans le temps, ce sont des oscillations. Ces oscillations, c'est la réponse finalement. On laisse un peu de place aux autres parce qu'on n'est pas tout le temps en état de domination. Il y a des moments, c'est notre moment, puis après il y a des moments, c'est plus notre moment. Puis c'est de nouveau notre moment. Donc ça oscille. Et ça, c'est de la cybernétique. La première loi de la cybernétique de HB, c'est de dire que le meilleur bouclier contre les fluctuations externes, c'est les fluctuations internes. Ces fluctuations internes, il faut proactivement les générer. C'est grâce aux boucles incohérentes, ces contradictions internes dans le système. qu'on est tout le temps en train d'osciller comme ça.
- Speaker #1
Alors, j'entends, vous avez parlé d'effondrement à un moment donné. C'est le terme que vous avez employé. Et dans le schéma du livre, il y a effectivement une partie des individus concernés par cette croissance exponentielle qui meurent. Ça fait partie finalement de cette oscillation.
- Speaker #0
Alors, ça peut arriver. Ce n'est pas toujours le cas, comme je dis. Ça, c'est des cas un peu... En fait, les cas d'effondrement, c'est vraiment des cas extrêmes. Si je prends l'exemple des blue malgaire, c'est vraiment... Donc les blue malgaire, c'est ces cyanobactéries qui font des kilomètres et des kilomètres carrés, au large des côtes, souvent. Quand l'eau devient chaude, il y a plein de nitrate, plein de phosphate, du fer. Donc voilà, les cyanobactéries pullulent. Mais elles pullulent et en plus, elles émettent des toxines pour tuer les autres espèces. Donc à la fin, c'est un clone. Et donc ça s'effondre quand il y a vraiment une monoculture. Quand tout le monde est pareil. et là quand tout le monde est pareil il n'y a plus aucune marge de manœuvre, donc là c'est pas du tout robuste c'est très performant, par contre tout le monde fait la même chose c'est le modèle Ikea, tout le monde fait pareil donc du coup ça se ressemble très bien, donc on a tous la même notice, on fait tous pareil, sauf que le jour où le monde change, ça marche plus mais c'est quand même des cas extrêmement exceptionnels d'avoir des clones comme ça, donc si je voulais, parce que je vois où pourrait arriver la question sur les humains par exemple, heureusement on a encore une grande hétérogénité un effondrement comme ça ce serait pas un effondrement planétaire de l'humanité c'est pas possible parce qu'en fait on a beaucoup d'hétérogénéité, il y a plein de modèles, j'ai parlé des peuples premiers, mais il y en a plein d'autres. Donc en fait, on est... Cette diversité-là nous protège, pour l'instant en tout cas.
- Speaker #1
Je vous rejoins sur le bénéfice de l'hétérogénéité. On assiste en ce moment même au débat autour de la loi Duplon, sur le recul, sur les nombreuses lois en faveur de la protection de l'environnement. Et on pourrait dire que ce sont des lois écologiques qui correspondraient idéalement à une perspective de renforcement de la robustesse du modèle agricole. Et on régresse, on retire ces lois, ou en tout cas cet empasse de lettres. Ce qui se passe, c'est que la motivation à freiner ces lois est deux types de réponses sociales. C'est celle des agriculteurs et celle des consommateurs. Pour une raison commune, c'est l'argent finalement. À juste raison ou pas, et on ne va pas en traiter aujourd'hui, on ne va pas répondre à la question aujourd'hui, mais à juste titre ou pas, les agriculteurs ou les consommateurs se plaignent que ces lois fragilisent sur la compétition internationale, sur la scène internationale, sur la souveraineté alimentaire. augmente le prix de la baguette ou du paquet de pâtes pour le consommateur et puis fait atteindre les revenus déjà modestes pour beaucoup d'agriculteurs, des agriculteurs eux-mêmes. Alors comment inscrire justement une meilleure robustesse ? Puisque c'est un petit peu pour ça que je vous posais la question sur le schéma que vous mettez dans votre livre. Il y a des choses qui cassent ou qui vont vers la négativité quand d'autres avancent vers la robustesse. Comment faire aujourd'hui pour faire évoluer les modèles agricoles verts ? plus de robustesse, alors que pour l'instant, il y a des retours. Attention, ça crée de la négativité quelque part dans la société.
- Speaker #0
Oui, c'est un gros sujet. D'ailleurs, l'agriculture, c'est certainement central pour tout ce qui nous occupe. C'est un peu la matrice de beaucoup de nos problèmes et de beaucoup de nos solutions aussi. Si je prends l'exemple de la loi du plomb, c'est l'exemple typique d'une excellente réponse à une très mauvaise question. Et donc pour sortir de ça, il faut changer la question. Par exemple, est-ce que la souveraineté nationale doit inclure nos capacités d'export, de production alimentaire ? Par exemple, une question, est-ce que la viabilité d'un agriculteur ne doit pas dépendre d'abord de son autonomie territoriale ? Est-ce que le fait qu'il soit inféodé à des sources d'énergie qui sont distantes, est-ce que ça, ce n'est pas quelque chose qui fragilise son modèle économique ? Est-ce que le fait que des politiques actuellement laissent des produits ultra transformés dans les supermarchés être moins chers que des produits frais, est-ce que c'est pas là qu'il y a un sujet quand même ? Est-ce qu'on ne pourrait pas imaginer des soutiens, une forme de sécurité alimentaire, sécurité sociale alimentaire de l'alimentation, pour soutenir les populations les plus pauvres ? En fait, c'est toutes ces questions-là, la loi du plomb évite. de se les poser parce qu'on va dire néo-nicotinoïdes, il faut qu'on maintienne l'agriculture telle qu'on a toujours vécu. Alors que c'est une construction sociale, une construction culturelle. L'agriculture intensive, c'est que depuis 1945. C'est quand même très récent. C'est l'agriculture du pétrole, pour le dire très rapidement. C'est un modèle agricole qui est une anomalie dans l'histoire de l'agriculture. D'ailleurs, quand on regarde des petits paysans qui démarrent sur des petites parcelles, ils ne peuvent pas Merci. démarrer en agriculture intensive. C'est trop cher, c'est trop fragile. En fait, ils ne cherchent plus le rendement maximal, ils cherchent le rendement stable. D'ailleurs, on voit aussi une évolution. À une époque, les petits paysans, on leur disait qu'il fallait acheter la parcelle d'à côté pour augmenter la production, stratégie de performance, de croissance. Aujourd'hui, on voit de plus en plus de petits paysans qui se disent « Non, je ne veux pas acheter la parcelle d'à côté parce que je vais travailler deux fois plus et je vais gagner quelques centimes de plus. » Quel est l'intérêt ? Par contre, je vais garder ma parcelle, mais par contre, je vais transformer mes produits moi-même. Je vais diversifier mon activité. Ça, c'est une stratégie de robustesse. Et donc, en fait, moi, j'ai envie de dire que là, il y a une question de courage politique. Et donc, très clairement, et là, je suis d'accord avec l'idée que la loi du plomb, c'est une régression. Et c'est même indigne. En fait, et ce n'est pas la seule. Les sénateurs ont aussi reculé sur le bureau. Enfin, il y a eu plein de reculades, des sénateurs de droite, notamment. Et bien ça c'est indigne, c'est répugnant même, je pèse mes mots parce que c'est en France là on se gosse en regardant Trump et qui, en fait c'est l'exemple typique du pays qui refuse d'endosser le fait scientifique, d'un gouvernement qui refuse le fait scientifique, on fait pareil en France. les sénateurs de droite refusent d'endosser le fait scientifique donc il faut le dire, c'est pas qu'aux Etats-Unis donc chez nous aussi, et donc là il y a un moment donc ça veut dire que si on regarde un peu plus de façon méta est-ce que en France et en Europe Est-ce que nous avons des mécanismes pour endosser le fait scientifique ? Il n'y en a pas. Le GIEC, par exemple, a des mécanismes pour endosser le fait scientifique. Ce n'est pas le cas. Et donc on peut, quand on est en charge de prendre des décisions, de mettre au même niveau une opinion et un fait scientifique. Alors, de façon un peu plus proactive, comment on fait pour basculer ? Je voudrais quand même proposer une idée qui va tout à fait résonner avec l'histoire d'incohérence et de désaccord fécond. Les mégabassines, je prends l'exemple des mégabassines qui est un exemple bien pratique parce que c'est l'objet polarisant par excellence. Les écolos vont être vent debout parce que c'est une bâche de plastique qui stérilise un sol pour stocker de l'eau qui va s'évaporer. Tout ça pour nourrir de l'agriculture intensive, souvent pour faire du maïs qui va nourrir des poulets qui vont finir dans un KFC, pour le dire un peu rapidement. De l'autre côté, on a des agriculteurs qui vont dire, oui, mais moi, je suis dans le territoire. Si je ne peux plus travailler, je vais partir. Et vous, vous n'aurez plus de nourriture. Et en plus, je vous ai nourri pendant des années. Donc, c'est quand même un peu gros. Et puis, j'ai besoin de l'eau la semaine prochaine. Donc, les deux ont raison. Les deux ont raison. Comment on fait dans ce cas-là ? Désaccord fait con, en tout cas, stratégie incohérente. On va mécontenter les deux camps. Donc on va construire une méga-bassine, alors quand même en version réversible, il ne faut pas non plus être complètement maso, une méga-bassine réversible. Alors là, les écolos sont enragés, mais par contre, cette Ausha, qui est là, ne sera utilisée que par des agriculteurs qui s'engagent à basculer dans l'agroécologie, en 5 ans par exemple, et donc on est là en contrôle. Et bien là, cette méga-bassine devient un levier de transformation. Et donc je prends cet exemple-là parce qu'il se trouve que dans le sud-ouest, donc ça c'est Charline Descolanges qui m'a dit ça, c'est en train d'arriver ça. En fait, ça a tellement été une impasse que finalement on trouve d'autres voies. Donc la troisième voie, c'est souvent de regarder derrière. Donc mécontenter les deux, ça peut très bien être une solution incohérente, mais qui peut en tout cas débloquer une situation.
- Speaker #1
Très bien, alors mécontenter les deux, je me fais un tout petit peu la vocale du diable sachant que je revendique la défense de... Mutation des modèles agricoles, évidemment, parce qu'il en va de la survie de nos sociétés. Est-ce qu'on est capable, est-ce qu'on peut dire au nom de la robustesse, on mécontente ?
- Speaker #0
un peu tout le monde, jusqu'à dire, ben oui, là, on va passer à un modèle robuste, mais peut-être que ça va impacter plus ou moins provisoirement les revenus des agriculteurs ou ça va impacter plus ou moins provisoirement le prix du pain et du paquet de pâtes. Est-ce qu'on le dit ? Comment on fait ? Et qu'est-ce qu'on fait si c'est refusé ?
- Speaker #1
Alors bien sûr, il ne faut pas basculer trop vite dans la robustesse parce que c'est trop fragile. Dans un monde qui est encore drogué à la performance, si on bascule d'un seul coup dans la robustesse, on va se faire manger tout cru par les concurrents, donc ça ne marchera pas. Par contre, ce qu'on peut faire, ce qui est vraiment nécessaire, et c'est ce que je dis souvent aux entrepreneurs que je croise, y compris les exploitations agricoles, c'est qu'il faut absolument mettre un pied dans la robustesse. Dans un monde qui devient de plus en plus fluctuant, c'est l'orteil que vous aurez mis dans la robustesse qui va vous tenir. Donc c'est un peu la stratégie du Y d'Alan Fustek, il va falloir avoir un pied dans le monde d'avant, le monde performant, et un pied dans le monde d'après, le monde de la robustesse. Donc il va falloir faire un petit peu un pied dans les deux mondes. Et donc c'est comme ça qu'on peut transformer. Et donc en fait, on va se rendre compte qu'à un moment, le pied performant, il est peut-être un peu moins nécessaire. Il est toujours là, il sera toujours là de toute façon, mais c'est un peu moins pertinent. Et le pied robuste devient de plus en plus pertinent. Donc ça, c'est une façon, disons, de passer le cap sans trop mécontenter tout le monde quand même. Parce que je vois bien, je vois bien, c'est si on dit, ben là, maintenant, on abande tout, on bascule, on rabisse. Ça, c'est de la radicalité qui va, enfin de l'extrémisme qui va marcher. Il y a un exemple célèbre pour ça. C'est le Sri Lanka en 2022 qui décide d'arrêter. brutalement les imports d'engrais et de pesticides. Alors, soi-disant, avec un petit ripolin agroécologique, pour dire, voilà, en fait que non, c'était juste parce qu'après le Covid, ils avaient des gros déficits commerciaux. Et donc là, c'était une façon de réduire leurs déficits commerciaux. En un an, un pays qui était exportateur de riz est devenu importateur de riz. Parce qu'évidemment, ils n'avaient pas du tout préparé cette transition si brutale. Donc il ne faut pas le faire brutalement, ça c'est toujours pareil, c'est du clé en main performant qui ne marche pas. Il faut que ce soit des communautés apprenantes qui se transforment dans les territoires. Ça prend du temps, forcément. Mais le côté, l'acceptabilité de la robustesse, ça se fera que si ça ne vient pas d'en haut. Il faut que ce soit de la facilitation. Donc en fait, ça veut dire qu'on se dit les choses. voilà, moi j'aime bien Patrick Vivrelle on se dit les choses on est dans un moment, ça fluctue de plus en plus les plus éco-anxieux en France et en Europe d'ailleurs ce sont les agriculteurs parce qu'ils sont en première ligne, donc ils les voient bien donc on peut très bien leur parler du monde fluctuant ça va leur parler très bien, donc on commence par le monde fluctuant comment on fait dans le monde fluctuant ? on peut faire de l'orbustesse, mais par contre comment on fait, ça on va pas vous dire comment faire donc on fait des communautés apprenantes, on laisse les agriculteurs, les paysans travailler la notion voir comment eux, avec leur projet à quoi ça pourrait ressembler Merci. Et puis après, on en discute, mais c'est plutôt en bottom-up, c'est plutôt de la facilitation, mais au service de l'orbustesse du territoire. Et donc là, c'est à mon avis beaucoup plus joyeux, parce que c'est une forme d'émancipation, c'est un peu comme les conventions citoyennes, si on veut. C'est que là, on va vraiment embarquer et vraiment, il faut s'engager à leur donner les clés. C'est pas un sénateur, un député ou un expert scientifique qui va leur dire quoi faire. C'est à eux, collectivement, de se dire comment vous prenez soin de votre territoire, parce que ça sera votre viabilité et la viabilité de vos enfants, finalement.
- Speaker #0
Bien sûr. Alors, on toucherait peut-être là à un programme politique au sens où, pour vous, la robustesse doit être dite, y compris dans sa négativité, quitte à interroger les personnes concernées, les plus directement concernées. Mais est-ce qu'on entend parler à un programme politique au sens des programmes tels qu'ils sont présentés par les partis, c'est-à-dire avec une désignation de qui paye quoi, combien, combien de temps, selon quelles normes, etc. C'est ça un programme politique. On choisit à droite ou à gauche lors des élections en fonction des perspectives sur les retraites, sur les revenus, sur le distributif. Le regretté Laurent Mermet insistait beaucoup dans l'écologie sur ce qu'il appelait le refoulement du distributif. Il va falloir dire les choses, y compris si elles sont négatives. J'entends à travers vos mots qu'une plus grande robustesse qu'on peut appeler, qui serait même nécessaire pour l'agriculture. ne sera pas forcément neutre sur les prix de l'alimentation, etc. Donc il faut pouvoir le dire. Est-ce qu'on entend là, chez vous, les prémices d'un vrai programme politique, au sens quantifié et distribué entre tous les acteurs de la société ?
- Speaker #1
Alors un programme, le mot programme est compliqué, parce que ça veut dire qu'on sait ce qui va se passer quand on programme. On sait ce qui va se passer, alors que là justement on va rentrer dans un monde très incertain. Donc ça veut dire que c'est un programme qui est sans programme. Et donc c'est un peu ce que disent les militaires. La première chose qui meurt au champ de bataille, c'est le plan de bataille. C'est un peu ce qui va nous arriver à nous, c'est-à-dire que dans un monde fluctuant, le programme, il va changer. Donc ça veut dire que dans un programme politique à visée robuste, on pourrait le dire comme ça, ça va être beaucoup de facilitation. Et donc le rôle de l'État, l'État est toujours là, l'État faillit, ça ne marche pas, on a besoin d'un État pour faire de l'orbustesse, mais par contre la posture de l'État change, ce n'est plus un État meneur qui dit je veux et je sais comment faire, ça serait plutôt le programme politique en disant voilà je vous ai déjà mis toutes les règles, on va mettre ça pendant 5 ans, comme si ça allait se passer comme ça sans problème pendant 5 ans, on a bien vu que le Covid, tout ça, maintenant c'est plus ça, plus c'est plus ça. Donc le rôle du politique de l'État, ça ne va pas être d'être dans cette... posture de meneur, mais plutôt d'être dans la posture du facilitateur, de la facilitatrice qui va dire, j'ai envie et je ne sais pas comment faire. Et donc c'est une invitation à la participation collective. Les conventions citoyennes, je trouve que c'est un bel exemple. Alors c'est un très bel exemple parce que ça a vraiment très bien marché, ça a vraiment créé de l'engouement. C'est très robuste parce que là, ça fait quand même quelques années que c'est passé, on en parle encore. Et on ne va pas lâcher, c'est que c'est Pierre-Laure Autour-Huvent. reparlé, etc. Enfin, ça revient, ça revient, ça revient. Donc ça, c'est très robuste, mais par contre, on a vu que dans le monde performant, on va choisir ce qui nous convient, et puis il n'y a que 20% qui a été appliqué à peu près de la Convention tuyenne. Donc ça, c'est aussi un retournement, ça aussi un backlash, quelque part. Donc voilà, pour moi, le programme politique associé à la robustesse, ce serait une forme d'émancipation, finalement, où les territoires, en fait, on va les écouter beaucoup plus, on va les laisser, en fait, beaucoup plus ... interagir les uns avec les autres et l'État est vraiment nécessaire mais il a plutôt un rôle de mise en interaction, de fédération, de stimulation et surtout d'être le gardien de la raison d'être. Donc la raison d'être c'est cinq, six principes très larges, pas très précis, voilà. Mais par contre quand dans les territoires on fait des choses, il faut quand même que ça émarge à cette raison d'être et donc c'est ça qui fait qu'on est dans la même société et cette raison d'être elle est collégialement acceptée. Donc l'État vraiment change de posture et ça serait ça certainement, enfin une façon de le décliner en politique.
- Speaker #0
Très bien, sans trop insister sur cette question, celle de la négativité quand même. Les perspectives, c'est un petit peu parce que c'est la ligne éditoriale d'Adrastia que j'insiste sur ce point, mais on sent que les perspectives sont moins ouvertes qu'elles ne l'étaient par le passé. Et est-ce que vraiment on peut inscrire, cette fois, alors vraiment faire, oserais-je dire, politiser un renoncement, vraiment, c'est-à-dire pas seulement dire qu'on politise le renoncement, mais afficher ? La négativité des perspectives, est-ce que ça vous pensez que c'est articulable avec une robustesse ?
- Speaker #1
Absolument, quand je dis qu'il faut vivre avec les fluctuations, c'est quasiment de la philosophie Tao. C'est que dans le monde de la performance, on va lutter contre les fluctuations, on va mettre des digues, c'est l'exemple typique, on va lutter contre les fluctuations. Sauf que les fluctuations qui viennent nous dépassent très largement, donc c'est une cause perdue, on va s'épuiser, s'esquinter, ça sert à rien. Donc vivre avec les fluctuations, c'est ça être robuste finalement, vivre avec les fluctuations, ça veut dire qu'on va utiliser les fluctuations comme une source d'énergie. Même d'ailleurs des fois, maintenant il y a des startups qui font l'énergie des vagues, donc c'est vraiment même littéralement ça. Donc vivre avec les fluctuations, ça veut dire en fait réenchanter le risque. Je vous redis, c'est-à-dire qu'en fait ça permet de, la négativité de départ, de dire qu'on va rentrer dans un monde fluctuant, instable, ça nous permet de, en fait quelque part de ringardiser le monde d'avant. qui finalement, c'était le monde de l'autoroute, très confortable. On est dans sa voiture, on ne voit personne, il n'y a pas de conflit, parce qu'on est tout seul dans son autoroute, on sait à quelle destination on va arriver, on sait même à peu près à quelle heure on va arriver, donc c'est vraiment exceptionnel. Mais ça, c'est terminé, ça. Et surtout, est-ce que c'est vraiment désirable ? C'est-à-dire qu'en fait, c'est un monde finalement extrêmement prévisible, où on fait un peu tous pareil. Il n'y a qu'à voir, d'ailleurs, si je reprends l'analogie des routes, regardez les Les images, les vidéos des villes dans les années 80, toutes les voitures étaient pareilles. Il n'y avait que des voitures sur la route en ville. Aujourd'hui, regardez la zoologie de choses, d'objets qui sont dans les villes. Donc en fait, on est déjà en train de rentrer dans ce monde-là. Dans ce monde beaucoup plus variable, imprévisible, plus hétérogène, plus lent aussi. Parce qu'il y a des trottinettes, il y a des vélos, donc tout ça. Et moi, je serais assez... J'entends le côté négativité dans le sens de savoir qu'on quitte un monde. Ça, c'est très clair. On quitte un monde, et ça, c'est inévitable. Moi, c'est ce que je dis souvent, on quitte le néolithique, le moment où on voulait contrôler la nature. Et là, ça y est, la nature se réveille, on a perdu le contrôle. Donc, il va falloir vivre en ayant perdu le contrôle. Mais par contre, là où il y a de la positivité, c'est que dans cet autre monde où on vit avec les fluctuations, il y a aussi beaucoup de choses qui vont être très désirables. Typiquement, l'école. On arrête d'être dans une école de la compétition. On est dans une école de la coopération. Ce qu'on va valoriser, ce n'est pas la note et celui qui est le premier de la classe qui a écrasé tous les autres. C'est plutôt le fait que l'élève, en fin d'année, il devient prof et il enseigne quelque chose aux autres. Et ce qu'on va valoriser, ce qu'on va célébrer à l'école, ce n'est pas la note sur la copie. C'est sa capacité à transmettre et à partager des savoirs. École de la coopération. Franchement, quels parents ne désireraient pas ça pour ses enfants ? Et pareil sur les prix alimentaires. Aujourd'hui, ou les prix des objets, la fast fashion, la fast food, etc. Oui, ça permet d'avoir des aliments rapidement, pas chers, mais qui sont intoxiquants, qui sont très peu divers. On a perdu 75% de la biodiversité cultivée en un siècle. Donc ça sera beaucoup plus riche.
- Speaker #0
Oui, alors je me permettais d'insister sur la négativité, effectivement, parce que la première revendication des citoyens, toutes les enquêtes sont unanimes, ça reste le pouvoir d'achat, les revenus. Et c'est cette négativité-là que j'entends trop peu, que ce soit dans le renoncement, la coopération, l'entraide, la résilience, la sobriété, enfin tous ces néologismes. Pas forcément des néologismes, mais en tout cas, ces nouveaux éléments de langage qui percolent dans toutes les strates de la société, mais pas toutes les strates justement, j'ai le sentiment, et puis les résultats électoraux ont tendance à le montrer, il y a une terminologie, des éléments de langage qui ne vont pas jusqu'à certains citoyens et citoyennes qui s'en plaignent, de ne plus pouvoir exprimer leur situation, et voilà, donc sans trop développer, je m'inquiète de ce que... tous ces nouveaux termes de l'écologie viennent se substituer à des termes plus habituels que les gens connaissent, éprouvent au quotidien. Précarité, baisse du pouvoir d'achat, baisse des revenus, etc. Des éléments qui sont du vocabulaire courant, mais que dans le terrain politique, on ne voit plus, on n'entend plus, et qui ont, je le crains, tendance à se convertir en vote, soit en non-vote, ce qui est problématique en soi. Parce que ça laisse la place à d'autres, soit en vote direct envers des pouvoirs obscurantistes. Voilà ce que je voulais souligner, c'est quelle est la place d'une négativité que beaucoup de citoyens et citoyennes vivent déjà dans un discours politisable, sinon un programme tel que le vôtre, qui est la robustesse. Alors voilà, si vous voulez développer à nouveau sur ce point précis.
- Speaker #1
Oui, bien sûr. C'est ça que j'aime bien dans la robustesse. Je vais prendre un vieux dicton qui dit « Je suis trop pauvre pour acheter bon marché » . Ce vieux dicton, ça dit qu'en fait, si j'achète du bon marché, ça va être du jetable et je vais pas arrêter d'acheter la même chose tout le temps. Au final, ça va me coûter plus cher. Donc, quand on achète un objet réparable de bonne qualité, de bonne facture, souvent, c'est plus cher à l'achat. Mais vu qu'on va le garder toute sa vie et qu'on va le transmettre à ses enfants, au final, ce sera beaucoup moins cher. Donc ça, c'est en fait... tout le monde le sait, c'est quelque chose qui est très prévalant, mais on va quand même se faire avoir et aller à Action ou Jiffy ou je ne sais pas quoi, acheter des objets pas chers qui vont casser tout de suite et donc on va renouveler rapidement. Mais j'entends en effet qu'il y a ce comment dire, cet endoctrinement parce que c'est quand même ça qu'il faut dire aussi c'est aussi une construction culturelle de... de rêver d'aller passer ses vacances à Dubaï, par exemple. Ce n'est pas toutes les populations qui vont rêver comme ça, mais quand même, c'est devenu maintenant une nouvelle destination touristique, ce qui est quand même hallucinant. Il suffit d'aller dans le supermarché du coin, enfin le centre commercial du coin, et ça sera l'équivalent. Donc ça, il y a une vraie déconstruction à faire. Mais j'entends très bien. Et en fait, à mon avis, il faut au contraire s'en servir de cette négativité. C'est qu'en fait, le pouvoir d'achat, c'est ce que disait Saul Alinsky. donc ça c'est un activiste plutôt de la lutte sociale aux États-Unis, années 30, années 60, qui a beaucoup travaillé après la dépression, les mouvements civiques. Et il disait quelque chose de très fort, en fait. Il faut confronter l'adversaire à son propre évangile. Et donc, ça veut dire, plutôt que de lutter contre l'adversaire, il faut plutôt lui dire, mais va jusqu'au bout de ta réflexion et dis-moi ce que ça donne à la fin. Et donc, c'est vrai aussi pour des personnes qui vont vouloir avoir le meilleur pouvoir d'achat, avoir plus d'argent. Mais en fait, qu'est-ce que tu vas en faire ? Ce n'est pas à nous de leur dire. Il faut qu'ils créent les conditions dans lesquelles ils réalisent que finalement, ce n'est peut-être pas la bonne solution. Mais là, c'est aussi... Il ne faut pas tout leur mettre sur les épaules. En fait, c'est là où c'est une question politique. Ce que je ne comprends pas, c'est qu'aujourd'hui... Tout à l'heure, je parlais des produits ultra transformés versus les produits frais. Comment se fait-il qu'il n'y ait pas un bonus et un malus ? juste sur la distance, sur le niveau d'ultra-transformation, ça serait extrêmement facile à mettre en place. On sait faire des épiceries solidaires, avec deux tarifs. Ce qui est un peu illégal, c'est toléré, mais c'est illégal. Normalement, c'est un produit et un tarif. Là, il y a deux tarifs. Donc pourquoi on ne ferait pas un bonus-malus dans certains territoires ? Par exemple, dans certains territoires où c'est possible, on peut le faire assez localement en plus. Donc c'est qu'un choix. Les objets réparables, pourquoi on ne fait pas un prêt à taux zéro quand c'est des objets réparables vraiment ? C'est-à-dire qu'en fait, ça va coûter aussi cher que d'acheter un produit de la fast fashion ou de la fast furniture, mais sauf qu'on va le rembourser comme ça pendant plusieurs mois. Et donc, ça va coûter chaque mois aussi cher que d'acheter du jetable, mais par contre, c'est de la vraiment très bonne qualité. Et donc là, il y a plein de mécanismes qu'on pourrait imaginer et ça, c'est vraiment une question de culture, de la robustesse en politique. Si on reste sur la culture de la performance et qu'on pense qu'il faut augmenter la compétitivité des entreprises... pour gagner des parts de marché et être encore dans la concurrence ivre et non faussée, si on est drogué par ces idées-là, qui sont complètement dépassées, évidemment qu'on ne va jamais aller dans l'arbustesse. C'est un peu le problème de notre gouvernement actuel et de la Commission européenne actuelle aussi.
- Speaker #0
Merci beaucoup pour ces précisions. C'est un sujet qui me tient à cœur, effectivement, cette rupture entre les classes qui se plaignent déjà d'une existence qui est plus difficile et puis les échos politiques qui semblent déconnectés. C'est une question qui... qui m'inquiète parce qu'elle a tendance à se convertir en choix politique terrible. Je change de sujet tout en reprenant une thématique que vous avez effleurée tout à l'heure, la philosophie de vie et la spiritualité. Vous avez évoqué le Tao, si mes souvenirs sont bons. Et dans votre ouvrage « De l'incohérence » , vous avez écrit « Heureusement, les décideurs » . pas tous, mais certains décideurs utilisent aussi d'autres guides, comme l'intuition. C'est peut-être le visage de la vraie sagesse. Savoir être sensible aux fluctuations du monde et ouvrir les possibles en se défaisant des conflits d'intérêts et des dogmes. Alors comment vous, vous investissez l'intuition et comment vous faites pour la qualifier de vraie sagesse ? Pardonnez-moi, mais surtout vous en tant que scientifique.
- Speaker #1
C'est vrai que c'est un peu contre-intuitif. Alors si on est dans une assemblée par exemple et qu'on veut expliquer quelque chose, il y a un peu, je vais binariser un peu, mais soit on déroule son topo et du coup on va essayer d'en dire le maximum en un minimum de temps, stratégie de performance, sans trop regarder son auditoire. L'autre stratégie, c'est d'être très attentif au non-verbal, donc le clignement de paupière d'une personne. quelqu'un qui se gratte un peu la tête, qui se pose des questions, on sent qu'il se passe quelque chose. Et donc, on s'arrête, on arrête de parler, et on se dit, il y a quelque chose qui frotte là, et donc on engage un dialogue. Donc c'est ça, l'intuition. C'est en fait se détecter des choses, alors ça peut être des paroles aussi, mais le non-verbal, c'est encore plus facile, parce que là, il n'y a même pas besoin de parler pour le voir. Et donc, quand on détecte ça, ça veut dire que son intuition, en tout cas, on sent qu'il y a du flottement, et s'il y a du flottement, c'est qu'il y a de la fertilité, En effet, c'est totalement anti-cartésien ce truc-là, parce que la grosse avancée de Descartes, c'était que Descartes disait, en fait, on va arrêter de toujours se référer aux anciens, à l'Antiquité ou à Dieu, on va raisonner avec des maths. Je le dis un peu brutalement, mais se dire, les maths, on est incapable de réfléchir par nous-mêmes, donc on va s'émanciper un peu de ces anciens textes. et réfléchir par nous-mêmes. Alors ça, c'est très beau comme valeur, mais évidemment, il y a un défaut, c'est toujours pareil, il y a toujours un verre demi-plein, demi-vide. Quand on fait ça, en fait, on risque de s'enfermer dans l'idée que tout est quantifiable, tout est mesurable, et tout est contrôlable, finalement. Et donc, c'est un peu le gros problème de l'approche cartésienne, la démarche scientifique, observation, raisonnement, conclusion, le problème, c'est le tropisme vers la conclusion. La démarche scientifique est... excellentes pour apporter des réponses, mais des pas très bonnes pour poser des questions. Et d'ailleurs, on voit bien qu'il y a des tas de projets scientifiques actuellement qui sont complètement à côté de la plaque, qui vont apporter des excellentes réponses à des très mauvaises questions. Je vais peut-être prendre un exemple, faire une plante résistante à un virus qui va émerger plus tard avec le changement climatique, on pourrait se dire que c'est une très bonne réponse, parce que le changement climatique va nous amener ces plantes, il va falloir bien qu'on ait encore des plantes qui puissent résister. Sauf que quand on fait ça, On est en train d'entretenir la monoculture, parce qu'on continue à faire des plantes performantes, des super plantes. Et donc on va aller contre la biodiversité, et donc contre l'agroécologie, et donc contre la transformation de toute la filière agricole. Sans s'en rendre compte, c'est ce que disait Bruno Latour, la science c'est la politique continuée par d'autres moyens. Et donc il me semble que là, il y a une vraie question sur les... Notre distance par rapport à ça, ce monde robuste qui vient, pour moi, ça veut dire qu'on s'ouvre aussi à ça. Donc c'est plus lent, c'est plus hétérogène, c'est toujours pareil. Mais par contre, on questionne les questions. En fait, on fait passer des tests de robustesse à nos questions. Une bonne question, c'est une question robuste. Ça veut dire qu'elle a passé ses fluctuations.
- Speaker #0
D'accord, très bien, merci. J'ai tendance à être vigilant quand je vois le mot intuition et sagesse associés quelque part. Voilà, vous comprenez ma vigilance. On arrive au bout de cet entretien. Merci encore Olivier. Vous, Olivier Hamann, en tant qu'homme, en tant que citoyen, au-delà du scientifique, comment vous investissez peut-être la robustesse ou autre face aux nouvelles dont on sait qu'elles sont... politiquement, ni écologiquement, ni sur le plan géopolitique, très enthousiasmante en ce moment, ça pourra aller mieux demain. Voilà, comment vous vivez ça au quotidien ? Est-ce que, pour vous, la robustesse, y compris sur le plan personnel, est peut-être un phare dans la nuit ? Je ne sais pas.
- Speaker #1
J'y crois beaucoup, c'est vrai que j'en parle beaucoup, donc tout ça s'entretient, c'est une petite boucle d'amplification. Mais je vais citer ce qu'a dit Rob Hopkins il n'y a pas très longtemps à une conférence, il a rencontré une... Une résistante, une ancienne résistante de 95 ans, qui posait la question, qu'est-ce que les résistants avaient en commun ? Tous les résistants étaient optimistes, parce qu'en fait ils se projetaient dans le monde d'après. Et donc moi ce que je vois avec la robustesse, c'est que ça me, en tout cas à un titre individuel, je rencontre beaucoup de collectifs qui sont déjà dans le monde robuste, donc l'agroécologie, le taux réparable, l'habitat partagé, les conventions citoyennes. Le salaire à vie, enfin toutes ces questions-là finalement qui commencent à monter. Et en fait, ils sont déjà dans un monde-là. Et surtout, moi, ce que je vois, c'est que ces marges, il y a 20 ans, c'était vraiment des marges très, très, très marginales. c'est Marche CP6 deviennent de plus en plus massives. Par contre, c'est toujours sous le radar médiatique parce que dans les médias, ce qu'on entend beaucoup, c'est les ultra performants, le mal dominant, le mal sigma. Maintenant, il y a plein de sous définitions. Tout ce cœur là qui est très vocal parce qu'il a encore le pouvoir, il a encore l'argent, mais il est en train de s'effondrer. C'est Musk avec Tesla. C'est difficile à dire parce qu'en fait, ils sont quand même encore bien là. Et puis, ils sont très prescripteurs sur le plan social, sur le plan culturel. Mais donc moi, ce qui me donne beaucoup d'espoir, c'est que je vois ce mouvement des marges vers le cœur qui ne s'arrête pas. C'est un peu comme la biodiversité. On ne peut pas l'arrêter, la biodiversité. C'est un peu comme dans le Covid, quand on s'est tous arrêtés, que les chevreuils sont rentrés en ville. En fait, la biodiversité est dans les starting blocks. Ils attendent qu'on dégage. En fait, c'est un peu pareil pour ça. Ce monde ultra performant se ressemble de plus en plus. La même peur des femmes, la même obsession pour la domination, pour le pouvoir. En fait, ils se ressemblent de plus en plus et ils sont de plus en plus ringards. Alors pour ceux qui sont déjà dans le monde d'après, mais ils se ringardisent même pour les masses. Quand Katy Perry a fait son petit voyage dans l'espace, il y a beaucoup de ses fans qui n'ont pas compris pourquoi elle a fait ça. Donc j'ai presque envie de dire, investissez votre énergie. dans les marges qui sont déjà dans le monde robuste qui vient, dans le monde de la coopération, dans le monde de la circularité, toutes ces belles valeurs, coopération territoriale. Et ne dépensez pas trop d'énergie à vouloir convertir le cœur du système, parce que de toute façon, vous n'allez que le conforter en luttant contre. C'est plutôt la stratégie de l'étouffement, de l'encerclement. Encore ça, encore du Solalensky, d'ailleurs. On fait une coalition multifront, c'est beaucoup plus joyeux, on fait de la satire. Et puis à un moment, le cœur sera tellement ringard qu'il va devenir une marge. Il n'aura plus que deux choix, c'est soit mourir, soit rejoindre le reste. Et donc, d'ailleurs, moi, je pense qu'on n'est plus très loin de ce basculement. Quand je vois le délire des mines sur les astéroïdes, d'aller sur Mars et tout ça, on est au bout. Ils n'ont plus rien. C'est ça qu'ils ont dans leurs cordes, c'est qu'ils sont dans les cordes. Ils n'ont plus rien. Donc voilà, moi, je reste... Puis aussi, peut-être ce qui m'aide beaucoup, c'est que dans mon laboratoire de recherche, c'est un laboratoire qui pratique beaucoup la coopération. Et je vois bien que c'est possible dans un collectif de 130 personnes de mutualiser les financements intégralement, d'avoir des échanges, de faire des projets interdisciplinaires avec vraiment un climat apaisé. Et ça, ça m'aide aussi d'avoir une sorte d'encre comme ça, je ne vais pas dire que c'est un modèle de robustesse, mais en tout cas, c'est une organisation à viser robuste, ça c'est sûr.
- Speaker #0
D'accord. Voilà, donc la ligne du podcast, c'est interroger nos invités sur... Les résultats ne sont pas extrêmement enthousiasmants jusqu'à aujourd'hui. Est-ce qu'il faut vraiment changer de discours ? Ou est-ce qu'on peut encore se permettre de continuer dans la même direction ? Vous auriez tendance à dire, oui, il y a de l'espoir en continuant, selon la stratégie que vous défendez, finalement. On n'envisage pas de réforme des discours écologiques aujourd'hui, selon vous ?
- Speaker #1
Alors, si, quand même un peu. Moi, il me semble que ce qu'on a raté... Il faut aussi dire, tout ce qui a été fait jusqu'à présent, C'est beaucoup de graines qui ont été semées, et ce qui se passe aujourd'hui, ça ne vient pas de nulle part. Ça veut dire que tout ce travail-là, il a payé. Et il paye encore. Toutes les graines qui ont été semées, ça a vraiment transformé. Il y a plein de personnes, plein de citoyens. Il y a un avant, un après. Il y en a plein qui ont eu des déclics. Et donc, en fait, tout ce qui a été fait médiatiquement, dans les associations, à Tarsier, etc., tout ça, ça contribue. Et donc, c'est juste qu'on est avant le basculement. Donc, ça ne se voit pas trop. Mais par contre, ça nourrit le basculement. Donc ça, ça va vraiment avoir un impact. À mon avis, il y a un aspect qui a été un peu sous-développé, on va dire, dans le monde écologique. C'est que très souvent, moi, ce que j'ai vu, et c'est même ça qui m'a poussé à sortir de mon laboratoire pour en parler, c'est cette question de la performance. C'est qu'en fait, très souvent, quand il y a des problèmes écologiques, on va venir avec des solutions performantes. On va faire des éoliennes de plus en plus grandes, des panneaux solaires de plus en plus performants. Et donc, on va rester dans l'ancien monde. Et donc, on va continuer à prêcher la performance en oubliant que c'est l'obsession de la performance, de l'optimisation qui a fragilisé nos écosystèmes, nos sociétés, nos humains. Le burn-out humain, c'est la partie émergée d'un burn-out planétaire, finalement. Et donc, ça, c'est le produit de la performance. Et donc, je pense que ce qu'on a raté, peut-être, principalement, ce n'est pas tellement la robustesse. Parce que finalement, la robustesse, c'est là, finalement, dans la coopération, dans la circularité, dans les organisations. Enfin, finalement, on peut la mobiliser. C'est un vieux mot, finalement. Il n'y a rien de nouveau, là. Ce qui est nouveau par contre c'est de l'articuler par rapport à la performance. Et en fait on ne peut pas être très robuste si on est très performant. Et ça, je pense que c'est ça qu'il faut travailler à mon avis. Et de se dire, la coopération, c'est vraiment aller contre sa performance individuelle pour nourrir la robustesse du groupe. Ça, c'est un point important. Donc j'aurais tendance à dire, c'est peut-être ça qu'il faut... Alors, je n'ai pas de solution clé en main, mais à questionner. Si je le dis différemment, la lutte sociale, très souvent, c'est une lutte qui est coincée dans la performance. On va lutter, on va manifester, on va faire des luttes vraiment violentes. Alors qu'il... peuvent être utiles. Il y a des moments, c'est toujours pareil. C'est comme le pompier qui va au feu, il faut faire de la performance. Quand il est au feu, il ne va pas faire une approche participative. Il va y aller. Mais le reste du temps, il fait de la robustesse. C'est un peu pareil pour la lutte sociale. Il y a des moments de violence, mais il faut travailler aussi tout le reste. Et tout le reste, c'est peut-être des outils créatifs, comment on fait pour ringardiser le cœur, etc. C'est d'autres choses et donc, ce n'est pas des stratégies de performance.
- Speaker #0
Parfait. Merci beaucoup Olivier Hamon pour les... Précision nombreuse que vous avez apportée sur vos travaux. J'espère que son ambition généreuse et j'entends généreux par la robustesse, selon vous, n'est pas quelque chose d'interne aux organisations, mais doit bénéficier à l'extérieur. Alors, moi, je soulignerais qu'aujourd'hui, on doit s'interroger sur la robustesse des sociétés humaines vis-à-vis de leur extérieur, qui est la nature, le milieu naturel, et qu'on peut souhaiter effectivement que cette robustesse... s'étendent, se partagent, si je vous entends bien, avec cette question sur est-ce que ce partage, quels seront les effets de ce partage sur nos sociétés elles-mêmes ? Comment concluriez-vous notre entretien, peut-être pour les nouvelles générations qui sont à de multiples titres en rupture, avec d'autres classes, avec la société parfois ? Que diriez-vous aux jeunes d'aujourd'hui ?
- Speaker #1
Moi, j'entends des... Il y a plein de profils chez les jeunes, mais j'entends des profils de jeunes qui m'intéressent. Ce sont des jeunes à qui on a parlé de développement durable depuis qu'ils ont deux ans, grosso modo. On leur a dit que leur siècle serait pourri, donc plein de fluctuations, des tempêtes, la catastrophe, et donc qu'il faut faire des efforts. Bon, donc ils démissionnent, ils désertent, et personne ne devrait leur lancer la pierre, parce que si on leur dit ça, moi je ferais pareil, je démissionne. Si on me dit ça va être pourri, maintenant il faut faire des efforts. Non, je n'y vais pas. Donc c'est pour ça que, à mon avis, peut-être le message à prendre pour la jeunesse, c'est de dire que, discours de vérité, oui, ça va tanguer très fort. Le monde fluctuant, il est déjà là. Les événements climatiques extrêmes, on en fait déjà l'expérience. Donc ça va fluctuer de plus en plus, mais on va en faire quelque chose de ces fluctuations. Et surtout, la génération qui arrive, alors on va les accompagner, je ne remets pas tout sur les épaules, mais ça va être la première génération qui aura le pouvoir et la légitimité de tout changer. Et ça, c'est extraordinaire. Surtout, si je pense à un ado, par exemple, un ou une ado, c'est quelqu'un qui est en train de traverser une crise physiologique. Donc là, c'est comme disait Bruno Latour, il ne faut pas gâcher les crises, donc il ne faut pas non plus gâcher la crise de l'adolescence. C'est un moment où il y a un peu du jeu dans les rouages. C'est le moment où jamais, pour être en réaction avec le monde dans lequel on est, qui est complètement dans le culte de la performance, comment dérailler de ça ? Donc, moi, j'aurais tendance à dire aux jeunes, oui, ça va fluctuer très fort, mais on va construire des choses avec ces fluctuations. Donc, on ne va pas vous demander plus d'efforts. C'est plutôt le contraire. On va vous demander de faire un tri dans les solutions et de vous investir plutôt dans des interactions avec les autres. Ça sera beaucoup plus joyeux. En plus, l'adolescence, c'est le moment où on devient un être social un peu émancipé. Donc, c'est le moment ou jamais. Et en plus, en réaction par rapport au monde d'avant. Pour moi, c'est une chance énorme pour la jeunesse de faire ça. Et en plus... Pour finir, c'est ce que dit Flore Vasseur dans son film, Big Urban Us, c'est que c'est un mouvement planétaire. La jeunesse qui s'investit dans la politique et qui change les lois, ça arrive en Indonésie, ça arrive en Amérique du Sud, ça arrive au Liban, un peu partout. Parce que cette jeunesse-là, c'est une jeunesse simultanée. C'est comme le Covid, on a été tous masqués en même temps, on a tous été confinés la même année. C'est un peu pareil pour ce qui nous arrive, c'est l'anthropocène, c'est dans un moment de simultanéité planétaire. La jeunesse aussi va être dans un mouvement de simultanéité planétaire. C'est un peu le 68 qui était plutôt dans le monde occidental. Là, ça va être la totale. Donc là, il y a vraiment quelque chose à imaginer, en tout cas.
- Speaker #0
Merci beaucoup, Olivier Hamann. Je souscris à vos mots. Je le souhaite autant que vous. Merci beaucoup. À bientôt. Et puis, n'hésitez pas, pour les auditeurs, à vous inscrire au podcast, à suivre le podcast L'Heure du Bilan. Faire face sur les réseaux et on vous dit à très bientôt. Merci Olivier. Merci.
- Speaker #2
Vous venez d'écouter le podcast de l'association Adrastia, le podcast qui fait le bilan sur les risques globaux et les perspectives, afin de faire face tous ensemble. Retrouvez toutes les actualités du podcast et de l'association sur le site internet adrastia.org et sur l'ensemble des réseaux sociaux. L'heure du bilan, faire face. 60 minutes pour apprendre à nous adapter au monde tel qu'il est, non tel que nous croyons le maîtriser.