- ETG
Bonjour, vous écoutez Antidote, le podcast qui interroge notre rapport au conflit. Je m'appelle Émilie Thivet-Grivelle, je suis avocate et médiatrice, fondatrice du cabinet ETG Avocats. Depuis plusieurs mois, je vais à la rencontre de personnes qui travaillent à sortir du conflit par le dialogue et la médiation. Pour ce treizième épisode, je reçois Frédéric Potier, haut fonctionnaire, aujourd'hui délégué général de l'association Région de France. après plusieurs expériences professionnelles, notamment au ministère de l'Intérieur, puis au sein des services du Premier ministre comme conseiller technique à l'Outre-mer. Il y a un an, le 13 mai 2024, débutait en Nouvelle-Calédonie une vague de violences inédites. Routes barrées, commerces pillés, mutineries. Pendant plusieurs semaines, ce territoire d'Outre-mer était dévasté par des émeutes d'une ampleur sans précédent, avec des conséquences dramatiques, 14 morts à ce jour et des milliards de dégâts. Dans ce contexte, explosif, le président de la République décidait de constituer une mission de médiation composée de trois hauts fonctionnaires parmi lesquels mon invité. Pendant une dizaine de jours, fin mai 2024, avec ses collègues Rémi Bastille et Éric Thiers, Frédéric Potier a pris part à des échanges multiples en vue de renouer le dialogue sur ce territoire, traversé par des tensions toujours très vives et inflammables. Cette démarche, décidée au plus haut niveau de l'État, s'inscrit dans une histoire de la médiation Merci. qui a déjà fait ses preuves en Nouvelle-Calédonie à la fin des années 80 et qui a abouti à l'époque aux accords de Matinu. Alors, qu'est-ce qu'il y a de commun entre cette mission intervenant dans un contexte d'une gravité exceptionnelle et ce que les médiateurs qui m'écoutent peuvent rencontrer plus fréquemment dans des contextes de crise et de conflits dans le monde du travail ou la sphère privée ? C'est ce que nous explorons avec mon invité au cours de cet entretien enregistré le 13 septembre 2024. Je remercie Frédéric Potier pour son partage d'expériences rares et précieux qui permet de comprendre comment cette méthodologie du dialogue a été pensée et a commencé à être mise en œuvre il y a un an. Je vous souhaite une très bonne écoute. Ma première question, c'est de savoir comment vous vous êtes préparé pour cette mission pour laquelle vous avez été désigné aux fins de Médiasur Nouvelle-Calédonie.
- Frédéric Potier
Alors d'abord, moi, je suis les questions ultramarines et la Nouvelle-Calédonie depuis presque maintenant 20 ans, puisque quand je suis sorti de l'ENA, j'ai fait un choix social peut-être non conformiste, qui était de rejoindre le ministère des Outre-mer. Alors on pense toujours que les ENARC vont tout de suite faire de la politique ou vont à Bercy, etc. J'ai choisi de m'occuper de questions peu connues, que sont les statuts de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française, de m'occuper aussi des Antilles, des questions migratoires. Et donc, j'ai suivi pendant plusieurs années ces questions-là et surtout, j'ai noué des contacts sur place qui ont fait que, vous l'avez dit dans votre présentation, j'ai travaillé pendant trois ans à Matignon auprès du Premier ministre. à l'époque c'était Manuel Valls puis Bernard Cazeneuve comme conseiller outre-mer donc on n'est pas désigné de manière complètement surprenante et impromptue médiateur pour une mission qui est quand même très politique dans un territoire qui va très mal, où il y a beaucoup de tensions, des tensions politiques, des tensions sociales, des tensions économiques. Et ça faisait partie aussi des conditions de la désignation, parce que quand on est désigné médiateur, il faut d'abord qu'on soit accepté. Vous le savez évidemment, comme moi, et donc ça fait partie quand même de la légitimité du médiateur d'avoir quand même avec lui un certain nombre de lignes sur son CV.
- ETG
Et votre connaissance du territoire ?
- Frédéric Potier
Absolument, et la connaissance du territoire et la connaissance des hommes aussi, et des femmes. C'est extrêmement important de pouvoir connaître les interlocuteurs qui puissent vous faire confiance. Ça renvoie aussi à la base de la médiation, la confiance qui peut exister. Et donc c'est cet ensemble de cocktails qui a fait que j'ai été désigné comme deux collègues amis, le préfet Rémi Basty qui est préfet Dudou. Et Éric Thiers, qui est conseiller d'État, qui lui aussi connaît ces questions statutaires, politiques, depuis un certain nombre d'années.
- ETG
Et vous étiez déjà allé sur le territoire de Nouvelle-Calédonie ?
- Frédéric Potier
Ah oui, j'ai dû aller en Nouvelle-Calédonie six ou sept fois. Donc je connais bien les lieux, je connais bien les interlocuteurs. D'accord. Et voilà, là encore, on ne s'improvise pas médiateur sur la Nouvelle-Calédonie.
- ETG
D'accord, je comprends. C'est évidemment pour votre connaissance d'abord que vous avez été approché. Et vous aviez déjà, j'imagine, des expériences de gestion de crise aussi sensibles ?
- Frédéric Potier
Alors oui, les années que j'ai pu passer à Matignon m'ont donné cette expérience des affaires sensibles. J'ai un souvenir notamment très prégnant de la crise qui avait éclaté en Guyane. C'était au cours du printemps 2017, où le territoire avait connu, un peu comme la Nouvelle-Calédonie d'ailleurs, presque un mois de blocage, blocage du territoire, blocage économique, problème d'ordre public. Dans ces cas-là, c'est vrai qu'on se retrouve envoyé au centre du problème, au centre des conflits, avec un premier principe que je m'applique toujours, c'est d'abord ne pas nuire. Quand on arrive comme ça dans une zone où il y a beaucoup de conflits, et c'est pareil dans une entreprise, il faut que les premiers pas soient positifs, ou en tout cas que ces premiers pas n'aboutissent pas à empirer la situation.
- ETG
Donc, beaucoup de prudence.
- Frédéric Potier
Donc beaucoup plus d'audience, beaucoup d'écoute, beaucoup de modération, beaucoup d'ouverture sur les solutions et aussi beaucoup de modestie. Que ce soit la Guyane, que ce soit la Nouvelle-Calédonie, que ce soit un conflit en entreprise, je pense qu'on ne peut pas l'aborder avec des solutions toutes prêtes. Les solutions, elles vont se construire avec les acteurs, elles vont émerger, il y aura une part d'improvisation. On peut avoir des idées, bien sûr, avant de prendre la mission. mais je pense qu'il faut arriver avec un état d'esprit empreint de modestie, d'humilité, même si on a l'impression quand même de bien connaître les sujets.
- ETG
Du coup, dans quel état d'esprit vous êtes rendu sur place ? Parce que vous avez appris votre nomination, votre désignation, combien de temps avant de partir concrètement ?
- Frédéric Potier
On est parti avec le président de la République le mardi et donc on m'a annoncé ça le dimanche. Donc, 48 heures pour se préparer, faire des bagages et avoir les idées un peu claires. Mais ça, c'est assez classique dans des zones de crise ou dans la gestion de crise. C'est vrai que le fait qu'on vienne nous chercher, nous, aussi, était quelque chose d'assez exceptionnel. Et donc, moi, je ne m'imaginais absolument pas faire ça, même si, évidemment, j'avais suivi quand même d'assez près la situation de Nouvelle-Calédonie et que j'avais eu l'occasion d'échanger avec les uns et les autres, avec quelques contacts, regarder la presse. Mais ce n'était pas quelque chose qui était inscrit.
- ETG
Oui, vous n'y attendiez pas ?
- Frédéric Potier
Absolument pas. Il faut remercier Jean Castex d'avoir tout de suite dit oui à cette mission qui n'était pas du tout dans ma fiche de poste.
- ETG
Oui, parce que là, vous êtes à la RATP, donc vous n'êtes pas du tout...
- Frédéric Potier
Absolument, donc j'ai pris 15 jours de congé spécial pour aller en Nouvelle-Calédonie faire cette mission.
- ETG
Et ce que vous attendiez ? Est-ce que vous avez rencontré sur place, en termes de climat, de tensions ? Est-ce que, voilà, arriver sur place, c'était... Voilà, vous avez été encore surpris de ce niveau-là, ou vous vous attendiez ?
- Frédéric Potier
Oui, parce que même si on est préparé à une situation, le fait de la voir et d'y être confronté physiquement prend les choses différentes. Et quand vous arrivez dans un territoire où les routes sont bloquées, les routes sont coupées, qu'il y a un... un pont aérien entre l'aéroport international et l'aéroport, je dirais, local. Le fait que même les déplacements du président de la République soient quand même compliqués, le fait qu'il y ait encore des affrontements avec des opérations d'ordre public et de sécurisation. Oui, on arrive dans un endroit où ça va quand même très mal. Et quand on rencontre les interlocuteurs, que ce soit les politiques, les chefs d'entreprise, les maires, les présidents d'associations, qu'on voit dans leurs yeux l'inquiétude. La tristesse, la souffrance, on est dans une situation où il y a quand même eu 11 morts. Donc on est sur quelque chose de... Ce n'est pas juste une flambée de violences urbaines, ce ne sont pas des émeutes dans les régions parisiennes.
- ETG
Je n'ai pas voulu les qualifier.
- Frédéric Potier
Oui, d'ailleurs on a tous du mal quand même à trouver le bon terme. Mais oui, quand on voit dans ces paroles, dans ces regards, dans ces expressions physiques, cette souffrance, cette peine, on se dit d'abord qu'il y a urgence, on se dit qu'on peut être utile. Mais on n'est pas complètement préparé à ça, non.
- ETG
Vous êtes resté combien de temps sur place ?
- Frédéric Potier
On est resté 15 jours. D'accord. 15 jours sur place, avec beaucoup de déplacements, qu'on a voulu discrets, qu'on a voulu ne pas médiatiser. Et donc, on a été... Sur tout le territoire, la Nouvelle-Calédonie, on oublie souvent, mais c'est à peu près deux fois la Corse. Donc on est obligé de prendre un hélicoptère, on est obligé d'aller dans les différentes îles parce que c'est un archipel. Le moins de déplacement est long et compliqué, il doit se préparer. Mais c'était absolument nécessaire qu'on ne reste pas enfermé à l'hôtel où on était, comme certains l'ont pu le croire.
- ETG
Donc de ce que vous pouvez partager, parce que j'imagine que les échanges que vous avez eus sont confidentiels et puis sont encore... Les choses sont encore vives, il n'y a rien de résolu. C'est encore en cours. Vous avez finalement fait une sorte de série d'entretiens préparatoires en vue de préparer une rencontre entre les différents protagonistes ou c'était plutôt des entretiens déjà pour mesurer les attentes des uns des autres et plutôt pour collecter de l'information ? Comment vous avez... Quel était l'objet de ces entretiens que vous avez conduits ?
- Frédéric Potier
Alors la mission qui était donnée par le président de la République, c'était rétablir les conditions du dialogue. Donc on n'était pas sur la négociation politique où on est obligé déjà de mettre sur la table une proposition avec des compromis qui répondent à d'autres compromis ou d'autres propositions. La première mission, c'était d'abord renouer les fils. C'était presque un travail de tisserand entre des gens qui ne se parlaient pas, entre des camps politiques opposés qui ne se parlaient plus, entre des élus. locaux qui étaient complètement crispés dans une situation qui était extrêmement difficile à gérer, avec cette mémoire d'une mission qui est un peu légendaire en Nouvelle-Calédonie dans l'histoire politique française, qui est la mission du dialogue qui avait été menée par le préfet Christian Blanc avec six autres personnes. Donc ça, c'était en 88. Et donc, voilà, cette mission que nous a confiée le président de la République répondait aussi un peu à ça.
- ETG
Vous êtes dans une tradition du dialogue.
- Frédéric Potier
On se fait inscrire dans un fond du dialogue qui avait donné beaucoup de fruits et beaucoup de succès en 1988. Là, la petite différence, c'est que la mission de Christian Blanc intervenait après un drame, qui était le drame de la grotte Bouvéa, qui avait donné lieu à une tragédie. 19 morts avec des gendarmes, des militaires donnant l'assaut. contre des indépendantistes canailles pour libérer des otages. Et donc la mission de Christian Blanc intervient après le drame. Nous, on intervient avant, pendant, je ne sais pas trop comment il faut le dire, mais avec cette idée qu'il ne faut pas attendre justement le drame pour commencer à rétablir ce dialogue et essayer d'avancer politiquement, puisque c'est un problème politique qui déclenche cette situation-là.
- ETG
Alors, j'ai une petite question sur le mandant. C'est évidemment le président de la République. Mais ce que j'ai vu dans la presse, c'est que la médiation a été demandée déjà, notamment par les indépendantistes, depuis plusieurs semaines.
- Frédéric Potier
Alors, par les indépendantistes et les non-indépendantistes. Les indépendantistes avaient cette idée, évidemment, d'une mission, d'un dialogue. Plutôt avec des personnalités étrangères, d'ailleurs, puisque chez les indépendantistes, il y a cette idée que... Puisqu'il s'agit d'un conflit colonial et post-colonial, il faudrait qu'une intervention tierce, l'ONU, etc., fasse office de médiation. Chez les non-indépendantistes, qu'on appelle aussi les loyalistes, il y avait cette idée de figure politique consensuelle. voire des binômes, donc avaient été évoqués Édouard Philippe, Manuel Valls, Jean-Marc Ayrault, Lionel Jospin.
- ETG
Qui se sont positionnés d'ailleurs dans la presse, en réclamant quand même un changement de méthode, si je comprends bien,
- Frédéric Potier
quelques semaines avant. Le président de la République a fait un choix un peu différent en termes de personnalité, mais l'esprit était là. L'esprit était de dire, on ne peut plus continuer à aborder l'avenir institutionnel, l'avenir politique de la Nouvelle-Calédonie. Sans prendre le temps d'avoir une équipe de médiateurs qui d'abord va prendre ce temps, ce temps de l'écoute, qui est extrêmement important, extrêmement long, sachant qu'on est dans le Pacifique. Donc la notion du temps dans le Pacifique, ce n'est pas une notion de temps occidental, européen, où on est pressé, où tout est minuté, etc. Donc c'est quelque chose de très particulier. Et donc remettre beaucoup d'écoute et d'impartialité aussi, avec des hauts fonctionnaires qui ont pu travailler pour Téloud. ou tel parti ou tel Premier ministre, mais surtout qui ont ce sens de l'intérêt général, ce sens aussi du dépassement des intérêts politiques. Et donc c'est cette méthode-là qu'a souhaité réinstaurer le président de la République.
- ETG
Et sur ces entretiens, vous avez rencontré combien d'interprètes ?
- Frédéric Potier
On a dû rencontrer, je pense, une centaine de personnes.
- ETG
Ah oui ? D'accord.
- Frédéric Potier
De tout horizon, de toute origine, à la fois des élus, mais aussi des anciens, des représentants des cultes, des représentants des opérateurs économiques, des syndicats, des jeunes, différentes communautés aussi, parce que c'est vrai qu'on résume souvent la Nouvelle-Calédonie. au Kanak, donc le peuple premier, ou aux Européens qui sont venus dans le sillon de la colonisation qui a commencé au XIXe siècle. Mais il y a aussi plein d'autres communautés qui sont arrivées, des Walisiens qui constituent près de 10% de la population, des personnes venues aussi pour des motifs économiques, alors parfois du travail forcé, des personnes qui venaient de la péninsule indochinoise, comme on l'appelait à l'époque, mais aussi des déportés d'Algérie. on oublie ça mais il y a des des kabiles, des rebelles des communautés hostiles, évidemment, à la colonisation à la fin du XIXe siècle, qui se sont retrouvées déportées en Nouvelle-Calédonie, comme des familles de bagnards. Donc, c'est une terre où il y a beaucoup d'histoires familiales tragiques et où il y a beaucoup de victimes de l'histoire, au pluriel.
- ETG
Oui, donc il y a un passé qui est lourd.
- Frédéric Potier
Il y a un passé qui est très lourd. Et c'est vrai que quand on visite la Nouvelle-Calédonie, on va visiter, évidemment, des lieux de mémoire. Je pense aux bagnes, bien sûr, mais... Il y a un lieu qui me touche toujours, c'est le cimetière des communards. Les révoltés de la commune de Paris ont en partie été envoyés en Nouvelle-Calédonie au Bagne. On retrouve des tombes de communards parisiens sur l'île d'Épin, qui est une île au sud de Nouméa. C'est un cimetière d'ailleurs qui est entretenu par la ville de Paris. On est sur une histoire politique qui est très récente, puisque la colonisation débute en 1853. Et donc, on a cette prégnance de l'histoire, cette prégnance d'une histoire tragique qui fait que presque tout est symbole en Nouvelle-Calédonie. Chaque mot a un sens, chaque mot est important. Et donc, c'est un travail d'orfèvre à chaque fois qu'on doit mener une négociation politique ou une médiation politique.
- ETG
Comment vous avez été accueilli, justement, puisque vous aviez cette carte de mission de médiation qui s'inscrit dans une histoire riche de médiation et réussie, puisque ça a débouché sur ces accords de Nouméa ? Est-ce que vous avez senti un soulagement de voir justement une équipe de médiateurs, de l'espoir ?
- Frédéric Potier
Beaucoup de soulagement, parce que le signal qu'a envoyé cette mission, c'était aussi la volonté de remettre du politique, remettre du dialogue dans ce conflit, mais aussi beaucoup d'attente. Et cette attente, elle est encore là, puisqu'on n'est pas sorti de l'auberge, on n'a pas encore conclu ces négociations.
- ETG
Elles ont démarré, du coup, il y a eu une reprise de discussion, vraiment, à l'issue de ces enquêtes ?
- Frédéric Potier
Il y a des échanges, il y a des contacts. Moi, je pense qu'il faut aussi se garder parfois d'une mise en scène trop ostentatoire. L'idée que deux délégations viendraient s'asserrer autour de la table, engageraient des discussions sur un ordre du jour et ça, ça viendra probablement, ça viendra sûrement. Mais ce n'est pas parce qu'on ne répond pas à ce formalisme-là ou ce décorum-là que pour autant, il n'y a pas déjà des discussions fructueuses. même si elles sont limitées, même si elles sont parcellaires, même si pour l'instant elles n'ont pas été forcément dévoilées.
- ETG
On pourrait dire que ça relève de la médiation invisible. Oui, c'est ça. C'est comme ça qu'on appelle ça dans l'entreprise, toute cette phase préparatoire dont on ne parle pas, on ne peut pas trop en parler, mais elle existe.
- Frédéric Potier
Une reprise de discussion, une reprise de, ne serait-ce que de volonté de se parler, je pense, est positive et il ne faut pas la dissuader. La mine aurait, mais il ne faut pas non plus considérer que parce que deux personnes se sont vues, ça y est, on aurait tout négocié.
- ETG
Est-ce que vous avez rencontré toutes les parties que vous aviez identifiées comme ayant les clés de la crise ?
- Frédéric Potier
Alors, on a échangé avec tout le monde, pas forcément de la même façon. Certains partis, notamment indépendantistes, le FNKS pour le dire, ce n'est pas un secret puisqu'il en a fait état, c'est dans la presse. a indiqué qu'avant de rentrer dans une négociation, ils avaient besoin de faire un congrès, un congrès politique, statutaire, pour déterminer une équipe de négociation, pour déterminer un ordre du jour. Et parce que le FNKS avait besoin de temps, et que ce congrès a été reporté plusieurs fois, on a été amenés, nous, à rentrer en métropole. Même si on a pu avoir des contacts avec les uns et les autres, il n'y a pas eu de discussion formelle, officielle. avec le FNKS, ce qui n'a pas empêché d'avoir des contacts avec les indépendantistes, puisqu'il y a plusieurs parties indépendantistes, et qu'il y avait un président du Congrès, il y a toujours un président du gouvernement, qui sont aussi indépendantistes et qui ont une voix autorisée pour parler de ces questions-là.
- ETG
Donc ce n'était pas un refus, c'est ce que j'ai cru lire.
- Frédéric Potier
Absolument pas, il n'y avait pas de refus de principe. On a discuté aussi avec un sénateur indépendantiste, un député indépendantiste depuis la dernière élection législative. Donc il y a beaucoup d'acteurs qui ont parlé, qui ont voulu prendre date, qui ont voulu évoquer l'avenir. Donc je dirais qu'on a réussi à renouer peut-être les fondements d'une discussion qui n'a pas encore eu lieu. Voilà, j'ai fait ça comme ça.
- ETG
On va dire que c'était l'acte 1.
- Frédéric Potier
C'était l'acte 1, la première étape, les sous-glacements, les fondements.
- ETG
Voilà, vous avez...
- Frédéric Potier
On va appeler ça comme ça.
- ETG
On pourrait dire que c'est déjà un travail d'instaurer de la confiance.
- Frédéric Potier
Oui, c'est ça, parce que je pense que sans confiance, il n'y a rien de possible. Bien sûr. Il n'y a rien de possible, avec la particularité aussi qu'on est dans un territoire qui accorde beaucoup de prix à l'engagement. À l'engagement oral, à la parole, bien sûr. L'engagement aussi écrit est très important. D'ailleurs, on a révisé la Constitution, la Nouvelle-Calédonie. L'architecture institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie figure dans la Constitution française. Donc c'est quelque chose d'extrêmement important. Mais voilà, cette confiance, elle est à la base de tout. Et c'est vraiment ce qu'avait réussi Michel Rocard en 88, avec cette poignée de mains historique entre Jacques Lafleur, qui était le leader des loyalistes non-indépendantistes, Jean-Marie Thibault, qui était la principale figure charismatique et politique des indépendantistes. Il a réussi à renouer cette confiance grâce à la mission du dialogue de Christian Blanc. Puis, dans un deuxième temps, des accords politiques scellés à Matignon au cours d'un week-end entier de négociations. Puis d'une loi votée, une loi organique, puis d'une révision de la Constitution. Donc on est sur un appareil et une architecture institutionnelle et politique qui est quand même très lourde.
- ETG
Pour sécuriser justement les accords et leur donner une force.
- Frédéric Potier
pour fonder l'avenir. C'est-à-dire qu'une fois qu'on a réussi à négocier, une fois qu'on a réussi à établir un équilibre et à trouver une solution politique, il y a un accord politique, il faut évidemment sécuriser cet accord politique. Et donc, ça prend la forme de textes juridiques différents.
- ETG
Je ne connais pas aussi bien l'histoire que vous, mais le parallèle entre la crise qui conduit à cette prise d'otage en 1988 et ce qu'on vit aujourd'hui, justement en regardant ce film dont vous avez parlé tout à l'heure, Les médiateurs du Pacifique, on entend que les protagonistes de l'époque expliquent que ce qui était perçu c'est que la France avait trahi sa parole plusieurs fois. Et en tout cas du côté Canac, c'était un sentiment qui avait l'air d'être exprimé. que je lis dans la presse aujourd'hui, j'ai l'impression qu'il y a ce projet de dégel de l'électorat aurait été aussi perçu comme une forme de trahison. Est-ce que vous voyez un parallèle qui participerait à expliquer ? Il y a des tas d'éléments sociaux complexes, manifestement, à l'origine de cette crise. Mais cette question de confiance, pour faire le lien avec ce que vous disiez, c'est aussi une confiance vis-à-vis de la métropole et du pouvoir politique. Est-ce que... Vous qui connaissez bien l'histoire, vous voyez un lien entre ces deux périodes ?
- Frédéric Potier
Il y a des rémunécentes et il y a des effets de miroir, même si les situations sont très différentes. Aujourd'hui, on est en 2024, à l'issue d'un processus de 35 ans, qui a commencé en 88-89.
- ETG
De décolonisation,
- Frédéric Potier
on peut dire. De décolonisation, d'émancipation, de rééquilibrage, avec du rééquilibrage économique, social, des investissements lourds, un développement industriel, même si c'est compliqué. évidemment avec la situation avec le nickel. Moi je dirais que la situation est différente dans les années 80, mais évidemment cette histoire des années 80, cette histoire de VVA, elle est toujours là, elle est toujours très présente. Et d'ailleurs il y en a des stigmates quand vous allez en Nouvelle-Calédonie, vous vous retrouvez sur la route. les traces de telle ou telle tragédie. Donc cette histoire-là, elle est très présente, mais je dirais que le film est quand même assez différent. Il y a eu cette idée ou cette notion du destin commun qui était extrêmement importante, qui était au cœur des accords de Matignon et qu'on retrouve dans les accords de Nouméa qui ont lieu dix ans plus tard. On a des jeunes quand même qui ont davantage vécu ensemble. des jeunes kanaks, des jeunes européens, des jeunes walisiens. Est-ce que tout a été résolu ? Non. Il y a encore beaucoup de problèmes économiques, beaucoup de problèmes sociaux. Mais je crois quand même que, alors c'est peut-être mon côté optimiste, mais je crois qu'il y a, même si je n'aime pas l'expression, cette envie de vivre ensemble, il est quand même encore là. Cette envie de vivre en paix, cette envie de ne pas retourner dans la violence, cette envie d'avoir un projet commun. cette envie d'avancer aussi, parce qu'on est dans le Pacifique, il y a l'Australie, il y a d'autres îles. Donc on est au sein d'un environnement géopolitique qui aussi peut donner des envies de voyage, d'émancipation, etc. On n'est pas complètement non plus là aussi dans les années 80, où peut-être que les populations étaient plus figées dans l'île, avec des répartitions en tribus, en villes, etc. Aujourd'hui, par exemple... Nouméa, c'est une ville qui est largement canaque aussi. On dit souvent on nous met à la blanche, etc. Bon, il y a des quartiers, mais il y a une forme de mixité quand même qui est assez incontestable en Nouvelle-Calédonie.
- ETG
Mais est-ce que vous avez ressenti de la défiance par rapport au fait que votre mandant, c'était le président de la République, donc c'est le pouvoir central, de la part des interlocuteurs que vous avez rencontrés ?
- Frédéric Potier
Non, parce que vous l'avez dit, le président de la République répondait aussi à une demande. Je pense qu'il pouvait y avoir des questions sur les personnalités, le mandat, etc. Mais sur le principe même d'une mission de médiation, non, tout le monde y a adhéré spontanément.
- ETG
D'accord. Et est-ce que vous avez l'impression que vous avez collecté des informations et des ressentis qui étaient totalement méconnus et non perçus depuis Paris ? Puisqu'on rappelle que c'est quand même à 15 000 kilomètres, non, 20 000 kilomètres ?
- Frédéric Potier
Oui, à peu près 20 000 kilomètres. entre 26h et 30h d'avion. Voilà le nouvel calendrier.
- ETG
Est-ce que vous êtes revenu vraiment avec des informations qui n'étaient pas comprises depuis le pouvoir central ?
- Frédéric Potier
Je ne sais pas si on peut dire ça comme ça. Je pense que les informations, elles circulent toujours. La question, c'est quelle importance on leur accorde ou quel point on leur donne. Et c'est là où il peut y avoir un hiatus entre quelqu'un qui peut écrire dans une note, parce que c'est un bon fonctionnaire, et il dit voilà... Il y a un risque de tension. Sauf que lire, il y a un risque de tension de Nouvelle-Calédonie à Paris et le vivre à Douméa, c'est là où il peut y avoir quand même une grosse différence. Et donc non, dans les informations qu'on a collectées, je pense que... Il y a une envie de la société civile, je crois, de faire perdurer ce destin commun. Je crois qu'il y a une envie du monde économique aussi de jouer toute sa place dans la reconstruction et dans l'avenir. Alors que, je ne vais pas commenter, mais j'ai l'impression que dans les entrepreneurs, dans les représentants des entreprises, il y avait cette idée quand même d'être toujours un peu prisonnier ou kidnapper des considérations purement politiques. voire électorale, voire politicienne. Et donc moi j'ai perçu comme une envie aussi un peu d'émancipation de ces forces issues de la société civile, du monde économique, de la jeunesse, de jouer un peu plus de place dans la construction politique de demain de la Nouvelle-Calédonie.
- ETG
Est-ce que vous avez donc rendu compte de cette mission et sous quelle forme ?
- Frédéric Potier
On a rendu compte au président de la République de cette mission, oralement et par écrit. Alors ce n'était pas un rapport à 150 pages, ce n'était pas du tout ça qui nous était demandé. Mais donc ce travail de restitution a été fait. Alors il a été un peu interrompu par la dissolution de l'Assemblée nationale. Mais c'est un travail qui a vocation à être poursuivi. Alors je ne sais pas complètement sous quelle forme il y avait qui, mais un Premier ministre a été nommé. Il devra nommer un ministre des Outre-mer. J'imagine qu'il va reconstituer une équipe. de médiation ou de discussion politique. Et ce travail-là, il ne va pas cesser. Il va continuer à exister. Ne serait-ce pas qu'il y a des questions économiques urgentes qui s'imposent à nous. Oui,
- ETG
de reconstruction en plus.
- Frédéric Potier
Demain aussi, un projet de loi de finances sera voté à l'Assemblée nationale. Évidemment, il faudra qu'ils tiennent compte de la situation en Nouvelle-Calédonie.
- ETG
Mais dans votre rapport, vous avez restitué, j'imagine, des ressentis, des constats. Est-ce que vous êtes allé aussi sur le terrain des recommandations ?
- Frédéric Potier
Oui, alors ça, je les garderai pour moi.
- ETG
Bien sûr, c'est juste la méthode qui m'intéresse.
- Frédéric Potier
Juste la méthode, tout à fait. Il y avait à la fois une partie constat, il y avait une partie cartographie des acteurs aussi. Et puis, il y avait une partie recommandation, solution ou option. Parce que d'ailleurs, là aussi, il faut beaucoup de modestie et d'humilité. Quand on trace un chemin politique, il y a toujours des options qui sont possibles, des options de calendrier, des options de format. Par exemple, la question, là aussi, ce n'est pas un secret d'État, de savoir s'il faut discuter ici à Paris, comme l'avait fait Michel Rocard à Matignon, en invitant des délégations, ou est-ce qu'il faut discuter sur place ? Bon, ça, c'est une option. Elle n'est pas tranchée. Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire l'un puis l'autre. Mais ce sont des choix qui sont politiques et qui sont aussi des choix de méthode et qui doivent être discutés avec les intéressés.
- ETG
Aujourd'hui, c'est toujours le président de la République qui gère ce dossier ? Ou c'était le ministère de l'Intérieur ? Pendant un moment, j'ai vu que c'était d'abord le ministère de l'Intérieur qui gérait ce sujet, et que le président l'aurait repris.
- Frédéric Potier
Oui, c'est toujours un sujet qui a été suivi au plus haut niveau, que ce soit le président de la République ou le Premier ministre. La Nouvelle-Calédonie, c'est un sujet qui est quand même très transversal, très interministériel, parce qu'il y a des sujets économiques, il y a des sujets sociaux, des sujets éducatifs. Le président de la République a suivi ce sujet-là de très près, évidemment, en raison de la... La situation est...
- ETG
Et même de la configuration même de la situation, puisqu'on parle de l'indépendance potentielle d'une partie du territoire français. Donc forcément, c'est un sujet qui va remonter à l'Église ou au Premier ministre. Mais en tout cas, ce n'est pas un sujet qui est uniquement traité par le ministère de l'Intérieur ou de l'Outre-mer.
- Frédéric Potier
Qu'est-ce que vous gardez comme sentiment quelques mois après de cette mission ?
- ETG
Moi, je crois qu'elle a résonné paradoxalement beaucoup avec ce que je fais à la RATP. Ah,
- Frédéric Potier
c'est intéressant.
- ETG
Parce qu'en entreprenant cette mission, j'avais en tête ce qu'on avait créé avec la mission de médiation interne sur les conditions de la médiation. D'abord, la première condition, c'était d'abord vouloir entrer en médiation. ou vouloir la paix. On peut appeler ça comme on veut, mais il y a un moment où ça ne sert à rien de brusquer la médiation, brusquer la négociation, si on voit que les partis n'ont pas envie de le faire. Si les partis politiques ont envie de continuer à se battre, ou si dans une entreprise, on n'a pas envie de pacifier la situation, ça ne sert à rien de vouloir brusquer complètement. Donc je me suis demandé ça. Je me suis demandé, mais finalement, est-ce qu'il y a une envie de médiation ? Et la réponse sur place a été oui.
- Frédéric Potier
Très nette.
- ETG
Très nette. Après, la deuxième... conditions, et là aussi on la retrouve dans les entreprises, c'était la question de la confiance, on en a parlé, la condition aussi de l'écoute, on en a parlé, et il y a une troisième condition qui me semble fondamentale, mais qui est très difficile à réunir aujourd'hui, qui est celle de la discrétion. On ne peut pas faire de médiation interpersonnelle ou collective de manière complètement transparente, en rendant public tous les échanges, et je pense que pour la Nouvelle-Calédonie, une des raisons du succès de Michel Rocard, c'était aussi ça, c'était de dire, on fait un huis clos. où rien ne sort pendant 48 heures parce qu'on a besoin de se dire des choses, on a besoin de mettre des options sur la table, de les trancher, de les équilibrer, etc. Et donc là aussi, en Nouvelle-Calédonie, on a fait ce choix-là, de la discrétion, de la confidentialité des échanges, pour que les uns et les autres puissent nous dire ce dont ils avaient envie, leurs lignes rouges, des choses sur lesquelles vraiment ils étaient fermés, d'autres sur lesquelles on pouvait peut-être entrevoir une forme de chemin possible. Et donc ça, cette question de la discrétion, de la confidentialité des échanges, elle m'a semblé fondamentale, mais elle est extrêmement difficile aujourd'hui avec la présence des réseaux sociaux. Dans l'entreprise comme dans la politique, on a envie tout de suite de dire qu'on a vu un tel, qu'on a parlé de tel sujet, qu'on a défendu les causes de ces mandants. Et ça, moi, ça m'interroge en tant que fonctionnaire ou en tant que praticien maintenant dans une entreprise, parce que notre culture sociétale... est très différente de ça. On a envie de publier, de poster sur réseau, d'assumer une forme de transparence, là où parfois on a besoin justement de garder cette confidentialité, cette discrétion qui est aussi une question qui est liée à la confiance. Et donc toutes ces étapes-là qu'on retrouve dans une médiation interpersonnelle ou collective, on l'a retrouvée dans la médiation politique. Alors la négociation, à la fin de la négociation, on n'y est pas encore. Donc c'est trop tôt pour en parler. Mais voilà, moi, j'ai trouvé plein de points de comparaison. Et une des questions que je me suis souvent posée à Nouméa, c'était de me dire, est-ce que le cadre de la médiation est toujours là ?
- Frédéric Potier
Le cadre confidentiel.
- ETG
Le cadre confidentiel, le cadre d'écoute, le cadre de confiance. Moi, je n'avais pas envie de me faire instrumentaliser. Je n'avais pas envie de travailler pour rien non plus. J'avais à côté un autre travail. Et donc, on a toujours été très vigilants dans les échanges, dans la méthode, dans la communication, à ce qu'on faisait pour justement préserver ce cadre.
- Frédéric Potier
Alors justement, ce cadre, comment vous l'avez construit ? Est-ce que vous l'avez construit avec les acteurs ? Est-ce qu'il s'est improvisé ? Je comprends que vous avez beaucoup circulé, que vous êtes allé à la rencontre. Voilà, on est dans une médiation assez atypique. Comment ça s'organise concrètement ? On a quelqu'un qui nous aide au départ à faire le plan de la semaine, je vais voir un tel, un tel, un tel, et les gens signent un accord peut-être de confidentialité au début des échanges ?
- ETG
Alors non, parce qu'on a souhaité que ça ne soit pas aussi formalisé que ça. Oui,
- Frédéric Potier
ça paraît contradictoire.
- ETG
Oui, c'est pareil contre toi. Et puis, il y aurait eu un peu de défiance. On était arrivé à des chartes, des engagements de confidentialité. Par contre, c'est des choses qu'on disait... Tout de suite en entrée de discussion, en disant...
- Frédéric Potier
On le rappelle à chaque fois.
- ETG
On le rappelle, en disant là on va discuter, ça reste entre nous, ça n'a pas vocation à être public, voilà le sens de notre démarche.
- Frédéric Potier
Toujours en co-médiation du coup ? Autre question, vous étiez toujours en trio ?
- ETG
Oui, on était toujours trois. Parce qu'on avait besoin d'abord, parce que c'est difficile, d'aborder ces questions d'ordre public, de sécurité, parfois de violence. destruction de biens et aussi quand on engage aussi quelque part la crédibilité aussi de la République, quand on accepte cette mission-là. Donc oui, on souhaitait être tous les trois ensemble presque tout le temps, parfois on était deux, mais oui, qu'il y ait toujours au moins un témoin et qu'on ne puisse pas... Voilà, mettre la mission dans une situation un peu difficile. Donc ça, c'était extrêmement...
- Frédéric Potier
Donc la collégialité vous a sécurisé ? Oui,
- ETG
tout à fait. Et puis on avait une grande confiance entre tous les trois. Donc bon, il n'y avait pas de problème personnel entre nous.
- Frédéric Potier
Alors si je comprends bien, un cadre qui est réexpliqué à chaque rencontre, mais qui n'est pas formalisé dans des écrits. Donc on est vraiment sur de la confiance, les yeux dans les yeux, quoi. C'est ça. C'est ça, si je comprends bien.
- ETG
Avec une petite partie un peu improvisée, évidemment. C'est un peu comme dans le jazz. C'est-à-dire qu'on a en tête la mélodie qu'on va jouer, mais il y a forcément toujours une partie où on laisse la place à la créativité et puis on a besoin d'entendre ce que l'autre va nous dire. Et donc, si on le cadre trop en lui disant, on a 20 minutes, une demi-heure, 30 minutes, une heure, et le programme, c'est ça, et puis on n'en sort pas, et voilà le programme de la semaine, etc. Non, c'était plutôt, voilà, on a accueilli des paroles. Il y a des gens qui voulaient venir nous parler, nous voir. On a dit oui à peu près tout le monde.
- Frédéric Potier
Vous étiez dans les coudes finalement, fondamentalement.
- ETG
Parfois certains nous voirent en groupe, une dizaine de jeunes, une demi-douzaine de chefs d'entreprise, parfois c'était des chercheurs, d'autres c'était des personnalités qui voulaient nous parler de manière individuelle et n'engager que leur nom, parfois c'était des chefs de parti.
- Frédéric Potier
C'est extrêmement précieux tout ce que vous avez récolté.
- ETG
C'était très précieux,
- Frédéric Potier
c'était beaucoup d'informel aussi,
- ETG
avec beaucoup de liberté de ton. Et justement, pas la volonté et pas l'envie de faire un rapport qui aurait figé aussi les positions des uns et des autres. Oui, bien sûr. Je crois que dans cet exercice-là, on a besoin de laisser de l'informel pour laisser aussi de la place à de la marge de manœuvre de négociation.
- Frédéric Potier
Bien sûr. Et justement, comment ? C'est un travail délicat que de restituer ça. Alors, bon. J'imagine un rapport, je ne sais pas trop comment le qualifier, qui est confidentiel.
- ETG
Alors d'abord, c'était des restitutions. quotidienne avec le cabinet du Premier ministre, du Président de la République et les ministères concernés, l'Intérieur et l'Outre-mer, parce qu'on avait aussi besoin de nous de leur faire passer un certain nombre de messages. Donc chaque soir, en plus, bon, décalage d'horaire, chaque soir à Nouméa, chaque matin à Paris, il y avait cet échange-là qui était très précieux et qui permettait là aussi d'avancer chaque jour avec les autorités sur place, le haut-commissaire, donc le préfet, sur ce qu'il fallait faire, comment envoyer les choses. Parfois, on nous demandait des avis, des conseils, on les donnait. D'autres fois, c'était simplement leur donner une note d'ambiance. Mais on ne s'est jamais substitué non plus aux autorités qui avaient, eux, le pouvoir de décision. Et ça, c'est extrêmement important.
- Frédéric Potier
Et donc, le sens de la communication, c'est-à-dire que vous, vous remontez de l'information, mais est-ce qu'on vous met dans une situation, à un moment donné, d'en transmettre, de faire passer des consignes de Paris ? Un état d'esprit, parce qu'il y a quand même un enjeu, puisque le point de départ de la crise, si j'ai bien compris, c'est un projet de loi qui réforme le statut des acteurs.
- ETG
Oui, ça marche dans les deux sens, mais le côté descendant était déjà assez cadré au départ. C'est-à-dire, le président a très clairement dit qu'il était attaché au dialogue, au dialogue politique. Donc, notre message aux autorités calédoniennes, aux interlocuteurs calédoniens, c'était ça. c'était dire le la France, la République fera tout pour faire prévaloir une solution politique négociée, un dialogue politique global, et que la violence n'est pas une solution et que ce n'est pas dans cette perspective-là que nous on se place.
- Frédéric Potier
Finalement, ça a été le message principal que vous avez porté, un message de méthodologie, qui est plutôt encourageant. C'est donc bien la méthode qui a été privilégiée. Est-ce que vous pensez que ce genre d'expérience pourrait être importé ? parce que finalement, on a une expérience riche outre-mer, mais en métropole, sur des crises de territoire. Est-ce qu'en Corse, ça a été pensé comme ça ? Il y a une histoire un peu similaire ou pas du tout ? Parce que c'est une mission de médiation, il n'y en a pas que ça dans l'histoire.
- ETG
Non, c'est quelque chose d'assez unique. C'est pour ça que ce documentaire, il est très précieux. Les médiateurs du Pacifique, il y a aussi une très bonne bande dessinée qui s'appelle La solution pacifique, qui retrace. ce qu'a été l'histoire de cette médiation, c'est quelque chose de très rare, de très atypique, et qui mériterait de se développer. Alors, je ne sais pas si la comparaison avec la Corse est vraiment justifiée, moi je connais trop mal le territoire, mais en tout cas, que ce soit l'État, les entreprises, les partis politiques, je crois qu'en France, on a cette culture quand même du conflit, qui est très liée, je pense, à la Révolution française, à cette idée qu'il faut renverser la table. du passé de faisons table rase et voilà, et le conflit est le moteur de l'histoire, là c'est très très marxiste comme vision. Je crois que cette médiation de Nouvelle-Calédonie montre que, et comme à la RATP d'ailleurs, il vaut mieux ne pas attendre que le conflit dégénère pour essayer de le traiter. Et remettre de la confiance, remettre du dialogue, parfois ça ne suffit pas. Parfois, il y a des choses très dures qui arrivent et parfois le conflit est inévitable. Il faut le surmonter et ne pas avoir peur de le prendre comme tel. Mais parfois aussi, on peut trouver des voies de passage qui soient pacifiques, qui soient fondées sur le dialogue, l'ouverture, la médiation. Et je trouve qu'en France, on sous-estime cette capacité-là.
- Frédéric Potier
Oui, totalement.
- ETG
Des personnes à trouver des solutions. Et je le vois, moi, avec mes collègues à la RATP qui reviennent parfois en disant « il y avait une ambiance délétère dans telle unité, les gens ne se supportaient plus » . Et en les faisant parler, c'est incroyable, on a réussi à décrisper. Et quand mes collègues disent ça, elles le disent avec beaucoup de modestie. Ce n'est pas pour dire qu'on est des super médiateurs. On n'a pas des super pouvoirs. Mais juste dans la méthode, je crois que faire prévaloir ça, l'écoute ouverte, impartiale et empathique, moi j'y crois beaucoup.
- Frédéric Potier
Avec une personne qui incarne la fonction.
- ETG
Avec une personne ou une équipe qui incarne la fonction. Et bien sûr, il faut que cette personne soit d'abord formée, qu'elle connaisse son métier. On ne s'improvise pas médiateur, on ne s'improvise pas facilitateur, en posant un cadre toujours, parce que là aussi, c'est très dangereux d'arriver en disant « je vais vous régler vos problèmes » . Bien réexpliquer que les solutions ne viendront pas du médiateur, mais des acteurs eux-mêmes, mais qu'on peut les aider à les faire émerger. Alors, faire émerger toutes ces idées-là, oui,
- Frédéric Potier
ça va être très précieux. Et justement, pour parler de formation, vous, vous aviez une formation un peu particulière au-delà de votre parcours. Vous avez cherché à vous former sur ces questions de médiation ?
- ETG
Alors, un peu à l'ENA, je dois avouer, beaucoup sur le terrain. Parce que moi, j'ai été sous-préfet, je fais du cabinet, etc. Donc, dans des univers où il y a quand même beaucoup de conflictualité. Et quand on a créé cette mission de médiation interne à la RATP, alors moi j'ai pas suivi le cursus de formation, etc. J'ai pas de diplôme, mais c'est vrai que j'ai beaucoup lu, j'ai beaucoup lu, j'ai beaucoup réfléchi, j'ai beaucoup discuté avec mes collègues. Et j'ai beaucoup retravaillé, enfin on a beaucoup retravaillé ensemble un certain nombre de documents. Je pense à des chartes internes, à des guides, etc. Et moi, il y a un ouvrage qui m'accompagne beaucoup. C'est mon deuxième conseil de lecture de la matinée. Merci, merci pour tout. C'est un ouvrage qui s'appelle L'art de la paix. C'est Michel Rocard qui explique ce qu'a été l'édit de Nantes. Et donc, c'est un ouvrage qui date de 1997-98. D'accord. Et c'est incroyable parce que cet ouvrage qui s'appelle « L'art de la paix » explique la méthode de Michel Rocard sur la Nouvelle-Calédonie, mais sur d'autres conflits aussi. Et au fond, il y a beaucoup de traités sur l'art de la guerre, sur comment on gagne une bataille, sur des traités de commandement, des traités de stratégie. Mais il y en a extrêmement peu sur la façon dont on met fin à un conflit et la façon dont on instaure une paix durable. Et moi, c'est un ouvrage que j'ai depuis longtemps dans ma bibliothèque qui m'accompagne. Et le commentaire de Michel Rocard sur l'édit de Nantes signé par un cat est magnifique, lumineux. Donc moi, c'est un texte qui m'accompagne souvent, que je relis régulièrement.
- Frédéric Potier
Merci beaucoup, je vais m'empresser de le lire. Quels sont les enseignements, si je puis dire, que vous tirez de cette expérience dans la gestion d'une crise sur un territoire hors métropole ? Dans un contexte, donc on a évoqué multiculturel, marqué par des inégalités sociales très importantes, est-ce que vous gardez des enseignements qui pourraient servir dans une crise plus locale ?
- ETG
Je dirais l'importance des signaux faibles d'ailleurs, pas forcément faibles, l'importance des signaux qui arrivent, ne pas les sous-estimer, ne pas surestimer non plus la solidité des organisations ou des institutions. C'est vrai qu'on vit dans un état, la 5ème république, le corps préfectoral, l'entreprise, les syndicats, le patronat, etc. Ce sont des constructions humaines, donc forcément fragiles, et dans un contexte de difficultés, dans un contexte de tensions, de pressions, ces institutions-là, qui sont des institutions humaines, parfois peuvent s'avérer aussi fortes que des châteaux de cartes. Et donc, voilà, la leçon que je... On retire de tout ça l'importance du facteur humain dans ces constructions collectives individuelles et humaines.
- Frédéric Potier
Vous dites ça parce que vous avez ressenti une forme de fragilité, pour le coup, là-bas, des institutions ?
- ETG
Oui, bien sûr. Oui, bien sûr. Le gouvernement local, représentants de l'État, institutions coutumières, économiques, sociales, toutes se sont retrouvées très fragilisées par cette situation-là. Pour des raisons très différentes, ça peut être des raisons financières, des raisons humaines, des raisons... Presque symbolique.
- Frédéric Potier
Mais à un point d'avoir vraiment peur, si je comprends bien.
- ETG
Ah ben oui.
- Frédéric Potier
Les gens avaient peur là-bas.
- ETG
Bien sûr, bien sûr. Je renvoie tous nos auditeurs à reportages qui sont sortis là-dessus, évidemment. Évidemment qu'il y avait de la peur.
- Frédéric Potier
Et là, aujourd'hui, on en est où à peu près ?
- ETG
La situation est très fragile, encore. Il y a une forte attente de relance des discussions politiques, de poursuite de ce travail-là de médiation. Il y a de fortes attentes sur la reconstruction économique. donc je dirais qu'on est encore au milieu du guet on n'est pas sorti encore de cette crise qui va laisser des traces.
- Frédéric Potier
Et vous vous attendez à repartir ?
- ETG
Je ne sais pas ça c'est le président de la république et le gouvernement qui en décidera. D'accord,
- Frédéric Potier
ok Merci beaucoup Frédéric, c'était passionnant Merci beaucoup
- Speaker #2
Merci d'avoir écouté cet épisode. Au moment où je publie, Manuel Valls, ministre des Outre-mer, vient d'annoncer l'impossibilité de parvenir à un accord sur l'avenir institutionnel de Lille. L'avenir nous dira si la médiation va reprendre ou se poursuivre sous d'autres formes. Si vous avez apprécié ce numéro du podcast, n'hésitez pas à le partager autour de vous. Vous pouvez aussi réagir sur LinkedIn et noter le podcast sur Apple Podcasts. Cela lui donne de la visibilité et donc cela le fait connaître. Et si vous avez une question sur un conflit professionnel au sein de votre service ou avec votre employeur, vous trouverez sur le site du cabinet ETG Avocat toutes les informations sur les services d'accompagnement, de conseil et de médiation. A bientôt et que vive la médiation dont le monde a besoin !