- Martin Quenehem
L'archéologie, ce n'est pas toujours trouver des trésors. C'est même souvent faire des trouvailles en apparence anodines, mais qui se révèlent cruciales. Vous écoutez "ARCHÉO, l'archéologie par tous les temps", le podcast de la collection Grands Sites Archéologiques.
- Valérie Matoïan
En fait, pendant la période de fouilles, chaque matin, on quitte la maison de fouilles qui est aménagée, qui est installée, au bord de la mer. Nous sommes sur l'un des chantiers de fouilles du site de Ras Shamra. La 67e campagne de fouilles commence et le tel de Ras Shamra est à 800 mètres à l'intérieur des terres. Donc on prend la route et on arrive au pied du tell.
- Martin Quenehem
Marchant parmi les orangés qui longent la route, Valérie Matoïan gravit le tell la colline qui surplombe la mer la grande et fertile plaine de Lattaquié se dévoile autour d'elle à mesure qu'elle avance vers la grand rue cette voie antique qui a donné son nom au chantier qu'elle dirige ici, à Ras Shamra, en Syrie.
- Valérie Matoïan
Quand on commence un nouveau chantier sur le site de Ras Shamra. Sur le terrain, en surface, on ne voit rien de spécifique. Parfois affleure l'arase des murs, mais souvent on ne les voit pas parce que l'ensemble du tell est recouvert d'une couche de terre arable d'environ 30 cm. C'est une terre très caractéristique lorsque nous fouillons, qui est de couleur noire. En revanche, une fois cette couche de terre retirée, nous arrivons, si je puis dire, directement sur les vestiges de la fin de l'âge du Bronze et donc de la cité d'Ougarit à cette période.
- Martin Quenehem
Sur les hauteurs de Ras Shamra s'étendait jadis la cité d'Ougarit, mais la ville a été détruite aux environs de 1180 avant notre ère. Cependant, Avant sa disparition à la fin de l'âge du Bronze, Ougarit fut un centre majeur d'échanges de la Méditerranée orientale. En témoigne son acropole, avec ses deux grands temples mis au jour, le temple de Baal et celui de Dagan, et entre les deux, la maison dite du grand prêtre, célèbre pour sa bibliothèque, regorgeant de textes porteurs de légendes. Et c'est dans le sud de cette cité que Valérie Matoïan va faire une découverte étonnante.
- Valérie Matoïan
L'objectif de la fouille de cette année-là, de cette campagne-là, était de dégager un bâtiment. Et au cours de cette campagne, c'était au printemps 2007, on a eu la chance de découvrir un puits.
- Martin Quenehem
En 1928, sur le site côtier de Minet el-Beida, a lieu la découverte fortuite d'une tombe par des archéologues français. Et c'est ainsi que la grande aventure de la résurrection d'Ougarit a commencé. Mais au terme de près d'un siècle de fouilles, Ougarit n'a pas encore livré tous ses secrets.
- Valérie Matoïan
Lorsque nous avons commencé la fouille de ce nouveau puits, nous nous sommes aperçus qu'il était couvert de grosses dalles de pierres, des pierres de taille, qui étaient en fait des blocs éboulés suite à la destruction du bâtiment. Là, il y avait une véritable tension. Et la tension, elle est née lorsque nous nous sommes aperçus que sur l'orifice du puits, sur la margelle du puits, il y avait ces gros blocs de pierres. qui protégeait en quelque sorte l'ouverture. Et au moment où nous nous sommes aperçus qu'en fait, sous les blocs, on ne voyait rien. Et là, on s'est dit, qu'est-ce qu'il y a ?
- Martin Quenehem
La découverte de ce puits va ouvrir pour Valérie Matoïan et son équipe un abîme de réflexions et de surprises. Car, derrière l'apparence modeste de cette trouvaille, c'est tout un pan de la vie des femmes et des hommes d'Ougarit qui ressurgit, lié à la présence d'un élément clé, l'eau.
- Valérie Matoïan
On était très excités à l'idée de fouiller ce puits, puisque c'était la première fois que l'équipe actuelle de la mission pouvait fouiller un puits en eau. Donc on était en fait ouverts totalement à l'expérience et à ce qu'on allait découvrir. La fouille était complexe parce qu'il a fallu faire appel à une chèvre (instrumnet de levage) pour retirer les blocs les plus lourds. Et nous avons aperçu une sorte de reflet de scintillement au fond du puits. Et effectivement, le puits était en eau. Alors très vite, on est allé chercher une lampe électrique et on a pu voir à l'intérieur, l'eau était là. On est allé chercher un récipient que l'on a mis au bout d'une corde, et puis on a puisé de l'eau au fond de ce puits et certains membres de l'équipe se sont désaltérés avec cette eau. La découverte de ce puits en eau m'a beaucoup émue, peut-être plus encore que la fouille d'un édifice ou la découverte d'objets, que ce soit du mobilier luxueux ou encore des objets de la vie quotidienne. Parce qu'on a eu le sentiment, et j'ai eu le sentiment, de toucher du doigt ce qui était un des besoins essentiels de l'homme, à savoir l'eau. Donc ça a été une découverte absolument exceptionnelle. On avait l'impression d'un seul coup d'être plongé à l'époque des habitants d'Ougarit, il y a un petit peu plus de 3000 ans, et de boire la même eau que celle qu'eux avaient pu boire.
- Martin Quenehem
La découverte de Valérie Matoïan et de son équipe d'archéologues fait écho à une autre, réalisée 60 ans plus tôt par le premier fouilleur de Ras Shamra, Claude Schaeffer. Il s'était attelé au dégagement du palais royal et avait lui aussi mis au jour un puits, à propos duquel il avait écrit :
- Valérie Matoïan
« Après avoir dégagé le puits, sous des déblais atteignant 4 m d'épaisseur et composés de pierres écroulées, de terre et de cendres, provenant de l'incendie du palais nous fûmes surpris en soulevant la dalle de fermeture encore coincée dans la margelle, de voir à onze mètres de profondeur l'eau briller au fond du puits soigneusement mûrée et encore intacte du fond nous retirâmes un assez grand nombre de cruches ainsi qu'un seau en bronze avec une anse fixée par des attaches trilobées qui s'étaient échappées des mains des servantes venues tirer l'eau pour le service du palais".
- Martin Quenehem
Au fond des puits d'Ougarit, les archéologues ont repêché des objets précieux que l'on pensait perdus à jamais. Des objets qui sont comme des témoins et qui parlent du quotidien, des gestes, des aventures et des mésaventures vécues par ces femmes et ces hommes il y a de cela 3000 ans. Mais Valérie Matoïan, elle, a trouvé autre chose. Une chose en apparence plus modeste, mais porteuse d'un savoir nouveau.
- Valérie Matoïan
On espérait trouver des objets et en fait on a trouvé quelque chose qui est certainement beaucoup plus important puisque beaucoup plus rare parmi les découvertes faites à Ougarit, à savoir que dans le milieu généré par les eaux conservées dans le puits, ce milieu a permis la conservation de bois, de nombreux fragments de bois que nous avons pu extraire en fouillant le puits. puisque nous avons eu la chance de pouvoir fouiller ce puits jusqu'à un petit peu plus de 13 mètres de profondeur.
- Martin Quenehem
En habit de fouille, seulement équipée de bottes en caoutchouc, Valérie Matoïan descend dans les profondeurs d'Ougarit, accrochée à une échelle de spéléologues.
- Valérie Matoïan
La fouille a été compliquée parce qu'il fallait pomper l'eau du puits afin de pouvoir atteindre les terres et les fouiller. Et donc nous avons retrouvé un grand nombre de fragments de bois. Et ce qui a été très intéressant, c'est de faire ce travail en équipe. Des paléobotanistes les ont étudiés, ce qui a permis d'identifier les essences, du chêne à feuilles caduques, du pin noir, du tamaris, de l'olivier. Tout un champ d'informations dont on ne disposait pas jusqu'à présent.
- Martin Quenehem
Le travail de l'archéologue, c'est donc de manier la pioche et le piochon, et de descendre dans des puits sans fond. Mais c'est aussi et toujours contextualiser ces découvertes, afin de les inscrire dans le grand discours historique. Ainsi, les trouvailles de Valérie Matoïan et son équipe à Ras Shamra les guident pour approfondir notre connaissance de la civilisation ougaritique. C'est pourquoi, après être remonté de ce puits vieux de 3000 ans, Valérie Matoïan s'est remise à la tâche, avec en tête d'explorer les différentes facettes de cet élément vital, et non moins insaisissable.
- Valérie Matoïan
Ce qui est intéressant à Ougarit, c'est que les fouilles ont permis de se rendre compte que l'eau est partout. En fait, il faut plutôt parler des eaux, puisqu'il y a les eaux souterraines, les eaux de pluie, les cours d'eau, le rivage. Bien évidemment, l'eau est un enjeu vital pour toutes les sociétés du bassin méditerranéen. Et ce besoin vital, cette importance de l'eau était si présente dans l'esprit des anciens qu'elle transparaît même dans les textes littéraires que l'on a retrouvés à Ougarit. Ce sont des tablettes qui ont été rédigées principalement dans deux langues, dont la langue locale, l'ougaritique, qui est une langue sémitique. Et parmi les tablettes qui ont été retrouvées, il y a un ensemble de textes qui sont des textes à la fois mythologiques et des légendes. "Alors, Danel, l'homme de guérison, prie que les nuages dans la chaleur de la saison que les nuages fassent tomber la pluie d'automne qu'en été la rosée se répande sur les raisins, mais pendant sept ans Baal va faire défaut, il va faire défaut pendant huit ans le chevaucheur des nuées, point de rosée, point d'averse, point de gonflement des abîmes, point d'agréable voix de Baal". Avec ce texte nous retrouvons cette connaissance par les habitants de d'Ougarit de l'irrégularité climatique qui existait déjà à cette période et qui pouvaient fortement influencer la vie des habitants de la région.
- Martin Quenehem
À partir de sa découverte en apparence anodine d'un puits et de sa mise en relation avec des textes trouvés eux aussi sur le terrain, se dessine peu à peu le visage d'une civilisation qui partage avec la nôtre des questions communes, des inquiétudes environnementales. Mais les découvertes de Valérie Matoïan éclairent aussi des différences radicales, et notamment du côté des croyances.
- Valérie Matoïan
Les textes d'Ougarit nous parlent abondamment des divinités, et parmi ces divinités, l'une des divinités les plus importantes du panthéon d'Ougarit est le dieu Haddou, qui porte à Ougarit le nom de Baal, qui signifie « Seigneur » , et qui est le dieu de l'orage, donc la divinité qui apporte les eaux bienfaitrices aux habitants du royaume et de la ville d'Ougarit.
- Martin Quenehem
Suivant le fil de l'eau, tel le fil d'Ariane qui relie ses recherches labyrinthiques, Valérie Matoïan s'est retrouvée entraînée toujours plus loin, jusqu'à faire de nouvelles trouvailles, et jusqu'à rencontrer, elle aussi, au cœur des ruines d'Ougarit, une divinité ancienne.
- Valérie Matoïan
Notre fouille a permis d'engager une autre découverte. Alors en effet, le travail de l'archéologue, il se place sur le terrain, mais il peut se placer aussi dans d'autres lieux, et notamment dans les musées. Et récemment, une étude a été engagée sur le sanctuaire du dieu Baal, sur cette thématique de l'eau, puisque justement Baal est cette divinité. De ce dieu de l'orage qui apporte ces eaux fertilisantes. S'intéresser au temple de Baal donc m'a conduite à réexaminer une stèle qui a été retrouvée à côté de ce sanctuaire qui est conservé aujourd'hui au musée du Louvre et qu'on appelle la stèle du Baal au foudre. Le dieu est représenté avec un bras levé, tenant une massue, et dans l'autre main qui est devant lui, il tient un foudre qui se termine par des ramifications qui peuvent à la fois évoquer les éclairs, puisque Baal est le dieu de l'orage, mais aussi la végétation qui naît justement suite aux pluies bienfaisantes. Et à l'occasion de cette nouvelle recherche, J'ai mené une étude plus approfondie du décor de la stèle, ce qui a permis de découvrir par exemple un détail qui n'avait jamais été noté jusqu'à présent, ce qui est étonnant puisque c'est une stèle qui a été découverte en 1932. La masse d'arme que tient le dieu au-dessus de sa tête est à l'extrémité d'un manche et personne n'avait remarqué que l'extrémité du manche étaient en forme de sabots d'un animal. C'est vraiment une découverte toute récente, et ce qui apporte un élément à la compréhension de cette figure divine de Baal, et à la part d'animalité de cette divinité.
- Martin Quenehem
L'eau, l'homme et l'animal. Valérie Matoïan, notre archéologue à la curiosité insatiable et aux recherches qui, à partir d'un simple puits, courent dans différentes directions, élucident peu à peu les conditions de vie de nos frères et sœurs humains d'hier, comme les ramifications d'un éclair illuminent le ciel.
- Valérie Matoïan
Ce qui me plaît, c'est l'enquête. Quelle qu'elle soit.
- Martin Quenehem
"ARCHÉO, l'archéologie par tous les temps", un podcast écrit et réalisé par Martin Quenehen. Cet épisode est produit par la Mission du patrimoine mondial, de la Direction générale des patrimoines et de l'architecture du ministère de la Culture.