- ArtEcoVert Pauline Leroux
Bonjour et bienvenue dans le podcast ARTECOVERT, le podcast qui vous parle d'art, d'écologie et de verdure. Je suis Pauline Leroux, ingénieure agronome passionnée de plantes, et je vous emmène à la découverte de la couleur végétale et de toutes ses applications. Que ce soit dans le textile, l'ameublement, l'artisanat, la décoration et dans d'autres domaines, chaque jeudi et samedi à 7h30, je vous propose des épisodes riches avec des invités passionnants pour approfondir le sujet de la couleur végétale sur toute la chaîne de valeur. Mon but, fédérer et démocratiser la couleur végétale dans le monde. Alors c'est parti, bonne écoute ! Donc bonjour à tous, je suis ravie d'accueillir sur le podcast ArtEcoVert Anne Varichon. Bonjour Anne.
- Anne Varichon
Bonjour.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Alors après de nombreuses péripéties, on a réussi à enregistrer toutes les deux, donc je suis vraiment ravie de t'avoir. Je sais qu'il y a beaucoup d'auditeurs qui attendent avec impatience ton épisode. Ma première question, c'est est-ce que tu peux te présenter et raconter ton parcours dans la couleur, la couleur végétale, pour nos auditeurs ?
- Anne Varichon
Alors, donc, je suis anthropologue spécialisée dans les matériaux procédés et pensés de la couleur. Et mon parcours… étrangement à commencer par des études de sage-femme, ce qui est peut-être un peu étonnant, mais voilà, parfois la vie nous conduit sur des chemins, et j'avais vraiment cette envie d'être sage-femme. Bon, ça, ce n'est pas vrai, parce que je n'ai jamais été très très forte en concours. Et du coup, j'ai basculé vers l'archéologie islamique, c'est quand même un grand pas, et dans l'archéologie islamique, en fait, ma conduite... à une discipline qu'on appelle l'ethnoarchéologie, qui est une discipline peu connue mais qui est très intéressante parce qu'elle vise à s'inspirer des scénarios vivants dans des communautés, notamment techniques, pour essayer de mieux comprendre des scénarios fossiles qu'on retrouve dans les fouilles. Donc c'est une discipline qui établit ce lien-là temporel qui est très très riche. Et de là, je suis passée à l'anthropologie. Et donc j'ai soutenu un double cursus universitaire. archéologie et anthropologie, qui très très vite m'a amenée à me poser des questions sur la couleur, parce que c'était une dimension qui était sans cesse invoquée, mais qui n'était jamais contextualisée, c'est-à-dire qu'on ne savait pas qui la faisait, avec quoi, comment, pour qui, pourquoi. Et donc j'ai commencé vraiment à être en alerte sur cette question-là. J'ai rapidement fait... pris des responsabilités comme commissaire d'exposition, notamment à l'Institut du monde arabe, au Louvre, au musée du Petit Palais. Et en fait, je faisais dans ce cadre là aussi des terrains ethnographiques. Et donc, j'ai commencé vraiment à être très, très attentive à ce qui se passait autour de la couleur. Et à partir de la fin du milieu des années 80, j'ai commencé à dédier vraiment mes terrains de recherche à la couleur et notamment au Maroc, puisque j'étais Je parlais un peu l'arabe et puis je savais le lire. Et c'est un pays que je connaissais bien, dont je connaissais bien aussi la culture, la culture arabo-islamique qui est très riche en différentes techniques artisanales et artistiques. Donc, je suis un peu partie de là. Et donc, j'ai fait plusieurs terrains au Maroc. Et peu à peu, en fait, j'ai dessiné ce qui s'est avéré être une forme de cartographie d'un impensé. Il y a quelque chose qui est extrêmement présent. dans le discours, dans les écrits, etc., mais qui n'est jamais travaillé en profondeur. Du coup, en fait, j'ai cherché des ouvrages qui répondent à la question que je me posais. Et à cette époque-là, donc fin des années 80 jusqu'au milieu des années 90, il n'y avait pratiquement rien sur la couleur à part des ouvrages d'ésotérisme, ce qui n'était vraiment pas ma tasse jetée. Et je me suis dit, si ce livre n'existe pas, tant pis, je vais l'écrire. Et c'est vraiment quelque chose qui était inscrit en moi, parce que j'ai toujours énormément travaillé la matière. J'ai beaucoup bricolé, j'avais une vieille voiture. À une époque, j'avais une aronde, je réparais mon aronde. C'était assez simple, c'était de la mécanique de base. Je fabriquais des meubles, je manipulais énormément la matière. Et j'ai toujours eu une confiance totale dans ce dialogue qui se lie avec les choses, qui guide le geste en fait. qui donne la bonne procédure. Il suffit de se laisser guider. Et en fait, j'ai abordé la recherche exactement de la même façon. Donc, j'aborde le terrain. Et là, surgit des hypothèses que j'ai retravaillées et construire un peu à peu une recherche. Et dans ce même mouvement, en fait, puisque ce livre n'existait pas, comme si les choses dont j'avais besoin n'existaient pas, tant pis, je les ai fabriquées. Et c'est comme ça que j'ai publié « Couleur » , qui est sorti en 2000, qui a été rapidement traduit en… en anglais, en japonais, en coréen. en espagnol aussi. Et en fait, je me suis retrouvée, pas vraiment, de façon un peu, sans même l'avoir imaginée, spécialiste de la couleur. Et je me suis retrouvée actrice d'une discipline qu'on peut appeler l'anthropologie de la couleur, ce qui est un peu un pléonasme, dans la mesure où, dès qu'il y a... Enfin, l'anthropologie culturelle de la couleur, c'est un peu un pléonasme, parce que dès qu'il y a couleur, il y a culture. et dès qu'il y a culture, il y a couleur. Mais bon, bref, j'ai développé quand même des méthodes spécifiques pour aborder ces terrains. Et donc, j'ai publié plusieurs autres ouvrages, énormément de communications scientifiques. Et puis un jour, je m'étends peut-être un peu trop là, non ? Non,
- ArtEcoVert Pauline Leroux
non, non, au contraire. Vas-y, Anne, c'est hyper passionnant.
- Anne Varichon
Non, et en fait, un jour, j'ai eu le projet de valider une thèse sur publication. C'est une… une possibilité ouverte à des chercheurs qui ont déjà énormément publié, plutôt que d'ouvrir une nouvelle recherche, de reprendre leurs travaux et d'en tirer une sorte de condensé. Donc c'était assez cool, je pouvais boucler le truc en six mois et puis en fait j'ai basculé sur un autre projet qui me tenait à cœur et j'ai décidé de travailler sur l'échantillonnage de la couleur. Donc en 2007 j'ai attaqué ce gros chantier de travailler sur l'échantillonnage de la couleur. et là ils se sont ouverts quatre années de travail acharné. À une époque j'avais des enfants petits où je travaillais énormément, mais bon voilà j'ai fait ça et ça a donné lieu à une thèse de doctorat que j'ai soutenue à Toulouse sur l'échantillonnage de la couleur et les nuanciers. Et il m'a fallu plus de dix ans pour en tirer un ouvrage destiné au grand public. On pourra peut-être y revenir puisque pour moi c'est vraiment presque de l'ordre du militantisme. Et voilà, donc depuis, je continue mes recherches toujours sur ce thème. D'accord. Voilà, en gros. Donc, c'est un parcours, c'est vrai, qui est un petit peu atypique. Bon, voilà. C'est top.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
J'ai plein de questions, du coup. Je vais reprendre du début. Tu t'es posé une question quand tu faisais de l'ethno-archéologie. Pour qui, pourquoi, comment ils faisaient la couleur ? Est-ce que tu peux nous dire un petit peu ? Parce qu'effectivement... À quel moment c'est apparu ? Quelles étaient les couleurs utilisées à l'époque ? Je sais aussi qu'on m'a parlé beaucoup des couleurs minérales qui sont apparues. Est-ce qu'elles sont arrivées avant ? Après, est-ce qu'on sait un petit peu ça ? On m'a parlé que c'était d'abord le minéral, puis on a mis des jus de plantes, puis on s'est rendu compte que les plantes... Qu'est-ce que toi, tu perçois là-dessus ? C'est ton idée, ton ressenti, ton analyse.
- Anne Varichon
En fait, il y a un biais qui est lié à la matérialité de la couleur. La couleur végétale va pouvoir imprégner des bois, des cheveux, des fibres de différentes natures, mais ce sont souvent des matériaux périssables, plus périssables en tout cas que les pigments, qui eux vont pouvoir durer sur des durées extrêmement longues. Je pourrais te dire... je dis de mémoire, je ne voudrais pas dire des bêtises, mais les premières traces d'un contact entre l'embryon d'humanité, on est vraiment très très loin, je crois que c'est il y a plus d'un million d'années, dans les grottes de l'Aube-Doubaille, où on a retrouvé des traces de nos ancêtres, très très lointains, et des traces d'ocre. Voilà, on ne sait absolument pas du tout comment ce lien s'est tissé, mais il y a… La seule chose qu'on peut dire, c'est qu'il y a côtoiement de couleurs et d'embryons d'humanité. Ensuite, à partir, dans les périodes suivantes, et notamment, il y a un site qui s'appelle Rav Sed, en Israël, où on a retrouvé dans le cadre du rite funéraire des sépultures, à partir du moment où les communautés humaines cessent de laisser le mort là où il est tombé, il va y avoir souvent accompagnement. avec des objets, différentes choses. On a retrouvé l'ocre, beaucoup. L'ocre rouge ou du cinâtre, d'ailleurs souvent rouge aussi, des pigments souvent rouges, mais on sait très peu de choses et on ne sait surtout pas s'il n'y avait pas de la fourrure, des herbes, des fleurs, des aliments. On ne retrouve que ce que la nature, que ce que le temps a pu préserver. Donc il y a ce biais qui est très important, qu'il faut prendre en compte. Dire que la teinture végétale est avant ou après la couleur minérale, je pense que j'aurais tendance à dire que... que la teinture végétale quand même, obligeant souvent à des techniques assez abouties, complexes, c'est quand même plus facile de prendre une poignée de sable au creux et d'en frotter une peau ou sa peau que de faire, ne serait-ce que faire bouillir de l'eau, ce n'est pas évident, pour pouvoir faire une décoction des colorants végétaux. Mais là, je dis ça vraiment, c'est une intuition qui n'est absolument pas étayée, que j'aurais quand même tendance à dire que la couleur minérale est plus accessible, parce qu'en plus, elle est visible. La couleur végétale, elle est pratiquement tout le temps cachée. Donc, en se remettant un petit peu dans cette aube de l'humanité, je pense que quand même la couleur minérale a précédé.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
D'accord. mais je ne suis pas du tout préhistorienne non non c'est ton intuition et c'est intéressant d'échanger alors ensuite j'ai parcouru tes livres comme je t'ai dit j'ai pas eu le temps de tout lire mais c'est vraiment mon objectif parce que je suis très très étonnée de tous les pays tous les peuples tous les liens à la couleur que tu as pu faire j'hallucine vraiment je me dis mais combien de vie à Anne en vrai donc ce que je voulais te demander c'est de Donc, ces plantes utilisées, est-ce que ce sont les mêmes qu'aujourd'hui ? Ou est-ce qu'il y a eu des changements, des grandes évolutions ? Ou est-ce qu'en fait, avant, on utilisait finalement les mêmes ressources tinctoriales en termes de plantes qu'aujourd'hui ?
- Anne Varichon
Alors, il faut quand même vraiment que je précise que je ne suis pas du tout spécialiste de teinture végétale. Moi, je suis spécialiste de la couleur, c'est-à-dire que la teinture végétale, j'en identifie vraiment la richesse. en termes de procédés, de techniques, de savoir-faire, de savoir-faire, de la transmission aussi, c'est quelque chose de très très important. Mais ce n'est jamais qu'un moyen parmi d'autres, dans mes recherches, de conférer de la couleur à quelque chose ou à quelqu'un pour délivrer un élément de culture. Et moi, ma recherche, elle porte sur l'élément de culture. Donc, la teinture végétale, il y a des gens qui sont bien bien plus pertinents que moi. Je pense qu'il est difficile d'imaginer qu'il y ait une constante dans l'emploi des teintures végétales parce que le climat change, que ne serait-ce que de passer de la plaine au piémont, on ne va pas du tout avoir les mêmes plantes. Je pense qu'on a repéré des plantes qui donnaient plus de la couleur que d'autres, qui étaient peut-être aussi plus faciles d'accès, mais ça dépend tellement des critères liés au climat, à l'altitude, etc. que je pense qu'il y a eu énormément de modifications au cours des temps, et puis surtout sur l'ensemble de la planète, on a un panorama absolument colossal. Ce qui est, à mon avis, important de comprendre, c'est que partout, dans les contrées les plus dépourvues de ressources, comme par exemple les milieux de l'Arctique, on va avoir quand même recherche de choses qui colorent, ne serait-ce que du sang qui est en ce... En s'occidant, on va laisser une trace marron, donc c'est une couleur qui n'est pas vraiment vive, mais qui est une couleur quand même, une trace. Et partout, partout, je pense qu'il y a eu recherche de couleurs pour signifier, mettre en avant quelqu'un pour le magnifier ou au contraire pour signaler sa position d'exclu dans une communauté. Voilà, donc c'est vraiment le signal majeur qu'utilisent des communautés pour trier les individus.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
C'est ça que j'allais te demander dans ton livre. Donc, j'ai pu le titre où tu parles énormément des hommes et de la couleur. Est-ce que tu peux nous dire, donc là, tu viens un peu de nous titiller en nous disant, voilà, on signifie la place de l'homme dans la communauté. La couleur, elle servait globalement à quoi ? On a, voilà, comme première idée, des rites. des ornements, etc. Est-ce qu'on est dans le juste ou est-ce qu'il y a aussi un biais ? Est-ce qu'on a fait des raccourcis ? Et à quoi sert la couleur pour toi, pour les peuples ? Et est-ce qu'il y a des points communs, en fait ? Est-ce qu'il y a un usage de la couleur commun entre tous les peuples du monde ? Vaste question !
- Anne Varichon
La couleur, c'est une pellicule d'une apparence visuelle qui est apposée sur un bâti. une peau, un tissu, un lieu, pour le mettre en évidence. Cette propriété de ce que j'appelle le signal majeur, c'est un signal majeur parce qu'il est très efficace. Notre système visuel est parfaitement performant pour aller repérer une couleur dans un environnement donné. Donc évidemment, dans un environnement très vert, il y a des couleurs qui vont émerger. Dans un environnement très bleu, ce sont d'autres couleurs. Ça, c'est lié vraiment à la physiologie du système visuel. Mais cette propriété qu'on appelle les propriétés classificatoires de la couleur, a vraisemblablement été repérée très tôt parce qu'elle fait vraiment partie de la substance, des techniques de survie, de pouvoir aller repérer le fruit mûr de celui qui ne l'est pas et à partir de là, établir une catégorie. La framboise est mûre quand elle est rouge, la mûre est mûre quand elle est noire. On va établir comme ça des catégories sur ce que j'appelle le mode de lecture de l'environnement. Mais on peut aussi écrire son environnement. Et là, il y a, je pense, de façon très très très commune, un usage de la couleur, parce qu'on peut y avoir un accès quand même assez aisé, et que ça va permettre d'être un repère très pratique pour signaler la prostituée, pour signaler le fou, pour signaler le chef évidemment, le pauvre, celui qui est étranger, etc. se servir de la couleur pour signifier, pour que dans une foule on puisse repérer du premier coup d'œil comment s'organisent un peu les choses et se mettre en posture de vigilance si c'est l'étranger, parce qu'on sait très bien que l'étranger c'est forcément une menace, ou alors au contraire se mettre en attitude de dévotion face à un personnage important. Mais ça peut être aussi, en Inde les femmes portent ce qu'on appelle le sari debout, les femmes hindoues. Quand elles perdent leur mari, elles arborent à ce moment-là un sari blanc, qui est le sari où il y a eu pendant très très longtemps en Europe occidentale la coutume de porter un brassard noir quand on était en deuil. Et ça veut dire quoi ? À ce moment-là, la couleur a quoi comme rôle ? Elle a le rôle de dire « attention, je suis affligée, je suis… » fragilisé. Et en fait la communauté détectant ce signal va pouvoir jouer son rôle aussi de soutien. On ne va pas s'adresser à quelqu'un qui est manifestement en deuil comme on s'adressera à quelqu'un qui visiblement ne l'est pas. Et donc cet ensemble de signes ténus participent à un fonctionnement de la société et pour reprendre cet exemple du brassard noir ou de la bille de deuil, ça a complètement disparu. Si bien que ce rôle de soutien à la société face à une personne qui est fragile a disparu avec. C'est-à-dire qu'on se retrouve dans la foule, sans que personne ne sache qu'on est triste et qu'on est fragile. Et du coup, ce Ausha ne joue pas.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
C'est ce que j'allais te dire. Je trouve qu'aujourd'hui, la couleur est faite pour se faire remarquer, mais pas forcément signifier quelque chose de particulier. On parle beaucoup de colorimétrie en fonction de tes cheveux, tes trucs, etc. Plus dans l'esthétisme que dans vraiment, comme tu dis, indiquer une difficulté ou une communauté. Tu vois, aujourd'hui, ça n'existe plus vraiment, ça.
- Anne Varichon
Si, ça existe. Tous les mouvements minoritaires vont se saisir de la couleur, en premier, souvent, pour montrer leur différence. Par exemple... les gothiques vont renverser les codes chromatiques habituels pour témoigner du fait qu'ils sont en marge des options classiques mais ce faisant, partageant dans le cadre par exemple de ces communautés gothiques un même code renversé de la pratique des couleurs, ils recréent une communauté en fait. Ils s'affichent comme communauté. On va reconnaître dans la rue des gothiques parce qu'ils partagent tous ce même code. Donc ces codes servent encore énormément mais souvent dans les marges. Bon c'est toute la question aussi du voile islamique qui, je pense que si les voiles que portent les jeunes femmes qui souhaitent se présenter comme adoptant la loi islamique étaient de toutes les couleurs, étaient de couleurs très variées, ça ne serait pas du tout la même chose. Il n'y aurait pas cette réticence. face à ces vêtements. Enfin, voilà, la couleur, elle continue à servir. Et le fait que beaucoup, beaucoup de personnes s'habillent en noir, ce sont aussi des éléments d'information que lit l'anthropologue. Alors qu'on ne lit pas forcément dans la foule, mais actuellement, porter beaucoup de noir, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on préfère ne pas être trop visible, justement. Oui,
- ArtEcoVert Pauline Leroux
ne pas sortir du lot.
- Anne Varichon
Voilà. Il y a une forme de timidité, de crainte. Il y a aussi des questions économiques là-dessous, parce qu'un tissu noir va afficher de façon moins évidente son usure, voire sa salissure, qu'un tissu clair. Donc en fait, il y a des quantités de choses qui sont sous-jacentes à la couleur, qui sont toujours très présentes, je pense, en fonctionnement des sociétés, qui ne sont pas forcément travaillées autrement que par l'anthropologie, mais qui sont pleines d'enseignements. La couleur n'a pas du tout perdu son pouvoir d'expression.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
D'accord, c'est juste que peut-être on n'a plus les clés de lecture aujourd'hui, on les a moins en tout cas. Moi, j'ai un peu, naïvement certainement, mais quand je suis à Lille et qu'il y a du monde, je ne repère pas, à part des gens qui veulent être excentriques et sortir du lot, un vêtement rose ou des paillettes ou des trucs qui t'attrapent l'œil, je ne repère pas forcément en me disant ça c'est un symbole de communauté tiens ça c'est je trouve qu'on a alors où c'est de l'ignorance mais je trouve que les clés de lecture on les a plus trop quoi mais bon c'est oui en fait elles se sont énormément diversifiées donc on peut les identifier voilà avant en gros il y avait des riches qui avaient des couleurs vives
- Anne Varichon
parce que c'est les seules qui pouvaient se payer donc des belles couleurs les pauvres n'étaient pas dans des couleurs beaucoup plus termes donc ça dessinait une stratigraphie sociale de premier coup d'œil Les choses se sont énormément diversifiées, Dieu merci. C'est une question aussi de saison. Les codes chromatiques qui sont en usage dans le sud de la France ne sont pas forcément les mêmes que dans le nord. À l'échelle européenne, ça bouge beaucoup, et à l'échelle mondiale, évidemment. Sauf que quand même, il y a cette espèce de rouleau compresseur de la culture occidentale qui s'impose absolument partout. Et tout ce qui faisait signe avant, de façon extrêmement… cohérentes dans certaines communautés a été complètement laminée, c'est quand même quelque chose d'important.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Alors, je t'amène justement là-dessus, sur les voyages, les voyages, la couleur, je voudrais savoir les voyages qui t'ont le plus inspiré sur la couleur, est-ce que tu peux nous raconter des... des... ouais, voilà, tes premières stupéfactions, des déclics, des choses qui t'ont vraiment interpellé pour nous raconter un petit peu. peu les usages de cette couleur matière dans le monde ?
- Anne Varichon
Là aussi c'est une immense question.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Je pose que des questions dures.
- Anne Varichon
Je pense que forcément les premières grandes révélations ça a été sur mes tout premiers terrains, donc dans des villes marocaines et dans les campagnes aussi marocaines, les montagnes, où je suis donc allée travailler. dans des ateliers qui pratiquaient de la teinture naturelle, où là, j'ai vraiment touché du doigt les matériaux, les gestes, la température, les modes de conservation des produits, qui faisaient aussi qu'elles étaient, les personnes, souvent beaucoup de femmes. Ça, j'aimerais bien y revenir, ou j'y reviens même tout de suite, parce que pour moi, c'est important. C'est que, après, tu me fais penser à revenir. Quand je parlais tout à l'heure un peu d'une obligation, pour moi, le fait de transmettre des recherches au plus grand nombre, je disais que c'était un acte presque militant, c'est quelque chose qui me semble absolument fondamental pour la démocratie, que le discours universitaire ne reste pas cantonné à l'université. Je voudrais quand même souligner le fait que de mettre... à disposition de non-spécialistes des recherches, c'est extrêmement compliqué. C'est un travail qui se rajoute au premier travail de recherche. C'est-à-dire qu'il va falloir éliminer tous les termes abscons.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Oui, vulgariser pour le public.
- Anne Varichon
Ce terme de vulgariser, moi, je ne l'emploie pas parce que je le trouve dégradant. Moi, je parle de valoriser. Beaucoup de gens parlent de la valorisation de la recherche. Ce n'est pas du tout moi qui ai créé le terme. Je préfère ce terme-là. je presque envie de dire démocratisation de la recherche. Mais c'est vrai que quand on est universitaire, on va très vite employer des quantités de termes qui nous semblent tomber sous le sens, mais qui sont absolument incompréhensibles. Donc tout ce travail de trouver, et ils existent, des termes plus simples, de développer surtout sa pensée, c'est-à-dire de donner des clés de compréhension et de rendre accessible le chemin qui a permis d'arriver à la conclusion. C'est un boulot de dingue ça. Mais c'est un travail qui me semble extrêmement important parce qu'ainsi on donne à ceux qui vont accéder à ces écrits la possibilité de détricoter le raisonnement et éventuellement de s'opposer à ce raisonnement et d'en inventer d'autres. Donc tout ça, c'est vraiment très très important. C'est vraiment pour moi un acte militant, un acte fondamentalement démocratique. Et puis, il y a la question des femmes. Alors, la question des femmes, elle est très importante pour moi. La couleur a été considérée comme quelque chose de mineur dans notre culture pendant très très longtemps, voire de suspect. David Bachelot en parle très bien et d'autres auteurs. les petits métiers qui pratiquent la couleur, on en a souvent méprisé les talents, les connaissances, les savoir-faire. En plus, il y a souvent des figures d'hommes qui vont aller cacher celles des femmes. Donc les femmes, comme dans beaucoup de domaines, ont été complètement invisibilisées. Or ce sont de toute évidence elles qui ont détenu pendant… des siècles et des siècles, la science des plantes qui soignent et donc de celles qui teignent, puisque souvent ça allait ensemble, de celles qui tuent aussi d'ailleurs. Et il y a ce terme qui est très beau, qui a été mis en avant par les féministes depuis une bonne quinzaine d'années maintenant, qui est celui de matrimoine, qui est l'équivalent du patrimoine, qui est un terme qui existait au Moyen-Âge et qui définissait tout simplement ce qui est apporté par la lignée maternelle. Moi, je l'utilise énormément, ce terme de matrimoine. parce que je pense qu'il faut absolument, là aussi, aller rechercher la trace des femmes. Et c'est vraiment un travail de dingue parce qu'il y a très, très peu d'archives sur les petits métiers. Enfin, ce qu'on appelait les petits métiers, évidemment, ce n'est pas quelque chose que je reprends à mon compte. Donc, on ne peut que deviner la trace des femmes, du labeur de ces femmes qui ont été des maîtresses de la couleur partout. Alors, c'est un peu plus facile. dans des contrées lointaines, au Laos par exemple, j'ai travaillé avec des communautés monges sur la province de Ponchali, sur le travail de l'indigo, où elles étaient très présentes. Il y a une référence bibliographique que j'avais mise quelque part, qui m'a vraiment ouvert les yeux quand on parle de… tout à l'heure tu me demandais ce qui m'avait un peu guidée, il y a une chercheuse américaine qui s'appelle Janet… Hoskins, ça s'écrit H-O-S-K-I-N-S, qui a publié dans les années 80, en 89, un article sur le travail des femmes dans l'île de Sumba en Indonésie, qui travaille de l'indigo. Et vraiment, ça fait partie des lectures qui m'ont complètement éblouie, où vraiment j'ai vu ces femmes au travail. Moi, je les avais vues dans les ateliers, pas tellement au Maroc, mais ailleurs. Et donc vraiment je pense que ces deux démarches de valorisation de la recherche et d'être attentive à celles qui ont été cachées vont un peu de pair. Alors pour revenir à la question du voyage, c'était ça en fait. Oui donc je te disais les ateliers au Maroc, après c'est vrai qu'il faut aller chercher, il a fallu aller chercher vraiment dans des contrées lointaines et des communautés minoritaires. des pratiques de teinture végétale. Je l'ai fait au Sénégal, au Laos, je le disais. Je l'ai fait beaucoup en Inde aussi. Mais je suis aussi allée beaucoup dans des manufactures qui utilisent des pigments de synthèse. Parce que c'est important de savoir comment se sont transformées les choses. Il y a beaucoup aussi à dire sur ces ateliers. Ce n'est pas le côté... peut-être poétique, qui est présent dans la teinture végétale, et organique, qui est très intéressant, mais il y a aussi beaucoup à dire sur ces ateliers qui pratiquent les couleurs de synthèse, désormais absolument sur toute la planète. En fait, je le dis souvent quand j'interviens auprès de publics, mais je crois qu'on ne se rend pas compte du massacre total qui a été fait des anciens savoir-faire. Et ce n'est pas du tout une attitude rétrograde, vraiment je ne voudrais pas du tout…
- ArtEcoVert Pauline Leroux
que l'on m'associe à ça. Il y avait un patrimoine considérable des savoirs de la couleur. Ce sont des patrimoines qui se sont construits pendant des millénaires, souvent sans support écrit. Donc il y avait une transmission orale, ce qui est un art en soi aussi, une excellence en soi. Et ces immenses corpus de connaissances qui ne se sont pas du tout élaborées par hasard, on dit souvent que c'est complètement idiot. Il a fallu des siècles et des siècles d'expérience, de tâtonnement pour comprendre que pour l'indigo, il fallait recourir à des bactéries. Et ça, en fait, dès le néolithique quand même. Parce que c'est dingue, quoi. Donc, ce patrimoine a survécu jusqu'à la… et s'est déployé jusqu'à… Des pertes, évidemment, mais bon. Jusqu'à l'émergence de la société industrielle. Et en quelques décennies, tous les savoir-faire européens ont été complètement laminés. Et ensuite, ça s'est étendu à l'ensemble de la planète. puisque l'Europe et les États-Unis ont déversé sur tous les pays, notamment les colonies, leurs produits de synthèse. Et comme c'est beaucoup plus facile, beaucoup plus gratifiant, beaucoup plus économique, beaucoup moins fatigant, beaucoup moins risqué aussi, je veux dire, la couleur de synthèse, c'est quelque chose de génial. Évidemment, la couleur naturelle n'avait absolument aucune possibilité de résister à ça, et ont sombré en même temps que ces connaissances, en fait. enfin que ces savoir-faire, un corpus de connaissances, un matrimoine notamment, colossal, et qui ne survit que dans quelques toutes petites bulles maintenant.
- Anne Varichon
Je nuancerais juste, Anne, sur quand tu dis moins toxique ou moins… Je ne sais plus le mot que tu as employé, mais en gros, aujourd'hui, ce qui fait que les gens se repenchent sur la couleur végétale, c'est justement… plus d'inocuité, moins d'allergie, moins de problèmes de santé, moins de cancer. On recevait Audrey Millet, qui est une chercheuse du CNRS, qui a écrit le livre noir de la mode. Ce livre, il m'a glacée. D'apprendre que tu as des fœtus qui sont colorés parce que tu as porté un vêtement vert toute ta grossesse ou des trucs complètement fous, moi, franchement, ça m'a sidérée. Dans toutes les personnes que j'interview, il y a exactement ce que tu dis, c'est-à-dire vraiment le... Quel dommage d'avoir tout perdu, ou presque. Et il y a aussi un retour par rapport à des problèmes de santé. En fait, là, il y a des convictions personnelles. La place de la femme, franchement, ça se voit dans les épisodes de podcast. J'ai, allez, 80%, 85% de femmes.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Mais ça, c'est culturel.
- Anne Varichon
Oui, mais tu vois, même... Oui, peut-être, mais voilà. Moi, je voulais juste nuancer ça sur l'aspect santé, qui est... Pour moi, là, aujourd'hui, une des raisons qui va sûrement faire bouger les entreprises.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Je suis vraiment d'accord avec toi, mais il ne faut pas oublier quand même que la couleur naturelle, c'est un boulot de dingue. C'est aller, pour les minéraux, dans des mines, prendre le danger d'être étouffé dedans. Ce qui est naturel peut être extrêmement toxique. Le cinam, l'empiment, tous ces pigments-là sont tués. Tuais beaucoup de personnes qui allaient les chercher dans les gisements et qui les utilisaient, les peintres. Cennino Cellini, qui a écrit un traité sur les peintres au XVIe siècle, je crois, en Italie, il attire très bien l'attention. C'est connu depuis très longtemps, vu qu'il y avait des pigments toxiques. Et la couleur naturelle, c'est aussi pouvoir s'ébouillanter. Ça peut être…
- Anne Varichon
Nacer des produits toxiques.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Voilà, c'est ça. Bien sûr, je pense qu'au final, la couleur naturelle… est meilleure pour l'environnement, bien sûr, que la couleur de sa tête. Mais il y a eu aussi des déboisements de contrées qui ont été faits pour la couleur naturelle, pour planter des espèces qui étaient particulièrement productives. Je pense qu'il faut vraiment regarder qu'après... Comment se font les choses et être attentif et attentive aux effets pervers aussi de la couleur végétale. T'as raison. Mais vraiment... concernant le feu. Là, ce matin, j'écoutais à la radio, on est absolument truffés de ces polluants éternels. C'est très, très effrayant. Oui,
- Anne Varichon
il y en a partout. Tout le monde en a. Il y en a partout,
- ArtEcoVert Pauline Leroux
voilà. C'est ça, on en a dans le sang. Bon, ce n'est pas forcément lié à la couleur, mais apparemment, ils sont présents aussi dans les cosmétiques. Donc, les dégâts que la couleur de synthèse a fait sont majeurs. C'est très net.
- Anne Varichon
Et en fait, je suis… Je suis… t'as raison de... En fait, on va se faire deux secondes l'avocat du diable. Moi, je dis pas qu'il faut... arrêter totalement les couleurs de synthèse parce qu'ils font énormément d'efforts. Là, j'ai eu des industriels en Angleterre, etc. Ils font énormément d'efforts pour rendre plus clean tout ça. Il ne faut pas dire industrie pourrie, courant de synthèse. Mais tu as raison de rappeler aussi que la couleur végétale, et on a eu une invitée, Azéret Robles, qui est franco-mexicaine, qui expliquait le déboisement sur le bois de campèche, comme tu dis, le pillage des ressources. Michel Garcia dans ses formations, il nous raconte aussi que pour le Kermès,
- ArtEcoVert Pauline Leroux
la Gopny, tout ça,
- Anne Varichon
ça a été un carnage. Il y a beaucoup de personnes qui me demandent, je te le dis, mais je ne sais pas quel acteur pourrait m'aider. Il y a beaucoup de personnes qui me disent aussi, attention, derrière la couleur végétale, il y a eu tout ce qui était esclavagisme, la traite des Noirs, etc. Et il y a beaucoup de personnes, surtout dans les dom-toms, qui me disent, Pauline, trouve un acteur pour qu'on en parle.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Oui, alors TomTom, oui. Moi, je sais que j'avais pas mal travaillé sur les indigoteries en Inde. Mais oui, effectivement, les champs de coton, tout ça, ce n'est pas lié à la nature végétale, mais ça va passer par la nature végétale à un moment donné. L'économie du textile a été portée par l'esclavagisme pendant des siècles.
- Anne Varichon
Donc, en tout cas, on rappelle bien que ce n'est pas tout noir, tout blanc. C'est le cas de l'île.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Voilà, c'est ça.
- Anne Varichon
Vraiment, les deux ont des avantages, les deux ont des histoires et les deux ont des zones d'ombre qu'il faut mettre en avant. Et je te dis, je lance l'appel aujourd'hui, s'il y a quelqu'un qui s'est intéressé à cette histoire d'esclavagisme de lien, j'ai du mal à le dire, de lien avec la couleur, on prend complètement. Du coup, dans ces voyages inspirants, est-ce que tu as fait le tour un petit peu ? Attends, je vais attendre deux secondes. J'ai un petit bruit de machine. Est-ce que tu as fait le tour de tes voyages, de tes premiers liens couleur-matière qui t'ont interpellée ou que tu as envie de partager aux auditeurs ?
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Je pense que pour expliquer les choses un peu simplement, parce qu'en fait, ce n'est pas très compliqué, conférer de la couleur à un textile, puisque c'est quand même ce domaine-là qui… qui intéresse plus particulièrement à Récovert. On le sait, c'est un travail colossal. Ce sont des matériaux onéreux, donc forcément, on ne l'appliquait pas sur des textiles de basse qualité. Il y avait une cohérence qui était liée au fait qu'une belle couleur était mise sur un beau produit. Et après, il y avait forcément un beau travail de coupe, un beau travail de finition. Donc à la fin, on arrive forcément à un beau produit. Pourquoi je te disais ça ?
- Anne Varichon
Le lien couleur-matière et les voyages.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Voilà, donc ce lien, enfin, voyages, on verra. Mais ce lien déjà entre une belle couleur et une belle matière, il tombe sous le sens. Ce sens-là, c'est complètement dissous depuis la couleur de synthèse. On peut avoir, d'abord, on a beaucoup de textiles qui sont foncièrement laids. notamment dans les acryliques qui ne sont pas agréables et tout. Et puis, les couleurs sont fournies par l'industrie de la mode la plus…
- Anne Varichon
Oui, fast fashion,
- ArtEcoVert Pauline Leroux
bas de gamme. Oui, voilà, c'est ça. C'est souvent des couleurs extrêmement moches, extrêmement ternes, extrêmement inertes. Là, maintenant, s'ajoute, je vais peut-être un peu trop vite, mais s'ajoute le fait d'une autre dimension à cette couleur végétale dans le monde actuel. D'une part, la multiplication de… d'acteurs en France et en Europe qui se sont saisis cette question de la couleur végétale et qui commencent à la travailler, à se faire connaître. Donc on n'est plus obligé de passer par des voyages lointains pour rencontrer ces pratiques-là et ces produits-là. Et en plus, leurs pratiques se doublent d'une prise en compte des questions environnementales, mais aussi éthiques, c'est-à-dire prendre soin de ceux qui façonnent ces couleurs-là. Donc il y a quelque chose, on avait un produit qui était déjà beau avec la couleur végétale, La couleur végétale moderne, actuelle, elle est en plus un produit bon, un produit intelligent, un produit vertueux. En tout cas, on l'espère.
- Anne Varichon
Pour rebondir sur ce que tu dis, je crois que c'était Clément Bautier qui disait, pour avoir une belle teinture végétale, il faut une belle matière. Et plus la matière est de qualité, plus la couleur est flamboyante. Et pour rebondir sur ce que tu dis, avec les projets plus éthiques, plus environnementaux, etc., j'ai énormément d'échanges. sur comment réduire les températures pour l'extraction de l'indigo, comment travailler des filières locales avec la laine qui est élevée, on va dire juste à côté, comment valoriser les plantes locales.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Alors, un des traits, une des personnes phares en fait de cette démarche-là, c'est comme Alexandrine Rosier, qui est donc teinturière et qui exerce à Montpellier et qui a une démarche d'une cohérence absolue dans ses gestes, dans ses choix, et qui en plus est capable de fournir des gammes de couleurs absolument splendides. Donc vraiment, c'est vraiment pour moi une référence dans le monde de la couleur végétale, que le travail de Sandrine Rosier, ce sont des travaux vraiment. particulièrement intelligents comme Sandrine, comme Dominique Cardon sur un autre côté, mais de recherche particulièrement intelligente.
- Anne Varichon
Donc, je rappelle et je rebondis, je pense de mémoire que c'est l'épisode 64 de Sandrine Rosier et le 65 de Sandrine Rosier et Dominique Cardon. Donc, j'espère que je ne me trompe pas, mais en tout cas, oui, tu as raison de le souligner. Il y a des gens qui sont, dans ces démarches-là, initiateurs, enfin, passeur de savoir, etc. Mais je suis d'accord avec toi en ce moment. C'est vraiment ce qui est en train de sortir. C'est vraiment des projets réfléchis du champ à la couleur.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Du cradle to cradle.
- Anne Varichon
C'est ça, carrément. Alors, tu disais, la teinture, c'est ce qui intéresse le plus les auditeurs du podcast. Pas forcément, parce que en fait, moi, la singularité, c'est de prendre la couleur végétale au sens large et dans les différents domaines d'application. Est-ce que tu as aussi des éléments sur, par exemple, le... Le lien couleur-matière dans les cosmétiques, la coloration capillaire, dans le bâtiment, dans d'autres usages que la teinture, est-ce que tu as eu vent ou une sensibilité là-dessus, entre matière et couleur, dans d'autres domaines ?
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Bon, je pense quand même qu'il y a une partie des populations des pays nantis qui... qui sont conscientes qu'on atteint les limites d'un système et qu'en plus la surconsommation finit par étouffer complètement. Donc ces personnes-là vont aller chercher une couleur plus signifiante, plus cohérente avec une pensée notamment écologique et vont s'intéresser à la chaux, à des teintures capillaires, végétales. à cette espèce d'attention portée à l'environnement et à eux-mêmes qui va les conduire vers des choses plus naturelles. Je pense qu'il ne faut pas se leurrer. Je crois que les délices de la surconsommation sont quand même extrêmement enivrants et que la lutte va être rude. Mais je pense quand même qu'on est sur cette voie-là pour une minorité. Il y a énormément de gens qui sont dans des telles galères au quotidien. qu'ils n'ont tout simplement pas le choix. Et puis il y a aussi toute cette question de l'oubli. La richesse chromatique que donnent les couleurs naturelles, que ce soit en minéraux ou en végétaux, elle vient du fait qu'il n'y a pas la normalisation qu'appliquent les procédés industriels. Donc il y a une richesse qui est présente dans la couleur. On le voit très bien avec la couleur végétale, l'anigo par exemple, il n'y a pas que du bleu évidemment dedans. Donc cette richesse-là, on a très peu l'occasion désormais de la voir. à moi d'aller sur des sites. On n'a plus cette formation, on n'a plus d'éléments de comparaison, très peu de personnes les ont. Et puis aussi, il y a une méconnaissance de l'aventure de la couleur. Elle est très peu connue, en fait. C'est pour ça que moi, je diffuse énormément auprès de quantités de public pour leur dire, mais la couleur, ça n'a pas toujours été juste acheter un tube de gouache ou un... ou même de la teinture d'ilon. Il y a eu toute une histoire très, très longue et très, très riche. Et cette histoire, il faut la... Et c'est pour ça que moi, j'écris beaucoup. pour le plus grand nombre. Et pour le Maroc, j'ai pensé, je crois que je ne l'ai pas dit, donc moi j'ai fait des terrains ethnographiques au Maroc sur une vingtaine d'années. J'ai vu disparaître, donc sous mes yeux peu à peu, tous ces procédés liés aux connaissances des teintures végétales et j'ai vu apparaître un discours qui était intelligemment élaboré à destination des touristes disant par exemple dans ce tapis le vert est issu de la menthe, le rouge du coquelicot. C'est vachement touchant. C'est-à-dire que les personnes qui ont perdu ce trésor, elles savent qu'elles l'ont perdu. Et donc, le réactif auprès d'acheteurs, qui sont en général des touristes, qui eux-mêmes sont à la recherche de ça. Donc, peu importe que ça ne soit pas exact. Exact. Ce qui est important, c'est qu'il y ait des acteurs qui sont… qui sont dans la conscience d'avoir perdu un trésor, et des acheteurs qui sont à la recherche aussi de ce trésor. Et je pense que même si c'est très onirique, c'est un peu… un peu un fantasme en fait c'est inventer un peu une histoire peu importe,
- Anne Varichon
ce qui est important c'est qu'il y ait quand même ces dynamiques là à l'oeuvre tu vois c'est ce que j'essaye de faire avec le podcast depuis deux ans c'est à dire qu'à 35 ans se rendre compte alors qu'on adore les plantes découvrir comme ça qu'elles donnent de la couleur je me suis sentie tellement bête et je me suis dit mais je ne dois pas être la seule et c'est pour ça que le podcast il s'est lancé et l'idée c'est vraiment de donner la parole à tous ces gens qui sont encore là qui peuvent encore témoigner, raconter leur voyage, comment c'était, etc. Et je l'avoue quand même, je trouve que les gens sont de plus en plus flémards de lire des ouvrages, de lire des gros bouquins, etc. Et l'audio, pour moi, c'est encore une fois une manière de transmettre. Mais comme tu dis, attention, l'audio, les transmissions orales, ça peut disparaître. Donc voilà, il y a ça aussi, mais en tout cas, c'est la même volonté, tu vois, de... de démocratiser le sujet, de donner la parole aux gens qui le vivent depuis des années et qui peuvent raconter tout ça. Du coup, je ne sais plus où on en était, mais c'est passionnant. Les voyages, je pense que tu avais tout dit.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Alors, les voyages, alors, en fait, lors de mon premier terrain en Inde, tout le monde m'avait dit tu vas voir les couleurs et tout. Et ce qui m'a le plus marquée, je pense, ce n'est pas du tout les couleurs, c'est le mouvement. complètement se tromper, fantasmer aussi des choses. Le mouvement, en fait, m'a beaucoup plus marquée que le mouvement des gens dans les rues. La façon dont ils ont une capacité à être extrêmement nombreux dans des lieux et à ne jamais se heurter. Alors que vous voir Saint-Michel un samedi après-midi ou dans d'autres zones, on est dans une espèce de démarche par à-coups qui est très fatigante et pénible. Et dans les contrées, notamment en Inde, où il y a beaucoup... couches, les populations, il y a une forme de mouvement du bassin, je ne sais pas, quelque chose de très très fluide qui fait que c'est très liquide en fait. Et ça, ça m'a plus marquée, je pense encore que les couleurs, mais bien sûr, j'ai adoré travailler en Inde et je retournerai. Autre chose aussi, c'est que je me suis rendue compte que je passais plus de temps dans les ateliers quand ils formulaient des couleurs qui me plaisaient. Et ça, c'est vraiment un péril qui guette tous les anthropologues. Ça porte même… Il y a des méthodes qui ont été développées pour ça. Ça s'appelle une attention à la réflexivité. C'est-à-dire qu'à un moment donné, on doit toujours revenir au fait qu'on est soi-même acteur de sa propre recherche. C'est-à-dire qu'on est piégé par des habitudes, des goûts, des dégoûts. Et cette réflexivité, quand on travaille sur les couleurs, elle est extrêmement importante à avoir en tête parce qu'on est… on est dans des face aux couleurs un peu comme par rapport aux aliments on a des choses qui sont très très profondément ancrées qui sont très souvent inconscientes donc on n'a pas très peu de prise dessus et donc moi j'ai fait énormément de boulot là-dessus en me disant tout le temps attention là ça fait deux jours que je suis sur cet atelier là où il se passe beaucoup moins de choses que dans l'atelier d'à côté et
- Anne Varichon
d'aller d'être attentive à tout ça c'est dans les livres de Michel Pastoureau où j'ai entendu ce biais là dans être attiré la recherche par la couleur il y a des biais aussi pour les chercheurs et donc il disait rester au protocole à la méthodologie etc se rattacher et c'est intéressant que tu en parles parce que ça m'avait surpris dans ses livres donc l'Inde est-ce que tu as aussi été voir les Etats-Unis les Amériques etc non c'est pas un territoire que tu es allée forcément si je suis allée un petit peu
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Je ne peux pas vraiment qualifier ça de véritable recherche de terrain. Dès que je me déplace,
- Anne Varichon
de toute façon,
- ArtEcoVert Pauline Leroux
je regarde, je prends des notes, je fais des croquis, je fais des relevés chromatiques. Forcément, je vais observer au maximum, mais les vrais terrains, je les ai surtout faits dans les pays que j'ai cités. C'est quand même des gros, gros boulots de mettre en place une recherche comme ça. Si à un moment on parle du statut de chercheur indépendant, je pense qu'il faudra que je pense à certaines choses.
- Anne Varichon
C'est une question que je voulais te poser. J'avais une dernière question sur les peintures faciales. Dans ton livre, on en voit beaucoup, des couleurs différentes, des rituels. Est-ce que tu veux nous en dire un petit mot sur à quoi ça servait ? donc on a parlé identifier les individus dans une communauté mais ça avait aussi d'autres rôles ou des fois même le médical venait s'insérer est-ce que tu peux nous dire quelques mots là-dessus est-ce que je trouve ça passionnant cette bah ça aussi on l'a perdu tu
- ArtEcoVert Pauline Leroux
vois non pas tant que ça ah bon tu vois bah justement vas-y C'est un aspect que j'ai traité dans le corps des peuples, dans un de mes ouvrages.
- Anne Varichon
C'est celui-là que j'ai. Oui.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Moins dans couleur, le pigment est à tourner dans les mains des peuples, mais mettre de la couleur sur son visage, effectivement, quand elle n'est pas pérenne, quand ce n'est pas un tatouage, c'est de signaler un moment. En Inde par exemple, dans les populations hindoues, on va mettre au moment du mariage, il y a une cérémonie qui est liée au curcuma, qui est une épice mais qui est aussi un colorant. Dans la majorité des cas, ces pratiques vont aller chercher parmi tous les colorants jaunes par exemple, celui dont on sait qu'il ne va pas mettre en danger le corps. Et on sait maintenant que le curcuma a des propriétés anti-inflammatoires, je crois, enfin anti-oxydantes, je ne sais plus. Effectivement, c'est assez attesté. Ce qui est assez frappant, c'est qu'en Occident, par contre, depuis l'Antiquité, on a beaucoup utilisé, pour des raisons esthétiques, le blanc de plomb, qui est de la céruse, qui était extrêmement toxique parce que… En fait, on le posait sur la peau, ça créait des petites sélucérations qu'on cachait en remettant une couche de plus de cirrhuse. Et comme la peau était ouverte ou fragilisée, ça rentrait plus facilement dans l'organisme. En fait, on savait très bien que c'était extrêmement toxique, mais la coutume s'est perpétuée très très longtemps. Donc, il peut y avoir un usage délétère de la couleur dans un but esthétique. En général, quand c'est un but rituel, la couleur vient soutenir le principe vital. Et quand il y a initiation avec une atteinte au corps, comme l'excision, la circoncision ou d'autres choses comme ça, il y a souvent apposition de colorants ou de pigments couches sur le corps au moment où celui-ci perd du sang, donc est fragilisé. c'est encore valable un peu aujourd'hui quand j'étais enfant il y avait le mercurochrome le mercurochrome c'est pas un très bon désinfectant mais de courir se faire soigner son genou et de repartir avec une trace rouge disant qu'on a été soigné donc on est en sécurité et c'est pas rien si c'est rouge les osines c'est un peu pareil mais un... les produits désinfectants qui sont transparents ne gardent pas le souvenir du soin, la trace. Donc je pense qu'on est toujours agi par des choses extrêmement archaïques, et moi je trouve ça assez touchant de voir qu'on n'est pas tellement différentes sur plein d'aspects. D'une part que l'humanité se distingue par des différences vraiment minimes entre populations. Et là, il y a évidemment tout un discours politique qui vise à mettre en évidence ces minuscules différences, proposer les cultures les unes aux autres, mais en fait on est tous dans les mêmes préoccupations, tous agis par les mêmes besoins et désirs. Et c'est pareil pour la couleur, je pense que vraiment il y a une forme de communauté globale qui nous ramène à quelque chose de très…
- Anne Varichon
Universel.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Universel et je n'ignore pas du tout évidemment les différences culturelles, je suis pas mal passée pour le faire, mais il y a quand même ces fondamentaux qu'on a tendance, que le discours politique a tendance à gommer pour des raisons justement politiques et de monter un peu les populations contre l'étranger, alors que l'étranger c'est vraiment notre richesse absolue. C'est celle qui va amener de la nouveauté, c'est celle qui va amener à penser les choses avec un petit décalage. Et là, je viens de terminer une résidence artistique avec un groupe. C'est un projet qui a été construit avec Passeurs d'œuvres contemporaines, qui est une association qui est due à Emmanuel Guéry, qui vise à mettre en contact des publics qui n'ont pas toujours un accès facile à la culture. Et donc là, avec Emmanuel, j'ai construit une déambulation dans la couleur naturelle, donc pigments et colorants. en profitant des richesses de la galerie, et on a amené des groupes de gens qui venaient des centres sociaux de CET, mais aussi des CADA, les centres d'accueil des demandeurs d'asile. Et donc, on se retrouvait à pratiquer des cueillettes raisonnées, petites évidemment, dans la garrigue, à travailler aussi sur des pigments naturels. Et chacun amenait sa richesse. Les anciens, c'est toi, tiens, mets-moi. Et il y avait aussi des gens qui venaient d'Ukraine, d'Afghanistan, du Bénin, tout ça. Et tous ces gestes rassemblés, on décuplait la propriété colorante de ces différents matériaux par des pratiques venues de quantités de couleurs. contrées différentes. Et vraiment, ça a été un super... Ça a été trois mois de travail vraiment très, très joyeux.
- Anne Varichon
Je voudrais te poser des questions sur... Donc, on a parlé des chercheurs, de rendre accessibles vos travaux de recherche pour le plus grand nombre. C'est quelque chose que j'essaye de mettre en avant. Tu vois, je passe souvent le micro à des chercheurs, des chimistes. des phytochimistes, etc., pour qui, justement, ils valorisent leur travail de thèse. Il y aura d'ailleurs le numéro 2 du magazine Couleur Végétale qui sera dédié à ces chercheurs et à leur... Donc, je ne vais pas dire vulgariser, mais à valoriser leur travail. Est-ce que tu peux nous parler, en quelques mots, de ce que c'est le rôle de chercheur indépendant ? Quels sont le quotidien, les difficultés, les choses super canons, parce qu'il n'y a pas que du négatif ? dans une situation ? Est-ce que tu peux nous raconter un peu ton retour d'expérience ?
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Je pense qu'on ne s'invente pas indépendant non plus. Je pense qu'on peut y être poussé, mais il vaut mieux peut-être y être un peu conduit par sa propre nature. Moi, je sais que j'ai toujours eu beaucoup de mal à être à l'aise dans des structures. Même mon bac, je l'ai passé en travailleur indépendant. En candidat indépendant, j'ai fait toutes mes études en travaillant, donc j'ai toujours été un peu en marge des structures, quelles qu'elles soient en fait. J'étais beaucoup plus sur mes terrains de recherche. Et alors l'indépendance, c'est pouvoir poursuivre un projet qui nous tient à cœur et qui peut être laissé le monde universitaire perplexe, voire carrément opposé. Je sais que moi, à plusieurs reprises, j'ai proposé des projets de recherche qui me tenaient à cœur lors de mes études, ce double cursus que j'avais fait. Ça ne suscitait vraiment pas l'enthousiasme, mais à un moment, j'ai pris la tangente. Et donc, je suis devenue chercheure indépendante, ce qui est absolument génial, franchement, parce qu'en fait, on est immergé dans sa recherche. On peut créer ce couple entre un terrain, il y a une liberté vraiment très grande. Je pense aussi qu'en étant chercheur indépendant, on est peu distrait de sa recherche par d'autres considérations. Je pense qu'il y a quand même pas mal de périls, il faut vraiment être honnête. Je parle notamment pour les jeunes générations, je crois qu'il y a vraiment plusieurs points de vigilance à garder en tête. D'une part, financer ces terrains. c'est très compliqué, c'est très coûteux quand on part plusieurs mois ou quand on travaille plusieurs dédits, plusieurs mois de sa vie, plusieurs années, voire à travailler sur un sujet. C'est un temps absolument colossal et un investissement financier colossal. Et il est très compliqué d'instaurer une économie, un équilibre économique entre ce qu'on peut tirer de sa recherche, par des droits d'auteur notamment, et ce que ça coûte. Donc vraiment, c'est… C'est difficile, franchement, je ne cacherai pas ça. C'est vraiment de l'ordre du sacrifice, en fait, presque. C'est un choix à faire, mais il faut être conscient du fait que c'est compliqué. Il faut toujours aussi garder un lien avec le monde scientifique. Je pense que c'est être en contact avec ses pairs. Ça évite aussi de partir comme une fusée sur des... Une idée que l'on a, qui peut être géniale, une intuition, mais je pense que se frotter régulièrement au monde scientifique, ça permet de remettre un peu les choses en place, de se dire « attends, j'ai oublié ça, non mais c'est vrai que là, c'est pas terrible » . C'est quand même une confrontation qui, à mon avis, est garante de la qualité des écrits. Et puis, il faut être très lucide sur les contraintes de ce que c'est qu'être indépendant. Il faut être spécialiste de financier, administratif. C'est vraiment... Enfin, je sais que moi, quand j'ai commencé à être indépendante, il y a une vingtaine, trentaine d'années maintenant, je consacrais environ une journée par semaine à ces tâches-là, subalternes. Maintenant, j'arrive difficilement à les limiter à deux, voire trois jours. C'est compliqué. C'est... Pas rigolo. On est souvent en situation d'échec parce que les choses bougent tout le temps. C'est très difficile de se tenir toujours au fait de la législation de quantité de choses qui nous reviennent ensuite en pleine face. Et puis surtout, on n'a absolument aucune sécurité. Donc, sachez-le. Si vous voulez vous mettre en indépendant, ne soyez jamais malade, n'ayez pas d'enfants. Ayez une énergie de fou. Et... Prévoyez-vous un petit nid pour les dents ? Voilà, parce que, franchement, je pense que c'est assez particulier à la France, mais les chercheurs indépendants ne méritent pas du tout, n'ont pas du tout les égards et le respect auquel ils ont droit par la qualité souvent de leurs travaux. Ils sont souvent plus originaux. que les travaux qui sont réalisés au cœur d'institutions.
- Anne Varichon
Et pour toi, Anne, qu'est-ce qu'on peut faire, qu'est-ce qu'on pourrait faire justement pour que ça, ça change ? Est-ce que c'est associer des chercheurs à des médias ? Est-ce que c'est pour que les chercheurs soient rémunérés par… Tu vois, par exemple, j'ai échangé avec une chercheuse en Nouvelle-Calédonie et elle me dit que le seul moyen pour un chercheur indépendant… C'est exactement ce que tu dis, c'est des droits d'auteur, et même, ça ne garantit pas de vivre avec l'essentiel qu'il nous faut. Donc la question, c'est, tu vois, le premier truc que je me suis dit, c'est mais en fait, il faudrait qu'on s'associe entre les chercheurs qui trouvent du contenu scientifique et les gens qui font de la communication, qui attirent du monde, du grand public, etc. Et qu'est-ce que tu perçois, toi, comment on pourrait améliorer ? Alors je suis peut-être bisounours, mais comment on pourrait amener cette…
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Il n'y a pas de bisounours, il y a des gens qui ont de l'espoir et ceux qui n'en ont pas. Moi je pense que déjà on peut lutter pied à pied sur certains modes de pensée, et je pensais notamment à ce fameux truc de métier passion qu'on entend beaucoup, moi qui me révulse complètement parce que les gens qui pratiquent un métier qui leur tient à cœur, qui mettent de l'énergie… de l'intelligence, etc., ils bossent souvent comme des dingues. Donc, cette notion de métier passion justifie toutes les outrances, le mépris, etc. Il y a effectivement des gens qui se donnent les moyens de vivre leur passion, mais ce sont avant tout des gens qui bossent. Et ça, vraiment, chaque fois que maintenant j'entends cette expression, je monte au créneau parce que ça justifie, par exemple, que il y a... Je lisais un ouvrage sur la mode, un ethnographique du milieu de la mode récemment, où il y a des femmes qui sont mannequins, qui vont faire des défilés, et on les paie par exemple avec des sacs ou des vêtements de luxe, mais elles n'ont jamais d'argent liquide, elles ne sont jamais payées, elles n'ont pas de liquide, elles n'ont jamais de rémunération. Et on leur dit, mais c'est un métier passion et tout, après il faut qu'elles revendent ce qu'on leur a donné pour payer leur loyer. Donc en fait, il y a des quantités de systèmes pervers comme ça qui se mettent en place. à partir de petits mots aussi innocents que métier, passion. Donc je pense que déjà, il faut vraiment les évacuer de son vocabulaire et parler de gens qui se donnent les moyens d'aller au bout de leur projet. Et ils peuvent être très différents. Et je pense aussi que des associations de compétences, c'est vraiment la seule possibilité d'avancer, d'essayer de sauver ce qui peut être encore sauvé. La recherche en France, on sait qu'elle est extrêmement... maltraité, que la recherche indépendante c'est encore pire. Bon, je pense qu'il faut être aussi droit, d'avoir une stature droite et être ferme sur la qualité de ce qui est produit en dehors des structures étatiques, en tout cas adoubées. Oui, se fédérer. faire attention aussi que la fédération ne rajoute pas des problèmes à tous ceux qui sont déjà à prendre en charge quand on est justement indépendant, mais je pense que c'est quand même une des seules possibilités de conserver la possibilité de travailler.
- Anne Varichon
Merci pour ce retour sur les chercheurs indépendants, on a eu plusieurs chercheurs dans différents domaines d'ailleurs. sur le podcast et c'est vraiment quelque chose qui ressort beaucoup. Je te disais, moi, je vais essayer à mon petit niveau de soutenir de quelques manières et je chasserai de mon vocabulaire le métier passion. Je te dis pour les auditeurs, quand on a préparé avec Anne, je lui ai dit ça. Ça, c'est pour les backstage. C'est ce qu'on s'est dit avant. Quelques dernières questions. Anne ? L'avenir de la couleur végétale, selon toi ?
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Je pense qu'il n'a jamais été aussi ouvert par rapport à l'évolution de la perception de la communication dont je parlais tout à l'heure, mais aussi parce que ce travail qui a été entamé par des gens comme Dominique Cardon, Michel Garcia, mais aussi d'autres chercheurs sur la couleur. Il y a eu évidemment Annie Mollard-Defour qui a beaucoup travaillé sur les lexiques. Il y a quand même énormément de gens qui ont mené des recherches sur la couleur, qui petit à petit en ont fait un véritable sujet à part entière, alors qu'il était très très méprisé auparavant. Donc ça crée quand même un fond d'intérêt. Le fait que les technologies permettent d'accéder beaucoup plus facilement, qu'il y a ne serait-ce que maintenant à des quantités d'informations nourries, aussi cet intérêt. Donc je suis plutôt optimiste. Il y a une structure, une entreprise comme Greenin. aussi qui travaillent, et elles sont nombreuses, à faciliter l'intégration de la couleur naturelle dans des process industriels. C'était quand même une partie des gros écueils. Il y a le fait que beaucoup de gens qui parlent de la couleur naturelle participent à déconstruire des lieux communs qui sont que la couleur naturelle ne s'attient pas ou c'est moche. Donc il y a tous… Moi, je me suis rendue compte très rapidement qu'un des gros travails sur la couleur, c'était de commencer par déconstruire tout ce qu'on nous avait appris depuis la maternelle. C'est un vrai boulot en soi aussi. Bon, voilà, on est quand même portés par une lame de fond. Je pense que la catastrophe écologique qui nous tombe dessus sera aussi notre chance, qui va vouloir changer de mode de pensée, de mode de consommer, de mode de vie. Et ça va certainement être très compliqué pour nous qui sommes du côté des nantis. Et donc, on a tout à perdre, en fait. On a la capacité de se déplacer facilement et tout, d'avoir tout à portée de main. Il y a peut-être une unification qui va être un nivellement par le bas forcément, puisque la façon dont on vit actuellement se fait au dépend, on le sait très bien maintenant, du vivant et des humains en général. Je pense que tout est en place pour que la teinture et la couleur naturelle soient sur un alignement de planètes qui, à mon avis, n'a jamais été aussi bon. Voilà, donc allons-y, on retrouve son amour, on se parle ensemble.
- Anne Varichon
Ça me fait plaisir ce que tu dis. On n'a pas répété, mais là-dessus, je suis complètement en phase. Tu vois, moi, je le vois par rapport au début du podcast où on n'avait pas identifié de débouchés, ça n'avançait pas forcément. Même à un moment, je me suis dit, mais en fait, c'est cause perdue. Bon, je suis une super optimiste, donc je me suis dit, on ne baisse pas les bras un jour après l'autre. Et là, maintenant, c'est les gens qui m'appellent, les débouchés qui m'appellent. en me disant, on a besoin d'agriculteurs, on a besoin de couleurs, on veut relocaliser. Mais go, allons-y, structurons-nous, soyons dans un système de fédération, mais comme tu dis, pas lourd, il faut qu'on reste agile, etc. Mais franchement, moi, j'ai beaucoup d'espoir. Je trouve que, comme tu dis, cette histoire de planète alignée, franchement, on ne peut pas faire mieux en ce moment. Donc bref, je partage complètement. Est-ce que tu as un livre à nous recommander ? Tu as parlé tout à l'heure de Jeannette Hoskin.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Oui, c'est un article. D'accord, c'est un article. Qui a été important pour moi, mais qui est quand même extrêmement pointu.
- Anne Varichon
Oui. Est-ce que tu as un livre qui, toi, t'as…
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Alors, moi, évidemment, j'ai une énorme bibliographie sur la couleur. J'ai cité plusieurs noms. Dominique Cardon, Anne-Moulin-Lardefour, tous ces gens-là. Moi, je les ai sortis. Il y a « Éloge de l'ombre » . Ce n'est pas un livre, je suis désolée. « Éloge de l'ombre » de Tanizaki. C'est un ouvrage qui, pour moi, est un ouvrage phare. C'est un architecte, Tanizaki, qui a écrit ça il y a longtemps. C'est là où j'ai vraiment pu mettre des mots sur la délicatesse de la couleur. Pour moi, c'est important. Il y a toute la… Alors, il y a… Ces ouvrages-là qui pour moi ont été importants, c'était l'ouvrage de Matthew Creffold, qui est un philosophe qui travaillait dans des sites en tant qu'américain et qui a ouvert un atelier de réparation de motos. Et qui a écrit ces deux ouvrages traduits en français. C'est une réflexion sur le sens du travail, la valeur du travail, notamment le travail manuel. Donc il s'inscrit un peu dans l'affiliation. d'un homme philosophe aussi qui s'appelle Michel de Certeau, qui a travaillé sur les manières de faire. C'est-à-dire tous ces petits gestes, notamment portés par les femmes, qui mettent en œuvre une quantité de compétences qui n'ont jamais été élucidées, nommées, fabriquées à un vêtement pour un enfant dans les années 50, ça implique de maîtriser des quantités de compétences, de 3D, de quantités de choses qui ont été complètement méprisées. Mais c'est pareil pour beaucoup de femmes. de pratiques qui sont liées au travail manuel. Donc cet homme-là, Mathieu Crawford, ce penseur, à mon avis, est très important parce qu'il a une analyse politique extrêmement éclairante sur le travail manuel et comment c'est aussi une forme de liberté de penser qui est très très menacée dans tout ce qui est tertiaire, où on n'est plus capable de prouver que la tâche a été accomplie. Quand on fabrique une table, on a fabriqué la table, basta. Et on peut éventuellement la critiquer, mais elle est là. Et dans... tout ce qui est tertiaire, donc il n'y a pas de production matérielle, il y a un flou dans lequel peuvent s'engouffrer tous les mécanismes d'harcèlement, et d'harcèlement aussi au niveau des presque politiques. Bon, voilà, pour moi, c'est des ouvrages importants. Et puis, il y a la littérature. Alors, je n'ai pris qu'un seul exemple, parce que c'est un livre que je viens de terminer, d'une poétesse japonaise qui s'appelle Inaba Mayumi, qui vient malheureusement de mourir, « Mille ans pour aimer » . Donc, de plus en plus, dans la littérature classique, je veux dire, pas spécialisée, je vois apparaître un intérêt pour la couleur, des descriptions de couleurs que j'avais notées il y a des années chez Le Clésio, par exemple. Mais maintenant, on sent qu'il y a beaucoup d'écrivains qui ont cette connaissance maintenant de la couleur, qui ont des mots pour en parler, qui savent d'où elles viennent. Et là, cette femme parle d'une femme qui teint. Et c'est très beau de voir... La littérature s'emparer de ses thèmes. C'est toujours des moments délicieux de lire ses livres.
- Anne Varichon
Top. Est-ce qu'il y a un sujet qu'on n'a pas abordé, que tu voudrais aborder ?
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Non, écoute, je crois que j'ai dit beaucoup de trucs, je pense. Je vais peut-être même répéter par moments. Si, bien sûr, à peine. Ausha raccroché ? Je vais me dire, ah mince, voilà absolument. Non, si, il y a un truc que je voudrais dire, c'est, ah oui, il y a deux personnes dont je voudrais parler, j'ai encore le temps là. Vas-y, vas-y. Donc, je disais qu'il y a de plus en plus de personnes qui prennent en charge la fabrication de la couleur naturelle, pigmentaire et dans plein d'applications, donc on en parle pas mal dans Aréco Vert, mais aussi les fournitures artistiques, etc. Je voudrais juste citer deux personnes et en gros, lancer le message qu'il faut soutenir vraiment qui se lancent dans ces projets-là, ça va être dur pour eux et je pense qu'ils ont besoin d'être confortés dans leurs démarches parce que les obstacles seront nombreux. Je pense qu'il faut que tous, quel que soit notre âge, notre position, qu'on aille acheter leurs produits, qu'on les soutienne quand il y a des problèmes, qu'on parle dans leur travail et je pense que c'est vraiment aussi comme ça que les choses vont peu à peu changer. J'aurais parlé de deux personnes, une qui s'appelle Nathalie Jambon qui est Jambon, qui est costumière et qui s'est formée à la teinture végétale à assez haut niveau. Elle pratique notamment la teinture par fermentation et elle met en œuvre ses connaissances auprès d'artistes qui ont des projets de mise en scène, de costumes, de décors, auxquels elle va conférer des couleurs qui sont issues de la nature, des choses extrêmement subtiles qu'elle met en scène. Bon, Sandrine Rozier aussi a cette... réalise ce type de travail, mais ça commence vraiment à s'aimer, et merci à tous ceux qui ont planté les graines, et à toutes celles. Et je voulais parler aussi d'Alice Bénard, c'est écrit B-E-N-A-R, qui est chanteuse, autrice, compositrice, et qui, elle, a fait appel à Nathalie Jambon pour justement apporter quelque chose de différent aux scénographies qu'elle réalise. Donc là, on a un exemple de binôme qui s'est mis en place, qui est un binôme qui s'épanouit l'un l'autre. Et je me disais que ce serait bien de les entendre parler, l'une de ce qu'elle apporte et l'autre de ce qu'elle a reçu et comment, à son tour, elle nourrit le chemin.
- Anne Varichon
Très, très bonne idée. C'est ton passage de micro, si je comprends bien.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Oui, c'est ça, voilà.
- Anne Varichon
Ok, top. C'est une super bonne idée parce que… ça ouvre exactement comme tu dis ce qu'on peut s'apporter en symbiose et faire que globalement on avance donc top bah écoute Anne moi je t'ai posé toutes mes questions je sais pas si t'as vu mais pendant tout l'enregistrement j'ai souri, tu m'as remonté à bloc non non mais je te remercie parce qu'en fait on a vraiment fait un éventail de sujets bref je trouve ça passionnant je recommande à tout le monde tes livres je les mettrai en descriptif d'épisode et je te remercie vraiment de t'être prêtée au jeu de venir sur le podcast ça me touche beaucoup et merci à toi je t'ai fait ton travail depuis le tout début je
- ArtEcoVert Pauline Leroux
trouvais que c'était bien de voir cette nouvelle plante germée là dans le jardin de tous ceux qui travaillent sur la couleur je pense que toi tu as aussi cette agilité par rapport aux techniques de communication actuelles qui sont déterminantes pour se faire entendre et puis je pense que c'est bien tu fais du bon boulot ça
- Anne Varichon
va on va y arriver petit à petit je pense que le chemin va être long un pas après l'autre garde l'espoir et bisous ceux qui sont hyper positifs merci beaucoup Anne merci à toi
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Merci à tous. Au revoir.
- Anne Varichon
Je vous invite à me rejoindre sur ma page Instagram ARTECOVERT pour y découvrir le nom des prochains invités. Je me permets de vous rappeler que la seule manière de soutenir ce podcast est de le noter et le commenter sur la plateforme d'écoute de votre choix. C'est ainsi qu'on arrivera à faire porter la voix de ces passionnés de la couleur végétale. Merci à tous. Savoir si vous allez aimer, les mots clés du podcast ArtEcoVert : teinture végétale plantes tinctoriales indigo garance encre végétale couleur végétale colorants végétaux pigments végétaux coloration capillaire végétale fibres naturelles colorants biosourcés tanins teinture naturelle plantes artecovert couleurs de plantes design végétal couleur jardin agriculture tinctoriale indigo tendance innovation nuances cosmétiques