Speaker #0Et si on tirait un fil, celui qui relie ce qu'on vit, ce qu'on ressent et ce qu'on peut encore transformer. Un fil discret mais solide. Bonjour et bienvenue dans Au fil des enjeux, un podcast qui prend le temps. Le temps d'écouter et de réfléchir sans donner de leçons, sans tout simplifier. Moi c'est Manuel et aujourd'hui j'aimerais vous proposer un épisode un peu différent. Un épisode qui part d'un constat simple mais troublant. On parle beaucoup de climat, de données, d'objectifs, de trajectoires. Mais on parle beaucoup moins des gens. Ou en tout cas, pas de tout le monde. Alors aujourd'hui, une question. Qui a le droit de parler du climat ? Et surtout, qui est écouté ? Quand on allume la télé, quand on ouvre un journal, ou même qu'on écoute un podcast sur le climat, on entend souvent les mêmes voix. Des experts, des responsables politiques, des scientifiques réputés. Leurs analyses sont précieuses, bien sûr, mais à force d'entendre toujours les mêmes, on oublie que d'autres regards existent. Et il y a tout un monde de vécu, d'expérience, de savoir qui reste à la marge, des voix qu'on n'invite pas, qu'on ne cite pas, ou qu'on ne considère pas comme légitimes. Des gens qui habitent dans les zones rurales ou dans des quartiers en marge des grandes villes, des jeunes, des mères de famille, des salariés précaires, des agriculteurs, des habitants en bord de mer ou en montagne qui constatent les effets du climat avec précision. Parce qu'ils les vivent, jour après jour. Ce silence, ce n'est pas qu'un oubli, c'est parfois un choix. On ne leur tend pas le micro. On ne les cite pas, on ne les consulte pas. Parce qu'ils ne portent pas de titre officiel, parce qu'ils ne parlent pas avec les bons mots ou dans des bons cercles. Et pourtant, leur parole est essentielle. Elle rend compte de l'impact direct, l'urgence vécue, l'adaptation forcée. Même chose à l'échelle mondiale, des régions entières font déjà face aux effets les plus violents du changement climatique. Sécheresse, inondations, récoltes détruites, familles déplacées. Mais dans les grandes négociations internationales, ces pays ont souvent moins de poids que ceux qui polluent le plus. Moins de micros, moins de temps de parole, moins de place autour de la table. Écouter ces voix, ce n'est pas faire de la charité. C'est réparer un déséquilibre, et surtout c'est mieux comprendre ce à quoi on fait face. Écouter ces voix, ce n'est pas cocher une case pour faire joli, ce n'est pas faire de la diversité pour la diversité. C'est enrichir notre regard, remettre en question nos évidences et élargir le champ des possibles. Parce que face à une crise aussi globale, on ne peut pas se permettre de penser à partir d'un seul point de vue, on a besoin de toutes les lunettes, de toutes les expériences. Certaines communautés, souvent confrontées depuis longtemps à l'instabilité climatique ou à la précarité des ressources, ont développé des stratégies d'adaptation à la fois inventives, efficaces et profondément ancrées dans leur quotidien. D'autres, au contraire, nous alertent sur les conséquences inattendues, parfois négatives, de projets menés sans concertation. Prenons un exemple. Installer une immense centrale solaire sur des terres cultivées au nom de la transition énergétique mais sans demander l'avis à des habitants. Est-ce vraiment vert si cela prive des familles de leurs sources de nourriture ou de revenus ? Ou prenons un autre exemple. Relocaliser l'alimentation. Ça ne signifie pas la même chose pour une famille qui vit dans un centre-ville dense avec peu d'accès à des circuits courts. que pour quelqu'un dans un territoire rural déserté par les commerces. Les voix qu'on entend peu posent souvent les bonnes questions, celles qu'on oublie trop vite. Elles nous rappellent que les réponses ne peuvent pas être les mêmes partout, qu'elles doivent s'adapter aux réalités locales, aux besoins concrets. Et surtout, elles rappellent une chose essentielle, qu'une transition juste, ce n'est pas seulement une affaire de CO2. C'est aussi une question de justice sociale, d'équité, de participation démocratique. Penser la transition sans ceux qui la vivent, c'est courir le risque de reproduire les mêmes déséquilibres qui nous ont conduit à cette crise. Alors pourquoi ces voix restent-elles souvent marginales, voire ignorées ? D'abord, il y a une question d'accès. Qui a les moyens de se rendre à une COP, de participer à des conférences internationales ou même de publier dans des revues scientifiques reconnues ? Qui a la chance de parler anglais couramment ou d'avoir un interprète pour se faire entendre au niveau mondial ? Ces barrières sont réelles et limitent la diversité des voix qui peuvent se faire entendre. Ensuite, il y a une dimension politique. Donne-t-on vraiment la parole à ceux qui remettent en question les fondements du système dominant ? A ceux qui critiquent notre modèle de consommation, notre dépendance à la croissance, notre manière de vivre ? Non, souvent ces voix dérangent, elles bousculent les intérêts économiques, les structures de pouvoir. Et les remettre en question ce n'est pas toujours confortable, ni pour les institutions, ni pour ceux qui bénéficient de l'ordre établi. Enfin, il y a un certain mépris. On tend à considérer que seules les grandes autorités, les experts reconnus dans les cercles internationaux, peuvent parler sérieusement du climat. Comme si les récits vécus, les expériences sur le terrain, les émotions personnelles, les savoirs locaux n'étaient pas aussi légitimes. Comme si ces voix issues de communautés qui vivent au quotidien les effets du changement climatique n'avaient pas la même valeur. Mais cette vision est en train de changer, et tant mieux. Ce que l'on commence à voir émerger, c'est une multitude de récits différents, de perspectives nouvelles. Des jeunes militants venant de pays émergents ou très pauvres, des récits portés par des communautés locales, des voix d'artistes, des paysans, de travailleurs, d'habitants des quartiers populaires. Tous, d'une manière ou d'une autre, ont quelque chose de profondément important à dire. Pas seulement sur les solutions techniques ou les mesures à adopter, mais sur la manière dont on veut vivre ensemble, sur ce que l'on considère comme essentiel pour l'avenir. Ce n'est pas juste une question de politique environnementale, mais aussi de justice, d'équilibre et de solidarité. Ces voix nous rappellent qu'on ne peut pas réduire la question climatique à une simple question technique. Il s'agit aussi de valeurs, de choix collectifs. Et ces voix-là, justement, il faut prendre le temps de les écouter. Alors oui, écouter ces voix demande un effort. Ce n'est pas toujours facile, il faut parfois changer de regard. Apprendre à entendre un langage qui ne ressemble pas à celui des plateaux de télé ou des tribunes politiques. Un langage fait de récits, de silences, de colères parfois. Ou simplement d'un autre rapport au monde. Écouter autrement, c'est accepter de ralentir. De sortir des réponses toutes faites, des chiffres qui rassurent, des grandes promesses bien lissées. C'est prendre le temps d'être touché, bouleversé même. Parce que ce que racontent ces voix, ce ne sont pas des hypothèses abstraites. Ce sont des vies, des pertes, des transformations déjà engagées. Et parfois, ces voix nous déplacent. Elle nous oblige à sortir de nos repères, à remettre en question nos certitudes. Et oui, c'est une démarche qui peut être inconfortable. Mais justement, c'est dans cet inconfort-là que quelque chose s'ouvre. Parce que si l'on écoute vraiment, pas juste pour cocher la casse participation, mais pour laisser ces récits nous travailler, alors quelque chose change. Quelque chose en nous. Car ces voix ne viennent pas simplement ajouter une perspective, elles déplacent la question. Elles nous forcent à penser autrement, à relier les enjeux écologiques aux réalités sociales, aux rapports de pouvoir, aux inégalités concrètes. et à agir différemment aussi. Pas avec des solutions verticales pensées loin des terrains de vie, mais avec des démarches ancrées qui partent du local, de l'écoute, de la co-construction. Avec cette conviction, la transition, ça ne s'impose pas. Elle se vit, elle se choisit, elle s'approprie. Et c'est aussi une chance, une chance d'élargir notre horizon, de comprendre que le climat, ce n'est pas juste une équation de CO2 et de température. Ce sont des histoires, des vécus, des résistances, des alternatives. Et c'est dans cette diversité de récits, de savoirs, d'expériences que peuvent naître les réponses les plus justes. Parce que si on ne prend en compte qu'une seule vision du monde, on passe à côté de solutions adaptées, de solutions inclusives. C'est en croisant les savoirs, en accueillant des perspectives nouvelles, qu'on peut vraiment relever les défis climatiques. Le problème ne se réglera pas avec des solutions clés en main venues d'en haut, pas avec des injonctions technocratiques pensées par ceux qui détiennent le pouvoir ou l'expertise. Non, il se réglera avec de l'écoute, du respect, de la co-construction. Ce n'est pas une question de chercher qui détient la vérité, c'est une question de faire ensemble, à partir des réalités de chacun. Et ça, ça demande une véritable volonté. Une éproche inclusive qui dépasse les frontières, les hiérarchies, les inégalités. Et cette dynamique, elle commence maintenant par l'écoute, par l'ouverture à ces voies qu'on a trop longtemps mises de côté. Enfin, écouter autrement, c'est aussi se rendre compte qu'il n'y a pas une seule bonne manière d'habiter le monde. Qu'il existe d'autres récits, d'autres rapports au temps, à la nature, à la communauté. Et peut-être que c'est là, justement, dans cette diversité, que se trouvent les pistes les plus justes, les plus fécondes. C'est en prenant le risque de l'inconfort, de l'écoute sincère, qu'on ouvre la voie à une transition réellement transformatrice. Pas une transition punitive, pas une transition imposée, mais une transition qui fait place à la dignité, à la justice, et à l'imaginaire. Car au fond, écouter autrement, c'est déjà commencer à faire autrement. Alors merci d'avoir suivi ce fil avec moi. Merci d'avoir pris ce temps-là, ce temps pour écouter autrement. Parce que le climat, ce n'est pas qu'une affaire de données, ce n'est pas qu'un problème technique à résoudre ou une courbe à faire redescendre. C'est une affaire d'humanité, de liens, de récits, de choix profonds sur la manière dont on veut habiter ce monde, ensemble. Et plus on élargit les voies, plus on élargit les possibles, plus on sort des impasses, des fatalismes, des solutions toutes faites. Et plus on laisse de place à ce qui peut vraiment transformer. Alors continuons à faire entendre d'autres voies, à ouvrir d'autres chemins. A bientôt pour tirer ensemble un nouveau film. Si ce podcast vous parle et que vous voulez le soutenir, vous pouvez le faire sur Ko-Fi. Le lien est dans la description. Merci.