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ANNE SEXTON - Blanche neige et les sept nains - Transformations cover
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BOUGIES

ANNE SEXTON - Blanche neige et les sept nains - Transformations

ANNE SEXTON - Blanche neige et les sept nains - Transformations

09min |23/11/2024
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Description

Vous souvenez-vous du petit garçon ou de la petite fille que vous étiez ? Plus précisément, vous souvenez-vous des histoires qu’on vous racontait ?


Entre-temps, vous avez grandi. Vous avez perdu l’habitude d’être bordé(e) et peut-être avez-vous oublié.

Blanche-Neige et les Sept Nains, par exemple ?


Il est temps de vous rafraîchir la mémoire. Installez-vous confortablement, Anne Sexton s’occupe du reste.


Cette lecture est tirée de son recueil Transformations, paru en 1971. Vous y trouverez une vingtaine d’adaptations des contes des frères Grimm, revisités à la manière d’Anne Sexton. Sa féérie et son féminisme comme seule boussole d’écriture.


Le 9 novembre 2024, tu aurais eu 96 ans.

En 45 ans d’existence, tu as parsemé d’étoiles un monde un peu trop étriqué pour toi.

Madame Sexton, joyeux anniversaire !





Direction éditoriale : Alice Daubelcour

Production éditoriale, montage, création sonore : Simon Daubelcour


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Il était une fois une vierge ravissante qui s'appelait Blanche-Neige. Disons qu'elle avait 13 ans. Sa belle-mère, d'une rare beauté, quoique rongée bien sûr par l'âge, refusait que l'on fût plus belle qu'elle. La beauté est une passion simple, mais, oh mes amis, à la fin, vous danserez la danse du feu dans des souliers de fer. La belle-mère possédait un miroir qu'elle consultait. Un peu comme la météo, un miroir qui proclamait la seule beauté de la contrée. Elle demandait Miroir, ô miroir au mur, qui est la plus belle d'entre nous ? Et le miroir répondait, invariablement, C'est toi la plus belle d'entre nous. L'orgueil coulait dans ses veines comme de la ciguë. Un jour, inopinément, le miroir répondit. Reine, tu es vraiment magnifique, je te l'accorde, mais Blanche-Neige est mille fois plus belle que toi. Jusqu'à ce moment précis, Blanche-Neige n'avait pas compté davantage qu'une souris sous le lit. Mais à présent, la reine vit des taches brunes sur sa main. Quatre longs poils coiffaient sa lèvre, alors elle condamna Blanche-Neige à être poignardée à mort. Apporte-moi son cœur ! dit-elle au chasseur. Je le cuirai au gros sel et le mangerai. Cependant, le chasseur laissa partir sa captive et ramena au château le cœur d'un marcassin. La reine le mâcha comme une entrecôte. Maintenant, je suis la plus belle ! dit-elle en léchant ses doigts blancs et effilés. Blanche-Neige marcha à travers bois pendant des semaines entières. À chaque croisement, il y avait vingt portes, chacune gardée par un loup affamé, sa langue pendant comme un gros ver. Les oiseaux poussaient des cris obscènes de perroquets roses. et les serpents formaient des boucles de nœuds coulants pour son doux cou blanc. Durant la septième semaine, elle atteignit la septième montagne, où elle tomba sur la maison naine. Aussi cocasse qu'un cottage de lune de miel, coquette et entièrement équipée, sept lits, sept chaises, sept fourchettes et sept pots de chambre. Blanche-Neige mangea sept fois de poulet et s'allongea enfin pour dormir. Les nains, ces hot-dogs ridicules, firent trois fois le tour de Blanche-Neige, la Vierge endormie. Ils étaient sages et leurs joues flasques évoquaient celles des tsars tristes. Oui, c'est de bonne augure ! dirent-ils. Ça nous portera bonheur ! Ils se haussèrent sur la pointe des pieds pour voir Blanche-Neige se réveiller. Elle leur raconta tout, sur le miroir et la reine criminelle, et ils la prièrent de rester pour tenir leur ménage. Méfie-toi de ta marâtre ! dirent-ils. Elle finira vite par savoir que tu es ici. Lorsque nous serons à la mine, pendant la journée, surtout... N'ouvre pas la porte ! Miroir ! Oh, miroir au mur ! Le miroir proclama. Et ce fut ainsi que la reine se revêtit de haillons et s'en fut, colporteuse, trompée Blanche-Neige. Elle traversa les sept montagnes. Elle arriva devant la maison naine et Blanche-Neige ouvrit la porte et acheta un corset en dentelle. La reine le lassa autour de son buste. Elle serra aussi fort qu'une bande de compression. Si fort que Blanche-Neige s'évanouit. Inerte, elle gisait, telle une marguerite effeuillie. À leur retour, les nains délacèrent le corset et elle ressuscita, comme par miracle, aussi pétillante qu'une boisson gazeuse. Prends garde à ta belle-mère ! dirent-ils. Elle retentera le coup ! Miroir, ô miroir au mur ! Une fois de plus, le miroir proclama. Et une fois de plus, la reine se couvrit de haillons. Et une fois de plus, Blanche-Neige ouvrit la porte. Cette fois, elle acheta un peigne empoisonné, un scorpion recourbé de vingt centimètres. Elle le mit dans ses cheveux et s'évanouit à nouveau. Les nains rentrèrent et retirèrent le peigne et elle ressuscita, comme par miracle, en ouvrant de grands yeux d'orpheline. Méfie-toi, méfie-toi ! dirent-ils. Mais le miroir proclama. La reine revint. Blanche-Neige, cette bécassine, ouvrit la porte, mordit dans une pomme empoisonnée et tomba une dernière fois. À leur retour, les nains délacèrent son corset, cherchèrent un peigne, mais rien n'y fit. Ils la baignèrent dans du vin, l'enduirent de beurre, en vin, inerte, elle gisait, telle une pièce d'or. Les sept nains, ne pouvant se résoudre à l'enterrer dans le jardin, construisirent un cercueil de verre, et le posèrent au sommet de la septième montagne. pour que tous ceux qui passaient par là puissent admirer sa beauté. Un jour de juin, un prince sans vin, qui ne put en détacher ses yeux, il resta si longtemps que ses cheveux verdirent. Malgré cela, il ne bougea pas d'un poil. Les nains eurent pitié de lui. et lui firent don de blanche-neige en sa chasse de vers, avec ses yeux de poupée à jamais fermés, pour qu'il la conservât dans son château, loin de là. Alors que les hommes du prince s'éloignaient en portant le cercueil, ils trébuchèrent et le laissèrent tomber. Le morceau de pomme fusa de son gosier, et elle se réveilla, comme par miracle. Et c'est ainsi que le prince prit blanche-neige pour femme. La méchante reine fut invitée au noce, et à son arrivée, elle trouva des souliers de fer chauffés à blanc, qui, attachés à ses pieds, faisaient l'effet de patins à roulettes dernier cri. D'abord tes orteils fumeront, puis tes talons noirciront, et on te frira le ventre en l'air comme une grenouille lui dit-on. Pendant ce temps... Blanche-Neige tenait sa cour plénière en roulant et clignant ses yeux de caolin bleu, et consultait parfois son miroir, comme le font les femmes. Transformations Anne Sexton Anne Sexton, 9 novembre 1928, Massachusetts. Cette version de Blanche-Neige nous vient tout droit de l'imaginaire à mille tiroirs de quelqu'un qu'il faut remercier. Anne Sexton est iconique. Dans son brouhaha intérieur, ses dépressions à répétition suivies d'internement pour ce qu'on appellerait aujourd'hui un trouble bipolaire, elle était loin de se douter à l'époque de l'aide précieuse qu'elle nous offrait. Anne Sexton est tout simplement née 100 temps en avance sur son temps. Malheureusement pour elle et heureusement pour nous. Grâce à sa poésie confessionnaliste, comme ils disent, elle a rajouté une voix en plus à toutes celles qui commençaient à cette époque à l'ouvrir sur ce qu'est une dame et tous les sujets qui vont avec. Se foutant bien des tabous et de la bienséance nous facilitant sacrément la tâche à nous les femmes de 2024. Madame Sexton était une autrice américaine avant-garde, et c'est ce qu'on retiendra d'elle aujourd'hui. Ça, et puis la chanson de Peter Gabriel, écrite juste pour elle, Mercy Street. Madame Sexton, joyeux anniversaire.

Description

Vous souvenez-vous du petit garçon ou de la petite fille que vous étiez ? Plus précisément, vous souvenez-vous des histoires qu’on vous racontait ?


Entre-temps, vous avez grandi. Vous avez perdu l’habitude d’être bordé(e) et peut-être avez-vous oublié.

Blanche-Neige et les Sept Nains, par exemple ?


Il est temps de vous rafraîchir la mémoire. Installez-vous confortablement, Anne Sexton s’occupe du reste.


Cette lecture est tirée de son recueil Transformations, paru en 1971. Vous y trouverez une vingtaine d’adaptations des contes des frères Grimm, revisités à la manière d’Anne Sexton. Sa féérie et son féminisme comme seule boussole d’écriture.


Le 9 novembre 2024, tu aurais eu 96 ans.

En 45 ans d’existence, tu as parsemé d’étoiles un monde un peu trop étriqué pour toi.

Madame Sexton, joyeux anniversaire !





Direction éditoriale : Alice Daubelcour

Production éditoriale, montage, création sonore : Simon Daubelcour


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Il était une fois une vierge ravissante qui s'appelait Blanche-Neige. Disons qu'elle avait 13 ans. Sa belle-mère, d'une rare beauté, quoique rongée bien sûr par l'âge, refusait que l'on fût plus belle qu'elle. La beauté est une passion simple, mais, oh mes amis, à la fin, vous danserez la danse du feu dans des souliers de fer. La belle-mère possédait un miroir qu'elle consultait. Un peu comme la météo, un miroir qui proclamait la seule beauté de la contrée. Elle demandait Miroir, ô miroir au mur, qui est la plus belle d'entre nous ? Et le miroir répondait, invariablement, C'est toi la plus belle d'entre nous. L'orgueil coulait dans ses veines comme de la ciguë. Un jour, inopinément, le miroir répondit. Reine, tu es vraiment magnifique, je te l'accorde, mais Blanche-Neige est mille fois plus belle que toi. Jusqu'à ce moment précis, Blanche-Neige n'avait pas compté davantage qu'une souris sous le lit. Mais à présent, la reine vit des taches brunes sur sa main. Quatre longs poils coiffaient sa lèvre, alors elle condamna Blanche-Neige à être poignardée à mort. Apporte-moi son cœur ! dit-elle au chasseur. Je le cuirai au gros sel et le mangerai. Cependant, le chasseur laissa partir sa captive et ramena au château le cœur d'un marcassin. La reine le mâcha comme une entrecôte. Maintenant, je suis la plus belle ! dit-elle en léchant ses doigts blancs et effilés. Blanche-Neige marcha à travers bois pendant des semaines entières. À chaque croisement, il y avait vingt portes, chacune gardée par un loup affamé, sa langue pendant comme un gros ver. Les oiseaux poussaient des cris obscènes de perroquets roses. et les serpents formaient des boucles de nœuds coulants pour son doux cou blanc. Durant la septième semaine, elle atteignit la septième montagne, où elle tomba sur la maison naine. Aussi cocasse qu'un cottage de lune de miel, coquette et entièrement équipée, sept lits, sept chaises, sept fourchettes et sept pots de chambre. Blanche-Neige mangea sept fois de poulet et s'allongea enfin pour dormir. Les nains, ces hot-dogs ridicules, firent trois fois le tour de Blanche-Neige, la Vierge endormie. Ils étaient sages et leurs joues flasques évoquaient celles des tsars tristes. Oui, c'est de bonne augure ! dirent-ils. Ça nous portera bonheur ! Ils se haussèrent sur la pointe des pieds pour voir Blanche-Neige se réveiller. Elle leur raconta tout, sur le miroir et la reine criminelle, et ils la prièrent de rester pour tenir leur ménage. Méfie-toi de ta marâtre ! dirent-ils. Elle finira vite par savoir que tu es ici. Lorsque nous serons à la mine, pendant la journée, surtout... N'ouvre pas la porte ! Miroir ! Oh, miroir au mur ! Le miroir proclama. Et ce fut ainsi que la reine se revêtit de haillons et s'en fut, colporteuse, trompée Blanche-Neige. Elle traversa les sept montagnes. Elle arriva devant la maison naine et Blanche-Neige ouvrit la porte et acheta un corset en dentelle. La reine le lassa autour de son buste. Elle serra aussi fort qu'une bande de compression. Si fort que Blanche-Neige s'évanouit. Inerte, elle gisait, telle une marguerite effeuillie. À leur retour, les nains délacèrent le corset et elle ressuscita, comme par miracle, aussi pétillante qu'une boisson gazeuse. Prends garde à ta belle-mère ! dirent-ils. Elle retentera le coup ! Miroir, ô miroir au mur ! Une fois de plus, le miroir proclama. Et une fois de plus, la reine se couvrit de haillons. Et une fois de plus, Blanche-Neige ouvrit la porte. Cette fois, elle acheta un peigne empoisonné, un scorpion recourbé de vingt centimètres. Elle le mit dans ses cheveux et s'évanouit à nouveau. Les nains rentrèrent et retirèrent le peigne et elle ressuscita, comme par miracle, en ouvrant de grands yeux d'orpheline. Méfie-toi, méfie-toi ! dirent-ils. Mais le miroir proclama. La reine revint. Blanche-Neige, cette bécassine, ouvrit la porte, mordit dans une pomme empoisonnée et tomba une dernière fois. À leur retour, les nains délacèrent son corset, cherchèrent un peigne, mais rien n'y fit. Ils la baignèrent dans du vin, l'enduirent de beurre, en vin, inerte, elle gisait, telle une pièce d'or. Les sept nains, ne pouvant se résoudre à l'enterrer dans le jardin, construisirent un cercueil de verre, et le posèrent au sommet de la septième montagne. pour que tous ceux qui passaient par là puissent admirer sa beauté. Un jour de juin, un prince sans vin, qui ne put en détacher ses yeux, il resta si longtemps que ses cheveux verdirent. Malgré cela, il ne bougea pas d'un poil. Les nains eurent pitié de lui. et lui firent don de blanche-neige en sa chasse de vers, avec ses yeux de poupée à jamais fermés, pour qu'il la conservât dans son château, loin de là. Alors que les hommes du prince s'éloignaient en portant le cercueil, ils trébuchèrent et le laissèrent tomber. Le morceau de pomme fusa de son gosier, et elle se réveilla, comme par miracle. Et c'est ainsi que le prince prit blanche-neige pour femme. La méchante reine fut invitée au noce, et à son arrivée, elle trouva des souliers de fer chauffés à blanc, qui, attachés à ses pieds, faisaient l'effet de patins à roulettes dernier cri. D'abord tes orteils fumeront, puis tes talons noirciront, et on te frira le ventre en l'air comme une grenouille lui dit-on. Pendant ce temps... Blanche-Neige tenait sa cour plénière en roulant et clignant ses yeux de caolin bleu, et consultait parfois son miroir, comme le font les femmes. Transformations Anne Sexton Anne Sexton, 9 novembre 1928, Massachusetts. Cette version de Blanche-Neige nous vient tout droit de l'imaginaire à mille tiroirs de quelqu'un qu'il faut remercier. Anne Sexton est iconique. Dans son brouhaha intérieur, ses dépressions à répétition suivies d'internement pour ce qu'on appellerait aujourd'hui un trouble bipolaire, elle était loin de se douter à l'époque de l'aide précieuse qu'elle nous offrait. Anne Sexton est tout simplement née 100 temps en avance sur son temps. Malheureusement pour elle et heureusement pour nous. Grâce à sa poésie confessionnaliste, comme ils disent, elle a rajouté une voix en plus à toutes celles qui commençaient à cette époque à l'ouvrir sur ce qu'est une dame et tous les sujets qui vont avec. Se foutant bien des tabous et de la bienséance nous facilitant sacrément la tâche à nous les femmes de 2024. Madame Sexton était une autrice américaine avant-garde, et c'est ce qu'on retiendra d'elle aujourd'hui. Ça, et puis la chanson de Peter Gabriel, écrite juste pour elle, Mercy Street. Madame Sexton, joyeux anniversaire.

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Description

Vous souvenez-vous du petit garçon ou de la petite fille que vous étiez ? Plus précisément, vous souvenez-vous des histoires qu’on vous racontait ?


Entre-temps, vous avez grandi. Vous avez perdu l’habitude d’être bordé(e) et peut-être avez-vous oublié.

Blanche-Neige et les Sept Nains, par exemple ?


Il est temps de vous rafraîchir la mémoire. Installez-vous confortablement, Anne Sexton s’occupe du reste.


Cette lecture est tirée de son recueil Transformations, paru en 1971. Vous y trouverez une vingtaine d’adaptations des contes des frères Grimm, revisités à la manière d’Anne Sexton. Sa féérie et son féminisme comme seule boussole d’écriture.


Le 9 novembre 2024, tu aurais eu 96 ans.

En 45 ans d’existence, tu as parsemé d’étoiles un monde un peu trop étriqué pour toi.

Madame Sexton, joyeux anniversaire !





Direction éditoriale : Alice Daubelcour

Production éditoriale, montage, création sonore : Simon Daubelcour


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Il était une fois une vierge ravissante qui s'appelait Blanche-Neige. Disons qu'elle avait 13 ans. Sa belle-mère, d'une rare beauté, quoique rongée bien sûr par l'âge, refusait que l'on fût plus belle qu'elle. La beauté est une passion simple, mais, oh mes amis, à la fin, vous danserez la danse du feu dans des souliers de fer. La belle-mère possédait un miroir qu'elle consultait. Un peu comme la météo, un miroir qui proclamait la seule beauté de la contrée. Elle demandait Miroir, ô miroir au mur, qui est la plus belle d'entre nous ? Et le miroir répondait, invariablement, C'est toi la plus belle d'entre nous. L'orgueil coulait dans ses veines comme de la ciguë. Un jour, inopinément, le miroir répondit. Reine, tu es vraiment magnifique, je te l'accorde, mais Blanche-Neige est mille fois plus belle que toi. Jusqu'à ce moment précis, Blanche-Neige n'avait pas compté davantage qu'une souris sous le lit. Mais à présent, la reine vit des taches brunes sur sa main. Quatre longs poils coiffaient sa lèvre, alors elle condamna Blanche-Neige à être poignardée à mort. Apporte-moi son cœur ! dit-elle au chasseur. Je le cuirai au gros sel et le mangerai. Cependant, le chasseur laissa partir sa captive et ramena au château le cœur d'un marcassin. La reine le mâcha comme une entrecôte. Maintenant, je suis la plus belle ! dit-elle en léchant ses doigts blancs et effilés. Blanche-Neige marcha à travers bois pendant des semaines entières. À chaque croisement, il y avait vingt portes, chacune gardée par un loup affamé, sa langue pendant comme un gros ver. Les oiseaux poussaient des cris obscènes de perroquets roses. et les serpents formaient des boucles de nœuds coulants pour son doux cou blanc. Durant la septième semaine, elle atteignit la septième montagne, où elle tomba sur la maison naine. Aussi cocasse qu'un cottage de lune de miel, coquette et entièrement équipée, sept lits, sept chaises, sept fourchettes et sept pots de chambre. Blanche-Neige mangea sept fois de poulet et s'allongea enfin pour dormir. Les nains, ces hot-dogs ridicules, firent trois fois le tour de Blanche-Neige, la Vierge endormie. Ils étaient sages et leurs joues flasques évoquaient celles des tsars tristes. Oui, c'est de bonne augure ! dirent-ils. Ça nous portera bonheur ! Ils se haussèrent sur la pointe des pieds pour voir Blanche-Neige se réveiller. Elle leur raconta tout, sur le miroir et la reine criminelle, et ils la prièrent de rester pour tenir leur ménage. Méfie-toi de ta marâtre ! dirent-ils. Elle finira vite par savoir que tu es ici. Lorsque nous serons à la mine, pendant la journée, surtout... N'ouvre pas la porte ! Miroir ! Oh, miroir au mur ! Le miroir proclama. Et ce fut ainsi que la reine se revêtit de haillons et s'en fut, colporteuse, trompée Blanche-Neige. Elle traversa les sept montagnes. Elle arriva devant la maison naine et Blanche-Neige ouvrit la porte et acheta un corset en dentelle. La reine le lassa autour de son buste. Elle serra aussi fort qu'une bande de compression. Si fort que Blanche-Neige s'évanouit. Inerte, elle gisait, telle une marguerite effeuillie. À leur retour, les nains délacèrent le corset et elle ressuscita, comme par miracle, aussi pétillante qu'une boisson gazeuse. Prends garde à ta belle-mère ! dirent-ils. Elle retentera le coup ! Miroir, ô miroir au mur ! Une fois de plus, le miroir proclama. Et une fois de plus, la reine se couvrit de haillons. Et une fois de plus, Blanche-Neige ouvrit la porte. Cette fois, elle acheta un peigne empoisonné, un scorpion recourbé de vingt centimètres. Elle le mit dans ses cheveux et s'évanouit à nouveau. Les nains rentrèrent et retirèrent le peigne et elle ressuscita, comme par miracle, en ouvrant de grands yeux d'orpheline. Méfie-toi, méfie-toi ! dirent-ils. Mais le miroir proclama. La reine revint. Blanche-Neige, cette bécassine, ouvrit la porte, mordit dans une pomme empoisonnée et tomba une dernière fois. À leur retour, les nains délacèrent son corset, cherchèrent un peigne, mais rien n'y fit. Ils la baignèrent dans du vin, l'enduirent de beurre, en vin, inerte, elle gisait, telle une pièce d'or. Les sept nains, ne pouvant se résoudre à l'enterrer dans le jardin, construisirent un cercueil de verre, et le posèrent au sommet de la septième montagne. pour que tous ceux qui passaient par là puissent admirer sa beauté. Un jour de juin, un prince sans vin, qui ne put en détacher ses yeux, il resta si longtemps que ses cheveux verdirent. Malgré cela, il ne bougea pas d'un poil. Les nains eurent pitié de lui. et lui firent don de blanche-neige en sa chasse de vers, avec ses yeux de poupée à jamais fermés, pour qu'il la conservât dans son château, loin de là. Alors que les hommes du prince s'éloignaient en portant le cercueil, ils trébuchèrent et le laissèrent tomber. Le morceau de pomme fusa de son gosier, et elle se réveilla, comme par miracle. Et c'est ainsi que le prince prit blanche-neige pour femme. La méchante reine fut invitée au noce, et à son arrivée, elle trouva des souliers de fer chauffés à blanc, qui, attachés à ses pieds, faisaient l'effet de patins à roulettes dernier cri. D'abord tes orteils fumeront, puis tes talons noirciront, et on te frira le ventre en l'air comme une grenouille lui dit-on. Pendant ce temps... Blanche-Neige tenait sa cour plénière en roulant et clignant ses yeux de caolin bleu, et consultait parfois son miroir, comme le font les femmes. Transformations Anne Sexton Anne Sexton, 9 novembre 1928, Massachusetts. Cette version de Blanche-Neige nous vient tout droit de l'imaginaire à mille tiroirs de quelqu'un qu'il faut remercier. Anne Sexton est iconique. Dans son brouhaha intérieur, ses dépressions à répétition suivies d'internement pour ce qu'on appellerait aujourd'hui un trouble bipolaire, elle était loin de se douter à l'époque de l'aide précieuse qu'elle nous offrait. Anne Sexton est tout simplement née 100 temps en avance sur son temps. Malheureusement pour elle et heureusement pour nous. Grâce à sa poésie confessionnaliste, comme ils disent, elle a rajouté une voix en plus à toutes celles qui commençaient à cette époque à l'ouvrir sur ce qu'est une dame et tous les sujets qui vont avec. Se foutant bien des tabous et de la bienséance nous facilitant sacrément la tâche à nous les femmes de 2024. Madame Sexton était une autrice américaine avant-garde, et c'est ce qu'on retiendra d'elle aujourd'hui. Ça, et puis la chanson de Peter Gabriel, écrite juste pour elle, Mercy Street. Madame Sexton, joyeux anniversaire.

Description

Vous souvenez-vous du petit garçon ou de la petite fille que vous étiez ? Plus précisément, vous souvenez-vous des histoires qu’on vous racontait ?


Entre-temps, vous avez grandi. Vous avez perdu l’habitude d’être bordé(e) et peut-être avez-vous oublié.

Blanche-Neige et les Sept Nains, par exemple ?


Il est temps de vous rafraîchir la mémoire. Installez-vous confortablement, Anne Sexton s’occupe du reste.


Cette lecture est tirée de son recueil Transformations, paru en 1971. Vous y trouverez une vingtaine d’adaptations des contes des frères Grimm, revisités à la manière d’Anne Sexton. Sa féérie et son féminisme comme seule boussole d’écriture.


Le 9 novembre 2024, tu aurais eu 96 ans.

En 45 ans d’existence, tu as parsemé d’étoiles un monde un peu trop étriqué pour toi.

Madame Sexton, joyeux anniversaire !





Direction éditoriale : Alice Daubelcour

Production éditoriale, montage, création sonore : Simon Daubelcour


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Il était une fois une vierge ravissante qui s'appelait Blanche-Neige. Disons qu'elle avait 13 ans. Sa belle-mère, d'une rare beauté, quoique rongée bien sûr par l'âge, refusait que l'on fût plus belle qu'elle. La beauté est une passion simple, mais, oh mes amis, à la fin, vous danserez la danse du feu dans des souliers de fer. La belle-mère possédait un miroir qu'elle consultait. Un peu comme la météo, un miroir qui proclamait la seule beauté de la contrée. Elle demandait Miroir, ô miroir au mur, qui est la plus belle d'entre nous ? Et le miroir répondait, invariablement, C'est toi la plus belle d'entre nous. L'orgueil coulait dans ses veines comme de la ciguë. Un jour, inopinément, le miroir répondit. Reine, tu es vraiment magnifique, je te l'accorde, mais Blanche-Neige est mille fois plus belle que toi. Jusqu'à ce moment précis, Blanche-Neige n'avait pas compté davantage qu'une souris sous le lit. Mais à présent, la reine vit des taches brunes sur sa main. Quatre longs poils coiffaient sa lèvre, alors elle condamna Blanche-Neige à être poignardée à mort. Apporte-moi son cœur ! dit-elle au chasseur. Je le cuirai au gros sel et le mangerai. Cependant, le chasseur laissa partir sa captive et ramena au château le cœur d'un marcassin. La reine le mâcha comme une entrecôte. Maintenant, je suis la plus belle ! dit-elle en léchant ses doigts blancs et effilés. Blanche-Neige marcha à travers bois pendant des semaines entières. À chaque croisement, il y avait vingt portes, chacune gardée par un loup affamé, sa langue pendant comme un gros ver. Les oiseaux poussaient des cris obscènes de perroquets roses. et les serpents formaient des boucles de nœuds coulants pour son doux cou blanc. Durant la septième semaine, elle atteignit la septième montagne, où elle tomba sur la maison naine. Aussi cocasse qu'un cottage de lune de miel, coquette et entièrement équipée, sept lits, sept chaises, sept fourchettes et sept pots de chambre. Blanche-Neige mangea sept fois de poulet et s'allongea enfin pour dormir. Les nains, ces hot-dogs ridicules, firent trois fois le tour de Blanche-Neige, la Vierge endormie. Ils étaient sages et leurs joues flasques évoquaient celles des tsars tristes. Oui, c'est de bonne augure ! dirent-ils. Ça nous portera bonheur ! Ils se haussèrent sur la pointe des pieds pour voir Blanche-Neige se réveiller. Elle leur raconta tout, sur le miroir et la reine criminelle, et ils la prièrent de rester pour tenir leur ménage. Méfie-toi de ta marâtre ! dirent-ils. Elle finira vite par savoir que tu es ici. Lorsque nous serons à la mine, pendant la journée, surtout... N'ouvre pas la porte ! Miroir ! Oh, miroir au mur ! Le miroir proclama. Et ce fut ainsi que la reine se revêtit de haillons et s'en fut, colporteuse, trompée Blanche-Neige. Elle traversa les sept montagnes. Elle arriva devant la maison naine et Blanche-Neige ouvrit la porte et acheta un corset en dentelle. La reine le lassa autour de son buste. Elle serra aussi fort qu'une bande de compression. Si fort que Blanche-Neige s'évanouit. Inerte, elle gisait, telle une marguerite effeuillie. À leur retour, les nains délacèrent le corset et elle ressuscita, comme par miracle, aussi pétillante qu'une boisson gazeuse. Prends garde à ta belle-mère ! dirent-ils. Elle retentera le coup ! Miroir, ô miroir au mur ! Une fois de plus, le miroir proclama. Et une fois de plus, la reine se couvrit de haillons. Et une fois de plus, Blanche-Neige ouvrit la porte. Cette fois, elle acheta un peigne empoisonné, un scorpion recourbé de vingt centimètres. Elle le mit dans ses cheveux et s'évanouit à nouveau. Les nains rentrèrent et retirèrent le peigne et elle ressuscita, comme par miracle, en ouvrant de grands yeux d'orpheline. Méfie-toi, méfie-toi ! dirent-ils. Mais le miroir proclama. La reine revint. Blanche-Neige, cette bécassine, ouvrit la porte, mordit dans une pomme empoisonnée et tomba une dernière fois. À leur retour, les nains délacèrent son corset, cherchèrent un peigne, mais rien n'y fit. Ils la baignèrent dans du vin, l'enduirent de beurre, en vin, inerte, elle gisait, telle une pièce d'or. Les sept nains, ne pouvant se résoudre à l'enterrer dans le jardin, construisirent un cercueil de verre, et le posèrent au sommet de la septième montagne. pour que tous ceux qui passaient par là puissent admirer sa beauté. Un jour de juin, un prince sans vin, qui ne put en détacher ses yeux, il resta si longtemps que ses cheveux verdirent. Malgré cela, il ne bougea pas d'un poil. Les nains eurent pitié de lui. et lui firent don de blanche-neige en sa chasse de vers, avec ses yeux de poupée à jamais fermés, pour qu'il la conservât dans son château, loin de là. Alors que les hommes du prince s'éloignaient en portant le cercueil, ils trébuchèrent et le laissèrent tomber. Le morceau de pomme fusa de son gosier, et elle se réveilla, comme par miracle. Et c'est ainsi que le prince prit blanche-neige pour femme. La méchante reine fut invitée au noce, et à son arrivée, elle trouva des souliers de fer chauffés à blanc, qui, attachés à ses pieds, faisaient l'effet de patins à roulettes dernier cri. D'abord tes orteils fumeront, puis tes talons noirciront, et on te frira le ventre en l'air comme une grenouille lui dit-on. Pendant ce temps... Blanche-Neige tenait sa cour plénière en roulant et clignant ses yeux de caolin bleu, et consultait parfois son miroir, comme le font les femmes. Transformations Anne Sexton Anne Sexton, 9 novembre 1928, Massachusetts. Cette version de Blanche-Neige nous vient tout droit de l'imaginaire à mille tiroirs de quelqu'un qu'il faut remercier. Anne Sexton est iconique. Dans son brouhaha intérieur, ses dépressions à répétition suivies d'internement pour ce qu'on appellerait aujourd'hui un trouble bipolaire, elle était loin de se douter à l'époque de l'aide précieuse qu'elle nous offrait. Anne Sexton est tout simplement née 100 temps en avance sur son temps. Malheureusement pour elle et heureusement pour nous. Grâce à sa poésie confessionnaliste, comme ils disent, elle a rajouté une voix en plus à toutes celles qui commençaient à cette époque à l'ouvrir sur ce qu'est une dame et tous les sujets qui vont avec. Se foutant bien des tabous et de la bienséance nous facilitant sacrément la tâche à nous les femmes de 2024. Madame Sexton était une autrice américaine avant-garde, et c'est ce qu'on retiendra d'elle aujourd'hui. Ça, et puis la chanson de Peter Gabriel, écrite juste pour elle, Mercy Street. Madame Sexton, joyeux anniversaire.

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