- Marion Watras
Brest dans l'oreillette, le podcast qui révèle les dessous de l'art et des patrimoines de Brest.
- Témoin
Vous voyez, des bombes tombées sur Brest,ça a illuminé le ciel et j'étais terrorisé. Je suis descendue à l'abri, je sais, mais moi j'en ai gardé un souvenir des gens qui racontaient des blagues, on chantait, mais bon c'était un petit abri, des quatre moulins, non non j'imaginais pas ça.
- Christine Berthou-Ballot
Nous sommes devant l'entrée de l'abri Sadi Carnot, alors effectivement un abri de la Seconde Guerre mondiale qui a connu une tragédie dans la nuit du 8 au 9 septembre 1944, donc dix jours avant la libération de la ville. Quand on visite cet abri, on ne le visite pas de façon anodine puisqu'on sait qu'il y a eu une catastrophe, c'est lourd en fait d'émotion.
- Marion Watras
L'abri Sadi Carnot. C'est dans ce lieu chargé d'un lourd passé que nous nous rendons pour ce nouvel épisode de Brest dans l'oreillette. Un long tunnel devenu le symbole des souffrances endurées par la population civile brestoise pendant la Seconde Guerre mondiale. Avant de rejoindre la visite guidée, nous prenons le temps de rappeler le contexte avec Christine Berthou-Ballot, chef de projet Ville d'art et d'histoire.
- Christine Berthou-Ballot
C'était un abri pour les civils, pour se protéger des bombardements qui ont commencé très tôt à Brest. Dès 1940, il y a eu des bombardements. Au début, les gens se réfugiaient dans des caves ou des greniers. Mais un jour, ça n'a pas suffi. La ville avait déjà entrepris la construction de deux abris. Un abri en centre-ville qui était l'abri Wilson. Et cet abri, Sadi Carnot, pour la population civile en bas de la ville.
- Marion Watras
Au total, plus de 20 abris se sont construits à Brest durant la Seconde Guerre mondiale.
- Christine Berthou-Ballot
Il y avait des alertes qui prévenaient de l'arrivée des avions qui allaient bombarder. Et donc les gens allaient dans les abris les plus proches. Il y en avait aussi dans les communes, à Lambézellec, à Saint-Pierre. Donc ils regagnaient l'abri le plus proche de chez eux pour se protéger. Et tant que l'alerte n'avait pas retenti une deuxième fois pour dire que le danger était écarté, on ne sortait pas de l'abri.
- Marion Watras
L'abri Sadi Carnot s'étend sur 256 mètres. Il part du musée des Beaux-Arts, passe sous la rue de Siam et débouche porte Tourville. En 1944, les Brestois y pénétraient par l'entrée haute. Là, un grand escalier de plus de 150 marches les entraînait rapidement à 20 mètres sous terre. Le soir du drame, dans la nuit du 8 au 9 septembre 1944, les habitants n'étaient pas seuls à occuper les lieux.
- Christine Berthou-Ballot
Normalement, dans un abri civil, on n'avait pas le droit d'avoir des soldats allemands, mais l'occupant n'a pas laissé le choix à l'administration brestoise et donc a pris une partie de cet abri pour loger des soldats ou des gens de l'organisation TODT. Et on ne sait pas et on ne saura sans doute jamais pourquoi ça s'est passé, mais il y a eu une dispute sans doute parce qu'on était sur la fin de la guerre, on était au moment du siège. Il y a un groupe électrogène qui a dû prendre feu et ça a formé une explosion. Et ça fait comme une sorte de lance-flamme qui a traversé tout l'abri. Alors évidemment, les gens qui étaient dans les premiers ont pu se sauver, mais de justesse. Et puis les autres sont restés bloqués. La porte s'est refermée avec le souffle sur les gens. Donc le piège total. Et on a sans doute plus d'une centaine de victimes. On disait 350, mais on ne peut pas donner le nombre. En tout cas, plusieurs centaines de victimes qui sont piégées dans l'abri. Donc ça, c'est vraiment une tragédie, puisque la ville est libérée le 18 et le 19 septembre. Et donc, ils se pensaient à l'abri et finalement, ils se retrouvent dans une tombe.
- Marion Watras
Un traumatisme pour toute une ville déjà meurtrie par la guerre. En 2009, un comité scientifique a été mis en place par la ville de Brest pour réfléchir aux éléments à présenter en vue d'une ouverture au public de ce lieu de mémoire. Présidé par les historiens Christian Bougeard et Yvon Tranvouez, tous deux universitaires appartenant au Centre de recherche bretonne et celtique, il a réuni des citoyens et des associations, dont l'Université européenne de la paix. Cette concertation a conduit à la réalisation par l'agence Atiz, missionnée par la ville, des aménagements scénographiques valorisant l'histoire de l'abri et à l'ouverture au public en 2010. L'objectif est double, témoigner et diffuser un message de paix. Nous rejoignons la guide Mireille Kearvella et le groupe qu'elle accompagne.
- Mireille Kearvella
On y va toute ensemble, on traverse le tunnel. Dès 1943, l’abri Sadi Carnot accueille la population. Mais au début, ce n'est vraiment pas longtemps, uniquement lorsqu'il y a une alerte aérienne, rarement plus d'une heure. Au début, il n'y a pas d'éclairage dans l'abri, il n'y a pas de banc non plus. À partir du moment où on arrive au siège, à partir du 14 août 1944, 400 Brestois vont vivre ici, jour et nuit, dans des conditions très pénibles. Parfois, ils n'ont qu'une heure pour sortir. entre 11h et 12h, lorsqu'il y a des pauses dans les bombardements. Les repas sont apportés tous les jours dans l'abri par les gens de la défense passive. Les brestois arrivent par l'escalier, installent des matelas, quelques affaires auxquelles ils tenaient vraiment, parce qu'ils ne pouvaient pas emporter grand-chose avec eux, et ils vont laisser au milieu du tunnel un petit espace our circuler de 50 à 60 centimes.
- Marion Watras
Nous avançons et arrivons devant une série de mots inscrits le long d'une plainte lumineuse, ils sont extraits des journaux fournis par des témoins de l'époque de la guerre.
- Christine Berthou-Ballot
Kommandantur, enfer, sirène, prisonnier, guerre, avion, DCA, tout ça, Haus weiss aussi. Donc des choses un peu symboliques qui marquent la vie des gens de cette époque.
- Mireille Kearvella
Alors maintenant, c'est le moment d'évoquer un petit peu l'exposition de l'abri Sadi Carnot, le drame qui s'est noué ici, qui est quand même resté un traumatisme pour les Brestois. Et c'est au niveau de la seconde porte blindée, avant la sortie de Tourville, qu'étaient stockées les caisses de munitions et à proximité des bidons de carburant qui étaient nécessaires à l'alimentation du groupe électrogène. Alors quelle idée de mettre côte à côte des caisses de munitions et des bidons d'essence. Donc c'est de là que vont partir les explosions. C'est dans la nuit du vendredi 8 au samedi 9 septembre 1944, à 2h30 du matin, qu'a lieu la catastrophe. Donc vous imaginez de violentes explosions qui vont éclater les unes après les autres et transformer ce long tunnel en un véritable canon. Des flammes vont s'échapper des deux issues de l'abri et en quelques instants des centaines de personnes vont périr brûlées.
- Marion Watras
L'abri demeure aujourd'hui un lieu de mémoire de ces victimes innocentes. Avant de conclure notre visite, nous nous attardons dans l'une des alvéoles qui leur est dédiée.
- Christine Berthou-Ballot
La liste avec les noms et prénoms des victimes est accessible dans l'entrée haute de l'abri, côté Musée des Beaux-Arts, place Sadi Carnot. Par contre, on avait vraiment voulu, puisque c'est leur lieu de décès, rendre hommage aux victimes. Et on a simplement scénographié les prénoms pour qu'il y ait un hommage à l'intérieur de l'abri, plus intime.
- Marion Watras
Aujourd'hui, il y a sans doute des descendants aussi de ces victimes ?
- Christine Berthou-Ballot
Il y a eu des travaux de fait par plusieurs personnes, de recherche autour de ces victimes, qui parfois restent inconnues. C'est vraiment quelque chose de très important, ces travaux de recherche.
- Marion Watras
Youen Kervella fait partie de ces personnes qui ont entrepris un travail de mémoire autour de l'abri Sadi Carnot. En 2023, alors étudiant en histoire à Brest, il s'est tourné vers le passé de sa propre ville. Il nous raconte.
- Youen Kervella
Mon père, René Manach, avait vécu à Brest durant ses premières années. Et c'est là, dans la ville assiégée, qu'il avait connu les sirènes, la peur, les abris. Il avait quitté Brest à l'âge de 7 ou 8 ans, mais il en gardait une mémoire vive. Jusqu'à sa mort en 2023, il me racontait cette ville en guerre et l'abri Sadi Carnot, dont il se souvenait avec une émotion étrange, presque silencieuse. C'est sans doute en écho à ces récits que j'ai ressenti le besoin de faire quelque chose, de réparer un peu ou de redonner un nom à ceux que l'explosion a englouti. Avec l'aide de Bruno Frédéric et de Pierre Laudrin, j'ai retracé les arbres généalogiques des victimes, j'ai tenté de retrouver leurs descendants, ceux à qui la mémoire n'a jamais été transmise, parce qu'on avait enterré avec eux, non seulement leur corps, mais aussi leur récit.
- Marion Watras
C'était Brest dans l'oreillette, un podcast de la ville de Brest. Cet épisode vous a plu ? Abonnez-vous !