- Speaker #0
Brest dans l'oreillette, le podcast qui révèle les dessous de l'art et des patrimoines de Brest.
- Speaker #1
J'ai toujours l'émotion quand je viens ici. Et ça s'explique puisque j'ai commencé ma carrière quand j'avais 14 ans en rentrant aux Arpètes.
- Speaker #2
Ma grand-mère au marché des quatre moulins, elle disait mon petit-fils, c'est rentré à l'Arsenal, c'était le jour de gloire. Voilà, celui-là est casé.
- Speaker #1
Il y avait vraiment un aspect solidaire à l'Arsenal, c'était incroyable.
- Speaker #0
Imaginez trois grandes nefs de 150 mètres de long accrochées sur le bord d'un plateau qui fut jadis un haut lieu de la construction navale, fréquenté par plus de 1000 ouvriers. Nous sommes aux ateliers des Capucins. Transformé depuis 2016 en un espace public unique, le site demeure chargé de l'histoire industrielle de la ville et de la mémoire ouvrière de celles et ceux qui y ont travaillé.
- Speaker #2
Gérard Cabon, ancien de l'Arsenal. Puisqu'on est au Capucin, je peux dire que je suis arrivé ici à 18 ans, en 1966. Et que j'y ai passé 15 ans, en tant que tourneur, puis après technicien. C'est un atelier qui a été créé en 1840, quand l'Arsenal passait de marine à bois à marine métal. Et en même temps, on était à la même époque, on invente l'hélice, on invente la propulsion en vapeur, donc on fait des machines, il faut des chaufferies sur les bateaux, donc il faut faire beaucoup de tuyaux, il faut beaucoup de tises mécaniques. On avait besoin d'espace, il n'y en avait pas sur les quais de l'Arsenal, et puis ils ont trouvé ce lieu où il y avait un monastère, d'où le nom Capucin, puis une école de canonnerie, avec la forge qui n'est pas montée au Capucin, qui est restée sur le bord du quai au fond, parce qu'on a travaillé avec beaucoup de chocs, que c'est creux sous les capucins. on serait passé à travers donc la forge est restée en bas. Au niveau ambiance, on rentre par la porte principale, on arrive à la fonderie, puis de l'autre côté, on appelait ça un peu les catacombes, nous c'était la série des fours, donc une ambiance un peu des murs noirs, la fumée, c'était magique, moi j'adorais quand il y avait des coulées à la fonderie, aller voir le spectacle, parce que c'était un spectacle. Donc ça c'est la première épreuve. Après on rentrait à la machine ici aussi, il y avait 220 machines outils. Contrairement à l'idée des gens, il n'y a pas de choc donc ça tape pas, on n'est pas dans une tollerie ni dans une chaudronnerie, on a un bruit de fond lancinant de machines qui tournent, donc une odeur d'huile de coupe, parce que pour que le métal refroidisse on met de l'huile sur le métal qui chauffe, donc c'est toujours l'odeur un peu, quand ça passe ici, l'huile de coupe, et puis on franchit le mur et puis on arrive à la chaudronnerie, là par contre on entend du bruit. qui ne sont pas tout à fait les mêmes. C'est glacial en hiver. Et puis le travail, en plus, est très statique. On est devant une machine outil, on est dans un mètre carré, on ne bouge pas. Et en été, c'est un four.
- Speaker #0
Un peu plus haut, sur le plateau, à quelques pas des ateliers, l'école des Arpettes formait les apprentis de l'arsenal. Comme Gérard Cabon, Jacques Quilien est entré par cette voie prestigieuse avant de devenir charpentier taulier.
- Speaker #1
Ça formait l'aristocratie ouvrière, on va dire. Je plaisante, mais disons que dans ma classe, à l'école Saint-Sauveur, à Recouvrance, pratiquement tous les élèves de la classe préparaient l'entrée du concours à l'Arsenal. C'était un concours. Et donc tous les ans, il y avait une centaine de sélectionnés pour entrer aux arpades. C'est comme ça qu'on l'appelait. Une école d'apprentissage de très bonne gamme qui formait au bout de trois ans. Il y avait une sélection qui était faite, les meilleurs allaient à l'école d'ingénieurs et les autres allaient sur le tas. Et quand ils allaient sur le tas, ils étaient considérés déjà comme des bons ouvriers qui allaient faire une bonne carrière de professionnels.
- Speaker #0
Outre les Arpettes, Gérard Cabon et Jacques Killian ont en commun d'avoir été délégués syndicaux. Ils ont mené ensemble... de nombreuses luttes, des combats qui sont nés autour du marbre, l'une des six pièces conservées et toujours visibles au Capucin.
- Speaker #2
Le marbre était d'abord capital au niveau industriel, parce que pratiquement tous les gros usinages passaient sur le marbre avant d'aller sur les machines, donc c'était important. Et puis il avait une deuxième fonction qui était aussi celle de podium, on dirait, pour les prises de parole syndicales. Lors des manifs et grèves, c'était le lieu, le rassemblement, on remarque, dès qu'il y avait des conflits sociaux, et Dieu sait s'il y en a eu. De 1966, mon arrivée ici, jusqu'en 1990, où j'étais permanent syndical, j'ai fini. Je n'avais jamais connu une année sans grève. Jamais.
- Speaker #0
Les syndicats ont obtenu, petit à petit, que les conditions de travail s'améliorent. L'arrivée des femmes aux ateliers a également marqué une étape importante.
- Speaker #2
En 1979, les premières filles arrivent. Et on se pose la question, il n'y a pas de sanitaire dans les ateliers. Il n'y avait pas de sanitaire dans les ateliers. Je parle souvent de ça, de la fameuse pagode qui est accrochée à la falaise, avec quand même, jusqu'aux années 80, des sanitaires avec une demi-porte sans verrou pour les ouvriers et une porte entière pour les chefs. Et l'arrivée des femmes va faire quand même qu'on va se pencher sur la question et puis commencer à améliorer globalement le sanitaire et l'hygiène de tout ce beau monde. Ici, je me rappelle moi, pas de m'engueuler, mais... Les mecs, les gonzesses, n'y arriveront jamais. Je me rappelle que l'argument que j'avais, c'était la Défense nationale en France, pendant la guerre de 14-18, avait employé 600 000 femmes qui travaillaient dans des conditions, à l'époque c'était une soixantaine d'heures par semaine, dans des conditions qui étaient bien plus difficiles que les années 79.
- Speaker #0
Durant des décennies, au 19e puis au 20e siècle, de nombreux navires, parmi les plus prestigieux, ont été construits et équipés aux ateliers des Quépucins. Cuirassé Richelieu, porte-avions Charles de Gaulle, porte-hélicoptères Jeanne d'Arc, une fierté pour les ouvriers et les ouvrières. À cette époque, l'arsenal de Brest formait un petit monde à lui seul.
- Speaker #1
On avait notre service de restauration, 4000 repas par jour qui étaient servis dans ce qu'on appelait les gueules d'or. Et puis on avait notre service de médecine. Quand même, à l'arsenal, c'était une ville dans la ville.
- Speaker #0
À chaque univers son jargon. Le Parler de l'Arsenal, particulièrement riche, colore aujourd'hui encore les conversations des anciens. Il a même inspiré à Gérard Cabon un livre.
- Speaker #2
Moi j'ai écrit l'ABCDR du Parler de l'Arsenal de Brest, parce que c'est vrai, c'était vraiment un langage imagé. Quand j'ai rencontré ma femme, un jour je lui ai dit « je ne pourrais pas, je suis passé à l'ambulance, je suis en exemption » . Et là, il reste me regarder, et puis ma femme est de quimper. L'ambulance, c'est la médecine du travail, en exemption, c'est un arrêt de travail. Mais en Brestois, exempté de service, mais exemption. Donc il y a plein de expressions. Il note que j'adore aussi, c'est mieux que le plan. L'ingénieur arrive à bord d'un bateau, il regarde les mecs qui bossent, il demande alors les gars, ça avance le boulot ? Mieux que le plan. C'est vraiment la revanche de l'exécutant sur le concepteur. Et c'est lapidaire.
- Speaker #0
C'était Brest dans l'oreillette. un podcast de la ville de Brest réalisé par Marion Vatras dans le prochain épisode nous restons au Capucin pour évoquer le nouveau chapitre qui s'est ouvert en 2016 la transformation des ateliers