- Marion Watras
Brest dans l'oreillette, le podcast qui révèle les dessous de l'art et des patrimoines de Brest.
- Hervé Bédri
C'est un bâtiment extrêmement discret puisque quand on le regarde soit depuis la ville, soit depuis même la base navale, au fond c'est une façade. Mais il a plein de singularités.
- Gérard Cabon
Ce bâtiment s'érige, il sert de stockage, il sert de rue, il sert aussi de mur d'enceinte. C'est vraiment une tranche d'histoire.
- Marion Watras
Les jours de beau temps, les dix gargouilles dorées du bâtiment au lion brillent au soleil. Une façade emblématique qui se dévoile depuis le belvédère des Capucins et qui attire l'œil autant qu'elle l'interroge. Que se cache-t-il derrière ce haut mur percé de nombreuses arches ? Pour le découvrir, nous avons rendez-vous dans le quartier historique de Recouvrance, à l'intersection des rues de Pontagneau et du Carpon, avec un amoureux des lieux, Hervé Bédry. Il est chargé du patrimoine historique de la Marine Nationale sur la façade atlantique. Saviez-vous d'abord que le bâtiment au lion ne s'est pas toujours appelé ainsi ?
- Speaker #1
Quand on regarde les plans d'origine, il s'appelle levée de Pontaniou. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'ici nous sommes dans l'anse de Pontaniou, où il y a les bassins 2 et 3 de la Marine, et cette anse, il fallait la clore. Autrefois, avant, parce qu'il y a eu un avant bâtiment au lion, il y avait ce qu'on a appelé le refuge royal. Donc il était un lieu de réclusion en réalité, qui a brûlé en 1782. La révolution est arrivée sur ses entrefaits. On n'a pas reconstruit le refuge royal, mais il fallait quand même clore toujours cette zone et séparer le monde militaire du monde civil, puisqu'on est de l'autre côté, en plein dans le bourg de recouvrance. Et donc, on a pris le parti, à partir de 1807, de construire cette levée, donc ce bâtiment aux lions. Levée, quand on regarde le dictionnaire, c'est une digue.
- Marion Watras
Le nom de bâtiment aux lions sera donc donné en référence aux dix têtes de félins en plomb qui scandent la façade. Mais au fait, pourquoi des lions ?
- Speaker #1
Le symbole du lion est un symbole du Premier Empire, puisque c'est un bâtiment qui date du Premier Empire. Mais ces têtes de lions ne sont pas là que pour faire joli. Certes, c'est très beau, mais on voit un drain qui sort de leur gueule. Et donc, ces têtes de lion assurent une fonction de drainage. Des eaux qui sont canalisées dans les drains qui sortent de leur gueule.
- Marion Watras
Voilà pour les têtes de lions, mais leur présence n'est pas la seule originalité du bâtiment.
- Hervé Bédri
Il a plein de singularités. D'abord, Jean-Nicolas Trouille va construire le bâtiment en faisant de son toit directement, et dès le début, une route permettant de relier deux plateaux, le plateau des Capucins où nous sommes et, de l'autre côté, le plateau de Pontaniou. Donc déjà, finalement, c'est un bâtiment qui ferme, mais qui relie aussi. Et ça, c'est une des étrangetés de ce bâtiment, puisqu'il a d'autres accès. Et sa façade, on le voit, est percée de trois grandes portes, à droite, au milieu et à gauche, qui donnaient des accès pour celle de droite sur la rue de Saint-Malo, sur la prison de Pontaniou ou pour la plus à gauche, puisque c'était une prison de la marine, et que les prisonniers n'étaient pas payés à se tourner les pouces, mais ils étaient contraints à venir travailler dans l'arsenal, puisqu'à l'époque c'est encore un arsenal, en empruntant un escalier qui passait par cette porte de gauche et qui les amenait directement au pied du bâtiment aux lions dans l'arsenal. Et puis le porche central, le plus grand, lui donnait accès à l'enclos de la Madeleine, donc à cette vaste cour qui fait partie intégrante du site du bâtiment aux lions. Donc on voit un bâtiment qui, certes, clôt, mais a aussi beaucoup de communications.
- Marion Watras
A la fois pont, porte d'accès et enceinte, le bâtiment au Lyon s'étend sur 58 mètres de long pour seulement 11 mètres de large. A l'intérieur, plusieurs salles et alcoves aux fonctions bien précises.
- Hervé Bédri
Il a été conçu aussi pour être sur trois niveaux. On stockait, on entreposait, on traitait et on utilisait des matières premières destinées au calfatage des bateaux de la marine qui sont encore à cette époque en bois et qui marchent à la voile, et qui se faisait radouber dans les bassins 2 et 3. Et donc on avait besoin de coltard, de goudron, de bray, de soufre, pour assurer l'étanchéité. Il faut vous imaginer des dizaines et des dizaines d'ouvriers, de prisonniers, de bagnards qui, toute la journée, dans une ambiance un petit peu toxique, il faut bien se l'imaginer, travaillaient à faire ces colmatages, ces calfatages des bateaux de la marine.
- Marion Watras
Cette fonction de stockage perdure jusqu'au milieu du XIXe siècle, époque à laquelle sont construits les ateliers des Capucins. Le bâtiment aux lions, lui, aura plusieurs usages. Par la suite, il servira notamment d'atelier de charpentage. Avant de tomber petit à petit dans l'oubli, il faudra attendre le XXIe siècle pour qu'une poignée de passionnés décident de lui redonner vie. Le bâtiment sera ouvert pour les fêtes maritimes de Brest 2000. Mais des infiltrations d'eau le menacent, une restauration d'envergure s'impose. C'est alors que démarre l'aventure du classement au titre des monuments historiques pour protéger cet élément du patrimoine brestois.
- Hervé Bédri
C'est en 2011 que le bâtiment au Lyon est classé monument historique, ce qui est une reconnaissance absolument justifiée pour un bâtiment qui est un cas unique, au moins à l'échelle européenne. Et puis, autre chose extrêmement importante, dans un port militaire qui a été rasé à 95% Pendant la Deuxième Guerre mondiale et par les combats de la Libération, c'est le seul bâtiment dans son état d'origine. Il n'a pas été reconstruit après-guerre, ce qui en fait vraiment, à l'échelle de Brest, un cas complètement exceptionnel.
- Marion Watras
Un bâtiment unique qui s'inscrit aussi dans la mémoire ouvrière brestoise puisqu'il a accueilli le premier restaurant associatif de l'arsenal. Gérard Cabon raconte cette histoire dans son ouvrage « Yaskif, deuxième couche » . L'ancien de l'arsenal nous attend justement. Au pied de l'escalier, rue de Saint-Malo, tout près de la cour de la Madeleine.
- Gérard Cabon
Ah, on est en bas de la rue Saint-Malo, tout en bas. Et en face de moi, il y a le bâtiment aux lions, mais dans lequel il y a porte close. Et puis à ma droite, il y a un grand porche, et derrière le porche, il y a la cour de la Madeleine. Les syndicalistes se sont penchés sur le problème de la restauration dans les arsenaux. Et après discussion avec les directions, on leur a octroyé la possibilité d'avoir des locaux dans l'arsenal, en 1917, on est en pleine guerre 14-18, des locaux dans lesquels on commence à faire à manger. C'est géré par les ouvriers, les locaux appartiennent à l'arsenal. Et puis, vaille que vaille, la première année, c'est un grand succès, parce que de suite il y a 1 500 personnes qui achètent une action. Et puis arrive la guerre 39-45. Ces restaurants sont détruits et en 1945, il n'y a plus de restaurant. Et donc, à la Libération, on va ouvrir dans la cour de la Madeleine un restaurant en cabane. Toute la ville de l'ouest était en cabane, mais le restaurant aussi est en cabane. Et on va ouvrir un restaurant qui va durer au moins une bonne période, parce que mon père a mangé là pendant des années, avant que les restaurants de Queliverzan et de Lanninon soient ouverts. Et pour aller manger, On ne quitte pas l'enceinte de l'arsenal parce qu'on rentre par le bâtiment aux lions et on passe sous les têtes de lions, les gargouilles têtes de lions. Et donc on peut penser, il est plus que probable, que l'expression « Gueule d'or » du restaurant de l'arsenal, on va manger à la Gueule d'or, parce qu'on devait passer sous ces têtes de lions.
- Marion Watras
Alors Gueule d'or donc pour ces lions, mais aussi un peu ironiquement parce qu'on dit qu'on n'y mangeait pas si bien que ça.
- Gérard Cabon
Ah ouais, alors on y mangeait... C'était sûrement la grosse cavalerie surtout à l'époque. L'ambition c'était de faire que les ouvriers puissent manger un repas chaud, qu'ils tiennent bien encore comme on disait à l'époque. Et puis voilà, c'était ça l'ambition de départ. Il y a une chanson que tout le monde de Brest connaît là, comment ? "Avec sa gamelle, à petit pas, petit pas, petit pas, avec sa gamelle, au port il s'en va...". Moi, je fais plein de visites aux Capucins. Il y a régulièrement des gens qui me parlent de la Gueule d'or quand même. Même s'ils n'y étaient pas, ils ont entendu par leur père, leur oncle, leur beau-frère. Quand on parle de la restauration, il y a toujours quelqu'un qui parle de la Gueule d'or. Donc, c'est vraiment dans le langage brestois.
- Marion Watras
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