- Speaker #0
il y a une expression qui circule de plus en plus, parfois à voix basse, parfois avec un sourire en coin, parfois encore avec une vraie envie. Je parle du « no working » . Derrière ces deux mots, on trouve des réalités très différentes. Le refus pur et simple du travail, le choix d'un rythme plus lent, l'affirmation d'un droit à souffler ou encore la critique de la place démesurée que le travail a prise dans nos vies. Dans un monde où le travail définit encore notre statut, notre valeur, notre utilité. Que devient-on quand on n'en a plus ? Est-ce un simple passage à vide, une lassitude, ou le signe qu'il est temps d'inventer autre chose ? Aujourd'hui, on le sent, il y a comme une ligne de fracture. Il y a ceux qui restent profondément attachés à la valeur travail, et ceux, parfois épuisés, parfois simplement lucides, qui partent en quête d'un autre modèle. Et si au lieu de voir cette envie de travailler moins comme un problème, On la voyait comme une piste à explorer. Dans cet épisode du Café sans filtre avec ton RH, le podcast sans tabou du monde du travail d'aujourd'hui, propulsé par le cabinet de conseil RH Blossom Talent, on va plonger dans cette réflexion. On va parler de ce que signifie travailler, de ce que ça implique pour nous, pour nos relations et pour la société entière. Pour en discuter, j'ai le plaisir d'accueillir Camille Lisop, philosophe de formation, Elle a aussi connu de l'intérieur les réalités du salariat, avec tout ce que cela comporte d'exigences, de rythmes imposés et parfois de contradictions. Camille est consultante en stratégie éditoriale. Elle travaille majoritairement avec des organisations qui veulent poser un autre regard sur le travail, sur l'égalité femmes-hommes et sur nos vies de tous les jours. Avec elle, on va prendre le temps d'écouter ce que ces mutations disent de nous et nous poser une vraie question. Faut-il encore ? que le travail soit au centre de nos vies. Bonjour Camille.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Est-ce que tu peux te présenter pour nos auditeurs ?
- Speaker #1
Alors, je m'appelle Camille, je suis philosophe de formation, j'ai travaillé dans le milieu de l'innovation sociale puis en politique, et aujourd'hui je suis indépendante. En tant qu'indépendante, j'ai trois activités. Je travaille en tant que consultante en stratégie éditoriale pour des agences ou des marques. Je travaille également comme pigiste, donc j'écris des articles pour des médias. Et j'ai une dernière activité qui concerne ma participation active à l'organisation d'un festival féministe qui se tiendra à Paris en octobre 2025. C'est un festival qui propose pendant deux jours des ateliers à destination des femmes et des minorités de genre pour apprendre à bricoler et pour découvrir des savoir-faire techniques qui sont souvent réservées aux hommes. Par exemple, tout ce qui touche au métier du bâtiment, de la construction ou bien à la mécanique.
- Speaker #0
Je reviens sur ta casquette éditoriale. Qu'est-ce qui t'a amenée à aller vers ce métier ?
- Speaker #1
C'est l'écriture, ou l'amour de l'écriture. J'ai toujours écrit dans ma vie et dans mon travail, mais ça n'a pas toujours été le cœur de mon métier. Ça a généralement été très présent. Et dans ma dernière expérience professionnelle comme collaboratrice d'un élu, c'est là que j'ai ressenti un petit peu le manque de l'écriture qui n'était pas au cœur de mon métier. Le jour où j'ai quitté ce poste, j'ai souhaité devenir indépendante pour façonner ma vie professionnelle et qu'elle tourne autour de l'écriture.
- Speaker #0
Grâce à cette passion pour l'écriture, j'imagine que tu as développé également des vraies qualités d'observation et ça va enrichir notre podcast tout au long des questions, des nombreuses questions que je vais te poser. Mais on va rentrer tout de suite dans le fil du sujet. Je parlais tout à l'heure en introduction du no working. Est-ce que tu peux nous dire d'où ça vient ?
- Speaker #1
Alors, je ne sais pas si on peut parler d'un mouvement du networking en tant que tel. Networking, c'est une formule qu'on a forgée et qu'on emploie au départ avec des amis, avec un peu d'humour et de provocation. Donc nous, on aime bien dire qu'on est contre le travail, qu'on est anti-travail, qu'on prépare l'abolition du travail.
- Speaker #0
Carrément.
- Speaker #1
Carrément l'abolition. On dit ça sur le ton de la blague, bien sûr, mais derrière, il y a effectivement une réflexion plus sérieuse qui s'inscrit pour le coup dans un mouvement, un mouvement qui, depuis quelques années, s'emploie à... questionner le sens et la place du travail dans nos vies, questionner son organisation, et qui s'emploie à renouveler la place du travail dans nos vies, à renouveler notre rapport au travail. Donc on a beaucoup entendu parler de grandes démissions, de quiet quitting, des jeunes qui ne veulent plus travailler. Ça, c'est des propos qui sont généralement tenus par une catégorie de personnes qui a au moins une cinquantaine d'années et qui a souvent un rapport relativement traditionnel au travail. Parfois même, ça peut être emprunt d'un discours un petit peu revanchard. une forme de vengeance. Pardon pour l'expression, mais il y a cette idée que nous, on en a chier et on mouffetait pas. Donc en fait... À vous de serrer les fesses, pardon, pour cette expression. Ça paraît inaudible et injuste pour cette génération de voir cette nouvelle génération remettre profondément en question et refuser certaines pratiques qu'elles et eux ont acceptées, patiemment. Ce qui est important pour nous, c'est de comprendre que d'abord, ce n'est pas parce qu'elles et eux n'ont pas remis en question ces choses-là que la nouvelle génération n'est pas parfaitement légitime à le faire. D'autre part, et surtout... En fait, tenir ses propos, c'est ne pas voir qu'on ne vit absolument pas dans le même monde. Soit quelqu'un qui a une vingtaine d'années dans les années 2020 et quelqu'un qui a eu 20 ans dans les années 80, ça n'a rien à voir. Parce que, d'une part, le marché du travail a été très largement reconfiguré, il a été flexibilisé, précarisé. L'état du monde aussi a été complètement reconfiguré, sans rentrer dans les détails des crises écologiques et politiques qu'on vit aujourd'hui. On peut convenir que du fait que... tenir des propos aussi clivants entre ces deux visions des choses selon les générations, c'est ne rien comprendre. En fait, ne pas prendre en considération les ruptures et les bascules qui ont transformé le monde du travail et le monde dans lequel on vit, c'est nécessairement une condamnation à ne rien comprendre aux transformations dans notre rapport au travail.
- Speaker #0
J'entends effectivement que ce sont des positions très divergentes. Et ce qui va être intéressant, Camille, c'est que tu nous apportes une vision de l'intérieur sur pourquoi... pourquoi on est sur ces positions très opposées l'une de l'autre.
- Speaker #1
Oui, exactement. C'est vraiment un sujet qui est très vite clivant, très vite houleux, notamment quand on parle de la question du temps de travail. Michel Rocard disait qu'il y a deux sujets dont on n'arrive jamais à débattre sereinement, c'est le nucléaire et le temps de travail. Et je crois que ce n'est pas complètement faux, même s'il y a certainement d'autres sujets à ajouter à la liste. D'ailleurs, chaque fois qu'il y a une réduction du temps de travail, il y a des personnes qui paniquent. Au moment des premiers congés payés, on avait peur que les gens partent à la mer et n'en reviennent jamais. Bref, c'est une discussion effectivement qui n'est pas facile, qui est très passionnée. Dans ce contexte-là, moi, les discours radicaux et tranchés comme celui du no working, je les vois vraiment comme une réaction à cette difficulté à dialoguer. Donc je pense aussi à d'autres discours et d'autres pratiques, notamment qu'on peut voir en ligne et sur les réseaux sociaux. Donc on a vu par exemple l'émergence d'un flux chômeur. Donc c'est des personnes qui documentent leur période de chômage sur les réseaux sociaux. leur pérégrination avec France Travail, leur recherche d'emploi et des réflexions sur le travail. Il y a aussi des personnes qui revendiquent le fait de détravailler. Il y a des personnes qui parlent de la retraite à 40 ans. Et pour moi, si on a besoin de passer par des modes d'expression aussi radicaux et très souvent aussi humoristiques, c'est parce que le chemin à parcourir est tellement loin et les positions sont tellement éloignées parfois d'une génération à l'autre. Et d'ailleurs... pas que d'une génération à l'autre, ça peut être aussi au sein d'une même génération, mais il y a tellement de chemin à parcourir que pour réussir à façonner au bout du compte une critique qui soit constructive et surtout qui soit audible, on en vient parfois à passer par des propos très tranchés, très radicaux, et en fait, ce que ça dit, à mon sens, c'est qu'on a besoin de désacraliser le rapport au travail. On a besoin de briser une idole, de tuer le... le dieu du travail, en finir avec cette sacralisation du travail qui empêche d'être dans un rapport beaucoup plus dépassionné, pragmatique et matérialiste à la chose.
- Speaker #0
C'est intéressant, donc retirer de l'émotion peut-être sur le sujet. Moi, j'ai une question un peu provocante, mais puisqu'on est sur un sujet qui polarise, pourquoi pas y aller ? Est-ce que le no working, ce n'est pas une posture de classe, une espèce de luxe ou au contraire, tout l'opposé, une sorte de nécessité aujourd'hui ?
- Speaker #1
Il faut savoir qu'en France, le travail tue deux fois par jour. Si on prend un secteur comme le secteur du BTP, on compte en moyenne un mort par jour travaillé. La critique du travail, celle dans laquelle moi je me reconnais, elle a pour objectif numéro un d'améliorer les conditions de travail de toutes et tous et en priorité de celles et ceux qui exercent les métiers les plus pénibles et les plus précaires. Sur ce sujet, je renvoie au livre de Mathieu Lépine qui s'appelle « L'hécatombe invisible, enquête sur les morts au travail » . Mais si je parle de ça, c'est pour préciser que le fondement de la critique du travail La critique dans laquelle je m'inscris, qui est une critique du capitalisme du même coup, une critique anticapitaliste du travail, ce n'est pas un caprice. C'est la conscience aiguë de la mort au travail. Il n'y a pas que la mort au travail, il y a d'autres situations de souffrance au travail qui doivent évidemment être prises en considération. Mais mon point, c'est vraiment de dire que le fait de renouveler complètement notre rapport au travail et incarner ce renouvellement dans des évolutions concrètes, y compris législatives, c'est loin d'être un luxe, c'est évidemment une nécessité, c'est un enjeu de justice sociale. Cependant, je comprends la question. Effectivement, il y a différentes façons de s'exprimer. Dire qu'on est contre le travail, ce n'est pas neutre et c'est effectivement une posture de quelqu'un qui est privilégié parce qu'il faut avoir en tête que la grande menace, la grande peur pour certaines catégories de la population, c'est justement de perdre son travail. Si on pense à un autre point, c'est la thématique du chômage heureux dont on entend de plus en plus parler, cette idée que le chômage pourrait être... Une période, finalement, pour prendre soin de soi et de ses proches, une période idéale pour préparer un projet de reconversion professionnelle, ou pour retaper sa maison, ou que sais-je. En fait, on voit que le statut du chômage évolue un peu, et dans certains milieux, peut accéder à une certaine forme d'acceptabilité sociale. Là, on est effectivement dans une posture de privilégié, qui cependant... reste intéressante parce qu'elle introduit une vraie rupture sur le plan symbolique. Puisque cette idée d'associer une période de chômage à un temps heureux, constructif et qui peut être bon pour la société, c'est quelque chose d'assez subversif. Mais effectivement, pour profiter de son chômage avec sérénité, il faut bénéficier d'une certaine sécurité matérielle et psychologique, ne pas être trop inquiet pour la suite, avoir quelques garanties de retrouver un emploi derrière.
- Speaker #0
Oui, ce n'est pas simple. Et en te posant la question, j'avais en tête l'image d'une maman solo. Pour qui, elle, la question du no working est peut-être plus difficile à envisager. Et c'est vrai que le no working, quelque part, ça peut être une forme de, je ne sais pas, de renforcer les inégalités.
- Speaker #1
Il faut vraiment le prendre pour ce que c'est, c'est-à-dire une provocation. Une provocation pour dire... qu'on est allé trop loin et qu'on a besoin de revenir à un débat des passionnés et remettre au centre vraiment la question des conditions de travail et en priorité la question des conditions de travail des plus précaires et des ouvriers.
- Speaker #0
Camille, tu as très justement mis en avant le côté santé au travail et mortalité au travail, qui est quand même quelque chose d'hyper important sur ce sujet. En France, il faut le rappeler, on est le premier pays d'Europe où le travail tue. Et ça, il faut le rappeler, le marteler encore et encore. Ça paraît éloigné de nous, mais quand on y réfléchit, il y a tous les métiers de commerce itinérant, des commerciaux qui sont sur la route et qui font des accidents de voiture. Il y a également tous les suicides, les burn-out. Il y a une vraie problématique et je suis vraiment heureuse que tu l'aies mise en avant dans ta réponse et puis dans ce sujet qui effectivement est provoque. mais en même temps tellement nécessaires. Est-ce que pour toi, il y a un rejet du travail ou c'est un rejet du système de l'exploitation auquel on assiste aujourd'hui ?
- Speaker #1
Alors effectivement, je ne l'ai pas précisé, mais il faut le faire, on ne rejette pas le travail, on ne dit pas qu'il ne faut plus travailler. On pourrait croire comme ça, on en a l'air, mais en réalité, l'idée, ce n'est pas de dire qu'il ne faut plus travailler, plus produire. plus faire des efforts ça n'aurait aucun sens, on ne peut pas vivre dans ces conditions. Donc effectivement ce qu'on rejette c'est vraiment l'organisation du travail actuel, c'est la mort au travail, ce sont les bullshit jobs, ce sont les burn-out. D'abord il y a une chose qui me semble importante d'être, une critique qui me semble très importante, c'est la critique de la moralisation du travail. Il y a une citation que j'aime beaucoup, que j'ai découverte dans un ouvrage de Nicolas Framont qui est sociologue de formation et qui est le rédacteur en chef. de Frustration Magazine. C'était un slogan ouvrier du début du XXe siècle qui incarne, je trouve, assez bien la direction de la critique du travail dans laquelle moi, je me reconnais. C'est un slogan qui dit « Petits salaires, petits horaires » . Donc, c'est vraiment cette idée de revenir à la base, revenir à l'échange de bons procédés, qui est le cadre contractuel du travail, dans le cadre de l'emploi. Donc, cette phrase, c'est Émile Pouget, donc un militant ouvrier qui l'a dit. Et ce militant, il écrit dans le journal qu'il tenait, qui s'appelait « Le père Pénard » . D'ailleurs... J'aime beaucoup le nom de ce journal, le Père Pénard. En fait, ça fait le lien avec nous aussi, un champ lexical qu'on aime remettre au goût du jour et surtout prendre au sérieux et valoriser quand on parle du loisir, de faire l'éloge du loisir, du repos, de la sieste, de la paresse. C'est un des éloges que d'autres ont fait avant nous, mais sur lesquels il me semble intéressant de s'attarder. Donc là, le Père Pénard. La citation, c'est la suivante. Dans ce journal, Émile Pouget dit il parle du fait qu'il faut d'abord s'en prendre à cette morale du travail bien fait à tout prix et dans n'importe quelle condition. Donc il dit « C'est au nom des prescriptions de cette morale spéciale que les ouvriers doivent trimer dur et sans trêve au profit de leur patron, et que tout relâchement de leur part dans l'effort de production, tout ce qui tend à réduire le bénéfice exempté par l'employeur, est qualifié d'action immorale. » Et je trouve très intéressant cette question de la morale, parce que ça fait le lien avec l'idée que le travail est sacralisé. Et pour moi, les discours très tranchés et radicaux comme celui du networking, ils ont vraiment vocation à, comme je dis parfois, à tuer le dieu du travail, à briser une édole. Et en fait, ce dont il s'agit là, c'est un vrai renversement dans l'ordre des valeurs. C'est l'idée de dire que la morale, elle se trouve ailleurs, que le travail, ce n'est pas une question de morale. C'est l'idée d'aller vers une approche beaucoup plus matérialiste et surtout de s'affranchir, comme le dit et le propose Émile Pouget, de cette approche moralisatrice. s'émanciper de ce paradigme qui fait en réalité de l'aliénation des travailleurs et des travailleuses qui fait de leur épuisement et de leur posture parfois sacrificielle la mesure de leur respectabilité.
- Speaker #0
Il y a d'autres choses qui devraient être prises en compte. En fait, il y a un surinvestissement dans le travail et j'aime bien effectivement l'exemple que tu prends, parce qu'il permet de faire un pas de côté et de regarder et sous-peser ce qui se joue. On n'a pas besoin d'être dans une posture de sacrifice quand il s'agit de travailler.
- Speaker #1
Exactement. Effectivement, ce n'est pas le travail qu'on rejette, c'est le système d'exploitation et le marché du travail dans lequel on se retrouve bien assez tôt. Il y a des références culturelles que je trouve vraiment intéressantes pour illustrer le fait que le problème n'est pas de travailler, que tout le monde a envie de travailler. Si par travail, on entend la possibilité d'avoir un projet, de le réaliser, d'avoir prise sur les outils de production et d'avoir prise sur le produit réalisé. Il y a une personne, une artiste qui s'appelle Safia Firs. C'est le nom de son compte Instagram que j'aime beaucoup, que je voudrais peut-être citer ici. Elle, elle incarne vraiment ce propos-là, c'est-à-dire à la fois une critique acerbe du monde du travail et en même temps un idéal émancipateur du travail. Elle, elle a documenté sa période de chômage avec beaucoup d'humour sur son compte Instagram. Elle raconte ses péripaties avec, je cite, France Labeur. Elle parle de sa casquette de chômeuse. elle se présente vraiment de façon quasiment identitaire comme chômeuse. C'est une jeune personne qui doit avoir moins de 30 ans. Et elle raconte à quel point le chômage est formidable pour elle, parce que ça lui a permis d'expérimenter la vie sans les longs trajets en RER le matin et le soir. À un moment, elle fait une vidéo qui est une parodie de chronique télévision avec un bandeau qui dit « Safia Fierce aime le chômage » . Elle dit à quel point ça la rend heureuse. Et elle dit littéralement « Je n'aime pas le travail, je n'aime pas travailler » . Et en fait, je trouve que cette phrase, elle est très très forte. Enfin, c'est très fort de dire ça. En fait, c'est dur. C'est très subversif de dire ça. Elle ajoute que son tweet préféré de l'humanité, c'est le suivant. « Kala détruise le monde du travail. » Donc vraiment, on est dans le registre de l'abolition du travail. Et pourtant, manifestement, elle a beaucoup travaillé pour produire ce contenu qui nous fait réfléchir sur le monde du travail. Elle a beaucoup travaillé pendant cette période de chômage qui, en fait, lui a permis de déployer son projet professionnel d'ordre artistique. Donc, ce qu'elle n'aime pas, c'est pas tant... le lundi. En fait, comme dit justement Nicolas Framont dans son ouvrage, ce qu'on déteste, ce n'est pas le lundi, c'est la domination au travail. Elle, ce n'est pas le lundi son problème, c'est la domination au travail, c'est le RER pendant deux heures et c'est le racisme ordinaire qu'elle subit au travail.
- Speaker #0
Avant de poursuivre notre discussion avec notre invité, j'aimerais prendre un moment pour vous adresser un message très spécial. Si vous aimez ce que vous entendez jusqu'à présent et que vous trouvez notre podcast Café sans filtre avec ton RH informatif et enrichissant, je vous serai... extrêmement reconnaissante si vous preniez quelques instants pour nous soutenir. Il vous suffit de partager ce podcast avec vos amis, collègues et proches qui pourraient également bénéficier de cette conversation sans tabou. Votre soutien nous aide à toucher davantage de personnes et à continuer à produire du contenu de qualité. Vous pouvez aussi nous laisser une évaluation positive avec 5 étoiles sur la plateforme de podcast de votre choix.
- Speaker #1
Cela nous aide énormément à mieux être référencés et à atteindre de nouveaux auditeurs. passionnés comme vous. Merci infiniment pour votre soutien. L'interview continue.
- Speaker #0
J'ai une dernière question à te poser sur le no working avant qu'on passe sur la valeur travail versus quête de sens. Camille, selon toi, peut-on ne pas travailler dans une société qui valorise l'utilité et la productivité ?
- Speaker #1
Pour répondre à cette question, je pense que c'est important de vraiment faire la distinction entre le travail et l'emploi et de garder en tête que si on a une définition du travail Merci. comme d'une activité qui vise à produire quelque chose ou à prodiguer des soins. À ce moment-là, le travail, c'est avoir un projet, se donner le moyen de le réaliser et ensuite disposer du résultat. Ça veut dire que jardiner, élever ses enfants ou cuisiner, ça peut être considéré comme du travail. C'est très bien expliqué par le philosophe Bernard Stiegler dans un livre qui s'appelle « L'emploi est mort, vive le travail » , dans lequel il invite à valoriser beaucoup plus... trouver des moyens dans notre société de valoriser beaucoup plus le travail en dehors du cadre de l'emploi. Et il faut évidemment avoir en tête aussi toute la part du travail domestique, qui est du travail gratuit, qui a été largement documenté par les penseuses féministes, notamment les penseuses du CAIR, donc la philosophie du soin. J'ai un autre exemple culturel qui illustre ça, c'est dans le film Les Tuches, qui est une comédie qui en réalité a un vrai propos sur le travail. On voit Jeff Tuche, fou de joie de se faire enfin virer de chez... Bias, donc c'est l'usine de billes où il travaillait à la chaîne comme ouvrier. Un jour, il est enfin viré, il est très heureux, et on le voit chanter dans sa voiture une chanson qui dit « Les gens qui bossent, ils exploitent la planète, et puis tant pis si ça pète, abat les gens qui bossent. » Donc on est en plein dans le networking, et en fait, ce qui est important, c'est d'avoir en tête que oui, il dit tout ça, mais en fait, une fois qu'il est viré, qu'est-ce qu'il fait, Jeff Tuch ? Il peut enfin se consacrer à sa famille et à sa passion, le foot, et à ce moment-là, il va entraîner les jeunes Un peu plus tard dans le film, il entraînera les jeunes du club de foot de l'AS Monaco. Et bien, entraîner des jeunes dans un club de foot, il le fait hors cadre d'emploi, mais bien sûr que c'est du travail. Et un travail beaucoup plus émancipateur que le travail aliénant qui était le sien dans le cadre de son emploi. Chez Bias.
- Speaker #0
Hyper intéressant cette référence très populaire au Tuche, effectivement, qui montre de façon extrêmement précise et claire que le travail prend des formes tout à fait différentes et que c'est souvent une réflexion que j'ai, souvent quand j'accompagne des personnes qui doivent rédiger leur CV et que ce sont des jeunes diplômés ou en formation, ils me disent « mais moi, je n'ai pas d'expérience, ce n'est pas vrai » . on a... tous des activités qu'on réalise, où on est dans la transmission, où on est dans l'organisation, la structuration d'idées pour aller vers un objectif. Et c'est pas parce qu'on n'est pas rémunéré que ça n'a pas de valeur. Bien au contraire. Eh bien, sur ces belles paroles, je te propose de passer à la partie plutôt orientée sur la valeur au travail versus la quête de sens. Pour toi, on travaille pour vivre ou se réaliser ? Question très philosophique.
- Speaker #1
Alors moi, j'ai été plutôt bercée dans le culte du travail. Cette idée que le travail, c'est la santé. On est un certain nombre à avoir grandi avec cette idée-là. Et en grandissant, on est aussi un certain nombre à avoir vu que pas toujours. Donc voilà, on a été amené à détricoter un peu cette idée-là. Et aujourd'hui, moi, j'ai un rapport très désillusionné au travail. Je suis loin d'être la seule. Et je crois que c'est plutôt une bonne chose. C'est ça qui me permet aujourd'hui de trouver la juste distance, de m'investir avec toutes mes compétences, mais pas forcément avec tout mon être dans tous les aspects de ma vie professionnelle. Je pense que c'est ça qui m'aide à être plus en place et finalement aussi plus efficace au travail. Cette posture qui signifie aussi avoir peut-être moins d'attentes vis-à-vis du travail, je pense que c'est un rapport qui est plus réaliste, plus lucide. parfois je me demande si c'est pas S'il n'y a pas quelque chose de cynique dans le rapport que certaines personnes ont à leur travail, je pense par exemple à des personnes qui ont une conscience aiguë de la destruction que provoque leur emploi sur les humains ou sur le vivant en général, et qui continuent cependant à l'exercer malgré la dissonance cognitive. Et en fait, je ne pense pas que ce soit les travailleurs et les travailleuses qui soient cyniques dans ces cas de figure-là. Je pense que ces personnes-là font bien ce qu'elles peuvent, avec les contraintes qui sont les leurs. Et je dirais plutôt que c'est la réalité qui est cynique, peut-être du coup la réalité de l'action de certaines grosses entreprises. Mais les personnes qui continuent malgré tout d'occuper ces postes, je pense qu'elles sont plutôt lucides, pragmatiques et surtout très contraintes.
- Speaker #0
Camille, selon toi, pourquoi on voit aujourd'hui autant de reconversions ? Est-ce que tu penses qu'on assiste à une forme de lassitude du salariat ?
- Speaker #1
Je crois que les personnes essayent de composer avec le réel. que chacun et chacune essaye de trouver la situation la moins douloureuse possible. Je pense là encore à un extrait d'un livre de Nicolas Framont qui s'appelle Parasites, qui dit la chose suivante en parlant de la grande démission. Il dit « La grande démission est un symptôme direct des évolutions du travail qui le rendent insupportable à celles et ceux qui l'occupent, mais elle est aussi le symptôme de notre dépossession, de notre impuissance à lutter contre ces évolutions qui dévalorisent nos journées. » Dans la grande démission, il y a une résistance mélancolique, celle des personnes qui refusent de continuer à, je cite, « faire de la merde » et je cite « travailler pour des cons » , mais qui, en l'absence de possibilités alternatives, risquent de passer leur vie à fuir, ce qui reste préférable, selon moi, à passer sa vie à subir. Il en résulte que, particulièrement chez les jeunes générations, nous sommes des centaines de milliers à constituer une main-d'œuvre vagabonde qui va d'un emploi à l'autre en fonction du temps supportable qu'il est possible d'y passer. La grande démission est donc le symptôme autant qu'une tentative de remède.
- Speaker #0
Je pense qu'avec le Covid, les gens se sont libérés. Ça a été vraiment une espèce d'électrochoc. Mais je te rejoins sur ce que tu dis et ce que tu partages du livre de Nicolas Frémont. Hyper intéressant. D'ailleurs, je me demande si... Allez, pour la petite... Je vais me le procurer. Je le partagerai avec l'un des auditeurs parce que je pense que plus on partage, plus on permettra de faire évoluer ce travail et d'avoir des références pour en parler de façon très concrète.
- Speaker #1
Et j'ai le sentiment qu'il y a eu aussi une forme de désillusion collective, en tout cas qu'il y a un certain nombre de, on dit des red flags, qui sont vraiment maintenant... collectivement identifiés. Je veux dire par là, dans la novlangue managériale qui nous vend des grandes familles où on compte pas ses heures, etc. En fait, j'ai l'impression qu'aujourd'hui, le grand monde n'est vraiment dupe de ça. Et il y a d'ailleurs un certain nombre, à nouveau sur les réseaux sociaux, un certain nombre de comptes parodiques, de posts qui fleurissent pour battre en brèche ce discours-là.
- Speaker #0
Du coup, Camille, pour toi, à ton avis, est-ce qu'on travaille trop ? Ou est-ce qu'on travaille mal ?
- Speaker #1
Un peu les deux. Je crois qu'on travaille souvent trop et parfois mal. En tout cas, sur le temps de travail, ça a été documenté. Il y a des chiffres de l'INSEE qui montrent qu'en travaillant moins, on travaille mieux. C'est aussi tout le propos d'un livre qui s'appelle « Travailler moins pour vivre mieux » écrit par la philosophe Céline Marty. Maintenant, on voit la difficulté qu'on a à accepter collectivement cette idée de travailler moins. On le voit par exemple avec la semaine de quatre jours. en même temps qu'on développe la semaine de 4 jours on invente la semaine en 4 jours donc c'est à dire réorganiser le temps de travail sur 4 jours au lieu de 5 donc finalement travailler autant et même travailler plus chaque jour donc on a vraiment du mal à accepter cette idée là c'est difficile ensuite sur la manière dont on travaille j'ai l'impression qu'il y a comme une forme de traumatisme dans certains milieux associatifs de l'ESS ou bien dans le militantisme de gauche ... et plutôt de la part des jeunes générations, il y a comme un traumatisme des organisations très verticales avec beaucoup de hiérarchies, de process et de chefs. Et en fait, dans certains cas, on tombe dans un écueil opposé où on a très peur de prendre le pouvoir. Et du coup, on se retrouve à ne pas forcément prendre de responsabilités, à ne pas forcément... Il y a parfois une réticence à la structuration, un peu comme si attacher des... tâches et des responsabilités aux uns et aux unes, ce serait une façon de léser les autres. En fait, on a une espèce de... On a vraiment une difficulté à se réconcilier avec s'organiser, avec se structurer. Et c'est très nocif parce que, à la fois pour l'efficacité du groupe et pour le bien-être dans les organisations, parce que ça risque dans certains cas de créer une espèce de brouillard où on ne sait plus trop qui fait quoi. Et à force de considérer peut-être que tout le monde est légitime, personne ne se sent légitime parce qu'on ne lui a pas vraiment donné le cadre et le statut. qui permet de se sentir légitime. J'ai un exemple très rapide pour illustrer ça, c'était, j'ai participé à une réunion d'accueil à Extinction Rebellion. Alors c'est un collectif qui est collectif militant de gauche, qui est très ouvert, il y a très peu de barrières à l'entrée. Et en fait, ce qui s'est passé dans cette réunion d'accueil, c'est qu'on nous a distribué des post-its sur lesquels il y avait écrit, sur chaque post-it, un des principes du collectif. Et c'était à nous d'expliciter ce que ça voulait dire, comment on comprenait, ce que ça disait du collectif. Et on était bien en peine de le faire parce qu'on n'avait pas la réponse, parce qu'on ne connaissait pas ce collectif. Alors on pouvait improviser chacun, chacune, mais ce n'était pas très pertinent. Et je bouillonnais de voir cette organisation qui ne prenait pas ses responsabilités, à savoir nous présenter le collectif, sa culture, et nous expliquer. Et je crois que dans certains cas, le tout-sachant, tout-apprenant, qui évidemment est très intéressant, on sait d'où ça vient et en réaction à quoi ça émerge, mais dans certains cas, on va beaucoup trop loin. et c'est vraiment délétère pour tout le monde.
- Speaker #0
Oui, je te rejoins là-dessus. Effectivement, ces organisations, par peur de passer pour autoritaires, consultent tout le monde pour tout et pour rien. C'est très dommageable. D'ailleurs, ça fait écho à une réflexion que je me faisais par rapport aux RH aujourd'hui, qui ont un rôle un peu ambigu sur ces sujets-là, à savoir, est-ce que leur positionnement, c'est d'accompagner une émancipation réelle ? c'est-à-dire en aidant à mieux articuler, à donner du sens, de l'utilité et trouver une forme d'équilibre, ou des RH qui participent à une forme de moralisation du travail en organisant des after-work bien précis, dans un calendrier, avec des séances de yoga et des séances… de méditation. Je ne sais pas que je critique les activités en elles-mêmes. Ce que je critique, c'est le fait de faire une sorte d'une culture du travail. Ça, c'est très... Une culture d'entreprise, je peux le comprendre, mais une culture du travail, des leviers du travail pour tous être une famille. Je me pose des questions. Alors, on arrive à la fin du pot. podcast. Merci Camille pour toutes ces informations et ce regard philosophique sur un sujet provocateur, mais pour la bonne cause. Est-ce qu'il y a une question que je ne t'ai pas posée et que tu aurais aimé que je te pose ? Je crois que j'aurais bien aimé que tu me demandes où j'ai fait mon stage de troisième.
- Speaker #1
Ton stage de troisième ? Ça remonte un petit peu.
- Speaker #0
Pas tant.
- Speaker #1
Alors pourquoi tu aurais aimé que je te pose cette question ?
- Speaker #0
Parce que je ne vais pas te parler vraiment de mon stage de troisième à l'époque du collège, mais je vais te parler d'un autre stage de troisième. C'est-à-dire que le jour où j'ai quitté mon premier poste salarié, je suis partie avec une rupture conventionnelle et un droit au chômage et j'en ai profité pour me demander ce que j'allais faire. après, j'ai eu un peu de temps pour explorer quelques horizons et je ne savais pas trop comment m'y prendre et je me suis dit mais ce qui serait génial ce serait que je puisse faire un stage de troisième, j'étais plus en troisième mais j'ai commencé à réfléchir à des organisations à qui je pourrais proposer ça et puis ensuite j'ai appris que ça existait en fait qu'il y a une convention de stage qui existe donc la période de mise en situation en milieu professionnel qui peut être notamment délivrée par Pôle Emploi à l'époque Merci. Et donc, j'ai eu la possibilité de réaliser deux stages de troisième, comme je les appelais, dans des cabinets d'élus, puisque j'avais envie de me tourner vers un métier un peu plus politique. Et ça a été vraiment des expériences incroyables. C'était très court, c'était deux stages d'une semaine. Mais en fait, en une semaine, c'était comme si je rentrais dans une machine à laver et que j'apprenais chaque jour énormément de choses. J'ai pu rencontrer des personnes, certaines avec qui je suis encore en contact aujourd'hui. Donc, ça a été des très belles rencontres. pour certaines et j'étais complètement immergée dans des univers que je ne connaissais pas. Donc ça a été vraiment très très enrichissant pour moi et depuis je fais l'apologie du stage de 3e autour de moi. J'ai pas mal d'amis qui en ont réalisé depuis et à qui ça a ouvert aussi de nombreuses portes.
- Speaker #1
Bah super ! Dans ce cas-là, ce que je vais faire, c'est que je mettrai dans la description du podcast le lien vers ce fameux formulaire qui permet de pouvoir faire des stages
- Speaker #0
MSMP.
- Speaker #1
exactement, des stages troisième pour les nostalgiques le temps est venu Camille de conclure notre podcast, notre épisode est-ce qu'il y a un mot de la fin que tu aimerais partager et que l'on garde en souvenir de cet épisode ?
- Speaker #0
alors là j'ai une idée qui me vient c'est un peu un comble parce que comme on dit les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés et je fais l'apologie du networking mais je travaille beaucoup Merci. Et là, ce que j'allais répondre, c'est un slogan de mes 68 que j'adore qui dit en lettres capitales, ne travaillez jamais.
- Speaker #1
Eh bien, ce sera le mot de la fin qui est très bien choisi. Merci beaucoup Camille. Merci à vous d'avoir écouté cet épisode de notre podcast. Pour rester informé sur nos prochains épisodes et bénéficier de contenus exclusifs, inscrivez-vous à notre newsletter. De plus, votre soutien est crucial. Laissez-nous un avis positif sur votre plateforme d'écoute préférée pour nous aider à toucher davantage de personnes. Ensemble, agissons pour un monde professionnel plus sain et plus épanouissant. Merci.