Julien CrosCarnet de bord du Mediatrainer, une série de podcasts pour parler de la communication et de la prise de parole médiatique à travers le regard d'un Mediatrainer pour partager analyse, réflexion et éléments de méthode. Bonjour et bienvenue dans ce premier épisode de Carnet de bord du Mediatrainer, une série de podcasts conçue comme un espace de réflexion autour de la communication et de la prise de parole médiatique. Juste un mot pour commencer, pour expliquer un peu ma démarche. J'ai pensé ce format en imaginant deux choses. D'abord, offrir un prolongement à celles et ceux que j'accompagne dans la pratique du média training et proposer par ailleurs à tout le monde des perspectives plus larges sur des questions plus fondamentales liées à la communication. Ce podcast est en quelque sorte une invitation à explorer ensemble les dynamiques de la parole publique et médiatique, à la croiser entre technique, enjeux politiques et interrogations sociétales. En dépassant les frontières strictes, de l'exercice du Media Training, je voudrais ouvrir ce podcast à une réflexion plus large sur la communication et ses paradoxes. Ce sera pour moi aussi l'occasion de partager des éléments de méthode et de technique pour, je l'espère, nourrir votre approche de la prise de parole médiatique, que vous en soyez acteur ou simplement observateur. Pour ce premier carnet de bord, je voulais poser une question en apparence toute simple. À quoi sert le Media Training ? On va se débarrasser d'une définition de base dont vous vous doutez bien que si je consacre un podcast à interroger le sens du media training, c'est qu'elle n'est pas ou n'est plus satisfaisante ou pertinente. Le media training, c'est un exercice de communication qui consiste à préparer une personne à répondre à une interview et à gérer sa relation avec les médias. Alors répondre à une interview, c'est vraiment la définition de base. Gérer sa relation aux médias, c'est une définition déjà un peu plus étendue. L'exercice s'est développé avec la télévision de masse et la professionnalisation des métiers de la communication. concernait alors grosso modo les politiques de premier plan et les grands patrons. On peut faire du media training pour la télé, mais aussi pour la radio, bien sûr, et puis pour la presse écrite. L'exercice reste toujours le même, être préparé à répondre à une interview. Le media training est un phénomène historique, car il est consubstantiel de l'évolution des médias, surtout à partir des années 1970. On dit souvent que le media training est une sorte de formatage de la parole, probablement à juste titre, en tout cas jusqu'à un certain point. Mais je reviens à ma question initiale. A quoi sert le media training dans la forme que je viens de décrire ici, plutôt classique, aujourd'hui ? Pour le dire simplement, à pas grand chose. En fait, je veux dire par là que le media training tel que je le décris n'a plus vraiment d'intérêt et surtout ne concerne plus qu'une toute petite portion des personnes pouvant passer dans les médias. Le media training, c'est un entraînement, comme son nom l'indique. Il suppose donc d'entraîner une capacité qui a déjà été acquise. Pour le dire autrement, faire du media training sans être préalablement formé à la rhétorique, c'est-à-dire aux fondamentaux du discours, est presque une erreur de méthode. Le media training tel qu'on l'entendait avant concerne aujourd'hui celles et ceux qui ont une présence médiatique relativement importante, des gens qui sont par ailleurs à l'aise avec l'exercice du discours de manière générale et qui cherchent avant tout, je dirais, à préparer chacun de leurs passages pour optimiser leur assurance et leur performance. De ce point de vue, d'ailleurs, c'est un exercice qui est plutôt formaliste. Les publics concernés sont par ailleurs aussi les publics historiquement habitués à pratiquer le media training politique et chef d'entreprise de premier plan. Pour autant, ce ne sont plus les seuls, et c'est là que c'est intéressant, loin de là, à se frotter à l'exercice. Mais pour toutes celles et ceux qui ne passent que ponctuellement dans les médias, je dirais que l'exercice a changé de nature et trouvé une utilité légèrement différente. C'est ce que j'ai pu observer à force d'accompagner d'une part des personnalités publiques très médiatiques et d'autre part des personnalités qui le sont moins. J'ai commencé à me poser la question du sens du media training, de façon un peu anecdotique, quand un jour un syndicaliste chevronné avec qui je travaillais sur cet exercice m'a dit Mais en fait le médiatraining c'est juste de la prise de parole en public devant une caméra. Bon, cette remarque était un peu provoque, mais qui me paraissait juste en fait parce qu'elle décrivait en creux l'évolution qu'a subi le discours et sa médiatisation depuis la révolution numérique et l'émergence des plateformes et des réseaux sociaux. Là on est entré dans une ère hyper médiatique dans laquelle toute parole, presque, peut être médiatisée à différents degrés. Là où le médiatraining classique traitait la parole de manière spécifique, l'hypermédiatisation dans laquelle nous vivons depuis YouTube, Twitter, Instagram, TikTok, entretient une forme de confusion entre ce qui serait public et ce qui serait médiatique. Si je prends un exemple, l'évolution des événements professionnels et le développement des dispositifs vidéo qui les accompagnent, couplés au relais de ces vidéos sur le web, transforment la nature même, par exemple, d'une simple table ronde. Événements publics par nature, ces tables rondes deviennent une prise de parole dans les médias pour ses participants dès lors qu'elle est filmée et relayée. Si je pousse cet exemple jusqu'à l'absurde, mais je pense que vous m'aurez compris à ce stade, il suffit d'un smartphone qui vous filme pendant un événement public et d'un... post de cette vidéo sur les réseaux pour que vous passiez d'une certaine façon à la télévision Cette évolution est à la fois inquiétante et intéressante. Elle est inquiétante bien sûr parce qu'elle pose des questions, notamment sur la perte de maîtrise de son image pour tout un chacun et d'absence de contrôle sur les contenus qui sont relayés. Elle est en revanche intéressante car elle remet aussi d'une certaine manière, j'allais dire, l'église au milieu du village. Je m'explique. L'hypermédiatisation des réseaux remet la rhétorique et ses effets au centre du jeu. C'est ce que je veux dire. La diversification des tons, des paroles, des profils depuis les premiers youtubeurs influenceurs. jusqu'aux nouveaux codes éditoriaux des réels Instagram, tout ça a fait voler en éclats les codes très rigides, les codes discursifs très rigides et un peu compassés qui avaient cours à l'époque de la télévision reine. L'époque, la nôtre, en cas de sens, valorise un peu plus ce que sont les piliers de ce qu'on appellera la rhétorique aristotélicienne, exige désormais de la sincérité, de la crédibilité, de l'émotion. Des aspects qui ont plus à voir avec les fondamentaux du discours qu'avec la cravatologie ou la gestuologie. Du mediatraining tel qu'il a fini par se caricaturer lui-même, je dois bien dire. Alors bien sûr, si vous allez sur un plateau télé habillé en clown et que vous faites de grands moulinets avec vos bras, il y a des chances qu'on vous trouve bizarre et qu'on ne coûte pas vraiment ce que vous avez à dire. Mais le formalisme étriqué en tant que tel n'a plus vraiment cours. Quand on voit une émission politique, par exemple sur M6, intitulée Une ambition intime où Karine Lemarchand reçoit des candidats à la présidentielle affalés sur un canapé, je crois qu'on peut dire les codes, ils ont changé. Dire que le fond du discours prime désormais sur la forme est une chose, mais dire que la forme n'aurait plus d'impact en est une autre à laquelle je ne me risquerais pas ici, aujourd'hui. Ce qui me paraît juste à dire en revanche, c'est que les codes formels, à force d'être diffusés et répliqués dans des contenus médiatiques toujours plus nombreux, ont fini par mitridatiser les publics. Pour rappel, l'expression mitridatiser vient du roi Mitridatis, qui régnait sur le royaume du Pont, au nord de l'actuelle Turquie, à l'époque romaine. Il craignait tellement de mourir empoisonné qu'il avait décidé d'ingurgiter de petites doses de poison tous les jours pour s'en immuniser. Ironie sans doute légendaire de l'histoire, quand les Romains ont envahi son royaume, il ne put se suicider par poison car il était devenu insensible, et demanda à l'un de ses gardes de le passer par le fil de l'épée. Cruel. Mais revenons à nos médias. Cette mitridatisation donc des publics induit que les effets de forme seule ne permettent plus au discours de produire un impact significatif. Il faut donc s'appuyer sur le sens de son message et sa nature sincère, critique. émouvante, inspirante, etc. Il faut en fait revenir au discours pour mieux aborder les médias. C'est le paradoxe apparent de cette histoire et cela a une conséquence qui m'amène à vous partager ces réflexions. Au fil du temps et avec cette hypermédiatisation qui fait désormais que beaucoup plus de profils peuvent se retrouver reliés sur les réseaux, j'ai vu les gens très différents venir faire du média training avec moi. On venait faire du média training même si on n'allait pas réellement passer à la télé. On comprenait cependant que les mots qu'on allait prononcer en public pouvaient avoir une résonance qui allait échapper. C'est ce que je décrivais à travers la médiatisation des tables rondes dans mon exemple tout à l'heure. N'importe quel salarié ou presque peut aujourd'hui se retrouver médiatisé par le simple fait d'avoir pris la parole en public. Soudainement, ce qui relevait d'une simple présentation orale plus ou moins stressante et n'engageant que sa crédibilité professionnelle se transformait en grand oral médiatique. Ce phénomène a créé une émulation par ailleurs très intéressante, je trouve, sur... niveau oratoire qui est monté à mon sens d'un cran depuis une dizaine d'années désormais le discours est pris comme un acte de communication et qu'il soit réellement ou non médiatisé à la fin chacun comprend mieux que sa parole devient le support de son image de marque le média training a donc aujourd'hui deux utilités la première concerne ses profils historiques politiques principalement qui continue de se servir de l'outil dans une logique de performance renouvelée et la seconde concerne tous les nouveaux publics qui se retrouvent projetés dans la sphère médiatique pas toujours volontairement. J'ai parlé des salariés, mais on pourra ajouter aussi tout le personnel politique qui n'avait pas vocation à passer à la télévision aux heures de grande écoute et se retrouvent aujourd'hui avec leur ronde serviette sur la myriade de chaînes d'information par exemple. On pourra ajouter également les acteurs associatifs, syndicaux, les sportifs, bref toutes celles et ceux qui, à travers leur réactivité, portent un message qui, de fait, se médiatise désormais presque automatiquement. J'ai donc vu de plus en plus de publics travailler avec moi en me demandant un média training même lorsqu'il n'avait pas nécessairement prévu de passer dans les médias. En fait, je crois que le mot même médiatraining est devenu une sorte de mot-code pour habiller un besoin de travailler son discours, sa rhétorique, en se préparant au pire, c'est-à-dire à la médiatisation et notamment la viralisation des contenus sur les réseaux, dont on sait qu'elle peut générer des effets indésirables. Aujourd'hui, je me retrouve de plus en plus souvent à travailler sur le discours public des gens que je coach, comme si je préparais avec eux un passage dans les médias, c'est-à-dire... intégrant des contraintes spécifiques de synthèse, d'encapsulage des messages, de formulation adaptée par exemple. Cette évolution me paraît intéressante car elle implique un retour au fond du discours, à la nécessité pour l'orateur notamment de se connaître lui-même et souvent de pratiquer une sorte d'exercice de maïotique personnel pour purger les éventuelles dissonances qui pollueraient son discours. C'est l'ironie de l'histoire, le media training qui était principalement un exercice de forme avant est devenu le support d'un exercice de fond aujourd'hui, où chacun doit s'interroger sur ses messages et la manière dont il doit s'adapter au contexte. dans lesquels il les délivre, contexte de plus en plus médiatique, directement ou par destination. La notion d'adaptation, d'ailleurs, pour l'orateur est un élément crucial lorsqu'il prend la parole en public et encore plus quand ce discours est médiatisé. On n'est jamais soi-même tel qu'en soi-même quand on fait un discours, c'est une idée complètement folle, mais l'idée de devoir s'adapter est parfois irritante pour l'orateur. On en comprend la nécessité, mais on en refuse souvent les conséquences a priori en confondant adaptation et insincérité. Cet enjeu de l'adaptation est poussé à son paroxysme par la dimension médiatique de plus en plus présente et qui contraint et qui angoisse souvent plus fortement. Au final, plutôt que d'aborder un point de méthode, je voulais dans ce premier épisode éclairer justement sur la pratique du media training elle-même et sur son évolution profonde pour toutes celles et ceux qui hésiteraient ou s'interrogeraient sur l'utilité de s'y frotter. Là où le coaching en prise de parole publique tend à travailler sur la singularité de l'orateur dans une démarche qui est presque devenue du développement personnel, Le média-training va chercher l'orateur sur ses capacités d'adaptation plus directement, en l'entraînant à considérer autant le fond de son propre discours que la manière dont il sera perçu et interprété par des publics variés, dans des contextes médiatiques parfois imprévisibles. Chacun peut alors s'interroger. Ai-je besoin de travailler sur ma confiance propre, sur moi, auquel cas le coaching en prise de parole publique sera tout à fait adapté, la fameuse formation en prise de parole, ou bien ai-je besoin de travailler sur ce qui échappe ? et la manière de m'y adapter, auquel cas le Media Training sera conceptuellement plus pertinent. C'est la fin du premier carnet de bord du Media Trainer. J'espère que ce premier numéro, en guise d'introduction, vous aura plu, vous aura intéressé. N'hésitez pas à me laisser vos commentaires, vos impressions, vos contestations, même si besoin. Moi, je vous dis à très bientôt pour un nouveau carnet de bord.