Julien CrosCarnet de bord du Mediatrainer, une sĂ©rie de podcasts pour parler de la communication et de la prise de parole mĂ©diatique Ă travers le regard d'un Mediatrainer pour partager analyse, rĂ©flexion et Ă©lĂ©ments de mĂ©thode. Bienvenue dans ce nouvel Ă©pisode de Carnet de bord du Mediatrainer, je suis Julien Cross et je poursuis mes rĂ©flexions autour de la parole mĂ©diatique et des paradoxes de la communication. Pour ce nouvel Ă©pisode, j'ai choisi de vous parler d'un sujet qui paraĂźtra Ă beaucoup... un peu dĂ©calĂ©, mais qui pourtant nous permet d'aborder un point de mĂ©diatraining et plus gĂ©nĂ©ralement de construction du discours absolument essentiel. Faites chauffer les merguez et enfilez vos plus belles chasubles, on va parler des syndicats dans cet Ă©pisode. J'ai toujours Ă©tĂ© intriguĂ© par l'ambiguĂŻtĂ© qui existe dans la perception des syndicats et surtout dans la nature de leur discours. Pour le grand public, les syndicats, c'est de gauche et ça fait de la politique. Les plus experts seront dĂ©jĂ tombĂ©s de leur chaise en m'entendant dire ça, mais je suis sĂ»r que mĂȘme les plus tĂątillons comprendront mon propos. Il y a un dĂ©calage profond entre la raison d'ĂȘtre des syndicats, leur histoire, et la maniĂšre dont peut-ĂȘtre le public les perçoit. Alors pourquoi donc vous parler de ce sujet ? D'abord, je trouve que si on parle souvent des syndicats, notamment pendant les grĂšves ou lors de grandes rĂ©formes, on parle finalement assez peu des ressorts de leur discours et de leur communication. Est-ce un discours politique ? Quels sont les... problĂ©matique principale de ce discours. Ensuite, ils ont une prĂ©sence mĂ©diatique que je dirais quasiment patrimoniale. On a l'habitude de les voir, de les entendre, mais je crois que le discours portĂ© notamment dans les mĂ©dias est truffĂ© de biais qui dĂ©forment la comprĂ©hension qu'on peut avoir de leur rĂŽle. Enfin, troisiĂšme raison, parce que j'ai souvent l'occasion de travailler avec des syndicalistes, et qu'Ă leur cĂŽtĂ©, je me suis rendu compte combien il Ă©tait primordial de ne jamais oublier d'offrir de la vision dans la construction d'un discours d'expertise. Dans le cas des syndicats, une expertise au niveau du dialogue social. C'est ce point de Media Training que je vais essayer d'Ă©clairer aujourd'hui. Il ne faut jamais oublier de mettre de la perspective dans vos discours si vous voulez ĂȘtre convaincant. Les syndicats, parce qu'ils sont Ă mi-chemin entre la politique et l'administration du dialogue social, offrent un excellent support de rĂ©flexion pour ce sujet. Alors, Commençons par voir en quoi le discours syndical est rĂ©ellement ou non politique, que ce soit dans les mĂ©dias mais aussi dans les entreprises. Si on considĂšre qu'un discours politique dĂ©marre Ă partir du moment oĂč vous demandez une augmentation Ă votre patron, alors les syndicats font de la politique. Mais si on considĂšre le discours politique au-delĂ des contingences matĂ©rielles et qu'on le dĂ©finit comme la formulation d'une vision du monde et de son organisation, alors il est beaucoup moins sĂ»r que les syndicats, en 2025, produisent toujours un discours politique. Je vais vous faire un aveu, lors de mes premiĂšres missions dans le secteur syndical, bien que n'ayant aucun a priori nĂ©gatif sur ce secteur, j'avais des lacunes immenses. Je pensais que les syndicats faisaient de la politique. VoilĂ le communicant qui parle droite, gauche, Ă©lection, valeurs. J'y repense en souriant et surtout avec beaucoup de gratitude pour celles et ceux qui ont compris qu'une mise Ă jour Ă©tait nĂ©cessaire pour moi. Une fois recadrĂ©, on va dire, j'Ă©tais face Ă un problĂšme trĂšs diffĂ©rent. et Ă des enjeux discursifs beaucoup plus complexes que je vais essayer de vous dĂ©crire. Mon premier travail significatif sur le discours syndical, c'Ă©tait au moment de l'Ă©lection d'Emmanuel Macron et des ordonnances qu'il allait faire passer pour rĂ©former le Code du Travail, et Ă l'intĂ©rieur de cette rĂ©forme, modifier profondĂ©ment la place et l'impact des syndicats dans les entreprises. Alors je vous rĂ©sume le problĂšme Ă l'Ă©poque, les ordonnances, en fusionnant plusieurs instances, rĂ©duisaient mĂ©caniquement le nombre de mandats disponibles. Ăa faisait moins de syndicalisme, pour le dire simplement. Elle permettait aussi, par notamment le rĂ©fĂ©rendum d'entreprise, de contourner les syndicats Ă certaines occasions, ou bien encore favoriser les nĂ©gociations par entreprise plutĂŽt que par branche sectorielle. Pour le communicant, c'est un sujet passionnant Ă traiter, sauf qu'en fait, sans ressort politique direct, le discours est beaucoup plus difficile Ă construire. Pour les syndicats, il y avait un risque de produire un discours que je dirais corporatiste avec des sous-entendus un peu compliquĂ©s, du genre « on veut nous retirer des mandats, donc ça fera du fric en moins pour nous » . nous, on veut un rĂ©fĂ©rendum d'entreprise alors que nous on veut que tout passe par nous, etc. Quand bien mĂȘme les syndicats ont essayĂ© de porter leurs arguments dans les mĂ©dias, la technicitĂ© de leur milieu et du sujet Ă©tait telle qu'ils pouvaient difficilement ĂȘtre audibles. Je prends conscience Ă cette Ă©poque en fait que la vision politique interne dans un syndicat et son discours public ou mĂ©diatique sont deux choses diffĂ©rentes. DiffĂ©rentes au sens oĂč l'une ne commande pas toujours Ă l'autre. L'exemple des ordonnances Macron est intĂ©ressant car il montre comment les syndicats Ă©taient vent debout contre cette initiative, par ailleurs devenue sujet d'affrontements entre partis politiques, symbole mĂȘme en quelque sorte des clivages de l'Ă©lection de 2017. Mais on a vu aussi combien l'opposition des syndicats Ă la rĂ©forme Ă©tait avant tout une opposition technique sur le fonctionnement mĂȘme du dialogue social. On pouvait y voir une dimension politique Ă la condition de nommer les signifiants du dĂ©bat. RĂ©gression sociale au service d'une vision libĂ©rale d'un cĂŽtĂ©, contre modernisation au service d'un dialogue social plus efficace de l'autre. Certaines organisations syndicales se sont saisies de ces signifiants, notamment la CGT, mais grosso modo, ce fut plutĂŽt l'apanage des partis politiques de gauche. Notez justement ... Les partis de gauche sont montĂ©s au crĂ©neau, mais la rĂ©forme Ă©tait contestĂ©e aussi par des syndicats plutĂŽt Ă droite. La rĂ©cente rĂ©forme des retraites est un autre exemple. Certes, le bras de fer entre l'intersyndical qui avait vu le jour et le gouvernement Ă©tait Ă©minemment politique, mais la position des syndicats reposait avant tout sur des arguments plutĂŽt techniques. Leur rĂŽle en tant que partenaires sociaux Ă©tait de dĂ©fendre un acquis social dont la portĂ©e symbolique Ă©tait Ă©videmment majeure sur le plan politique. Alors je vais le rĂ©sumer ainsi. Les syndicats ont une approche technique sur des sujets trĂšs politiques. Ce sont souvent les mĂ©dias, d'ailleurs, dans le cadre des dĂ©bats gĂ©nĂ©raux, qui rapprochent ces positions d'une dimension purement politique. C'est lĂ que, du point de vue du mĂ©diatraineur, il ne faut pas se tromper dans la nature des discours pour produire une analyse qui soit juste. L'intersyndical Ă©tait composĂ© de toutes les organisations. C'est-Ă -dire, si on imagine un spectre politique qui allait de la CGT, le grand syndicat de gauche, longtemps affiliĂ© au Parti Communiste, jusqu'Ă la CFE-CGC, syndicat des cadres, plutĂŽt Ă droite, et comptant dans ses rangs en tout cas les policiers d'Alliance Police Nationale, rĂ©putĂ©s Ă l'extrĂȘme droite. L'existence mĂȘme de cette intersyndicale montre que le rĂŽle de partenaire sociaux dĂ©passe largement aujourd'hui celui des clivages politiques entre ces organisations. Alors il y a des exceptions, certaines organisations sortent parfois du cadre purement syndical, comme la CGT ou mĂȘme la CFDT. quand par exemple elles appellent Ă voter contre l'extrĂȘme droite aux lĂ©gislatives de 2024. Enfin, dans l'ensemble, ce qui Ă©tait un mouvement trĂšs politique Ă ses origines, de l'anarcho-syndicalisme au catholicisme social du XIXe siĂšcle, en passant par le programme commun de la gauche dans les annĂ©es 1970, ce mouvement s'est muĂ© en une forme d'institution dans un systĂšme de dĂ©mocratie sociale basĂ© sur une sĂ©rie de consensus, notamment aprĂšs la Seconde Guerre mondiale et dont l'objectif est une rĂ©gulation du capitalisme. Les instances qui en dĂ©coulent relĂšvent d'ailleurs de ce qu'on appelle tout Ă fait officiellement le paritarisme. Alors, la portĂ©e institutionnelle des syndicats est une illustration, en quelque sorte, de la maturitĂ© du systĂšme social en France, comme dans bien des pays, mais cette institutionnalisation contribue tout de mĂȘme Ă technocratiser le discours des syndicats. La technicitĂ© des sujets l'emporte sur la vision et les clivages politiques. Et si l'image d'Epinal, des syndicalistes en grĂšve, fait partie du patrimoine et de l'imaginaire... politique, il n'est pas certain que l'opinion comprenne trĂšs bien la nature et le rĂŽle des syndicats, particuliĂšrement dans un pays aussi peu syndiquĂ© que la France. Dans cet imaginaire, le syndicalisme vĂ©hicule des clichĂ©s importants et tenaces, mĂȘme si en termes de communication, les syndicats ont bien sĂ»r Ă©voluĂ©. MĂ©diatiquement, le syndicalisme, ça a longtemps Ă©tĂ© ça. 180 000 centimes rĂ©partis ! Ă Ă©galitĂ© 1 118 000. J'ai fait une erreur dans les chiffres, c'est pas la premiĂšre fois. Dans cet extrait qui date de 1989, on entend Henri Krasuki, alors secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la CGT, tenter d'annoncer la somme rĂ©coltĂ©e en soutien Ă des grĂ©vistes des sites Peugeot de Sochaux-MontbĂ©liard. La sĂ©quence est devenue culte, comme on dit, et reste une forme de clichĂ© communicationnel pour les syndicats. Maintenant, Ă©coutons la secrĂ©taire gĂ©nĂ©rale actuelle de la CGT, Sophie Binet. Choisissez les mĂ©dias Ă qui vous vous adressez. Je m'adresse Ă tous les mĂ©dias qui garantissent une pluralitĂ© d'expression et une pluralitĂ©. Qu'est-ce que vous voudrez, Emmanuel Macron, qui veut vous recevoir aprĂšs la dĂ©cision du Conseil constitutionnel ? Dans la Concorde, dans un essuie-concorde. J'avais envie de dire lol, en fait, c'est-Ă -dire, bon, c'est bien que tout d'un coup il ait envie de rencontrer les syndicats, sachant que ça fait un mois qu'on lui a demandĂ© un rendez-vous et qu'il nous l'a refusĂ©. Comprends comment ces deux expressions syndicales, Ă©loignĂ©es de presque 40 ans l'une de l'autre, illustrent un changement d'Ă©poque, mais aussi une forme d'adaptation des syndicalistes aux enjeux de la communication mĂ©diatique. Je serais tentĂ© de dire Ă travers cet extrait jusqu'Ă embrasser une forme de trivialitĂ© devenue banale Ă notre Ă©poque, mais ça c'est un autre sujet. Alors j'ai parlĂ© des syndicalistes... Ă l'Ă©chelon national, mais la rĂ©alitĂ© du syndicalisme s'incarne aussi sur le terrain, dans les entreprises. Alors dans les entreprises, s'il reste des formes de syndicalisme qu'on pourrait dire de tradition, notamment dans les bassins industriels, il y a eu Ă©videmment aussi des changements de gĂ©nĂ©ration, de style et d'approche. MĂȘme modernisĂ© et renouvelĂ© toutefois, je crois que c'est justement dans les entreprises que la communication des syndicats est la plus complexe Ă dĂ©velopper. D'un cĂŽtĂ©, le contact avec les salariĂ©s fait des syndicats Le support privilĂ©giĂ© de l'expression des angoisses ou des tensions sociales dans l'entreprise et donc leur confĂšre, pourrait-on imaginer, une dimension trĂšs politique. De l'autre cĂŽtĂ©, le rĂŽle en instance sur les sujets du dialogue social dans l'entreprise avec les directions les technocratise fortement. Il suffira de lire certains tracts syndicaux pour comprendre combien il est complexe de rendre compte de nĂ©gociations avec une direction sans tomber dans un catalogue d'acronymes de de prĂ©cisions catĂ©gorielles ou de chiffrages pas toujours Ă©vidents Ă comprendre. Il est difficile pour les syndicats de trouver la ligne de crĂȘte entre discours d'inspiration politique portant une vision pouvant rĂ©pondre Ă la vibration de fond des salariĂ©s et approche plus triviale sur le prix des yaourts Ă la cantine qui concerne tout autant ces mĂȘmes salariĂ©s. Ce n'est pas une question simple, et c'est une question importante pour la communication. Souvent, en se limitant Ă une approche factuelle de leur rĂŽle, les syndicats tombent dans le syndrome consistant Ă croire qu'on communique quand on ne fait qu'informer. Dire qu'on a obtenu une augmentation de salaire en nĂ©gociant avec la direction, c'est une information. Dire au nom de quoi on a voulu l'obtenir, ça c'est dĂ©jĂ plus de la communication. D'ailleurs, je vous parle des syndicalistes, mais de mon point de vue de mĂ©diatraineur, leur problĂ©matique de communication est la mĂȘme que pour beaucoup d'autres publics. Je me souviens notamment avoir menĂ© en parallĂšle le coaching d'un groupe syndical dans l'industrie et celui d'une Ă©quipe managĂ©riale dans la finance. Les deux groupes, dont vous m'accorderez que la nature Ă©tait fondamentalement diffĂ©rente, formulaient pourtant la mĂȘme demande. Comment peut-on construire notre communication avec une vision qui illustre nos valeurs ? Tout de suite suivi par un truc du genre « Mais attention, on ne veut pas donner l'impression de faire de la politique. » Ăvidemment. Et me voilĂ d'un cĂŽtĂ© avec des syndicalistes et de l'autre avec des financiers Ă produire la mĂȘme rĂ©flexion. Comment donner du sens Ă des discours marquĂ©s par l'ĂąpretĂ© technique des faits qu'on veut prĂ©senter ? Alors, en guise d'amorce de rĂ©ponse Ă cette question pas si Ă©vidente Ă traiter, et ce sera aussi une forme de conseil de ma part, eh bien c'est la situation qui est le juge de paix. Dans certains cas, il ne faut pas hĂ©siter Ă donner de la profondeur politique, ou de la vision en tout cas, en s'Ă©loignant un peu de son sujet pratique. Et puis dans d'autres, il faut absolument Ă©viter. Sentir les situations, pour les syndicalistes comme pour tout le monde, c'est souvent la clĂ© qui permet d'ajuster au mieux ces discours. Alors je voudrais conclure ce chapitre sur la communication et la nature du discours syndical en partageant avec vous cette simple rĂ©flexion et cette ouverture vers tous les Ă©metteurs. Je pense que vous en avez fait l'expĂ©rience. Il est difficile de trouver le juste Ă©quilibre entre une technicitĂ© qui paraĂźt... renforcer votre crĂ©dibilitĂ© professionnelle et des Ă©lĂ©ments signifiants ou symboliques qui donnent un sens plus large Ă ce que vous dites j'en parle souvent je sais mais mais lĂ encore pour les salariĂ©s et les dirigeants d'entreprises qui se retrouvent de plus en plus embarquĂ©s dans des Ă©vĂ©nements publics lors desquels ils doivent prendre la parole bien la nĂ©cessitĂ© de construire des discours avec de la vision s'accentue soit parce qu'il faut Ă©vangĂ©liser des publics qui ne sont pas experts soit parce que Ă cĂŽtĂ© de pĂšre ayant la mĂȘme maĂźtrise technique que vous du mĂ©tier ou du sujet, il faut ĂȘtre en capacitĂ© de donner de la perspective, de la vision pour se dĂ©marquer. La technique rassure, mais ennuie. La vision exalte, mais elle peut vous emmener trop loin de votre sujet. J'en profite pour dire que le media training, d'ailleurs au passage, parce qu'il pressurise les messages dans le cadre contraignant des mĂ©dias, est un excellent entraĂźnement pour tenter de rĂ©soudre cet enjeu qui touche de plus en plus d'Ă©metteurs dans un monde qui cherche de plus en plus son sens. Alors la prochaine fois que vous serez confrontĂ© Ă cette impression que votre discours manque de profondeur de champ, amusez-vous peut-ĂȘtre Ă interroger les Ă©lĂ©ments de ce discours. Si vous dites « voilĂ ce que je fais » , posez-vous la question « pourquoi est-ce que je le fais ? » Si vous dites « je suis contre ceci » ou « pour cela » , posez-vous la question « au nom de quoi ? » Vous verrez, en raccrochant vos actes Ă des principes, Ă des impĂ©ratifs, vos discours tiendront sur des fondations encore plus solides. Et surtout... permettront Ă vos rĂ©cepteurs de mieux comprendre le sens de vos propos. la vision que vous portez. C'en est terminĂ© de ce nouvel Ă©pisode de Carnet de Bord du Mediatrainer. J'espĂšre que vous prĂȘterez une oreille plus attentive Ă cet enjeu de la vision dans les discours, et au syndicat aussi, pourquoi pas. Je vous donne pour ma part rendez-vous trĂšs bientĂŽt pour un nouvel Ă©pisode.