- Speaker #0
Codcast, podcast juridique de la Faculté de droit et de sciences politiques d'Aix-Marseille Université.
- Speaker #1
Bonjour à toutes et à tous, Codcast est de retour pour un épisode consacré au non-renouvellement des chaînes TNT par l'Arcom. Pour nous éclairer sur cette question, nous avons le plaisir d'accueillir Hervé Isar, professeur de droit public, directeur du laboratoire interdisciplinaire de droit, médias et mutations sociales, et responsable du Master 1 droit du numérique. Bonjour.
- Speaker #0
Bonjour.
- Speaker #1
Aujourd'hui, nous discuterons des enjeux juridiques liés à la gestion des chaînes TNT, à la régulation de l'ARCOM et aux implications pour l'avenir de la télévision en France. Mais d'abord, nous allons explorer brièvement le rôle de l'ARCOM et son influence sur les médias audiovisuels en France. Donc ma première question... Qu'est-ce que l'ARCOM, quel est son rôle et de quel pouvoir dispose-t-elle ?
- Speaker #0
L'ARCOM, c'est une autorité publique indépendante qui est née le 1er janvier 2022 de la fusion du Conseil supérieur de l'audiovisuel qui a été créé lui en 1989 et de la haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, la fameuse ADOPI. C'est la fusion de ces deux autorités qui a donné naissance à l'ARCOM qui a récupéré en quelque sorte les compétences de l'une comme de l'autre. Au résultat, l'Arcom est un peu la fille du CSA, mais elle adresse désormais d'autres thématiques au-delà de la radio, la télévision, les services de médias audiovisuels, puisqu'elle va jusqu'au monde du numérique, les plateformes et autres. Et sa fonction reste un peu schizophrénique, puisqu'elle est tout à la fois la gardienne des libertés fondamentales, et en particulier de la liberté de communication, qui est sous-jacente à l'ensemble de ses métiers, et gendarme. du respect de la loi qui vient limiter cette fameuse liberté. C'est à ça que l'Arcom s'emploie de façon assez satisfaisante d'ailleurs, malgré la complexité du paysage audiovisuel français.
- Speaker #1
S'agissant des chaînes de TNT, comment et à quelle fréquence se déroulent leurs renouvellements ou leurs reconductions ?
- Speaker #0
Alors ici, il faut faire attention, comme un droit en général, aux termes utilisés, parce qu'il y a des procédures de reconduite. Il y a des procédures dites de renouvellement d'autorisation. Tout ça repose sur le fait que pour la télévision numérique terrestre, la diffusion mobilise l'occupation du domaine public erdien, se trouve soumise au droit de la domanialité publique, qui repose sur une mécanique d'autorisation préalable. La particularité d'ailleurs de la France par rapport à cette autorisation préalable du domaine public erdien, C'est qu'en France, pour la radio et la télévision, c'est pas vrai pour le téléphone, mais pour la radio et la télévision, c'est gratuit pour les diffuseurs, pour les chaînes de télévision, pour les services de télévision, et en particulier de télévision numérique terrestre. En échange de cette gratuité, de l'utilisation du domaine public, les chaînes publiques, évidemment, mais aussi privées, vont avoir des obligations à respecter. Et autre particularité, puisqu'il y a occupation du domaine public, elle n'est jamais définitive, mais toujours temporaire. et en l'espèce pour la télévision numérique terrestre, la durée de principe est de 10 ans, renouvelable, entre guillemets, reconductible plus exactement, deux fois pour 5 ans. Et là, nous arrivons pour certaines chaînes aux 20 ans, en quelque sorte, d'autorisation initiale. Ce qui fait qu'en fait, elles perdent automatiquement, du fait des dispositions de la loi, la possibilité de continuer à utiliser le domaine public. Sauf, non pas véritablement être renouvelé, mais... à obtenir de nouveau l'autorisation d'occuper le domaine public. C'est plutôt comme ça qu'il faudrait le voir. Et c'est dans cette situation que l'on se trouve aujourd'hui pour une bonne vingtaine de chaînes de télévision. Et c'est cette thématique qui fait aujourd'hui un peu le débat pour certaines, en particulier C8 ou NRJ12, qui n'ont pas été renouvelées dans le sens où l'ARCOM ne leur a pas donné de nouveau une autorisation. Mais on n'est pas dans une procédure de reconduite. C'est autre chose.
- Speaker #1
Et donc, pourquoi l'ARCOM n'a pas redonné l'autorisation à C8 et NRJ12 ?
- Speaker #0
Nous n'avons pas pour l'instant communication du détail, des fondements, de la motivation de la décision. La loi permet à l'ARCOM tout à fait de ne pas, entre guillemets, renouveler une chaîne de télévision qui aurait été... autorisée historiquement, elle a la possibilité de se fonder sur d'innombrables critères législatifs qui peuvent aller à la fois d'une analyse des contenus, de la maîtrise de l'antenne, en passant par la satisfaction des téléspectateurs. C'est extrêmement pluriel, ce qui fait que la plupart du temps, c'est très peu motivé. Mais en l'espèce, il me semble possible de dire que l'impératif prioritaire de pluralisme, des courants d'expression socioculturelle a beaucoup joué, en particulier pour C8 et certaines émissions diffusées qui ont été de multiples fois sanctionnées par l'ARCOM. Je crois que l'autorité a voulu montrer, par le biais de la non-autorisation de nouveau de la chaîne, combien elle était mécontente de ce qui avait pu être fait, des innombrables amendes qui avaient pu être prononcées sans grand résultat.
- Speaker #1
Est-ce que toutes les chaînes peuvent être confrontées à un non-renouvellement d'autorisation de diffusion ?
- Speaker #0
Oui, tout à fait, puisque c'est le principe de la domaine de l'unité publique qui s'applique. Le fait de pouvoir bénéficier du domaine public ne peut être que temporaire. La durée est prévue par la loi et à la fin de cette durée, l'autorisation tombe. Et rien n'oblige l'autorité administrative à de nouveau délivrer une autorisation en vérité nouvelle. C'est la grande différence entre ce que l'on appelle... Là, à l'instant, le renouvellement et les mécaniques de reconduite qui, elles, permettent une continuité d'une autorisation qui, normalement, est bornée, par exemple, à 10 ans, de la reconduire encore 5 ans. Mais ça n'est pas la même procédure.
- Speaker #1
C8 et NRJ12 seront remplacés par une chaîne du groupe CMI France et par une du groupe Ouest France. En quoi cela va modifier le paysage audiovisuel français ?
- Speaker #0
Ça va le modifier à la marge, en vérité, me semble-t-il, pour plusieurs raisons. D'abord, les chaînes de télévision. numériques terrestres sont très très nombreuses, il y en a plus d'une trentaine. Les deux chaînes concernées pourront continuer en quelque sorte à distribuer le programme si d'aventure elle continue à fonctionner sur les réseaux des box, par exemple. Ils pourraient même également continuer à diffuser sur d'autres dispositifs, mais plus la télévision numérique terrestre. Et donc je pense que ça va jouer à la marge pour vraiment des téléspectateurs qui étaient très très très attachés à ces deux chaînes de télévision. On est là. autour de 2-3% des téléspectateurs de la télévision numérique terrestre. Puis ça n'interdira pas à certains, je pense à M. Hanouna en particulier, de continuer sa carrière sur d'autres chaînes de télévision qui, elles, ont été entre guillemets reconduites. Les téléspectateurs pourront retrouver leur animateur préféré.
- Speaker #1
S'agissant du pluralisme, est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qu'est le respect du pluralisme ?
- Speaker #0
Alors c'est une vieille notion très française qui a été construite. au temps du monopole d'État et de l'ORTF, qui visait à obliger les chaînes qui, à l'époque, n'étaient que nécessairement publiques, d'ouvrir leur antenne à d'autres propos que ceux que le gouvernement souhaitait voir tenir sur les chaînes, les rares chaînes, les deux ou trois chaînes de télévision publiques. L'idée étant de contraindre le diffuseur, en tout cas le programmateur, la chaîne de télévision, d'ouvrir... Son antenne a d'autres visions du monde, a une pluralité de visions du monde. En particulier, une pluralité de visions politiques du monde. Ce pluralisme s'est déployé en France autour des thématiques d'émissions électorales, télévisées, qui se font l'objet d'une réglementation extrêmement dense, visant à produire une égalité de traitement des différents partis politiques en compétition. Mais hors élection, période électorale, On trouve encore des traces assez fortes de ce pluralisme qui prend deux formes pour la télévision, deux formes matricielles. Le pluralisme externe qui est le pluralisme aussi de la presse qui protège le secteur de la télévision de la reconstruction d'un monopole, en particulier possiblement privé. Et le pluralisme interne, c'est de celui-ci dont on parle, qui continue à obliger les chaînes, y compris privées, à ouvrir leur antenne à une multitude de visions du monde. Alors, historiquement... L'ARCOM d'ailleurs, en tant qu'héritière du CSA, avait une vision du pluralisme interne qui était focalisée sur les personnalités politiques. C'était principalement les personnalités politiques qui étaient en quelque sorte quantifiées ou la prise de parole de ces personnalités qui étaient quantifiées en vue de permettre à chaque vision des choses, pas arithmétiquement et parfaitement dotées d'une même durée, mais globalement quand même c'était ça l'idée. Et puis de façon... Pour certains, surprenante, mais pour les juristes spécialistes de ces questions, en parfaite résonance avec certaines normes constitutionnelles, la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais aussi de certaines normes de l'Union européenne, le Conseil d'État a récemment fait savoir, le 13 février 2024, qu'il ne fallait plus, pour l'ARCOM, tout du moins, se limiter aux seuls participants en personnalité politique, mais que le pluralisme interne devait également intégrer les chroniqueurs, les animateurs, voire les invités. C'est donc une vision extrêmement large et très très originale, cette sorte d'affirmative action qui oblige les opérateurs à... Produire de la neutralité entre guillemets par de la diversité, ce qui fait qu'à la différence de la presse où l'on peut avoir des journaux d'opinion, en France juridiquement on ne peut pas avoir de télévision numérique terrestre tout du moins d'opinion.
- Speaker #1
Et enfin quel pouvoir de sanction l'Arkham a-t-elle contre les éditeurs de services en cas de manquement aux règles ?
- Speaker #0
Alors on a tout un arsenal à sa disposition mais... Il me semble d'abord légitime d'évoquer le fait que la mise en œuvre de la sanction arrive généralement après des procédures extrêmement longues d'alerte, de lettres de recommandations, d'invitations à revenir dans le juste chemin. Et donc c'est une logique de régulation qui est à l'œuvre et pas nécessairement de sanctions mécaniques un peu réglementaires. Donc il y a toute une procédure qui entoure la mécanique possiblement de sanctions. Et si on évoque la sanction ou les formes de sanctions de principe, la plus connue c'est la sanction pécuniaire, donc l'amende, dont C8 a été d'ailleurs l'objet plusieurs fois ces dernières années. On a beaucoup plus rare la suspension temporaire de l'émission. C'est arrivé une ou deux fois pour des radios. Et puis nous avons la réduction de la durée d'autorisation, ça ça n'a pas, à ma connaissance, jamais été fait. Et enfin le retrait de l'autorisation, là non plus on est face à des situations extrêmement délicates politiquement, mais en l'espèce, contrairement à ce qui a pu être écrit ou pensé par certains, nous ne sommes pas face à un retrait d'autorisation au sens de la loi, mais à la non-délivrance d'une nouvelle autorisation pour une durée normalement de 10 ans. Dans ce cadre, l'ARCOM n'est pas soumis aux règles de procédure extrêmement lourdes qui entourent le retrait de l'autorisation ou la résiliation de l'autorisation de façon unilatérale.
- Speaker #1
Merci M. Isar pour toutes vos réponses. Nous espérons que cet épisode vous a intéressé. N'hésitez pas à le partager autour de vous, à nous faire part de vos retours et à nous suggérer des thématiques pour les prochains épisodes. A très bientôt pour un nouvel épisode de Code'cast. Merci à toutes et à tous.
- Speaker #0
Merci.