- Speaker #0
Code'cast, podcast juridique de la Faculté de droit et de sciences politiques d'Aix-Marseille Université.
- Speaker #1
Bonjour à toutes et à tous, aujourd'hui Codecast est de retour pour un épisode consacré à l'affaire Bétharram. Pour discuter de ce sujet, nous avons le plaisir d'accueillir madame Laura Pignatel, maître de conférence en droit privé et sciences criminelles, ainsi que directrice du master de criminologie. Bonjour.
- Speaker #0
Bonjour.
- Speaker #1
On va commencer directement avec la première question. Pouvez-vous nous résumer brièvement les faits reprochés et le contexte des abus ? Quelles actions judiciaires ont été engagées après les révélations et les plaintes qui ont été déposées à l'époque ?
- Speaker #0
Oui, alors l'affaire Bétharram, c'est une affaire historique, tout d'abord du nom de cet établissement catholique, collège-lycée, où des violences, des agressions sexuelles et des viols auraient été commis sur des centaines de victimes sur une période de 50 ans, puisque c'est le parquet de Pau, qui est en charge de cette affaire, à l'origine, enquête en 2024, pour des faits qui remontent quand même aux années 70-90, de nombreuses dénonciations. Et à l'époque, les faits avaient été portés à la connaissance de différentes instances. Et apparemment, soit les plaintes avaient été classées sans suite, soit finalement, personne n'a rien fait. Ce qui explique la mise en cause de certaines personnalités, notamment politiques.
- Speaker #1
Et qui sont les principaux mis en cause et chefs d'accusation qui leur sont reprochés ?
- Speaker #0
D'après le procureur de Pau, il y avait... Beaucoup de personnes mises en cause, au départ je crois qu'elles étaient 11, c'est un scandale immense parce qu'il touche à la fois l'église et la société. Donc on a des personnes qui étaient surveillants au sein de l'établissement, mais également des religieux, donc aussi bien surveillants qu'anciens directeurs. La particularité c'est que souvent, pour la plupart, certaines sont décédées, soit parce qu'elles se sont suicidées, soit parce qu'elles sont décédées, Et en outre, il y a également l'actuel Premier ministre, qui était ancien ministre de l'Éducation nationale au moment des faits, ou président du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques, qui est pointé du doigt. Les faits sont particulièrement graves, puisqu'on est sur des violences à la fois physiques et sexuelles, des agressions sexuelles et des viols, donc soit des délits aggravés, soit des crimes pour lesquels les peines peuvent partir. être particulièrement élevés puisqu'on est sur des peines de réclusion.
- Speaker #1
Et quels obstacles juridiques ont compliqué l'enquête, notamment avec la mort des 8 des 11 personnes mises en cause et la prescription des faits les plus anciens ?
- Speaker #0
Je dirais que les victimes de l'affaire Bétharram ont été confrontées à deux obstacles majeurs, mais que vous avez formulés en réalité dans votre question. D'une part, parce que certains mis en cause sont décédés. C'est notamment le cas du père Carricard, je crois, directeur de l'établissement, qui était accusé de viol précisément. Et le code de procédure pénale prévoit l'extinction de l'action publique à la mort de l'auteur. Et le deuxième, le second obstacle, pardon, majeur, c'est que pour l'immense majorité des faits, en réalité, étaient prescrites. Et a priori, les enquêteurs... aurait tenté d'appliquer le mécanisme de prescription glissante, qui est un nouveau mécanisme qui a vu le jour récemment par la loi du 21 avril 2021. Et c'était tout l'enjeu, puisque c'est une loi pénale, du moins de procédure pénale, donc dite de forme et qui s'applique immédiatement, et qui ne pouvait pas s'appliquer au moment de l'affaire Betaram.
- Speaker #1
Comment sont définis les délais de prescription aux civils et aux pénales pour les délits et crimes sexuels, en particulier pour les mineurs ? Cette affaire pourrait-elle influencer la législation française sur la protection des mineurs ou la prescription des crimes sexuels ?
- Speaker #0
Alors oui, mais sur la définition des délais de prescription en matière pénale. Le délai de prescription et le point de départ de ce délai dépendent à la fois de l'infraction qui est commise, mais également de l'âge de la victime. C'est la raison pour laquelle les règles sont particulières dès lors que l'on est sur des mineurs victimes d'agressions sexuelles. On a vraiment des règles spécifiques puisque de manière générale, classique, les délais de prescription pour les délits, on est sur 6 ans et pour les crimes, 20 ans. Là, dès lors que l'on est en matière sexuelle et sur des mineurs, pour les délits commis sur les mineurs, c'est soit 10 ans, soit 20 ans à compter de la majorité. Et pour les crimes commis sur les mineurs, c'est 30 ans à compter de la majorité. Donc de fait, une victime. peut déposer plainte pour un viol qu'elle aurait subi alors qu'elle était enfant jusqu'à l'âge de 48 ans. Donc ça ce sont les règles en matière pénale, mais il faut également savoir qu'en matière de responsabilité civile, il y a un système de prescription qui est adapté aux victimes d'infractions pénales, et là encore aux mineurs, puisque le code civil allonge la prescription d'un dommage corporel de 10 ans à 20 ans. en cas d'agression sexuelle commise sur un mineur. Et donc la deuxième question que vous me posiez, savoir si cette affaire va modifier les choses, alors je ne sais pas, il est certain en réalité que cette affaire fait rejaillir le débat sur l'imprescriptibilité des crimes sexuels commis contre les mineurs. Et il y a eu, là récemment, 28 janvier 2025, une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. qui s'interrogent encore sur ce délai de prescription pénale et civile, puisqu'on veut étendre le mécanisme de prescription glissante, et en plus, on veut également rendre imprescriptibles les infractions sexuelles commises sur mineurs en matière civile.
- Speaker #1
D'accord, merci beaucoup. Et en quoi le principe de non rétroactivité des lois pénales impacte-t-il les victimes de bêtarames, et pourquoi ce principe reste-t-il fondamental ?
- Speaker #0
Je pense que, de manière générale, c'est la prescription qui impacte les victimes, parce qu'elle est vécue et contestée comme un instrument d'impunité. De nombreux articles relatifs à l'affaire Betaram le mettent en avant. Ce principe de non-rétroactivité des lois, c'est un principe fondamental en droit pénal. Une loi pénale ne peut statuer que pour l'avenir. Sous-entendu, on ne peut pas juger des gens... pour des actions qui n'étaient pas considérées comme des infractions au moment où ils les ont commises. C'est un grand principe et on sait, c'est un corollaire du principe de l'égalité en matière pénale. La loi pénale n'est jamais rétroactive, sauf si elle est plus favorable à l'accusé. C'est ce que l'on appelle la rétroactivité in misius.
- Speaker #1
D'accord, et suite à la dénonciation de Mediapart, quelles peines peuvent être envisagées contre le Premier ministre ? S'il est jugé coupable d'avoir eu connaissance des faits.
- Speaker #0
Effectivement, Mediapart a mis en avant le fait que le Premier ministre aurait déclaré à l'Assemblée nationale n'avoir jamais été informé des violences commises contre cet établissement catholique de la région de Pau, où il était élu et où il avait également ses propres enfants scolarisés dans l'établissement. et Mediapart pour contrer cela, en réalité, aurait publié un courrier émanant du Premier ministre avec accusé de réception, photo d'archive, qui contrerait en réalité ces dires. Et donc, se pose la question, effectivement, de savoir s'il avait eu connaissance des faits, quelles infractions pénales pourraient être envisagées. Et là, c'est toujours pareil, puisqu'on est dans le cadre d'une omission. Quelqu'un qui n'a pas fait quelque chose ou qui n'a pas dit quelque chose, ça peut s'apparenter à de l'acte. complicité, même si ça paraît complexe de retenir tous les éléments de la complicité, ou alors de la non-dénonciation de crimes et en particulier de crimes commis sur mineurs ou de la non-assistance à personnes en danger. Quelles que soient les qualifications envisagées, il est certain, pour répondre à votre question, que il s'agit de peines d'emprisonnement qui pourraient être envisagées.
- Speaker #1
D'accord, merci beaucoup. On verra les suites de cette affaire. Merci beaucoup Madame Pignatel pour ces précisions. Nous espérons que cet épisode vous aura intéressé. N'hésitez pas à le partager autour de vous et à nous faire vos retours. Nous vous retrouvons prochainement pour un nouvel épisode. Merci à toutes et à tous. Au revoir.