- Speaker #0
Codcast, podcast juridique de la Faculté de droit et de sciences politiques d'Aix-Marseille Université. Bonjour à toutes et à tous, Codcast est de retour pour un nouvel épisode consacré au système constitutionnel italien et aux enjeux des réformes en cours dans ce pays depuis les élections de 2022 qui ont vu monter au pouvoir Giorgia Meloni. Pour nous aider à mieux comprendre ces enjeux, nous avons le... au plaisir d'accueillir Madame Caterina Severino, professeure de droit public à Sciences Po Ex et membre de l'Institut Louis Favoreux, GERC. Vous avez été élue directrice adjointe de l'UMR10 et vous êtes également responsable de l'axe scientifique UMR10, état de droit et état fondamentaux. Bonjour Madame Severino, merci d'avoir accepté notre invitation. Pour commencer, pourriez-vous nous expliquer comment le système constitutionnel italien a été conçu et comment s'organise la séparation des pouvoirs horizontaux ?
- Speaker #1
Oui, alors la constitution italienne a été adoptée en 1947 après la guerre et est le fruit d'un compromis entre trois forces politiques rivales de droite et de gauche, la démocratie chrétienne, le parti socialiste, le parti communiste. Et donc les constituants italiens qui étaient issus notamment de la résistance ont écrit une très belle constitution équilibrée. qui prévoit un régime parlementaire, donc un régime de séparation souple des pouvoirs. Le pouvoir exécutif est confié à un gouvernement présidé par un président du Conseil des ministres et il est responsable devant le Parlement, devant les deux chambres du Parlement, parce qu'en Italie nous avons un système bicaméral parfait, égalitaire. et le Parlement est l'organe centrale du système, d'un système parlementaire et selon ce dessin, il devait s'appuyer sur les partis politiques qui étaient considérés après le fascisme comme l'expression la plus haute du pluralisme et de la démocratie. Et il y avait l'idée de prévoir un système équilibré, doté de contre-pouvoirs importants afin d'éviter les dérives. de l'État fasciste, donc on voulait éviter aussi un exécutif trop fort. Et donc, à côté des pouvoirs d'orientation politique, c'est-à-dire le gouvernement et le Parlement, on a mis en place deux pouvoirs, deux organes de garantie, le président de la République et la Cour constitutionnelle. Le président de la République est élu au souffrage universel indirect par le Parlement réuni en congrès, et c'est une figure morale. centrale d'équilibre du système. C'est lui qui nomme le président du conseil des ministres et donc c'est lui qui intervient dans des moments de crise, de crise institutionnelle en Italie. Et de l'autre côté, la Cour constitutionnelle est aussi un organe très important, un juge très important au sein du dessin de 1947. Elle assure le respect de la constitution rigide. italienne et en particulier elle contrôle la constitutionnalité des lois et elle a été voulue par les constituants italiens de 1947 pour jouer un rôle de rempart contre les dérives contre les dérives des lois n'oublions pas que les lois raciales étaient des lois adoptées par par le parlement fasciste et donc elle a été prévue pour être un rempart de l'état de droit et voilà
- Speaker #0
Ok, merci beaucoup. Et dans le cadre de cette séparation des pouvoirs, comment se manifeste la séparation, cette fois verticale, des pouvoirs en Italie ? Est-ce qu'il s'agit d'un système unitaire comme en France ?
- Speaker #1
Alors, non. L'Italie est un système régional, c'est-à-dire que les régions ont le pouvoir de faire des lois, des lois régionales. Il y a 20 régions en Italie, 5 régions à statut spécial comme la Sicile, la Sardaigne, la Vallée d'Aoste, et 15... à stature ordinaire, donc elles disposent d'un peu moins d'autonomie. Et les constituants de 1947 ont souhaité mettre en place un système régional, car toujours dans ce souci de pluralisme. et de démocratie, parce que les régions sont une manifestation du pluralisme démocratique. Et en plus, elle reflète la situation italienne, les différences territoriales qui sont typiquement italiennes, à la différence par exemple de l'histoire et de la situation française. Mais il faut dire aussi que la constitution italienne a précisé que l'État italien doit promouvoir le développement économique, la cohésion et la solidarité sociale. Il doit éliminer les déséquilibres économiques et sociaux, tout comme il doit faciliter l'exercice effectif des droits de la personne. Donc, ça veut dire que le système est régional, certes, mais régi par les principes de la solidarité et de l'égale redistribution des richesses et de la protection. égale des droits fondamentaux sur l'ensemble du territoire national. Et vous savez sans doute qu'il existe d'énormes différences économiques entre les régions du Nord, comme la Lombardie et la Vénétie. La Lombardie à elle seule, c'est l'une des régions les plus riches d'Europe. Et les régions du Sud, qui sont très pauvres, la Calabre, est l'une des régions les plus pauvres d'Europe. Donc voilà. Ok,
- Speaker #0
et lors de nos préparations pour cet épisode, vous avez parlé de trois réformes. portés par Giorgia Meloni. Pouvez-vous nous en dire un peu plus, notamment sur la première, celle de l'autonomie différenciée ? De quoi parle-t-on exactement ?
- Speaker #1
Oui, alors je dois dire de manière préalable que Giorgia Meloni, chef de file du parti d'extrême droite Fratelli d'Italia, gouverne l'Italie depuis septembre 2022, avec une coalition formée par le parti fondé par Silvio Berlusconi, Force Italia, et le parti dirigé par Matteo Salvini, appelé La Ligue. anciennement appelé la Ligue Nord, et ça c'est un détail important. Or, depuis l'arrivée au pouvoir de cette coalition, ils ont mis en place trois chantiers finalisés à des réformes institutionnelles et constitutionnelles. Et ces trois réformes répondent à autant de promesses faites à ses alliés et à ses propres électeurs par Giorgia Meloni. Donc, la mise en place de l'autonomie différenciée, Réforme chère à la Ligue, la réforme de la justice, réforme chère au parti de Silvio Berlusconi, et enfin la révision constitutionnelle dite « premierato » « primo ministeriel » , ça c'est une réforme chère aux électeurs de Meloni. La première réforme dite « autonomie différenciée » a été adoptée par une loi de juin 2024. et elle vise à élargir les compétences des régions à statut ordinaire qui en feraient la demande. Il s'agit de conférer plus de pouvoir décisionnel à ces régions, et pour l'instant la demande a été faite notamment par la Lombardie et par la Vénétie, et aussi par les milliers de Romagnes qui la retiraient, et ce afin de gérer sur le plan régional des politiques qui sont pour l'instant gérées par Rome, avec la possibilité aussi d'élargir les matières. C'est une sorte d'autonomie à la carte où chaque région peut choisir le panel de ses compétences et parmi ces matières, il y a notamment la santé, l'éducation, la culture, la protection civile ou encore la recherche. Alors, la chose importante à souligner est que la région qui déciderait de gérer de manière indépendante ses compétences conserverait l'intégralité des impôts générés par ses activités. Et donc ? Il s'agit d'un système qui creuse les inégalités économiques entre les régions. On a parlé de la sécession des riches et c'est ce qu'a estimé, d'un point de vue juridique, la Cour constitutionnelle italienne qui a été saisie de cette loi et qui, dans un arrêt rétentissant de novembre 2024, a pratiquement démantelé cette loi au nom... des principes que je citais, je rappelais tout à l'heure, de solidarité entre les régions, d'unité de la République, d'égalité et d'égale protection des droits fondamentaux et d'équilibre budgétaire aussi.
- Speaker #0
Et concernant la deuxième réforme, celle sur les magistrats de la justice, quels sont les changements envisagés et leurs impacts potentiels sur le système judiciaire italien ?
- Speaker #1
Alors, la réforme de la justice, c'est un cheval de bataille du parti de Silvio Berlusconi, vise à introduire dans la Constitution la séparation des carrières entre les magistrats du siège et les magistrats du parquet, et elle dédouble les conseils supérieurs de la magistrature, pour l'instant comme en France on en a qu'un. Il y en aurait deux, un pour les magistrats du siège, l'autre pour les magistrats du parquet. Et il y aurait aussi le tirage au sort des magistrats du CSM, contrairement au système actuel où ils sont élus, ce qui veut dire qu'il y aurait une certaine dévalorisation, parce que le tirage au sort c'est l'indifférence à l'égard de la personne. Et il y aurait la prévision d'une haute cour disciplinaire qui... s'occuperaient de la discipline des magistrats, de tous les magistrats. Et la réforme, en théorie, vise à améliorer le fonctionnement de la justice et à éviter, par exemple, le phénomène, le fléau des courants politiques au sein du CSM, à travers les tirages au sort. Elle vise aussi à éviter, surtout, que les magistrats du siège et les magistrats du parquet fassent partie de la même communauté et, en quelque sorte, de la même... culture de la juridiction et surtout elle vise enfin elle aurait comme un pacte énorme le fait de mettre les magistrats du parquet sous la coupe du ministère de la justice ce qui n'est pas le cas sachant qu'en italie contrairement à la france il y a le caractère obligatoire de l'action pénale dès qu'il y a une notice de pénal Le parquet doit agir, doit faire l'action. Et donc, à un moment, à une époque, dans un contexte politique de grande méfiance et de grande contestation, je parle aujourd'hui en France, mais ce n'était pas prévu, de grande contestation à l'égard des magistrats. Il faut savoir qu'il y a eu beaucoup de critiques, par exemple, contre des décisions de magistrats. Adopté en matière d'immigration des magistrats qui, pour protéger les droits fondamentaux, ont bloqué la délocalisation en Albanie de migrants, donc énorme contestation contre ces décisions. et bien cette révision qui est au stade de l'approbation par les chambres conduirait à placer les magistrats du parquet sous la coupe du ministère de la justice et donc à la merci des majorités du moment quel qu'il soit et ce qui porterait atteinte ou en tout cas diminuerait l'indépendance des magistrats du parquet, donc un bouleversement des équilibres au sein de la magistrature.
- Speaker #0
Et enfin, pouvez-vous nous expliquer la troisième réforme, celle qui concerne le système primo-ministériel ? Quels sont les enjeux et les implications pour la gouvernance italienne ?
- Speaker #1
Oui, alors cette troisième réforme, qui pour l'instant est celle qui est moins bien partie, parce qu'il y a eu beaucoup de difficultés, C'est la réforme que Giorgio Meloni désigne comme la mère de toutes les réformes. Elle vise à mettre en place l'élection directe du premier ministre, élection qui se ferait au même moment que les élections législatives. Donc cette réforme vise à renforcer le premier ministre, qui tirerait sa légitimité démocratique d'une élection directe. C'est unique dans le monde. Israël avait un système pareil, mais ils l'ont annulé. Et selon les promoteurs de cette réforme, il faudrait un exécutif plus fort qui permettrait d'avoir une plus grande stabilité gouvernementale. En réalité, on assiste depuis des décennies en Italie à un déplacement du pouvoir au profit du pouvoir exécutif, tout comme en France et dans d'autres pays. Et au détriment du Parlement, ce qui n'a pas empêché pour autant l'instabilité en Italie. Et en réalité, c'est le Parlement qu'il faudrait remettre au centre du système selon le dessin initial des constituants de 1947. Et il faudrait surtout réviser les lois électorales qui sont très mal faites et qui conduisent à des distorsions entre les votes exprimés et les résultats à l'issue du vote. En outre, si elle était adoptée, Cette réforme conduirait à un bouleversement des équilibres et notamment à une diminution du rôle du président de la République qui n'est pas touché justement par la révision et qui donc verrait sa légitimité diminuer face à celle du Premier ministre élu directement par le peuple. Et enfin, cette réforme pourrait conduire à une... aggravation de la contestation du pouvoir judiciaire, car le premier ministre serait, encore une fois, directement élu par le peuple, alors que les magistrats, ce sont des magistrats de carrière, et donc, et une aggravation aussi, une diminution du rôle de contre-pouvoir de la Cour constitutionnelle, qui, elle non plus, n'est pas touchée. Donc, à partir du moment où on ne touche pas aux autres organes, on modifie les équilibres. de manière logique. Et donc, c'est une réforme, à mon avis, dangereuse, qui bouleverse les équilibres, certes fragiles, mais bel et bien en place, dessinés par les constituants de 1947.
- Speaker #0
Merci infiniment, Madame Sévrino, pour vos analyses et vos explications précieuses. Nous espérons que cet épisode vous aura intéressé. N'hésitez pas à le partager autour de vous, à nous faire part de vos retours. Et pourquoi pas à nous suggérer des thématiques futures. A très bientôt sur un nouvel épisode de Codecast. Merci à toutes et à tous.
- Speaker #1
Au revoir. Au revoir.