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FRÉDÉRIC PAJAK : "LE DESSIN ET LE TEXTE SONT IRRÉCONCILIABLES, ET JE NE CHERCHE PAS À LES RÉCONCILIER." cover
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Conversations chez Lapérouse

FRÉDÉRIC PAJAK : "LE DESSIN ET LE TEXTE SONT IRRÉCONCILIABLES, ET JE NE CHERCHE PAS À LES RÉCONCILIER."

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40min |02/05/2025
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Description

Rencontre avec un des meilleurs auteurs de biographies dessinées, qui publie un de ses plus beaux livres (sur Malcolm Lowry et Alberto Giacometti).


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue chez La Pérouse, je suis très très heureux de recevoir ce soir Frédéric Pajac pour son nouveau livre

  • Speaker #1

    Manifeste incertain numéro 10, Les étrangers,

  • Speaker #0

    qui est publié aux éditions

  • Speaker #1

    Noir sur Blanc.

  • Speaker #0

    Vous êtes excellent Frédéric, mais c'est merveilleux. Entre Frédéric, ça se passe toujours bien. Oui, ça va être une belle conversation car vous avez... Frédéric Pajac a inventé une forme nouvelle. Vous avez inventé quelque chose qui n'est pas du roman graphique, qui n'est pas de la bande dessinée, qui n'est pas de la biographie, mais qui est un peu les trois quand même, à la fois, ou complètement autre chose.

  • Speaker #1

    Et qui n'est pas du livre illustré non plus.

  • Speaker #0

    Qui n'est pas du livre illustré, et qui consiste à faire ça. Voilà, ça. C'est-à-dire des dessins qui sont faits à l'encre.

  • Speaker #1

    À l'encre de Chine, oui.

  • Speaker #0

    avec des hachures, parfois, et qui sont totalement décalées par rapport au texte qui est écrit. Pas toujours. Mais vous jouez beaucoup avec ça. Ça vous amuse beaucoup. On peut enlever ces machins qu'on a dans les oreilles. Vous dites que ça n'est pas décalé. Est-ce que c'est calculé ?

  • Speaker #1

    Je ne sais pas si c'est calculé. C'est un processus en fait. En fait le livre il commence toujours par la lecture, puisque si je traite d'un auteur ou d'un artiste, je commence par essayer de lire tout ce qu'il a écrit, les biographies, la correspondance, le journal intime s'il en a, les témoignages et tout ça. Donc ça me prend beaucoup de temps, suivant les auteurs ça peut prendre beaucoup de temps. Et puis je prends des notes dans les livres, et après je les retranscris, et ça représente à peu près 300 pages en gros de notes. Et c'est ce qui me permet de construire un peu le livre, et en même temps que je prends des notes et que je lis, me viennent à l'esprit les dessins, enfin pas tous les dessins, mais un certain nombre de dessins où je me dis ça, il faut que je dessine, je ne sais pas moi, le portrait. de Giacometti, où il faut que j'aille à Stampa, où il est né, c'était en Suisse orientale, dans la montagne, dans les grisons. Et puis là, je me dis, il faut que j'aille passer quelques jours là-bas.

  • Speaker #0

    Destiner les paysages.

  • Speaker #1

    Destiner les paysages. paysages, tout ce que je peux faire sur le motif, je le fais sur le motif. Et sinon, je dessine d'après des documents, ou d'après des photos, des cas postales, aussi d'après des peintures, souvent, ou d'après des sculptures. J'ai fait beaucoup de dessins de sculptures de Giacometti. C'est très intéressant de dessiner des sculptures.

  • Speaker #0

    Et donc, c'est venu au moment de l'immense solitude, c'est ça, quand vous avez publié en 1999 ce livre sur César et Pavese à Turin. Et Nietzsche, ce livre-là, c'était la forme que vous aviez trouvée et que vous poursuivez depuis 1999, ça fait 26 ans. Pourquoi avez-vous eu le sentiment là que vous aviez trouvé votre forme à vous ?

  • Speaker #1

    En fait, j'ai fait un livre déjà écrit et dessiné sur Luther. C'est un livre qui est écrit à la première personne, qui s'appelle Luther, l'inventeur de la solitude. C'est comme une autobiographie de Luther, assez humoristique. C'est un livre qui a été totalement incompris. Je crois que j'ai dû avoir 200 lecteurs. Et personne n'a compris ce livre, vraiment personne, sauf à l'époque Roland Jacquard, qui travaillait au Monde à l'époque et qui était éditeur au PUF. Et comme j'ai su, j'ai appris que le livre n'y avait plus, je ne le connaissais pas. Donc je suis allé lui présenter... J'ai mis quatre ans pour faire l'immense solitude. Je suis passé en Italie pour faire le livre. Parce que le livre se passe à Turin. Et en fait, c'est vraiment... Moi, j'étais découragé après l'échec de Luther. Et je me rappelle des gens que j'aimais beaucoup, comme Gébé, qui était à l'époque directeur de Charlie Hebdo. Je disais qu'il ne comprenait rien à ce livre. Il croyait que j'étais dans la bondieuserie et tout ça. Je disais, mais pas du tout. Et puis, c'est un livre assez dur sur Luther. sur un livre c'est même sévère. Mais c'était un livre renseigné. C'est-à-dire, j'avais beaucoup lu Luther. Je n'ai pas tout lu parce que c'est la plus grande œuvre littéraire allemande. Mais j'avais quand même beaucoup lu. J'ai lu des biographies, j'ai lu ses pamphlets antisémites. J'ai lu vraiment beaucoup de choses à l'époque qui sont... Tout ça figure dans le livre. Et les théologiens pensaient que c'était un livre d'humour. Et puis les humoristes croyaient que c'était un livre de théologie. Donc, je suis parti vraiment sur cet échec. Et vous vous êtes dit,

  • Speaker #0

    comme ça n'a pas marché, je vais continuer toute ma vie ce truc-là. Non.

  • Speaker #1

    Mais je trouve que c'est bien. Oui, oui. Non, mais ce n'est pas exactement ça. C'est-à-dire que... Non, j'ai découvert Turin un jour. Je suis allé pour la première fois. et... Et j'ai été absolument subjugué. Et évidemment, je me suis rappelé que César et Pavès ont beaucoup écrit sur Turin, et surtout qu'ils s'étaient suicidés à Turin, et que Nietzsche est devenu fou à Turin. Et donc j'avais beaucoup lu Pavès et Nietzsche, mais je n'avais pas fait de rapprochement immédiat avec Turin. Et donc là, j'ai eu un tel coup de foudre pour cette ville, pour cette mélancolie, et je me suis dit, il faut que je passe du temps là. Donc je me suis installé à côté de Turin pendant quatre ans, et tous les jours, j'ai essayé de... de dessiner cette ville, etc. Parce que ce n'était pas possible de faire un film sur Turin, parce qu'il y a des voitures partout, il y a des distances lumineuses, des publicités, etc. Donc il n'y avait pas ce Turin qui a connu Nietzsche, cette ville aristocratique, etc. Donc le dessin était la seule solution pour moi. Et voilà, je me suis forcé à dessiner des choses que je ne sais pas dessiner a priori, notamment l'architecture.

  • Speaker #0

    Alors, vous entrecroisez autobiographie aussi, vous parlez de vous-même. et exo-fiction, comme on dit maintenant, c'est-à-dire la biographie, ce sont comme des portraits subjectifs de vos idoles ou des exercices d'admiration. Alors je récapitule, parce que là c'est le dixième tome sur Malcolm Lurie et Alberto Giacometti, mais vous aviez notamment eu le premier dix-six essais en 2014 pour le manifeste Un certain tome 3, qui était sur Walter Benjamin et Ezra Pound. Vous avez eu également le concours de la biographie. Pour le tome 7 du Manifeste incertain en 2019, c'était sur Emily Dickinson et Marina Zvetayeva. Donc toujours deux artistes. Et puis des dessins d'arbres, de gares, d'immeubles, de gens dans des appartements, un peu à la Edward Hopper parfois. Toujours avec des hachures, comme Pierre Letanne pouvait le faire, mais en noir et blanc, vous. Et là, alors pourquoi ce choix, Malcolm Lurie et Alberto Giacometti ? Parce que ce sont deux exilés ?

  • Speaker #1

    Non, c'est un pur hasard. C'est en fait, souvent j'ai acheté des livres qui dorment sur les rayons de la bibliothèque, et tout à coup je me décide à les lire. Ça a été le cas pour Au-dessous du volcan, que je n'avais pas lu. J'avais lu Sombre comme la tombe, au repos de mon ami, qui est du même auteur. Mais je n'avais pas lu « Au-dessous du volcan » . Je me suis dit, il faut que je lise « Au-dessous du volcan » . Et après cette lecture, je me suis intéressé un peu plus à lui. Et je me suis aperçu que j'avais aussi la correspondance que Nadeau avait publiée. Donc, petit à petit, j'ai eu envie de dessiner le Mexique. J'avais beaucoup aimé le film de John Huston « Au-dessous du volcan » , que je trouve une des rares adaptations d'un... d'un grand livre réussi. Et donc, j'avais un très bon souvenir. Et puis, c'est un hasard. Et puis, Jacobetti, c'est une autre histoire, parce que Jacobetti, quand j'avais 12 ans, je n'étais pas loin d'une librairie où je n'étais jamais rentré. Et il y avait tout à coup en vitrine un petit livre de Jacobetti, un petit catalogue qui avait été publié en Suisse italienne, à Lugano. Et puis... Il y avait un dessin de Giacometti sur la couverture. Alors j'ai poussé la porte, j'étais extrêmement timide. Je suis allé vers le libraire, je lui ai dit « Bon, monsieur, est-ce que vous pourriez me montrer le livre ? » Je ne sais pas de qui il est, parce que c'était marqué à la main. Je ne savais pas trop le livre, je n'arrivais pas à lire exactement son nom. Il m'a dit « Oui, c'est un livre de Giacometti. » Il me présente le livre, puis il dit « J'aimerais bien l'acheter. » Et puis il me dit, bon voilà, ça fait tant et tant que j'avais un peu d'argent de poche. Et c'est le premier livre que j'ai acheté. Donc Giacometti m'a vraiment poursuivi toute ma vie. J'ai toujours été voir des expositions de Giacometti. Je suis allé très souvent à Stampa, dont je parlais tout à l'heure, c'est-à-dire dans les Grisons, et puis qui est pas loin de chez Nietzsche, à Sils Maria, c'est à une vingtaine de kilomètres. Donc c'est toute une région que j'ai... J'ai vraiment écumé, j'ai fait beaucoup de montagnes, je faisais beaucoup de montagnes. Donc la journée, je partais quatre heures dans la montagne et je dessinais quatre heures dans la nature.

  • Speaker #0

    Mais comment est-ce qu'on choisit ? Parce que vous dites, tiens, j'ai envie de passer un an avec Alberto Giacometti. C'est ça en fait. En gros, quand vous choisissez un personnage, pour vous, ça signifie 200 dessins, 200 textes et toute l'œuvre à lire. Donc, vous allez passer beaucoup de temps avec cette personne. Il ne faut pas se tromper. Vous avez arrivé d'ailleurs de vous tromper, de vous dire « je ne vais pas faire un livre sur cette personne, elle ne m'intéresse plus » .

  • Speaker #1

    Ça m'est arrivé une fois, oui. J'avais pris un billet pour traverser l'Atlantique jusqu'à Buenos Aires. Et j'avais pris dans ma valise, que j'avais lu déjà, mais je voulais le relire. J'avais appris Gombrowicz.

  • Speaker #0

    Ah oui.

  • Speaker #1

    Witold Gombrowicz. Et puis, je venais de relire un des volumes du journal, et je me suis dit, toute la nuit avant de partir, je me suis dit, mais c'est tellement ennuyeux, ce journal. Et en plus, c'est des règlements de comptes avec des écrivains dont on ignore tout, parce qu'on connaît Vitkevitch, Schulz et quelques-uns. la plupart des écrivains, je ne les connaissais pas, j'ai dit, mais il est tellement dans un perpétuel règlement de compte. Vous avez dit que les auteurs dont je parle sont des idoles, mais pas du tout. C'est plutôt des gens qui me sont étrangers. Je suis étonné par leur vie, par leur œuvre. Ça m'étonne. Nietzsche, c'est quelqu'un que j'ai beaucoup de peine à saisir, à comprendre vraiment. J'ai essayé, je comprends en partie, mais ce n'est pas quelqu'un... Voilà, je me prends pas pour Nietzsche ou je me prends pas pour les auteurs dont je parle. Et Gobineau, encore moins.

  • Speaker #0

    Une fois que vous avez choisi le personnage, au fond, on a le sentiment qu'il y a aussi un autre choix à faire. C'est les épisodes que vous allez dessiner, choisir. C'est là où il y a le vrai boulot, c'est le tri. Par exemple, pour parler de Malcolm Lorry, l'auteur d'Au-dessous du volcan, vous racontez comment il apprend la mort de son père, il se tait, il dit rien, et puis il dit « allons nous baigner » . Et... J'adore cette scène. Ensuite, il nage très longtemps, très loin. Évidemment, quand on sait que vous avez perdu votre père à l'âge de 9 ans dans un accident de voiture, on comprend pourquoi vous avez choisi cet épisode précisément. Mais j'imagine que le gros travail, une fois qu'on a tout lu, tout digéré, c'est de choisir quel moment d'une vie on garde dans le livre.

  • Speaker #1

    Oui, moi j'essaye de... Je cherche souvent des passages qui, à mes yeux, sont drôles. présente un aspect inconnu du personnage. Ou alors, comme c'était l'épisode sur la mort de son père, qui sont tout à fait significatifs de toute son approche de la famille, son refus, son rejet de la famille, parce que c'est quelqu'un qui n'est pratiquement pas rentré pendant longtemps en Angleterre, qui fuyait vraiment sa famille, qui était une famille riche, très aisée. Et lui, il a cherché l'aventure. Donc les passages, c'est évidemment... Où est-ce qu'on va au Mexique ? C'est aussi les moments de grande difficulté, parce que ça a été difficile pour lui de se faire reconnaître. Par exemple, au-dessous du volcan, il a écrit quatre fois le livre, parce que les éditeurs n'étaient pas contents. Et la dernière fois, la dernière version, elle était également refusée, mais là, il ne s'est pas laissé faire. Il a écrit une lettre, et pour moi, c'est très important, parce qu'il a écrit une très longue lettre. Pour justifier ses choix et expliquer son livre. Et c'est grâce à cette lettre qu'au fond, il a été publié. Mais ce n'était pas gagné. Et puis, il a aussi des manuscrits qui ont brûlé. Oui, oui. Tout ça, c'est évidemment des épisodes que je raconte.

  • Speaker #0

    Est-ce que la vie des artistes ne vous fascine pas plus que leur œuvre ?

  • Speaker #1

    Non, je ne crois pas. Je crois que... Non, je trouve « Au-dessous du volcan » , pour l'avoir lu récemment, je trouve que c'est un immense livre. Les 100 premières pages sont difficiles à lire, mais une fois qu'on a passé 100 premières pages, non, je dirais que la vie est en deçà. Oui, oui.

  • Speaker #0

    Mais quand même, les écrivains que vous choisissez n'ont pas eu des vies tranquilles, pépères. Vous aimez bien les artistes maudits ou autodestructeurs, un petit peu. Allez, avouez-le. c'est plus amusant de raconter la vie de Malcolm Lurie que de la vie de, je ne sais pas Jean Dormeson oui,

  • Speaker #1

    encore que je ne connais pas la vie de Jean Dormeson il faudrait connaître la vie secrète de Jean Dormeson non mais en fait j'ai jamais fait de de choix. Les choses viennent vraiment beaucoup par hasard. Je me suis aperçu, il n'y a pas très longtemps, que beaucoup des auteurs dont j'ai parlé, ou des artistes, sont des artistes qui sont un peu des miraculés. C'est-à-dire que leur œuvre est miraculée, parce qu'elle était destinée à être détruite. Comme Kafka, par exemple. Comme Emily Dickinson, qui avait, avant de mourir, qui avait la volonté de brûler toute sa poésie. Et sa sœur a refusé de le faire. Et Pessoa a la même chose. C'est une malle où tout reposait. Van Gogh, c'est son frère qui a gardé les tableaux. Il n'en a vendu qu'un.

  • Speaker #0

    C'est tous des gens sur lesquels vous avez fait des tomes du Manifeste incertain.

  • Speaker #1

    Voilà, oui. Et Walter Benjamin, c'est aussi un... C'est quand même un hasard si on le lit aujourd'hui. Et c'est des auteurs qui sont parmi les plus lus du monde. Et qui étaient vraiment voués à disparaître. Nietzsche, ça a été quand même compliqué. Nietzsche, il avait une cinquantaine de lecteurs. Et il se publiait à compte d'auteurs.

  • Speaker #0

    Oui, en fait, c'est comme si vous étiez le scribe des auteurs qui ont failli disparaître. Vous vous dites, tiens, il n'a pas besoin de moi, mais je vais quand même essayer de le faire connaître un peu mieux. Je dis ça parce que pour les jeunes, souvent on se pose cette question, comment faire lire les jeunes ? Mais avec vos livres, On peut apprendre à des gens qui ne lisent pas, leur donner vraiment envie de lire, un écrivain. Parce qu'on rentre par ce qui est un peu le plus spectaculaire, je dirais. Leur alcoolisme, les voyages, les drogues, les suicides. Et vous pouvez, je pense, arriver à convaincre des jeunes de lire des auteurs comme Malcolm Lurie ou comme Emily Dickinson. Ce n'est pas gagné d'avance.

  • Speaker #1

    Moi, j'ai souvent participé à des rencontres dans des lycées, un peu partout. J'ai eu beaucoup, beaucoup de discussions. Et souvent, c'est des gens qui ont été un peu forcés par l'école, mais qui ont lu un de mes livres. On en a discuté. C'est toujours intéressant. Et par le dessin,

  • Speaker #0

    vous les attrapez peut-être plus facilement, vous croyez ?

  • Speaker #1

    Je ne peux pas vous dire. Mais c'est un peu comme les... Voilà, j'ai fait aussi des rencontres dans les prisons. C'est un peu la même chose. Dans les prisons, il y a des gens qui ne sortiront jamais. On le sait. C'est très curieux, la relation qu'on a. J'ai fait prison homme et prison femme. Je trouve beaucoup plus dur les prisons femmes, d'ailleurs. Je trouve que les prisonnières sont très...

  • Speaker #0

    Plus méfiantes ?

  • Speaker #1

    Non, mais elles sont... Elles sont à fleur de peau, vraiment. Elles sont beaucoup plus dans l'émotion. Les hommes, ils se cachent un peu derrière. Ils font les durs un peu. Les femmes, elles sont très fragiles. C'est très impressionnant. Moi, j'ai été vraiment secoué, même. Je leur ai présenté un livre que j'ai fait il y a pas mal d'années qui s'appelle « Le chagrin d'amour » . Donc, on a beaucoup parlé de l'amour et tout ça. C'est formidable. C'est des moments formidables. Mais c'est vrai que... La biographie, elle aide beaucoup. Pourquoi je fais des biographies ? Parce que je suis d'abord un lecteur. Je suis un lecteur. J'essaie de rendre hommage à ces gens qui, encore une fois, me paraissent tellement étrangers. J'essaie de les comprendre et j'essaie de les faire comprendre aussi. parce que surtout en essayant d'utiliser un langage... Pas trop châtier, quoi. Je fais très attention à la façon d'écrire.

  • Speaker #0

    Oui, c'est très simple, c'est très accessible. Mais prenons l'exemple de Malcolm Lurie. Malcolm Lurie a écrit un grand roman, quand même assez expérimental et assez répétitif, Au-dessous du volcan, qui est une histoire d'amour impossible entre un alcoolique et sa femme. Bon, ils skient, ils se remettent ensemble, ils skient, ils se remettent ensemble, ils boivent du mescal, tout ça se passe à Cuernavaca, sous le fameux volcan qui s'appelle Popocatépetl. Et vous, par vos dessins du Mexique, vous parlez de ce type qui est devenu matelot d'abord, qui a fait le tour du monde, puis qui était surnommé El Borracho Ingles, par les Espagnols puis les Mexicains. Il déménage au Mexique et là, il met dix ans à écrire ce livre, 1937 à 1946. « Et vous vous dessinez des jambes de femme, des barres, On imagine des choses, des Mexicains, un lac où il a vécu. Comment vous décidez ? Quel dessin va avec quel texte ? Vous avez refusé de me répondre en début d'émission, je vous le redemande maintenant.

  • Speaker #1

    Il y a des dessins, je sais qu'ils viendront avec le texte. Il y a des dessins que je fais... Moi, je dis souvent que, de toute façon, le dessin, le texte, c'est deux langages tellement hostiles l'un envers l'autre. C'est tellement irréconciliable que c'est très difficile de les mélanger. Et surtout, je ne cherche pas à les réconcilier. Donc, je dis souvent que l'écriture, pour moi, c'est la conscience. C'est pour ça que je dis que quand on écrit, il faut être très précis, très méticuleux, je dirais. Alors que le dessin, pour moi, c'est l'inconscience. C'est vraiment... Moi, je dessine que deux mois par an. Donc, je dessine dans un état de trance, presque. Et je fais, si vous voulez, huit... 8 dessins par jour, ce qui est beaucoup.

  • Speaker #0

    Oui, c'est beaucoup.

  • Speaker #1

    Et je dessine pendant deux mois, puis c'est fini.

  • Speaker #0

    Et après, vous les avez sur une pile, comme ça, et vous dites, tiens, ça, je vais mettre ça là, ça, je vais mettre ça là. Donc, c'est vraiment...

  • Speaker #1

    C'est un montage, comme un film. ...

  • Speaker #0

    plus climatique ou atmosphérique. Parfois, c'est littéral. Je prends un exemple. Vous parlez de mai 68, vous tournez en dérision mai 68, et vous faites un dessin, il y a deux ânes. Ça, c'est clair que c'est vraiment purement... pour se moquer de, comme vous le disiez, l'idéologie, les certitudes qui sont un peu votre ennemi. Vous n'aimez pas les gens qui savent. Donc, vous aimez laisser planer le mystère, créer un mystère. Oui. D'accord.

  • Speaker #1

    Bon, c'est aussi un travail de montage. Mais c'est vraiment... Moi, j'ai fait des documentaires, des films documentaires, mais c'est la même chose. C'est quand je suis... Chez moi, avec mon livre, je suis sur une table de montage. Mais vraiment, c'est la même entreprise. Sauf que c'est peut-être plus libre que dans le cinéma.

  • Speaker #0

    Et vous découpez les textes pour les coller sur une image ?

  • Speaker #1

    Oui, je mettrais l'ordinateur.

  • Speaker #0

    Copier, coller, tiens ça, je vais le mettre avec celui-là, ça avec celui-là. Et puis, peut-être le hasard joue un rôle aussi. Beaucoup,

  • Speaker #1

    beaucoup. Il faut laisser le hasard faire son travail.

  • Speaker #0

    C'est bien, je suis content, mais j'essaye de vous percer à jour. Vous avez une fois essayé le roman sans dessin. Ça s'appelait La guerre sexuelle. Très bon titre. Alors là, même visionnaire. La guerre sexuelle en 2006, c'était 11 ans avant MeToo, chez Gallimard. Excellent titre, mais vous avez été déçu parce que vous ne l'avez jamais refait. D'écrire un livre entièrement sans images.

  • Speaker #1

    J'en avais fait un très jeune, à 20. 21 ans, j'avais fait un livre qui s'appelle Le Bon Laron, qui a été publié en Suisse. J'ai cherché une forme, en fait. Je l'ai trouvé réellement, comme vous le disiez tout à l'heure, moi je l'ai trouvé à 45 ans, j'ai trouvé très tard. Et le roman, c'était en fait le roman que j'ai fait chez Gallimard, La Guerre sexuelle. C'est aussi un livre que j'ai écrit très jeune. J'ai repris, en fait, des... des manuscrits. En fait, c'était deux livres et je les ai fondus dans un seul livre. Mais je dois dire que j'ai aussi fait ce livre pour des raisons financières. Oh !

  • Speaker #0

    Vous n'avez pas honte ?

  • Speaker #1

    Oui, j'ai honte. C'est une époque où j'avais vraiment besoin d'argent. Et donc... Moi, je travaillais au PUF. J'ai fait sept livres au Presse Universitaire de France. Et puis, Gallimard m'a un peu débauché. Et donc, j'ai accepté d'être débauché pour les questions financières.

  • Speaker #0

    mais peut-être l'expérience vous intéressait moins que celle de cette forme que vous avez inaugurée, inventée, qui est à vous est-ce que le fait de vivre en Arles, comme on dit au milieu des ruines de l'antiquité romaine Ça a un flux sur votre style très classique.

  • Speaker #1

    Bon, ça ne fait pas longtemps, ça fait 7 ans que je vis à... Mais disons, ça me permet de... Arles, c'est une ville qui me permet de vraiment travailler. Je trouve, à Paris, où je viens souvent parce que j'ai gardé un logement, mais...

  • Speaker #0

    On est dérangé par des gens qui vous posent des questions chez l'apéro.

  • Speaker #1

    Oui, par exemple.

  • Speaker #0

    C'est pénible, c'est pénible.

  • Speaker #1

    C'est une ville qui... C'est vrai que ce n'est pas la même vie, quoi. Bien que Arles soit une ville très maintenant habituée notamment par les parisiens. Ah oui,

  • Speaker #0

    envahie. Alors, il y a un jeu dans cette émission, devine tes citations, pas Jacques. Ça consiste, je vais vous lire des phrases de vous tirées de tous vos livres. Et vous devez me dire dans lequel vous avez écrit ça. Ah oui, bonne chance. Ce ciment de souvenir me charpente.

  • Speaker #1

    qu'une idée.

  • Speaker #0

    C'est bien, c'est dans le calme du soir, 2023. Mais ça m'intéresse, ce ciment de souvenir, parce que au fond, est-ce que vous vous souvenez ou vous inventez les souvenirs des autres ? C'est plutôt ça ce que vous faites, dans tous ces livres biographiques.

  • Speaker #1

    Oui, il y a toujours une grande partie autobiographique, dans tous les livres. Il y a même des livres qui sont totalement autobiographiques. Le livre, je crois, le sixième volume du manifeste, qui s'appelle Blessure, c'est un livre purement autobiographique. Il n'y a pas de personnage. Il y a ma mère, il y a ma famille, et puis il y a ce que ma famille a vécu, notamment pendant la guerre, etc. mais je ne fais pas que des livres biographiques dans chaque livre parce qu'il y a des formes différentes et ça j'y tiens beaucoup il y a des formes même littéraires qui sont très différentes il y a des passages qui sont qui sont très proches de la philosophie. Et puis, il y a des passages qui sont très poétiques. Enfin, même... Il y a des passages dans l'Alexandrin. Il y a des... Il y a beaucoup de passages sur la cuisine. Sur mes remarques dans les restaurants, etc. Beaucoup. Dans tous les livres. Oui, dans tous les livres, il y a quelque chose sur la cuisine. Et puis, c'est surtout aussi des livres de voyage. Donc, il y a beaucoup de... de notes de voyage, parce que j'ai voyagé, pour faire le manifeste, j'ai voyagé dans le monde entier. J'ai été en Chine, j'étais à Taïwan, j'étais au Japon, j'étais en Russie, j'étais en Crimée, j'étais en Pologne, j'étais en Amérique du Sud, à New York, au Canada, j'ai voyagé partout. Et donc il y a cette forme aussi de toutes mes remarques sur le... sur le paysage, sur les gens, etc. Tout ça, ça figure toujours. Ce ne sont pas des pures biographies. Non,

  • Speaker #0

    non, bien sûr. Mais regardez, je vais vous faire lire la page 116 pour prouver que oui, ça parle aussi, non seulement de vous, mais ça parle aussi de l'époque présente. Et ça, c'est à mon avis le paragraphe le plus important du livre.

  • Speaker #1

    Je me suis tenu à l'écart des idéologies qui proliféraient durant ma jeunesse. Communisme, trotskisme, maoïsme, écologisme, néofascisme. Aujourd'hui, ces idéologies ressurgissent avec les mêmes excès, le même langage diminué et, pour les plus virulentes, cette haine de la culture dite « bourgeoise » . Tandis que le néolibéralisme se dresse sur la scène triomphateur, outrancier, talonnée par une droite extrême Paradons sous les airs de respectabilité. En vérité, la société humaine ne change guère. C'est un éternel retour.

  • Speaker #0

    Alors, on arrive sur Nietzsche, l'éternel retour.

  • Speaker #1

    Oui, c'est un hommage.

  • Speaker #0

    Mais cette phrase est très importante. Et c'est intéressant que vous la mettez, vous la glissez au milieu du livre. Alors que vous parlez de Malcolm Lurie au Mexique, puis Alberto Giacometti qui quitte la Suisse pour s'installer à Paris. On se dit, on est en dehors du temps. Mais pas du tout. Vous êtes à fond sur le temps et la défense de la culture et de ces artistes-là. C'est aussi un engagement politique ?

  • Speaker #1

    Oui, oui. Dans je ne sais plus quel manifeste, il y a aussi des grands passages sur les Gilets jaunes. Oui, il y a toujours une partie. Alors c'est curieux parce que ce n'est pas une volonté, mais j'ai beaucoup parlé de l'avant-guerre, des années 30, à travers Marina Tsetayeva, à travers Walter Benjamin, à travers Pessoa, etc. J'ai beaucoup parlé de ces années-là. Là aussi,

  • Speaker #0

    Malcolm Norris s'en va avant la guerre. Il part au Mexique juste avant la guerre.

  • Speaker #1

    Oui, en fait, je ne sais pas comment dire ça, mais ces années-là... Je suis tellement plongé dans ces années-là, par mes lectures, j'ai beaucoup lu, j'ai lu Kershaw, j'ai lu le gros livre sur Hitler, j'ai lu beaucoup de l'Europe en enfer, tous ces livres-là. Et c'est vrai qu'il y a toujours un écho avec ce qu'on vit aujourd'hui. Les idéologies, elles ne disparaissent pas comme ça. Elles reviennent, elles sont tenaces. On les subit beaucoup, ces idéologies. C'est difficile d'y échapper, en fait. Et aujourd'hui, tout est encore plus violent et clivant. Les gens sont vraiment face à face. Ça devient difficile. J'ai beaucoup hésité à faire un livre sur Marx, que j'ai beaucoup lu. Mais bon, je ne sais pas ce que... Mais pourquoi pas ? Oui, pourquoi pas. Ça serait une bonne idée. Mais on n'est pas si libre que ça.

  • Speaker #0

    Je continue mes citations de vous, et vous devez me dire où vous avez écrit ceci. Je me sens bien trop incapable de dessiner et redessiner cent fois les mêmes personnages.

  • Speaker #1

    C'est pas dans le dernier ?

  • Speaker #0

    C'est dans le dernier. Manifeste un certain tome 10. C'est ainsi que votre carrière dans la BD s'est arrêtée. C'est parce que vous ne vouliez pas redessiner les mêmes personnages. Une autre phrase. Je vous aimerais même si vous n'aviez qu'une oreille ou un oeil. Il y a un piège.

  • Speaker #1

    C'est pas Apollinaire ?

  • Speaker #0

    C'est Malcolm Lurie qui a écrit ça à Doris. C'est une lettre.

  • Speaker #1

    Ah oui, oui,

  • Speaker #0

    d'accord. Vous l'a cité en 1929. Donc vraiment, c'est intéressant parce que, comme vous l'avez dit, vous lisez toute l'œuvre de l' Même la correspondance, les journaux, même les bios sur lui. Là, la bio de Douglas Day sur Malcolm Lurie. Et du coup, on peut trouver des tas de détails très hallucinants. Par exemple, moi, je ne savais pas que Malcolm Lurie avait un type qui était fou de lui à Cambridge. Un garçon qui était très beau, d'ailleurs, et très amoureux de lui, et qui lui dit « Si tu ne m'embrasses pas, je me tue. » Lurie éclate de rire, il s'en va se picoler avec ses copains, il se fout de sa gueule. Il dit qu'il crève ce mec-là. Et quand il est revenu dans sa chambre à l'université, le garçon s'était suicidé. Ça, c'est très romanesque comme anecdote, mais vrai. C'est ignoré totalement. Oui,

  • Speaker #1

    mais il a été très secoué par ça. Il a culpabilisé énormément. Pas longtemps, il a culpabilisé.

  • Speaker #0

    Oui, parce qu'un bisou, il suffisait d'un bisou. Ce n'est pas très méchant. Alors, je continue. Est-ce bien moi qui ai changé ou le monde ? Ah non ! Vous voulez que je vous dise la solution ? Non ?

  • Speaker #1

    Je ne sais pas.

  • Speaker #0

    C'est de vous, dans le dernier manifestation.

  • Speaker #1

    J'ai pensé que c'était...

  • Speaker #0

    C'est dans le dernier. Est-ce bien moi qui ai changé ou le monde ? Je pense que le monde ne change pas. C'est bien le message que vous lancez dans le livre. Enfin, une dernière. L'art est une activité qui est inutile pour l'ensemble de la société. « Toute œuvre d'art est enfantée totalement pour rien » .

  • Speaker #1

    Ça, c'est Giacometti.

  • Speaker #0

    Oui, Alberto Giacometti.

  • Speaker #1

    Dans le dernier volet.

  • Speaker #0

    C'est dans son entretien avec André Parino, 1962. C'est une idée très inactuelle. Aujourd'hui, tous les écrivains ont un message à faire passer. Personne ne dit « j'écris totalement pour rien » . « Tout ce que je fais ne sert strictement à rien » . C'est assez beau de penser ça. Oui. Vous pensez ça un petit peu ?

  • Speaker #1

    Toujours, on pense pour ça. On se croit quand même... Je ne sais pas, si on est à la campagne, quand on discute avec des paysans, on se sent un peu exclu. On sent qu'on n'est pas très utile.

  • Speaker #0

    Mais non, je vous dis, il y a plein d'auteurs qui sont convaincus, qui vont... Voilà, qu'ils ont quelque chose à dire de très important.

  • Speaker #1

    Oui, j'en fais pas partie.

  • Speaker #0

    Bon, alors on passe au conseil de lecture. Je vous ai demandé de préparer un peu les livres... Voilà, vos livres préférés. Parce que vous êtes un immense lecteur et donc c'est bien qu'on puisse en profiter. Un livre qui donne envie de pleurer ?

  • Speaker #1

    Alors, bon, il y en a plusieurs, mais il y en a un qui m'a évidemment marqué, comme je pense beaucoup de gens de mon âge, mais c'est un qui m'a marqué très jeune. Je n'en ai pas un souvenir très précis, mais j'ai le souvenir que j'ai été malheureux de lire ce livre, que j'ai beaucoup aimé, qui était « Sans famille » d'Hector Malot. Ah oui. Voilà. qui est un livre, moi j'avais 12 ans quand j'ai lu ça à peu près, l'île de 12 ans, c'est un livre qui m'a marqué énormément, moi j'avais perdu mon père en plus, ça me parlait directement, c'était un livre...

  • Speaker #0

    Oui, c'est Jean-Louis Hésine qui en a parlé ici même.

  • Speaker #1

    Il m'a influencé ce livre, je pense, beaucoup.

  • Speaker #0

    Un livre pour arrêter de pleurer après avoir lu Sans Famille ?

  • Speaker #1

    Alors moi j'ai mis, j'ai pensé à un livre de... De mon ami Frédéric Schifter.

  • Speaker #0

    Ah !

  • Speaker #1

    encore à Frédéric, qui s'appelle Philosophie sentimentale et qui est un livre que j'ai vraiment beaucoup aimé parce que j'ai trouvé que c'était un livre complètement romantique. Alors que lui, il se cache un peu de ça. Et c'est un livre où, en fait, il ne peut pas s'empêcher d'être dans une sentimentalité. Il y a un portrait de sa femme, en fait. Et aussi, il y a un portrait de ses collègues, qui sont toujours très drôles. Ses anciens collègues, puisqu'il était professeur. mais c'est quelqu'un que je lis toujours c'est un ami c'est plus qu'un ami je dirais il y a une fraternité entre nous mais c'est quelqu'un qui j'adore son style, j'adore sa façon d'écrire je trouve qu'il est toujours un peu décalé qu'il est jamais c'est pas un bien pensant c'est toujours avec douceur c'est pas quelqu'un de véhément c'est quelqu'un qui assène des choses pessimiste

  • Speaker #0

    tout en étant romantique Ça résume bien. Un livre pour s'ennuyer ?

  • Speaker #1

    Pour moi, c'était L'homme sans qualité de Robert Musi, que j'ai relu il n'y a pas longtemps. Ça m'est tombé des mains, je me suis ennuyé à lire ce livre. Alors que je l'avais lu quand j'avais 22-23 ans, j'avais bien aimé ce livre, mais je ne sais pas s'il n'a pas résisté à la deuxième lecture.

  • Speaker #0

    Un livre pour crâner dans la rue ?

  • Speaker #1

    C'est un livre que j'ai lu il n'y a pas longtemps, qui s'appelle Les intellectuels au Moyen-Âge de Jacques Le Goff. Pas mal. Et j'aime beaucoup ce livre.

  • Speaker #0

    Puis ça vous pose un homme, quoi. Voilà. Un livre qui rend intelligent.

  • Speaker #1

    Alors, c'est un livre que j'ai lu il n'y a pas longtemps aussi, de Jean-Baptiste Brenet. qui s'appelle Le dehors de dents, et qui est sous-titré Averroès en peinture. C'est un livre d'histoire de l'art, qui est publié par cette maison d'édition que j'adore, qui est Macula, une maison d'édition assez exigeante, et dirigée par Véronique Yersin. C'est un livre qui est avec des peintures, beaucoup de reproductions, et qui permettent de montrer tout le rapport entre la peinture italienne euh... Et saint Thomas d'Aquin, dominant à Véroès, qui est toujours écrasé. Il est couché à ses pieds comme un chien et il est écrasé. Et c'est évidemment toute la question de l'apport d'un musulman, d'Averoès, qui amène Aristote en... en Europe. Et le livre est très intéressant parce qu'il est... Je ne peux pas le raconter parce que c'est trop... C'est un livre assez difficile à lire, très érudit, mais c'est un livre qui... Je ne sais pas, il y a une trentaine de peintures qui montrent Averroès au pied de saint Thomas d'Aquin. Et en fait, il montre que c'est plus subtil que ça,

  • Speaker #0

    que ce n'est pas seulement un livre pour séduire.

  • Speaker #1

    Alors,

  • Speaker #0

    Quand vous promenez dans Arles ?

  • Speaker #1

    C'est un livre que j'ai toujours beaucoup aimé. C'est La balade du café triste de Carsten Maculert, que je trouve qui est un livre que j'offre volontiers à des... à des gens pour qui j'ai envie de séduire, mais pour qui j'ai de l'affection.

  • Speaker #0

    Un livre que je regrette d'avoir lu ?

  • Speaker #1

    Alors ça, je ne peux pas répondre, parce que je crois que quand un livre ne me plaît pas, j'arrête. Donc je ne vais pas jusqu'au bout.

  • Speaker #0

    Vous ne regrettez pas ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Un livre que je fais semblant d'avoir fini ?

  • Speaker #1

    Alors, je ne suis pas sûr de faire complètement semblant, parce que c'est possible que je l'ai lu jusqu'au bout. Mais c'est un livre dont je... C'est un livre qui a un vrai problème. C'est Fiddy Ganswick de Joyce. C'est un vrai problème.

  • Speaker #0

    Un vrai problème de lisibilité.

  • Speaker #1

    Oui. Donc...

  • Speaker #0

    Ah, parce que vous... Comment est-ce que vous faites pour ne pas être convaincu de l'avoir fini ? Je comprends. Vous l'avez fini ?

  • Speaker #1

    C'est possible.

  • Speaker #0

    C'est possible que vous l'ayez fini, mais vous n'êtes pas sûr.

  • Speaker #1

    Oui, je ne suis pas sûr. C'est un peu comme les cantos de Zrappan. Oui, Zrappan. Que j'ai lu plusieurs fois, en fait. Mais je ne sais jamais si je suis arrivé jusqu'à là.

  • Speaker #0

    Jamais si on a terminé ou si on a juste perdu le fil. Le livre que j'aurais aimé écrire ?

  • Speaker #1

    Alors c'est un livre que je relis souvent qui est La lune et les feux de Pavès, qui est son dernier livre et qui ressemble d'ailleurs à Et ce sont les violents qui l'emportent de Flaherty O'Connor. C'est un peu le même thème aussi de l'enfant un peu qui va finir par mettre le feu aux maisons, qui va finir par tout détruire. Et c'est un livre, c'est extraordinaire parce que c'est quand même... C'est le retour d'un émigré qui vient des États-Unis, enfin qui rentre des États-Unis en Italie, qui revient dans son pays, le pays de Pavès, donc dans les langues. et qui redécouvre son pays complètement misérable. C'est quand même une période difficile. Il découvre le monde de la campagne, des vignes. C'est une description tellement... Les personnages sont tellement extraordinaires. C'est tellement... Pour moi, Pavès, c'est vraiment le grand écrivain.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup, Frédéric Pajac. Oui, quel est le pire livre que vous avez lu ? Mais finalement, je n'ai pas envie de vous la demander, celle-là.

  • Speaker #1

    Il y a le livre que je lis en ce moment. Ah ! Alors, c'est un livre que j'ai presque fini, écrit par le docteur Charbonnier, qui est un livre qui s'appelle « Les maladies des mystiques » .

  • Speaker #0

    Ah,

  • Speaker #1

    ben, c'est un livre qui m'intéresse énormément et qui a été écrit en 1850. Non, 35, pardon. J'ai l'édition qui a été publiée en Belgique. J'ai l'édition originale de ce livre. Je ne sais même pas s'il a été réédité. Mais c'est absolument passionnant parce qu'il montre que tous les mystiques sont malades physiquement. Notamment parce que ce sont soit anorexiques, soit ils font des jeûnes trop prolongés. Et en fait, ils ont souvent l'estomac qui a tellement rétréci.

  • Speaker #0

    Vous voulez dire que finalement, Dieu est mauvais pour la santé ? Voilà.

  • Speaker #1

    Oui, et toutes les visions viennent des jeunes prolongés. C'est connu. Mais c'est un livre intéressant parce que c'est l'un des premiers livres qui parle de ça.

  • Speaker #0

    On peut peut-être partager le sang du Christ pour remercier infiniment d'être venu. Et merci beaucoup. Je rappelle le titre du livre, c'est le Manifeste d'un certain, tome numéro 10 de Frédéric Pajac, aux éditions Noir sur Blanc. Et c'est un bijou, c'est un livre important. C'est un livre grandiose sur Malcolm Lurie et sur Alberto Giacometti. Cette émission vous était présentée en partenariat avec le Figaro Magazine, le magazine des Haribo, les Aristoboèmes. Et puis surtout n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous allez mourir idiot. Ce serait quand même dommage. C'est du jus de raisin, c'est pas du vin, c'est du jus de raisin. Château Clark 2018.

Description

Rencontre avec un des meilleurs auteurs de biographies dessinées, qui publie un de ses plus beaux livres (sur Malcolm Lowry et Alberto Giacometti).


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue chez La Pérouse, je suis très très heureux de recevoir ce soir Frédéric Pajac pour son nouveau livre

  • Speaker #1

    Manifeste incertain numéro 10, Les étrangers,

  • Speaker #0

    qui est publié aux éditions

  • Speaker #1

    Noir sur Blanc.

  • Speaker #0

    Vous êtes excellent Frédéric, mais c'est merveilleux. Entre Frédéric, ça se passe toujours bien. Oui, ça va être une belle conversation car vous avez... Frédéric Pajac a inventé une forme nouvelle. Vous avez inventé quelque chose qui n'est pas du roman graphique, qui n'est pas de la bande dessinée, qui n'est pas de la biographie, mais qui est un peu les trois quand même, à la fois, ou complètement autre chose.

  • Speaker #1

    Et qui n'est pas du livre illustré non plus.

  • Speaker #0

    Qui n'est pas du livre illustré, et qui consiste à faire ça. Voilà, ça. C'est-à-dire des dessins qui sont faits à l'encre.

  • Speaker #1

    À l'encre de Chine, oui.

  • Speaker #0

    avec des hachures, parfois, et qui sont totalement décalées par rapport au texte qui est écrit. Pas toujours. Mais vous jouez beaucoup avec ça. Ça vous amuse beaucoup. On peut enlever ces machins qu'on a dans les oreilles. Vous dites que ça n'est pas décalé. Est-ce que c'est calculé ?

  • Speaker #1

    Je ne sais pas si c'est calculé. C'est un processus en fait. En fait le livre il commence toujours par la lecture, puisque si je traite d'un auteur ou d'un artiste, je commence par essayer de lire tout ce qu'il a écrit, les biographies, la correspondance, le journal intime s'il en a, les témoignages et tout ça. Donc ça me prend beaucoup de temps, suivant les auteurs ça peut prendre beaucoup de temps. Et puis je prends des notes dans les livres, et après je les retranscris, et ça représente à peu près 300 pages en gros de notes. Et c'est ce qui me permet de construire un peu le livre, et en même temps que je prends des notes et que je lis, me viennent à l'esprit les dessins, enfin pas tous les dessins, mais un certain nombre de dessins où je me dis ça, il faut que je dessine, je ne sais pas moi, le portrait. de Giacometti, où il faut que j'aille à Stampa, où il est né, c'était en Suisse orientale, dans la montagne, dans les grisons. Et puis là, je me dis, il faut que j'aille passer quelques jours là-bas.

  • Speaker #0

    Destiner les paysages.

  • Speaker #1

    Destiner les paysages. paysages, tout ce que je peux faire sur le motif, je le fais sur le motif. Et sinon, je dessine d'après des documents, ou d'après des photos, des cas postales, aussi d'après des peintures, souvent, ou d'après des sculptures. J'ai fait beaucoup de dessins de sculptures de Giacometti. C'est très intéressant de dessiner des sculptures.

  • Speaker #0

    Et donc, c'est venu au moment de l'immense solitude, c'est ça, quand vous avez publié en 1999 ce livre sur César et Pavese à Turin. Et Nietzsche, ce livre-là, c'était la forme que vous aviez trouvée et que vous poursuivez depuis 1999, ça fait 26 ans. Pourquoi avez-vous eu le sentiment là que vous aviez trouvé votre forme à vous ?

  • Speaker #1

    En fait, j'ai fait un livre déjà écrit et dessiné sur Luther. C'est un livre qui est écrit à la première personne, qui s'appelle Luther, l'inventeur de la solitude. C'est comme une autobiographie de Luther, assez humoristique. C'est un livre qui a été totalement incompris. Je crois que j'ai dû avoir 200 lecteurs. Et personne n'a compris ce livre, vraiment personne, sauf à l'époque Roland Jacquard, qui travaillait au Monde à l'époque et qui était éditeur au PUF. Et comme j'ai su, j'ai appris que le livre n'y avait plus, je ne le connaissais pas. Donc je suis allé lui présenter... J'ai mis quatre ans pour faire l'immense solitude. Je suis passé en Italie pour faire le livre. Parce que le livre se passe à Turin. Et en fait, c'est vraiment... Moi, j'étais découragé après l'échec de Luther. Et je me rappelle des gens que j'aimais beaucoup, comme Gébé, qui était à l'époque directeur de Charlie Hebdo. Je disais qu'il ne comprenait rien à ce livre. Il croyait que j'étais dans la bondieuserie et tout ça. Je disais, mais pas du tout. Et puis, c'est un livre assez dur sur Luther. sur un livre c'est même sévère. Mais c'était un livre renseigné. C'est-à-dire, j'avais beaucoup lu Luther. Je n'ai pas tout lu parce que c'est la plus grande œuvre littéraire allemande. Mais j'avais quand même beaucoup lu. J'ai lu des biographies, j'ai lu ses pamphlets antisémites. J'ai lu vraiment beaucoup de choses à l'époque qui sont... Tout ça figure dans le livre. Et les théologiens pensaient que c'était un livre d'humour. Et puis les humoristes croyaient que c'était un livre de théologie. Donc, je suis parti vraiment sur cet échec. Et vous vous êtes dit,

  • Speaker #0

    comme ça n'a pas marché, je vais continuer toute ma vie ce truc-là. Non.

  • Speaker #1

    Mais je trouve que c'est bien. Oui, oui. Non, mais ce n'est pas exactement ça. C'est-à-dire que... Non, j'ai découvert Turin un jour. Je suis allé pour la première fois. et... Et j'ai été absolument subjugué. Et évidemment, je me suis rappelé que César et Pavès ont beaucoup écrit sur Turin, et surtout qu'ils s'étaient suicidés à Turin, et que Nietzsche est devenu fou à Turin. Et donc j'avais beaucoup lu Pavès et Nietzsche, mais je n'avais pas fait de rapprochement immédiat avec Turin. Et donc là, j'ai eu un tel coup de foudre pour cette ville, pour cette mélancolie, et je me suis dit, il faut que je passe du temps là. Donc je me suis installé à côté de Turin pendant quatre ans, et tous les jours, j'ai essayé de... de dessiner cette ville, etc. Parce que ce n'était pas possible de faire un film sur Turin, parce qu'il y a des voitures partout, il y a des distances lumineuses, des publicités, etc. Donc il n'y avait pas ce Turin qui a connu Nietzsche, cette ville aristocratique, etc. Donc le dessin était la seule solution pour moi. Et voilà, je me suis forcé à dessiner des choses que je ne sais pas dessiner a priori, notamment l'architecture.

  • Speaker #0

    Alors, vous entrecroisez autobiographie aussi, vous parlez de vous-même. et exo-fiction, comme on dit maintenant, c'est-à-dire la biographie, ce sont comme des portraits subjectifs de vos idoles ou des exercices d'admiration. Alors je récapitule, parce que là c'est le dixième tome sur Malcolm Lurie et Alberto Giacometti, mais vous aviez notamment eu le premier dix-six essais en 2014 pour le manifeste Un certain tome 3, qui était sur Walter Benjamin et Ezra Pound. Vous avez eu également le concours de la biographie. Pour le tome 7 du Manifeste incertain en 2019, c'était sur Emily Dickinson et Marina Zvetayeva. Donc toujours deux artistes. Et puis des dessins d'arbres, de gares, d'immeubles, de gens dans des appartements, un peu à la Edward Hopper parfois. Toujours avec des hachures, comme Pierre Letanne pouvait le faire, mais en noir et blanc, vous. Et là, alors pourquoi ce choix, Malcolm Lurie et Alberto Giacometti ? Parce que ce sont deux exilés ?

  • Speaker #1

    Non, c'est un pur hasard. C'est en fait, souvent j'ai acheté des livres qui dorment sur les rayons de la bibliothèque, et tout à coup je me décide à les lire. Ça a été le cas pour Au-dessous du volcan, que je n'avais pas lu. J'avais lu Sombre comme la tombe, au repos de mon ami, qui est du même auteur. Mais je n'avais pas lu « Au-dessous du volcan » . Je me suis dit, il faut que je lise « Au-dessous du volcan » . Et après cette lecture, je me suis intéressé un peu plus à lui. Et je me suis aperçu que j'avais aussi la correspondance que Nadeau avait publiée. Donc, petit à petit, j'ai eu envie de dessiner le Mexique. J'avais beaucoup aimé le film de John Huston « Au-dessous du volcan » , que je trouve une des rares adaptations d'un... d'un grand livre réussi. Et donc, j'avais un très bon souvenir. Et puis, c'est un hasard. Et puis, Jacobetti, c'est une autre histoire, parce que Jacobetti, quand j'avais 12 ans, je n'étais pas loin d'une librairie où je n'étais jamais rentré. Et il y avait tout à coup en vitrine un petit livre de Jacobetti, un petit catalogue qui avait été publié en Suisse italienne, à Lugano. Et puis... Il y avait un dessin de Giacometti sur la couverture. Alors j'ai poussé la porte, j'étais extrêmement timide. Je suis allé vers le libraire, je lui ai dit « Bon, monsieur, est-ce que vous pourriez me montrer le livre ? » Je ne sais pas de qui il est, parce que c'était marqué à la main. Je ne savais pas trop le livre, je n'arrivais pas à lire exactement son nom. Il m'a dit « Oui, c'est un livre de Giacometti. » Il me présente le livre, puis il dit « J'aimerais bien l'acheter. » Et puis il me dit, bon voilà, ça fait tant et tant que j'avais un peu d'argent de poche. Et c'est le premier livre que j'ai acheté. Donc Giacometti m'a vraiment poursuivi toute ma vie. J'ai toujours été voir des expositions de Giacometti. Je suis allé très souvent à Stampa, dont je parlais tout à l'heure, c'est-à-dire dans les Grisons, et puis qui est pas loin de chez Nietzsche, à Sils Maria, c'est à une vingtaine de kilomètres. Donc c'est toute une région que j'ai... J'ai vraiment écumé, j'ai fait beaucoup de montagnes, je faisais beaucoup de montagnes. Donc la journée, je partais quatre heures dans la montagne et je dessinais quatre heures dans la nature.

  • Speaker #0

    Mais comment est-ce qu'on choisit ? Parce que vous dites, tiens, j'ai envie de passer un an avec Alberto Giacometti. C'est ça en fait. En gros, quand vous choisissez un personnage, pour vous, ça signifie 200 dessins, 200 textes et toute l'œuvre à lire. Donc, vous allez passer beaucoup de temps avec cette personne. Il ne faut pas se tromper. Vous avez arrivé d'ailleurs de vous tromper, de vous dire « je ne vais pas faire un livre sur cette personne, elle ne m'intéresse plus » .

  • Speaker #1

    Ça m'est arrivé une fois, oui. J'avais pris un billet pour traverser l'Atlantique jusqu'à Buenos Aires. Et j'avais pris dans ma valise, que j'avais lu déjà, mais je voulais le relire. J'avais appris Gombrowicz.

  • Speaker #0

    Ah oui.

  • Speaker #1

    Witold Gombrowicz. Et puis, je venais de relire un des volumes du journal, et je me suis dit, toute la nuit avant de partir, je me suis dit, mais c'est tellement ennuyeux, ce journal. Et en plus, c'est des règlements de comptes avec des écrivains dont on ignore tout, parce qu'on connaît Vitkevitch, Schulz et quelques-uns. la plupart des écrivains, je ne les connaissais pas, j'ai dit, mais il est tellement dans un perpétuel règlement de compte. Vous avez dit que les auteurs dont je parle sont des idoles, mais pas du tout. C'est plutôt des gens qui me sont étrangers. Je suis étonné par leur vie, par leur œuvre. Ça m'étonne. Nietzsche, c'est quelqu'un que j'ai beaucoup de peine à saisir, à comprendre vraiment. J'ai essayé, je comprends en partie, mais ce n'est pas quelqu'un... Voilà, je me prends pas pour Nietzsche ou je me prends pas pour les auteurs dont je parle. Et Gobineau, encore moins.

  • Speaker #0

    Une fois que vous avez choisi le personnage, au fond, on a le sentiment qu'il y a aussi un autre choix à faire. C'est les épisodes que vous allez dessiner, choisir. C'est là où il y a le vrai boulot, c'est le tri. Par exemple, pour parler de Malcolm Lorry, l'auteur d'Au-dessous du volcan, vous racontez comment il apprend la mort de son père, il se tait, il dit rien, et puis il dit « allons nous baigner » . Et... J'adore cette scène. Ensuite, il nage très longtemps, très loin. Évidemment, quand on sait que vous avez perdu votre père à l'âge de 9 ans dans un accident de voiture, on comprend pourquoi vous avez choisi cet épisode précisément. Mais j'imagine que le gros travail, une fois qu'on a tout lu, tout digéré, c'est de choisir quel moment d'une vie on garde dans le livre.

  • Speaker #1

    Oui, moi j'essaye de... Je cherche souvent des passages qui, à mes yeux, sont drôles. présente un aspect inconnu du personnage. Ou alors, comme c'était l'épisode sur la mort de son père, qui sont tout à fait significatifs de toute son approche de la famille, son refus, son rejet de la famille, parce que c'est quelqu'un qui n'est pratiquement pas rentré pendant longtemps en Angleterre, qui fuyait vraiment sa famille, qui était une famille riche, très aisée. Et lui, il a cherché l'aventure. Donc les passages, c'est évidemment... Où est-ce qu'on va au Mexique ? C'est aussi les moments de grande difficulté, parce que ça a été difficile pour lui de se faire reconnaître. Par exemple, au-dessous du volcan, il a écrit quatre fois le livre, parce que les éditeurs n'étaient pas contents. Et la dernière fois, la dernière version, elle était également refusée, mais là, il ne s'est pas laissé faire. Il a écrit une lettre, et pour moi, c'est très important, parce qu'il a écrit une très longue lettre. Pour justifier ses choix et expliquer son livre. Et c'est grâce à cette lettre qu'au fond, il a été publié. Mais ce n'était pas gagné. Et puis, il a aussi des manuscrits qui ont brûlé. Oui, oui. Tout ça, c'est évidemment des épisodes que je raconte.

  • Speaker #0

    Est-ce que la vie des artistes ne vous fascine pas plus que leur œuvre ?

  • Speaker #1

    Non, je ne crois pas. Je crois que... Non, je trouve « Au-dessous du volcan » , pour l'avoir lu récemment, je trouve que c'est un immense livre. Les 100 premières pages sont difficiles à lire, mais une fois qu'on a passé 100 premières pages, non, je dirais que la vie est en deçà. Oui, oui.

  • Speaker #0

    Mais quand même, les écrivains que vous choisissez n'ont pas eu des vies tranquilles, pépères. Vous aimez bien les artistes maudits ou autodestructeurs, un petit peu. Allez, avouez-le. c'est plus amusant de raconter la vie de Malcolm Lurie que de la vie de, je ne sais pas Jean Dormeson oui,

  • Speaker #1

    encore que je ne connais pas la vie de Jean Dormeson il faudrait connaître la vie secrète de Jean Dormeson non mais en fait j'ai jamais fait de de choix. Les choses viennent vraiment beaucoup par hasard. Je me suis aperçu, il n'y a pas très longtemps, que beaucoup des auteurs dont j'ai parlé, ou des artistes, sont des artistes qui sont un peu des miraculés. C'est-à-dire que leur œuvre est miraculée, parce qu'elle était destinée à être détruite. Comme Kafka, par exemple. Comme Emily Dickinson, qui avait, avant de mourir, qui avait la volonté de brûler toute sa poésie. Et sa sœur a refusé de le faire. Et Pessoa a la même chose. C'est une malle où tout reposait. Van Gogh, c'est son frère qui a gardé les tableaux. Il n'en a vendu qu'un.

  • Speaker #0

    C'est tous des gens sur lesquels vous avez fait des tomes du Manifeste incertain.

  • Speaker #1

    Voilà, oui. Et Walter Benjamin, c'est aussi un... C'est quand même un hasard si on le lit aujourd'hui. Et c'est des auteurs qui sont parmi les plus lus du monde. Et qui étaient vraiment voués à disparaître. Nietzsche, ça a été quand même compliqué. Nietzsche, il avait une cinquantaine de lecteurs. Et il se publiait à compte d'auteurs.

  • Speaker #0

    Oui, en fait, c'est comme si vous étiez le scribe des auteurs qui ont failli disparaître. Vous vous dites, tiens, il n'a pas besoin de moi, mais je vais quand même essayer de le faire connaître un peu mieux. Je dis ça parce que pour les jeunes, souvent on se pose cette question, comment faire lire les jeunes ? Mais avec vos livres, On peut apprendre à des gens qui ne lisent pas, leur donner vraiment envie de lire, un écrivain. Parce qu'on rentre par ce qui est un peu le plus spectaculaire, je dirais. Leur alcoolisme, les voyages, les drogues, les suicides. Et vous pouvez, je pense, arriver à convaincre des jeunes de lire des auteurs comme Malcolm Lurie ou comme Emily Dickinson. Ce n'est pas gagné d'avance.

  • Speaker #1

    Moi, j'ai souvent participé à des rencontres dans des lycées, un peu partout. J'ai eu beaucoup, beaucoup de discussions. Et souvent, c'est des gens qui ont été un peu forcés par l'école, mais qui ont lu un de mes livres. On en a discuté. C'est toujours intéressant. Et par le dessin,

  • Speaker #0

    vous les attrapez peut-être plus facilement, vous croyez ?

  • Speaker #1

    Je ne peux pas vous dire. Mais c'est un peu comme les... Voilà, j'ai fait aussi des rencontres dans les prisons. C'est un peu la même chose. Dans les prisons, il y a des gens qui ne sortiront jamais. On le sait. C'est très curieux, la relation qu'on a. J'ai fait prison homme et prison femme. Je trouve beaucoup plus dur les prisons femmes, d'ailleurs. Je trouve que les prisonnières sont très...

  • Speaker #0

    Plus méfiantes ?

  • Speaker #1

    Non, mais elles sont... Elles sont à fleur de peau, vraiment. Elles sont beaucoup plus dans l'émotion. Les hommes, ils se cachent un peu derrière. Ils font les durs un peu. Les femmes, elles sont très fragiles. C'est très impressionnant. Moi, j'ai été vraiment secoué, même. Je leur ai présenté un livre que j'ai fait il y a pas mal d'années qui s'appelle « Le chagrin d'amour » . Donc, on a beaucoup parlé de l'amour et tout ça. C'est formidable. C'est des moments formidables. Mais c'est vrai que... La biographie, elle aide beaucoup. Pourquoi je fais des biographies ? Parce que je suis d'abord un lecteur. Je suis un lecteur. J'essaie de rendre hommage à ces gens qui, encore une fois, me paraissent tellement étrangers. J'essaie de les comprendre et j'essaie de les faire comprendre aussi. parce que surtout en essayant d'utiliser un langage... Pas trop châtier, quoi. Je fais très attention à la façon d'écrire.

  • Speaker #0

    Oui, c'est très simple, c'est très accessible. Mais prenons l'exemple de Malcolm Lurie. Malcolm Lurie a écrit un grand roman, quand même assez expérimental et assez répétitif, Au-dessous du volcan, qui est une histoire d'amour impossible entre un alcoolique et sa femme. Bon, ils skient, ils se remettent ensemble, ils skient, ils se remettent ensemble, ils boivent du mescal, tout ça se passe à Cuernavaca, sous le fameux volcan qui s'appelle Popocatépetl. Et vous, par vos dessins du Mexique, vous parlez de ce type qui est devenu matelot d'abord, qui a fait le tour du monde, puis qui était surnommé El Borracho Ingles, par les Espagnols puis les Mexicains. Il déménage au Mexique et là, il met dix ans à écrire ce livre, 1937 à 1946. « Et vous vous dessinez des jambes de femme, des barres, On imagine des choses, des Mexicains, un lac où il a vécu. Comment vous décidez ? Quel dessin va avec quel texte ? Vous avez refusé de me répondre en début d'émission, je vous le redemande maintenant.

  • Speaker #1

    Il y a des dessins, je sais qu'ils viendront avec le texte. Il y a des dessins que je fais... Moi, je dis souvent que, de toute façon, le dessin, le texte, c'est deux langages tellement hostiles l'un envers l'autre. C'est tellement irréconciliable que c'est très difficile de les mélanger. Et surtout, je ne cherche pas à les réconcilier. Donc, je dis souvent que l'écriture, pour moi, c'est la conscience. C'est pour ça que je dis que quand on écrit, il faut être très précis, très méticuleux, je dirais. Alors que le dessin, pour moi, c'est l'inconscience. C'est vraiment... Moi, je dessine que deux mois par an. Donc, je dessine dans un état de trance, presque. Et je fais, si vous voulez, huit... 8 dessins par jour, ce qui est beaucoup.

  • Speaker #0

    Oui, c'est beaucoup.

  • Speaker #1

    Et je dessine pendant deux mois, puis c'est fini.

  • Speaker #0

    Et après, vous les avez sur une pile, comme ça, et vous dites, tiens, ça, je vais mettre ça là, ça, je vais mettre ça là. Donc, c'est vraiment...

  • Speaker #1

    C'est un montage, comme un film. ...

  • Speaker #0

    plus climatique ou atmosphérique. Parfois, c'est littéral. Je prends un exemple. Vous parlez de mai 68, vous tournez en dérision mai 68, et vous faites un dessin, il y a deux ânes. Ça, c'est clair que c'est vraiment purement... pour se moquer de, comme vous le disiez, l'idéologie, les certitudes qui sont un peu votre ennemi. Vous n'aimez pas les gens qui savent. Donc, vous aimez laisser planer le mystère, créer un mystère. Oui. D'accord.

  • Speaker #1

    Bon, c'est aussi un travail de montage. Mais c'est vraiment... Moi, j'ai fait des documentaires, des films documentaires, mais c'est la même chose. C'est quand je suis... Chez moi, avec mon livre, je suis sur une table de montage. Mais vraiment, c'est la même entreprise. Sauf que c'est peut-être plus libre que dans le cinéma.

  • Speaker #0

    Et vous découpez les textes pour les coller sur une image ?

  • Speaker #1

    Oui, je mettrais l'ordinateur.

  • Speaker #0

    Copier, coller, tiens ça, je vais le mettre avec celui-là, ça avec celui-là. Et puis, peut-être le hasard joue un rôle aussi. Beaucoup,

  • Speaker #1

    beaucoup. Il faut laisser le hasard faire son travail.

  • Speaker #0

    C'est bien, je suis content, mais j'essaye de vous percer à jour. Vous avez une fois essayé le roman sans dessin. Ça s'appelait La guerre sexuelle. Très bon titre. Alors là, même visionnaire. La guerre sexuelle en 2006, c'était 11 ans avant MeToo, chez Gallimard. Excellent titre, mais vous avez été déçu parce que vous ne l'avez jamais refait. D'écrire un livre entièrement sans images.

  • Speaker #1

    J'en avais fait un très jeune, à 20. 21 ans, j'avais fait un livre qui s'appelle Le Bon Laron, qui a été publié en Suisse. J'ai cherché une forme, en fait. Je l'ai trouvé réellement, comme vous le disiez tout à l'heure, moi je l'ai trouvé à 45 ans, j'ai trouvé très tard. Et le roman, c'était en fait le roman que j'ai fait chez Gallimard, La Guerre sexuelle. C'est aussi un livre que j'ai écrit très jeune. J'ai repris, en fait, des... des manuscrits. En fait, c'était deux livres et je les ai fondus dans un seul livre. Mais je dois dire que j'ai aussi fait ce livre pour des raisons financières. Oh !

  • Speaker #0

    Vous n'avez pas honte ?

  • Speaker #1

    Oui, j'ai honte. C'est une époque où j'avais vraiment besoin d'argent. Et donc... Moi, je travaillais au PUF. J'ai fait sept livres au Presse Universitaire de France. Et puis, Gallimard m'a un peu débauché. Et donc, j'ai accepté d'être débauché pour les questions financières.

  • Speaker #0

    mais peut-être l'expérience vous intéressait moins que celle de cette forme que vous avez inaugurée, inventée, qui est à vous est-ce que le fait de vivre en Arles, comme on dit au milieu des ruines de l'antiquité romaine Ça a un flux sur votre style très classique.

  • Speaker #1

    Bon, ça ne fait pas longtemps, ça fait 7 ans que je vis à... Mais disons, ça me permet de... Arles, c'est une ville qui me permet de vraiment travailler. Je trouve, à Paris, où je viens souvent parce que j'ai gardé un logement, mais...

  • Speaker #0

    On est dérangé par des gens qui vous posent des questions chez l'apéro.

  • Speaker #1

    Oui, par exemple.

  • Speaker #0

    C'est pénible, c'est pénible.

  • Speaker #1

    C'est une ville qui... C'est vrai que ce n'est pas la même vie, quoi. Bien que Arles soit une ville très maintenant habituée notamment par les parisiens. Ah oui,

  • Speaker #0

    envahie. Alors, il y a un jeu dans cette émission, devine tes citations, pas Jacques. Ça consiste, je vais vous lire des phrases de vous tirées de tous vos livres. Et vous devez me dire dans lequel vous avez écrit ça. Ah oui, bonne chance. Ce ciment de souvenir me charpente.

  • Speaker #1

    qu'une idée.

  • Speaker #0

    C'est bien, c'est dans le calme du soir, 2023. Mais ça m'intéresse, ce ciment de souvenir, parce que au fond, est-ce que vous vous souvenez ou vous inventez les souvenirs des autres ? C'est plutôt ça ce que vous faites, dans tous ces livres biographiques.

  • Speaker #1

    Oui, il y a toujours une grande partie autobiographique, dans tous les livres. Il y a même des livres qui sont totalement autobiographiques. Le livre, je crois, le sixième volume du manifeste, qui s'appelle Blessure, c'est un livre purement autobiographique. Il n'y a pas de personnage. Il y a ma mère, il y a ma famille, et puis il y a ce que ma famille a vécu, notamment pendant la guerre, etc. mais je ne fais pas que des livres biographiques dans chaque livre parce qu'il y a des formes différentes et ça j'y tiens beaucoup il y a des formes même littéraires qui sont très différentes il y a des passages qui sont qui sont très proches de la philosophie. Et puis, il y a des passages qui sont très poétiques. Enfin, même... Il y a des passages dans l'Alexandrin. Il y a des... Il y a beaucoup de passages sur la cuisine. Sur mes remarques dans les restaurants, etc. Beaucoup. Dans tous les livres. Oui, dans tous les livres, il y a quelque chose sur la cuisine. Et puis, c'est surtout aussi des livres de voyage. Donc, il y a beaucoup de... de notes de voyage, parce que j'ai voyagé, pour faire le manifeste, j'ai voyagé dans le monde entier. J'ai été en Chine, j'étais à Taïwan, j'étais au Japon, j'étais en Russie, j'étais en Crimée, j'étais en Pologne, j'étais en Amérique du Sud, à New York, au Canada, j'ai voyagé partout. Et donc il y a cette forme aussi de toutes mes remarques sur le... sur le paysage, sur les gens, etc. Tout ça, ça figure toujours. Ce ne sont pas des pures biographies. Non,

  • Speaker #0

    non, bien sûr. Mais regardez, je vais vous faire lire la page 116 pour prouver que oui, ça parle aussi, non seulement de vous, mais ça parle aussi de l'époque présente. Et ça, c'est à mon avis le paragraphe le plus important du livre.

  • Speaker #1

    Je me suis tenu à l'écart des idéologies qui proliféraient durant ma jeunesse. Communisme, trotskisme, maoïsme, écologisme, néofascisme. Aujourd'hui, ces idéologies ressurgissent avec les mêmes excès, le même langage diminué et, pour les plus virulentes, cette haine de la culture dite « bourgeoise » . Tandis que le néolibéralisme se dresse sur la scène triomphateur, outrancier, talonnée par une droite extrême Paradons sous les airs de respectabilité. En vérité, la société humaine ne change guère. C'est un éternel retour.

  • Speaker #0

    Alors, on arrive sur Nietzsche, l'éternel retour.

  • Speaker #1

    Oui, c'est un hommage.

  • Speaker #0

    Mais cette phrase est très importante. Et c'est intéressant que vous la mettez, vous la glissez au milieu du livre. Alors que vous parlez de Malcolm Lurie au Mexique, puis Alberto Giacometti qui quitte la Suisse pour s'installer à Paris. On se dit, on est en dehors du temps. Mais pas du tout. Vous êtes à fond sur le temps et la défense de la culture et de ces artistes-là. C'est aussi un engagement politique ?

  • Speaker #1

    Oui, oui. Dans je ne sais plus quel manifeste, il y a aussi des grands passages sur les Gilets jaunes. Oui, il y a toujours une partie. Alors c'est curieux parce que ce n'est pas une volonté, mais j'ai beaucoup parlé de l'avant-guerre, des années 30, à travers Marina Tsetayeva, à travers Walter Benjamin, à travers Pessoa, etc. J'ai beaucoup parlé de ces années-là. Là aussi,

  • Speaker #0

    Malcolm Norris s'en va avant la guerre. Il part au Mexique juste avant la guerre.

  • Speaker #1

    Oui, en fait, je ne sais pas comment dire ça, mais ces années-là... Je suis tellement plongé dans ces années-là, par mes lectures, j'ai beaucoup lu, j'ai lu Kershaw, j'ai lu le gros livre sur Hitler, j'ai lu beaucoup de l'Europe en enfer, tous ces livres-là. Et c'est vrai qu'il y a toujours un écho avec ce qu'on vit aujourd'hui. Les idéologies, elles ne disparaissent pas comme ça. Elles reviennent, elles sont tenaces. On les subit beaucoup, ces idéologies. C'est difficile d'y échapper, en fait. Et aujourd'hui, tout est encore plus violent et clivant. Les gens sont vraiment face à face. Ça devient difficile. J'ai beaucoup hésité à faire un livre sur Marx, que j'ai beaucoup lu. Mais bon, je ne sais pas ce que... Mais pourquoi pas ? Oui, pourquoi pas. Ça serait une bonne idée. Mais on n'est pas si libre que ça.

  • Speaker #0

    Je continue mes citations de vous, et vous devez me dire où vous avez écrit ceci. Je me sens bien trop incapable de dessiner et redessiner cent fois les mêmes personnages.

  • Speaker #1

    C'est pas dans le dernier ?

  • Speaker #0

    C'est dans le dernier. Manifeste un certain tome 10. C'est ainsi que votre carrière dans la BD s'est arrêtée. C'est parce que vous ne vouliez pas redessiner les mêmes personnages. Une autre phrase. Je vous aimerais même si vous n'aviez qu'une oreille ou un oeil. Il y a un piège.

  • Speaker #1

    C'est pas Apollinaire ?

  • Speaker #0

    C'est Malcolm Lurie qui a écrit ça à Doris. C'est une lettre.

  • Speaker #1

    Ah oui, oui,

  • Speaker #0

    d'accord. Vous l'a cité en 1929. Donc vraiment, c'est intéressant parce que, comme vous l'avez dit, vous lisez toute l'œuvre de l' Même la correspondance, les journaux, même les bios sur lui. Là, la bio de Douglas Day sur Malcolm Lurie. Et du coup, on peut trouver des tas de détails très hallucinants. Par exemple, moi, je ne savais pas que Malcolm Lurie avait un type qui était fou de lui à Cambridge. Un garçon qui était très beau, d'ailleurs, et très amoureux de lui, et qui lui dit « Si tu ne m'embrasses pas, je me tue. » Lurie éclate de rire, il s'en va se picoler avec ses copains, il se fout de sa gueule. Il dit qu'il crève ce mec-là. Et quand il est revenu dans sa chambre à l'université, le garçon s'était suicidé. Ça, c'est très romanesque comme anecdote, mais vrai. C'est ignoré totalement. Oui,

  • Speaker #1

    mais il a été très secoué par ça. Il a culpabilisé énormément. Pas longtemps, il a culpabilisé.

  • Speaker #0

    Oui, parce qu'un bisou, il suffisait d'un bisou. Ce n'est pas très méchant. Alors, je continue. Est-ce bien moi qui ai changé ou le monde ? Ah non ! Vous voulez que je vous dise la solution ? Non ?

  • Speaker #1

    Je ne sais pas.

  • Speaker #0

    C'est de vous, dans le dernier manifestation.

  • Speaker #1

    J'ai pensé que c'était...

  • Speaker #0

    C'est dans le dernier. Est-ce bien moi qui ai changé ou le monde ? Je pense que le monde ne change pas. C'est bien le message que vous lancez dans le livre. Enfin, une dernière. L'art est une activité qui est inutile pour l'ensemble de la société. « Toute œuvre d'art est enfantée totalement pour rien » .

  • Speaker #1

    Ça, c'est Giacometti.

  • Speaker #0

    Oui, Alberto Giacometti.

  • Speaker #1

    Dans le dernier volet.

  • Speaker #0

    C'est dans son entretien avec André Parino, 1962. C'est une idée très inactuelle. Aujourd'hui, tous les écrivains ont un message à faire passer. Personne ne dit « j'écris totalement pour rien » . « Tout ce que je fais ne sert strictement à rien » . C'est assez beau de penser ça. Oui. Vous pensez ça un petit peu ?

  • Speaker #1

    Toujours, on pense pour ça. On se croit quand même... Je ne sais pas, si on est à la campagne, quand on discute avec des paysans, on se sent un peu exclu. On sent qu'on n'est pas très utile.

  • Speaker #0

    Mais non, je vous dis, il y a plein d'auteurs qui sont convaincus, qui vont... Voilà, qu'ils ont quelque chose à dire de très important.

  • Speaker #1

    Oui, j'en fais pas partie.

  • Speaker #0

    Bon, alors on passe au conseil de lecture. Je vous ai demandé de préparer un peu les livres... Voilà, vos livres préférés. Parce que vous êtes un immense lecteur et donc c'est bien qu'on puisse en profiter. Un livre qui donne envie de pleurer ?

  • Speaker #1

    Alors, bon, il y en a plusieurs, mais il y en a un qui m'a évidemment marqué, comme je pense beaucoup de gens de mon âge, mais c'est un qui m'a marqué très jeune. Je n'en ai pas un souvenir très précis, mais j'ai le souvenir que j'ai été malheureux de lire ce livre, que j'ai beaucoup aimé, qui était « Sans famille » d'Hector Malot. Ah oui. Voilà. qui est un livre, moi j'avais 12 ans quand j'ai lu ça à peu près, l'île de 12 ans, c'est un livre qui m'a marqué énormément, moi j'avais perdu mon père en plus, ça me parlait directement, c'était un livre...

  • Speaker #0

    Oui, c'est Jean-Louis Hésine qui en a parlé ici même.

  • Speaker #1

    Il m'a influencé ce livre, je pense, beaucoup.

  • Speaker #0

    Un livre pour arrêter de pleurer après avoir lu Sans Famille ?

  • Speaker #1

    Alors moi j'ai mis, j'ai pensé à un livre de... De mon ami Frédéric Schifter.

  • Speaker #0

    Ah !

  • Speaker #1

    encore à Frédéric, qui s'appelle Philosophie sentimentale et qui est un livre que j'ai vraiment beaucoup aimé parce que j'ai trouvé que c'était un livre complètement romantique. Alors que lui, il se cache un peu de ça. Et c'est un livre où, en fait, il ne peut pas s'empêcher d'être dans une sentimentalité. Il y a un portrait de sa femme, en fait. Et aussi, il y a un portrait de ses collègues, qui sont toujours très drôles. Ses anciens collègues, puisqu'il était professeur. mais c'est quelqu'un que je lis toujours c'est un ami c'est plus qu'un ami je dirais il y a une fraternité entre nous mais c'est quelqu'un qui j'adore son style, j'adore sa façon d'écrire je trouve qu'il est toujours un peu décalé qu'il est jamais c'est pas un bien pensant c'est toujours avec douceur c'est pas quelqu'un de véhément c'est quelqu'un qui assène des choses pessimiste

  • Speaker #0

    tout en étant romantique Ça résume bien. Un livre pour s'ennuyer ?

  • Speaker #1

    Pour moi, c'était L'homme sans qualité de Robert Musi, que j'ai relu il n'y a pas longtemps. Ça m'est tombé des mains, je me suis ennuyé à lire ce livre. Alors que je l'avais lu quand j'avais 22-23 ans, j'avais bien aimé ce livre, mais je ne sais pas s'il n'a pas résisté à la deuxième lecture.

  • Speaker #0

    Un livre pour crâner dans la rue ?

  • Speaker #1

    C'est un livre que j'ai lu il n'y a pas longtemps, qui s'appelle Les intellectuels au Moyen-Âge de Jacques Le Goff. Pas mal. Et j'aime beaucoup ce livre.

  • Speaker #0

    Puis ça vous pose un homme, quoi. Voilà. Un livre qui rend intelligent.

  • Speaker #1

    Alors, c'est un livre que j'ai lu il n'y a pas longtemps aussi, de Jean-Baptiste Brenet. qui s'appelle Le dehors de dents, et qui est sous-titré Averroès en peinture. C'est un livre d'histoire de l'art, qui est publié par cette maison d'édition que j'adore, qui est Macula, une maison d'édition assez exigeante, et dirigée par Véronique Yersin. C'est un livre qui est avec des peintures, beaucoup de reproductions, et qui permettent de montrer tout le rapport entre la peinture italienne euh... Et saint Thomas d'Aquin, dominant à Véroès, qui est toujours écrasé. Il est couché à ses pieds comme un chien et il est écrasé. Et c'est évidemment toute la question de l'apport d'un musulman, d'Averoès, qui amène Aristote en... en Europe. Et le livre est très intéressant parce qu'il est... Je ne peux pas le raconter parce que c'est trop... C'est un livre assez difficile à lire, très érudit, mais c'est un livre qui... Je ne sais pas, il y a une trentaine de peintures qui montrent Averroès au pied de saint Thomas d'Aquin. Et en fait, il montre que c'est plus subtil que ça,

  • Speaker #0

    que ce n'est pas seulement un livre pour séduire.

  • Speaker #1

    Alors,

  • Speaker #0

    Quand vous promenez dans Arles ?

  • Speaker #1

    C'est un livre que j'ai toujours beaucoup aimé. C'est La balade du café triste de Carsten Maculert, que je trouve qui est un livre que j'offre volontiers à des... à des gens pour qui j'ai envie de séduire, mais pour qui j'ai de l'affection.

  • Speaker #0

    Un livre que je regrette d'avoir lu ?

  • Speaker #1

    Alors ça, je ne peux pas répondre, parce que je crois que quand un livre ne me plaît pas, j'arrête. Donc je ne vais pas jusqu'au bout.

  • Speaker #0

    Vous ne regrettez pas ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Un livre que je fais semblant d'avoir fini ?

  • Speaker #1

    Alors, je ne suis pas sûr de faire complètement semblant, parce que c'est possible que je l'ai lu jusqu'au bout. Mais c'est un livre dont je... C'est un livre qui a un vrai problème. C'est Fiddy Ganswick de Joyce. C'est un vrai problème.

  • Speaker #0

    Un vrai problème de lisibilité.

  • Speaker #1

    Oui. Donc...

  • Speaker #0

    Ah, parce que vous... Comment est-ce que vous faites pour ne pas être convaincu de l'avoir fini ? Je comprends. Vous l'avez fini ?

  • Speaker #1

    C'est possible.

  • Speaker #0

    C'est possible que vous l'ayez fini, mais vous n'êtes pas sûr.

  • Speaker #1

    Oui, je ne suis pas sûr. C'est un peu comme les cantos de Zrappan. Oui, Zrappan. Que j'ai lu plusieurs fois, en fait. Mais je ne sais jamais si je suis arrivé jusqu'à là.

  • Speaker #0

    Jamais si on a terminé ou si on a juste perdu le fil. Le livre que j'aurais aimé écrire ?

  • Speaker #1

    Alors c'est un livre que je relis souvent qui est La lune et les feux de Pavès, qui est son dernier livre et qui ressemble d'ailleurs à Et ce sont les violents qui l'emportent de Flaherty O'Connor. C'est un peu le même thème aussi de l'enfant un peu qui va finir par mettre le feu aux maisons, qui va finir par tout détruire. Et c'est un livre, c'est extraordinaire parce que c'est quand même... C'est le retour d'un émigré qui vient des États-Unis, enfin qui rentre des États-Unis en Italie, qui revient dans son pays, le pays de Pavès, donc dans les langues. et qui redécouvre son pays complètement misérable. C'est quand même une période difficile. Il découvre le monde de la campagne, des vignes. C'est une description tellement... Les personnages sont tellement extraordinaires. C'est tellement... Pour moi, Pavès, c'est vraiment le grand écrivain.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup, Frédéric Pajac. Oui, quel est le pire livre que vous avez lu ? Mais finalement, je n'ai pas envie de vous la demander, celle-là.

  • Speaker #1

    Il y a le livre que je lis en ce moment. Ah ! Alors, c'est un livre que j'ai presque fini, écrit par le docteur Charbonnier, qui est un livre qui s'appelle « Les maladies des mystiques » .

  • Speaker #0

    Ah,

  • Speaker #1

    ben, c'est un livre qui m'intéresse énormément et qui a été écrit en 1850. Non, 35, pardon. J'ai l'édition qui a été publiée en Belgique. J'ai l'édition originale de ce livre. Je ne sais même pas s'il a été réédité. Mais c'est absolument passionnant parce qu'il montre que tous les mystiques sont malades physiquement. Notamment parce que ce sont soit anorexiques, soit ils font des jeûnes trop prolongés. Et en fait, ils ont souvent l'estomac qui a tellement rétréci.

  • Speaker #0

    Vous voulez dire que finalement, Dieu est mauvais pour la santé ? Voilà.

  • Speaker #1

    Oui, et toutes les visions viennent des jeunes prolongés. C'est connu. Mais c'est un livre intéressant parce que c'est l'un des premiers livres qui parle de ça.

  • Speaker #0

    On peut peut-être partager le sang du Christ pour remercier infiniment d'être venu. Et merci beaucoup. Je rappelle le titre du livre, c'est le Manifeste d'un certain, tome numéro 10 de Frédéric Pajac, aux éditions Noir sur Blanc. Et c'est un bijou, c'est un livre important. C'est un livre grandiose sur Malcolm Lurie et sur Alberto Giacometti. Cette émission vous était présentée en partenariat avec le Figaro Magazine, le magazine des Haribo, les Aristoboèmes. Et puis surtout n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous allez mourir idiot. Ce serait quand même dommage. C'est du jus de raisin, c'est pas du vin, c'est du jus de raisin. Château Clark 2018.

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Description

Rencontre avec un des meilleurs auteurs de biographies dessinées, qui publie un de ses plus beaux livres (sur Malcolm Lowry et Alberto Giacometti).


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue chez La Pérouse, je suis très très heureux de recevoir ce soir Frédéric Pajac pour son nouveau livre

  • Speaker #1

    Manifeste incertain numéro 10, Les étrangers,

  • Speaker #0

    qui est publié aux éditions

  • Speaker #1

    Noir sur Blanc.

  • Speaker #0

    Vous êtes excellent Frédéric, mais c'est merveilleux. Entre Frédéric, ça se passe toujours bien. Oui, ça va être une belle conversation car vous avez... Frédéric Pajac a inventé une forme nouvelle. Vous avez inventé quelque chose qui n'est pas du roman graphique, qui n'est pas de la bande dessinée, qui n'est pas de la biographie, mais qui est un peu les trois quand même, à la fois, ou complètement autre chose.

  • Speaker #1

    Et qui n'est pas du livre illustré non plus.

  • Speaker #0

    Qui n'est pas du livre illustré, et qui consiste à faire ça. Voilà, ça. C'est-à-dire des dessins qui sont faits à l'encre.

  • Speaker #1

    À l'encre de Chine, oui.

  • Speaker #0

    avec des hachures, parfois, et qui sont totalement décalées par rapport au texte qui est écrit. Pas toujours. Mais vous jouez beaucoup avec ça. Ça vous amuse beaucoup. On peut enlever ces machins qu'on a dans les oreilles. Vous dites que ça n'est pas décalé. Est-ce que c'est calculé ?

  • Speaker #1

    Je ne sais pas si c'est calculé. C'est un processus en fait. En fait le livre il commence toujours par la lecture, puisque si je traite d'un auteur ou d'un artiste, je commence par essayer de lire tout ce qu'il a écrit, les biographies, la correspondance, le journal intime s'il en a, les témoignages et tout ça. Donc ça me prend beaucoup de temps, suivant les auteurs ça peut prendre beaucoup de temps. Et puis je prends des notes dans les livres, et après je les retranscris, et ça représente à peu près 300 pages en gros de notes. Et c'est ce qui me permet de construire un peu le livre, et en même temps que je prends des notes et que je lis, me viennent à l'esprit les dessins, enfin pas tous les dessins, mais un certain nombre de dessins où je me dis ça, il faut que je dessine, je ne sais pas moi, le portrait. de Giacometti, où il faut que j'aille à Stampa, où il est né, c'était en Suisse orientale, dans la montagne, dans les grisons. Et puis là, je me dis, il faut que j'aille passer quelques jours là-bas.

  • Speaker #0

    Destiner les paysages.

  • Speaker #1

    Destiner les paysages. paysages, tout ce que je peux faire sur le motif, je le fais sur le motif. Et sinon, je dessine d'après des documents, ou d'après des photos, des cas postales, aussi d'après des peintures, souvent, ou d'après des sculptures. J'ai fait beaucoup de dessins de sculptures de Giacometti. C'est très intéressant de dessiner des sculptures.

  • Speaker #0

    Et donc, c'est venu au moment de l'immense solitude, c'est ça, quand vous avez publié en 1999 ce livre sur César et Pavese à Turin. Et Nietzsche, ce livre-là, c'était la forme que vous aviez trouvée et que vous poursuivez depuis 1999, ça fait 26 ans. Pourquoi avez-vous eu le sentiment là que vous aviez trouvé votre forme à vous ?

  • Speaker #1

    En fait, j'ai fait un livre déjà écrit et dessiné sur Luther. C'est un livre qui est écrit à la première personne, qui s'appelle Luther, l'inventeur de la solitude. C'est comme une autobiographie de Luther, assez humoristique. C'est un livre qui a été totalement incompris. Je crois que j'ai dû avoir 200 lecteurs. Et personne n'a compris ce livre, vraiment personne, sauf à l'époque Roland Jacquard, qui travaillait au Monde à l'époque et qui était éditeur au PUF. Et comme j'ai su, j'ai appris que le livre n'y avait plus, je ne le connaissais pas. Donc je suis allé lui présenter... J'ai mis quatre ans pour faire l'immense solitude. Je suis passé en Italie pour faire le livre. Parce que le livre se passe à Turin. Et en fait, c'est vraiment... Moi, j'étais découragé après l'échec de Luther. Et je me rappelle des gens que j'aimais beaucoup, comme Gébé, qui était à l'époque directeur de Charlie Hebdo. Je disais qu'il ne comprenait rien à ce livre. Il croyait que j'étais dans la bondieuserie et tout ça. Je disais, mais pas du tout. Et puis, c'est un livre assez dur sur Luther. sur un livre c'est même sévère. Mais c'était un livre renseigné. C'est-à-dire, j'avais beaucoup lu Luther. Je n'ai pas tout lu parce que c'est la plus grande œuvre littéraire allemande. Mais j'avais quand même beaucoup lu. J'ai lu des biographies, j'ai lu ses pamphlets antisémites. J'ai lu vraiment beaucoup de choses à l'époque qui sont... Tout ça figure dans le livre. Et les théologiens pensaient que c'était un livre d'humour. Et puis les humoristes croyaient que c'était un livre de théologie. Donc, je suis parti vraiment sur cet échec. Et vous vous êtes dit,

  • Speaker #0

    comme ça n'a pas marché, je vais continuer toute ma vie ce truc-là. Non.

  • Speaker #1

    Mais je trouve que c'est bien. Oui, oui. Non, mais ce n'est pas exactement ça. C'est-à-dire que... Non, j'ai découvert Turin un jour. Je suis allé pour la première fois. et... Et j'ai été absolument subjugué. Et évidemment, je me suis rappelé que César et Pavès ont beaucoup écrit sur Turin, et surtout qu'ils s'étaient suicidés à Turin, et que Nietzsche est devenu fou à Turin. Et donc j'avais beaucoup lu Pavès et Nietzsche, mais je n'avais pas fait de rapprochement immédiat avec Turin. Et donc là, j'ai eu un tel coup de foudre pour cette ville, pour cette mélancolie, et je me suis dit, il faut que je passe du temps là. Donc je me suis installé à côté de Turin pendant quatre ans, et tous les jours, j'ai essayé de... de dessiner cette ville, etc. Parce que ce n'était pas possible de faire un film sur Turin, parce qu'il y a des voitures partout, il y a des distances lumineuses, des publicités, etc. Donc il n'y avait pas ce Turin qui a connu Nietzsche, cette ville aristocratique, etc. Donc le dessin était la seule solution pour moi. Et voilà, je me suis forcé à dessiner des choses que je ne sais pas dessiner a priori, notamment l'architecture.

  • Speaker #0

    Alors, vous entrecroisez autobiographie aussi, vous parlez de vous-même. et exo-fiction, comme on dit maintenant, c'est-à-dire la biographie, ce sont comme des portraits subjectifs de vos idoles ou des exercices d'admiration. Alors je récapitule, parce que là c'est le dixième tome sur Malcolm Lurie et Alberto Giacometti, mais vous aviez notamment eu le premier dix-six essais en 2014 pour le manifeste Un certain tome 3, qui était sur Walter Benjamin et Ezra Pound. Vous avez eu également le concours de la biographie. Pour le tome 7 du Manifeste incertain en 2019, c'était sur Emily Dickinson et Marina Zvetayeva. Donc toujours deux artistes. Et puis des dessins d'arbres, de gares, d'immeubles, de gens dans des appartements, un peu à la Edward Hopper parfois. Toujours avec des hachures, comme Pierre Letanne pouvait le faire, mais en noir et blanc, vous. Et là, alors pourquoi ce choix, Malcolm Lurie et Alberto Giacometti ? Parce que ce sont deux exilés ?

  • Speaker #1

    Non, c'est un pur hasard. C'est en fait, souvent j'ai acheté des livres qui dorment sur les rayons de la bibliothèque, et tout à coup je me décide à les lire. Ça a été le cas pour Au-dessous du volcan, que je n'avais pas lu. J'avais lu Sombre comme la tombe, au repos de mon ami, qui est du même auteur. Mais je n'avais pas lu « Au-dessous du volcan » . Je me suis dit, il faut que je lise « Au-dessous du volcan » . Et après cette lecture, je me suis intéressé un peu plus à lui. Et je me suis aperçu que j'avais aussi la correspondance que Nadeau avait publiée. Donc, petit à petit, j'ai eu envie de dessiner le Mexique. J'avais beaucoup aimé le film de John Huston « Au-dessous du volcan » , que je trouve une des rares adaptations d'un... d'un grand livre réussi. Et donc, j'avais un très bon souvenir. Et puis, c'est un hasard. Et puis, Jacobetti, c'est une autre histoire, parce que Jacobetti, quand j'avais 12 ans, je n'étais pas loin d'une librairie où je n'étais jamais rentré. Et il y avait tout à coup en vitrine un petit livre de Jacobetti, un petit catalogue qui avait été publié en Suisse italienne, à Lugano. Et puis... Il y avait un dessin de Giacometti sur la couverture. Alors j'ai poussé la porte, j'étais extrêmement timide. Je suis allé vers le libraire, je lui ai dit « Bon, monsieur, est-ce que vous pourriez me montrer le livre ? » Je ne sais pas de qui il est, parce que c'était marqué à la main. Je ne savais pas trop le livre, je n'arrivais pas à lire exactement son nom. Il m'a dit « Oui, c'est un livre de Giacometti. » Il me présente le livre, puis il dit « J'aimerais bien l'acheter. » Et puis il me dit, bon voilà, ça fait tant et tant que j'avais un peu d'argent de poche. Et c'est le premier livre que j'ai acheté. Donc Giacometti m'a vraiment poursuivi toute ma vie. J'ai toujours été voir des expositions de Giacometti. Je suis allé très souvent à Stampa, dont je parlais tout à l'heure, c'est-à-dire dans les Grisons, et puis qui est pas loin de chez Nietzsche, à Sils Maria, c'est à une vingtaine de kilomètres. Donc c'est toute une région que j'ai... J'ai vraiment écumé, j'ai fait beaucoup de montagnes, je faisais beaucoup de montagnes. Donc la journée, je partais quatre heures dans la montagne et je dessinais quatre heures dans la nature.

  • Speaker #0

    Mais comment est-ce qu'on choisit ? Parce que vous dites, tiens, j'ai envie de passer un an avec Alberto Giacometti. C'est ça en fait. En gros, quand vous choisissez un personnage, pour vous, ça signifie 200 dessins, 200 textes et toute l'œuvre à lire. Donc, vous allez passer beaucoup de temps avec cette personne. Il ne faut pas se tromper. Vous avez arrivé d'ailleurs de vous tromper, de vous dire « je ne vais pas faire un livre sur cette personne, elle ne m'intéresse plus » .

  • Speaker #1

    Ça m'est arrivé une fois, oui. J'avais pris un billet pour traverser l'Atlantique jusqu'à Buenos Aires. Et j'avais pris dans ma valise, que j'avais lu déjà, mais je voulais le relire. J'avais appris Gombrowicz.

  • Speaker #0

    Ah oui.

  • Speaker #1

    Witold Gombrowicz. Et puis, je venais de relire un des volumes du journal, et je me suis dit, toute la nuit avant de partir, je me suis dit, mais c'est tellement ennuyeux, ce journal. Et en plus, c'est des règlements de comptes avec des écrivains dont on ignore tout, parce qu'on connaît Vitkevitch, Schulz et quelques-uns. la plupart des écrivains, je ne les connaissais pas, j'ai dit, mais il est tellement dans un perpétuel règlement de compte. Vous avez dit que les auteurs dont je parle sont des idoles, mais pas du tout. C'est plutôt des gens qui me sont étrangers. Je suis étonné par leur vie, par leur œuvre. Ça m'étonne. Nietzsche, c'est quelqu'un que j'ai beaucoup de peine à saisir, à comprendre vraiment. J'ai essayé, je comprends en partie, mais ce n'est pas quelqu'un... Voilà, je me prends pas pour Nietzsche ou je me prends pas pour les auteurs dont je parle. Et Gobineau, encore moins.

  • Speaker #0

    Une fois que vous avez choisi le personnage, au fond, on a le sentiment qu'il y a aussi un autre choix à faire. C'est les épisodes que vous allez dessiner, choisir. C'est là où il y a le vrai boulot, c'est le tri. Par exemple, pour parler de Malcolm Lorry, l'auteur d'Au-dessous du volcan, vous racontez comment il apprend la mort de son père, il se tait, il dit rien, et puis il dit « allons nous baigner » . Et... J'adore cette scène. Ensuite, il nage très longtemps, très loin. Évidemment, quand on sait que vous avez perdu votre père à l'âge de 9 ans dans un accident de voiture, on comprend pourquoi vous avez choisi cet épisode précisément. Mais j'imagine que le gros travail, une fois qu'on a tout lu, tout digéré, c'est de choisir quel moment d'une vie on garde dans le livre.

  • Speaker #1

    Oui, moi j'essaye de... Je cherche souvent des passages qui, à mes yeux, sont drôles. présente un aspect inconnu du personnage. Ou alors, comme c'était l'épisode sur la mort de son père, qui sont tout à fait significatifs de toute son approche de la famille, son refus, son rejet de la famille, parce que c'est quelqu'un qui n'est pratiquement pas rentré pendant longtemps en Angleterre, qui fuyait vraiment sa famille, qui était une famille riche, très aisée. Et lui, il a cherché l'aventure. Donc les passages, c'est évidemment... Où est-ce qu'on va au Mexique ? C'est aussi les moments de grande difficulté, parce que ça a été difficile pour lui de se faire reconnaître. Par exemple, au-dessous du volcan, il a écrit quatre fois le livre, parce que les éditeurs n'étaient pas contents. Et la dernière fois, la dernière version, elle était également refusée, mais là, il ne s'est pas laissé faire. Il a écrit une lettre, et pour moi, c'est très important, parce qu'il a écrit une très longue lettre. Pour justifier ses choix et expliquer son livre. Et c'est grâce à cette lettre qu'au fond, il a été publié. Mais ce n'était pas gagné. Et puis, il a aussi des manuscrits qui ont brûlé. Oui, oui. Tout ça, c'est évidemment des épisodes que je raconte.

  • Speaker #0

    Est-ce que la vie des artistes ne vous fascine pas plus que leur œuvre ?

  • Speaker #1

    Non, je ne crois pas. Je crois que... Non, je trouve « Au-dessous du volcan » , pour l'avoir lu récemment, je trouve que c'est un immense livre. Les 100 premières pages sont difficiles à lire, mais une fois qu'on a passé 100 premières pages, non, je dirais que la vie est en deçà. Oui, oui.

  • Speaker #0

    Mais quand même, les écrivains que vous choisissez n'ont pas eu des vies tranquilles, pépères. Vous aimez bien les artistes maudits ou autodestructeurs, un petit peu. Allez, avouez-le. c'est plus amusant de raconter la vie de Malcolm Lurie que de la vie de, je ne sais pas Jean Dormeson oui,

  • Speaker #1

    encore que je ne connais pas la vie de Jean Dormeson il faudrait connaître la vie secrète de Jean Dormeson non mais en fait j'ai jamais fait de de choix. Les choses viennent vraiment beaucoup par hasard. Je me suis aperçu, il n'y a pas très longtemps, que beaucoup des auteurs dont j'ai parlé, ou des artistes, sont des artistes qui sont un peu des miraculés. C'est-à-dire que leur œuvre est miraculée, parce qu'elle était destinée à être détruite. Comme Kafka, par exemple. Comme Emily Dickinson, qui avait, avant de mourir, qui avait la volonté de brûler toute sa poésie. Et sa sœur a refusé de le faire. Et Pessoa a la même chose. C'est une malle où tout reposait. Van Gogh, c'est son frère qui a gardé les tableaux. Il n'en a vendu qu'un.

  • Speaker #0

    C'est tous des gens sur lesquels vous avez fait des tomes du Manifeste incertain.

  • Speaker #1

    Voilà, oui. Et Walter Benjamin, c'est aussi un... C'est quand même un hasard si on le lit aujourd'hui. Et c'est des auteurs qui sont parmi les plus lus du monde. Et qui étaient vraiment voués à disparaître. Nietzsche, ça a été quand même compliqué. Nietzsche, il avait une cinquantaine de lecteurs. Et il se publiait à compte d'auteurs.

  • Speaker #0

    Oui, en fait, c'est comme si vous étiez le scribe des auteurs qui ont failli disparaître. Vous vous dites, tiens, il n'a pas besoin de moi, mais je vais quand même essayer de le faire connaître un peu mieux. Je dis ça parce que pour les jeunes, souvent on se pose cette question, comment faire lire les jeunes ? Mais avec vos livres, On peut apprendre à des gens qui ne lisent pas, leur donner vraiment envie de lire, un écrivain. Parce qu'on rentre par ce qui est un peu le plus spectaculaire, je dirais. Leur alcoolisme, les voyages, les drogues, les suicides. Et vous pouvez, je pense, arriver à convaincre des jeunes de lire des auteurs comme Malcolm Lurie ou comme Emily Dickinson. Ce n'est pas gagné d'avance.

  • Speaker #1

    Moi, j'ai souvent participé à des rencontres dans des lycées, un peu partout. J'ai eu beaucoup, beaucoup de discussions. Et souvent, c'est des gens qui ont été un peu forcés par l'école, mais qui ont lu un de mes livres. On en a discuté. C'est toujours intéressant. Et par le dessin,

  • Speaker #0

    vous les attrapez peut-être plus facilement, vous croyez ?

  • Speaker #1

    Je ne peux pas vous dire. Mais c'est un peu comme les... Voilà, j'ai fait aussi des rencontres dans les prisons. C'est un peu la même chose. Dans les prisons, il y a des gens qui ne sortiront jamais. On le sait. C'est très curieux, la relation qu'on a. J'ai fait prison homme et prison femme. Je trouve beaucoup plus dur les prisons femmes, d'ailleurs. Je trouve que les prisonnières sont très...

  • Speaker #0

    Plus méfiantes ?

  • Speaker #1

    Non, mais elles sont... Elles sont à fleur de peau, vraiment. Elles sont beaucoup plus dans l'émotion. Les hommes, ils se cachent un peu derrière. Ils font les durs un peu. Les femmes, elles sont très fragiles. C'est très impressionnant. Moi, j'ai été vraiment secoué, même. Je leur ai présenté un livre que j'ai fait il y a pas mal d'années qui s'appelle « Le chagrin d'amour » . Donc, on a beaucoup parlé de l'amour et tout ça. C'est formidable. C'est des moments formidables. Mais c'est vrai que... La biographie, elle aide beaucoup. Pourquoi je fais des biographies ? Parce que je suis d'abord un lecteur. Je suis un lecteur. J'essaie de rendre hommage à ces gens qui, encore une fois, me paraissent tellement étrangers. J'essaie de les comprendre et j'essaie de les faire comprendre aussi. parce que surtout en essayant d'utiliser un langage... Pas trop châtier, quoi. Je fais très attention à la façon d'écrire.

  • Speaker #0

    Oui, c'est très simple, c'est très accessible. Mais prenons l'exemple de Malcolm Lurie. Malcolm Lurie a écrit un grand roman, quand même assez expérimental et assez répétitif, Au-dessous du volcan, qui est une histoire d'amour impossible entre un alcoolique et sa femme. Bon, ils skient, ils se remettent ensemble, ils skient, ils se remettent ensemble, ils boivent du mescal, tout ça se passe à Cuernavaca, sous le fameux volcan qui s'appelle Popocatépetl. Et vous, par vos dessins du Mexique, vous parlez de ce type qui est devenu matelot d'abord, qui a fait le tour du monde, puis qui était surnommé El Borracho Ingles, par les Espagnols puis les Mexicains. Il déménage au Mexique et là, il met dix ans à écrire ce livre, 1937 à 1946. « Et vous vous dessinez des jambes de femme, des barres, On imagine des choses, des Mexicains, un lac où il a vécu. Comment vous décidez ? Quel dessin va avec quel texte ? Vous avez refusé de me répondre en début d'émission, je vous le redemande maintenant.

  • Speaker #1

    Il y a des dessins, je sais qu'ils viendront avec le texte. Il y a des dessins que je fais... Moi, je dis souvent que, de toute façon, le dessin, le texte, c'est deux langages tellement hostiles l'un envers l'autre. C'est tellement irréconciliable que c'est très difficile de les mélanger. Et surtout, je ne cherche pas à les réconcilier. Donc, je dis souvent que l'écriture, pour moi, c'est la conscience. C'est pour ça que je dis que quand on écrit, il faut être très précis, très méticuleux, je dirais. Alors que le dessin, pour moi, c'est l'inconscience. C'est vraiment... Moi, je dessine que deux mois par an. Donc, je dessine dans un état de trance, presque. Et je fais, si vous voulez, huit... 8 dessins par jour, ce qui est beaucoup.

  • Speaker #0

    Oui, c'est beaucoup.

  • Speaker #1

    Et je dessine pendant deux mois, puis c'est fini.

  • Speaker #0

    Et après, vous les avez sur une pile, comme ça, et vous dites, tiens, ça, je vais mettre ça là, ça, je vais mettre ça là. Donc, c'est vraiment...

  • Speaker #1

    C'est un montage, comme un film. ...

  • Speaker #0

    plus climatique ou atmosphérique. Parfois, c'est littéral. Je prends un exemple. Vous parlez de mai 68, vous tournez en dérision mai 68, et vous faites un dessin, il y a deux ânes. Ça, c'est clair que c'est vraiment purement... pour se moquer de, comme vous le disiez, l'idéologie, les certitudes qui sont un peu votre ennemi. Vous n'aimez pas les gens qui savent. Donc, vous aimez laisser planer le mystère, créer un mystère. Oui. D'accord.

  • Speaker #1

    Bon, c'est aussi un travail de montage. Mais c'est vraiment... Moi, j'ai fait des documentaires, des films documentaires, mais c'est la même chose. C'est quand je suis... Chez moi, avec mon livre, je suis sur une table de montage. Mais vraiment, c'est la même entreprise. Sauf que c'est peut-être plus libre que dans le cinéma.

  • Speaker #0

    Et vous découpez les textes pour les coller sur une image ?

  • Speaker #1

    Oui, je mettrais l'ordinateur.

  • Speaker #0

    Copier, coller, tiens ça, je vais le mettre avec celui-là, ça avec celui-là. Et puis, peut-être le hasard joue un rôle aussi. Beaucoup,

  • Speaker #1

    beaucoup. Il faut laisser le hasard faire son travail.

  • Speaker #0

    C'est bien, je suis content, mais j'essaye de vous percer à jour. Vous avez une fois essayé le roman sans dessin. Ça s'appelait La guerre sexuelle. Très bon titre. Alors là, même visionnaire. La guerre sexuelle en 2006, c'était 11 ans avant MeToo, chez Gallimard. Excellent titre, mais vous avez été déçu parce que vous ne l'avez jamais refait. D'écrire un livre entièrement sans images.

  • Speaker #1

    J'en avais fait un très jeune, à 20. 21 ans, j'avais fait un livre qui s'appelle Le Bon Laron, qui a été publié en Suisse. J'ai cherché une forme, en fait. Je l'ai trouvé réellement, comme vous le disiez tout à l'heure, moi je l'ai trouvé à 45 ans, j'ai trouvé très tard. Et le roman, c'était en fait le roman que j'ai fait chez Gallimard, La Guerre sexuelle. C'est aussi un livre que j'ai écrit très jeune. J'ai repris, en fait, des... des manuscrits. En fait, c'était deux livres et je les ai fondus dans un seul livre. Mais je dois dire que j'ai aussi fait ce livre pour des raisons financières. Oh !

  • Speaker #0

    Vous n'avez pas honte ?

  • Speaker #1

    Oui, j'ai honte. C'est une époque où j'avais vraiment besoin d'argent. Et donc... Moi, je travaillais au PUF. J'ai fait sept livres au Presse Universitaire de France. Et puis, Gallimard m'a un peu débauché. Et donc, j'ai accepté d'être débauché pour les questions financières.

  • Speaker #0

    mais peut-être l'expérience vous intéressait moins que celle de cette forme que vous avez inaugurée, inventée, qui est à vous est-ce que le fait de vivre en Arles, comme on dit au milieu des ruines de l'antiquité romaine Ça a un flux sur votre style très classique.

  • Speaker #1

    Bon, ça ne fait pas longtemps, ça fait 7 ans que je vis à... Mais disons, ça me permet de... Arles, c'est une ville qui me permet de vraiment travailler. Je trouve, à Paris, où je viens souvent parce que j'ai gardé un logement, mais...

  • Speaker #0

    On est dérangé par des gens qui vous posent des questions chez l'apéro.

  • Speaker #1

    Oui, par exemple.

  • Speaker #0

    C'est pénible, c'est pénible.

  • Speaker #1

    C'est une ville qui... C'est vrai que ce n'est pas la même vie, quoi. Bien que Arles soit une ville très maintenant habituée notamment par les parisiens. Ah oui,

  • Speaker #0

    envahie. Alors, il y a un jeu dans cette émission, devine tes citations, pas Jacques. Ça consiste, je vais vous lire des phrases de vous tirées de tous vos livres. Et vous devez me dire dans lequel vous avez écrit ça. Ah oui, bonne chance. Ce ciment de souvenir me charpente.

  • Speaker #1

    qu'une idée.

  • Speaker #0

    C'est bien, c'est dans le calme du soir, 2023. Mais ça m'intéresse, ce ciment de souvenir, parce que au fond, est-ce que vous vous souvenez ou vous inventez les souvenirs des autres ? C'est plutôt ça ce que vous faites, dans tous ces livres biographiques.

  • Speaker #1

    Oui, il y a toujours une grande partie autobiographique, dans tous les livres. Il y a même des livres qui sont totalement autobiographiques. Le livre, je crois, le sixième volume du manifeste, qui s'appelle Blessure, c'est un livre purement autobiographique. Il n'y a pas de personnage. Il y a ma mère, il y a ma famille, et puis il y a ce que ma famille a vécu, notamment pendant la guerre, etc. mais je ne fais pas que des livres biographiques dans chaque livre parce qu'il y a des formes différentes et ça j'y tiens beaucoup il y a des formes même littéraires qui sont très différentes il y a des passages qui sont qui sont très proches de la philosophie. Et puis, il y a des passages qui sont très poétiques. Enfin, même... Il y a des passages dans l'Alexandrin. Il y a des... Il y a beaucoup de passages sur la cuisine. Sur mes remarques dans les restaurants, etc. Beaucoup. Dans tous les livres. Oui, dans tous les livres, il y a quelque chose sur la cuisine. Et puis, c'est surtout aussi des livres de voyage. Donc, il y a beaucoup de... de notes de voyage, parce que j'ai voyagé, pour faire le manifeste, j'ai voyagé dans le monde entier. J'ai été en Chine, j'étais à Taïwan, j'étais au Japon, j'étais en Russie, j'étais en Crimée, j'étais en Pologne, j'étais en Amérique du Sud, à New York, au Canada, j'ai voyagé partout. Et donc il y a cette forme aussi de toutes mes remarques sur le... sur le paysage, sur les gens, etc. Tout ça, ça figure toujours. Ce ne sont pas des pures biographies. Non,

  • Speaker #0

    non, bien sûr. Mais regardez, je vais vous faire lire la page 116 pour prouver que oui, ça parle aussi, non seulement de vous, mais ça parle aussi de l'époque présente. Et ça, c'est à mon avis le paragraphe le plus important du livre.

  • Speaker #1

    Je me suis tenu à l'écart des idéologies qui proliféraient durant ma jeunesse. Communisme, trotskisme, maoïsme, écologisme, néofascisme. Aujourd'hui, ces idéologies ressurgissent avec les mêmes excès, le même langage diminué et, pour les plus virulentes, cette haine de la culture dite « bourgeoise » . Tandis que le néolibéralisme se dresse sur la scène triomphateur, outrancier, talonnée par une droite extrême Paradons sous les airs de respectabilité. En vérité, la société humaine ne change guère. C'est un éternel retour.

  • Speaker #0

    Alors, on arrive sur Nietzsche, l'éternel retour.

  • Speaker #1

    Oui, c'est un hommage.

  • Speaker #0

    Mais cette phrase est très importante. Et c'est intéressant que vous la mettez, vous la glissez au milieu du livre. Alors que vous parlez de Malcolm Lurie au Mexique, puis Alberto Giacometti qui quitte la Suisse pour s'installer à Paris. On se dit, on est en dehors du temps. Mais pas du tout. Vous êtes à fond sur le temps et la défense de la culture et de ces artistes-là. C'est aussi un engagement politique ?

  • Speaker #1

    Oui, oui. Dans je ne sais plus quel manifeste, il y a aussi des grands passages sur les Gilets jaunes. Oui, il y a toujours une partie. Alors c'est curieux parce que ce n'est pas une volonté, mais j'ai beaucoup parlé de l'avant-guerre, des années 30, à travers Marina Tsetayeva, à travers Walter Benjamin, à travers Pessoa, etc. J'ai beaucoup parlé de ces années-là. Là aussi,

  • Speaker #0

    Malcolm Norris s'en va avant la guerre. Il part au Mexique juste avant la guerre.

  • Speaker #1

    Oui, en fait, je ne sais pas comment dire ça, mais ces années-là... Je suis tellement plongé dans ces années-là, par mes lectures, j'ai beaucoup lu, j'ai lu Kershaw, j'ai lu le gros livre sur Hitler, j'ai lu beaucoup de l'Europe en enfer, tous ces livres-là. Et c'est vrai qu'il y a toujours un écho avec ce qu'on vit aujourd'hui. Les idéologies, elles ne disparaissent pas comme ça. Elles reviennent, elles sont tenaces. On les subit beaucoup, ces idéologies. C'est difficile d'y échapper, en fait. Et aujourd'hui, tout est encore plus violent et clivant. Les gens sont vraiment face à face. Ça devient difficile. J'ai beaucoup hésité à faire un livre sur Marx, que j'ai beaucoup lu. Mais bon, je ne sais pas ce que... Mais pourquoi pas ? Oui, pourquoi pas. Ça serait une bonne idée. Mais on n'est pas si libre que ça.

  • Speaker #0

    Je continue mes citations de vous, et vous devez me dire où vous avez écrit ceci. Je me sens bien trop incapable de dessiner et redessiner cent fois les mêmes personnages.

  • Speaker #1

    C'est pas dans le dernier ?

  • Speaker #0

    C'est dans le dernier. Manifeste un certain tome 10. C'est ainsi que votre carrière dans la BD s'est arrêtée. C'est parce que vous ne vouliez pas redessiner les mêmes personnages. Une autre phrase. Je vous aimerais même si vous n'aviez qu'une oreille ou un oeil. Il y a un piège.

  • Speaker #1

    C'est pas Apollinaire ?

  • Speaker #0

    C'est Malcolm Lurie qui a écrit ça à Doris. C'est une lettre.

  • Speaker #1

    Ah oui, oui,

  • Speaker #0

    d'accord. Vous l'a cité en 1929. Donc vraiment, c'est intéressant parce que, comme vous l'avez dit, vous lisez toute l'œuvre de l' Même la correspondance, les journaux, même les bios sur lui. Là, la bio de Douglas Day sur Malcolm Lurie. Et du coup, on peut trouver des tas de détails très hallucinants. Par exemple, moi, je ne savais pas que Malcolm Lurie avait un type qui était fou de lui à Cambridge. Un garçon qui était très beau, d'ailleurs, et très amoureux de lui, et qui lui dit « Si tu ne m'embrasses pas, je me tue. » Lurie éclate de rire, il s'en va se picoler avec ses copains, il se fout de sa gueule. Il dit qu'il crève ce mec-là. Et quand il est revenu dans sa chambre à l'université, le garçon s'était suicidé. Ça, c'est très romanesque comme anecdote, mais vrai. C'est ignoré totalement. Oui,

  • Speaker #1

    mais il a été très secoué par ça. Il a culpabilisé énormément. Pas longtemps, il a culpabilisé.

  • Speaker #0

    Oui, parce qu'un bisou, il suffisait d'un bisou. Ce n'est pas très méchant. Alors, je continue. Est-ce bien moi qui ai changé ou le monde ? Ah non ! Vous voulez que je vous dise la solution ? Non ?

  • Speaker #1

    Je ne sais pas.

  • Speaker #0

    C'est de vous, dans le dernier manifestation.

  • Speaker #1

    J'ai pensé que c'était...

  • Speaker #0

    C'est dans le dernier. Est-ce bien moi qui ai changé ou le monde ? Je pense que le monde ne change pas. C'est bien le message que vous lancez dans le livre. Enfin, une dernière. L'art est une activité qui est inutile pour l'ensemble de la société. « Toute œuvre d'art est enfantée totalement pour rien » .

  • Speaker #1

    Ça, c'est Giacometti.

  • Speaker #0

    Oui, Alberto Giacometti.

  • Speaker #1

    Dans le dernier volet.

  • Speaker #0

    C'est dans son entretien avec André Parino, 1962. C'est une idée très inactuelle. Aujourd'hui, tous les écrivains ont un message à faire passer. Personne ne dit « j'écris totalement pour rien » . « Tout ce que je fais ne sert strictement à rien » . C'est assez beau de penser ça. Oui. Vous pensez ça un petit peu ?

  • Speaker #1

    Toujours, on pense pour ça. On se croit quand même... Je ne sais pas, si on est à la campagne, quand on discute avec des paysans, on se sent un peu exclu. On sent qu'on n'est pas très utile.

  • Speaker #0

    Mais non, je vous dis, il y a plein d'auteurs qui sont convaincus, qui vont... Voilà, qu'ils ont quelque chose à dire de très important.

  • Speaker #1

    Oui, j'en fais pas partie.

  • Speaker #0

    Bon, alors on passe au conseil de lecture. Je vous ai demandé de préparer un peu les livres... Voilà, vos livres préférés. Parce que vous êtes un immense lecteur et donc c'est bien qu'on puisse en profiter. Un livre qui donne envie de pleurer ?

  • Speaker #1

    Alors, bon, il y en a plusieurs, mais il y en a un qui m'a évidemment marqué, comme je pense beaucoup de gens de mon âge, mais c'est un qui m'a marqué très jeune. Je n'en ai pas un souvenir très précis, mais j'ai le souvenir que j'ai été malheureux de lire ce livre, que j'ai beaucoup aimé, qui était « Sans famille » d'Hector Malot. Ah oui. Voilà. qui est un livre, moi j'avais 12 ans quand j'ai lu ça à peu près, l'île de 12 ans, c'est un livre qui m'a marqué énormément, moi j'avais perdu mon père en plus, ça me parlait directement, c'était un livre...

  • Speaker #0

    Oui, c'est Jean-Louis Hésine qui en a parlé ici même.

  • Speaker #1

    Il m'a influencé ce livre, je pense, beaucoup.

  • Speaker #0

    Un livre pour arrêter de pleurer après avoir lu Sans Famille ?

  • Speaker #1

    Alors moi j'ai mis, j'ai pensé à un livre de... De mon ami Frédéric Schifter.

  • Speaker #0

    Ah !

  • Speaker #1

    encore à Frédéric, qui s'appelle Philosophie sentimentale et qui est un livre que j'ai vraiment beaucoup aimé parce que j'ai trouvé que c'était un livre complètement romantique. Alors que lui, il se cache un peu de ça. Et c'est un livre où, en fait, il ne peut pas s'empêcher d'être dans une sentimentalité. Il y a un portrait de sa femme, en fait. Et aussi, il y a un portrait de ses collègues, qui sont toujours très drôles. Ses anciens collègues, puisqu'il était professeur. mais c'est quelqu'un que je lis toujours c'est un ami c'est plus qu'un ami je dirais il y a une fraternité entre nous mais c'est quelqu'un qui j'adore son style, j'adore sa façon d'écrire je trouve qu'il est toujours un peu décalé qu'il est jamais c'est pas un bien pensant c'est toujours avec douceur c'est pas quelqu'un de véhément c'est quelqu'un qui assène des choses pessimiste

  • Speaker #0

    tout en étant romantique Ça résume bien. Un livre pour s'ennuyer ?

  • Speaker #1

    Pour moi, c'était L'homme sans qualité de Robert Musi, que j'ai relu il n'y a pas longtemps. Ça m'est tombé des mains, je me suis ennuyé à lire ce livre. Alors que je l'avais lu quand j'avais 22-23 ans, j'avais bien aimé ce livre, mais je ne sais pas s'il n'a pas résisté à la deuxième lecture.

  • Speaker #0

    Un livre pour crâner dans la rue ?

  • Speaker #1

    C'est un livre que j'ai lu il n'y a pas longtemps, qui s'appelle Les intellectuels au Moyen-Âge de Jacques Le Goff. Pas mal. Et j'aime beaucoup ce livre.

  • Speaker #0

    Puis ça vous pose un homme, quoi. Voilà. Un livre qui rend intelligent.

  • Speaker #1

    Alors, c'est un livre que j'ai lu il n'y a pas longtemps aussi, de Jean-Baptiste Brenet. qui s'appelle Le dehors de dents, et qui est sous-titré Averroès en peinture. C'est un livre d'histoire de l'art, qui est publié par cette maison d'édition que j'adore, qui est Macula, une maison d'édition assez exigeante, et dirigée par Véronique Yersin. C'est un livre qui est avec des peintures, beaucoup de reproductions, et qui permettent de montrer tout le rapport entre la peinture italienne euh... Et saint Thomas d'Aquin, dominant à Véroès, qui est toujours écrasé. Il est couché à ses pieds comme un chien et il est écrasé. Et c'est évidemment toute la question de l'apport d'un musulman, d'Averoès, qui amène Aristote en... en Europe. Et le livre est très intéressant parce qu'il est... Je ne peux pas le raconter parce que c'est trop... C'est un livre assez difficile à lire, très érudit, mais c'est un livre qui... Je ne sais pas, il y a une trentaine de peintures qui montrent Averroès au pied de saint Thomas d'Aquin. Et en fait, il montre que c'est plus subtil que ça,

  • Speaker #0

    que ce n'est pas seulement un livre pour séduire.

  • Speaker #1

    Alors,

  • Speaker #0

    Quand vous promenez dans Arles ?

  • Speaker #1

    C'est un livre que j'ai toujours beaucoup aimé. C'est La balade du café triste de Carsten Maculert, que je trouve qui est un livre que j'offre volontiers à des... à des gens pour qui j'ai envie de séduire, mais pour qui j'ai de l'affection.

  • Speaker #0

    Un livre que je regrette d'avoir lu ?

  • Speaker #1

    Alors ça, je ne peux pas répondre, parce que je crois que quand un livre ne me plaît pas, j'arrête. Donc je ne vais pas jusqu'au bout.

  • Speaker #0

    Vous ne regrettez pas ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Un livre que je fais semblant d'avoir fini ?

  • Speaker #1

    Alors, je ne suis pas sûr de faire complètement semblant, parce que c'est possible que je l'ai lu jusqu'au bout. Mais c'est un livre dont je... C'est un livre qui a un vrai problème. C'est Fiddy Ganswick de Joyce. C'est un vrai problème.

  • Speaker #0

    Un vrai problème de lisibilité.

  • Speaker #1

    Oui. Donc...

  • Speaker #0

    Ah, parce que vous... Comment est-ce que vous faites pour ne pas être convaincu de l'avoir fini ? Je comprends. Vous l'avez fini ?

  • Speaker #1

    C'est possible.

  • Speaker #0

    C'est possible que vous l'ayez fini, mais vous n'êtes pas sûr.

  • Speaker #1

    Oui, je ne suis pas sûr. C'est un peu comme les cantos de Zrappan. Oui, Zrappan. Que j'ai lu plusieurs fois, en fait. Mais je ne sais jamais si je suis arrivé jusqu'à là.

  • Speaker #0

    Jamais si on a terminé ou si on a juste perdu le fil. Le livre que j'aurais aimé écrire ?

  • Speaker #1

    Alors c'est un livre que je relis souvent qui est La lune et les feux de Pavès, qui est son dernier livre et qui ressemble d'ailleurs à Et ce sont les violents qui l'emportent de Flaherty O'Connor. C'est un peu le même thème aussi de l'enfant un peu qui va finir par mettre le feu aux maisons, qui va finir par tout détruire. Et c'est un livre, c'est extraordinaire parce que c'est quand même... C'est le retour d'un émigré qui vient des États-Unis, enfin qui rentre des États-Unis en Italie, qui revient dans son pays, le pays de Pavès, donc dans les langues. et qui redécouvre son pays complètement misérable. C'est quand même une période difficile. Il découvre le monde de la campagne, des vignes. C'est une description tellement... Les personnages sont tellement extraordinaires. C'est tellement... Pour moi, Pavès, c'est vraiment le grand écrivain.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup, Frédéric Pajac. Oui, quel est le pire livre que vous avez lu ? Mais finalement, je n'ai pas envie de vous la demander, celle-là.

  • Speaker #1

    Il y a le livre que je lis en ce moment. Ah ! Alors, c'est un livre que j'ai presque fini, écrit par le docteur Charbonnier, qui est un livre qui s'appelle « Les maladies des mystiques » .

  • Speaker #0

    Ah,

  • Speaker #1

    ben, c'est un livre qui m'intéresse énormément et qui a été écrit en 1850. Non, 35, pardon. J'ai l'édition qui a été publiée en Belgique. J'ai l'édition originale de ce livre. Je ne sais même pas s'il a été réédité. Mais c'est absolument passionnant parce qu'il montre que tous les mystiques sont malades physiquement. Notamment parce que ce sont soit anorexiques, soit ils font des jeûnes trop prolongés. Et en fait, ils ont souvent l'estomac qui a tellement rétréci.

  • Speaker #0

    Vous voulez dire que finalement, Dieu est mauvais pour la santé ? Voilà.

  • Speaker #1

    Oui, et toutes les visions viennent des jeunes prolongés. C'est connu. Mais c'est un livre intéressant parce que c'est l'un des premiers livres qui parle de ça.

  • Speaker #0

    On peut peut-être partager le sang du Christ pour remercier infiniment d'être venu. Et merci beaucoup. Je rappelle le titre du livre, c'est le Manifeste d'un certain, tome numéro 10 de Frédéric Pajac, aux éditions Noir sur Blanc. Et c'est un bijou, c'est un livre important. C'est un livre grandiose sur Malcolm Lurie et sur Alberto Giacometti. Cette émission vous était présentée en partenariat avec le Figaro Magazine, le magazine des Haribo, les Aristoboèmes. Et puis surtout n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous allez mourir idiot. Ce serait quand même dommage. C'est du jus de raisin, c'est pas du vin, c'est du jus de raisin. Château Clark 2018.

Description

Rencontre avec un des meilleurs auteurs de biographies dessinées, qui publie un de ses plus beaux livres (sur Malcolm Lowry et Alberto Giacometti).


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue chez La Pérouse, je suis très très heureux de recevoir ce soir Frédéric Pajac pour son nouveau livre

  • Speaker #1

    Manifeste incertain numéro 10, Les étrangers,

  • Speaker #0

    qui est publié aux éditions

  • Speaker #1

    Noir sur Blanc.

  • Speaker #0

    Vous êtes excellent Frédéric, mais c'est merveilleux. Entre Frédéric, ça se passe toujours bien. Oui, ça va être une belle conversation car vous avez... Frédéric Pajac a inventé une forme nouvelle. Vous avez inventé quelque chose qui n'est pas du roman graphique, qui n'est pas de la bande dessinée, qui n'est pas de la biographie, mais qui est un peu les trois quand même, à la fois, ou complètement autre chose.

  • Speaker #1

    Et qui n'est pas du livre illustré non plus.

  • Speaker #0

    Qui n'est pas du livre illustré, et qui consiste à faire ça. Voilà, ça. C'est-à-dire des dessins qui sont faits à l'encre.

  • Speaker #1

    À l'encre de Chine, oui.

  • Speaker #0

    avec des hachures, parfois, et qui sont totalement décalées par rapport au texte qui est écrit. Pas toujours. Mais vous jouez beaucoup avec ça. Ça vous amuse beaucoup. On peut enlever ces machins qu'on a dans les oreilles. Vous dites que ça n'est pas décalé. Est-ce que c'est calculé ?

  • Speaker #1

    Je ne sais pas si c'est calculé. C'est un processus en fait. En fait le livre il commence toujours par la lecture, puisque si je traite d'un auteur ou d'un artiste, je commence par essayer de lire tout ce qu'il a écrit, les biographies, la correspondance, le journal intime s'il en a, les témoignages et tout ça. Donc ça me prend beaucoup de temps, suivant les auteurs ça peut prendre beaucoup de temps. Et puis je prends des notes dans les livres, et après je les retranscris, et ça représente à peu près 300 pages en gros de notes. Et c'est ce qui me permet de construire un peu le livre, et en même temps que je prends des notes et que je lis, me viennent à l'esprit les dessins, enfin pas tous les dessins, mais un certain nombre de dessins où je me dis ça, il faut que je dessine, je ne sais pas moi, le portrait. de Giacometti, où il faut que j'aille à Stampa, où il est né, c'était en Suisse orientale, dans la montagne, dans les grisons. Et puis là, je me dis, il faut que j'aille passer quelques jours là-bas.

  • Speaker #0

    Destiner les paysages.

  • Speaker #1

    Destiner les paysages. paysages, tout ce que je peux faire sur le motif, je le fais sur le motif. Et sinon, je dessine d'après des documents, ou d'après des photos, des cas postales, aussi d'après des peintures, souvent, ou d'après des sculptures. J'ai fait beaucoup de dessins de sculptures de Giacometti. C'est très intéressant de dessiner des sculptures.

  • Speaker #0

    Et donc, c'est venu au moment de l'immense solitude, c'est ça, quand vous avez publié en 1999 ce livre sur César et Pavese à Turin. Et Nietzsche, ce livre-là, c'était la forme que vous aviez trouvée et que vous poursuivez depuis 1999, ça fait 26 ans. Pourquoi avez-vous eu le sentiment là que vous aviez trouvé votre forme à vous ?

  • Speaker #1

    En fait, j'ai fait un livre déjà écrit et dessiné sur Luther. C'est un livre qui est écrit à la première personne, qui s'appelle Luther, l'inventeur de la solitude. C'est comme une autobiographie de Luther, assez humoristique. C'est un livre qui a été totalement incompris. Je crois que j'ai dû avoir 200 lecteurs. Et personne n'a compris ce livre, vraiment personne, sauf à l'époque Roland Jacquard, qui travaillait au Monde à l'époque et qui était éditeur au PUF. Et comme j'ai su, j'ai appris que le livre n'y avait plus, je ne le connaissais pas. Donc je suis allé lui présenter... J'ai mis quatre ans pour faire l'immense solitude. Je suis passé en Italie pour faire le livre. Parce que le livre se passe à Turin. Et en fait, c'est vraiment... Moi, j'étais découragé après l'échec de Luther. Et je me rappelle des gens que j'aimais beaucoup, comme Gébé, qui était à l'époque directeur de Charlie Hebdo. Je disais qu'il ne comprenait rien à ce livre. Il croyait que j'étais dans la bondieuserie et tout ça. Je disais, mais pas du tout. Et puis, c'est un livre assez dur sur Luther. sur un livre c'est même sévère. Mais c'était un livre renseigné. C'est-à-dire, j'avais beaucoup lu Luther. Je n'ai pas tout lu parce que c'est la plus grande œuvre littéraire allemande. Mais j'avais quand même beaucoup lu. J'ai lu des biographies, j'ai lu ses pamphlets antisémites. J'ai lu vraiment beaucoup de choses à l'époque qui sont... Tout ça figure dans le livre. Et les théologiens pensaient que c'était un livre d'humour. Et puis les humoristes croyaient que c'était un livre de théologie. Donc, je suis parti vraiment sur cet échec. Et vous vous êtes dit,

  • Speaker #0

    comme ça n'a pas marché, je vais continuer toute ma vie ce truc-là. Non.

  • Speaker #1

    Mais je trouve que c'est bien. Oui, oui. Non, mais ce n'est pas exactement ça. C'est-à-dire que... Non, j'ai découvert Turin un jour. Je suis allé pour la première fois. et... Et j'ai été absolument subjugué. Et évidemment, je me suis rappelé que César et Pavès ont beaucoup écrit sur Turin, et surtout qu'ils s'étaient suicidés à Turin, et que Nietzsche est devenu fou à Turin. Et donc j'avais beaucoup lu Pavès et Nietzsche, mais je n'avais pas fait de rapprochement immédiat avec Turin. Et donc là, j'ai eu un tel coup de foudre pour cette ville, pour cette mélancolie, et je me suis dit, il faut que je passe du temps là. Donc je me suis installé à côté de Turin pendant quatre ans, et tous les jours, j'ai essayé de... de dessiner cette ville, etc. Parce que ce n'était pas possible de faire un film sur Turin, parce qu'il y a des voitures partout, il y a des distances lumineuses, des publicités, etc. Donc il n'y avait pas ce Turin qui a connu Nietzsche, cette ville aristocratique, etc. Donc le dessin était la seule solution pour moi. Et voilà, je me suis forcé à dessiner des choses que je ne sais pas dessiner a priori, notamment l'architecture.

  • Speaker #0

    Alors, vous entrecroisez autobiographie aussi, vous parlez de vous-même. et exo-fiction, comme on dit maintenant, c'est-à-dire la biographie, ce sont comme des portraits subjectifs de vos idoles ou des exercices d'admiration. Alors je récapitule, parce que là c'est le dixième tome sur Malcolm Lurie et Alberto Giacometti, mais vous aviez notamment eu le premier dix-six essais en 2014 pour le manifeste Un certain tome 3, qui était sur Walter Benjamin et Ezra Pound. Vous avez eu également le concours de la biographie. Pour le tome 7 du Manifeste incertain en 2019, c'était sur Emily Dickinson et Marina Zvetayeva. Donc toujours deux artistes. Et puis des dessins d'arbres, de gares, d'immeubles, de gens dans des appartements, un peu à la Edward Hopper parfois. Toujours avec des hachures, comme Pierre Letanne pouvait le faire, mais en noir et blanc, vous. Et là, alors pourquoi ce choix, Malcolm Lurie et Alberto Giacometti ? Parce que ce sont deux exilés ?

  • Speaker #1

    Non, c'est un pur hasard. C'est en fait, souvent j'ai acheté des livres qui dorment sur les rayons de la bibliothèque, et tout à coup je me décide à les lire. Ça a été le cas pour Au-dessous du volcan, que je n'avais pas lu. J'avais lu Sombre comme la tombe, au repos de mon ami, qui est du même auteur. Mais je n'avais pas lu « Au-dessous du volcan » . Je me suis dit, il faut que je lise « Au-dessous du volcan » . Et après cette lecture, je me suis intéressé un peu plus à lui. Et je me suis aperçu que j'avais aussi la correspondance que Nadeau avait publiée. Donc, petit à petit, j'ai eu envie de dessiner le Mexique. J'avais beaucoup aimé le film de John Huston « Au-dessous du volcan » , que je trouve une des rares adaptations d'un... d'un grand livre réussi. Et donc, j'avais un très bon souvenir. Et puis, c'est un hasard. Et puis, Jacobetti, c'est une autre histoire, parce que Jacobetti, quand j'avais 12 ans, je n'étais pas loin d'une librairie où je n'étais jamais rentré. Et il y avait tout à coup en vitrine un petit livre de Jacobetti, un petit catalogue qui avait été publié en Suisse italienne, à Lugano. Et puis... Il y avait un dessin de Giacometti sur la couverture. Alors j'ai poussé la porte, j'étais extrêmement timide. Je suis allé vers le libraire, je lui ai dit « Bon, monsieur, est-ce que vous pourriez me montrer le livre ? » Je ne sais pas de qui il est, parce que c'était marqué à la main. Je ne savais pas trop le livre, je n'arrivais pas à lire exactement son nom. Il m'a dit « Oui, c'est un livre de Giacometti. » Il me présente le livre, puis il dit « J'aimerais bien l'acheter. » Et puis il me dit, bon voilà, ça fait tant et tant que j'avais un peu d'argent de poche. Et c'est le premier livre que j'ai acheté. Donc Giacometti m'a vraiment poursuivi toute ma vie. J'ai toujours été voir des expositions de Giacometti. Je suis allé très souvent à Stampa, dont je parlais tout à l'heure, c'est-à-dire dans les Grisons, et puis qui est pas loin de chez Nietzsche, à Sils Maria, c'est à une vingtaine de kilomètres. Donc c'est toute une région que j'ai... J'ai vraiment écumé, j'ai fait beaucoup de montagnes, je faisais beaucoup de montagnes. Donc la journée, je partais quatre heures dans la montagne et je dessinais quatre heures dans la nature.

  • Speaker #0

    Mais comment est-ce qu'on choisit ? Parce que vous dites, tiens, j'ai envie de passer un an avec Alberto Giacometti. C'est ça en fait. En gros, quand vous choisissez un personnage, pour vous, ça signifie 200 dessins, 200 textes et toute l'œuvre à lire. Donc, vous allez passer beaucoup de temps avec cette personne. Il ne faut pas se tromper. Vous avez arrivé d'ailleurs de vous tromper, de vous dire « je ne vais pas faire un livre sur cette personne, elle ne m'intéresse plus » .

  • Speaker #1

    Ça m'est arrivé une fois, oui. J'avais pris un billet pour traverser l'Atlantique jusqu'à Buenos Aires. Et j'avais pris dans ma valise, que j'avais lu déjà, mais je voulais le relire. J'avais appris Gombrowicz.

  • Speaker #0

    Ah oui.

  • Speaker #1

    Witold Gombrowicz. Et puis, je venais de relire un des volumes du journal, et je me suis dit, toute la nuit avant de partir, je me suis dit, mais c'est tellement ennuyeux, ce journal. Et en plus, c'est des règlements de comptes avec des écrivains dont on ignore tout, parce qu'on connaît Vitkevitch, Schulz et quelques-uns. la plupart des écrivains, je ne les connaissais pas, j'ai dit, mais il est tellement dans un perpétuel règlement de compte. Vous avez dit que les auteurs dont je parle sont des idoles, mais pas du tout. C'est plutôt des gens qui me sont étrangers. Je suis étonné par leur vie, par leur œuvre. Ça m'étonne. Nietzsche, c'est quelqu'un que j'ai beaucoup de peine à saisir, à comprendre vraiment. J'ai essayé, je comprends en partie, mais ce n'est pas quelqu'un... Voilà, je me prends pas pour Nietzsche ou je me prends pas pour les auteurs dont je parle. Et Gobineau, encore moins.

  • Speaker #0

    Une fois que vous avez choisi le personnage, au fond, on a le sentiment qu'il y a aussi un autre choix à faire. C'est les épisodes que vous allez dessiner, choisir. C'est là où il y a le vrai boulot, c'est le tri. Par exemple, pour parler de Malcolm Lorry, l'auteur d'Au-dessous du volcan, vous racontez comment il apprend la mort de son père, il se tait, il dit rien, et puis il dit « allons nous baigner » . Et... J'adore cette scène. Ensuite, il nage très longtemps, très loin. Évidemment, quand on sait que vous avez perdu votre père à l'âge de 9 ans dans un accident de voiture, on comprend pourquoi vous avez choisi cet épisode précisément. Mais j'imagine que le gros travail, une fois qu'on a tout lu, tout digéré, c'est de choisir quel moment d'une vie on garde dans le livre.

  • Speaker #1

    Oui, moi j'essaye de... Je cherche souvent des passages qui, à mes yeux, sont drôles. présente un aspect inconnu du personnage. Ou alors, comme c'était l'épisode sur la mort de son père, qui sont tout à fait significatifs de toute son approche de la famille, son refus, son rejet de la famille, parce que c'est quelqu'un qui n'est pratiquement pas rentré pendant longtemps en Angleterre, qui fuyait vraiment sa famille, qui était une famille riche, très aisée. Et lui, il a cherché l'aventure. Donc les passages, c'est évidemment... Où est-ce qu'on va au Mexique ? C'est aussi les moments de grande difficulté, parce que ça a été difficile pour lui de se faire reconnaître. Par exemple, au-dessous du volcan, il a écrit quatre fois le livre, parce que les éditeurs n'étaient pas contents. Et la dernière fois, la dernière version, elle était également refusée, mais là, il ne s'est pas laissé faire. Il a écrit une lettre, et pour moi, c'est très important, parce qu'il a écrit une très longue lettre. Pour justifier ses choix et expliquer son livre. Et c'est grâce à cette lettre qu'au fond, il a été publié. Mais ce n'était pas gagné. Et puis, il a aussi des manuscrits qui ont brûlé. Oui, oui. Tout ça, c'est évidemment des épisodes que je raconte.

  • Speaker #0

    Est-ce que la vie des artistes ne vous fascine pas plus que leur œuvre ?

  • Speaker #1

    Non, je ne crois pas. Je crois que... Non, je trouve « Au-dessous du volcan » , pour l'avoir lu récemment, je trouve que c'est un immense livre. Les 100 premières pages sont difficiles à lire, mais une fois qu'on a passé 100 premières pages, non, je dirais que la vie est en deçà. Oui, oui.

  • Speaker #0

    Mais quand même, les écrivains que vous choisissez n'ont pas eu des vies tranquilles, pépères. Vous aimez bien les artistes maudits ou autodestructeurs, un petit peu. Allez, avouez-le. c'est plus amusant de raconter la vie de Malcolm Lurie que de la vie de, je ne sais pas Jean Dormeson oui,

  • Speaker #1

    encore que je ne connais pas la vie de Jean Dormeson il faudrait connaître la vie secrète de Jean Dormeson non mais en fait j'ai jamais fait de de choix. Les choses viennent vraiment beaucoup par hasard. Je me suis aperçu, il n'y a pas très longtemps, que beaucoup des auteurs dont j'ai parlé, ou des artistes, sont des artistes qui sont un peu des miraculés. C'est-à-dire que leur œuvre est miraculée, parce qu'elle était destinée à être détruite. Comme Kafka, par exemple. Comme Emily Dickinson, qui avait, avant de mourir, qui avait la volonté de brûler toute sa poésie. Et sa sœur a refusé de le faire. Et Pessoa a la même chose. C'est une malle où tout reposait. Van Gogh, c'est son frère qui a gardé les tableaux. Il n'en a vendu qu'un.

  • Speaker #0

    C'est tous des gens sur lesquels vous avez fait des tomes du Manifeste incertain.

  • Speaker #1

    Voilà, oui. Et Walter Benjamin, c'est aussi un... C'est quand même un hasard si on le lit aujourd'hui. Et c'est des auteurs qui sont parmi les plus lus du monde. Et qui étaient vraiment voués à disparaître. Nietzsche, ça a été quand même compliqué. Nietzsche, il avait une cinquantaine de lecteurs. Et il se publiait à compte d'auteurs.

  • Speaker #0

    Oui, en fait, c'est comme si vous étiez le scribe des auteurs qui ont failli disparaître. Vous vous dites, tiens, il n'a pas besoin de moi, mais je vais quand même essayer de le faire connaître un peu mieux. Je dis ça parce que pour les jeunes, souvent on se pose cette question, comment faire lire les jeunes ? Mais avec vos livres, On peut apprendre à des gens qui ne lisent pas, leur donner vraiment envie de lire, un écrivain. Parce qu'on rentre par ce qui est un peu le plus spectaculaire, je dirais. Leur alcoolisme, les voyages, les drogues, les suicides. Et vous pouvez, je pense, arriver à convaincre des jeunes de lire des auteurs comme Malcolm Lurie ou comme Emily Dickinson. Ce n'est pas gagné d'avance.

  • Speaker #1

    Moi, j'ai souvent participé à des rencontres dans des lycées, un peu partout. J'ai eu beaucoup, beaucoup de discussions. Et souvent, c'est des gens qui ont été un peu forcés par l'école, mais qui ont lu un de mes livres. On en a discuté. C'est toujours intéressant. Et par le dessin,

  • Speaker #0

    vous les attrapez peut-être plus facilement, vous croyez ?

  • Speaker #1

    Je ne peux pas vous dire. Mais c'est un peu comme les... Voilà, j'ai fait aussi des rencontres dans les prisons. C'est un peu la même chose. Dans les prisons, il y a des gens qui ne sortiront jamais. On le sait. C'est très curieux, la relation qu'on a. J'ai fait prison homme et prison femme. Je trouve beaucoup plus dur les prisons femmes, d'ailleurs. Je trouve que les prisonnières sont très...

  • Speaker #0

    Plus méfiantes ?

  • Speaker #1

    Non, mais elles sont... Elles sont à fleur de peau, vraiment. Elles sont beaucoup plus dans l'émotion. Les hommes, ils se cachent un peu derrière. Ils font les durs un peu. Les femmes, elles sont très fragiles. C'est très impressionnant. Moi, j'ai été vraiment secoué, même. Je leur ai présenté un livre que j'ai fait il y a pas mal d'années qui s'appelle « Le chagrin d'amour » . Donc, on a beaucoup parlé de l'amour et tout ça. C'est formidable. C'est des moments formidables. Mais c'est vrai que... La biographie, elle aide beaucoup. Pourquoi je fais des biographies ? Parce que je suis d'abord un lecteur. Je suis un lecteur. J'essaie de rendre hommage à ces gens qui, encore une fois, me paraissent tellement étrangers. J'essaie de les comprendre et j'essaie de les faire comprendre aussi. parce que surtout en essayant d'utiliser un langage... Pas trop châtier, quoi. Je fais très attention à la façon d'écrire.

  • Speaker #0

    Oui, c'est très simple, c'est très accessible. Mais prenons l'exemple de Malcolm Lurie. Malcolm Lurie a écrit un grand roman, quand même assez expérimental et assez répétitif, Au-dessous du volcan, qui est une histoire d'amour impossible entre un alcoolique et sa femme. Bon, ils skient, ils se remettent ensemble, ils skient, ils se remettent ensemble, ils boivent du mescal, tout ça se passe à Cuernavaca, sous le fameux volcan qui s'appelle Popocatépetl. Et vous, par vos dessins du Mexique, vous parlez de ce type qui est devenu matelot d'abord, qui a fait le tour du monde, puis qui était surnommé El Borracho Ingles, par les Espagnols puis les Mexicains. Il déménage au Mexique et là, il met dix ans à écrire ce livre, 1937 à 1946. « Et vous vous dessinez des jambes de femme, des barres, On imagine des choses, des Mexicains, un lac où il a vécu. Comment vous décidez ? Quel dessin va avec quel texte ? Vous avez refusé de me répondre en début d'émission, je vous le redemande maintenant.

  • Speaker #1

    Il y a des dessins, je sais qu'ils viendront avec le texte. Il y a des dessins que je fais... Moi, je dis souvent que, de toute façon, le dessin, le texte, c'est deux langages tellement hostiles l'un envers l'autre. C'est tellement irréconciliable que c'est très difficile de les mélanger. Et surtout, je ne cherche pas à les réconcilier. Donc, je dis souvent que l'écriture, pour moi, c'est la conscience. C'est pour ça que je dis que quand on écrit, il faut être très précis, très méticuleux, je dirais. Alors que le dessin, pour moi, c'est l'inconscience. C'est vraiment... Moi, je dessine que deux mois par an. Donc, je dessine dans un état de trance, presque. Et je fais, si vous voulez, huit... 8 dessins par jour, ce qui est beaucoup.

  • Speaker #0

    Oui, c'est beaucoup.

  • Speaker #1

    Et je dessine pendant deux mois, puis c'est fini.

  • Speaker #0

    Et après, vous les avez sur une pile, comme ça, et vous dites, tiens, ça, je vais mettre ça là, ça, je vais mettre ça là. Donc, c'est vraiment...

  • Speaker #1

    C'est un montage, comme un film. ...

  • Speaker #0

    plus climatique ou atmosphérique. Parfois, c'est littéral. Je prends un exemple. Vous parlez de mai 68, vous tournez en dérision mai 68, et vous faites un dessin, il y a deux ânes. Ça, c'est clair que c'est vraiment purement... pour se moquer de, comme vous le disiez, l'idéologie, les certitudes qui sont un peu votre ennemi. Vous n'aimez pas les gens qui savent. Donc, vous aimez laisser planer le mystère, créer un mystère. Oui. D'accord.

  • Speaker #1

    Bon, c'est aussi un travail de montage. Mais c'est vraiment... Moi, j'ai fait des documentaires, des films documentaires, mais c'est la même chose. C'est quand je suis... Chez moi, avec mon livre, je suis sur une table de montage. Mais vraiment, c'est la même entreprise. Sauf que c'est peut-être plus libre que dans le cinéma.

  • Speaker #0

    Et vous découpez les textes pour les coller sur une image ?

  • Speaker #1

    Oui, je mettrais l'ordinateur.

  • Speaker #0

    Copier, coller, tiens ça, je vais le mettre avec celui-là, ça avec celui-là. Et puis, peut-être le hasard joue un rôle aussi. Beaucoup,

  • Speaker #1

    beaucoup. Il faut laisser le hasard faire son travail.

  • Speaker #0

    C'est bien, je suis content, mais j'essaye de vous percer à jour. Vous avez une fois essayé le roman sans dessin. Ça s'appelait La guerre sexuelle. Très bon titre. Alors là, même visionnaire. La guerre sexuelle en 2006, c'était 11 ans avant MeToo, chez Gallimard. Excellent titre, mais vous avez été déçu parce que vous ne l'avez jamais refait. D'écrire un livre entièrement sans images.

  • Speaker #1

    J'en avais fait un très jeune, à 20. 21 ans, j'avais fait un livre qui s'appelle Le Bon Laron, qui a été publié en Suisse. J'ai cherché une forme, en fait. Je l'ai trouvé réellement, comme vous le disiez tout à l'heure, moi je l'ai trouvé à 45 ans, j'ai trouvé très tard. Et le roman, c'était en fait le roman que j'ai fait chez Gallimard, La Guerre sexuelle. C'est aussi un livre que j'ai écrit très jeune. J'ai repris, en fait, des... des manuscrits. En fait, c'était deux livres et je les ai fondus dans un seul livre. Mais je dois dire que j'ai aussi fait ce livre pour des raisons financières. Oh !

  • Speaker #0

    Vous n'avez pas honte ?

  • Speaker #1

    Oui, j'ai honte. C'est une époque où j'avais vraiment besoin d'argent. Et donc... Moi, je travaillais au PUF. J'ai fait sept livres au Presse Universitaire de France. Et puis, Gallimard m'a un peu débauché. Et donc, j'ai accepté d'être débauché pour les questions financières.

  • Speaker #0

    mais peut-être l'expérience vous intéressait moins que celle de cette forme que vous avez inaugurée, inventée, qui est à vous est-ce que le fait de vivre en Arles, comme on dit au milieu des ruines de l'antiquité romaine Ça a un flux sur votre style très classique.

  • Speaker #1

    Bon, ça ne fait pas longtemps, ça fait 7 ans que je vis à... Mais disons, ça me permet de... Arles, c'est une ville qui me permet de vraiment travailler. Je trouve, à Paris, où je viens souvent parce que j'ai gardé un logement, mais...

  • Speaker #0

    On est dérangé par des gens qui vous posent des questions chez l'apéro.

  • Speaker #1

    Oui, par exemple.

  • Speaker #0

    C'est pénible, c'est pénible.

  • Speaker #1

    C'est une ville qui... C'est vrai que ce n'est pas la même vie, quoi. Bien que Arles soit une ville très maintenant habituée notamment par les parisiens. Ah oui,

  • Speaker #0

    envahie. Alors, il y a un jeu dans cette émission, devine tes citations, pas Jacques. Ça consiste, je vais vous lire des phrases de vous tirées de tous vos livres. Et vous devez me dire dans lequel vous avez écrit ça. Ah oui, bonne chance. Ce ciment de souvenir me charpente.

  • Speaker #1

    qu'une idée.

  • Speaker #0

    C'est bien, c'est dans le calme du soir, 2023. Mais ça m'intéresse, ce ciment de souvenir, parce que au fond, est-ce que vous vous souvenez ou vous inventez les souvenirs des autres ? C'est plutôt ça ce que vous faites, dans tous ces livres biographiques.

  • Speaker #1

    Oui, il y a toujours une grande partie autobiographique, dans tous les livres. Il y a même des livres qui sont totalement autobiographiques. Le livre, je crois, le sixième volume du manifeste, qui s'appelle Blessure, c'est un livre purement autobiographique. Il n'y a pas de personnage. Il y a ma mère, il y a ma famille, et puis il y a ce que ma famille a vécu, notamment pendant la guerre, etc. mais je ne fais pas que des livres biographiques dans chaque livre parce qu'il y a des formes différentes et ça j'y tiens beaucoup il y a des formes même littéraires qui sont très différentes il y a des passages qui sont qui sont très proches de la philosophie. Et puis, il y a des passages qui sont très poétiques. Enfin, même... Il y a des passages dans l'Alexandrin. Il y a des... Il y a beaucoup de passages sur la cuisine. Sur mes remarques dans les restaurants, etc. Beaucoup. Dans tous les livres. Oui, dans tous les livres, il y a quelque chose sur la cuisine. Et puis, c'est surtout aussi des livres de voyage. Donc, il y a beaucoup de... de notes de voyage, parce que j'ai voyagé, pour faire le manifeste, j'ai voyagé dans le monde entier. J'ai été en Chine, j'étais à Taïwan, j'étais au Japon, j'étais en Russie, j'étais en Crimée, j'étais en Pologne, j'étais en Amérique du Sud, à New York, au Canada, j'ai voyagé partout. Et donc il y a cette forme aussi de toutes mes remarques sur le... sur le paysage, sur les gens, etc. Tout ça, ça figure toujours. Ce ne sont pas des pures biographies. Non,

  • Speaker #0

    non, bien sûr. Mais regardez, je vais vous faire lire la page 116 pour prouver que oui, ça parle aussi, non seulement de vous, mais ça parle aussi de l'époque présente. Et ça, c'est à mon avis le paragraphe le plus important du livre.

  • Speaker #1

    Je me suis tenu à l'écart des idéologies qui proliféraient durant ma jeunesse. Communisme, trotskisme, maoïsme, écologisme, néofascisme. Aujourd'hui, ces idéologies ressurgissent avec les mêmes excès, le même langage diminué et, pour les plus virulentes, cette haine de la culture dite « bourgeoise » . Tandis que le néolibéralisme se dresse sur la scène triomphateur, outrancier, talonnée par une droite extrême Paradons sous les airs de respectabilité. En vérité, la société humaine ne change guère. C'est un éternel retour.

  • Speaker #0

    Alors, on arrive sur Nietzsche, l'éternel retour.

  • Speaker #1

    Oui, c'est un hommage.

  • Speaker #0

    Mais cette phrase est très importante. Et c'est intéressant que vous la mettez, vous la glissez au milieu du livre. Alors que vous parlez de Malcolm Lurie au Mexique, puis Alberto Giacometti qui quitte la Suisse pour s'installer à Paris. On se dit, on est en dehors du temps. Mais pas du tout. Vous êtes à fond sur le temps et la défense de la culture et de ces artistes-là. C'est aussi un engagement politique ?

  • Speaker #1

    Oui, oui. Dans je ne sais plus quel manifeste, il y a aussi des grands passages sur les Gilets jaunes. Oui, il y a toujours une partie. Alors c'est curieux parce que ce n'est pas une volonté, mais j'ai beaucoup parlé de l'avant-guerre, des années 30, à travers Marina Tsetayeva, à travers Walter Benjamin, à travers Pessoa, etc. J'ai beaucoup parlé de ces années-là. Là aussi,

  • Speaker #0

    Malcolm Norris s'en va avant la guerre. Il part au Mexique juste avant la guerre.

  • Speaker #1

    Oui, en fait, je ne sais pas comment dire ça, mais ces années-là... Je suis tellement plongé dans ces années-là, par mes lectures, j'ai beaucoup lu, j'ai lu Kershaw, j'ai lu le gros livre sur Hitler, j'ai lu beaucoup de l'Europe en enfer, tous ces livres-là. Et c'est vrai qu'il y a toujours un écho avec ce qu'on vit aujourd'hui. Les idéologies, elles ne disparaissent pas comme ça. Elles reviennent, elles sont tenaces. On les subit beaucoup, ces idéologies. C'est difficile d'y échapper, en fait. Et aujourd'hui, tout est encore plus violent et clivant. Les gens sont vraiment face à face. Ça devient difficile. J'ai beaucoup hésité à faire un livre sur Marx, que j'ai beaucoup lu. Mais bon, je ne sais pas ce que... Mais pourquoi pas ? Oui, pourquoi pas. Ça serait une bonne idée. Mais on n'est pas si libre que ça.

  • Speaker #0

    Je continue mes citations de vous, et vous devez me dire où vous avez écrit ceci. Je me sens bien trop incapable de dessiner et redessiner cent fois les mêmes personnages.

  • Speaker #1

    C'est pas dans le dernier ?

  • Speaker #0

    C'est dans le dernier. Manifeste un certain tome 10. C'est ainsi que votre carrière dans la BD s'est arrêtée. C'est parce que vous ne vouliez pas redessiner les mêmes personnages. Une autre phrase. Je vous aimerais même si vous n'aviez qu'une oreille ou un oeil. Il y a un piège.

  • Speaker #1

    C'est pas Apollinaire ?

  • Speaker #0

    C'est Malcolm Lurie qui a écrit ça à Doris. C'est une lettre.

  • Speaker #1

    Ah oui, oui,

  • Speaker #0

    d'accord. Vous l'a cité en 1929. Donc vraiment, c'est intéressant parce que, comme vous l'avez dit, vous lisez toute l'œuvre de l' Même la correspondance, les journaux, même les bios sur lui. Là, la bio de Douglas Day sur Malcolm Lurie. Et du coup, on peut trouver des tas de détails très hallucinants. Par exemple, moi, je ne savais pas que Malcolm Lurie avait un type qui était fou de lui à Cambridge. Un garçon qui était très beau, d'ailleurs, et très amoureux de lui, et qui lui dit « Si tu ne m'embrasses pas, je me tue. » Lurie éclate de rire, il s'en va se picoler avec ses copains, il se fout de sa gueule. Il dit qu'il crève ce mec-là. Et quand il est revenu dans sa chambre à l'université, le garçon s'était suicidé. Ça, c'est très romanesque comme anecdote, mais vrai. C'est ignoré totalement. Oui,

  • Speaker #1

    mais il a été très secoué par ça. Il a culpabilisé énormément. Pas longtemps, il a culpabilisé.

  • Speaker #0

    Oui, parce qu'un bisou, il suffisait d'un bisou. Ce n'est pas très méchant. Alors, je continue. Est-ce bien moi qui ai changé ou le monde ? Ah non ! Vous voulez que je vous dise la solution ? Non ?

  • Speaker #1

    Je ne sais pas.

  • Speaker #0

    C'est de vous, dans le dernier manifestation.

  • Speaker #1

    J'ai pensé que c'était...

  • Speaker #0

    C'est dans le dernier. Est-ce bien moi qui ai changé ou le monde ? Je pense que le monde ne change pas. C'est bien le message que vous lancez dans le livre. Enfin, une dernière. L'art est une activité qui est inutile pour l'ensemble de la société. « Toute œuvre d'art est enfantée totalement pour rien » .

  • Speaker #1

    Ça, c'est Giacometti.

  • Speaker #0

    Oui, Alberto Giacometti.

  • Speaker #1

    Dans le dernier volet.

  • Speaker #0

    C'est dans son entretien avec André Parino, 1962. C'est une idée très inactuelle. Aujourd'hui, tous les écrivains ont un message à faire passer. Personne ne dit « j'écris totalement pour rien » . « Tout ce que je fais ne sert strictement à rien » . C'est assez beau de penser ça. Oui. Vous pensez ça un petit peu ?

  • Speaker #1

    Toujours, on pense pour ça. On se croit quand même... Je ne sais pas, si on est à la campagne, quand on discute avec des paysans, on se sent un peu exclu. On sent qu'on n'est pas très utile.

  • Speaker #0

    Mais non, je vous dis, il y a plein d'auteurs qui sont convaincus, qui vont... Voilà, qu'ils ont quelque chose à dire de très important.

  • Speaker #1

    Oui, j'en fais pas partie.

  • Speaker #0

    Bon, alors on passe au conseil de lecture. Je vous ai demandé de préparer un peu les livres... Voilà, vos livres préférés. Parce que vous êtes un immense lecteur et donc c'est bien qu'on puisse en profiter. Un livre qui donne envie de pleurer ?

  • Speaker #1

    Alors, bon, il y en a plusieurs, mais il y en a un qui m'a évidemment marqué, comme je pense beaucoup de gens de mon âge, mais c'est un qui m'a marqué très jeune. Je n'en ai pas un souvenir très précis, mais j'ai le souvenir que j'ai été malheureux de lire ce livre, que j'ai beaucoup aimé, qui était « Sans famille » d'Hector Malot. Ah oui. Voilà. qui est un livre, moi j'avais 12 ans quand j'ai lu ça à peu près, l'île de 12 ans, c'est un livre qui m'a marqué énormément, moi j'avais perdu mon père en plus, ça me parlait directement, c'était un livre...

  • Speaker #0

    Oui, c'est Jean-Louis Hésine qui en a parlé ici même.

  • Speaker #1

    Il m'a influencé ce livre, je pense, beaucoup.

  • Speaker #0

    Un livre pour arrêter de pleurer après avoir lu Sans Famille ?

  • Speaker #1

    Alors moi j'ai mis, j'ai pensé à un livre de... De mon ami Frédéric Schifter.

  • Speaker #0

    Ah !

  • Speaker #1

    encore à Frédéric, qui s'appelle Philosophie sentimentale et qui est un livre que j'ai vraiment beaucoup aimé parce que j'ai trouvé que c'était un livre complètement romantique. Alors que lui, il se cache un peu de ça. Et c'est un livre où, en fait, il ne peut pas s'empêcher d'être dans une sentimentalité. Il y a un portrait de sa femme, en fait. Et aussi, il y a un portrait de ses collègues, qui sont toujours très drôles. Ses anciens collègues, puisqu'il était professeur. mais c'est quelqu'un que je lis toujours c'est un ami c'est plus qu'un ami je dirais il y a une fraternité entre nous mais c'est quelqu'un qui j'adore son style, j'adore sa façon d'écrire je trouve qu'il est toujours un peu décalé qu'il est jamais c'est pas un bien pensant c'est toujours avec douceur c'est pas quelqu'un de véhément c'est quelqu'un qui assène des choses pessimiste

  • Speaker #0

    tout en étant romantique Ça résume bien. Un livre pour s'ennuyer ?

  • Speaker #1

    Pour moi, c'était L'homme sans qualité de Robert Musi, que j'ai relu il n'y a pas longtemps. Ça m'est tombé des mains, je me suis ennuyé à lire ce livre. Alors que je l'avais lu quand j'avais 22-23 ans, j'avais bien aimé ce livre, mais je ne sais pas s'il n'a pas résisté à la deuxième lecture.

  • Speaker #0

    Un livre pour crâner dans la rue ?

  • Speaker #1

    C'est un livre que j'ai lu il n'y a pas longtemps, qui s'appelle Les intellectuels au Moyen-Âge de Jacques Le Goff. Pas mal. Et j'aime beaucoup ce livre.

  • Speaker #0

    Puis ça vous pose un homme, quoi. Voilà. Un livre qui rend intelligent.

  • Speaker #1

    Alors, c'est un livre que j'ai lu il n'y a pas longtemps aussi, de Jean-Baptiste Brenet. qui s'appelle Le dehors de dents, et qui est sous-titré Averroès en peinture. C'est un livre d'histoire de l'art, qui est publié par cette maison d'édition que j'adore, qui est Macula, une maison d'édition assez exigeante, et dirigée par Véronique Yersin. C'est un livre qui est avec des peintures, beaucoup de reproductions, et qui permettent de montrer tout le rapport entre la peinture italienne euh... Et saint Thomas d'Aquin, dominant à Véroès, qui est toujours écrasé. Il est couché à ses pieds comme un chien et il est écrasé. Et c'est évidemment toute la question de l'apport d'un musulman, d'Averoès, qui amène Aristote en... en Europe. Et le livre est très intéressant parce qu'il est... Je ne peux pas le raconter parce que c'est trop... C'est un livre assez difficile à lire, très érudit, mais c'est un livre qui... Je ne sais pas, il y a une trentaine de peintures qui montrent Averroès au pied de saint Thomas d'Aquin. Et en fait, il montre que c'est plus subtil que ça,

  • Speaker #0

    que ce n'est pas seulement un livre pour séduire.

  • Speaker #1

    Alors,

  • Speaker #0

    Quand vous promenez dans Arles ?

  • Speaker #1

    C'est un livre que j'ai toujours beaucoup aimé. C'est La balade du café triste de Carsten Maculert, que je trouve qui est un livre que j'offre volontiers à des... à des gens pour qui j'ai envie de séduire, mais pour qui j'ai de l'affection.

  • Speaker #0

    Un livre que je regrette d'avoir lu ?

  • Speaker #1

    Alors ça, je ne peux pas répondre, parce que je crois que quand un livre ne me plaît pas, j'arrête. Donc je ne vais pas jusqu'au bout.

  • Speaker #0

    Vous ne regrettez pas ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Un livre que je fais semblant d'avoir fini ?

  • Speaker #1

    Alors, je ne suis pas sûr de faire complètement semblant, parce que c'est possible que je l'ai lu jusqu'au bout. Mais c'est un livre dont je... C'est un livre qui a un vrai problème. C'est Fiddy Ganswick de Joyce. C'est un vrai problème.

  • Speaker #0

    Un vrai problème de lisibilité.

  • Speaker #1

    Oui. Donc...

  • Speaker #0

    Ah, parce que vous... Comment est-ce que vous faites pour ne pas être convaincu de l'avoir fini ? Je comprends. Vous l'avez fini ?

  • Speaker #1

    C'est possible.

  • Speaker #0

    C'est possible que vous l'ayez fini, mais vous n'êtes pas sûr.

  • Speaker #1

    Oui, je ne suis pas sûr. C'est un peu comme les cantos de Zrappan. Oui, Zrappan. Que j'ai lu plusieurs fois, en fait. Mais je ne sais jamais si je suis arrivé jusqu'à là.

  • Speaker #0

    Jamais si on a terminé ou si on a juste perdu le fil. Le livre que j'aurais aimé écrire ?

  • Speaker #1

    Alors c'est un livre que je relis souvent qui est La lune et les feux de Pavès, qui est son dernier livre et qui ressemble d'ailleurs à Et ce sont les violents qui l'emportent de Flaherty O'Connor. C'est un peu le même thème aussi de l'enfant un peu qui va finir par mettre le feu aux maisons, qui va finir par tout détruire. Et c'est un livre, c'est extraordinaire parce que c'est quand même... C'est le retour d'un émigré qui vient des États-Unis, enfin qui rentre des États-Unis en Italie, qui revient dans son pays, le pays de Pavès, donc dans les langues. et qui redécouvre son pays complètement misérable. C'est quand même une période difficile. Il découvre le monde de la campagne, des vignes. C'est une description tellement... Les personnages sont tellement extraordinaires. C'est tellement... Pour moi, Pavès, c'est vraiment le grand écrivain.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup, Frédéric Pajac. Oui, quel est le pire livre que vous avez lu ? Mais finalement, je n'ai pas envie de vous la demander, celle-là.

  • Speaker #1

    Il y a le livre que je lis en ce moment. Ah ! Alors, c'est un livre que j'ai presque fini, écrit par le docteur Charbonnier, qui est un livre qui s'appelle « Les maladies des mystiques » .

  • Speaker #0

    Ah,

  • Speaker #1

    ben, c'est un livre qui m'intéresse énormément et qui a été écrit en 1850. Non, 35, pardon. J'ai l'édition qui a été publiée en Belgique. J'ai l'édition originale de ce livre. Je ne sais même pas s'il a été réédité. Mais c'est absolument passionnant parce qu'il montre que tous les mystiques sont malades physiquement. Notamment parce que ce sont soit anorexiques, soit ils font des jeûnes trop prolongés. Et en fait, ils ont souvent l'estomac qui a tellement rétréci.

  • Speaker #0

    Vous voulez dire que finalement, Dieu est mauvais pour la santé ? Voilà.

  • Speaker #1

    Oui, et toutes les visions viennent des jeunes prolongés. C'est connu. Mais c'est un livre intéressant parce que c'est l'un des premiers livres qui parle de ça.

  • Speaker #0

    On peut peut-être partager le sang du Christ pour remercier infiniment d'être venu. Et merci beaucoup. Je rappelle le titre du livre, c'est le Manifeste d'un certain, tome numéro 10 de Frédéric Pajac, aux éditions Noir sur Blanc. Et c'est un bijou, c'est un livre important. C'est un livre grandiose sur Malcolm Lurie et sur Alberto Giacometti. Cette émission vous était présentée en partenariat avec le Figaro Magazine, le magazine des Haribo, les Aristoboèmes. Et puis surtout n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous allez mourir idiot. Ce serait quand même dommage. C'est du jus de raisin, c'est pas du vin, c'est du jus de raisin. Château Clark 2018.

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