undefined cover
undefined cover
RÉGIS JAUFFRET : "CE N'EST PAS LE MALHEUR QUI FAIT LES ARTISTES, C'EST LE TALENT." cover
RÉGIS JAUFFRET : "CE N'EST PAS LE MALHEUR QUI FAIT LES ARTISTES, C'EST LE TALENT." cover
Conversations chez Lapérouse

RÉGIS JAUFFRET : "CE N'EST PAS LE MALHEUR QUI FAIT LES ARTISTES, C'EST LE TALENT."

RÉGIS JAUFFRET : "CE N'EST PAS LE MALHEUR QUI FAIT LES ARTISTES, C'EST LE TALENT."

48min |05/09/2025
Play
undefined cover
undefined cover
RÉGIS JAUFFRET : "CE N'EST PAS LE MALHEUR QUI FAIT LES ARTISTES, C'EST LE TALENT." cover
RÉGIS JAUFFRET : "CE N'EST PAS LE MALHEUR QUI FAIT LES ARTISTES, C'EST LE TALENT." cover
Conversations chez Lapérouse

RÉGIS JAUFFRET : "CE N'EST PAS LE MALHEUR QUI FAIT LES ARTISTES, C'EST LE TALENT."

RÉGIS JAUFFRET : "CE N'EST PAS LE MALHEUR QUI FAIT LES ARTISTES, C'EST LE TALENT."

48min |05/09/2025
Play

Description

Cette conversation avec un des plus grands écrivains français est exceptionnelle car elle montre à quel point Régis Jauffret se ressemble. Son écriture délire autant que lui ! Quand il parle, il se laisse entraîner dans des directions inattendues, comme dans ses 30 livres. C'est ainsi qu'on reconnaît les vrais : ils sont identiques à leur style.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Et cette semaine, notre sponsor est la vocation de Chloé Safi, au ChercheMidi éditeur. C'est l'histoire d'un esclavage consenti. Salomé, embauchée comme secrétaire par un banquier, devient progressivement sa chose. Elle renonce à sa vie, ses amis, son prénom, sa liberté, et devient sa domestique dans des tenues sexy. Elle subit des châtiments corporels et même des opérations de chirurgie esthétique. Le livre est présenté comme un témoignage authentique, mais c'est peut-être une fiction sadomaso, comme histoire d'eau. Vous qui êtes l'auteur de Clostria sur l'affaire Joseph Fritzl, je rappelle qu'il avait séquestré sa fille pendant 24 ans dans une cave. Qu'est-ce que vous pensez d'une telle histoire ? Une femme volontairement séquestrée et esclave pendant 7 ans.

  • Speaker #1

    Je pense qu'on est dans un autre univers parce que là, il avait séquestré sa fille, c'était un viol et c'était l'horreur absolue pendant 24 années. Là, on est dans une histoire classique, elle s'aime, on ne saura pas si elle était vraie ou pas. Franchement, ce n'est pas tellement grave de le savoir. Ce qu'on espère, c'est qu'elle était volontaire, soit dans la fiction, soit surtout dans la réalité.

  • Speaker #0

    Voilà, oui, très très bien dit. Je vous l'offre parce que c'est un des chocs de cette rentrée.

  • Speaker #1

    Et je vous le rends.

  • Speaker #0

    Ah bon ? Pourquoi ? Vous ne lisez vraiment pas vos contemporains ?

  • Speaker #1

    Je lis très peu, mais est-ce que vous l'avez lu ?

  • Speaker #0

    Oui, moi j'ai lu, j'ai trouvé ça assez troublant.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Oui, et bien écrit.

  • Speaker #1

    Bon,

  • Speaker #0

    allez, je le prends. Vous voyez, je vous ai convaincu. Régis Geoffray, donc, bonsoir. Vous avez publié Papa en 2020 et Maman en 2025. Les gens vont croire que vous faites, comme beaucoup d'autres, dont moi, écrire sur ces parents. Alors, qu'est-ce qui se passe en ce moment ? Pourquoi est-ce qu'il y a beaucoup de livres sur les parents ? Est-ce que vous avez une théorie là-dessus ?

  • Speaker #1

    Non, je pense qu'il y en a toujours eu. Ce qui me concerne, moi j'ai deux parents, donc il y a eu mon père, mais j'avais quand même plus de 60 ans quand je l'ai écrit, j'avais 64 ans je crois, et là c'est ma mère, donc j'ai 70 ans, et donc on va espérer que je ne vive pas trop vieux, parce qu'après je ne sais pas qui je vais trouver, les grands-parents. Mais ça va à l'encontre de mes idées d'écrire sur ces parents. Je sais. Je n'ai jamais voulu écrire sur moi, sur mes parents. sur personne et là j'ai été presque obligé de le faire et puis j'ai compris pourquoi je voulais pas aussi.

  • Speaker #0

    Oui, oui. Alors votre oeuvre, Régis Geoffray, est immense, tentaculaire, vaste, ambitieuse. J'avais parlé de vous dans mon dictionnaire des écrivains vivants. Je vais prendre la notice qui vous concerne. Pardon, c'était pas prévu, donc évidemment c'est mal fait.

  • Speaker #1

    C'est parce que vous avez écrit mieux sur moi.

  • Speaker #0

    Ah c'est vrai ?

  • Speaker #1

    Vous avez pas écrit ? Ah bon ? C'est intéressant, mais je trouve que vous avez écrit beaucoup mieux. Oui, j'ai écrit beaucoup. C'est un genre... littéraire pour vous presque. Écrire sur régie sur frère.

  • Speaker #0

    C'est vrai, j'ai beaucoup écrit d'articles sur vous parce que je suis un fan.

  • Speaker #1

    Je ne suis pas très correct de dire ça. Non,

  • Speaker #0

    non, mais pas du tout.

  • Speaker #1

    Je retire tout. Pas du tout.

  • Speaker #0

    Vous comprenez mon texte. J'évoquais les trois tomes des 500 micro-fictions en 2007, 2018 et 2022. Vous préparez d'ailleurs un quatrième tome, je l'ai appris dans ma main. Il est écrit. Voilà, avec 500 micro-fictions de plus, ce qui nous porte à un total de 2000. Vos grands romans des débuts sont Clémence Picot en 1999 et Univers, Univers, qui avait obtenu le prix Décembre en 2003. C'était des tentatives d'épuisement de l'imaginaire, en fait. Clémence Picot, elle essaye de faire cuire un gigot d'agneau et elle imagine tout ce qui pourrait lui arriver. Qu'est-ce qui vous a conduit à cette exploration du conditionnel dans vos débuts ?

  • Speaker #1

    Je crois que c'était un peu l'état naturel parce que j'essayais de... En fait, quand on écrit, moi, quand j'ai commencé à écrire, je ne savais pas quoi écrire. Alors j'avais une imaginaire terrible, importante, mais justement un peu trop... J'aurais voulu écrire sur quelque chose qui a un rapport avec le réel. Parce que mon premier livre, c'était sur l'histoire d'une vieille dame qui se réincarnait. Mais c'était extravagant. J'ai toujours essayé d'être dans la réalité. Et finalement le conditionnel ça me permettait de raconter le réel en racontant justement de façon imaginaire. Ce qui aurait pu arriver. Voilà parce que raconter la réalité, je me suis toujours dit qu'on la recopiait ce qui est faux parce que j'ai essayé de... comme si c'était un peintre mais justement un peintre qui recopie la réalité c'est l'hyperréalisme c'est toute la difficulté de la chose et je crois qu'au départ enfin je l'ai toujours, surtout quand j'étais gosse, je le photographiais et j'avais cette... Je ne savais pas quoi photographier. J'aimais photographier, j'aimais développer. C'est un truc que plus personne ne connaît. Mais l'image qui apparaît dans le laboratoire, etc.

  • Speaker #0

    Il y a une magie. Mais il y a la même magie quand vous écrivez.

  • Speaker #1

    C'est le même phénomène quand on écrit. Il y a un révélateur.

  • Speaker #0

    Et quand vous écrivez, souvent, on vous suit, on suit votre pensée. On se dit, tiens, il est en train de bifurquer, d'improviser. Et vous n'écrivez pas la phrase qui était prévue. Vous adorez ça, finalement, vous commencez une phrase sans savoir où elle va.

  • Speaker #1

    Mais je ne sais jamais où je vais. En même temps, j'essaie d'avoir une grande rigueur. Ce qui se passait avant, c'est que j'écrivais assez vite, dans une sorte de fièvre, mais je réécrivais le livre pendant au moins un an à chaque fois. C'était assez terrible. Je ne sais pas comment il y avait ces deux mouvements. Et là, le phénomène de l'écriture, je n'ai jamais su trop comment l'expliquer. Mais maintenant, on peut peut-être plus l'expliquer avec Chachibiti 4. Parce que finalement, Chachibiti arrive à reproduire l'écriture. Je peux raconter quelque chose ? Sur vous et moi, d'ailleurs. Ah bon ? Oui, j'avais fait un essai il y a deux ans, il y a six mois, je ne sais plus, écrire une microfiction à la façon de Régis Geoffray. Alors, j'ai une microfiction, etc. à la façon de Frédéric Beigbeder. Et là, alors là, c'était... Moi, la mienne, c'est déjà assez caricatural. À l'époque, maintenant, ils sont un peu plus doués. Et vous, c'était l'histoire d'une pauvre jeune fille qui vient de province et qui arrive à Paris, qui va dans les boîtes de nuit. et qui, bon, a une vie assez...

  • Speaker #0

    Prendre de la cocaïne.

  • Speaker #1

    Et qui meurt d'une ouvert dose dans les toilettes d'une boîte de nuit. Et c'est parce ça qu'ensuite, il y a Chachipiti qui se choque lui-même et qui dit, la drogue, il nous va nous... Alors que c'était Chachipiti qui l'avait...

  • Speaker #0

    Ah oui, d'accord. Ça aurait été bien si ça pouvait faire imploser le logiciel.

  • Speaker #1

    Il l'avait implosé lui-même, mais il a fait beaucoup de progrès. Et maintenant, la dernière fois que j'ai demandé d'écrire une microfiction, la façon de rédiger le frais, dans un avion. Non, avec Avion, simplement, j'ai eu une histoire qui était très bien. Qui était bien, oui. Et comme je ne me souviens pas de toutes les micro-fictions, si on me l'avait donnée, je leur ai dit « oui, elle est de moi » . Et je me suis dit « elle est un peu caricaturale » , mais je me suis dit « moi, ça doit m'arriver quand même d'être un peu caricaturale aussi » .

  • Speaker #0

    Donc, déjà, à cette époque-là, quand vous avez commencé à faire ces grands livres qui étaient très sulfureux, très provocateurs, très créatifs, vous étiez vraiment l'écrivain un peu de l'imagination et de l'horreur, on va dire, mais ça ne vous a pas suffi. Vous êtes allé vers le fait divers. Donc vous avez commencé par l'affaire Edouard Stern, avec ce livre qui s'appelait Sévère, en 2010, qui vous a d'ailleurs valu un procès.

  • Speaker #1

    Qui n'a pas eu lieu.

  • Speaker #0

    Qui n'a pas eu lieu, tant mieux. Puis vous avez traité l'affaire Joseph Fritzl dans Clostria en 2012, avant de vous occuper de l'affaire Dominique Strauss-Kahn, la balade de Rikers Island en 2014. Et là aussi, il y a eu un procès.

  • Speaker #1

    J'ai été condamné en première instance et en appel. J'ai eu face à moi trois avocats. dont Richard Melka, qui est quand même l'avocat de Charlie Hebdo, dont Maître Henri Leclerc, qui a plaidé avec haine et avec acharnement jusqu'à demander un report de procès parce qu'il avait une opération à faire, c'est lui qui l'avait dit, et avec l'avocat dont je ne me rappelle plus le nom, qui est l'avocat traditionnel de Chirac et de tous les autres hommes politiques, donc il y avait ces trois avocats. Alors pourquoi trois avocats ? On peut se demander pourquoi on vient avec trois avocats. Alors soit ça sert à quelque chose et ça me paraît guérépublicain, soit ça ne sert à rien. C'est bizarre cet étalage de puissance.

  • Speaker #0

    Non mais bon...

  • Speaker #1

    Mais j'ai été condamné.

  • Speaker #0

    C'est vrai que c'est assez rare.

  • Speaker #1

    Mon livre est toujours condamné. C'est-à-dire que mon livre, on peut le trouver en occasion, mais on ne peut pas le trouver en numérique légal puisque les parties sont coupées. Mais j'appuie sur le fait que moi je suis absolument... pas favorable à la liberté d'expression qui permet d'accuser n'importe qui.

  • Speaker #0

    Oui, alors ça c'est très intéressant, vous en parlez beaucoup dans ma langue, parce que vous avez beaucoup de scrupules à écrire sur votre mère qui est morte il y a peu de temps, à l'âge de 106 ans, qui vous a eu très tard, à 41 ans, vous étiez fils unique, et vous dites d'ailleurs, j'étais fils unique, donc c'est normal que j'ai une mère unique, et c'est un très très beau livre, mais en même temps, vous avez énormément de prévention avec l'autobiographie. Vous avez d'ailleurs... Vous refusez d'écrire des textes autobiographiques presque toute votre vie.

  • Speaker #1

    Oui, j'étais contre l'autobiographie. En même temps, il y avait une raison, c'était que je ne voulais pas parler de mon père. Alors à partir du moment où j'en ai parlé dans Papa, c'est-à-dire le fait qu'il soit sourd, qu'il soit handicapé dans un milieu bourgeois, qui n'avait rien de terrible, mais bourgeois, d'ailleurs ça aurait été un autre milieu, pas bourgeois, je pense que ça aurait été la même chose, mais enfin il se trouve... C'est toujours handicapant pour un fils handicapé. Donc j'avais, même adulte, cette pudeur, cette honte carrément. Oui,

  • Speaker #0

    mais le livre parlait surtout de son arrestation par la Gestapo.

  • Speaker #1

    C'est à cause de ça que je l'ai écrit. Oui,

  • Speaker #0

    et vous avez découvert à la télévision des images de votre père arrêté, menotté dans le dos et emmené dans une fourgonnette par la Gestapo. Et vous vous êtes demandé qu'est-ce que c'est que cette histoire, personne ne m'en avait parlé. Pensez-vous qu'il est devenu sourd à cause de la torture ?

  • Speaker #1

    C'est-à-dire qu'on m'a dit que souvent les gens devenaient sourds parce qu'on les frappait, on ne faisait que la téléteinte. Ça, je n'en sais rien du tout. Après, moi, les images, je les certifie parce qu'elles existent. Ce ne sont pas des reconstitutions parce que je ne vais pas me lancer dans les détails. Mais après, tout le reste, je l'ignore parce que quand même, je n'ai jamais entendu parler de... de cette histoire par personne. Personne. Et même ma cousine qui avait 7 ans et ça s'est passé devant elle, devant son appartement, j'allais dire, on n'en a jamais entendu parler. Donc on sait que c'est vrai, mais ça va si loin que si mon père était là, je me demande s'il me dirait s'il sait ce que c'est. C'est-à-dire que la seule chose, c'est que la réalité me maltraite au point que c'est sûr que c'est vrai. Mais c'est tout ce que je peux en tirer. Et le reste, c'est pur... Sinon fiction, du moins conjecture.

  • Speaker #0

    Alors je vais vous faire lire la page 9 pour donner une idée de ce que c'est que l'écriture très radicale, très personnelle, très originale de Régis Geoffray.

  • Speaker #1

    On enterre de plus en plus tard. Certains corps partient jusqu'à 14 jours avant d'être inhumés et l'écologie trinque. Toute cette énergie dépensée pour réfrigérer le corps d'un être qui en a déjà dégapidé une quantité extravagante de son vivant. et la cryogénisation. plus énergivores encore que l'existence. Ces sinistres hurlus-berlus craignent leur effacement de la liste des vivants jusqu'à se faire surgeler comme des hamburgers. Ils finiront par ressusciter 200 ans plus tard à l'occasion d'une panne de secteur consécutive à la destruction d'une centrale électrique par un ouragan. Ils sortiront de leur boîte, gueule ouverte, mouillés comme des rats, grelottants, et ils jetteront un regard terrifié sur un siècle hostile, démoli, aux habitants bouillants de haine. C'est ce qui va arriver, qu'est-ce que vous croyez ? Vous savez pourquoi ? Parce que ce qui est très drôle, c'est que ça c'est des gens qui ont beaucoup d'argent, parce que c'est pas la portée. Mais c'est-à-dire que les gens qui ont beaucoup d'argent, à un moment, pensent qu'ils peuvent tout acheter, que c'est scandaleux de mourir, donc ils peuvent acheter la mort. Mais ils ne se rendent pas compte que dès que vous mourrez déjà, tous s'effondrent. Regardez Louis XIV, il avait dit nous pouvons tout tant que nous sommes, mais après c'est la catastrophe. Et donc les enfants ne voudront plus payer, parce que les enfants qui aiment bien le père, Ils vont le faire les petits-enfants, mais les arrières-arrières-petits-enfants, quand on va leur demander une fortune pour aller congeler un papier inconnu et bloquer sa fortune, parce que ces gens-là, ils veulent bien venir, mais pas comme des clochards, donc il y a tous une fortune bloquée. Tiens, je ne vous ai pas parlé, mais ça me vient à l'esprit. Donc en fait, ils vont finir, mais comme des hamburgers, un jour de panne d'électricité. Oui,

  • Speaker #0

    c'est intéressant parce que je vous fais lire cet extrait. Pourquoi ? Pour montrer votre style. vous vous laissez entraîner par votre élan. On le voit aussi dans votre manière de parler. Vos phrases démarrent à peu près dans la normalité pour basculer soit dans l'absurde, soit dans la violence, soit le comique ou le surréalisme. Souvent, c'est ça qui vous intéresse, c'est d'aller dans des zones imprévisibles. Me trompe-t-je ?

  • Speaker #1

    Non, je ne sais pas. l'écriture qui m'entraîne. Oui, mais je pense que l'écriture entraîne l'écrivain, comme la peinture. Je pense que finalement, c'est un peu l'ivresse de l'art, l'ivresse des couleurs, l'ivresse... Même pas des mots au sens... Non, c'est plutôt que la langue, c'est la réflexion. Oui, moi je crois beaucoup à... Si vous voulez, on raconte des histoires. C'est très difficile de parler des livres parce que on raconte l'histoire qu'il y a dans le livre. Et en fait, si l'écrivain a réussi son affaire, si il a réussi son coup, on n'arrive pas à dire ce qu'il y a dans un livre parce que c'est tout autre chose, parce que c'est une histoire d'art. L'art c'est compliqué.

  • Speaker #0

    Bien sûr, mais d'ailleurs, ce genre d'émission n'a pas de sens pour un écrivain véritable comme vous, qui a vraiment une sorte de... Est-il unique ? Imaginez interviewer Kafka par exemple, c'est un peu compliqué. Je vous vois comme une sorte de Kafka français.

  • Speaker #1

    C'est gentil, je suis très flatté, mais interviewer Kafka ça doit être quelque chose de compliqué. Oui, mais le contraire de ce qu'on pourrait imaginer, si j'en crois la biographie, le nom de biographe m'échappe évidemment, c'était quelqu'un qui était très idéologue, Kafka, il était très sioniste à une époque où c'était complètement différent. Mais c'était quelqu'un d'extrêmement sérieux. Il aurait transformé ça en émission de propagande, non passionniste, mais c'était quelqu'un qui voulait le bien. Vous savez qu'il est... Vous comprenez mon tâche ? C'est un truc très intéressant dans sa biographie. C'est que les Allemands préservaient les élites. Le camp allemand, puisqu'il était d'Autriche-Hongrie.

  • Speaker #0

    Il était de Prague,

  • Speaker #1

    mais il s'exprimait en allemand. Et donc il ne pouvait pas partir se battre en 1914. C'est-à-dire que son chef de bureau refusait de le donner. C'est-à-dire qu'il a voulu faire la guerre de 1914, il n'a pas pu la faire. Après il est tombé malade. C'est bien une émission où on part dans les sables à chaque fois. C'est ce que bisez-vous ! On parle de Kafka et on laisse tomber.

  • Speaker #0

    C'est exactement ce que je disais sur vous. C'est quand on vous lit et puis ça part, ça part dans des directions.

  • Speaker #1

    On est souvent plus intéressants quand on parle des autres. Kafka, par exemple.

  • Speaker #0

    Non, mais vous êtes très intéressant quand vous parlez de votre mère. Simplement, je lis votre phrase, c'est dans le livre. Un des buts de ma vie d'écrivain fut de ne pas parler de maman. Et vous avez échoué à ne pas parler de votre mère.

  • Speaker #1

    J'ai échoué, peut-être pas complètement, parce que j'ai encore pas... complètement parler d'elle. Il y a des choses que... Je me suis beaucoup censuré. C'est un livre sur ma mère beaucoup censuré, qui est très censuré, qui était très compliqué à écrire pour arriver à la sauver. C'est-à-dire que moi, mon but, ça a été de la sauver, pas pour elle, mais pour moi. Parce que quand vous vous apercevez que votre mère s'en va, pas au sens où elle meurt, parce que ça, c'est la nature, surtout quand elle a 106 ans, c'est un peu naturel, on va dire, mais que votre mère vous a trahi.

  • Speaker #0

    Oui, alors vous découvrez pas mal de choses à titre posthume. En regardant ces affaires.

  • Speaker #1

    Voilà, je découvre une trahison. Et si vous voulez, quand vous découvrez que votre mère vous a trahi, vous dites, finalement, à chaque instant que j'avais cette mère auprès de moi, c'était un personnage malveillant.

  • Speaker #0

    Est-ce que, oui, elle aimait bien mentir, elle aimait bien mentir tout le temps.

  • Speaker #1

    Oui, mais il y a le mensonge et puis on a dit qu'on restait dans le mystère.

  • Speaker #0

    Il ne faut pas donner le... parce que ce n'est pas au début du livre, c'est vraiment à la fin du livre qu'on découvre... qu'est-ce qui était vrai et qu'est-ce qui était faux. Voilà,

  • Speaker #1

    je joue le jeu du suspense que je fais rarement, mais là, ça m'a beaucoup amusé parce que c'est des séries. Je ne dors jamais, donc je regarde des séries. C'est bien, je ne dors jamais. Claire Cassillon avait écrit un livre qui s'appelait « Ma mère ne meurt jamais » . Et moi, je ne dors jamais.

  • Speaker #0

    On peut dire quand même parmi les nombreux mensonges, il y en a un, c'est qu'elle vous annonce qu'elle a rencontré votre père en 42 et non pas en 52. Ça fait quand même une différence de 10 ans.

  • Speaker #1

    donc elle l'a rencontrée avant l'arrestation par la Gestapo tout ce qui est la guerre reste dans la possibilité de la fiction parce que j'ai tellement peu de renseignements sur la guerre j'ai tellement été obligé de la faire apparaître si vous voulez c'est un peu comme si vous savez au cinéma on a une phrase ça s'appelle le pitch moi pour la guerre j'ai le pitch j'ai une phrase et cette phrase c'est un un père arrêté par la Gestapo à partir de là Merci. je suis obligé d'être aussi dans l'imaginaire.

  • Speaker #0

    Oui, mais c'est ça qui est extraordinaire, c'est que ça soit tombé sur vous, qui êtes l'écrivain de l'imagination. Ça tombe sur vous, et du coup, vous êtes obligé de vous dire, si on l'a arrêté, c'est qu'il était résistant, donc il a été torturé, mais pourquoi est-ce qu'il a été relâché ? Il a été relâché parce que peut-être il a payé, ou parce que quelqu'un a payé.

  • Speaker #1

    C'était assez fréquent, paraît-il, m'a-t-on dit. Mais ce que je veux dire, c'est que Le problème, c'est que moi, quand j'ai écrit sur Papa, je voulais faire comme tout le monde. Quand on découvre quelque chose, on fait une enquête et on remonte. Et moi je me suis arrêté là parce qu'à partir du moment où il n'a pas apparemment été donné à la police française, les archives de la Gestapo ont été détruites. Et puis surtout c'était des voyous à Marseille. C'était 200 petits macros qui étaient salauds les 20 ans. Enfin, j'en ai eu ce d'homme. Donc c'est un mystère total. Ça c'est la partie mystérieuse qui m'importe peu, j'allais dire. Parce que finalement la guerre, moi je n'étais pas né. La partie qui me touche et qui me pulvérise, j'allais dire, c'est la partie... sur laquelle j'ai ce renseignement, donc je ne donnerai pas, qui fait que ma mère m'a menti depuis le début, et m'a quelque part fermé les portes de l'amour. C'est pas mal ça.

  • Speaker #0

    Ma mère m'a fermé les portes de l'amour. Non, parce que vous dites qu'elle vous aimait et que vous l'aimez aussi, mais en revanche, vous avez grandi sur un malentendu.

  • Speaker #1

    Exactement, on peut dire ça comme ça.

  • Speaker #0

    Mais ça fait de vous le romancier que vous êtes. Peut-être qu'elle a volontairement menti pour faire de vous un artiste.

  • Speaker #1

    Je peux vous faire un aveu ? Je m'en serais passé.

  • Speaker #0

    C'est vrai ? Vous n'êtes pas heureux comme écrivain ?

  • Speaker #1

    C'est pas ça. Je ne pense pas du tout que les malheureux fassent des artistes. Je pense que, je vais vous dire quelque chose qui va me pulvériser à nouveau, je pense que c'est le talent. Je vais vous dire pourquoi. Par exemple, moi j'aime bien dessiner mais je ne suis vraiment pas doué du tout. Donc je ne serai jamais dessinateur parce qu'on ne va pas travailler quelque chose pour lequel on n'aura pas de résultat. J'aimais bien chanter. J'ai enregistré dans le studio où on a enregistré The Wall, Miraval, mais je n'étais pas au niveau à l'époque. Et donc j'ai œuvré dans le domaine où j'avais un petit don, c'est-à-dire l'écriture. Et je ne crois pas que c'est d'être malheureux qui fait l'écriture.

  • Speaker #0

    Mais je n'ai pas dit malheureux, j'ai dit de vivre dans un mensonge, d'avoir entendu des mensonges.

  • Speaker #1

    Je ne savais pas. Je l'ai su à 65 ans. À 66, pardon. Je ne savais pas, c'est ça qui est fou, c'est que j'ai vécu dans le mensonge en croyant que c'était la vérité.

  • Speaker #0

    Mais le livre est quand même constamment ambigu et c'est ça qu'on aime chez vous. Par exemple, vous dites « il faudrait que je l'aime » , c'est une très belle phrase, écrite le lendemain de sa mort. Votre mère meurt et vous dites « il faudrait que je l'aime » . C'est souvent d'ailleurs ce qu'on ressent, de ne pas être assez triste. Mais là, vous ne saviez pas encore qu'elle vous avait trahi. Et pourtant, n'arrivez pas à être triste.

  • Speaker #1

    Si, il y avait quelques fissures qui s'étaient produites. Mais si vous voulez, si je n'avais pas eu ce document et les choses que j'ai pu découvrir à côté, vous êtes simplement dans la culpabilité. Vous dites, je ne suis pas assez aimant comme enfant. Beaucoup d'enfants doivent le ressentir. Et puis surtout, il y a le fait d'être enfant unique parce que vous êtes le seul à aimer. Vous êtes le seul à être aimé, mais le seul qui peut renvoyer un lien. Oui, ça fait une grosse pression parce que quand il y en a deux déjà... La pression est moins forte. Et puis, vous êtes deux, c'est une association entre un frère ou une sœur et un frère. On peut parler des parents. On connaît la même personne. La personne ne connaît la personne en tant que parent. Donc on est assez seul.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, vous ne vouliez pas venir au monde. Vous avez mis très longtemps. Bah oui, vous êtes né à 9 mois et 10 jours. Vous êtes resté dans son ventre le plus longtemps possible.

  • Speaker #1

    Bah vous voyez, c'est encore... Et en plus, j'arrivais par le siège, ce qui est la pire des choses.

  • Speaker #0

    Ah oui, la plus douloureuse.

  • Speaker #1

    J'ai été un instrument de torture pour ma mère.

  • Speaker #0

    Elle vous disait tout le temps qu'elle allait mourir quand vous étiez enfant, ce qui vous empêchait de dormir.

  • Speaker #1

    Je crois que là, partons de la cause de mes insomnies, je ne sais pas pour l'art, mais la cause des insomnies, oui. Je me suis rappelé quelque chose qui n'est pas dans le livre. Je me suis rappelé l'autre jour, c'est qu'elle me disait qu'elle écrivait des testaments pour sa mort, et l'usage qu'on ferait de moi après sa mort. Donc il fallait que quelqu'un m'adopte. Je ne sais pas pourquoi, parce que mon père n'était pas censé être mort, donc il aurait pu, moi, je ne comptais pas beaucoup. Mais surtout, elle me précisait bien, qu'elle mettait dans le testament, qu'elle ne voulait pas qu'on m'oblige à aller à son enterrement. Ça m'est revenu hier. Et ça, elle me l'a dit plusieurs fois. Et c'est drôle, parce que quand quelqu'un meurt, on ne va pas voir l'enterrement, donc on oblige d'abord leur gosse. Ça fait l'enfant vraiment mauvais qui ne veut pas aller à l'enterrement de sa mère. C'est quelque chose qui m'est revenu. et ça en revanche j'ai vu tout ce que Tout ce qu'on a pu me dire sur mes livres, pas reprochés, mais d'une certaine façon... Les livres sont particulièrement choquants,

  • Speaker #0

    enfin, provocants.

  • Speaker #1

    Non, mais sur la mort, sur le fait... Surtout mes premiers livres où je parle beaucoup de la mort et du fait de mourir, etc., c'est que j'ai été bercé par le cadavre. Parce que non seulement mes deux grands-mères sont mortes quand j'étais petit, mais en plus, c'est dans l'appartement où je vivais dans les deux cas. Mes deux grands-mères vivaient consécutivement dans l'appartement. Donc tout le carnaval des croque-morts avec la neige carbonique, les cercueils, quelque chose d'épouvantable. Finalement, c'est l'événement exotique qui est arrivé dans ma vie d'enfant. Parce que moi, il ne se passait rien de spécial autre que ça.

  • Speaker #0

    Mais vous dites que votre enfance était heureuse quand même.

  • Speaker #1

    Mais c'est une pétition de principe, Frédéric. Non,

  • Speaker #0

    parce que vous pourriez dire que j'avais une mère toxique qui était folle et qui était admisible.

  • Speaker #1

    Certainement pas. Parce que je vais vous dire pourquoi.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas grave de dire ça.

  • Speaker #1

    Si, c'est très grave. Parce que je ne supporte plus les enfants malheureux. Quand on voit les enfants exploser, je parlais d'explosion, c'est le mot du jour, quand on voit les enfants, même en France, qui ne sont nourris qu'une fois par jour par la cantine, je pense qu'il y en a absolument assez. C'est le syndrome vipère au point, qui est un scandale total, parce que ce Thervé Bazin, qui a exploité sa mère jusqu'à la fin, il y a même une photo dans Paris Match, où il est devant le lit de mort de sa mère, ce qui est quand même d'un bon goût extraordinaire, n'a pas eu une enfance si malheureuse que ça. Il a eu une enfance qui était très quelconque à l'époque. C'est une enfance de bourgeoisie paysanne de province, je ne sais pas comment dire. Ce n'est pas du tout une enfance... En fait,

  • Speaker #0

    c'est ça.

  • Speaker #1

    ...dénéreusement mauvaise. On dit qu'il n'était pas aimé par sa mère. Bon, déjà il y avait une fratrie, déjà il y avait tout un ensemble. C'est scandaleux. Vous savez ce que disait... Marcelo Mastroianni, on lui prête cette... Mais il me paraît que c'est dans l'Intervista, donc c'est vrai qu'il l'a dit. Il a dit qu'un acteur qui travaille n'a pas le droit de se plaindre. C'est-à-dire qu'un acteur qui vit de son travail, un écrivain qui vit de son écriture, ferme sa gueule. Il est heureux, il a eu une vie heureuse, il a eu une enfance heureuse, et il a sauvé tout le monde, sa mère y compris. Ma mère m'aurait battu, je la sauverais quand même. Elle m'aurait crevé un oeil, je la sauverais quand même. je suis là pour ça, on est là pour sauver les gens, on a le privilège d'être... D'être rémunéré, pas extraordinairement, mais de quoi, avoir vraiment de quoi, de pouvoir vivre de ce qu'on dit, c'est-à-dire que ces paroles aient une valeur et qu'on vous dise, c'est votre travail, c'est votre métier, on est là pour quand même, si vous voulez, il faut savoir se tenir un peu. C'est l'idée qui me vient. Oui,

  • Speaker #0

    mais je comprends, c'est vrai qu'il y en a trop de livres larmoyants et misérabilistes, et vous voulez échapper à ça, je comprends, mais en même temps... Vous dites aussi des choses qui sont... C'est vrai, c'est un peu comme un anti-livre de ma mère d'Albert Cohen, où il était très... Voilà, ça n'était qu'une déclaration d'amour. Là, c'est plus cruel, plus lucide, plus sincère, je ne sais pas. Compliqué, quoi.

  • Speaker #1

    C'est infiniment complexe. Mais si vous voulez, l'événement qui a sauvé ma mère et qui m'a sauvé moi, finalement, c'est la naissance de ma petite-fille. Voilà, parce qu'à partir de ce moment-là... Mais je me suis dit, mais ma petite fille, elle est là, ma mère, elle est là, elle est dans ma petite fille. Et tout le monde est là. On est tous là. Donc,

  • Speaker #0

    pas votre fille à vous, mais votre petite fille.

  • Speaker #1

    La fille de ma fille. Il vient de naître, voilà, Elisa. Et donc, je cite son nom d'ailleurs, et je vais contre tous mes principes. C'est dans l'impudeur, chez Rousseau, mais la plus terrible. Mais c'est là où je me suis dit, mais finalement, ma mère, il faut vraiment la sauver. pourquoi ? Alors je vais dire à cette petite fille, ton arrière-grand-mère, elle était pas... Non, mais ton arrière-grand-mère, elle était formidable. C'est à moi, l'affaire formidable. C'est moi qu'il n'est pas comprise. Finalement, l'histoire d'un fils et d'une mère, quand le fils a passé la barrière des âges, c'est une affaire entre adultes. C'est deux adultes. C'est deux adultes. Alors j'arriverai peut-être pas à son âge, c'est probable, mais parfois on dépasse l'âge de ses parents. Je vais bientôt dépasser l'âge de mon père. Donc c'est deux adultes. Il faut... Si vous voulez, le bonheur c'est très artificiel. Si vous ne l'inventez pas, vous avez la joie, le sentiment, par exemple, quand vous deviendrez grand-père, vous avez beaucoup de chance de devenir plus que moi, puisque vous avez trois enfants. Quand vous deviendrez grand-père, vous verrez que vous avez quelque chose d'extraordinaire, le moment d'adrénaline quand vous êtes grand-père. Vous l'avez quand vous êtes père, mais quand vous êtes grand-père, c'est encore quelque chose de différent. Mais après, le bonheur, il faut le... Il faut le construire, surtout quand vous êtes grand-père, vous vous apercevez que vous avez une responsabilité tout d'un coup. D'ailleurs,

  • Speaker #0

    vous avez là un physique maintenant de patriarche. On voit le patriarche.

  • Speaker #1

    Voilà.

  • Speaker #0

    Vous n'êtes plus le jeune écrivain scandaleux. C'est fini. C'est fini tout ça. C'est terminé. Non, non, mais ça m'intéresse cette culpabilité que vous avez sans cesse. Je lis des extraits du livre. Une fois leur mère morte, les enfants l'inventent. Plus loin, vous dites, lui dire je t'aime m'aurait soulevé le cœur, comme si j'avais été contraint sous la menace d'un revolver de l'embrasser sur la bouche. Donc ça vous choque de dire je t'aime, d'ailleurs aujourd'hui tous les enfants disent je t'aime à leurs parents, les parents disent je t'aime toute la journée, c'est un peu sirupeux. Mais je ne sais pas, oui vous l'avez dit, c'est de la pudeur qui vous empêche.

  • Speaker #1

    Je ne crois pas du tout, non, c'était que je n'avais pas envie de lui dire je t'aime. Et si vous voulez, là c'est quelque chose de plus profond qui vient beaucoup plus tard, c'est quelque chose de plus...

  • Speaker #0

    C'est finalement ce livre, ça a été difficile de l'écrire, pas tellement sur un plan littéraire, mais sur un plan humain. C'est difficile d'en parler sur un plan humain et sur un plan littéraire, parce qu'en même temps, je parle et je vois que je ne peux pas parler du livre, pas parce que je ne veux pas, mais parce que c'est un livre qui est très complexe. Très riche, oui,

  • Speaker #1

    je suis d'accord. Moi, je vous aide en lisant des extraits. Oui,

  • Speaker #0

    heureusement.

  • Speaker #1

    Il est temps pour moi de sortir une deuxième fois de cette mer. Mais c'est des phrases qui sont... Extraordinaire, moi j'adore ça. Parce qu'il y a beaucoup beaucoup de livres sur la mer, mais personne n'a jamais dit il est temps pour moi de sortir une deuxième fois.

  • Speaker #0

    Oui mais c'est vrai, c'est exact.

  • Speaker #1

    Mais c'est sublime. En fait, ce livre c'est une deuxième naissance.

  • Speaker #0

    J'aurais pas cet optimisme extraordinaire. Mais disons non, moi je suis dans une période où c'est la période où on va mourir, si vous voulez. C'est une période, alors ça peut s'étendre, ça peut durer six mois, ça peut durer dix ans, ça peut durer quarante ans. Mais c'est la période où vous dites, vous êtes à la fin. Vous êtes à la fin finale. Les deux parents sont morts. Là, on est dans la dégringolade. Et c'est une sorte d'exaltation. Vous savez, c'est comme si vous arriviez, j'imagine, le Tour de France et que ce soit une descente. Vous arrivez, vous arrivez, vous arrivez de plus en plus vite. Vous allez emporter la ligne d'arrivée. Moi,

  • Speaker #1

    je trouve que vous êtes en pleine forme.

  • Speaker #0

    Mais oui, mais c'est justement. On ne va pas mourir non plus malade. Écoutez, ma mère était très intellectuellement, en tout cas, très à l'aise. Jusqu'au bout. Vous auriez pu l'interviewer, oui, il y a quelques années, d'ailleurs, on aurait pu le faire.

  • Speaker #1

    Ça aurait été une bonne idée.

  • Speaker #0

    Non, donc c'est l'exaltation. Je pense qu'il y a un moment où on termine sa vie, où ça peut être une longue fin ou une courte fin, mais on a cette sensation d'être dans la dernière période de sa vie. Il y a une sorte d'exaltation et surtout de volonté de ne pas se laisser embarrasser par les détails. Et que ma mère m'ait trahi, ça devient un détail. C'est un détail parce que vous êtes entre la vie et le néant. Tout est bien. Tout est bien, il n'y a que des bons moments, il n'y a que des gens extraordinaires, puisqu'ils existent. C'est quand même mieux quelqu'un de désagréable qui existe que quelque chose qui n'existe pas, que rien du tout.

  • Speaker #1

    C'est ce que disait Amélie Nothomb dans notre émission la semaine dernière.

  • Speaker #0

    Et je l'ai croisée d'ailleurs. Oui, oui.

  • Speaker #1

    La semaine dernière, elle disait... Oui, vous l'avez croisée la semaine dernière. Chez la Pérouse. Et son livre s'appelle « Tant mieux » . Et elle dit au fond, tout ce qui nous arrive, de bien, de mal, tant mieux. C'est un peu la même chose, vous dites ça, vous dites même quelqu'un qui vous a fait souffrir, ou quelqu'un qui ne vous a pas dit je t'aime, tant mieux, ça a existé, et puis voilà.

  • Speaker #0

    Mais oui, parce qu'on est devant ce qui ne va plus exister, et quand vous avez la sensation de savoir ce que c'est que... Quand vous ne serez plus là, c'est très facile, c'est très très terrible. Vous voyez ici et vous vous retranchez. C'est-à-dire que vous apercevez que rien ne manquera. Vous n'avez pas manqué avant, vous ne manquerez pas après. Donc il faut s'habituer à ne plus exister. Et donc là, moi, je suis dans la phase où on s'habitue peu à peu à ne plus exister. Et finalement, tout doit être bonheur. Et surtout, il faut tout remettre en place. Il faut remettre son passé en place pour le laisser aux autres. Moi, je ne vais pas laisser The Mess. le bordel, tout ce que vous voulez, à ma descendance. Non, voilà, je leur donne, ma mère, je leur donne au sens de là, je remets de l'ordre, je range ma chambre. Page 44. Je m'en vais, je range ma chambre.

  • Speaker #1

    Page 44. Heureusement que j'existe encore pour m'en souvenir. C'est très beau. Moi, j'ai pleuré plusieurs fois. J'ai pleuré au moment des baisers Eskimo sur, vous savez, les baisers avec le nez. qu'elle vous faisait, elle vous embrassait aussi, vous en parlez pas mais moi je vous le dis, il y avait aussi les bisous papillons. Vous vous rappelez des bisous papillons ? C'est avec les paupières. Vous ne faisiez pas les bisous papillons ? Non, je n'ai pas fait. Mais enfin, les baisers esquimaux, ça m'a fait pleurer.

  • Speaker #0

    Vous l'avez fait aussi ?

  • Speaker #1

    Oui, je transmets. Ah oui, j'ai transmis aux enfants, oui.

  • Speaker #0

    Vos parents vous ont fait les baisers papillons ? Non,

  • Speaker #1

    pas mes parents, ma mère.

  • Speaker #0

    Votre mère ? Oui, mon père non plus.

  • Speaker #1

    Alors, vous revenez parfois à Marseille ? Parce que ça se passe à Marseille,

  • Speaker #0

    c'est important. Je reviens à Marseille quand ma mère y était, je ne reviens plus beaucoup à Marseille. Non ?

  • Speaker #1

    Vous dites que c'était une ville morne. Votre enfance était morne ?

  • Speaker #0

    Mais non, je dis que c'est lumineux aussi.

  • Speaker #1

    Ah ben, mordre et lumineux,

  • Speaker #0

    ça va. Ben non, mais c'est-à-dire que, si vous voulez, moi, je vois aussi quelque chose dans le souvenir. On a tendance à se souvenir des mauvais moments. Oui, ça dépend. Ça dépend, voilà.

  • Speaker #1

    Non, mais vous dites par exemple, alors, est-ce que c'est vrai, est-ce que c'est faux, que De Gaulle est venu rendre visite à votre père en 1967 ?

  • Speaker #0

    Et ça, je ne saurais jamais, parce que c'est complètement invraisemblable. Mais comment ? D'où tu... Je ne le tiens de rien du tout, mais comme... Je le tenais dans ma tête, je ne sais pas pourquoi, mais comme des événements, par exemple, vous donnez un truc assez échéant, les voisins avaient un chien et j'avais même le nom du chien et les voisins n'ont jamais eu de chien. Donc c'est un peu le même genre d'événement que j'avais dans ma tête. Oui,

  • Speaker #1

    en fait, on n'arrive plus à savoir où est le vrai et le faux et ce n'est pas grave.

  • Speaker #0

    Parce que j'avais dit à ma mère, les voisins à la campagne avaient un chien, il s'appelait Bobby d'ailleurs. Et ma mère, elle m'en demandait à mon père, elle dit non, ils n'ont jamais eu de chien. Et donc c'est un peu la même chose, mais comme j'ai vu mon père arrêté par la guesse à peau, je me dis peut-être que c'est vrai. Et si vous voulez, il y a toute une partie des choses dans ce livre dont je ne saurais jamais si elles étaient vraies ou fausses.

  • Speaker #1

    Bon, je vais vous faire un sale coup, je vous demandais de lire ce que j'ai encadré avec vos lunettes, sans pleurer. Il faut arriver à lire ce paragraphe sans pleurer, bonne chance.

  • Speaker #0

    Je ne pleure pas moi. Oh, je continuerai à avancer, à causer, à écrire, mais je ne serai plus vraiment en vie. Un fœtus dont le cordon sec ressemblerait à une laisse abandonnée par le propriétaire d'un clébard.

  • Speaker #1

    Bon, merci beaucoup. On va passer au « Je devine tes citations » . Alors là, je vous lis des phrases de vous, tirées de tous vos livres. Et vous devez me dire dans quel livre vous avez écrit ceci. Et il y en a 30, alors bonne chance. C'est un test de mémoire. Flaubert s'en fout bien de ton livre.

  • Speaker #0

    C'est dans le dernier,

  • Speaker #1

    Maman. Oui, c'est dans Maman, 2025. Elle a vraiment dit ça ? Est-ce que c'était à propos du dictionnaire amoureux sur Flaubert que vous avez ?

  • Speaker #0

    Non, d'ailleurs je pense qu'elle n'aurait pas pu le dire. Elle n'aurait pas pu le dire parce que ça l'aurait bien embêté que Flaubert se foute de mon livre. Elle aurait voulu vraiment qu'il s'en importe beaucoup.

  • Speaker #1

    Une autre phrase. Les femmes sont grosses de l'avenir du monde.

  • Speaker #0

    C'est dans le ventre de Clara,

  • Speaker #1

    bravo 2024. Vous êtes bon. C'était le livre sur la mer d'Adolf Hitler. Parce qu'avant d'écrire sur votre mer, c'est assez freudien. Vous avez écrit sur la mer d'Hitler. Est-ce que vous vouliez écrire deux livres sur des mers de suite, ou c'est un hasard ?

  • Speaker #0

    Je jure que c'est un hasard. Maintenant, la mer d'Hitler à l'état de mer est une mer. C'est pas différente de ma mère. L'enfant, oui.

  • Speaker #1

    Toutes les familles sont des asiles de fous.

  • Speaker #0

    Asiles de fous.

  • Speaker #1

    Oui. Prix Fémina 2005, il y a 20 ans. Pourquoi dites-vous ça, que toutes les familles sont des asiles de fous ?

  • Speaker #0

    Parce que c'est la vérité quand on en parle aux autres. C'est-à-dire que les autres, quand ils nous parlent des familles, il y a toujours, ou alors on donne un nom à un oncle, etc. Par exemple, pour parler de moi, mon fils se fait appeler Oncle Chat. Par ma petite fille,

  • Speaker #1

    ça va être un peu asile de fou. Nous sommes des univers passagers dans l'univers qui s'éternise.

  • Speaker #0

    C'est aussi l'univers-univers.

  • Speaker #1

    Univers-univers, pris décembre 2003. C'est là où il y a la femme qui fait cuire un gilot.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait.

  • Speaker #1

    Je me suis trompé, je l'ai attribué à Clémence Picot tout à l'heure. Vous êtes pardonnable. Non, mais en tant qu'exégète, je ne veux pas dire n'importe quoi. C'était un projet à la Pérec un peu. d'épuisement du réel, univers-univers, c'est-à-dire tout l'univers qui tourne autour de cette femme dans son appart qui fait cuire un gigot.

  • Speaker #0

    Non, mais par contre, et en revanche, j'avais adoré La vie mode d'emploi de Pérec. C'est un des livres que j'ai beaucoup aimé.

  • Speaker #1

    Bon, alors finalement, il y a peut-être un...

  • Speaker #0

    Peut-être qu'il y a quelque chose.

  • Speaker #1

    On a l'impression aussi que vous étiez, à l'époque, vous avez l'ambition d'être un romancier d'avant-garde. Et puis maintenant, vous écrivez ce que vous...

  • Speaker #0

    pouvez vous écrivez pas du tout c'est non non j'ai essayé d'être le plus conforme possible parce que je vais vous dire pourquoi parce que les éditeurs refusait tous mes livres donc moi j'essayais au contraire j'avais l'impression de me couler dans un monde très très classique j'étais très surpris de la réaction des noms la critique les critiques et j'ai essayé d'être tout sauf de l'avant-garde à chaque fois j'étais très étonné parce qu'on a une époque aussi c'était très conformiste le roman français. Oui, oui. Dans les années 70. Jusqu'à Wellbeck, on a commencé à avoir une bouffée éditoriale de fraîcheur au moment où on a commencé à publier l'extension du domaine de la lutte, où il y a eu quand même de la presse qui a commencé à s'y intéresser. Et là, ça a été toute une nouvelle génération de critiques, je dirais.

  • Speaker #1

    Et vous, vous êtes arrivé cinq ans plus tard. Non,

  • Speaker #0

    un peu. Un peu avant. Oui, enfin, peu avant. Mais ça a été cette ouverture. C'est-à-dire qu'il y a toute une génération qui est partie des critiques littéraires, qui ont disparu. Je crois que c'était surtout ça qui maintenait une vieille littérature. Et là, maintenant, qu'est-ce qui va arriver ? C'est nous qui allons...

  • Speaker #1

    Alors, chose... Oui, nous, on va dégager. Une autre phrase. Alors là, c'est très intéressant. Je cache, parce que... Elle est prémonitoire, cette phrase. Maman me reprochait parfois d'être fille unique. C'est Clémence Picot. Non, Clémence Picot, 99. Vous voyez, 99. Il y a 26 ans, déjà, c'est une fille unique. Comme vous, vous êtes fils unique. Et je ne sais pas, j'ai eu l'impression que déjà, il y a 26 ans, vous aviez tenté d'écrire une autobiographie malgré vous et sans le savoir.

  • Speaker #0

    Non, je savais qu'il y avait beaucoup d'éléments autobiographiques dans cette histoire, mais pas forcément de mon histoire à moi, mais d'une biographie...

  • Speaker #1

    D'une autobiographie de quelqu'un d'autre.

  • Speaker #0

    De quelqu'un d'autre, oui. Vous y remarquez, ce n'est plus une autobiographie, oui. Vous avez raison, vous avez raison.

  • Speaker #1

    Si vous arrivez à suivre,

  • Speaker #0

    bonne chance.

  • Speaker #1

    C'est normal, parce que c'est Régis Geoffray.

  • Speaker #0

    Mais l'autobiographie de quelqu'un d'autre, c'est pas mal.

  • Speaker #1

    Mais c'est très bien.

  • Speaker #0

    Oui, c'est très bien.

  • Speaker #1

    On passe au questionnaire de VecBD, puisque j'essaie de rivaliser avec Proust. et de faire des questions que j'ai inventées et vous répondez rapidement. Pourquoi un jeune devrait lire votre livre au lieu de scroller sur TikTok ?

  • Speaker #0

    Oui, moi je suis toujours sur TikTok, je ne lis pas les livres que les gens écrivent.

  • Speaker #1

    Que savez-vous faire que ne sait pas faire Tchad GPT ?

  • Speaker #0

    Justement, je sais parler de ma mère. Parce que quand c'est quelque chose d'extrêmement sensible, il ne peut pas savoir encore ce que je vais dire. Mais sur Chad Gepetti, il y aurait beaucoup à dire.

  • Speaker #1

    Chad Gepetti n'a pas de mère, à part Sam Altman.

  • Speaker #0

    Non, disons que la seule chose que j'ai, moi, Chad Gepetti ne me gêne pas du tout, les liens ne me gênent pas du tout. Non, c'est que j'ai écrit un X, c'est pas un truc mémorable dans lequel j'ai tout dit, je pense. C'est que Chad Gepetti ou un autre peut écrire des fictions à ma place. Moi j'écris juste un petit peu mieux mais ça va pas durer, je pense que le 5 fait mieux que moi. Mais je ne vois pas pourquoi j'enverrais un robot faire l'amour à ma place. Surtout à mon âge, c'est vraiment quand même à ne pas...

  • Speaker #1

    Vous n'avez jamais eu peur, en l'écrivant, que votre livre ne serve à rien ?

  • Speaker #0

    Je n'ai pas du tout l'impression que les livres puissent servir à quelque chose, d'autres qu'à les lire. Vous savez, on est un peu dans la propagande du livre, je pense. Or ce qui est intéressant c'est que l'art c'est quelque chose de fier. L'art il accueille tout le monde mais c'est à vous à faire la démarche. Donc les musées sont ouverts mais moi je ne suis pas des écrivains qui va dire voilà il faut que vous lisiez mon livre. Je pense qu'il y a tellement de livres extraordinaires à lire dans cette rentrée et d'une façon générale que ce n'est pas utile de me lire précisément si quelqu'un a une affinité avec ce livre. qu'ils le lisent, mais je ne suis pas là, on n'est pas là pour faire de la propagande. On est là dans la jouissance absolue. L'écriture, c'est ça, c'est le plaisir. C'est une des choses de la vie les plus importantes dans la vie, c'est l'art parce que ça donne de la joie. Pas parce que c'est quelque chose d'utile.

  • Speaker #1

    Parce que non, oui, ça ne sert à rien, et c'est pour ça que c'est intéressant. Ça ne sert à rien.

  • Speaker #0

    Je ne sais pas si ça sert à rien. Je ne me pose pas ces questions.

  • Speaker #1

    Pensez-vous qu'un écrivain doit être gentil ?

  • Speaker #0

    Non, mais je suis adorable.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans le fait d'être un écrivain ? La solitude, la pauvreté ou la folie ?

  • Speaker #0

    Oh là ! La solitude, je ne sais pas si ça me plaît, mais c'est un peu inhérent parce qu'on a au moins l'obligation d'être seul une partie de la journée. Et c'est très bien d'ailleurs, cette solitude d'une partie de la journée est très bien, très intéressante, de ne pas être seul tout le temps.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous avez déjà écrit en état d'ivresse ?

  • Speaker #0

    Quand j'étais tout petit, j'avais essayé, alors j'étais pas très riche à l'époque, j'avais 17 ans, j'avais acheté une bouteille de champagne pour essayer d'écrire en buvant du champagne pour voir si j'écrivais mieux. Ça avait marché un peu mieux, mais après j'avais déchiré quand même les pages.

  • Speaker #1

    Fantasmez-vous sur J.D. Salinger qui n'a jamais donné une interview de sa vie ?

  • Speaker #0

    Oui, beaucoup. Oui, ça, je me dis que... Mais il a pu se le permettre parce qu'il a eu une gloire immédiate.

  • Speaker #1

    Immédiate.

  • Speaker #0

    Voilà. C'est-à-dire que nous...

  • Speaker #1

    Bon, on est des galériens.

  • Speaker #0

    On aurait dit, on ne veut pas donner d'interview, on ne s'en aurait peut-être pas demandé.

  • Speaker #1

    Un roman doit-il réparer le monde ?

  • Speaker #0

    Non.

  • Speaker #1

    Quel est votre chef-d'oeuvre ?

  • Speaker #0

    Mon chef-d'oeuvre ? Moi je ne sais pas si c'est un chef-d'oeuvre, mais c'est le livre... Si vous voulez, le bonheur pour moi c'est d'écrire micro-fiction.

  • Speaker #1

    Vous avez inventé un genre, quoi. La nouvelle de deux pages, avec un petit dialogue au milieu.

  • Speaker #0

    Je ne pense pas, je pense que simplement j'en ai fait beaucoup, donc maintenant on vient vers moi quand on pense à ce truc. Mais moi le bonheur pour moi, voilà, le bonheur moi c'est d'écrire micro-fiction, c'est d'écrire une micro-fiction par jour. Voilà, moi c'est le bonheur de la vie pour moi, c'est ça. Et je regrette de ne pas l'avoir découvert quand j'avais

  • Speaker #1

    17 ans. Mais c'est normal de mettre du temps à trouver sa voix et sa forme. Êtes-vous un ouin-ouin ? Vous avez déjà répondu qu'absolument pas. Les ouin-ouins, si vous voulez, c'est les hommes qui se plaignent. Moi, à chaque fois que j'écris un livre, on me traite de ouin-ouin, parce que je me lamente. Voilà, je m'autocritique,

  • Speaker #0

    je m'autocritique. Oui, mais toi tu sais que ça va t'apporter que des ennuis de le faire. On en a un peu, ces discours en toi. On coupe ? Non, non, mais il veut tout le temps couper.

  • Speaker #1

    Il veut tout le temps couper. Le but de la littérature n'est-il pas de mentir sans se faire prendre ?

  • Speaker #0

    Voilà, c'est compliqué l'autrice. Non, je pense pas, non, non. Mais moi j'ai pas l'impression que... Franchement, alors... J'ai pas l'impression que la littérature, on ment, on tue, on fasse quoi que ce soit. Je pense que c'est quelque chose, c'est un domaine dans lequel on vous fout la paix, bon à moins de parler de, je parle pas de Strauss-Kahn, c'est très particulier, mais autrement vous pouvez vraiment écrire tout ce que vous voulez. Non seulement on vous laisse la liberté, mais tout le monde s'en fout complètement. Mais il faut quand même voir, il n'y a aucun risque à écrire, on ne risque pas sa vie dans les pays où nous vivons. Moi j'ai pas risqué ma vie, j'ai été condamné dans un procès. Je suis toujours vivant. On s'en remet d'avoir une oeuvre mutilée, j'en suis la preuve. Franchement, non, il n'y a pas de danger à écrire. On peut dire à tous les gens, les gens les plus lâches qui nous écoutent. Soyez écrivains. Peuvent devenir écrivains. Peuvent le faire.

  • Speaker #1

    Excellent. Qui est le meilleur écrivain français vivant ?

  • Speaker #0

    Le meilleur écrivain français vivant ? Alors, la réponse que vous attendez...

  • Speaker #1

    J'attends pas de réponse.

  • Speaker #0

    Attendez. Alors, je n'ai pas... Parce que je pense que c'est moi, évidemment. Bah,

  • Speaker #1

    dites-le. Dites-le. Personne n'a osé. J'ai commencé ce questionnaire la semaine dernière, personne n'a osé.

  • Speaker #0

    Personne n'a osé ?

  • Speaker #1

    Pour l'instant, j'ai eu Camélie Nothomb dans l'émission. Elle n'a pas osé ? Elle a cité un écrivain belge.

  • Speaker #0

    Oui. Mais... Ben c'est pas cassé quoi.

  • Speaker #1

    Ben dites-le.

  • Speaker #0

    Non, honnêtement, moi je ne vais pas dire moi parce que...

  • Speaker #1

    Moi je pense que vous êtes dans les dix.

  • Speaker #0

    Mais moi j'aurais dit dans les deux.

  • Speaker #1

    Et l'autre, c'est qui ?

  • Speaker #0

    Non, non, c'est pas ça. C'est que, franchement, pour parler des grands écrivains français, ou le plus grand écrivain français actuel qui est le plus considéré, c'est Houellebecq. Je trouve que c'est un grand écrivain. J'ai eu tout à fait de respect pour beaucoup de choses qu'il a écrites. Carrère, pour penser à ceux à qui on pensait, c'est la même chose. J'ai eu de grands respects pour Quignard. Maudiano est pris Nobel, mais à part ça, je ne suis pas délirant sur Maudiano. Mais Pascal Quignard, il y a Michon pour lequel j'ai beaucoup de respect, donc on va arriver à plus de 10. Donc, si vous voulez, j'ai la fâche à l'habitude de prendre la perche. Et même quand il n'y a pas la perche, je veux dire, allez, il y a une connerie à faire, je vais la faire. Mais honnêtement, il y a aussi un problème qui se pose, c'est que... Moi, ce que je pense, parce que quand on regarde l'histoire qui est beaucoup plus rieuse, et que là, j'en emploie des adjectifs, l'histoire est beaucoup plus rieuse, je me demande si les grands écrivains de demain ne seront pas dans ces catégories, dans les noms qu'on a cités. Je me le demande, parce que je pense que les grandes œuvres actuellement, ce ne sont pas forcément des œuvres qui ont leur place dans le commercial, dans le commerce, ou même dans l'édition traditionnelle. Donc je ne suis pas certain du tout que ce soit parmi ces...

  • Speaker #1

    Le plus grand écrivain du monde, c'est un auteur de manga ou un auteur...

  • Speaker #0

    Non, même un auteur de roman, mais qu'on ne voit pas passer. Qu'on ne voit pas passer, parce qu'on est tout le temps en train de s'auto-congratuler, si vous voulez, et c'est à peu près le même cercle. Je m'aperçois que c'est à peu près le même cercle, et peut-être que ça ne se passera pas là, si ça se passe quelque part, parce que de toute façon, d'abord c'est assez dérisoire de pas... On est quand même assez illuminés. On parle de choses où on ne sera plus là, donc ça n'a aucun intérêt. C'est une question qui est passionnante, mais on va s'arrêter là.

  • Speaker #1

    Bon, la phrase de vous dont vous êtes le plus fier ?

  • Speaker #0

    La phrase de moi dont je suis le plus fier ? Une que j'ai dite tout à l'heure.

  • Speaker #1

    Nous sommes des univers passagers dans l'univers.

  • Speaker #0

    Non, une que j'ai inventée dans l'émission. Non, je ne sais pas, je ne suis pas très fier. Je ne suis pas très fier, au contraire, j'ai même un problème, c'est que quand je vais sortir de ce studio, de la Pérouse, je vais vous appeler en disant « tu pourras couper ça » . J'ai toujours l'impression d'avoir dit que des choses que j'aurais mieux fait de ne pas dire.

  • Speaker #1

    La question Fahrenheit 451, si les livres étaient interdits, quels livres seriez-vous prêts à apprendre par cœur pour le sauver ?

  • Speaker #0

    Non, franchement, non.

  • Speaker #1

    Même pas les illuminations ? Non,

  • Speaker #0

    je n'apprendrai rien par cœur. Non, je suis fatigué. Trouver des jeunes gens, non, franchement, les temps qui me restent, ça va prendre par cœur. Merci.

  • Speaker #1

    Quel est le livre qui vous a sauvé la vie ?

  • Speaker #0

    Le livre, alors, sauver la vie, vous savez, c'est pareil, je serai un peu plus modéré. Non, un livre que j'ai adoré, c'est Mille Plateaux de Loseguatari. Un livre dont j'aurais beaucoup de mal à parler parce que justement c'est très difficile à comprendre et je ne l'ai pas complètement compris. Et justement c'est ça ce qui est extrêmement intéressant dans le livre de Guattari et de Deleuze. C'est cette philosophie d'ailleurs qu'on n'est pas sûr de tout comprendre. Par exemple le devenir animal est quelque chose qui me fascine et je serais bien incapable de vous expliquer.

  • Speaker #1

    Quel est votre âge mental ?

  • Speaker #0

    Alors mon âge mental, alors il ne faut pas faire comme Lacan qui avait dit 5 ans, je ne sais pas du tout, mais mon âge mental c'est 70 ans et ça n'est pas drôle Frédéric, et ça n'est pas drôle.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Régis Geoffray d'être venu dans cette émission, j'ordonne à tous les gens qui nous ont écouté de lire Maman aux éditions Récamier. Abonnez-vous à notre chaîne YouTube, Conversation chez la Pérouse. Voilà, merci et respect infini à Régis Joffray et à sa folie. Et puis, vous allez être très fâchés, parce que je vais dire quelque chose avec lequel vous n'êtes pas du tout d'accord, mais je le dis à chaque émission, n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous allez devenir idiots.

  • Speaker #0

    Mais je suis d'accord avec vous. Ah bon ?

Description

Cette conversation avec un des plus grands écrivains français est exceptionnelle car elle montre à quel point Régis Jauffret se ressemble. Son écriture délire autant que lui ! Quand il parle, il se laisse entraîner dans des directions inattendues, comme dans ses 30 livres. C'est ainsi qu'on reconnaît les vrais : ils sont identiques à leur style.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Et cette semaine, notre sponsor est la vocation de Chloé Safi, au ChercheMidi éditeur. C'est l'histoire d'un esclavage consenti. Salomé, embauchée comme secrétaire par un banquier, devient progressivement sa chose. Elle renonce à sa vie, ses amis, son prénom, sa liberté, et devient sa domestique dans des tenues sexy. Elle subit des châtiments corporels et même des opérations de chirurgie esthétique. Le livre est présenté comme un témoignage authentique, mais c'est peut-être une fiction sadomaso, comme histoire d'eau. Vous qui êtes l'auteur de Clostria sur l'affaire Joseph Fritzl, je rappelle qu'il avait séquestré sa fille pendant 24 ans dans une cave. Qu'est-ce que vous pensez d'une telle histoire ? Une femme volontairement séquestrée et esclave pendant 7 ans.

  • Speaker #1

    Je pense qu'on est dans un autre univers parce que là, il avait séquestré sa fille, c'était un viol et c'était l'horreur absolue pendant 24 années. Là, on est dans une histoire classique, elle s'aime, on ne saura pas si elle était vraie ou pas. Franchement, ce n'est pas tellement grave de le savoir. Ce qu'on espère, c'est qu'elle était volontaire, soit dans la fiction, soit surtout dans la réalité.

  • Speaker #0

    Voilà, oui, très très bien dit. Je vous l'offre parce que c'est un des chocs de cette rentrée.

  • Speaker #1

    Et je vous le rends.

  • Speaker #0

    Ah bon ? Pourquoi ? Vous ne lisez vraiment pas vos contemporains ?

  • Speaker #1

    Je lis très peu, mais est-ce que vous l'avez lu ?

  • Speaker #0

    Oui, moi j'ai lu, j'ai trouvé ça assez troublant.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Oui, et bien écrit.

  • Speaker #1

    Bon,

  • Speaker #0

    allez, je le prends. Vous voyez, je vous ai convaincu. Régis Geoffray, donc, bonsoir. Vous avez publié Papa en 2020 et Maman en 2025. Les gens vont croire que vous faites, comme beaucoup d'autres, dont moi, écrire sur ces parents. Alors, qu'est-ce qui se passe en ce moment ? Pourquoi est-ce qu'il y a beaucoup de livres sur les parents ? Est-ce que vous avez une théorie là-dessus ?

  • Speaker #1

    Non, je pense qu'il y en a toujours eu. Ce qui me concerne, moi j'ai deux parents, donc il y a eu mon père, mais j'avais quand même plus de 60 ans quand je l'ai écrit, j'avais 64 ans je crois, et là c'est ma mère, donc j'ai 70 ans, et donc on va espérer que je ne vive pas trop vieux, parce qu'après je ne sais pas qui je vais trouver, les grands-parents. Mais ça va à l'encontre de mes idées d'écrire sur ces parents. Je sais. Je n'ai jamais voulu écrire sur moi, sur mes parents. sur personne et là j'ai été presque obligé de le faire et puis j'ai compris pourquoi je voulais pas aussi.

  • Speaker #0

    Oui, oui. Alors votre oeuvre, Régis Geoffray, est immense, tentaculaire, vaste, ambitieuse. J'avais parlé de vous dans mon dictionnaire des écrivains vivants. Je vais prendre la notice qui vous concerne. Pardon, c'était pas prévu, donc évidemment c'est mal fait.

  • Speaker #1

    C'est parce que vous avez écrit mieux sur moi.

  • Speaker #0

    Ah c'est vrai ?

  • Speaker #1

    Vous avez pas écrit ? Ah bon ? C'est intéressant, mais je trouve que vous avez écrit beaucoup mieux. Oui, j'ai écrit beaucoup. C'est un genre... littéraire pour vous presque. Écrire sur régie sur frère.

  • Speaker #0

    C'est vrai, j'ai beaucoup écrit d'articles sur vous parce que je suis un fan.

  • Speaker #1

    Je ne suis pas très correct de dire ça. Non,

  • Speaker #0

    non, mais pas du tout.

  • Speaker #1

    Je retire tout. Pas du tout.

  • Speaker #0

    Vous comprenez mon texte. J'évoquais les trois tomes des 500 micro-fictions en 2007, 2018 et 2022. Vous préparez d'ailleurs un quatrième tome, je l'ai appris dans ma main. Il est écrit. Voilà, avec 500 micro-fictions de plus, ce qui nous porte à un total de 2000. Vos grands romans des débuts sont Clémence Picot en 1999 et Univers, Univers, qui avait obtenu le prix Décembre en 2003. C'était des tentatives d'épuisement de l'imaginaire, en fait. Clémence Picot, elle essaye de faire cuire un gigot d'agneau et elle imagine tout ce qui pourrait lui arriver. Qu'est-ce qui vous a conduit à cette exploration du conditionnel dans vos débuts ?

  • Speaker #1

    Je crois que c'était un peu l'état naturel parce que j'essayais de... En fait, quand on écrit, moi, quand j'ai commencé à écrire, je ne savais pas quoi écrire. Alors j'avais une imaginaire terrible, importante, mais justement un peu trop... J'aurais voulu écrire sur quelque chose qui a un rapport avec le réel. Parce que mon premier livre, c'était sur l'histoire d'une vieille dame qui se réincarnait. Mais c'était extravagant. J'ai toujours essayé d'être dans la réalité. Et finalement le conditionnel ça me permettait de raconter le réel en racontant justement de façon imaginaire. Ce qui aurait pu arriver. Voilà parce que raconter la réalité, je me suis toujours dit qu'on la recopiait ce qui est faux parce que j'ai essayé de... comme si c'était un peintre mais justement un peintre qui recopie la réalité c'est l'hyperréalisme c'est toute la difficulté de la chose et je crois qu'au départ enfin je l'ai toujours, surtout quand j'étais gosse, je le photographiais et j'avais cette... Je ne savais pas quoi photographier. J'aimais photographier, j'aimais développer. C'est un truc que plus personne ne connaît. Mais l'image qui apparaît dans le laboratoire, etc.

  • Speaker #0

    Il y a une magie. Mais il y a la même magie quand vous écrivez.

  • Speaker #1

    C'est le même phénomène quand on écrit. Il y a un révélateur.

  • Speaker #0

    Et quand vous écrivez, souvent, on vous suit, on suit votre pensée. On se dit, tiens, il est en train de bifurquer, d'improviser. Et vous n'écrivez pas la phrase qui était prévue. Vous adorez ça, finalement, vous commencez une phrase sans savoir où elle va.

  • Speaker #1

    Mais je ne sais jamais où je vais. En même temps, j'essaie d'avoir une grande rigueur. Ce qui se passait avant, c'est que j'écrivais assez vite, dans une sorte de fièvre, mais je réécrivais le livre pendant au moins un an à chaque fois. C'était assez terrible. Je ne sais pas comment il y avait ces deux mouvements. Et là, le phénomène de l'écriture, je n'ai jamais su trop comment l'expliquer. Mais maintenant, on peut peut-être plus l'expliquer avec Chachibiti 4. Parce que finalement, Chachibiti arrive à reproduire l'écriture. Je peux raconter quelque chose ? Sur vous et moi, d'ailleurs. Ah bon ? Oui, j'avais fait un essai il y a deux ans, il y a six mois, je ne sais plus, écrire une microfiction à la façon de Régis Geoffray. Alors, j'ai une microfiction, etc. à la façon de Frédéric Beigbeder. Et là, alors là, c'était... Moi, la mienne, c'est déjà assez caricatural. À l'époque, maintenant, ils sont un peu plus doués. Et vous, c'était l'histoire d'une pauvre jeune fille qui vient de province et qui arrive à Paris, qui va dans les boîtes de nuit. et qui, bon, a une vie assez...

  • Speaker #0

    Prendre de la cocaïne.

  • Speaker #1

    Et qui meurt d'une ouvert dose dans les toilettes d'une boîte de nuit. Et c'est parce ça qu'ensuite, il y a Chachipiti qui se choque lui-même et qui dit, la drogue, il nous va nous... Alors que c'était Chachipiti qui l'avait...

  • Speaker #0

    Ah oui, d'accord. Ça aurait été bien si ça pouvait faire imploser le logiciel.

  • Speaker #1

    Il l'avait implosé lui-même, mais il a fait beaucoup de progrès. Et maintenant, la dernière fois que j'ai demandé d'écrire une microfiction, la façon de rédiger le frais, dans un avion. Non, avec Avion, simplement, j'ai eu une histoire qui était très bien. Qui était bien, oui. Et comme je ne me souviens pas de toutes les micro-fictions, si on me l'avait donnée, je leur ai dit « oui, elle est de moi » . Et je me suis dit « elle est un peu caricaturale » , mais je me suis dit « moi, ça doit m'arriver quand même d'être un peu caricaturale aussi » .

  • Speaker #0

    Donc, déjà, à cette époque-là, quand vous avez commencé à faire ces grands livres qui étaient très sulfureux, très provocateurs, très créatifs, vous étiez vraiment l'écrivain un peu de l'imagination et de l'horreur, on va dire, mais ça ne vous a pas suffi. Vous êtes allé vers le fait divers. Donc vous avez commencé par l'affaire Edouard Stern, avec ce livre qui s'appelait Sévère, en 2010, qui vous a d'ailleurs valu un procès.

  • Speaker #1

    Qui n'a pas eu lieu.

  • Speaker #0

    Qui n'a pas eu lieu, tant mieux. Puis vous avez traité l'affaire Joseph Fritzl dans Clostria en 2012, avant de vous occuper de l'affaire Dominique Strauss-Kahn, la balade de Rikers Island en 2014. Et là aussi, il y a eu un procès.

  • Speaker #1

    J'ai été condamné en première instance et en appel. J'ai eu face à moi trois avocats. dont Richard Melka, qui est quand même l'avocat de Charlie Hebdo, dont Maître Henri Leclerc, qui a plaidé avec haine et avec acharnement jusqu'à demander un report de procès parce qu'il avait une opération à faire, c'est lui qui l'avait dit, et avec l'avocat dont je ne me rappelle plus le nom, qui est l'avocat traditionnel de Chirac et de tous les autres hommes politiques, donc il y avait ces trois avocats. Alors pourquoi trois avocats ? On peut se demander pourquoi on vient avec trois avocats. Alors soit ça sert à quelque chose et ça me paraît guérépublicain, soit ça ne sert à rien. C'est bizarre cet étalage de puissance.

  • Speaker #0

    Non mais bon...

  • Speaker #1

    Mais j'ai été condamné.

  • Speaker #0

    C'est vrai que c'est assez rare.

  • Speaker #1

    Mon livre est toujours condamné. C'est-à-dire que mon livre, on peut le trouver en occasion, mais on ne peut pas le trouver en numérique légal puisque les parties sont coupées. Mais j'appuie sur le fait que moi je suis absolument... pas favorable à la liberté d'expression qui permet d'accuser n'importe qui.

  • Speaker #0

    Oui, alors ça c'est très intéressant, vous en parlez beaucoup dans ma langue, parce que vous avez beaucoup de scrupules à écrire sur votre mère qui est morte il y a peu de temps, à l'âge de 106 ans, qui vous a eu très tard, à 41 ans, vous étiez fils unique, et vous dites d'ailleurs, j'étais fils unique, donc c'est normal que j'ai une mère unique, et c'est un très très beau livre, mais en même temps, vous avez énormément de prévention avec l'autobiographie. Vous avez d'ailleurs... Vous refusez d'écrire des textes autobiographiques presque toute votre vie.

  • Speaker #1

    Oui, j'étais contre l'autobiographie. En même temps, il y avait une raison, c'était que je ne voulais pas parler de mon père. Alors à partir du moment où j'en ai parlé dans Papa, c'est-à-dire le fait qu'il soit sourd, qu'il soit handicapé dans un milieu bourgeois, qui n'avait rien de terrible, mais bourgeois, d'ailleurs ça aurait été un autre milieu, pas bourgeois, je pense que ça aurait été la même chose, mais enfin il se trouve... C'est toujours handicapant pour un fils handicapé. Donc j'avais, même adulte, cette pudeur, cette honte carrément. Oui,

  • Speaker #0

    mais le livre parlait surtout de son arrestation par la Gestapo.

  • Speaker #1

    C'est à cause de ça que je l'ai écrit. Oui,

  • Speaker #0

    et vous avez découvert à la télévision des images de votre père arrêté, menotté dans le dos et emmené dans une fourgonnette par la Gestapo. Et vous vous êtes demandé qu'est-ce que c'est que cette histoire, personne ne m'en avait parlé. Pensez-vous qu'il est devenu sourd à cause de la torture ?

  • Speaker #1

    C'est-à-dire qu'on m'a dit que souvent les gens devenaient sourds parce qu'on les frappait, on ne faisait que la téléteinte. Ça, je n'en sais rien du tout. Après, moi, les images, je les certifie parce qu'elles existent. Ce ne sont pas des reconstitutions parce que je ne vais pas me lancer dans les détails. Mais après, tout le reste, je l'ignore parce que quand même, je n'ai jamais entendu parler de... de cette histoire par personne. Personne. Et même ma cousine qui avait 7 ans et ça s'est passé devant elle, devant son appartement, j'allais dire, on n'en a jamais entendu parler. Donc on sait que c'est vrai, mais ça va si loin que si mon père était là, je me demande s'il me dirait s'il sait ce que c'est. C'est-à-dire que la seule chose, c'est que la réalité me maltraite au point que c'est sûr que c'est vrai. Mais c'est tout ce que je peux en tirer. Et le reste, c'est pur... Sinon fiction, du moins conjecture.

  • Speaker #0

    Alors je vais vous faire lire la page 9 pour donner une idée de ce que c'est que l'écriture très radicale, très personnelle, très originale de Régis Geoffray.

  • Speaker #1

    On enterre de plus en plus tard. Certains corps partient jusqu'à 14 jours avant d'être inhumés et l'écologie trinque. Toute cette énergie dépensée pour réfrigérer le corps d'un être qui en a déjà dégapidé une quantité extravagante de son vivant. et la cryogénisation. plus énergivores encore que l'existence. Ces sinistres hurlus-berlus craignent leur effacement de la liste des vivants jusqu'à se faire surgeler comme des hamburgers. Ils finiront par ressusciter 200 ans plus tard à l'occasion d'une panne de secteur consécutive à la destruction d'une centrale électrique par un ouragan. Ils sortiront de leur boîte, gueule ouverte, mouillés comme des rats, grelottants, et ils jetteront un regard terrifié sur un siècle hostile, démoli, aux habitants bouillants de haine. C'est ce qui va arriver, qu'est-ce que vous croyez ? Vous savez pourquoi ? Parce que ce qui est très drôle, c'est que ça c'est des gens qui ont beaucoup d'argent, parce que c'est pas la portée. Mais c'est-à-dire que les gens qui ont beaucoup d'argent, à un moment, pensent qu'ils peuvent tout acheter, que c'est scandaleux de mourir, donc ils peuvent acheter la mort. Mais ils ne se rendent pas compte que dès que vous mourrez déjà, tous s'effondrent. Regardez Louis XIV, il avait dit nous pouvons tout tant que nous sommes, mais après c'est la catastrophe. Et donc les enfants ne voudront plus payer, parce que les enfants qui aiment bien le père, Ils vont le faire les petits-enfants, mais les arrières-arrières-petits-enfants, quand on va leur demander une fortune pour aller congeler un papier inconnu et bloquer sa fortune, parce que ces gens-là, ils veulent bien venir, mais pas comme des clochards, donc il y a tous une fortune bloquée. Tiens, je ne vous ai pas parlé, mais ça me vient à l'esprit. Donc en fait, ils vont finir, mais comme des hamburgers, un jour de panne d'électricité. Oui,

  • Speaker #0

    c'est intéressant parce que je vous fais lire cet extrait. Pourquoi ? Pour montrer votre style. vous vous laissez entraîner par votre élan. On le voit aussi dans votre manière de parler. Vos phrases démarrent à peu près dans la normalité pour basculer soit dans l'absurde, soit dans la violence, soit le comique ou le surréalisme. Souvent, c'est ça qui vous intéresse, c'est d'aller dans des zones imprévisibles. Me trompe-t-je ?

  • Speaker #1

    Non, je ne sais pas. l'écriture qui m'entraîne. Oui, mais je pense que l'écriture entraîne l'écrivain, comme la peinture. Je pense que finalement, c'est un peu l'ivresse de l'art, l'ivresse des couleurs, l'ivresse... Même pas des mots au sens... Non, c'est plutôt que la langue, c'est la réflexion. Oui, moi je crois beaucoup à... Si vous voulez, on raconte des histoires. C'est très difficile de parler des livres parce que on raconte l'histoire qu'il y a dans le livre. Et en fait, si l'écrivain a réussi son affaire, si il a réussi son coup, on n'arrive pas à dire ce qu'il y a dans un livre parce que c'est tout autre chose, parce que c'est une histoire d'art. L'art c'est compliqué.

  • Speaker #0

    Bien sûr, mais d'ailleurs, ce genre d'émission n'a pas de sens pour un écrivain véritable comme vous, qui a vraiment une sorte de... Est-il unique ? Imaginez interviewer Kafka par exemple, c'est un peu compliqué. Je vous vois comme une sorte de Kafka français.

  • Speaker #1

    C'est gentil, je suis très flatté, mais interviewer Kafka ça doit être quelque chose de compliqué. Oui, mais le contraire de ce qu'on pourrait imaginer, si j'en crois la biographie, le nom de biographe m'échappe évidemment, c'était quelqu'un qui était très idéologue, Kafka, il était très sioniste à une époque où c'était complètement différent. Mais c'était quelqu'un d'extrêmement sérieux. Il aurait transformé ça en émission de propagande, non passionniste, mais c'était quelqu'un qui voulait le bien. Vous savez qu'il est... Vous comprenez mon tâche ? C'est un truc très intéressant dans sa biographie. C'est que les Allemands préservaient les élites. Le camp allemand, puisqu'il était d'Autriche-Hongrie.

  • Speaker #0

    Il était de Prague,

  • Speaker #1

    mais il s'exprimait en allemand. Et donc il ne pouvait pas partir se battre en 1914. C'est-à-dire que son chef de bureau refusait de le donner. C'est-à-dire qu'il a voulu faire la guerre de 1914, il n'a pas pu la faire. Après il est tombé malade. C'est bien une émission où on part dans les sables à chaque fois. C'est ce que bisez-vous ! On parle de Kafka et on laisse tomber.

  • Speaker #0

    C'est exactement ce que je disais sur vous. C'est quand on vous lit et puis ça part, ça part dans des directions.

  • Speaker #1

    On est souvent plus intéressants quand on parle des autres. Kafka, par exemple.

  • Speaker #0

    Non, mais vous êtes très intéressant quand vous parlez de votre mère. Simplement, je lis votre phrase, c'est dans le livre. Un des buts de ma vie d'écrivain fut de ne pas parler de maman. Et vous avez échoué à ne pas parler de votre mère.

  • Speaker #1

    J'ai échoué, peut-être pas complètement, parce que j'ai encore pas... complètement parler d'elle. Il y a des choses que... Je me suis beaucoup censuré. C'est un livre sur ma mère beaucoup censuré, qui est très censuré, qui était très compliqué à écrire pour arriver à la sauver. C'est-à-dire que moi, mon but, ça a été de la sauver, pas pour elle, mais pour moi. Parce que quand vous vous apercevez que votre mère s'en va, pas au sens où elle meurt, parce que ça, c'est la nature, surtout quand elle a 106 ans, c'est un peu naturel, on va dire, mais que votre mère vous a trahi.

  • Speaker #0

    Oui, alors vous découvrez pas mal de choses à titre posthume. En regardant ces affaires.

  • Speaker #1

    Voilà, je découvre une trahison. Et si vous voulez, quand vous découvrez que votre mère vous a trahi, vous dites, finalement, à chaque instant que j'avais cette mère auprès de moi, c'était un personnage malveillant.

  • Speaker #0

    Est-ce que, oui, elle aimait bien mentir, elle aimait bien mentir tout le temps.

  • Speaker #1

    Oui, mais il y a le mensonge et puis on a dit qu'on restait dans le mystère.

  • Speaker #0

    Il ne faut pas donner le... parce que ce n'est pas au début du livre, c'est vraiment à la fin du livre qu'on découvre... qu'est-ce qui était vrai et qu'est-ce qui était faux. Voilà,

  • Speaker #1

    je joue le jeu du suspense que je fais rarement, mais là, ça m'a beaucoup amusé parce que c'est des séries. Je ne dors jamais, donc je regarde des séries. C'est bien, je ne dors jamais. Claire Cassillon avait écrit un livre qui s'appelait « Ma mère ne meurt jamais » . Et moi, je ne dors jamais.

  • Speaker #0

    On peut dire quand même parmi les nombreux mensonges, il y en a un, c'est qu'elle vous annonce qu'elle a rencontré votre père en 42 et non pas en 52. Ça fait quand même une différence de 10 ans.

  • Speaker #1

    donc elle l'a rencontrée avant l'arrestation par la Gestapo tout ce qui est la guerre reste dans la possibilité de la fiction parce que j'ai tellement peu de renseignements sur la guerre j'ai tellement été obligé de la faire apparaître si vous voulez c'est un peu comme si vous savez au cinéma on a une phrase ça s'appelle le pitch moi pour la guerre j'ai le pitch j'ai une phrase et cette phrase c'est un un père arrêté par la Gestapo à partir de là Merci. je suis obligé d'être aussi dans l'imaginaire.

  • Speaker #0

    Oui, mais c'est ça qui est extraordinaire, c'est que ça soit tombé sur vous, qui êtes l'écrivain de l'imagination. Ça tombe sur vous, et du coup, vous êtes obligé de vous dire, si on l'a arrêté, c'est qu'il était résistant, donc il a été torturé, mais pourquoi est-ce qu'il a été relâché ? Il a été relâché parce que peut-être il a payé, ou parce que quelqu'un a payé.

  • Speaker #1

    C'était assez fréquent, paraît-il, m'a-t-on dit. Mais ce que je veux dire, c'est que Le problème, c'est que moi, quand j'ai écrit sur Papa, je voulais faire comme tout le monde. Quand on découvre quelque chose, on fait une enquête et on remonte. Et moi je me suis arrêté là parce qu'à partir du moment où il n'a pas apparemment été donné à la police française, les archives de la Gestapo ont été détruites. Et puis surtout c'était des voyous à Marseille. C'était 200 petits macros qui étaient salauds les 20 ans. Enfin, j'en ai eu ce d'homme. Donc c'est un mystère total. Ça c'est la partie mystérieuse qui m'importe peu, j'allais dire. Parce que finalement la guerre, moi je n'étais pas né. La partie qui me touche et qui me pulvérise, j'allais dire, c'est la partie... sur laquelle j'ai ce renseignement, donc je ne donnerai pas, qui fait que ma mère m'a menti depuis le début, et m'a quelque part fermé les portes de l'amour. C'est pas mal ça.

  • Speaker #0

    Ma mère m'a fermé les portes de l'amour. Non, parce que vous dites qu'elle vous aimait et que vous l'aimez aussi, mais en revanche, vous avez grandi sur un malentendu.

  • Speaker #1

    Exactement, on peut dire ça comme ça.

  • Speaker #0

    Mais ça fait de vous le romancier que vous êtes. Peut-être qu'elle a volontairement menti pour faire de vous un artiste.

  • Speaker #1

    Je peux vous faire un aveu ? Je m'en serais passé.

  • Speaker #0

    C'est vrai ? Vous n'êtes pas heureux comme écrivain ?

  • Speaker #1

    C'est pas ça. Je ne pense pas du tout que les malheureux fassent des artistes. Je pense que, je vais vous dire quelque chose qui va me pulvériser à nouveau, je pense que c'est le talent. Je vais vous dire pourquoi. Par exemple, moi j'aime bien dessiner mais je ne suis vraiment pas doué du tout. Donc je ne serai jamais dessinateur parce qu'on ne va pas travailler quelque chose pour lequel on n'aura pas de résultat. J'aimais bien chanter. J'ai enregistré dans le studio où on a enregistré The Wall, Miraval, mais je n'étais pas au niveau à l'époque. Et donc j'ai œuvré dans le domaine où j'avais un petit don, c'est-à-dire l'écriture. Et je ne crois pas que c'est d'être malheureux qui fait l'écriture.

  • Speaker #0

    Mais je n'ai pas dit malheureux, j'ai dit de vivre dans un mensonge, d'avoir entendu des mensonges.

  • Speaker #1

    Je ne savais pas. Je l'ai su à 65 ans. À 66, pardon. Je ne savais pas, c'est ça qui est fou, c'est que j'ai vécu dans le mensonge en croyant que c'était la vérité.

  • Speaker #0

    Mais le livre est quand même constamment ambigu et c'est ça qu'on aime chez vous. Par exemple, vous dites « il faudrait que je l'aime » , c'est une très belle phrase, écrite le lendemain de sa mort. Votre mère meurt et vous dites « il faudrait que je l'aime » . C'est souvent d'ailleurs ce qu'on ressent, de ne pas être assez triste. Mais là, vous ne saviez pas encore qu'elle vous avait trahi. Et pourtant, n'arrivez pas à être triste.

  • Speaker #1

    Si, il y avait quelques fissures qui s'étaient produites. Mais si vous voulez, si je n'avais pas eu ce document et les choses que j'ai pu découvrir à côté, vous êtes simplement dans la culpabilité. Vous dites, je ne suis pas assez aimant comme enfant. Beaucoup d'enfants doivent le ressentir. Et puis surtout, il y a le fait d'être enfant unique parce que vous êtes le seul à aimer. Vous êtes le seul à être aimé, mais le seul qui peut renvoyer un lien. Oui, ça fait une grosse pression parce que quand il y en a deux déjà... La pression est moins forte. Et puis, vous êtes deux, c'est une association entre un frère ou une sœur et un frère. On peut parler des parents. On connaît la même personne. La personne ne connaît la personne en tant que parent. Donc on est assez seul.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, vous ne vouliez pas venir au monde. Vous avez mis très longtemps. Bah oui, vous êtes né à 9 mois et 10 jours. Vous êtes resté dans son ventre le plus longtemps possible.

  • Speaker #1

    Bah vous voyez, c'est encore... Et en plus, j'arrivais par le siège, ce qui est la pire des choses.

  • Speaker #0

    Ah oui, la plus douloureuse.

  • Speaker #1

    J'ai été un instrument de torture pour ma mère.

  • Speaker #0

    Elle vous disait tout le temps qu'elle allait mourir quand vous étiez enfant, ce qui vous empêchait de dormir.

  • Speaker #1

    Je crois que là, partons de la cause de mes insomnies, je ne sais pas pour l'art, mais la cause des insomnies, oui. Je me suis rappelé quelque chose qui n'est pas dans le livre. Je me suis rappelé l'autre jour, c'est qu'elle me disait qu'elle écrivait des testaments pour sa mort, et l'usage qu'on ferait de moi après sa mort. Donc il fallait que quelqu'un m'adopte. Je ne sais pas pourquoi, parce que mon père n'était pas censé être mort, donc il aurait pu, moi, je ne comptais pas beaucoup. Mais surtout, elle me précisait bien, qu'elle mettait dans le testament, qu'elle ne voulait pas qu'on m'oblige à aller à son enterrement. Ça m'est revenu hier. Et ça, elle me l'a dit plusieurs fois. Et c'est drôle, parce que quand quelqu'un meurt, on ne va pas voir l'enterrement, donc on oblige d'abord leur gosse. Ça fait l'enfant vraiment mauvais qui ne veut pas aller à l'enterrement de sa mère. C'est quelque chose qui m'est revenu. et ça en revanche j'ai vu tout ce que Tout ce qu'on a pu me dire sur mes livres, pas reprochés, mais d'une certaine façon... Les livres sont particulièrement choquants,

  • Speaker #0

    enfin, provocants.

  • Speaker #1

    Non, mais sur la mort, sur le fait... Surtout mes premiers livres où je parle beaucoup de la mort et du fait de mourir, etc., c'est que j'ai été bercé par le cadavre. Parce que non seulement mes deux grands-mères sont mortes quand j'étais petit, mais en plus, c'est dans l'appartement où je vivais dans les deux cas. Mes deux grands-mères vivaient consécutivement dans l'appartement. Donc tout le carnaval des croque-morts avec la neige carbonique, les cercueils, quelque chose d'épouvantable. Finalement, c'est l'événement exotique qui est arrivé dans ma vie d'enfant. Parce que moi, il ne se passait rien de spécial autre que ça.

  • Speaker #0

    Mais vous dites que votre enfance était heureuse quand même.

  • Speaker #1

    Mais c'est une pétition de principe, Frédéric. Non,

  • Speaker #0

    parce que vous pourriez dire que j'avais une mère toxique qui était folle et qui était admisible.

  • Speaker #1

    Certainement pas. Parce que je vais vous dire pourquoi.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas grave de dire ça.

  • Speaker #1

    Si, c'est très grave. Parce que je ne supporte plus les enfants malheureux. Quand on voit les enfants exploser, je parlais d'explosion, c'est le mot du jour, quand on voit les enfants, même en France, qui ne sont nourris qu'une fois par jour par la cantine, je pense qu'il y en a absolument assez. C'est le syndrome vipère au point, qui est un scandale total, parce que ce Thervé Bazin, qui a exploité sa mère jusqu'à la fin, il y a même une photo dans Paris Match, où il est devant le lit de mort de sa mère, ce qui est quand même d'un bon goût extraordinaire, n'a pas eu une enfance si malheureuse que ça. Il a eu une enfance qui était très quelconque à l'époque. C'est une enfance de bourgeoisie paysanne de province, je ne sais pas comment dire. Ce n'est pas du tout une enfance... En fait,

  • Speaker #0

    c'est ça.

  • Speaker #1

    ...dénéreusement mauvaise. On dit qu'il n'était pas aimé par sa mère. Bon, déjà il y avait une fratrie, déjà il y avait tout un ensemble. C'est scandaleux. Vous savez ce que disait... Marcelo Mastroianni, on lui prête cette... Mais il me paraît que c'est dans l'Intervista, donc c'est vrai qu'il l'a dit. Il a dit qu'un acteur qui travaille n'a pas le droit de se plaindre. C'est-à-dire qu'un acteur qui vit de son travail, un écrivain qui vit de son écriture, ferme sa gueule. Il est heureux, il a eu une vie heureuse, il a eu une enfance heureuse, et il a sauvé tout le monde, sa mère y compris. Ma mère m'aurait battu, je la sauverais quand même. Elle m'aurait crevé un oeil, je la sauverais quand même. je suis là pour ça, on est là pour sauver les gens, on a le privilège d'être... D'être rémunéré, pas extraordinairement, mais de quoi, avoir vraiment de quoi, de pouvoir vivre de ce qu'on dit, c'est-à-dire que ces paroles aient une valeur et qu'on vous dise, c'est votre travail, c'est votre métier, on est là pour quand même, si vous voulez, il faut savoir se tenir un peu. C'est l'idée qui me vient. Oui,

  • Speaker #0

    mais je comprends, c'est vrai qu'il y en a trop de livres larmoyants et misérabilistes, et vous voulez échapper à ça, je comprends, mais en même temps... Vous dites aussi des choses qui sont... C'est vrai, c'est un peu comme un anti-livre de ma mère d'Albert Cohen, où il était très... Voilà, ça n'était qu'une déclaration d'amour. Là, c'est plus cruel, plus lucide, plus sincère, je ne sais pas. Compliqué, quoi.

  • Speaker #1

    C'est infiniment complexe. Mais si vous voulez, l'événement qui a sauvé ma mère et qui m'a sauvé moi, finalement, c'est la naissance de ma petite-fille. Voilà, parce qu'à partir de ce moment-là... Mais je me suis dit, mais ma petite fille, elle est là, ma mère, elle est là, elle est dans ma petite fille. Et tout le monde est là. On est tous là. Donc,

  • Speaker #0

    pas votre fille à vous, mais votre petite fille.

  • Speaker #1

    La fille de ma fille. Il vient de naître, voilà, Elisa. Et donc, je cite son nom d'ailleurs, et je vais contre tous mes principes. C'est dans l'impudeur, chez Rousseau, mais la plus terrible. Mais c'est là où je me suis dit, mais finalement, ma mère, il faut vraiment la sauver. pourquoi ? Alors je vais dire à cette petite fille, ton arrière-grand-mère, elle était pas... Non, mais ton arrière-grand-mère, elle était formidable. C'est à moi, l'affaire formidable. C'est moi qu'il n'est pas comprise. Finalement, l'histoire d'un fils et d'une mère, quand le fils a passé la barrière des âges, c'est une affaire entre adultes. C'est deux adultes. C'est deux adultes. Alors j'arriverai peut-être pas à son âge, c'est probable, mais parfois on dépasse l'âge de ses parents. Je vais bientôt dépasser l'âge de mon père. Donc c'est deux adultes. Il faut... Si vous voulez, le bonheur c'est très artificiel. Si vous ne l'inventez pas, vous avez la joie, le sentiment, par exemple, quand vous deviendrez grand-père, vous avez beaucoup de chance de devenir plus que moi, puisque vous avez trois enfants. Quand vous deviendrez grand-père, vous verrez que vous avez quelque chose d'extraordinaire, le moment d'adrénaline quand vous êtes grand-père. Vous l'avez quand vous êtes père, mais quand vous êtes grand-père, c'est encore quelque chose de différent. Mais après, le bonheur, il faut le... Il faut le construire, surtout quand vous êtes grand-père, vous vous apercevez que vous avez une responsabilité tout d'un coup. D'ailleurs,

  • Speaker #0

    vous avez là un physique maintenant de patriarche. On voit le patriarche.

  • Speaker #1

    Voilà.

  • Speaker #0

    Vous n'êtes plus le jeune écrivain scandaleux. C'est fini. C'est fini tout ça. C'est terminé. Non, non, mais ça m'intéresse cette culpabilité que vous avez sans cesse. Je lis des extraits du livre. Une fois leur mère morte, les enfants l'inventent. Plus loin, vous dites, lui dire je t'aime m'aurait soulevé le cœur, comme si j'avais été contraint sous la menace d'un revolver de l'embrasser sur la bouche. Donc ça vous choque de dire je t'aime, d'ailleurs aujourd'hui tous les enfants disent je t'aime à leurs parents, les parents disent je t'aime toute la journée, c'est un peu sirupeux. Mais je ne sais pas, oui vous l'avez dit, c'est de la pudeur qui vous empêche.

  • Speaker #1

    Je ne crois pas du tout, non, c'était que je n'avais pas envie de lui dire je t'aime. Et si vous voulez, là c'est quelque chose de plus profond qui vient beaucoup plus tard, c'est quelque chose de plus...

  • Speaker #0

    C'est finalement ce livre, ça a été difficile de l'écrire, pas tellement sur un plan littéraire, mais sur un plan humain. C'est difficile d'en parler sur un plan humain et sur un plan littéraire, parce qu'en même temps, je parle et je vois que je ne peux pas parler du livre, pas parce que je ne veux pas, mais parce que c'est un livre qui est très complexe. Très riche, oui,

  • Speaker #1

    je suis d'accord. Moi, je vous aide en lisant des extraits. Oui,

  • Speaker #0

    heureusement.

  • Speaker #1

    Il est temps pour moi de sortir une deuxième fois de cette mer. Mais c'est des phrases qui sont... Extraordinaire, moi j'adore ça. Parce qu'il y a beaucoup beaucoup de livres sur la mer, mais personne n'a jamais dit il est temps pour moi de sortir une deuxième fois.

  • Speaker #0

    Oui mais c'est vrai, c'est exact.

  • Speaker #1

    Mais c'est sublime. En fait, ce livre c'est une deuxième naissance.

  • Speaker #0

    J'aurais pas cet optimisme extraordinaire. Mais disons non, moi je suis dans une période où c'est la période où on va mourir, si vous voulez. C'est une période, alors ça peut s'étendre, ça peut durer six mois, ça peut durer dix ans, ça peut durer quarante ans. Mais c'est la période où vous dites, vous êtes à la fin. Vous êtes à la fin finale. Les deux parents sont morts. Là, on est dans la dégringolade. Et c'est une sorte d'exaltation. Vous savez, c'est comme si vous arriviez, j'imagine, le Tour de France et que ce soit une descente. Vous arrivez, vous arrivez, vous arrivez de plus en plus vite. Vous allez emporter la ligne d'arrivée. Moi,

  • Speaker #1

    je trouve que vous êtes en pleine forme.

  • Speaker #0

    Mais oui, mais c'est justement. On ne va pas mourir non plus malade. Écoutez, ma mère était très intellectuellement, en tout cas, très à l'aise. Jusqu'au bout. Vous auriez pu l'interviewer, oui, il y a quelques années, d'ailleurs, on aurait pu le faire.

  • Speaker #1

    Ça aurait été une bonne idée.

  • Speaker #0

    Non, donc c'est l'exaltation. Je pense qu'il y a un moment où on termine sa vie, où ça peut être une longue fin ou une courte fin, mais on a cette sensation d'être dans la dernière période de sa vie. Il y a une sorte d'exaltation et surtout de volonté de ne pas se laisser embarrasser par les détails. Et que ma mère m'ait trahi, ça devient un détail. C'est un détail parce que vous êtes entre la vie et le néant. Tout est bien. Tout est bien, il n'y a que des bons moments, il n'y a que des gens extraordinaires, puisqu'ils existent. C'est quand même mieux quelqu'un de désagréable qui existe que quelque chose qui n'existe pas, que rien du tout.

  • Speaker #1

    C'est ce que disait Amélie Nothomb dans notre émission la semaine dernière.

  • Speaker #0

    Et je l'ai croisée d'ailleurs. Oui, oui.

  • Speaker #1

    La semaine dernière, elle disait... Oui, vous l'avez croisée la semaine dernière. Chez la Pérouse. Et son livre s'appelle « Tant mieux » . Et elle dit au fond, tout ce qui nous arrive, de bien, de mal, tant mieux. C'est un peu la même chose, vous dites ça, vous dites même quelqu'un qui vous a fait souffrir, ou quelqu'un qui ne vous a pas dit je t'aime, tant mieux, ça a existé, et puis voilà.

  • Speaker #0

    Mais oui, parce qu'on est devant ce qui ne va plus exister, et quand vous avez la sensation de savoir ce que c'est que... Quand vous ne serez plus là, c'est très facile, c'est très très terrible. Vous voyez ici et vous vous retranchez. C'est-à-dire que vous apercevez que rien ne manquera. Vous n'avez pas manqué avant, vous ne manquerez pas après. Donc il faut s'habituer à ne plus exister. Et donc là, moi, je suis dans la phase où on s'habitue peu à peu à ne plus exister. Et finalement, tout doit être bonheur. Et surtout, il faut tout remettre en place. Il faut remettre son passé en place pour le laisser aux autres. Moi, je ne vais pas laisser The Mess. le bordel, tout ce que vous voulez, à ma descendance. Non, voilà, je leur donne, ma mère, je leur donne au sens de là, je remets de l'ordre, je range ma chambre. Page 44. Je m'en vais, je range ma chambre.

  • Speaker #1

    Page 44. Heureusement que j'existe encore pour m'en souvenir. C'est très beau. Moi, j'ai pleuré plusieurs fois. J'ai pleuré au moment des baisers Eskimo sur, vous savez, les baisers avec le nez. qu'elle vous faisait, elle vous embrassait aussi, vous en parlez pas mais moi je vous le dis, il y avait aussi les bisous papillons. Vous vous rappelez des bisous papillons ? C'est avec les paupières. Vous ne faisiez pas les bisous papillons ? Non, je n'ai pas fait. Mais enfin, les baisers esquimaux, ça m'a fait pleurer.

  • Speaker #0

    Vous l'avez fait aussi ?

  • Speaker #1

    Oui, je transmets. Ah oui, j'ai transmis aux enfants, oui.

  • Speaker #0

    Vos parents vous ont fait les baisers papillons ? Non,

  • Speaker #1

    pas mes parents, ma mère.

  • Speaker #0

    Votre mère ? Oui, mon père non plus.

  • Speaker #1

    Alors, vous revenez parfois à Marseille ? Parce que ça se passe à Marseille,

  • Speaker #0

    c'est important. Je reviens à Marseille quand ma mère y était, je ne reviens plus beaucoup à Marseille. Non ?

  • Speaker #1

    Vous dites que c'était une ville morne. Votre enfance était morne ?

  • Speaker #0

    Mais non, je dis que c'est lumineux aussi.

  • Speaker #1

    Ah ben, mordre et lumineux,

  • Speaker #0

    ça va. Ben non, mais c'est-à-dire que, si vous voulez, moi, je vois aussi quelque chose dans le souvenir. On a tendance à se souvenir des mauvais moments. Oui, ça dépend. Ça dépend, voilà.

  • Speaker #1

    Non, mais vous dites par exemple, alors, est-ce que c'est vrai, est-ce que c'est faux, que De Gaulle est venu rendre visite à votre père en 1967 ?

  • Speaker #0

    Et ça, je ne saurais jamais, parce que c'est complètement invraisemblable. Mais comment ? D'où tu... Je ne le tiens de rien du tout, mais comme... Je le tenais dans ma tête, je ne sais pas pourquoi, mais comme des événements, par exemple, vous donnez un truc assez échéant, les voisins avaient un chien et j'avais même le nom du chien et les voisins n'ont jamais eu de chien. Donc c'est un peu le même genre d'événement que j'avais dans ma tête. Oui,

  • Speaker #1

    en fait, on n'arrive plus à savoir où est le vrai et le faux et ce n'est pas grave.

  • Speaker #0

    Parce que j'avais dit à ma mère, les voisins à la campagne avaient un chien, il s'appelait Bobby d'ailleurs. Et ma mère, elle m'en demandait à mon père, elle dit non, ils n'ont jamais eu de chien. Et donc c'est un peu la même chose, mais comme j'ai vu mon père arrêté par la guesse à peau, je me dis peut-être que c'est vrai. Et si vous voulez, il y a toute une partie des choses dans ce livre dont je ne saurais jamais si elles étaient vraies ou fausses.

  • Speaker #1

    Bon, je vais vous faire un sale coup, je vous demandais de lire ce que j'ai encadré avec vos lunettes, sans pleurer. Il faut arriver à lire ce paragraphe sans pleurer, bonne chance.

  • Speaker #0

    Je ne pleure pas moi. Oh, je continuerai à avancer, à causer, à écrire, mais je ne serai plus vraiment en vie. Un fœtus dont le cordon sec ressemblerait à une laisse abandonnée par le propriétaire d'un clébard.

  • Speaker #1

    Bon, merci beaucoup. On va passer au « Je devine tes citations » . Alors là, je vous lis des phrases de vous, tirées de tous vos livres. Et vous devez me dire dans quel livre vous avez écrit ceci. Et il y en a 30, alors bonne chance. C'est un test de mémoire. Flaubert s'en fout bien de ton livre.

  • Speaker #0

    C'est dans le dernier,

  • Speaker #1

    Maman. Oui, c'est dans Maman, 2025. Elle a vraiment dit ça ? Est-ce que c'était à propos du dictionnaire amoureux sur Flaubert que vous avez ?

  • Speaker #0

    Non, d'ailleurs je pense qu'elle n'aurait pas pu le dire. Elle n'aurait pas pu le dire parce que ça l'aurait bien embêté que Flaubert se foute de mon livre. Elle aurait voulu vraiment qu'il s'en importe beaucoup.

  • Speaker #1

    Une autre phrase. Les femmes sont grosses de l'avenir du monde.

  • Speaker #0

    C'est dans le ventre de Clara,

  • Speaker #1

    bravo 2024. Vous êtes bon. C'était le livre sur la mer d'Adolf Hitler. Parce qu'avant d'écrire sur votre mer, c'est assez freudien. Vous avez écrit sur la mer d'Hitler. Est-ce que vous vouliez écrire deux livres sur des mers de suite, ou c'est un hasard ?

  • Speaker #0

    Je jure que c'est un hasard. Maintenant, la mer d'Hitler à l'état de mer est une mer. C'est pas différente de ma mère. L'enfant, oui.

  • Speaker #1

    Toutes les familles sont des asiles de fous.

  • Speaker #0

    Asiles de fous.

  • Speaker #1

    Oui. Prix Fémina 2005, il y a 20 ans. Pourquoi dites-vous ça, que toutes les familles sont des asiles de fous ?

  • Speaker #0

    Parce que c'est la vérité quand on en parle aux autres. C'est-à-dire que les autres, quand ils nous parlent des familles, il y a toujours, ou alors on donne un nom à un oncle, etc. Par exemple, pour parler de moi, mon fils se fait appeler Oncle Chat. Par ma petite fille,

  • Speaker #1

    ça va être un peu asile de fou. Nous sommes des univers passagers dans l'univers qui s'éternise.

  • Speaker #0

    C'est aussi l'univers-univers.

  • Speaker #1

    Univers-univers, pris décembre 2003. C'est là où il y a la femme qui fait cuire un gilot.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait.

  • Speaker #1

    Je me suis trompé, je l'ai attribué à Clémence Picot tout à l'heure. Vous êtes pardonnable. Non, mais en tant qu'exégète, je ne veux pas dire n'importe quoi. C'était un projet à la Pérec un peu. d'épuisement du réel, univers-univers, c'est-à-dire tout l'univers qui tourne autour de cette femme dans son appart qui fait cuire un gigot.

  • Speaker #0

    Non, mais par contre, et en revanche, j'avais adoré La vie mode d'emploi de Pérec. C'est un des livres que j'ai beaucoup aimé.

  • Speaker #1

    Bon, alors finalement, il y a peut-être un...

  • Speaker #0

    Peut-être qu'il y a quelque chose.

  • Speaker #1

    On a l'impression aussi que vous étiez, à l'époque, vous avez l'ambition d'être un romancier d'avant-garde. Et puis maintenant, vous écrivez ce que vous...

  • Speaker #0

    pouvez vous écrivez pas du tout c'est non non j'ai essayé d'être le plus conforme possible parce que je vais vous dire pourquoi parce que les éditeurs refusait tous mes livres donc moi j'essayais au contraire j'avais l'impression de me couler dans un monde très très classique j'étais très surpris de la réaction des noms la critique les critiques et j'ai essayé d'être tout sauf de l'avant-garde à chaque fois j'étais très étonné parce qu'on a une époque aussi c'était très conformiste le roman français. Oui, oui. Dans les années 70. Jusqu'à Wellbeck, on a commencé à avoir une bouffée éditoriale de fraîcheur au moment où on a commencé à publier l'extension du domaine de la lutte, où il y a eu quand même de la presse qui a commencé à s'y intéresser. Et là, ça a été toute une nouvelle génération de critiques, je dirais.

  • Speaker #1

    Et vous, vous êtes arrivé cinq ans plus tard. Non,

  • Speaker #0

    un peu. Un peu avant. Oui, enfin, peu avant. Mais ça a été cette ouverture. C'est-à-dire qu'il y a toute une génération qui est partie des critiques littéraires, qui ont disparu. Je crois que c'était surtout ça qui maintenait une vieille littérature. Et là, maintenant, qu'est-ce qui va arriver ? C'est nous qui allons...

  • Speaker #1

    Alors, chose... Oui, nous, on va dégager. Une autre phrase. Alors là, c'est très intéressant. Je cache, parce que... Elle est prémonitoire, cette phrase. Maman me reprochait parfois d'être fille unique. C'est Clémence Picot. Non, Clémence Picot, 99. Vous voyez, 99. Il y a 26 ans, déjà, c'est une fille unique. Comme vous, vous êtes fils unique. Et je ne sais pas, j'ai eu l'impression que déjà, il y a 26 ans, vous aviez tenté d'écrire une autobiographie malgré vous et sans le savoir.

  • Speaker #0

    Non, je savais qu'il y avait beaucoup d'éléments autobiographiques dans cette histoire, mais pas forcément de mon histoire à moi, mais d'une biographie...

  • Speaker #1

    D'une autobiographie de quelqu'un d'autre.

  • Speaker #0

    De quelqu'un d'autre, oui. Vous y remarquez, ce n'est plus une autobiographie, oui. Vous avez raison, vous avez raison.

  • Speaker #1

    Si vous arrivez à suivre,

  • Speaker #0

    bonne chance.

  • Speaker #1

    C'est normal, parce que c'est Régis Geoffray.

  • Speaker #0

    Mais l'autobiographie de quelqu'un d'autre, c'est pas mal.

  • Speaker #1

    Mais c'est très bien.

  • Speaker #0

    Oui, c'est très bien.

  • Speaker #1

    On passe au questionnaire de VecBD, puisque j'essaie de rivaliser avec Proust. et de faire des questions que j'ai inventées et vous répondez rapidement. Pourquoi un jeune devrait lire votre livre au lieu de scroller sur TikTok ?

  • Speaker #0

    Oui, moi je suis toujours sur TikTok, je ne lis pas les livres que les gens écrivent.

  • Speaker #1

    Que savez-vous faire que ne sait pas faire Tchad GPT ?

  • Speaker #0

    Justement, je sais parler de ma mère. Parce que quand c'est quelque chose d'extrêmement sensible, il ne peut pas savoir encore ce que je vais dire. Mais sur Chad Gepetti, il y aurait beaucoup à dire.

  • Speaker #1

    Chad Gepetti n'a pas de mère, à part Sam Altman.

  • Speaker #0

    Non, disons que la seule chose que j'ai, moi, Chad Gepetti ne me gêne pas du tout, les liens ne me gênent pas du tout. Non, c'est que j'ai écrit un X, c'est pas un truc mémorable dans lequel j'ai tout dit, je pense. C'est que Chad Gepetti ou un autre peut écrire des fictions à ma place. Moi j'écris juste un petit peu mieux mais ça va pas durer, je pense que le 5 fait mieux que moi. Mais je ne vois pas pourquoi j'enverrais un robot faire l'amour à ma place. Surtout à mon âge, c'est vraiment quand même à ne pas...

  • Speaker #1

    Vous n'avez jamais eu peur, en l'écrivant, que votre livre ne serve à rien ?

  • Speaker #0

    Je n'ai pas du tout l'impression que les livres puissent servir à quelque chose, d'autres qu'à les lire. Vous savez, on est un peu dans la propagande du livre, je pense. Or ce qui est intéressant c'est que l'art c'est quelque chose de fier. L'art il accueille tout le monde mais c'est à vous à faire la démarche. Donc les musées sont ouverts mais moi je ne suis pas des écrivains qui va dire voilà il faut que vous lisiez mon livre. Je pense qu'il y a tellement de livres extraordinaires à lire dans cette rentrée et d'une façon générale que ce n'est pas utile de me lire précisément si quelqu'un a une affinité avec ce livre. qu'ils le lisent, mais je ne suis pas là, on n'est pas là pour faire de la propagande. On est là dans la jouissance absolue. L'écriture, c'est ça, c'est le plaisir. C'est une des choses de la vie les plus importantes dans la vie, c'est l'art parce que ça donne de la joie. Pas parce que c'est quelque chose d'utile.

  • Speaker #1

    Parce que non, oui, ça ne sert à rien, et c'est pour ça que c'est intéressant. Ça ne sert à rien.

  • Speaker #0

    Je ne sais pas si ça sert à rien. Je ne me pose pas ces questions.

  • Speaker #1

    Pensez-vous qu'un écrivain doit être gentil ?

  • Speaker #0

    Non, mais je suis adorable.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans le fait d'être un écrivain ? La solitude, la pauvreté ou la folie ?

  • Speaker #0

    Oh là ! La solitude, je ne sais pas si ça me plaît, mais c'est un peu inhérent parce qu'on a au moins l'obligation d'être seul une partie de la journée. Et c'est très bien d'ailleurs, cette solitude d'une partie de la journée est très bien, très intéressante, de ne pas être seul tout le temps.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous avez déjà écrit en état d'ivresse ?

  • Speaker #0

    Quand j'étais tout petit, j'avais essayé, alors j'étais pas très riche à l'époque, j'avais 17 ans, j'avais acheté une bouteille de champagne pour essayer d'écrire en buvant du champagne pour voir si j'écrivais mieux. Ça avait marché un peu mieux, mais après j'avais déchiré quand même les pages.

  • Speaker #1

    Fantasmez-vous sur J.D. Salinger qui n'a jamais donné une interview de sa vie ?

  • Speaker #0

    Oui, beaucoup. Oui, ça, je me dis que... Mais il a pu se le permettre parce qu'il a eu une gloire immédiate.

  • Speaker #1

    Immédiate.

  • Speaker #0

    Voilà. C'est-à-dire que nous...

  • Speaker #1

    Bon, on est des galériens.

  • Speaker #0

    On aurait dit, on ne veut pas donner d'interview, on ne s'en aurait peut-être pas demandé.

  • Speaker #1

    Un roman doit-il réparer le monde ?

  • Speaker #0

    Non.

  • Speaker #1

    Quel est votre chef-d'oeuvre ?

  • Speaker #0

    Mon chef-d'oeuvre ? Moi je ne sais pas si c'est un chef-d'oeuvre, mais c'est le livre... Si vous voulez, le bonheur pour moi c'est d'écrire micro-fiction.

  • Speaker #1

    Vous avez inventé un genre, quoi. La nouvelle de deux pages, avec un petit dialogue au milieu.

  • Speaker #0

    Je ne pense pas, je pense que simplement j'en ai fait beaucoup, donc maintenant on vient vers moi quand on pense à ce truc. Mais moi le bonheur pour moi, voilà, le bonheur moi c'est d'écrire micro-fiction, c'est d'écrire une micro-fiction par jour. Voilà, moi c'est le bonheur de la vie pour moi, c'est ça. Et je regrette de ne pas l'avoir découvert quand j'avais

  • Speaker #1

    17 ans. Mais c'est normal de mettre du temps à trouver sa voix et sa forme. Êtes-vous un ouin-ouin ? Vous avez déjà répondu qu'absolument pas. Les ouin-ouins, si vous voulez, c'est les hommes qui se plaignent. Moi, à chaque fois que j'écris un livre, on me traite de ouin-ouin, parce que je me lamente. Voilà, je m'autocritique,

  • Speaker #0

    je m'autocritique. Oui, mais toi tu sais que ça va t'apporter que des ennuis de le faire. On en a un peu, ces discours en toi. On coupe ? Non, non, mais il veut tout le temps couper.

  • Speaker #1

    Il veut tout le temps couper. Le but de la littérature n'est-il pas de mentir sans se faire prendre ?

  • Speaker #0

    Voilà, c'est compliqué l'autrice. Non, je pense pas, non, non. Mais moi j'ai pas l'impression que... Franchement, alors... J'ai pas l'impression que la littérature, on ment, on tue, on fasse quoi que ce soit. Je pense que c'est quelque chose, c'est un domaine dans lequel on vous fout la paix, bon à moins de parler de, je parle pas de Strauss-Kahn, c'est très particulier, mais autrement vous pouvez vraiment écrire tout ce que vous voulez. Non seulement on vous laisse la liberté, mais tout le monde s'en fout complètement. Mais il faut quand même voir, il n'y a aucun risque à écrire, on ne risque pas sa vie dans les pays où nous vivons. Moi j'ai pas risqué ma vie, j'ai été condamné dans un procès. Je suis toujours vivant. On s'en remet d'avoir une oeuvre mutilée, j'en suis la preuve. Franchement, non, il n'y a pas de danger à écrire. On peut dire à tous les gens, les gens les plus lâches qui nous écoutent. Soyez écrivains. Peuvent devenir écrivains. Peuvent le faire.

  • Speaker #1

    Excellent. Qui est le meilleur écrivain français vivant ?

  • Speaker #0

    Le meilleur écrivain français vivant ? Alors, la réponse que vous attendez...

  • Speaker #1

    J'attends pas de réponse.

  • Speaker #0

    Attendez. Alors, je n'ai pas... Parce que je pense que c'est moi, évidemment. Bah,

  • Speaker #1

    dites-le. Dites-le. Personne n'a osé. J'ai commencé ce questionnaire la semaine dernière, personne n'a osé.

  • Speaker #0

    Personne n'a osé ?

  • Speaker #1

    Pour l'instant, j'ai eu Camélie Nothomb dans l'émission. Elle n'a pas osé ? Elle a cité un écrivain belge.

  • Speaker #0

    Oui. Mais... Ben c'est pas cassé quoi.

  • Speaker #1

    Ben dites-le.

  • Speaker #0

    Non, honnêtement, moi je ne vais pas dire moi parce que...

  • Speaker #1

    Moi je pense que vous êtes dans les dix.

  • Speaker #0

    Mais moi j'aurais dit dans les deux.

  • Speaker #1

    Et l'autre, c'est qui ?

  • Speaker #0

    Non, non, c'est pas ça. C'est que, franchement, pour parler des grands écrivains français, ou le plus grand écrivain français actuel qui est le plus considéré, c'est Houellebecq. Je trouve que c'est un grand écrivain. J'ai eu tout à fait de respect pour beaucoup de choses qu'il a écrites. Carrère, pour penser à ceux à qui on pensait, c'est la même chose. J'ai eu de grands respects pour Quignard. Maudiano est pris Nobel, mais à part ça, je ne suis pas délirant sur Maudiano. Mais Pascal Quignard, il y a Michon pour lequel j'ai beaucoup de respect, donc on va arriver à plus de 10. Donc, si vous voulez, j'ai la fâche à l'habitude de prendre la perche. Et même quand il n'y a pas la perche, je veux dire, allez, il y a une connerie à faire, je vais la faire. Mais honnêtement, il y a aussi un problème qui se pose, c'est que... Moi, ce que je pense, parce que quand on regarde l'histoire qui est beaucoup plus rieuse, et que là, j'en emploie des adjectifs, l'histoire est beaucoup plus rieuse, je me demande si les grands écrivains de demain ne seront pas dans ces catégories, dans les noms qu'on a cités. Je me le demande, parce que je pense que les grandes œuvres actuellement, ce ne sont pas forcément des œuvres qui ont leur place dans le commercial, dans le commerce, ou même dans l'édition traditionnelle. Donc je ne suis pas certain du tout que ce soit parmi ces...

  • Speaker #1

    Le plus grand écrivain du monde, c'est un auteur de manga ou un auteur...

  • Speaker #0

    Non, même un auteur de roman, mais qu'on ne voit pas passer. Qu'on ne voit pas passer, parce qu'on est tout le temps en train de s'auto-congratuler, si vous voulez, et c'est à peu près le même cercle. Je m'aperçois que c'est à peu près le même cercle, et peut-être que ça ne se passera pas là, si ça se passe quelque part, parce que de toute façon, d'abord c'est assez dérisoire de pas... On est quand même assez illuminés. On parle de choses où on ne sera plus là, donc ça n'a aucun intérêt. C'est une question qui est passionnante, mais on va s'arrêter là.

  • Speaker #1

    Bon, la phrase de vous dont vous êtes le plus fier ?

  • Speaker #0

    La phrase de moi dont je suis le plus fier ? Une que j'ai dite tout à l'heure.

  • Speaker #1

    Nous sommes des univers passagers dans l'univers.

  • Speaker #0

    Non, une que j'ai inventée dans l'émission. Non, je ne sais pas, je ne suis pas très fier. Je ne suis pas très fier, au contraire, j'ai même un problème, c'est que quand je vais sortir de ce studio, de la Pérouse, je vais vous appeler en disant « tu pourras couper ça » . J'ai toujours l'impression d'avoir dit que des choses que j'aurais mieux fait de ne pas dire.

  • Speaker #1

    La question Fahrenheit 451, si les livres étaient interdits, quels livres seriez-vous prêts à apprendre par cœur pour le sauver ?

  • Speaker #0

    Non, franchement, non.

  • Speaker #1

    Même pas les illuminations ? Non,

  • Speaker #0

    je n'apprendrai rien par cœur. Non, je suis fatigué. Trouver des jeunes gens, non, franchement, les temps qui me restent, ça va prendre par cœur. Merci.

  • Speaker #1

    Quel est le livre qui vous a sauvé la vie ?

  • Speaker #0

    Le livre, alors, sauver la vie, vous savez, c'est pareil, je serai un peu plus modéré. Non, un livre que j'ai adoré, c'est Mille Plateaux de Loseguatari. Un livre dont j'aurais beaucoup de mal à parler parce que justement c'est très difficile à comprendre et je ne l'ai pas complètement compris. Et justement c'est ça ce qui est extrêmement intéressant dans le livre de Guattari et de Deleuze. C'est cette philosophie d'ailleurs qu'on n'est pas sûr de tout comprendre. Par exemple le devenir animal est quelque chose qui me fascine et je serais bien incapable de vous expliquer.

  • Speaker #1

    Quel est votre âge mental ?

  • Speaker #0

    Alors mon âge mental, alors il ne faut pas faire comme Lacan qui avait dit 5 ans, je ne sais pas du tout, mais mon âge mental c'est 70 ans et ça n'est pas drôle Frédéric, et ça n'est pas drôle.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Régis Geoffray d'être venu dans cette émission, j'ordonne à tous les gens qui nous ont écouté de lire Maman aux éditions Récamier. Abonnez-vous à notre chaîne YouTube, Conversation chez la Pérouse. Voilà, merci et respect infini à Régis Joffray et à sa folie. Et puis, vous allez être très fâchés, parce que je vais dire quelque chose avec lequel vous n'êtes pas du tout d'accord, mais je le dis à chaque émission, n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous allez devenir idiots.

  • Speaker #0

    Mais je suis d'accord avec vous. Ah bon ?

Share

Embed

You may also like

Description

Cette conversation avec un des plus grands écrivains français est exceptionnelle car elle montre à quel point Régis Jauffret se ressemble. Son écriture délire autant que lui ! Quand il parle, il se laisse entraîner dans des directions inattendues, comme dans ses 30 livres. C'est ainsi qu'on reconnaît les vrais : ils sont identiques à leur style.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Et cette semaine, notre sponsor est la vocation de Chloé Safi, au ChercheMidi éditeur. C'est l'histoire d'un esclavage consenti. Salomé, embauchée comme secrétaire par un banquier, devient progressivement sa chose. Elle renonce à sa vie, ses amis, son prénom, sa liberté, et devient sa domestique dans des tenues sexy. Elle subit des châtiments corporels et même des opérations de chirurgie esthétique. Le livre est présenté comme un témoignage authentique, mais c'est peut-être une fiction sadomaso, comme histoire d'eau. Vous qui êtes l'auteur de Clostria sur l'affaire Joseph Fritzl, je rappelle qu'il avait séquestré sa fille pendant 24 ans dans une cave. Qu'est-ce que vous pensez d'une telle histoire ? Une femme volontairement séquestrée et esclave pendant 7 ans.

  • Speaker #1

    Je pense qu'on est dans un autre univers parce que là, il avait séquestré sa fille, c'était un viol et c'était l'horreur absolue pendant 24 années. Là, on est dans une histoire classique, elle s'aime, on ne saura pas si elle était vraie ou pas. Franchement, ce n'est pas tellement grave de le savoir. Ce qu'on espère, c'est qu'elle était volontaire, soit dans la fiction, soit surtout dans la réalité.

  • Speaker #0

    Voilà, oui, très très bien dit. Je vous l'offre parce que c'est un des chocs de cette rentrée.

  • Speaker #1

    Et je vous le rends.

  • Speaker #0

    Ah bon ? Pourquoi ? Vous ne lisez vraiment pas vos contemporains ?

  • Speaker #1

    Je lis très peu, mais est-ce que vous l'avez lu ?

  • Speaker #0

    Oui, moi j'ai lu, j'ai trouvé ça assez troublant.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Oui, et bien écrit.

  • Speaker #1

    Bon,

  • Speaker #0

    allez, je le prends. Vous voyez, je vous ai convaincu. Régis Geoffray, donc, bonsoir. Vous avez publié Papa en 2020 et Maman en 2025. Les gens vont croire que vous faites, comme beaucoup d'autres, dont moi, écrire sur ces parents. Alors, qu'est-ce qui se passe en ce moment ? Pourquoi est-ce qu'il y a beaucoup de livres sur les parents ? Est-ce que vous avez une théorie là-dessus ?

  • Speaker #1

    Non, je pense qu'il y en a toujours eu. Ce qui me concerne, moi j'ai deux parents, donc il y a eu mon père, mais j'avais quand même plus de 60 ans quand je l'ai écrit, j'avais 64 ans je crois, et là c'est ma mère, donc j'ai 70 ans, et donc on va espérer que je ne vive pas trop vieux, parce qu'après je ne sais pas qui je vais trouver, les grands-parents. Mais ça va à l'encontre de mes idées d'écrire sur ces parents. Je sais. Je n'ai jamais voulu écrire sur moi, sur mes parents. sur personne et là j'ai été presque obligé de le faire et puis j'ai compris pourquoi je voulais pas aussi.

  • Speaker #0

    Oui, oui. Alors votre oeuvre, Régis Geoffray, est immense, tentaculaire, vaste, ambitieuse. J'avais parlé de vous dans mon dictionnaire des écrivains vivants. Je vais prendre la notice qui vous concerne. Pardon, c'était pas prévu, donc évidemment c'est mal fait.

  • Speaker #1

    C'est parce que vous avez écrit mieux sur moi.

  • Speaker #0

    Ah c'est vrai ?

  • Speaker #1

    Vous avez pas écrit ? Ah bon ? C'est intéressant, mais je trouve que vous avez écrit beaucoup mieux. Oui, j'ai écrit beaucoup. C'est un genre... littéraire pour vous presque. Écrire sur régie sur frère.

  • Speaker #0

    C'est vrai, j'ai beaucoup écrit d'articles sur vous parce que je suis un fan.

  • Speaker #1

    Je ne suis pas très correct de dire ça. Non,

  • Speaker #0

    non, mais pas du tout.

  • Speaker #1

    Je retire tout. Pas du tout.

  • Speaker #0

    Vous comprenez mon texte. J'évoquais les trois tomes des 500 micro-fictions en 2007, 2018 et 2022. Vous préparez d'ailleurs un quatrième tome, je l'ai appris dans ma main. Il est écrit. Voilà, avec 500 micro-fictions de plus, ce qui nous porte à un total de 2000. Vos grands romans des débuts sont Clémence Picot en 1999 et Univers, Univers, qui avait obtenu le prix Décembre en 2003. C'était des tentatives d'épuisement de l'imaginaire, en fait. Clémence Picot, elle essaye de faire cuire un gigot d'agneau et elle imagine tout ce qui pourrait lui arriver. Qu'est-ce qui vous a conduit à cette exploration du conditionnel dans vos débuts ?

  • Speaker #1

    Je crois que c'était un peu l'état naturel parce que j'essayais de... En fait, quand on écrit, moi, quand j'ai commencé à écrire, je ne savais pas quoi écrire. Alors j'avais une imaginaire terrible, importante, mais justement un peu trop... J'aurais voulu écrire sur quelque chose qui a un rapport avec le réel. Parce que mon premier livre, c'était sur l'histoire d'une vieille dame qui se réincarnait. Mais c'était extravagant. J'ai toujours essayé d'être dans la réalité. Et finalement le conditionnel ça me permettait de raconter le réel en racontant justement de façon imaginaire. Ce qui aurait pu arriver. Voilà parce que raconter la réalité, je me suis toujours dit qu'on la recopiait ce qui est faux parce que j'ai essayé de... comme si c'était un peintre mais justement un peintre qui recopie la réalité c'est l'hyperréalisme c'est toute la difficulté de la chose et je crois qu'au départ enfin je l'ai toujours, surtout quand j'étais gosse, je le photographiais et j'avais cette... Je ne savais pas quoi photographier. J'aimais photographier, j'aimais développer. C'est un truc que plus personne ne connaît. Mais l'image qui apparaît dans le laboratoire, etc.

  • Speaker #0

    Il y a une magie. Mais il y a la même magie quand vous écrivez.

  • Speaker #1

    C'est le même phénomène quand on écrit. Il y a un révélateur.

  • Speaker #0

    Et quand vous écrivez, souvent, on vous suit, on suit votre pensée. On se dit, tiens, il est en train de bifurquer, d'improviser. Et vous n'écrivez pas la phrase qui était prévue. Vous adorez ça, finalement, vous commencez une phrase sans savoir où elle va.

  • Speaker #1

    Mais je ne sais jamais où je vais. En même temps, j'essaie d'avoir une grande rigueur. Ce qui se passait avant, c'est que j'écrivais assez vite, dans une sorte de fièvre, mais je réécrivais le livre pendant au moins un an à chaque fois. C'était assez terrible. Je ne sais pas comment il y avait ces deux mouvements. Et là, le phénomène de l'écriture, je n'ai jamais su trop comment l'expliquer. Mais maintenant, on peut peut-être plus l'expliquer avec Chachibiti 4. Parce que finalement, Chachibiti arrive à reproduire l'écriture. Je peux raconter quelque chose ? Sur vous et moi, d'ailleurs. Ah bon ? Oui, j'avais fait un essai il y a deux ans, il y a six mois, je ne sais plus, écrire une microfiction à la façon de Régis Geoffray. Alors, j'ai une microfiction, etc. à la façon de Frédéric Beigbeder. Et là, alors là, c'était... Moi, la mienne, c'est déjà assez caricatural. À l'époque, maintenant, ils sont un peu plus doués. Et vous, c'était l'histoire d'une pauvre jeune fille qui vient de province et qui arrive à Paris, qui va dans les boîtes de nuit. et qui, bon, a une vie assez...

  • Speaker #0

    Prendre de la cocaïne.

  • Speaker #1

    Et qui meurt d'une ouvert dose dans les toilettes d'une boîte de nuit. Et c'est parce ça qu'ensuite, il y a Chachipiti qui se choque lui-même et qui dit, la drogue, il nous va nous... Alors que c'était Chachipiti qui l'avait...

  • Speaker #0

    Ah oui, d'accord. Ça aurait été bien si ça pouvait faire imploser le logiciel.

  • Speaker #1

    Il l'avait implosé lui-même, mais il a fait beaucoup de progrès. Et maintenant, la dernière fois que j'ai demandé d'écrire une microfiction, la façon de rédiger le frais, dans un avion. Non, avec Avion, simplement, j'ai eu une histoire qui était très bien. Qui était bien, oui. Et comme je ne me souviens pas de toutes les micro-fictions, si on me l'avait donnée, je leur ai dit « oui, elle est de moi » . Et je me suis dit « elle est un peu caricaturale » , mais je me suis dit « moi, ça doit m'arriver quand même d'être un peu caricaturale aussi » .

  • Speaker #0

    Donc, déjà, à cette époque-là, quand vous avez commencé à faire ces grands livres qui étaient très sulfureux, très provocateurs, très créatifs, vous étiez vraiment l'écrivain un peu de l'imagination et de l'horreur, on va dire, mais ça ne vous a pas suffi. Vous êtes allé vers le fait divers. Donc vous avez commencé par l'affaire Edouard Stern, avec ce livre qui s'appelait Sévère, en 2010, qui vous a d'ailleurs valu un procès.

  • Speaker #1

    Qui n'a pas eu lieu.

  • Speaker #0

    Qui n'a pas eu lieu, tant mieux. Puis vous avez traité l'affaire Joseph Fritzl dans Clostria en 2012, avant de vous occuper de l'affaire Dominique Strauss-Kahn, la balade de Rikers Island en 2014. Et là aussi, il y a eu un procès.

  • Speaker #1

    J'ai été condamné en première instance et en appel. J'ai eu face à moi trois avocats. dont Richard Melka, qui est quand même l'avocat de Charlie Hebdo, dont Maître Henri Leclerc, qui a plaidé avec haine et avec acharnement jusqu'à demander un report de procès parce qu'il avait une opération à faire, c'est lui qui l'avait dit, et avec l'avocat dont je ne me rappelle plus le nom, qui est l'avocat traditionnel de Chirac et de tous les autres hommes politiques, donc il y avait ces trois avocats. Alors pourquoi trois avocats ? On peut se demander pourquoi on vient avec trois avocats. Alors soit ça sert à quelque chose et ça me paraît guérépublicain, soit ça ne sert à rien. C'est bizarre cet étalage de puissance.

  • Speaker #0

    Non mais bon...

  • Speaker #1

    Mais j'ai été condamné.

  • Speaker #0

    C'est vrai que c'est assez rare.

  • Speaker #1

    Mon livre est toujours condamné. C'est-à-dire que mon livre, on peut le trouver en occasion, mais on ne peut pas le trouver en numérique légal puisque les parties sont coupées. Mais j'appuie sur le fait que moi je suis absolument... pas favorable à la liberté d'expression qui permet d'accuser n'importe qui.

  • Speaker #0

    Oui, alors ça c'est très intéressant, vous en parlez beaucoup dans ma langue, parce que vous avez beaucoup de scrupules à écrire sur votre mère qui est morte il y a peu de temps, à l'âge de 106 ans, qui vous a eu très tard, à 41 ans, vous étiez fils unique, et vous dites d'ailleurs, j'étais fils unique, donc c'est normal que j'ai une mère unique, et c'est un très très beau livre, mais en même temps, vous avez énormément de prévention avec l'autobiographie. Vous avez d'ailleurs... Vous refusez d'écrire des textes autobiographiques presque toute votre vie.

  • Speaker #1

    Oui, j'étais contre l'autobiographie. En même temps, il y avait une raison, c'était que je ne voulais pas parler de mon père. Alors à partir du moment où j'en ai parlé dans Papa, c'est-à-dire le fait qu'il soit sourd, qu'il soit handicapé dans un milieu bourgeois, qui n'avait rien de terrible, mais bourgeois, d'ailleurs ça aurait été un autre milieu, pas bourgeois, je pense que ça aurait été la même chose, mais enfin il se trouve... C'est toujours handicapant pour un fils handicapé. Donc j'avais, même adulte, cette pudeur, cette honte carrément. Oui,

  • Speaker #0

    mais le livre parlait surtout de son arrestation par la Gestapo.

  • Speaker #1

    C'est à cause de ça que je l'ai écrit. Oui,

  • Speaker #0

    et vous avez découvert à la télévision des images de votre père arrêté, menotté dans le dos et emmené dans une fourgonnette par la Gestapo. Et vous vous êtes demandé qu'est-ce que c'est que cette histoire, personne ne m'en avait parlé. Pensez-vous qu'il est devenu sourd à cause de la torture ?

  • Speaker #1

    C'est-à-dire qu'on m'a dit que souvent les gens devenaient sourds parce qu'on les frappait, on ne faisait que la téléteinte. Ça, je n'en sais rien du tout. Après, moi, les images, je les certifie parce qu'elles existent. Ce ne sont pas des reconstitutions parce que je ne vais pas me lancer dans les détails. Mais après, tout le reste, je l'ignore parce que quand même, je n'ai jamais entendu parler de... de cette histoire par personne. Personne. Et même ma cousine qui avait 7 ans et ça s'est passé devant elle, devant son appartement, j'allais dire, on n'en a jamais entendu parler. Donc on sait que c'est vrai, mais ça va si loin que si mon père était là, je me demande s'il me dirait s'il sait ce que c'est. C'est-à-dire que la seule chose, c'est que la réalité me maltraite au point que c'est sûr que c'est vrai. Mais c'est tout ce que je peux en tirer. Et le reste, c'est pur... Sinon fiction, du moins conjecture.

  • Speaker #0

    Alors je vais vous faire lire la page 9 pour donner une idée de ce que c'est que l'écriture très radicale, très personnelle, très originale de Régis Geoffray.

  • Speaker #1

    On enterre de plus en plus tard. Certains corps partient jusqu'à 14 jours avant d'être inhumés et l'écologie trinque. Toute cette énergie dépensée pour réfrigérer le corps d'un être qui en a déjà dégapidé une quantité extravagante de son vivant. et la cryogénisation. plus énergivores encore que l'existence. Ces sinistres hurlus-berlus craignent leur effacement de la liste des vivants jusqu'à se faire surgeler comme des hamburgers. Ils finiront par ressusciter 200 ans plus tard à l'occasion d'une panne de secteur consécutive à la destruction d'une centrale électrique par un ouragan. Ils sortiront de leur boîte, gueule ouverte, mouillés comme des rats, grelottants, et ils jetteront un regard terrifié sur un siècle hostile, démoli, aux habitants bouillants de haine. C'est ce qui va arriver, qu'est-ce que vous croyez ? Vous savez pourquoi ? Parce que ce qui est très drôle, c'est que ça c'est des gens qui ont beaucoup d'argent, parce que c'est pas la portée. Mais c'est-à-dire que les gens qui ont beaucoup d'argent, à un moment, pensent qu'ils peuvent tout acheter, que c'est scandaleux de mourir, donc ils peuvent acheter la mort. Mais ils ne se rendent pas compte que dès que vous mourrez déjà, tous s'effondrent. Regardez Louis XIV, il avait dit nous pouvons tout tant que nous sommes, mais après c'est la catastrophe. Et donc les enfants ne voudront plus payer, parce que les enfants qui aiment bien le père, Ils vont le faire les petits-enfants, mais les arrières-arrières-petits-enfants, quand on va leur demander une fortune pour aller congeler un papier inconnu et bloquer sa fortune, parce que ces gens-là, ils veulent bien venir, mais pas comme des clochards, donc il y a tous une fortune bloquée. Tiens, je ne vous ai pas parlé, mais ça me vient à l'esprit. Donc en fait, ils vont finir, mais comme des hamburgers, un jour de panne d'électricité. Oui,

  • Speaker #0

    c'est intéressant parce que je vous fais lire cet extrait. Pourquoi ? Pour montrer votre style. vous vous laissez entraîner par votre élan. On le voit aussi dans votre manière de parler. Vos phrases démarrent à peu près dans la normalité pour basculer soit dans l'absurde, soit dans la violence, soit le comique ou le surréalisme. Souvent, c'est ça qui vous intéresse, c'est d'aller dans des zones imprévisibles. Me trompe-t-je ?

  • Speaker #1

    Non, je ne sais pas. l'écriture qui m'entraîne. Oui, mais je pense que l'écriture entraîne l'écrivain, comme la peinture. Je pense que finalement, c'est un peu l'ivresse de l'art, l'ivresse des couleurs, l'ivresse... Même pas des mots au sens... Non, c'est plutôt que la langue, c'est la réflexion. Oui, moi je crois beaucoup à... Si vous voulez, on raconte des histoires. C'est très difficile de parler des livres parce que on raconte l'histoire qu'il y a dans le livre. Et en fait, si l'écrivain a réussi son affaire, si il a réussi son coup, on n'arrive pas à dire ce qu'il y a dans un livre parce que c'est tout autre chose, parce que c'est une histoire d'art. L'art c'est compliqué.

  • Speaker #0

    Bien sûr, mais d'ailleurs, ce genre d'émission n'a pas de sens pour un écrivain véritable comme vous, qui a vraiment une sorte de... Est-il unique ? Imaginez interviewer Kafka par exemple, c'est un peu compliqué. Je vous vois comme une sorte de Kafka français.

  • Speaker #1

    C'est gentil, je suis très flatté, mais interviewer Kafka ça doit être quelque chose de compliqué. Oui, mais le contraire de ce qu'on pourrait imaginer, si j'en crois la biographie, le nom de biographe m'échappe évidemment, c'était quelqu'un qui était très idéologue, Kafka, il était très sioniste à une époque où c'était complètement différent. Mais c'était quelqu'un d'extrêmement sérieux. Il aurait transformé ça en émission de propagande, non passionniste, mais c'était quelqu'un qui voulait le bien. Vous savez qu'il est... Vous comprenez mon tâche ? C'est un truc très intéressant dans sa biographie. C'est que les Allemands préservaient les élites. Le camp allemand, puisqu'il était d'Autriche-Hongrie.

  • Speaker #0

    Il était de Prague,

  • Speaker #1

    mais il s'exprimait en allemand. Et donc il ne pouvait pas partir se battre en 1914. C'est-à-dire que son chef de bureau refusait de le donner. C'est-à-dire qu'il a voulu faire la guerre de 1914, il n'a pas pu la faire. Après il est tombé malade. C'est bien une émission où on part dans les sables à chaque fois. C'est ce que bisez-vous ! On parle de Kafka et on laisse tomber.

  • Speaker #0

    C'est exactement ce que je disais sur vous. C'est quand on vous lit et puis ça part, ça part dans des directions.

  • Speaker #1

    On est souvent plus intéressants quand on parle des autres. Kafka, par exemple.

  • Speaker #0

    Non, mais vous êtes très intéressant quand vous parlez de votre mère. Simplement, je lis votre phrase, c'est dans le livre. Un des buts de ma vie d'écrivain fut de ne pas parler de maman. Et vous avez échoué à ne pas parler de votre mère.

  • Speaker #1

    J'ai échoué, peut-être pas complètement, parce que j'ai encore pas... complètement parler d'elle. Il y a des choses que... Je me suis beaucoup censuré. C'est un livre sur ma mère beaucoup censuré, qui est très censuré, qui était très compliqué à écrire pour arriver à la sauver. C'est-à-dire que moi, mon but, ça a été de la sauver, pas pour elle, mais pour moi. Parce que quand vous vous apercevez que votre mère s'en va, pas au sens où elle meurt, parce que ça, c'est la nature, surtout quand elle a 106 ans, c'est un peu naturel, on va dire, mais que votre mère vous a trahi.

  • Speaker #0

    Oui, alors vous découvrez pas mal de choses à titre posthume. En regardant ces affaires.

  • Speaker #1

    Voilà, je découvre une trahison. Et si vous voulez, quand vous découvrez que votre mère vous a trahi, vous dites, finalement, à chaque instant que j'avais cette mère auprès de moi, c'était un personnage malveillant.

  • Speaker #0

    Est-ce que, oui, elle aimait bien mentir, elle aimait bien mentir tout le temps.

  • Speaker #1

    Oui, mais il y a le mensonge et puis on a dit qu'on restait dans le mystère.

  • Speaker #0

    Il ne faut pas donner le... parce que ce n'est pas au début du livre, c'est vraiment à la fin du livre qu'on découvre... qu'est-ce qui était vrai et qu'est-ce qui était faux. Voilà,

  • Speaker #1

    je joue le jeu du suspense que je fais rarement, mais là, ça m'a beaucoup amusé parce que c'est des séries. Je ne dors jamais, donc je regarde des séries. C'est bien, je ne dors jamais. Claire Cassillon avait écrit un livre qui s'appelait « Ma mère ne meurt jamais » . Et moi, je ne dors jamais.

  • Speaker #0

    On peut dire quand même parmi les nombreux mensonges, il y en a un, c'est qu'elle vous annonce qu'elle a rencontré votre père en 42 et non pas en 52. Ça fait quand même une différence de 10 ans.

  • Speaker #1

    donc elle l'a rencontrée avant l'arrestation par la Gestapo tout ce qui est la guerre reste dans la possibilité de la fiction parce que j'ai tellement peu de renseignements sur la guerre j'ai tellement été obligé de la faire apparaître si vous voulez c'est un peu comme si vous savez au cinéma on a une phrase ça s'appelle le pitch moi pour la guerre j'ai le pitch j'ai une phrase et cette phrase c'est un un père arrêté par la Gestapo à partir de là Merci. je suis obligé d'être aussi dans l'imaginaire.

  • Speaker #0

    Oui, mais c'est ça qui est extraordinaire, c'est que ça soit tombé sur vous, qui êtes l'écrivain de l'imagination. Ça tombe sur vous, et du coup, vous êtes obligé de vous dire, si on l'a arrêté, c'est qu'il était résistant, donc il a été torturé, mais pourquoi est-ce qu'il a été relâché ? Il a été relâché parce que peut-être il a payé, ou parce que quelqu'un a payé.

  • Speaker #1

    C'était assez fréquent, paraît-il, m'a-t-on dit. Mais ce que je veux dire, c'est que Le problème, c'est que moi, quand j'ai écrit sur Papa, je voulais faire comme tout le monde. Quand on découvre quelque chose, on fait une enquête et on remonte. Et moi je me suis arrêté là parce qu'à partir du moment où il n'a pas apparemment été donné à la police française, les archives de la Gestapo ont été détruites. Et puis surtout c'était des voyous à Marseille. C'était 200 petits macros qui étaient salauds les 20 ans. Enfin, j'en ai eu ce d'homme. Donc c'est un mystère total. Ça c'est la partie mystérieuse qui m'importe peu, j'allais dire. Parce que finalement la guerre, moi je n'étais pas né. La partie qui me touche et qui me pulvérise, j'allais dire, c'est la partie... sur laquelle j'ai ce renseignement, donc je ne donnerai pas, qui fait que ma mère m'a menti depuis le début, et m'a quelque part fermé les portes de l'amour. C'est pas mal ça.

  • Speaker #0

    Ma mère m'a fermé les portes de l'amour. Non, parce que vous dites qu'elle vous aimait et que vous l'aimez aussi, mais en revanche, vous avez grandi sur un malentendu.

  • Speaker #1

    Exactement, on peut dire ça comme ça.

  • Speaker #0

    Mais ça fait de vous le romancier que vous êtes. Peut-être qu'elle a volontairement menti pour faire de vous un artiste.

  • Speaker #1

    Je peux vous faire un aveu ? Je m'en serais passé.

  • Speaker #0

    C'est vrai ? Vous n'êtes pas heureux comme écrivain ?

  • Speaker #1

    C'est pas ça. Je ne pense pas du tout que les malheureux fassent des artistes. Je pense que, je vais vous dire quelque chose qui va me pulvériser à nouveau, je pense que c'est le talent. Je vais vous dire pourquoi. Par exemple, moi j'aime bien dessiner mais je ne suis vraiment pas doué du tout. Donc je ne serai jamais dessinateur parce qu'on ne va pas travailler quelque chose pour lequel on n'aura pas de résultat. J'aimais bien chanter. J'ai enregistré dans le studio où on a enregistré The Wall, Miraval, mais je n'étais pas au niveau à l'époque. Et donc j'ai œuvré dans le domaine où j'avais un petit don, c'est-à-dire l'écriture. Et je ne crois pas que c'est d'être malheureux qui fait l'écriture.

  • Speaker #0

    Mais je n'ai pas dit malheureux, j'ai dit de vivre dans un mensonge, d'avoir entendu des mensonges.

  • Speaker #1

    Je ne savais pas. Je l'ai su à 65 ans. À 66, pardon. Je ne savais pas, c'est ça qui est fou, c'est que j'ai vécu dans le mensonge en croyant que c'était la vérité.

  • Speaker #0

    Mais le livre est quand même constamment ambigu et c'est ça qu'on aime chez vous. Par exemple, vous dites « il faudrait que je l'aime » , c'est une très belle phrase, écrite le lendemain de sa mort. Votre mère meurt et vous dites « il faudrait que je l'aime » . C'est souvent d'ailleurs ce qu'on ressent, de ne pas être assez triste. Mais là, vous ne saviez pas encore qu'elle vous avait trahi. Et pourtant, n'arrivez pas à être triste.

  • Speaker #1

    Si, il y avait quelques fissures qui s'étaient produites. Mais si vous voulez, si je n'avais pas eu ce document et les choses que j'ai pu découvrir à côté, vous êtes simplement dans la culpabilité. Vous dites, je ne suis pas assez aimant comme enfant. Beaucoup d'enfants doivent le ressentir. Et puis surtout, il y a le fait d'être enfant unique parce que vous êtes le seul à aimer. Vous êtes le seul à être aimé, mais le seul qui peut renvoyer un lien. Oui, ça fait une grosse pression parce que quand il y en a deux déjà... La pression est moins forte. Et puis, vous êtes deux, c'est une association entre un frère ou une sœur et un frère. On peut parler des parents. On connaît la même personne. La personne ne connaît la personne en tant que parent. Donc on est assez seul.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, vous ne vouliez pas venir au monde. Vous avez mis très longtemps. Bah oui, vous êtes né à 9 mois et 10 jours. Vous êtes resté dans son ventre le plus longtemps possible.

  • Speaker #1

    Bah vous voyez, c'est encore... Et en plus, j'arrivais par le siège, ce qui est la pire des choses.

  • Speaker #0

    Ah oui, la plus douloureuse.

  • Speaker #1

    J'ai été un instrument de torture pour ma mère.

  • Speaker #0

    Elle vous disait tout le temps qu'elle allait mourir quand vous étiez enfant, ce qui vous empêchait de dormir.

  • Speaker #1

    Je crois que là, partons de la cause de mes insomnies, je ne sais pas pour l'art, mais la cause des insomnies, oui. Je me suis rappelé quelque chose qui n'est pas dans le livre. Je me suis rappelé l'autre jour, c'est qu'elle me disait qu'elle écrivait des testaments pour sa mort, et l'usage qu'on ferait de moi après sa mort. Donc il fallait que quelqu'un m'adopte. Je ne sais pas pourquoi, parce que mon père n'était pas censé être mort, donc il aurait pu, moi, je ne comptais pas beaucoup. Mais surtout, elle me précisait bien, qu'elle mettait dans le testament, qu'elle ne voulait pas qu'on m'oblige à aller à son enterrement. Ça m'est revenu hier. Et ça, elle me l'a dit plusieurs fois. Et c'est drôle, parce que quand quelqu'un meurt, on ne va pas voir l'enterrement, donc on oblige d'abord leur gosse. Ça fait l'enfant vraiment mauvais qui ne veut pas aller à l'enterrement de sa mère. C'est quelque chose qui m'est revenu. et ça en revanche j'ai vu tout ce que Tout ce qu'on a pu me dire sur mes livres, pas reprochés, mais d'une certaine façon... Les livres sont particulièrement choquants,

  • Speaker #0

    enfin, provocants.

  • Speaker #1

    Non, mais sur la mort, sur le fait... Surtout mes premiers livres où je parle beaucoup de la mort et du fait de mourir, etc., c'est que j'ai été bercé par le cadavre. Parce que non seulement mes deux grands-mères sont mortes quand j'étais petit, mais en plus, c'est dans l'appartement où je vivais dans les deux cas. Mes deux grands-mères vivaient consécutivement dans l'appartement. Donc tout le carnaval des croque-morts avec la neige carbonique, les cercueils, quelque chose d'épouvantable. Finalement, c'est l'événement exotique qui est arrivé dans ma vie d'enfant. Parce que moi, il ne se passait rien de spécial autre que ça.

  • Speaker #0

    Mais vous dites que votre enfance était heureuse quand même.

  • Speaker #1

    Mais c'est une pétition de principe, Frédéric. Non,

  • Speaker #0

    parce que vous pourriez dire que j'avais une mère toxique qui était folle et qui était admisible.

  • Speaker #1

    Certainement pas. Parce que je vais vous dire pourquoi.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas grave de dire ça.

  • Speaker #1

    Si, c'est très grave. Parce que je ne supporte plus les enfants malheureux. Quand on voit les enfants exploser, je parlais d'explosion, c'est le mot du jour, quand on voit les enfants, même en France, qui ne sont nourris qu'une fois par jour par la cantine, je pense qu'il y en a absolument assez. C'est le syndrome vipère au point, qui est un scandale total, parce que ce Thervé Bazin, qui a exploité sa mère jusqu'à la fin, il y a même une photo dans Paris Match, où il est devant le lit de mort de sa mère, ce qui est quand même d'un bon goût extraordinaire, n'a pas eu une enfance si malheureuse que ça. Il a eu une enfance qui était très quelconque à l'époque. C'est une enfance de bourgeoisie paysanne de province, je ne sais pas comment dire. Ce n'est pas du tout une enfance... En fait,

  • Speaker #0

    c'est ça.

  • Speaker #1

    ...dénéreusement mauvaise. On dit qu'il n'était pas aimé par sa mère. Bon, déjà il y avait une fratrie, déjà il y avait tout un ensemble. C'est scandaleux. Vous savez ce que disait... Marcelo Mastroianni, on lui prête cette... Mais il me paraît que c'est dans l'Intervista, donc c'est vrai qu'il l'a dit. Il a dit qu'un acteur qui travaille n'a pas le droit de se plaindre. C'est-à-dire qu'un acteur qui vit de son travail, un écrivain qui vit de son écriture, ferme sa gueule. Il est heureux, il a eu une vie heureuse, il a eu une enfance heureuse, et il a sauvé tout le monde, sa mère y compris. Ma mère m'aurait battu, je la sauverais quand même. Elle m'aurait crevé un oeil, je la sauverais quand même. je suis là pour ça, on est là pour sauver les gens, on a le privilège d'être... D'être rémunéré, pas extraordinairement, mais de quoi, avoir vraiment de quoi, de pouvoir vivre de ce qu'on dit, c'est-à-dire que ces paroles aient une valeur et qu'on vous dise, c'est votre travail, c'est votre métier, on est là pour quand même, si vous voulez, il faut savoir se tenir un peu. C'est l'idée qui me vient. Oui,

  • Speaker #0

    mais je comprends, c'est vrai qu'il y en a trop de livres larmoyants et misérabilistes, et vous voulez échapper à ça, je comprends, mais en même temps... Vous dites aussi des choses qui sont... C'est vrai, c'est un peu comme un anti-livre de ma mère d'Albert Cohen, où il était très... Voilà, ça n'était qu'une déclaration d'amour. Là, c'est plus cruel, plus lucide, plus sincère, je ne sais pas. Compliqué, quoi.

  • Speaker #1

    C'est infiniment complexe. Mais si vous voulez, l'événement qui a sauvé ma mère et qui m'a sauvé moi, finalement, c'est la naissance de ma petite-fille. Voilà, parce qu'à partir de ce moment-là... Mais je me suis dit, mais ma petite fille, elle est là, ma mère, elle est là, elle est dans ma petite fille. Et tout le monde est là. On est tous là. Donc,

  • Speaker #0

    pas votre fille à vous, mais votre petite fille.

  • Speaker #1

    La fille de ma fille. Il vient de naître, voilà, Elisa. Et donc, je cite son nom d'ailleurs, et je vais contre tous mes principes. C'est dans l'impudeur, chez Rousseau, mais la plus terrible. Mais c'est là où je me suis dit, mais finalement, ma mère, il faut vraiment la sauver. pourquoi ? Alors je vais dire à cette petite fille, ton arrière-grand-mère, elle était pas... Non, mais ton arrière-grand-mère, elle était formidable. C'est à moi, l'affaire formidable. C'est moi qu'il n'est pas comprise. Finalement, l'histoire d'un fils et d'une mère, quand le fils a passé la barrière des âges, c'est une affaire entre adultes. C'est deux adultes. C'est deux adultes. Alors j'arriverai peut-être pas à son âge, c'est probable, mais parfois on dépasse l'âge de ses parents. Je vais bientôt dépasser l'âge de mon père. Donc c'est deux adultes. Il faut... Si vous voulez, le bonheur c'est très artificiel. Si vous ne l'inventez pas, vous avez la joie, le sentiment, par exemple, quand vous deviendrez grand-père, vous avez beaucoup de chance de devenir plus que moi, puisque vous avez trois enfants. Quand vous deviendrez grand-père, vous verrez que vous avez quelque chose d'extraordinaire, le moment d'adrénaline quand vous êtes grand-père. Vous l'avez quand vous êtes père, mais quand vous êtes grand-père, c'est encore quelque chose de différent. Mais après, le bonheur, il faut le... Il faut le construire, surtout quand vous êtes grand-père, vous vous apercevez que vous avez une responsabilité tout d'un coup. D'ailleurs,

  • Speaker #0

    vous avez là un physique maintenant de patriarche. On voit le patriarche.

  • Speaker #1

    Voilà.

  • Speaker #0

    Vous n'êtes plus le jeune écrivain scandaleux. C'est fini. C'est fini tout ça. C'est terminé. Non, non, mais ça m'intéresse cette culpabilité que vous avez sans cesse. Je lis des extraits du livre. Une fois leur mère morte, les enfants l'inventent. Plus loin, vous dites, lui dire je t'aime m'aurait soulevé le cœur, comme si j'avais été contraint sous la menace d'un revolver de l'embrasser sur la bouche. Donc ça vous choque de dire je t'aime, d'ailleurs aujourd'hui tous les enfants disent je t'aime à leurs parents, les parents disent je t'aime toute la journée, c'est un peu sirupeux. Mais je ne sais pas, oui vous l'avez dit, c'est de la pudeur qui vous empêche.

  • Speaker #1

    Je ne crois pas du tout, non, c'était que je n'avais pas envie de lui dire je t'aime. Et si vous voulez, là c'est quelque chose de plus profond qui vient beaucoup plus tard, c'est quelque chose de plus...

  • Speaker #0

    C'est finalement ce livre, ça a été difficile de l'écrire, pas tellement sur un plan littéraire, mais sur un plan humain. C'est difficile d'en parler sur un plan humain et sur un plan littéraire, parce qu'en même temps, je parle et je vois que je ne peux pas parler du livre, pas parce que je ne veux pas, mais parce que c'est un livre qui est très complexe. Très riche, oui,

  • Speaker #1

    je suis d'accord. Moi, je vous aide en lisant des extraits. Oui,

  • Speaker #0

    heureusement.

  • Speaker #1

    Il est temps pour moi de sortir une deuxième fois de cette mer. Mais c'est des phrases qui sont... Extraordinaire, moi j'adore ça. Parce qu'il y a beaucoup beaucoup de livres sur la mer, mais personne n'a jamais dit il est temps pour moi de sortir une deuxième fois.

  • Speaker #0

    Oui mais c'est vrai, c'est exact.

  • Speaker #1

    Mais c'est sublime. En fait, ce livre c'est une deuxième naissance.

  • Speaker #0

    J'aurais pas cet optimisme extraordinaire. Mais disons non, moi je suis dans une période où c'est la période où on va mourir, si vous voulez. C'est une période, alors ça peut s'étendre, ça peut durer six mois, ça peut durer dix ans, ça peut durer quarante ans. Mais c'est la période où vous dites, vous êtes à la fin. Vous êtes à la fin finale. Les deux parents sont morts. Là, on est dans la dégringolade. Et c'est une sorte d'exaltation. Vous savez, c'est comme si vous arriviez, j'imagine, le Tour de France et que ce soit une descente. Vous arrivez, vous arrivez, vous arrivez de plus en plus vite. Vous allez emporter la ligne d'arrivée. Moi,

  • Speaker #1

    je trouve que vous êtes en pleine forme.

  • Speaker #0

    Mais oui, mais c'est justement. On ne va pas mourir non plus malade. Écoutez, ma mère était très intellectuellement, en tout cas, très à l'aise. Jusqu'au bout. Vous auriez pu l'interviewer, oui, il y a quelques années, d'ailleurs, on aurait pu le faire.

  • Speaker #1

    Ça aurait été une bonne idée.

  • Speaker #0

    Non, donc c'est l'exaltation. Je pense qu'il y a un moment où on termine sa vie, où ça peut être une longue fin ou une courte fin, mais on a cette sensation d'être dans la dernière période de sa vie. Il y a une sorte d'exaltation et surtout de volonté de ne pas se laisser embarrasser par les détails. Et que ma mère m'ait trahi, ça devient un détail. C'est un détail parce que vous êtes entre la vie et le néant. Tout est bien. Tout est bien, il n'y a que des bons moments, il n'y a que des gens extraordinaires, puisqu'ils existent. C'est quand même mieux quelqu'un de désagréable qui existe que quelque chose qui n'existe pas, que rien du tout.

  • Speaker #1

    C'est ce que disait Amélie Nothomb dans notre émission la semaine dernière.

  • Speaker #0

    Et je l'ai croisée d'ailleurs. Oui, oui.

  • Speaker #1

    La semaine dernière, elle disait... Oui, vous l'avez croisée la semaine dernière. Chez la Pérouse. Et son livre s'appelle « Tant mieux » . Et elle dit au fond, tout ce qui nous arrive, de bien, de mal, tant mieux. C'est un peu la même chose, vous dites ça, vous dites même quelqu'un qui vous a fait souffrir, ou quelqu'un qui ne vous a pas dit je t'aime, tant mieux, ça a existé, et puis voilà.

  • Speaker #0

    Mais oui, parce qu'on est devant ce qui ne va plus exister, et quand vous avez la sensation de savoir ce que c'est que... Quand vous ne serez plus là, c'est très facile, c'est très très terrible. Vous voyez ici et vous vous retranchez. C'est-à-dire que vous apercevez que rien ne manquera. Vous n'avez pas manqué avant, vous ne manquerez pas après. Donc il faut s'habituer à ne plus exister. Et donc là, moi, je suis dans la phase où on s'habitue peu à peu à ne plus exister. Et finalement, tout doit être bonheur. Et surtout, il faut tout remettre en place. Il faut remettre son passé en place pour le laisser aux autres. Moi, je ne vais pas laisser The Mess. le bordel, tout ce que vous voulez, à ma descendance. Non, voilà, je leur donne, ma mère, je leur donne au sens de là, je remets de l'ordre, je range ma chambre. Page 44. Je m'en vais, je range ma chambre.

  • Speaker #1

    Page 44. Heureusement que j'existe encore pour m'en souvenir. C'est très beau. Moi, j'ai pleuré plusieurs fois. J'ai pleuré au moment des baisers Eskimo sur, vous savez, les baisers avec le nez. qu'elle vous faisait, elle vous embrassait aussi, vous en parlez pas mais moi je vous le dis, il y avait aussi les bisous papillons. Vous vous rappelez des bisous papillons ? C'est avec les paupières. Vous ne faisiez pas les bisous papillons ? Non, je n'ai pas fait. Mais enfin, les baisers esquimaux, ça m'a fait pleurer.

  • Speaker #0

    Vous l'avez fait aussi ?

  • Speaker #1

    Oui, je transmets. Ah oui, j'ai transmis aux enfants, oui.

  • Speaker #0

    Vos parents vous ont fait les baisers papillons ? Non,

  • Speaker #1

    pas mes parents, ma mère.

  • Speaker #0

    Votre mère ? Oui, mon père non plus.

  • Speaker #1

    Alors, vous revenez parfois à Marseille ? Parce que ça se passe à Marseille,

  • Speaker #0

    c'est important. Je reviens à Marseille quand ma mère y était, je ne reviens plus beaucoup à Marseille. Non ?

  • Speaker #1

    Vous dites que c'était une ville morne. Votre enfance était morne ?

  • Speaker #0

    Mais non, je dis que c'est lumineux aussi.

  • Speaker #1

    Ah ben, mordre et lumineux,

  • Speaker #0

    ça va. Ben non, mais c'est-à-dire que, si vous voulez, moi, je vois aussi quelque chose dans le souvenir. On a tendance à se souvenir des mauvais moments. Oui, ça dépend. Ça dépend, voilà.

  • Speaker #1

    Non, mais vous dites par exemple, alors, est-ce que c'est vrai, est-ce que c'est faux, que De Gaulle est venu rendre visite à votre père en 1967 ?

  • Speaker #0

    Et ça, je ne saurais jamais, parce que c'est complètement invraisemblable. Mais comment ? D'où tu... Je ne le tiens de rien du tout, mais comme... Je le tenais dans ma tête, je ne sais pas pourquoi, mais comme des événements, par exemple, vous donnez un truc assez échéant, les voisins avaient un chien et j'avais même le nom du chien et les voisins n'ont jamais eu de chien. Donc c'est un peu le même genre d'événement que j'avais dans ma tête. Oui,

  • Speaker #1

    en fait, on n'arrive plus à savoir où est le vrai et le faux et ce n'est pas grave.

  • Speaker #0

    Parce que j'avais dit à ma mère, les voisins à la campagne avaient un chien, il s'appelait Bobby d'ailleurs. Et ma mère, elle m'en demandait à mon père, elle dit non, ils n'ont jamais eu de chien. Et donc c'est un peu la même chose, mais comme j'ai vu mon père arrêté par la guesse à peau, je me dis peut-être que c'est vrai. Et si vous voulez, il y a toute une partie des choses dans ce livre dont je ne saurais jamais si elles étaient vraies ou fausses.

  • Speaker #1

    Bon, je vais vous faire un sale coup, je vous demandais de lire ce que j'ai encadré avec vos lunettes, sans pleurer. Il faut arriver à lire ce paragraphe sans pleurer, bonne chance.

  • Speaker #0

    Je ne pleure pas moi. Oh, je continuerai à avancer, à causer, à écrire, mais je ne serai plus vraiment en vie. Un fœtus dont le cordon sec ressemblerait à une laisse abandonnée par le propriétaire d'un clébard.

  • Speaker #1

    Bon, merci beaucoup. On va passer au « Je devine tes citations » . Alors là, je vous lis des phrases de vous, tirées de tous vos livres. Et vous devez me dire dans quel livre vous avez écrit ceci. Et il y en a 30, alors bonne chance. C'est un test de mémoire. Flaubert s'en fout bien de ton livre.

  • Speaker #0

    C'est dans le dernier,

  • Speaker #1

    Maman. Oui, c'est dans Maman, 2025. Elle a vraiment dit ça ? Est-ce que c'était à propos du dictionnaire amoureux sur Flaubert que vous avez ?

  • Speaker #0

    Non, d'ailleurs je pense qu'elle n'aurait pas pu le dire. Elle n'aurait pas pu le dire parce que ça l'aurait bien embêté que Flaubert se foute de mon livre. Elle aurait voulu vraiment qu'il s'en importe beaucoup.

  • Speaker #1

    Une autre phrase. Les femmes sont grosses de l'avenir du monde.

  • Speaker #0

    C'est dans le ventre de Clara,

  • Speaker #1

    bravo 2024. Vous êtes bon. C'était le livre sur la mer d'Adolf Hitler. Parce qu'avant d'écrire sur votre mer, c'est assez freudien. Vous avez écrit sur la mer d'Hitler. Est-ce que vous vouliez écrire deux livres sur des mers de suite, ou c'est un hasard ?

  • Speaker #0

    Je jure que c'est un hasard. Maintenant, la mer d'Hitler à l'état de mer est une mer. C'est pas différente de ma mère. L'enfant, oui.

  • Speaker #1

    Toutes les familles sont des asiles de fous.

  • Speaker #0

    Asiles de fous.

  • Speaker #1

    Oui. Prix Fémina 2005, il y a 20 ans. Pourquoi dites-vous ça, que toutes les familles sont des asiles de fous ?

  • Speaker #0

    Parce que c'est la vérité quand on en parle aux autres. C'est-à-dire que les autres, quand ils nous parlent des familles, il y a toujours, ou alors on donne un nom à un oncle, etc. Par exemple, pour parler de moi, mon fils se fait appeler Oncle Chat. Par ma petite fille,

  • Speaker #1

    ça va être un peu asile de fou. Nous sommes des univers passagers dans l'univers qui s'éternise.

  • Speaker #0

    C'est aussi l'univers-univers.

  • Speaker #1

    Univers-univers, pris décembre 2003. C'est là où il y a la femme qui fait cuire un gilot.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait.

  • Speaker #1

    Je me suis trompé, je l'ai attribué à Clémence Picot tout à l'heure. Vous êtes pardonnable. Non, mais en tant qu'exégète, je ne veux pas dire n'importe quoi. C'était un projet à la Pérec un peu. d'épuisement du réel, univers-univers, c'est-à-dire tout l'univers qui tourne autour de cette femme dans son appart qui fait cuire un gigot.

  • Speaker #0

    Non, mais par contre, et en revanche, j'avais adoré La vie mode d'emploi de Pérec. C'est un des livres que j'ai beaucoup aimé.

  • Speaker #1

    Bon, alors finalement, il y a peut-être un...

  • Speaker #0

    Peut-être qu'il y a quelque chose.

  • Speaker #1

    On a l'impression aussi que vous étiez, à l'époque, vous avez l'ambition d'être un romancier d'avant-garde. Et puis maintenant, vous écrivez ce que vous...

  • Speaker #0

    pouvez vous écrivez pas du tout c'est non non j'ai essayé d'être le plus conforme possible parce que je vais vous dire pourquoi parce que les éditeurs refusait tous mes livres donc moi j'essayais au contraire j'avais l'impression de me couler dans un monde très très classique j'étais très surpris de la réaction des noms la critique les critiques et j'ai essayé d'être tout sauf de l'avant-garde à chaque fois j'étais très étonné parce qu'on a une époque aussi c'était très conformiste le roman français. Oui, oui. Dans les années 70. Jusqu'à Wellbeck, on a commencé à avoir une bouffée éditoriale de fraîcheur au moment où on a commencé à publier l'extension du domaine de la lutte, où il y a eu quand même de la presse qui a commencé à s'y intéresser. Et là, ça a été toute une nouvelle génération de critiques, je dirais.

  • Speaker #1

    Et vous, vous êtes arrivé cinq ans plus tard. Non,

  • Speaker #0

    un peu. Un peu avant. Oui, enfin, peu avant. Mais ça a été cette ouverture. C'est-à-dire qu'il y a toute une génération qui est partie des critiques littéraires, qui ont disparu. Je crois que c'était surtout ça qui maintenait une vieille littérature. Et là, maintenant, qu'est-ce qui va arriver ? C'est nous qui allons...

  • Speaker #1

    Alors, chose... Oui, nous, on va dégager. Une autre phrase. Alors là, c'est très intéressant. Je cache, parce que... Elle est prémonitoire, cette phrase. Maman me reprochait parfois d'être fille unique. C'est Clémence Picot. Non, Clémence Picot, 99. Vous voyez, 99. Il y a 26 ans, déjà, c'est une fille unique. Comme vous, vous êtes fils unique. Et je ne sais pas, j'ai eu l'impression que déjà, il y a 26 ans, vous aviez tenté d'écrire une autobiographie malgré vous et sans le savoir.

  • Speaker #0

    Non, je savais qu'il y avait beaucoup d'éléments autobiographiques dans cette histoire, mais pas forcément de mon histoire à moi, mais d'une biographie...

  • Speaker #1

    D'une autobiographie de quelqu'un d'autre.

  • Speaker #0

    De quelqu'un d'autre, oui. Vous y remarquez, ce n'est plus une autobiographie, oui. Vous avez raison, vous avez raison.

  • Speaker #1

    Si vous arrivez à suivre,

  • Speaker #0

    bonne chance.

  • Speaker #1

    C'est normal, parce que c'est Régis Geoffray.

  • Speaker #0

    Mais l'autobiographie de quelqu'un d'autre, c'est pas mal.

  • Speaker #1

    Mais c'est très bien.

  • Speaker #0

    Oui, c'est très bien.

  • Speaker #1

    On passe au questionnaire de VecBD, puisque j'essaie de rivaliser avec Proust. et de faire des questions que j'ai inventées et vous répondez rapidement. Pourquoi un jeune devrait lire votre livre au lieu de scroller sur TikTok ?

  • Speaker #0

    Oui, moi je suis toujours sur TikTok, je ne lis pas les livres que les gens écrivent.

  • Speaker #1

    Que savez-vous faire que ne sait pas faire Tchad GPT ?

  • Speaker #0

    Justement, je sais parler de ma mère. Parce que quand c'est quelque chose d'extrêmement sensible, il ne peut pas savoir encore ce que je vais dire. Mais sur Chad Gepetti, il y aurait beaucoup à dire.

  • Speaker #1

    Chad Gepetti n'a pas de mère, à part Sam Altman.

  • Speaker #0

    Non, disons que la seule chose que j'ai, moi, Chad Gepetti ne me gêne pas du tout, les liens ne me gênent pas du tout. Non, c'est que j'ai écrit un X, c'est pas un truc mémorable dans lequel j'ai tout dit, je pense. C'est que Chad Gepetti ou un autre peut écrire des fictions à ma place. Moi j'écris juste un petit peu mieux mais ça va pas durer, je pense que le 5 fait mieux que moi. Mais je ne vois pas pourquoi j'enverrais un robot faire l'amour à ma place. Surtout à mon âge, c'est vraiment quand même à ne pas...

  • Speaker #1

    Vous n'avez jamais eu peur, en l'écrivant, que votre livre ne serve à rien ?

  • Speaker #0

    Je n'ai pas du tout l'impression que les livres puissent servir à quelque chose, d'autres qu'à les lire. Vous savez, on est un peu dans la propagande du livre, je pense. Or ce qui est intéressant c'est que l'art c'est quelque chose de fier. L'art il accueille tout le monde mais c'est à vous à faire la démarche. Donc les musées sont ouverts mais moi je ne suis pas des écrivains qui va dire voilà il faut que vous lisiez mon livre. Je pense qu'il y a tellement de livres extraordinaires à lire dans cette rentrée et d'une façon générale que ce n'est pas utile de me lire précisément si quelqu'un a une affinité avec ce livre. qu'ils le lisent, mais je ne suis pas là, on n'est pas là pour faire de la propagande. On est là dans la jouissance absolue. L'écriture, c'est ça, c'est le plaisir. C'est une des choses de la vie les plus importantes dans la vie, c'est l'art parce que ça donne de la joie. Pas parce que c'est quelque chose d'utile.

  • Speaker #1

    Parce que non, oui, ça ne sert à rien, et c'est pour ça que c'est intéressant. Ça ne sert à rien.

  • Speaker #0

    Je ne sais pas si ça sert à rien. Je ne me pose pas ces questions.

  • Speaker #1

    Pensez-vous qu'un écrivain doit être gentil ?

  • Speaker #0

    Non, mais je suis adorable.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans le fait d'être un écrivain ? La solitude, la pauvreté ou la folie ?

  • Speaker #0

    Oh là ! La solitude, je ne sais pas si ça me plaît, mais c'est un peu inhérent parce qu'on a au moins l'obligation d'être seul une partie de la journée. Et c'est très bien d'ailleurs, cette solitude d'une partie de la journée est très bien, très intéressante, de ne pas être seul tout le temps.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous avez déjà écrit en état d'ivresse ?

  • Speaker #0

    Quand j'étais tout petit, j'avais essayé, alors j'étais pas très riche à l'époque, j'avais 17 ans, j'avais acheté une bouteille de champagne pour essayer d'écrire en buvant du champagne pour voir si j'écrivais mieux. Ça avait marché un peu mieux, mais après j'avais déchiré quand même les pages.

  • Speaker #1

    Fantasmez-vous sur J.D. Salinger qui n'a jamais donné une interview de sa vie ?

  • Speaker #0

    Oui, beaucoup. Oui, ça, je me dis que... Mais il a pu se le permettre parce qu'il a eu une gloire immédiate.

  • Speaker #1

    Immédiate.

  • Speaker #0

    Voilà. C'est-à-dire que nous...

  • Speaker #1

    Bon, on est des galériens.

  • Speaker #0

    On aurait dit, on ne veut pas donner d'interview, on ne s'en aurait peut-être pas demandé.

  • Speaker #1

    Un roman doit-il réparer le monde ?

  • Speaker #0

    Non.

  • Speaker #1

    Quel est votre chef-d'oeuvre ?

  • Speaker #0

    Mon chef-d'oeuvre ? Moi je ne sais pas si c'est un chef-d'oeuvre, mais c'est le livre... Si vous voulez, le bonheur pour moi c'est d'écrire micro-fiction.

  • Speaker #1

    Vous avez inventé un genre, quoi. La nouvelle de deux pages, avec un petit dialogue au milieu.

  • Speaker #0

    Je ne pense pas, je pense que simplement j'en ai fait beaucoup, donc maintenant on vient vers moi quand on pense à ce truc. Mais moi le bonheur pour moi, voilà, le bonheur moi c'est d'écrire micro-fiction, c'est d'écrire une micro-fiction par jour. Voilà, moi c'est le bonheur de la vie pour moi, c'est ça. Et je regrette de ne pas l'avoir découvert quand j'avais

  • Speaker #1

    17 ans. Mais c'est normal de mettre du temps à trouver sa voix et sa forme. Êtes-vous un ouin-ouin ? Vous avez déjà répondu qu'absolument pas. Les ouin-ouins, si vous voulez, c'est les hommes qui se plaignent. Moi, à chaque fois que j'écris un livre, on me traite de ouin-ouin, parce que je me lamente. Voilà, je m'autocritique,

  • Speaker #0

    je m'autocritique. Oui, mais toi tu sais que ça va t'apporter que des ennuis de le faire. On en a un peu, ces discours en toi. On coupe ? Non, non, mais il veut tout le temps couper.

  • Speaker #1

    Il veut tout le temps couper. Le but de la littérature n'est-il pas de mentir sans se faire prendre ?

  • Speaker #0

    Voilà, c'est compliqué l'autrice. Non, je pense pas, non, non. Mais moi j'ai pas l'impression que... Franchement, alors... J'ai pas l'impression que la littérature, on ment, on tue, on fasse quoi que ce soit. Je pense que c'est quelque chose, c'est un domaine dans lequel on vous fout la paix, bon à moins de parler de, je parle pas de Strauss-Kahn, c'est très particulier, mais autrement vous pouvez vraiment écrire tout ce que vous voulez. Non seulement on vous laisse la liberté, mais tout le monde s'en fout complètement. Mais il faut quand même voir, il n'y a aucun risque à écrire, on ne risque pas sa vie dans les pays où nous vivons. Moi j'ai pas risqué ma vie, j'ai été condamné dans un procès. Je suis toujours vivant. On s'en remet d'avoir une oeuvre mutilée, j'en suis la preuve. Franchement, non, il n'y a pas de danger à écrire. On peut dire à tous les gens, les gens les plus lâches qui nous écoutent. Soyez écrivains. Peuvent devenir écrivains. Peuvent le faire.

  • Speaker #1

    Excellent. Qui est le meilleur écrivain français vivant ?

  • Speaker #0

    Le meilleur écrivain français vivant ? Alors, la réponse que vous attendez...

  • Speaker #1

    J'attends pas de réponse.

  • Speaker #0

    Attendez. Alors, je n'ai pas... Parce que je pense que c'est moi, évidemment. Bah,

  • Speaker #1

    dites-le. Dites-le. Personne n'a osé. J'ai commencé ce questionnaire la semaine dernière, personne n'a osé.

  • Speaker #0

    Personne n'a osé ?

  • Speaker #1

    Pour l'instant, j'ai eu Camélie Nothomb dans l'émission. Elle n'a pas osé ? Elle a cité un écrivain belge.

  • Speaker #0

    Oui. Mais... Ben c'est pas cassé quoi.

  • Speaker #1

    Ben dites-le.

  • Speaker #0

    Non, honnêtement, moi je ne vais pas dire moi parce que...

  • Speaker #1

    Moi je pense que vous êtes dans les dix.

  • Speaker #0

    Mais moi j'aurais dit dans les deux.

  • Speaker #1

    Et l'autre, c'est qui ?

  • Speaker #0

    Non, non, c'est pas ça. C'est que, franchement, pour parler des grands écrivains français, ou le plus grand écrivain français actuel qui est le plus considéré, c'est Houellebecq. Je trouve que c'est un grand écrivain. J'ai eu tout à fait de respect pour beaucoup de choses qu'il a écrites. Carrère, pour penser à ceux à qui on pensait, c'est la même chose. J'ai eu de grands respects pour Quignard. Maudiano est pris Nobel, mais à part ça, je ne suis pas délirant sur Maudiano. Mais Pascal Quignard, il y a Michon pour lequel j'ai beaucoup de respect, donc on va arriver à plus de 10. Donc, si vous voulez, j'ai la fâche à l'habitude de prendre la perche. Et même quand il n'y a pas la perche, je veux dire, allez, il y a une connerie à faire, je vais la faire. Mais honnêtement, il y a aussi un problème qui se pose, c'est que... Moi, ce que je pense, parce que quand on regarde l'histoire qui est beaucoup plus rieuse, et que là, j'en emploie des adjectifs, l'histoire est beaucoup plus rieuse, je me demande si les grands écrivains de demain ne seront pas dans ces catégories, dans les noms qu'on a cités. Je me le demande, parce que je pense que les grandes œuvres actuellement, ce ne sont pas forcément des œuvres qui ont leur place dans le commercial, dans le commerce, ou même dans l'édition traditionnelle. Donc je ne suis pas certain du tout que ce soit parmi ces...

  • Speaker #1

    Le plus grand écrivain du monde, c'est un auteur de manga ou un auteur...

  • Speaker #0

    Non, même un auteur de roman, mais qu'on ne voit pas passer. Qu'on ne voit pas passer, parce qu'on est tout le temps en train de s'auto-congratuler, si vous voulez, et c'est à peu près le même cercle. Je m'aperçois que c'est à peu près le même cercle, et peut-être que ça ne se passera pas là, si ça se passe quelque part, parce que de toute façon, d'abord c'est assez dérisoire de pas... On est quand même assez illuminés. On parle de choses où on ne sera plus là, donc ça n'a aucun intérêt. C'est une question qui est passionnante, mais on va s'arrêter là.

  • Speaker #1

    Bon, la phrase de vous dont vous êtes le plus fier ?

  • Speaker #0

    La phrase de moi dont je suis le plus fier ? Une que j'ai dite tout à l'heure.

  • Speaker #1

    Nous sommes des univers passagers dans l'univers.

  • Speaker #0

    Non, une que j'ai inventée dans l'émission. Non, je ne sais pas, je ne suis pas très fier. Je ne suis pas très fier, au contraire, j'ai même un problème, c'est que quand je vais sortir de ce studio, de la Pérouse, je vais vous appeler en disant « tu pourras couper ça » . J'ai toujours l'impression d'avoir dit que des choses que j'aurais mieux fait de ne pas dire.

  • Speaker #1

    La question Fahrenheit 451, si les livres étaient interdits, quels livres seriez-vous prêts à apprendre par cœur pour le sauver ?

  • Speaker #0

    Non, franchement, non.

  • Speaker #1

    Même pas les illuminations ? Non,

  • Speaker #0

    je n'apprendrai rien par cœur. Non, je suis fatigué. Trouver des jeunes gens, non, franchement, les temps qui me restent, ça va prendre par cœur. Merci.

  • Speaker #1

    Quel est le livre qui vous a sauvé la vie ?

  • Speaker #0

    Le livre, alors, sauver la vie, vous savez, c'est pareil, je serai un peu plus modéré. Non, un livre que j'ai adoré, c'est Mille Plateaux de Loseguatari. Un livre dont j'aurais beaucoup de mal à parler parce que justement c'est très difficile à comprendre et je ne l'ai pas complètement compris. Et justement c'est ça ce qui est extrêmement intéressant dans le livre de Guattari et de Deleuze. C'est cette philosophie d'ailleurs qu'on n'est pas sûr de tout comprendre. Par exemple le devenir animal est quelque chose qui me fascine et je serais bien incapable de vous expliquer.

  • Speaker #1

    Quel est votre âge mental ?

  • Speaker #0

    Alors mon âge mental, alors il ne faut pas faire comme Lacan qui avait dit 5 ans, je ne sais pas du tout, mais mon âge mental c'est 70 ans et ça n'est pas drôle Frédéric, et ça n'est pas drôle.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Régis Geoffray d'être venu dans cette émission, j'ordonne à tous les gens qui nous ont écouté de lire Maman aux éditions Récamier. Abonnez-vous à notre chaîne YouTube, Conversation chez la Pérouse. Voilà, merci et respect infini à Régis Joffray et à sa folie. Et puis, vous allez être très fâchés, parce que je vais dire quelque chose avec lequel vous n'êtes pas du tout d'accord, mais je le dis à chaque émission, n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous allez devenir idiots.

  • Speaker #0

    Mais je suis d'accord avec vous. Ah bon ?

Description

Cette conversation avec un des plus grands écrivains français est exceptionnelle car elle montre à quel point Régis Jauffret se ressemble. Son écriture délire autant que lui ! Quand il parle, il se laisse entraîner dans des directions inattendues, comme dans ses 30 livres. C'est ainsi qu'on reconnaît les vrais : ils sont identiques à leur style.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Et cette semaine, notre sponsor est la vocation de Chloé Safi, au ChercheMidi éditeur. C'est l'histoire d'un esclavage consenti. Salomé, embauchée comme secrétaire par un banquier, devient progressivement sa chose. Elle renonce à sa vie, ses amis, son prénom, sa liberté, et devient sa domestique dans des tenues sexy. Elle subit des châtiments corporels et même des opérations de chirurgie esthétique. Le livre est présenté comme un témoignage authentique, mais c'est peut-être une fiction sadomaso, comme histoire d'eau. Vous qui êtes l'auteur de Clostria sur l'affaire Joseph Fritzl, je rappelle qu'il avait séquestré sa fille pendant 24 ans dans une cave. Qu'est-ce que vous pensez d'une telle histoire ? Une femme volontairement séquestrée et esclave pendant 7 ans.

  • Speaker #1

    Je pense qu'on est dans un autre univers parce que là, il avait séquestré sa fille, c'était un viol et c'était l'horreur absolue pendant 24 années. Là, on est dans une histoire classique, elle s'aime, on ne saura pas si elle était vraie ou pas. Franchement, ce n'est pas tellement grave de le savoir. Ce qu'on espère, c'est qu'elle était volontaire, soit dans la fiction, soit surtout dans la réalité.

  • Speaker #0

    Voilà, oui, très très bien dit. Je vous l'offre parce que c'est un des chocs de cette rentrée.

  • Speaker #1

    Et je vous le rends.

  • Speaker #0

    Ah bon ? Pourquoi ? Vous ne lisez vraiment pas vos contemporains ?

  • Speaker #1

    Je lis très peu, mais est-ce que vous l'avez lu ?

  • Speaker #0

    Oui, moi j'ai lu, j'ai trouvé ça assez troublant.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Oui, et bien écrit.

  • Speaker #1

    Bon,

  • Speaker #0

    allez, je le prends. Vous voyez, je vous ai convaincu. Régis Geoffray, donc, bonsoir. Vous avez publié Papa en 2020 et Maman en 2025. Les gens vont croire que vous faites, comme beaucoup d'autres, dont moi, écrire sur ces parents. Alors, qu'est-ce qui se passe en ce moment ? Pourquoi est-ce qu'il y a beaucoup de livres sur les parents ? Est-ce que vous avez une théorie là-dessus ?

  • Speaker #1

    Non, je pense qu'il y en a toujours eu. Ce qui me concerne, moi j'ai deux parents, donc il y a eu mon père, mais j'avais quand même plus de 60 ans quand je l'ai écrit, j'avais 64 ans je crois, et là c'est ma mère, donc j'ai 70 ans, et donc on va espérer que je ne vive pas trop vieux, parce qu'après je ne sais pas qui je vais trouver, les grands-parents. Mais ça va à l'encontre de mes idées d'écrire sur ces parents. Je sais. Je n'ai jamais voulu écrire sur moi, sur mes parents. sur personne et là j'ai été presque obligé de le faire et puis j'ai compris pourquoi je voulais pas aussi.

  • Speaker #0

    Oui, oui. Alors votre oeuvre, Régis Geoffray, est immense, tentaculaire, vaste, ambitieuse. J'avais parlé de vous dans mon dictionnaire des écrivains vivants. Je vais prendre la notice qui vous concerne. Pardon, c'était pas prévu, donc évidemment c'est mal fait.

  • Speaker #1

    C'est parce que vous avez écrit mieux sur moi.

  • Speaker #0

    Ah c'est vrai ?

  • Speaker #1

    Vous avez pas écrit ? Ah bon ? C'est intéressant, mais je trouve que vous avez écrit beaucoup mieux. Oui, j'ai écrit beaucoup. C'est un genre... littéraire pour vous presque. Écrire sur régie sur frère.

  • Speaker #0

    C'est vrai, j'ai beaucoup écrit d'articles sur vous parce que je suis un fan.

  • Speaker #1

    Je ne suis pas très correct de dire ça. Non,

  • Speaker #0

    non, mais pas du tout.

  • Speaker #1

    Je retire tout. Pas du tout.

  • Speaker #0

    Vous comprenez mon texte. J'évoquais les trois tomes des 500 micro-fictions en 2007, 2018 et 2022. Vous préparez d'ailleurs un quatrième tome, je l'ai appris dans ma main. Il est écrit. Voilà, avec 500 micro-fictions de plus, ce qui nous porte à un total de 2000. Vos grands romans des débuts sont Clémence Picot en 1999 et Univers, Univers, qui avait obtenu le prix Décembre en 2003. C'était des tentatives d'épuisement de l'imaginaire, en fait. Clémence Picot, elle essaye de faire cuire un gigot d'agneau et elle imagine tout ce qui pourrait lui arriver. Qu'est-ce qui vous a conduit à cette exploration du conditionnel dans vos débuts ?

  • Speaker #1

    Je crois que c'était un peu l'état naturel parce que j'essayais de... En fait, quand on écrit, moi, quand j'ai commencé à écrire, je ne savais pas quoi écrire. Alors j'avais une imaginaire terrible, importante, mais justement un peu trop... J'aurais voulu écrire sur quelque chose qui a un rapport avec le réel. Parce que mon premier livre, c'était sur l'histoire d'une vieille dame qui se réincarnait. Mais c'était extravagant. J'ai toujours essayé d'être dans la réalité. Et finalement le conditionnel ça me permettait de raconter le réel en racontant justement de façon imaginaire. Ce qui aurait pu arriver. Voilà parce que raconter la réalité, je me suis toujours dit qu'on la recopiait ce qui est faux parce que j'ai essayé de... comme si c'était un peintre mais justement un peintre qui recopie la réalité c'est l'hyperréalisme c'est toute la difficulté de la chose et je crois qu'au départ enfin je l'ai toujours, surtout quand j'étais gosse, je le photographiais et j'avais cette... Je ne savais pas quoi photographier. J'aimais photographier, j'aimais développer. C'est un truc que plus personne ne connaît. Mais l'image qui apparaît dans le laboratoire, etc.

  • Speaker #0

    Il y a une magie. Mais il y a la même magie quand vous écrivez.

  • Speaker #1

    C'est le même phénomène quand on écrit. Il y a un révélateur.

  • Speaker #0

    Et quand vous écrivez, souvent, on vous suit, on suit votre pensée. On se dit, tiens, il est en train de bifurquer, d'improviser. Et vous n'écrivez pas la phrase qui était prévue. Vous adorez ça, finalement, vous commencez une phrase sans savoir où elle va.

  • Speaker #1

    Mais je ne sais jamais où je vais. En même temps, j'essaie d'avoir une grande rigueur. Ce qui se passait avant, c'est que j'écrivais assez vite, dans une sorte de fièvre, mais je réécrivais le livre pendant au moins un an à chaque fois. C'était assez terrible. Je ne sais pas comment il y avait ces deux mouvements. Et là, le phénomène de l'écriture, je n'ai jamais su trop comment l'expliquer. Mais maintenant, on peut peut-être plus l'expliquer avec Chachibiti 4. Parce que finalement, Chachibiti arrive à reproduire l'écriture. Je peux raconter quelque chose ? Sur vous et moi, d'ailleurs. Ah bon ? Oui, j'avais fait un essai il y a deux ans, il y a six mois, je ne sais plus, écrire une microfiction à la façon de Régis Geoffray. Alors, j'ai une microfiction, etc. à la façon de Frédéric Beigbeder. Et là, alors là, c'était... Moi, la mienne, c'est déjà assez caricatural. À l'époque, maintenant, ils sont un peu plus doués. Et vous, c'était l'histoire d'une pauvre jeune fille qui vient de province et qui arrive à Paris, qui va dans les boîtes de nuit. et qui, bon, a une vie assez...

  • Speaker #0

    Prendre de la cocaïne.

  • Speaker #1

    Et qui meurt d'une ouvert dose dans les toilettes d'une boîte de nuit. Et c'est parce ça qu'ensuite, il y a Chachipiti qui se choque lui-même et qui dit, la drogue, il nous va nous... Alors que c'était Chachipiti qui l'avait...

  • Speaker #0

    Ah oui, d'accord. Ça aurait été bien si ça pouvait faire imploser le logiciel.

  • Speaker #1

    Il l'avait implosé lui-même, mais il a fait beaucoup de progrès. Et maintenant, la dernière fois que j'ai demandé d'écrire une microfiction, la façon de rédiger le frais, dans un avion. Non, avec Avion, simplement, j'ai eu une histoire qui était très bien. Qui était bien, oui. Et comme je ne me souviens pas de toutes les micro-fictions, si on me l'avait donnée, je leur ai dit « oui, elle est de moi » . Et je me suis dit « elle est un peu caricaturale » , mais je me suis dit « moi, ça doit m'arriver quand même d'être un peu caricaturale aussi » .

  • Speaker #0

    Donc, déjà, à cette époque-là, quand vous avez commencé à faire ces grands livres qui étaient très sulfureux, très provocateurs, très créatifs, vous étiez vraiment l'écrivain un peu de l'imagination et de l'horreur, on va dire, mais ça ne vous a pas suffi. Vous êtes allé vers le fait divers. Donc vous avez commencé par l'affaire Edouard Stern, avec ce livre qui s'appelait Sévère, en 2010, qui vous a d'ailleurs valu un procès.

  • Speaker #1

    Qui n'a pas eu lieu.

  • Speaker #0

    Qui n'a pas eu lieu, tant mieux. Puis vous avez traité l'affaire Joseph Fritzl dans Clostria en 2012, avant de vous occuper de l'affaire Dominique Strauss-Kahn, la balade de Rikers Island en 2014. Et là aussi, il y a eu un procès.

  • Speaker #1

    J'ai été condamné en première instance et en appel. J'ai eu face à moi trois avocats. dont Richard Melka, qui est quand même l'avocat de Charlie Hebdo, dont Maître Henri Leclerc, qui a plaidé avec haine et avec acharnement jusqu'à demander un report de procès parce qu'il avait une opération à faire, c'est lui qui l'avait dit, et avec l'avocat dont je ne me rappelle plus le nom, qui est l'avocat traditionnel de Chirac et de tous les autres hommes politiques, donc il y avait ces trois avocats. Alors pourquoi trois avocats ? On peut se demander pourquoi on vient avec trois avocats. Alors soit ça sert à quelque chose et ça me paraît guérépublicain, soit ça ne sert à rien. C'est bizarre cet étalage de puissance.

  • Speaker #0

    Non mais bon...

  • Speaker #1

    Mais j'ai été condamné.

  • Speaker #0

    C'est vrai que c'est assez rare.

  • Speaker #1

    Mon livre est toujours condamné. C'est-à-dire que mon livre, on peut le trouver en occasion, mais on ne peut pas le trouver en numérique légal puisque les parties sont coupées. Mais j'appuie sur le fait que moi je suis absolument... pas favorable à la liberté d'expression qui permet d'accuser n'importe qui.

  • Speaker #0

    Oui, alors ça c'est très intéressant, vous en parlez beaucoup dans ma langue, parce que vous avez beaucoup de scrupules à écrire sur votre mère qui est morte il y a peu de temps, à l'âge de 106 ans, qui vous a eu très tard, à 41 ans, vous étiez fils unique, et vous dites d'ailleurs, j'étais fils unique, donc c'est normal que j'ai une mère unique, et c'est un très très beau livre, mais en même temps, vous avez énormément de prévention avec l'autobiographie. Vous avez d'ailleurs... Vous refusez d'écrire des textes autobiographiques presque toute votre vie.

  • Speaker #1

    Oui, j'étais contre l'autobiographie. En même temps, il y avait une raison, c'était que je ne voulais pas parler de mon père. Alors à partir du moment où j'en ai parlé dans Papa, c'est-à-dire le fait qu'il soit sourd, qu'il soit handicapé dans un milieu bourgeois, qui n'avait rien de terrible, mais bourgeois, d'ailleurs ça aurait été un autre milieu, pas bourgeois, je pense que ça aurait été la même chose, mais enfin il se trouve... C'est toujours handicapant pour un fils handicapé. Donc j'avais, même adulte, cette pudeur, cette honte carrément. Oui,

  • Speaker #0

    mais le livre parlait surtout de son arrestation par la Gestapo.

  • Speaker #1

    C'est à cause de ça que je l'ai écrit. Oui,

  • Speaker #0

    et vous avez découvert à la télévision des images de votre père arrêté, menotté dans le dos et emmené dans une fourgonnette par la Gestapo. Et vous vous êtes demandé qu'est-ce que c'est que cette histoire, personne ne m'en avait parlé. Pensez-vous qu'il est devenu sourd à cause de la torture ?

  • Speaker #1

    C'est-à-dire qu'on m'a dit que souvent les gens devenaient sourds parce qu'on les frappait, on ne faisait que la téléteinte. Ça, je n'en sais rien du tout. Après, moi, les images, je les certifie parce qu'elles existent. Ce ne sont pas des reconstitutions parce que je ne vais pas me lancer dans les détails. Mais après, tout le reste, je l'ignore parce que quand même, je n'ai jamais entendu parler de... de cette histoire par personne. Personne. Et même ma cousine qui avait 7 ans et ça s'est passé devant elle, devant son appartement, j'allais dire, on n'en a jamais entendu parler. Donc on sait que c'est vrai, mais ça va si loin que si mon père était là, je me demande s'il me dirait s'il sait ce que c'est. C'est-à-dire que la seule chose, c'est que la réalité me maltraite au point que c'est sûr que c'est vrai. Mais c'est tout ce que je peux en tirer. Et le reste, c'est pur... Sinon fiction, du moins conjecture.

  • Speaker #0

    Alors je vais vous faire lire la page 9 pour donner une idée de ce que c'est que l'écriture très radicale, très personnelle, très originale de Régis Geoffray.

  • Speaker #1

    On enterre de plus en plus tard. Certains corps partient jusqu'à 14 jours avant d'être inhumés et l'écologie trinque. Toute cette énergie dépensée pour réfrigérer le corps d'un être qui en a déjà dégapidé une quantité extravagante de son vivant. et la cryogénisation. plus énergivores encore que l'existence. Ces sinistres hurlus-berlus craignent leur effacement de la liste des vivants jusqu'à se faire surgeler comme des hamburgers. Ils finiront par ressusciter 200 ans plus tard à l'occasion d'une panne de secteur consécutive à la destruction d'une centrale électrique par un ouragan. Ils sortiront de leur boîte, gueule ouverte, mouillés comme des rats, grelottants, et ils jetteront un regard terrifié sur un siècle hostile, démoli, aux habitants bouillants de haine. C'est ce qui va arriver, qu'est-ce que vous croyez ? Vous savez pourquoi ? Parce que ce qui est très drôle, c'est que ça c'est des gens qui ont beaucoup d'argent, parce que c'est pas la portée. Mais c'est-à-dire que les gens qui ont beaucoup d'argent, à un moment, pensent qu'ils peuvent tout acheter, que c'est scandaleux de mourir, donc ils peuvent acheter la mort. Mais ils ne se rendent pas compte que dès que vous mourrez déjà, tous s'effondrent. Regardez Louis XIV, il avait dit nous pouvons tout tant que nous sommes, mais après c'est la catastrophe. Et donc les enfants ne voudront plus payer, parce que les enfants qui aiment bien le père, Ils vont le faire les petits-enfants, mais les arrières-arrières-petits-enfants, quand on va leur demander une fortune pour aller congeler un papier inconnu et bloquer sa fortune, parce que ces gens-là, ils veulent bien venir, mais pas comme des clochards, donc il y a tous une fortune bloquée. Tiens, je ne vous ai pas parlé, mais ça me vient à l'esprit. Donc en fait, ils vont finir, mais comme des hamburgers, un jour de panne d'électricité. Oui,

  • Speaker #0

    c'est intéressant parce que je vous fais lire cet extrait. Pourquoi ? Pour montrer votre style. vous vous laissez entraîner par votre élan. On le voit aussi dans votre manière de parler. Vos phrases démarrent à peu près dans la normalité pour basculer soit dans l'absurde, soit dans la violence, soit le comique ou le surréalisme. Souvent, c'est ça qui vous intéresse, c'est d'aller dans des zones imprévisibles. Me trompe-t-je ?

  • Speaker #1

    Non, je ne sais pas. l'écriture qui m'entraîne. Oui, mais je pense que l'écriture entraîne l'écrivain, comme la peinture. Je pense que finalement, c'est un peu l'ivresse de l'art, l'ivresse des couleurs, l'ivresse... Même pas des mots au sens... Non, c'est plutôt que la langue, c'est la réflexion. Oui, moi je crois beaucoup à... Si vous voulez, on raconte des histoires. C'est très difficile de parler des livres parce que on raconte l'histoire qu'il y a dans le livre. Et en fait, si l'écrivain a réussi son affaire, si il a réussi son coup, on n'arrive pas à dire ce qu'il y a dans un livre parce que c'est tout autre chose, parce que c'est une histoire d'art. L'art c'est compliqué.

  • Speaker #0

    Bien sûr, mais d'ailleurs, ce genre d'émission n'a pas de sens pour un écrivain véritable comme vous, qui a vraiment une sorte de... Est-il unique ? Imaginez interviewer Kafka par exemple, c'est un peu compliqué. Je vous vois comme une sorte de Kafka français.

  • Speaker #1

    C'est gentil, je suis très flatté, mais interviewer Kafka ça doit être quelque chose de compliqué. Oui, mais le contraire de ce qu'on pourrait imaginer, si j'en crois la biographie, le nom de biographe m'échappe évidemment, c'était quelqu'un qui était très idéologue, Kafka, il était très sioniste à une époque où c'était complètement différent. Mais c'était quelqu'un d'extrêmement sérieux. Il aurait transformé ça en émission de propagande, non passionniste, mais c'était quelqu'un qui voulait le bien. Vous savez qu'il est... Vous comprenez mon tâche ? C'est un truc très intéressant dans sa biographie. C'est que les Allemands préservaient les élites. Le camp allemand, puisqu'il était d'Autriche-Hongrie.

  • Speaker #0

    Il était de Prague,

  • Speaker #1

    mais il s'exprimait en allemand. Et donc il ne pouvait pas partir se battre en 1914. C'est-à-dire que son chef de bureau refusait de le donner. C'est-à-dire qu'il a voulu faire la guerre de 1914, il n'a pas pu la faire. Après il est tombé malade. C'est bien une émission où on part dans les sables à chaque fois. C'est ce que bisez-vous ! On parle de Kafka et on laisse tomber.

  • Speaker #0

    C'est exactement ce que je disais sur vous. C'est quand on vous lit et puis ça part, ça part dans des directions.

  • Speaker #1

    On est souvent plus intéressants quand on parle des autres. Kafka, par exemple.

  • Speaker #0

    Non, mais vous êtes très intéressant quand vous parlez de votre mère. Simplement, je lis votre phrase, c'est dans le livre. Un des buts de ma vie d'écrivain fut de ne pas parler de maman. Et vous avez échoué à ne pas parler de votre mère.

  • Speaker #1

    J'ai échoué, peut-être pas complètement, parce que j'ai encore pas... complètement parler d'elle. Il y a des choses que... Je me suis beaucoup censuré. C'est un livre sur ma mère beaucoup censuré, qui est très censuré, qui était très compliqué à écrire pour arriver à la sauver. C'est-à-dire que moi, mon but, ça a été de la sauver, pas pour elle, mais pour moi. Parce que quand vous vous apercevez que votre mère s'en va, pas au sens où elle meurt, parce que ça, c'est la nature, surtout quand elle a 106 ans, c'est un peu naturel, on va dire, mais que votre mère vous a trahi.

  • Speaker #0

    Oui, alors vous découvrez pas mal de choses à titre posthume. En regardant ces affaires.

  • Speaker #1

    Voilà, je découvre une trahison. Et si vous voulez, quand vous découvrez que votre mère vous a trahi, vous dites, finalement, à chaque instant que j'avais cette mère auprès de moi, c'était un personnage malveillant.

  • Speaker #0

    Est-ce que, oui, elle aimait bien mentir, elle aimait bien mentir tout le temps.

  • Speaker #1

    Oui, mais il y a le mensonge et puis on a dit qu'on restait dans le mystère.

  • Speaker #0

    Il ne faut pas donner le... parce que ce n'est pas au début du livre, c'est vraiment à la fin du livre qu'on découvre... qu'est-ce qui était vrai et qu'est-ce qui était faux. Voilà,

  • Speaker #1

    je joue le jeu du suspense que je fais rarement, mais là, ça m'a beaucoup amusé parce que c'est des séries. Je ne dors jamais, donc je regarde des séries. C'est bien, je ne dors jamais. Claire Cassillon avait écrit un livre qui s'appelait « Ma mère ne meurt jamais » . Et moi, je ne dors jamais.

  • Speaker #0

    On peut dire quand même parmi les nombreux mensonges, il y en a un, c'est qu'elle vous annonce qu'elle a rencontré votre père en 42 et non pas en 52. Ça fait quand même une différence de 10 ans.

  • Speaker #1

    donc elle l'a rencontrée avant l'arrestation par la Gestapo tout ce qui est la guerre reste dans la possibilité de la fiction parce que j'ai tellement peu de renseignements sur la guerre j'ai tellement été obligé de la faire apparaître si vous voulez c'est un peu comme si vous savez au cinéma on a une phrase ça s'appelle le pitch moi pour la guerre j'ai le pitch j'ai une phrase et cette phrase c'est un un père arrêté par la Gestapo à partir de là Merci. je suis obligé d'être aussi dans l'imaginaire.

  • Speaker #0

    Oui, mais c'est ça qui est extraordinaire, c'est que ça soit tombé sur vous, qui êtes l'écrivain de l'imagination. Ça tombe sur vous, et du coup, vous êtes obligé de vous dire, si on l'a arrêté, c'est qu'il était résistant, donc il a été torturé, mais pourquoi est-ce qu'il a été relâché ? Il a été relâché parce que peut-être il a payé, ou parce que quelqu'un a payé.

  • Speaker #1

    C'était assez fréquent, paraît-il, m'a-t-on dit. Mais ce que je veux dire, c'est que Le problème, c'est que moi, quand j'ai écrit sur Papa, je voulais faire comme tout le monde. Quand on découvre quelque chose, on fait une enquête et on remonte. Et moi je me suis arrêté là parce qu'à partir du moment où il n'a pas apparemment été donné à la police française, les archives de la Gestapo ont été détruites. Et puis surtout c'était des voyous à Marseille. C'était 200 petits macros qui étaient salauds les 20 ans. Enfin, j'en ai eu ce d'homme. Donc c'est un mystère total. Ça c'est la partie mystérieuse qui m'importe peu, j'allais dire. Parce que finalement la guerre, moi je n'étais pas né. La partie qui me touche et qui me pulvérise, j'allais dire, c'est la partie... sur laquelle j'ai ce renseignement, donc je ne donnerai pas, qui fait que ma mère m'a menti depuis le début, et m'a quelque part fermé les portes de l'amour. C'est pas mal ça.

  • Speaker #0

    Ma mère m'a fermé les portes de l'amour. Non, parce que vous dites qu'elle vous aimait et que vous l'aimez aussi, mais en revanche, vous avez grandi sur un malentendu.

  • Speaker #1

    Exactement, on peut dire ça comme ça.

  • Speaker #0

    Mais ça fait de vous le romancier que vous êtes. Peut-être qu'elle a volontairement menti pour faire de vous un artiste.

  • Speaker #1

    Je peux vous faire un aveu ? Je m'en serais passé.

  • Speaker #0

    C'est vrai ? Vous n'êtes pas heureux comme écrivain ?

  • Speaker #1

    C'est pas ça. Je ne pense pas du tout que les malheureux fassent des artistes. Je pense que, je vais vous dire quelque chose qui va me pulvériser à nouveau, je pense que c'est le talent. Je vais vous dire pourquoi. Par exemple, moi j'aime bien dessiner mais je ne suis vraiment pas doué du tout. Donc je ne serai jamais dessinateur parce qu'on ne va pas travailler quelque chose pour lequel on n'aura pas de résultat. J'aimais bien chanter. J'ai enregistré dans le studio où on a enregistré The Wall, Miraval, mais je n'étais pas au niveau à l'époque. Et donc j'ai œuvré dans le domaine où j'avais un petit don, c'est-à-dire l'écriture. Et je ne crois pas que c'est d'être malheureux qui fait l'écriture.

  • Speaker #0

    Mais je n'ai pas dit malheureux, j'ai dit de vivre dans un mensonge, d'avoir entendu des mensonges.

  • Speaker #1

    Je ne savais pas. Je l'ai su à 65 ans. À 66, pardon. Je ne savais pas, c'est ça qui est fou, c'est que j'ai vécu dans le mensonge en croyant que c'était la vérité.

  • Speaker #0

    Mais le livre est quand même constamment ambigu et c'est ça qu'on aime chez vous. Par exemple, vous dites « il faudrait que je l'aime » , c'est une très belle phrase, écrite le lendemain de sa mort. Votre mère meurt et vous dites « il faudrait que je l'aime » . C'est souvent d'ailleurs ce qu'on ressent, de ne pas être assez triste. Mais là, vous ne saviez pas encore qu'elle vous avait trahi. Et pourtant, n'arrivez pas à être triste.

  • Speaker #1

    Si, il y avait quelques fissures qui s'étaient produites. Mais si vous voulez, si je n'avais pas eu ce document et les choses que j'ai pu découvrir à côté, vous êtes simplement dans la culpabilité. Vous dites, je ne suis pas assez aimant comme enfant. Beaucoup d'enfants doivent le ressentir. Et puis surtout, il y a le fait d'être enfant unique parce que vous êtes le seul à aimer. Vous êtes le seul à être aimé, mais le seul qui peut renvoyer un lien. Oui, ça fait une grosse pression parce que quand il y en a deux déjà... La pression est moins forte. Et puis, vous êtes deux, c'est une association entre un frère ou une sœur et un frère. On peut parler des parents. On connaît la même personne. La personne ne connaît la personne en tant que parent. Donc on est assez seul.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, vous ne vouliez pas venir au monde. Vous avez mis très longtemps. Bah oui, vous êtes né à 9 mois et 10 jours. Vous êtes resté dans son ventre le plus longtemps possible.

  • Speaker #1

    Bah vous voyez, c'est encore... Et en plus, j'arrivais par le siège, ce qui est la pire des choses.

  • Speaker #0

    Ah oui, la plus douloureuse.

  • Speaker #1

    J'ai été un instrument de torture pour ma mère.

  • Speaker #0

    Elle vous disait tout le temps qu'elle allait mourir quand vous étiez enfant, ce qui vous empêchait de dormir.

  • Speaker #1

    Je crois que là, partons de la cause de mes insomnies, je ne sais pas pour l'art, mais la cause des insomnies, oui. Je me suis rappelé quelque chose qui n'est pas dans le livre. Je me suis rappelé l'autre jour, c'est qu'elle me disait qu'elle écrivait des testaments pour sa mort, et l'usage qu'on ferait de moi après sa mort. Donc il fallait que quelqu'un m'adopte. Je ne sais pas pourquoi, parce que mon père n'était pas censé être mort, donc il aurait pu, moi, je ne comptais pas beaucoup. Mais surtout, elle me précisait bien, qu'elle mettait dans le testament, qu'elle ne voulait pas qu'on m'oblige à aller à son enterrement. Ça m'est revenu hier. Et ça, elle me l'a dit plusieurs fois. Et c'est drôle, parce que quand quelqu'un meurt, on ne va pas voir l'enterrement, donc on oblige d'abord leur gosse. Ça fait l'enfant vraiment mauvais qui ne veut pas aller à l'enterrement de sa mère. C'est quelque chose qui m'est revenu. et ça en revanche j'ai vu tout ce que Tout ce qu'on a pu me dire sur mes livres, pas reprochés, mais d'une certaine façon... Les livres sont particulièrement choquants,

  • Speaker #0

    enfin, provocants.

  • Speaker #1

    Non, mais sur la mort, sur le fait... Surtout mes premiers livres où je parle beaucoup de la mort et du fait de mourir, etc., c'est que j'ai été bercé par le cadavre. Parce que non seulement mes deux grands-mères sont mortes quand j'étais petit, mais en plus, c'est dans l'appartement où je vivais dans les deux cas. Mes deux grands-mères vivaient consécutivement dans l'appartement. Donc tout le carnaval des croque-morts avec la neige carbonique, les cercueils, quelque chose d'épouvantable. Finalement, c'est l'événement exotique qui est arrivé dans ma vie d'enfant. Parce que moi, il ne se passait rien de spécial autre que ça.

  • Speaker #0

    Mais vous dites que votre enfance était heureuse quand même.

  • Speaker #1

    Mais c'est une pétition de principe, Frédéric. Non,

  • Speaker #0

    parce que vous pourriez dire que j'avais une mère toxique qui était folle et qui était admisible.

  • Speaker #1

    Certainement pas. Parce que je vais vous dire pourquoi.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas grave de dire ça.

  • Speaker #1

    Si, c'est très grave. Parce que je ne supporte plus les enfants malheureux. Quand on voit les enfants exploser, je parlais d'explosion, c'est le mot du jour, quand on voit les enfants, même en France, qui ne sont nourris qu'une fois par jour par la cantine, je pense qu'il y en a absolument assez. C'est le syndrome vipère au point, qui est un scandale total, parce que ce Thervé Bazin, qui a exploité sa mère jusqu'à la fin, il y a même une photo dans Paris Match, où il est devant le lit de mort de sa mère, ce qui est quand même d'un bon goût extraordinaire, n'a pas eu une enfance si malheureuse que ça. Il a eu une enfance qui était très quelconque à l'époque. C'est une enfance de bourgeoisie paysanne de province, je ne sais pas comment dire. Ce n'est pas du tout une enfance... En fait,

  • Speaker #0

    c'est ça.

  • Speaker #1

    ...dénéreusement mauvaise. On dit qu'il n'était pas aimé par sa mère. Bon, déjà il y avait une fratrie, déjà il y avait tout un ensemble. C'est scandaleux. Vous savez ce que disait... Marcelo Mastroianni, on lui prête cette... Mais il me paraît que c'est dans l'Intervista, donc c'est vrai qu'il l'a dit. Il a dit qu'un acteur qui travaille n'a pas le droit de se plaindre. C'est-à-dire qu'un acteur qui vit de son travail, un écrivain qui vit de son écriture, ferme sa gueule. Il est heureux, il a eu une vie heureuse, il a eu une enfance heureuse, et il a sauvé tout le monde, sa mère y compris. Ma mère m'aurait battu, je la sauverais quand même. Elle m'aurait crevé un oeil, je la sauverais quand même. je suis là pour ça, on est là pour sauver les gens, on a le privilège d'être... D'être rémunéré, pas extraordinairement, mais de quoi, avoir vraiment de quoi, de pouvoir vivre de ce qu'on dit, c'est-à-dire que ces paroles aient une valeur et qu'on vous dise, c'est votre travail, c'est votre métier, on est là pour quand même, si vous voulez, il faut savoir se tenir un peu. C'est l'idée qui me vient. Oui,

  • Speaker #0

    mais je comprends, c'est vrai qu'il y en a trop de livres larmoyants et misérabilistes, et vous voulez échapper à ça, je comprends, mais en même temps... Vous dites aussi des choses qui sont... C'est vrai, c'est un peu comme un anti-livre de ma mère d'Albert Cohen, où il était très... Voilà, ça n'était qu'une déclaration d'amour. Là, c'est plus cruel, plus lucide, plus sincère, je ne sais pas. Compliqué, quoi.

  • Speaker #1

    C'est infiniment complexe. Mais si vous voulez, l'événement qui a sauvé ma mère et qui m'a sauvé moi, finalement, c'est la naissance de ma petite-fille. Voilà, parce qu'à partir de ce moment-là... Mais je me suis dit, mais ma petite fille, elle est là, ma mère, elle est là, elle est dans ma petite fille. Et tout le monde est là. On est tous là. Donc,

  • Speaker #0

    pas votre fille à vous, mais votre petite fille.

  • Speaker #1

    La fille de ma fille. Il vient de naître, voilà, Elisa. Et donc, je cite son nom d'ailleurs, et je vais contre tous mes principes. C'est dans l'impudeur, chez Rousseau, mais la plus terrible. Mais c'est là où je me suis dit, mais finalement, ma mère, il faut vraiment la sauver. pourquoi ? Alors je vais dire à cette petite fille, ton arrière-grand-mère, elle était pas... Non, mais ton arrière-grand-mère, elle était formidable. C'est à moi, l'affaire formidable. C'est moi qu'il n'est pas comprise. Finalement, l'histoire d'un fils et d'une mère, quand le fils a passé la barrière des âges, c'est une affaire entre adultes. C'est deux adultes. C'est deux adultes. Alors j'arriverai peut-être pas à son âge, c'est probable, mais parfois on dépasse l'âge de ses parents. Je vais bientôt dépasser l'âge de mon père. Donc c'est deux adultes. Il faut... Si vous voulez, le bonheur c'est très artificiel. Si vous ne l'inventez pas, vous avez la joie, le sentiment, par exemple, quand vous deviendrez grand-père, vous avez beaucoup de chance de devenir plus que moi, puisque vous avez trois enfants. Quand vous deviendrez grand-père, vous verrez que vous avez quelque chose d'extraordinaire, le moment d'adrénaline quand vous êtes grand-père. Vous l'avez quand vous êtes père, mais quand vous êtes grand-père, c'est encore quelque chose de différent. Mais après, le bonheur, il faut le... Il faut le construire, surtout quand vous êtes grand-père, vous vous apercevez que vous avez une responsabilité tout d'un coup. D'ailleurs,

  • Speaker #0

    vous avez là un physique maintenant de patriarche. On voit le patriarche.

  • Speaker #1

    Voilà.

  • Speaker #0

    Vous n'êtes plus le jeune écrivain scandaleux. C'est fini. C'est fini tout ça. C'est terminé. Non, non, mais ça m'intéresse cette culpabilité que vous avez sans cesse. Je lis des extraits du livre. Une fois leur mère morte, les enfants l'inventent. Plus loin, vous dites, lui dire je t'aime m'aurait soulevé le cœur, comme si j'avais été contraint sous la menace d'un revolver de l'embrasser sur la bouche. Donc ça vous choque de dire je t'aime, d'ailleurs aujourd'hui tous les enfants disent je t'aime à leurs parents, les parents disent je t'aime toute la journée, c'est un peu sirupeux. Mais je ne sais pas, oui vous l'avez dit, c'est de la pudeur qui vous empêche.

  • Speaker #1

    Je ne crois pas du tout, non, c'était que je n'avais pas envie de lui dire je t'aime. Et si vous voulez, là c'est quelque chose de plus profond qui vient beaucoup plus tard, c'est quelque chose de plus...

  • Speaker #0

    C'est finalement ce livre, ça a été difficile de l'écrire, pas tellement sur un plan littéraire, mais sur un plan humain. C'est difficile d'en parler sur un plan humain et sur un plan littéraire, parce qu'en même temps, je parle et je vois que je ne peux pas parler du livre, pas parce que je ne veux pas, mais parce que c'est un livre qui est très complexe. Très riche, oui,

  • Speaker #1

    je suis d'accord. Moi, je vous aide en lisant des extraits. Oui,

  • Speaker #0

    heureusement.

  • Speaker #1

    Il est temps pour moi de sortir une deuxième fois de cette mer. Mais c'est des phrases qui sont... Extraordinaire, moi j'adore ça. Parce qu'il y a beaucoup beaucoup de livres sur la mer, mais personne n'a jamais dit il est temps pour moi de sortir une deuxième fois.

  • Speaker #0

    Oui mais c'est vrai, c'est exact.

  • Speaker #1

    Mais c'est sublime. En fait, ce livre c'est une deuxième naissance.

  • Speaker #0

    J'aurais pas cet optimisme extraordinaire. Mais disons non, moi je suis dans une période où c'est la période où on va mourir, si vous voulez. C'est une période, alors ça peut s'étendre, ça peut durer six mois, ça peut durer dix ans, ça peut durer quarante ans. Mais c'est la période où vous dites, vous êtes à la fin. Vous êtes à la fin finale. Les deux parents sont morts. Là, on est dans la dégringolade. Et c'est une sorte d'exaltation. Vous savez, c'est comme si vous arriviez, j'imagine, le Tour de France et que ce soit une descente. Vous arrivez, vous arrivez, vous arrivez de plus en plus vite. Vous allez emporter la ligne d'arrivée. Moi,

  • Speaker #1

    je trouve que vous êtes en pleine forme.

  • Speaker #0

    Mais oui, mais c'est justement. On ne va pas mourir non plus malade. Écoutez, ma mère était très intellectuellement, en tout cas, très à l'aise. Jusqu'au bout. Vous auriez pu l'interviewer, oui, il y a quelques années, d'ailleurs, on aurait pu le faire.

  • Speaker #1

    Ça aurait été une bonne idée.

  • Speaker #0

    Non, donc c'est l'exaltation. Je pense qu'il y a un moment où on termine sa vie, où ça peut être une longue fin ou une courte fin, mais on a cette sensation d'être dans la dernière période de sa vie. Il y a une sorte d'exaltation et surtout de volonté de ne pas se laisser embarrasser par les détails. Et que ma mère m'ait trahi, ça devient un détail. C'est un détail parce que vous êtes entre la vie et le néant. Tout est bien. Tout est bien, il n'y a que des bons moments, il n'y a que des gens extraordinaires, puisqu'ils existent. C'est quand même mieux quelqu'un de désagréable qui existe que quelque chose qui n'existe pas, que rien du tout.

  • Speaker #1

    C'est ce que disait Amélie Nothomb dans notre émission la semaine dernière.

  • Speaker #0

    Et je l'ai croisée d'ailleurs. Oui, oui.

  • Speaker #1

    La semaine dernière, elle disait... Oui, vous l'avez croisée la semaine dernière. Chez la Pérouse. Et son livre s'appelle « Tant mieux » . Et elle dit au fond, tout ce qui nous arrive, de bien, de mal, tant mieux. C'est un peu la même chose, vous dites ça, vous dites même quelqu'un qui vous a fait souffrir, ou quelqu'un qui ne vous a pas dit je t'aime, tant mieux, ça a existé, et puis voilà.

  • Speaker #0

    Mais oui, parce qu'on est devant ce qui ne va plus exister, et quand vous avez la sensation de savoir ce que c'est que... Quand vous ne serez plus là, c'est très facile, c'est très très terrible. Vous voyez ici et vous vous retranchez. C'est-à-dire que vous apercevez que rien ne manquera. Vous n'avez pas manqué avant, vous ne manquerez pas après. Donc il faut s'habituer à ne plus exister. Et donc là, moi, je suis dans la phase où on s'habitue peu à peu à ne plus exister. Et finalement, tout doit être bonheur. Et surtout, il faut tout remettre en place. Il faut remettre son passé en place pour le laisser aux autres. Moi, je ne vais pas laisser The Mess. le bordel, tout ce que vous voulez, à ma descendance. Non, voilà, je leur donne, ma mère, je leur donne au sens de là, je remets de l'ordre, je range ma chambre. Page 44. Je m'en vais, je range ma chambre.

  • Speaker #1

    Page 44. Heureusement que j'existe encore pour m'en souvenir. C'est très beau. Moi, j'ai pleuré plusieurs fois. J'ai pleuré au moment des baisers Eskimo sur, vous savez, les baisers avec le nez. qu'elle vous faisait, elle vous embrassait aussi, vous en parlez pas mais moi je vous le dis, il y avait aussi les bisous papillons. Vous vous rappelez des bisous papillons ? C'est avec les paupières. Vous ne faisiez pas les bisous papillons ? Non, je n'ai pas fait. Mais enfin, les baisers esquimaux, ça m'a fait pleurer.

  • Speaker #0

    Vous l'avez fait aussi ?

  • Speaker #1

    Oui, je transmets. Ah oui, j'ai transmis aux enfants, oui.

  • Speaker #0

    Vos parents vous ont fait les baisers papillons ? Non,

  • Speaker #1

    pas mes parents, ma mère.

  • Speaker #0

    Votre mère ? Oui, mon père non plus.

  • Speaker #1

    Alors, vous revenez parfois à Marseille ? Parce que ça se passe à Marseille,

  • Speaker #0

    c'est important. Je reviens à Marseille quand ma mère y était, je ne reviens plus beaucoup à Marseille. Non ?

  • Speaker #1

    Vous dites que c'était une ville morne. Votre enfance était morne ?

  • Speaker #0

    Mais non, je dis que c'est lumineux aussi.

  • Speaker #1

    Ah ben, mordre et lumineux,

  • Speaker #0

    ça va. Ben non, mais c'est-à-dire que, si vous voulez, moi, je vois aussi quelque chose dans le souvenir. On a tendance à se souvenir des mauvais moments. Oui, ça dépend. Ça dépend, voilà.

  • Speaker #1

    Non, mais vous dites par exemple, alors, est-ce que c'est vrai, est-ce que c'est faux, que De Gaulle est venu rendre visite à votre père en 1967 ?

  • Speaker #0

    Et ça, je ne saurais jamais, parce que c'est complètement invraisemblable. Mais comment ? D'où tu... Je ne le tiens de rien du tout, mais comme... Je le tenais dans ma tête, je ne sais pas pourquoi, mais comme des événements, par exemple, vous donnez un truc assez échéant, les voisins avaient un chien et j'avais même le nom du chien et les voisins n'ont jamais eu de chien. Donc c'est un peu le même genre d'événement que j'avais dans ma tête. Oui,

  • Speaker #1

    en fait, on n'arrive plus à savoir où est le vrai et le faux et ce n'est pas grave.

  • Speaker #0

    Parce que j'avais dit à ma mère, les voisins à la campagne avaient un chien, il s'appelait Bobby d'ailleurs. Et ma mère, elle m'en demandait à mon père, elle dit non, ils n'ont jamais eu de chien. Et donc c'est un peu la même chose, mais comme j'ai vu mon père arrêté par la guesse à peau, je me dis peut-être que c'est vrai. Et si vous voulez, il y a toute une partie des choses dans ce livre dont je ne saurais jamais si elles étaient vraies ou fausses.

  • Speaker #1

    Bon, je vais vous faire un sale coup, je vous demandais de lire ce que j'ai encadré avec vos lunettes, sans pleurer. Il faut arriver à lire ce paragraphe sans pleurer, bonne chance.

  • Speaker #0

    Je ne pleure pas moi. Oh, je continuerai à avancer, à causer, à écrire, mais je ne serai plus vraiment en vie. Un fœtus dont le cordon sec ressemblerait à une laisse abandonnée par le propriétaire d'un clébard.

  • Speaker #1

    Bon, merci beaucoup. On va passer au « Je devine tes citations » . Alors là, je vous lis des phrases de vous, tirées de tous vos livres. Et vous devez me dire dans quel livre vous avez écrit ceci. Et il y en a 30, alors bonne chance. C'est un test de mémoire. Flaubert s'en fout bien de ton livre.

  • Speaker #0

    C'est dans le dernier,

  • Speaker #1

    Maman. Oui, c'est dans Maman, 2025. Elle a vraiment dit ça ? Est-ce que c'était à propos du dictionnaire amoureux sur Flaubert que vous avez ?

  • Speaker #0

    Non, d'ailleurs je pense qu'elle n'aurait pas pu le dire. Elle n'aurait pas pu le dire parce que ça l'aurait bien embêté que Flaubert se foute de mon livre. Elle aurait voulu vraiment qu'il s'en importe beaucoup.

  • Speaker #1

    Une autre phrase. Les femmes sont grosses de l'avenir du monde.

  • Speaker #0

    C'est dans le ventre de Clara,

  • Speaker #1

    bravo 2024. Vous êtes bon. C'était le livre sur la mer d'Adolf Hitler. Parce qu'avant d'écrire sur votre mer, c'est assez freudien. Vous avez écrit sur la mer d'Hitler. Est-ce que vous vouliez écrire deux livres sur des mers de suite, ou c'est un hasard ?

  • Speaker #0

    Je jure que c'est un hasard. Maintenant, la mer d'Hitler à l'état de mer est une mer. C'est pas différente de ma mère. L'enfant, oui.

  • Speaker #1

    Toutes les familles sont des asiles de fous.

  • Speaker #0

    Asiles de fous.

  • Speaker #1

    Oui. Prix Fémina 2005, il y a 20 ans. Pourquoi dites-vous ça, que toutes les familles sont des asiles de fous ?

  • Speaker #0

    Parce que c'est la vérité quand on en parle aux autres. C'est-à-dire que les autres, quand ils nous parlent des familles, il y a toujours, ou alors on donne un nom à un oncle, etc. Par exemple, pour parler de moi, mon fils se fait appeler Oncle Chat. Par ma petite fille,

  • Speaker #1

    ça va être un peu asile de fou. Nous sommes des univers passagers dans l'univers qui s'éternise.

  • Speaker #0

    C'est aussi l'univers-univers.

  • Speaker #1

    Univers-univers, pris décembre 2003. C'est là où il y a la femme qui fait cuire un gilot.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait.

  • Speaker #1

    Je me suis trompé, je l'ai attribué à Clémence Picot tout à l'heure. Vous êtes pardonnable. Non, mais en tant qu'exégète, je ne veux pas dire n'importe quoi. C'était un projet à la Pérec un peu. d'épuisement du réel, univers-univers, c'est-à-dire tout l'univers qui tourne autour de cette femme dans son appart qui fait cuire un gigot.

  • Speaker #0

    Non, mais par contre, et en revanche, j'avais adoré La vie mode d'emploi de Pérec. C'est un des livres que j'ai beaucoup aimé.

  • Speaker #1

    Bon, alors finalement, il y a peut-être un...

  • Speaker #0

    Peut-être qu'il y a quelque chose.

  • Speaker #1

    On a l'impression aussi que vous étiez, à l'époque, vous avez l'ambition d'être un romancier d'avant-garde. Et puis maintenant, vous écrivez ce que vous...

  • Speaker #0

    pouvez vous écrivez pas du tout c'est non non j'ai essayé d'être le plus conforme possible parce que je vais vous dire pourquoi parce que les éditeurs refusait tous mes livres donc moi j'essayais au contraire j'avais l'impression de me couler dans un monde très très classique j'étais très surpris de la réaction des noms la critique les critiques et j'ai essayé d'être tout sauf de l'avant-garde à chaque fois j'étais très étonné parce qu'on a une époque aussi c'était très conformiste le roman français. Oui, oui. Dans les années 70. Jusqu'à Wellbeck, on a commencé à avoir une bouffée éditoriale de fraîcheur au moment où on a commencé à publier l'extension du domaine de la lutte, où il y a eu quand même de la presse qui a commencé à s'y intéresser. Et là, ça a été toute une nouvelle génération de critiques, je dirais.

  • Speaker #1

    Et vous, vous êtes arrivé cinq ans plus tard. Non,

  • Speaker #0

    un peu. Un peu avant. Oui, enfin, peu avant. Mais ça a été cette ouverture. C'est-à-dire qu'il y a toute une génération qui est partie des critiques littéraires, qui ont disparu. Je crois que c'était surtout ça qui maintenait une vieille littérature. Et là, maintenant, qu'est-ce qui va arriver ? C'est nous qui allons...

  • Speaker #1

    Alors, chose... Oui, nous, on va dégager. Une autre phrase. Alors là, c'est très intéressant. Je cache, parce que... Elle est prémonitoire, cette phrase. Maman me reprochait parfois d'être fille unique. C'est Clémence Picot. Non, Clémence Picot, 99. Vous voyez, 99. Il y a 26 ans, déjà, c'est une fille unique. Comme vous, vous êtes fils unique. Et je ne sais pas, j'ai eu l'impression que déjà, il y a 26 ans, vous aviez tenté d'écrire une autobiographie malgré vous et sans le savoir.

  • Speaker #0

    Non, je savais qu'il y avait beaucoup d'éléments autobiographiques dans cette histoire, mais pas forcément de mon histoire à moi, mais d'une biographie...

  • Speaker #1

    D'une autobiographie de quelqu'un d'autre.

  • Speaker #0

    De quelqu'un d'autre, oui. Vous y remarquez, ce n'est plus une autobiographie, oui. Vous avez raison, vous avez raison.

  • Speaker #1

    Si vous arrivez à suivre,

  • Speaker #0

    bonne chance.

  • Speaker #1

    C'est normal, parce que c'est Régis Geoffray.

  • Speaker #0

    Mais l'autobiographie de quelqu'un d'autre, c'est pas mal.

  • Speaker #1

    Mais c'est très bien.

  • Speaker #0

    Oui, c'est très bien.

  • Speaker #1

    On passe au questionnaire de VecBD, puisque j'essaie de rivaliser avec Proust. et de faire des questions que j'ai inventées et vous répondez rapidement. Pourquoi un jeune devrait lire votre livre au lieu de scroller sur TikTok ?

  • Speaker #0

    Oui, moi je suis toujours sur TikTok, je ne lis pas les livres que les gens écrivent.

  • Speaker #1

    Que savez-vous faire que ne sait pas faire Tchad GPT ?

  • Speaker #0

    Justement, je sais parler de ma mère. Parce que quand c'est quelque chose d'extrêmement sensible, il ne peut pas savoir encore ce que je vais dire. Mais sur Chad Gepetti, il y aurait beaucoup à dire.

  • Speaker #1

    Chad Gepetti n'a pas de mère, à part Sam Altman.

  • Speaker #0

    Non, disons que la seule chose que j'ai, moi, Chad Gepetti ne me gêne pas du tout, les liens ne me gênent pas du tout. Non, c'est que j'ai écrit un X, c'est pas un truc mémorable dans lequel j'ai tout dit, je pense. C'est que Chad Gepetti ou un autre peut écrire des fictions à ma place. Moi j'écris juste un petit peu mieux mais ça va pas durer, je pense que le 5 fait mieux que moi. Mais je ne vois pas pourquoi j'enverrais un robot faire l'amour à ma place. Surtout à mon âge, c'est vraiment quand même à ne pas...

  • Speaker #1

    Vous n'avez jamais eu peur, en l'écrivant, que votre livre ne serve à rien ?

  • Speaker #0

    Je n'ai pas du tout l'impression que les livres puissent servir à quelque chose, d'autres qu'à les lire. Vous savez, on est un peu dans la propagande du livre, je pense. Or ce qui est intéressant c'est que l'art c'est quelque chose de fier. L'art il accueille tout le monde mais c'est à vous à faire la démarche. Donc les musées sont ouverts mais moi je ne suis pas des écrivains qui va dire voilà il faut que vous lisiez mon livre. Je pense qu'il y a tellement de livres extraordinaires à lire dans cette rentrée et d'une façon générale que ce n'est pas utile de me lire précisément si quelqu'un a une affinité avec ce livre. qu'ils le lisent, mais je ne suis pas là, on n'est pas là pour faire de la propagande. On est là dans la jouissance absolue. L'écriture, c'est ça, c'est le plaisir. C'est une des choses de la vie les plus importantes dans la vie, c'est l'art parce que ça donne de la joie. Pas parce que c'est quelque chose d'utile.

  • Speaker #1

    Parce que non, oui, ça ne sert à rien, et c'est pour ça que c'est intéressant. Ça ne sert à rien.

  • Speaker #0

    Je ne sais pas si ça sert à rien. Je ne me pose pas ces questions.

  • Speaker #1

    Pensez-vous qu'un écrivain doit être gentil ?

  • Speaker #0

    Non, mais je suis adorable.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans le fait d'être un écrivain ? La solitude, la pauvreté ou la folie ?

  • Speaker #0

    Oh là ! La solitude, je ne sais pas si ça me plaît, mais c'est un peu inhérent parce qu'on a au moins l'obligation d'être seul une partie de la journée. Et c'est très bien d'ailleurs, cette solitude d'une partie de la journée est très bien, très intéressante, de ne pas être seul tout le temps.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous avez déjà écrit en état d'ivresse ?

  • Speaker #0

    Quand j'étais tout petit, j'avais essayé, alors j'étais pas très riche à l'époque, j'avais 17 ans, j'avais acheté une bouteille de champagne pour essayer d'écrire en buvant du champagne pour voir si j'écrivais mieux. Ça avait marché un peu mieux, mais après j'avais déchiré quand même les pages.

  • Speaker #1

    Fantasmez-vous sur J.D. Salinger qui n'a jamais donné une interview de sa vie ?

  • Speaker #0

    Oui, beaucoup. Oui, ça, je me dis que... Mais il a pu se le permettre parce qu'il a eu une gloire immédiate.

  • Speaker #1

    Immédiate.

  • Speaker #0

    Voilà. C'est-à-dire que nous...

  • Speaker #1

    Bon, on est des galériens.

  • Speaker #0

    On aurait dit, on ne veut pas donner d'interview, on ne s'en aurait peut-être pas demandé.

  • Speaker #1

    Un roman doit-il réparer le monde ?

  • Speaker #0

    Non.

  • Speaker #1

    Quel est votre chef-d'oeuvre ?

  • Speaker #0

    Mon chef-d'oeuvre ? Moi je ne sais pas si c'est un chef-d'oeuvre, mais c'est le livre... Si vous voulez, le bonheur pour moi c'est d'écrire micro-fiction.

  • Speaker #1

    Vous avez inventé un genre, quoi. La nouvelle de deux pages, avec un petit dialogue au milieu.

  • Speaker #0

    Je ne pense pas, je pense que simplement j'en ai fait beaucoup, donc maintenant on vient vers moi quand on pense à ce truc. Mais moi le bonheur pour moi, voilà, le bonheur moi c'est d'écrire micro-fiction, c'est d'écrire une micro-fiction par jour. Voilà, moi c'est le bonheur de la vie pour moi, c'est ça. Et je regrette de ne pas l'avoir découvert quand j'avais

  • Speaker #1

    17 ans. Mais c'est normal de mettre du temps à trouver sa voix et sa forme. Êtes-vous un ouin-ouin ? Vous avez déjà répondu qu'absolument pas. Les ouin-ouins, si vous voulez, c'est les hommes qui se plaignent. Moi, à chaque fois que j'écris un livre, on me traite de ouin-ouin, parce que je me lamente. Voilà, je m'autocritique,

  • Speaker #0

    je m'autocritique. Oui, mais toi tu sais que ça va t'apporter que des ennuis de le faire. On en a un peu, ces discours en toi. On coupe ? Non, non, mais il veut tout le temps couper.

  • Speaker #1

    Il veut tout le temps couper. Le but de la littérature n'est-il pas de mentir sans se faire prendre ?

  • Speaker #0

    Voilà, c'est compliqué l'autrice. Non, je pense pas, non, non. Mais moi j'ai pas l'impression que... Franchement, alors... J'ai pas l'impression que la littérature, on ment, on tue, on fasse quoi que ce soit. Je pense que c'est quelque chose, c'est un domaine dans lequel on vous fout la paix, bon à moins de parler de, je parle pas de Strauss-Kahn, c'est très particulier, mais autrement vous pouvez vraiment écrire tout ce que vous voulez. Non seulement on vous laisse la liberté, mais tout le monde s'en fout complètement. Mais il faut quand même voir, il n'y a aucun risque à écrire, on ne risque pas sa vie dans les pays où nous vivons. Moi j'ai pas risqué ma vie, j'ai été condamné dans un procès. Je suis toujours vivant. On s'en remet d'avoir une oeuvre mutilée, j'en suis la preuve. Franchement, non, il n'y a pas de danger à écrire. On peut dire à tous les gens, les gens les plus lâches qui nous écoutent. Soyez écrivains. Peuvent devenir écrivains. Peuvent le faire.

  • Speaker #1

    Excellent. Qui est le meilleur écrivain français vivant ?

  • Speaker #0

    Le meilleur écrivain français vivant ? Alors, la réponse que vous attendez...

  • Speaker #1

    J'attends pas de réponse.

  • Speaker #0

    Attendez. Alors, je n'ai pas... Parce que je pense que c'est moi, évidemment. Bah,

  • Speaker #1

    dites-le. Dites-le. Personne n'a osé. J'ai commencé ce questionnaire la semaine dernière, personne n'a osé.

  • Speaker #0

    Personne n'a osé ?

  • Speaker #1

    Pour l'instant, j'ai eu Camélie Nothomb dans l'émission. Elle n'a pas osé ? Elle a cité un écrivain belge.

  • Speaker #0

    Oui. Mais... Ben c'est pas cassé quoi.

  • Speaker #1

    Ben dites-le.

  • Speaker #0

    Non, honnêtement, moi je ne vais pas dire moi parce que...

  • Speaker #1

    Moi je pense que vous êtes dans les dix.

  • Speaker #0

    Mais moi j'aurais dit dans les deux.

  • Speaker #1

    Et l'autre, c'est qui ?

  • Speaker #0

    Non, non, c'est pas ça. C'est que, franchement, pour parler des grands écrivains français, ou le plus grand écrivain français actuel qui est le plus considéré, c'est Houellebecq. Je trouve que c'est un grand écrivain. J'ai eu tout à fait de respect pour beaucoup de choses qu'il a écrites. Carrère, pour penser à ceux à qui on pensait, c'est la même chose. J'ai eu de grands respects pour Quignard. Maudiano est pris Nobel, mais à part ça, je ne suis pas délirant sur Maudiano. Mais Pascal Quignard, il y a Michon pour lequel j'ai beaucoup de respect, donc on va arriver à plus de 10. Donc, si vous voulez, j'ai la fâche à l'habitude de prendre la perche. Et même quand il n'y a pas la perche, je veux dire, allez, il y a une connerie à faire, je vais la faire. Mais honnêtement, il y a aussi un problème qui se pose, c'est que... Moi, ce que je pense, parce que quand on regarde l'histoire qui est beaucoup plus rieuse, et que là, j'en emploie des adjectifs, l'histoire est beaucoup plus rieuse, je me demande si les grands écrivains de demain ne seront pas dans ces catégories, dans les noms qu'on a cités. Je me le demande, parce que je pense que les grandes œuvres actuellement, ce ne sont pas forcément des œuvres qui ont leur place dans le commercial, dans le commerce, ou même dans l'édition traditionnelle. Donc je ne suis pas certain du tout que ce soit parmi ces...

  • Speaker #1

    Le plus grand écrivain du monde, c'est un auteur de manga ou un auteur...

  • Speaker #0

    Non, même un auteur de roman, mais qu'on ne voit pas passer. Qu'on ne voit pas passer, parce qu'on est tout le temps en train de s'auto-congratuler, si vous voulez, et c'est à peu près le même cercle. Je m'aperçois que c'est à peu près le même cercle, et peut-être que ça ne se passera pas là, si ça se passe quelque part, parce que de toute façon, d'abord c'est assez dérisoire de pas... On est quand même assez illuminés. On parle de choses où on ne sera plus là, donc ça n'a aucun intérêt. C'est une question qui est passionnante, mais on va s'arrêter là.

  • Speaker #1

    Bon, la phrase de vous dont vous êtes le plus fier ?

  • Speaker #0

    La phrase de moi dont je suis le plus fier ? Une que j'ai dite tout à l'heure.

  • Speaker #1

    Nous sommes des univers passagers dans l'univers.

  • Speaker #0

    Non, une que j'ai inventée dans l'émission. Non, je ne sais pas, je ne suis pas très fier. Je ne suis pas très fier, au contraire, j'ai même un problème, c'est que quand je vais sortir de ce studio, de la Pérouse, je vais vous appeler en disant « tu pourras couper ça » . J'ai toujours l'impression d'avoir dit que des choses que j'aurais mieux fait de ne pas dire.

  • Speaker #1

    La question Fahrenheit 451, si les livres étaient interdits, quels livres seriez-vous prêts à apprendre par cœur pour le sauver ?

  • Speaker #0

    Non, franchement, non.

  • Speaker #1

    Même pas les illuminations ? Non,

  • Speaker #0

    je n'apprendrai rien par cœur. Non, je suis fatigué. Trouver des jeunes gens, non, franchement, les temps qui me restent, ça va prendre par cœur. Merci.

  • Speaker #1

    Quel est le livre qui vous a sauvé la vie ?

  • Speaker #0

    Le livre, alors, sauver la vie, vous savez, c'est pareil, je serai un peu plus modéré. Non, un livre que j'ai adoré, c'est Mille Plateaux de Loseguatari. Un livre dont j'aurais beaucoup de mal à parler parce que justement c'est très difficile à comprendre et je ne l'ai pas complètement compris. Et justement c'est ça ce qui est extrêmement intéressant dans le livre de Guattari et de Deleuze. C'est cette philosophie d'ailleurs qu'on n'est pas sûr de tout comprendre. Par exemple le devenir animal est quelque chose qui me fascine et je serais bien incapable de vous expliquer.

  • Speaker #1

    Quel est votre âge mental ?

  • Speaker #0

    Alors mon âge mental, alors il ne faut pas faire comme Lacan qui avait dit 5 ans, je ne sais pas du tout, mais mon âge mental c'est 70 ans et ça n'est pas drôle Frédéric, et ça n'est pas drôle.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Régis Geoffray d'être venu dans cette émission, j'ordonne à tous les gens qui nous ont écouté de lire Maman aux éditions Récamier. Abonnez-vous à notre chaîne YouTube, Conversation chez la Pérouse. Voilà, merci et respect infini à Régis Joffray et à sa folie. Et puis, vous allez être très fâchés, parce que je vais dire quelque chose avec lequel vous n'êtes pas du tout d'accord, mais je le dis à chaque émission, n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous allez devenir idiots.

  • Speaker #0

    Mais je suis d'accord avec vous. Ah bon ?

Share

Embed

You may also like