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La Danse macabre entre fiction édifiante et critique du monde. Second épisode. Par Didier Jugan cover
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DANSES MACABRES D'EUROPE

La Danse macabre entre fiction édifiante et critique du monde. Second épisode. Par Didier Jugan

La Danse macabre entre fiction édifiante et critique du monde. Second épisode. Par Didier Jugan

20min |24/01/2025|

27

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Description

« Zig et zig et zig, chacun se trémousse / On entend claquer les os des danseurs, * »

La présentation de la communication de Didier Jugan se poursuit par la partie consacrée au développement d’une interprétation de la Danse macabre comme une critique du monde :


☠️ ainsi la Danse macabre enrôle dans une ronde tous les états de la société alternant clercs et laïcs, à une exception près l’ermite, qui mène son existence retirée loin de la vie mondaine ; un homme sage presque un personnage mythique ;


☠️ au contraire des personnages dévoyés du moine, du cordelier et de l’abbé « qui faisait du gras dans son abbaye », le chartreux est porté au pinacle comme une incarnation de l’ermite ;


☠️ mais quel est l’auteur de la Danse macabre parisienne ? des clercs, un chartreux, Jean Gerson, candidat possible et reconnu comme tel au XIXe siècle et dont l’hypothèse a été abandonnée trop rapidement au XXe siècle ou bien un très proche du théologien ?

A l’issue de l’écoute de ce deuxième balad’os vous serez prêt pour assister au prochain congrès de Danses macabres d’Europe qui se déroule à Paris du 1er au 4 octobre 2025.



*Paroles de la Danse macabre de Camille Saint-Saëns d’après le poème d'Henri Cazalis intitulé « Egalité-Fraternité » tiré de son recueil « L’Illusion »


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Gardez votre oreille ouverte.

  • Speaker #1

    Bonjour et bienvenue, chères auditrices et chers auditeurs. Vous avez bien choisi d'écouter un balado des Danses Macabres d'Europe.

  • Speaker #0

    Danses Macabres d'Europe, le lieu de rencontre de la mort avec l'art, la littérature et l'histoire.

  • Speaker #1

    "Zig et zig et zig, chacun se trémousse. On entend cliquer les os des danseurs". Dans ce deuxième épisode, Didier Jugand poursuit la présentation de sa communication par la partie consacrée au développement d'une interprétation de la Danse macabre comme une critique du monde.

  • Didier Jugan

    La partie suivante, la Danse macabre comme critique du monde. Reprenons la gravure d'introduction de l'acteur. Le phylactère porté par l'ange est grave. Il dit: "Cette peinture rejette l'honneur, la pompe et le luxe, et là, par nos danses, elle nous met en garde sur la conduite des festivités". Le message est clérical, sévère, exigeant. Les états de la société sont tous marqués par le péché originel. Leurs préoccupations mondaines les empêchent de considérer la mort avec sérénité. Ils ne sont pas prêts à l'affronter. La société est ainsi répartie entre les clercs et les laïcs. Et l'auteur de la Danse macabre s'est employé à alterner, comme j'ai déjà dit tout à l'heure, de manière rigoureuse un clerc puis un laïc. À une exception près, les deux derniers personnages sont des clercs. J'y vois une signification très précise. Il y a une césure voulue entre la société qui vit dans le monde et le dernier personnage, l'ermite, qui vit hors du monde, dans la solitude. Ceux qui vivent dans le monde sont tous jugés négativement, alors que l'ermite a vraiment un statut à part dans la Danse macabre. Il a délibérément choisi de se retirer du monde. L'ermite ne se plaint pas, il est content des bienfaits de Dieu et lui demande simplement d'effacer ses péchés. La mort qui suit approuve ses propos. "C'est bien dit, ainsi doit-on dire". Dans le relais de Chambéry, le mort rassure l'ermite. Il ne doit pas être en émoi car il a mené une dure vie. Mais, bien sûr, ajoute-t-il, même si son âme veut vivre, son corps n'est pas délivré de la mort qui vient prendre tous les hommes. Une autre particularité, on a ici trois morts de représentés pour deux personnages, ce qui vient casser le déroulement classique qui associe par couple un mort et un vif. On est à la fin d'un cycle, celui des états du monde. L'attitude du mort qui précède l'ermite est singulière, il fait une courbette qu'on peut interpréter de deux manières. Un geste de théâtre en direction du public qui marque la fin de la série des états du monde et la figure emblématique de l'ermite qui lui est positif, ou bien un salut comme un geste de respect vis-à-vis de l'ermite qui est hors norme par rapport à tous ses prédécesseurs. L'ermite, dans la pensée occidentale, se réfère aux anachorètes de la Thébaïde, ces moines partis au désert pour vivre en solitaire au IVe siècle. Pour Saint-Benoît, l'ermite, c'est le stade le plus abouti de la vie monacale, réservé à quelques-uns seulement, des esprits forts, qui n'ont plus besoin de la communauté de leurs frères pour, je cite, "mener un combat contre les vices de la chair et des pensées". L'ermite vit son désert dans une forêt profonde. Il est très présent dans la littérature arthurienne des XIIe et XIIIe siècles. Le chevalier, dans sa quête, fréquente les forêts où résident les ermites, qui lui servent de guide dans son errance. L'ermite disparaît progressivement dans la littérature du XVe siècle. Il joue désormais dans les moralités le rôle du sage, du docteur, qui tire la leçon à retenir. Dans le dit des trois morts et trois vifs. Il parle ainsi :" En ce faux monde, on n'a que des plaisirs. Que penses-tu ? As-tu plus grande envie de vivre dans le doute en cette courte vie qui mène les mondains à la mort d'enfer ?" Ce texte des trois morts et trois vifs accompagne la Danse macabre de Guyot Marchant de 1486, ainsi que "Le débat d'un corps et d'une âme", traduction en français de la Visio Philiberti un texte attribué à Philibert l'ermite. L'ermite est donc un homme sage, presque un homme mythique. L'auteur de la Danse macabre des Saints-Innocents n'est pas aussi indulgent avec d'autres représentants du milieu monacal. Le moine n'est pas prêt à mourir à son univers. Il se sent bien dans son monastère, il est accroché à sa vie tranquille, il est dans la torpeur spirituelle qu'on associe à la paresse ou à l'acédie. Il a commis plusieurs péchés au temps passé, dit-il. et il n'en a pas fait pénitent. Le deuxième personnage, le cordelier, a conscience que la pratique de la mendicité ne lui assurera pas le salut. Il lui faudra payer le prix de ses forfaits. La mort qui l'emmène ironise. Lui qui prêchait sur la mort avec brio, il est moins émerveillé quand c'est lui qui est concerné. Le dernier personnage, l'abbé, faisait du gras dans son abbaye. C'est le péché de gourmandise qui implicitement est mis en avant. La mort lui assène qu'il pourrira bientôt, car le plus gras est le premier pourri. Si l'auteur de la Danse macabre est si dur avec les moines dévoyés, c'est pour porter au pinacle l'un d'entre eux, le chartreux. Il n'y a rien qui retienne le chartreux sur terre, car, comme il le dit, il est déjà mort au monde. Et il a moins que d'autres le désir de continuer à vivre. Il demande à Dieu. que son âme aille au Paradis, car cette vie, c'est du néant, c'est l'espoir de la vie éternelle qui l'anime. Dans le rôlet de Chambéry, le mort qui s'adresse à l'ermite et au chartreux utilise sensiblement les mêmes mots pour caractériser leur vie. Pour le Chartreux,: "Vous avez pris étroite vie / dont peu de gens ont envie". Pour l'ermite,: "Pénitence est dure vie / de quoi peu de gens ont envie". Très proche des deux visions du chartreux et de l'ermite. Dans l'esprit d'auteur de la Danse macabre, il y a donc très peu de différence entre l'ermite et le chartreux. Si l'ermite demeure une figure de style, une sorte d'abstraction parfaite, le chartreux en est l'incarnation. Pour revenir sur les chartreux, Saint Bruno est le fondateur des chartreux. Dans les très riches heures du duc de Berry, au folio 86, verso, on a quelques épisodes de la vie du saint qui sont disposés en rond, autour d'une scène principale qui présente la messe d'enterrement de Raymond Diocrès. Selon la légende, Bruno aurait fait le choix de la solitude après avoir assisté à l'enterrement de Raymond Diocrès, chanoine de Notre-Dame, connue pour sa piété. Or, à ses funérailles, les assistants épouvantés voient le mort sortir de son cercueil par trois fois et révéler Premièrement, qu'il a été appelé au jugement de Dieu. Deuxièmement, qu'il a été jugé. Et troisièmement, qu'il a été condamné. Bruno, impressionné par la scène, c'est une scène mythique, on peut y croire ou ne pas y croire, mais disons que c'est une scène qui, dans la vita de saint Bruno, est importante. Impressionné par la scène, il décide de partir avec ses six compagnons pour fonder un monastère. Ce sera dans le désert de Chartreuse, lieu que leur accorde l'évêque de Grenoble, Saint-Hugues. Il fonde l'Ordre des Chartreux en 1084. qui sera régi par des principes coutumiers. Il prône la solitude, la prière, le refus des richesses, un rapport intime à Dieu et un mode de vie où chaque moine a sa cellule individuelle, son jardin et ne partage que peu de repas en commun avec la communauté, une sorte d'apprentissage de la vie d'ermite. Dans ce rapport à la solitude, la littérature à dialogue du XVe siècle s'empare du sujet pour opposer le chartreux à l'homme mondain. Le texte "Le débat du chartreux et de l'homme mondain son compagnon" est un débat d'idées où les bénéfices de la solitude pour le salut sont opposés aux joies immédiates défendues par le mondain. Ce texte, qui vient de l'abbaye de Marmoutier près de Tours, est conservé dans un manuscrit avec une Danse macabre, le texte des Saints-Innocents, et avec un débat de l'âme et du corps. Les chartreux sont reconnus pour leur rapport serein à la mort et sur leur pratique funéraire. Le chartreux s'initie dans une sorte d'apprentissage sur terre à la contemplation de Dieu. La mort, apprivoisée et attendue, n'est pas une coupure brutale puisqu'elle ouvre sur la vie éternelle et la plénitude de la rencontre avec Dieu. Ils sont aussi connus pour la pratique des obits. Les obits, ce sont les messes que l'on dit aux anniversaires donnés pour le repos des âmes des défunts. Au fil du temps, ils s'ouvrirent un peu sur le monde et incluent les donateurs princiers et les fondateurs de chartreuses comme bénéficiaires de leurs prières et de leurs messes commémoratives pour les morts. Si initialement seuls les chartreux étaient enterrés dans l'enceinte de leurs abbayes, au XVe siècle, les fondateurs de chartreuse obtiennent le droit d'y être enterrés eux aussi. Et l'exemple le plus notable est la chartreuse de Champmol, près de Dijon, qui devient la nécropole des ducs de Bourgogne. Philippe le Hardi y est enterré en habit de chartreux. Donc l'influence des chartreux grandit, et notamment dans les milieux princiers, qui sont souvent commanditaires de Danses macabres, notamment pour les livres d'heures... Une dernière partie, c'est quelles auteurs pour les Danses macabres en français ? Sans doute des clercs, un chartreux peut-être, ou tout au moins quelqu'un de très proche de leur pensée. Le fait que le rôlet de théâtre ait été découvert à Chambéry, qui est à une trentaine de kilomètres de la Grande Chartreuse, est un élément troublant. Le fait que la Grande Chartreuse ait possédé un exemplaire de la Danse macabre de Guyot Marchant, la première édition, celle de 1485, conservée aujourd'hui à la bibliothèque municipale de Grenoble, et qui est le seul exemplaire parvenu jusqu'à nous, montre l'intérêt des chartreux pour le sujet. Un autre document de la Grande Chartreuse, une vie de Saint-Bruno rédigé en latin vers 1510 par un général des chartreux, François Dupuy, se termine par une mention précise: "Saint Bruno, premier patriarche de notre ordre, composa ses vers", et le texte qui suit est celui que l'on trouve dans le phylactère porté par l'ange dans la scène du roi mort qui termine la Danse macabre. Il est difficile de vérifier la véracité de l'affirmation de François Dupuy. Soit c'est bien un texte de Saint Bruno et on a un élément important pour apprécier l'identité du concepteur de la Danse des Saints Innocents, soit... François Dupuy a attribué hâtivement à Bruno le texte latin de la Danse macabre, un ouvrage qui était dans la bibliothèque de l'abbaye. On peut alors dire à minima que dans l'esprit d'un chartreux du XVIe siècle, il y a une sorte d'appropriation de la Danse macabre dans la pensée de cet ordre monacal. Proche du milieu cartusien, Jean Gerson, chancelier de l'Université de Paris, est un candidat possible connu comme auteur de la Danse macabre. C'est une idée qui a eu beaucoup de défenseurs au XIXe siècle, mais malheureusement, pas tous d'une grande rigueur intellectuelle. L'idée a été abandonnée un peu rapidement par les littéraires du XXe. Je pense à Geneviève Hazenor, Michel Zinc, principalement parce que Jean Gerson, qui avait condamné l'assassinat de Louis d'Orléans par le duc de Bourgogne, Jean sans Peur, s'était exilé à Lyon et était recherché par les anglo-bourguignons. qui sont les maîtres de la capitale en 1424. Il ne pouvait donc pas être présent à Paris quand on a réalisé la Danse macabre. L'argument est un peu faible. Les écrits de Gerson, notamment "L'art de bien mourir (De sienta mortis)", correspondent cependant à la philosophie développée par la Danse macabre, se soucier suffisamment tôt de la mort à venir pour préserver son salut. Dans le premier quart du XVe siècle, Gerson a écrit un Miroir de bonne vie, une moralité destinée sans doute à être jouée, où il fait défiler à la manière d'une Danse macabre les états de la société, les dirigeants de l'église, la noblesse, les clercs, les femmes, puis les pêcheurs, (les orgueilleux, les avaricieux, les luxurieux,... les sept péchés capitaux sont ainsi nommés). La forme du texte est assez légère et le sujet en est profondément dramatique. Il commence par une ritournelle. Mirez-vous, mirez-vous c'est-à-dire regardez-vous. Ainsi, "Mirez-vous, pape cardinaux, la mort viendra sans tarder guère, qui vous mettra tous à néant, n'est-il pas vrai ? Ah oui, vraiment!" L'acteur tire les conclusions de la moralité. "Ah donc,/ Quand c'est nécessité/ Que nous tous dansions à cette dance,/ Prince qui demeure en Trinité, Dieu donc!/ Qu'il te plaise par ta grande puissance/ De nous donner un tel repentir/ Quand tu nous verras à la fin/ Pour que nous puissions être sauvés." Gerson accompagne parfois ses essais théoriques en latin par d'autres textes en français sous forme de dialogues entre personnages, textes moins savants mais plus explicites pour un public large. Ainsi, sa "Doctrine du chant du chœur", qui est une théorie de l'ascension mystique à partir d'un modèle musical en latin, trouve son pendant vernaculaire dans le "Canticordium au pèlerin", appelé aussi "Doctrine du nouveau chant du cœur". Ce texte est un dialogue entre deux personnages, l'un appelé cœur mondain et l'autre appelé cœur solitaire, qui montre l'opposition entre le monde épris des faux plaisirs et la solitude qui mène à Dieu. Un sujet dont on a commencé à voir les contours avec la Danse macabre. Je ne sais pas si je vous en rabats plein les oreilles sur le monde, mais c'est très important pour comprendre la Danse macabre, c'est cette opposition entre le mondain, c'est-à-dire tout ce qui vit dans la société et qui forcément est négatif, et celui qui se met à l'écart. Une autre moralité à personnage écrite par Gerson, "Le jeu du Cœur et des Cinq sens écoliers", est considéré par Estelle Doudet comme un serment théâtral. Le sujet : Le cœur et les cinq sens profitent de l'absence de leur maître, leur maître c'est - Raison -, pour se révolter contre lui. Dans le préambule, la tirade du docteur précise : "De toute humaine créature/ vous pouvez voir ici la doctrine/ comme en livret et en peinture/ pour avoir joie qui ne finisse pas." Trois des mots qui sont utilisés, créature, doctrine, finir se retrouve dans la première tirade de l'acteur de la Danse macabre. Je rappelle la phrase de l'acteur de la Danse macabre : c'est " Ô créature raisonnable/ Qui désire vie éternelle/ Tu as ici doctrine notable /Pour bien finir vie mortelle. Dans les deux moralités, c'est la raison qui permet de retrouver la voie du salut. On peut dire pour le moins que le concepteur de la Danse macabre avait certainement lu Gerson et s'en inspire jusque dans les mots utilisés. Gerson est lui-même très proche des chartreux, qui lui réclament des textes et qui les diffuseront dans toute l'Europe. Il échange des courriers réguliers avec Oswald de Corda, qui est vicaire de la Grande Chartreuse, et à l'approche de sa mort, Gerson obtient des chartreux de son vivant, un trentain de messes à son intention. Son dernier courrier à Oswald pour l'envoi de son commentaire du Cantique des cantiques est une déclaration passionnée pour l'ordre des chartreux: "J'ai trouvé mon titre, alors pour le Cantique des Cantiques, mon titre, De amore sponsae de l'amour de l'épouse. Mon prologue est écrit d'un trait : Je t'aime, ô saint ordre des chartreux, toi qui me témoignes ton amour comme à ton prochain, et qui as eu pitié de moi en daignant m'accorder un trentain" Pour terminer cette partie, ma lecture de la Danse macabre est celle d'une opposition entre le monde, préoccupé par ses intérêts temporels, qui est surpris et peu préparé à la mort, d'une part, et d'autre part, l'ermite et le chartreux, qui vivent en dehors du monde, ou sont déjà morts au monde. Ils sont ainsi plus assurés de leur salut éternel. Sans éléments factuels permettant de conclure, on peut, au travers d'un ensemble de documents que j'espère convaincants, montrer que la Danse macabre est vraisemblablement l'œuvre d'un clerc proche des chartreux, et qui connaît bien l'œuvre de Jean Gerson. Alors, aller plus loin, ce serait périlleux, ce serait de dire est-ce que Gerson est vraiment l'auteur de la Danse macabre des Saints Innocents ? Je n'y avancerai pas parce qu'on n'a pas les éléments pour le dire, mais disons que cette piste qui est abandonnée par les gens de la littérature au XXe siècle, au XXIe siècle même, devrait être révisée quand on voit l'ensemble des éléments qui rapprochent Gerson de la Danse macabre. Il faut noter aussi que le succès de la Danse macabre parisienne lui a fait prendre par la suite des orientations très différentes, où le chartreux et les ermites sont moins importants ou bien n'existent plus. Le sujet est repris par les augustiniens, par les dominicains comme par les franciscains. Dans la Danse macabre de Jacob Meydenbach, vers 1490, le mauvais moine s'oppose au bon moine qui est un franciscain et qui déclare : "Dans un lieu où le règlement de l'ordre était respecté/ La mort est donc pour moi source de consolation/ Désormais, je serai libre et sauvé". Ce message, même s'il est porté par un autre personnage qu'un chartreux, résume bien ce que veut faire passer l'auteur de la Danse macabre de Paris. Je vais terminer là. Merci.

  • Speaker #1

    Merci Didier. Chères auditrices et chers auditeurs,vous voilà fin prés pour assister au prochain congrès de Danses macabres d'Europe qui se déroule en cette année 2025 du 1er au 4 octobre à Paris. Chères auditrices et auditeurs, merci pour votre écoute à bientôt pour un prochain épisode. Danses macabres d'Europe est une association loi 1901. Si vous êtes intéressé par notre activité, une adhésion, nos publications, vous pouvez nous retrouver notre site web www.danses-macabres-europe.org

  • Speaker #0

    Danses macabres d'Europe est également présente sur Facebook, Instagram et LinkedIn.

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« Zig et zig et zig, chacun se trémousse / On entend claquer les os des danseurs, * »

La présentation de la communication de Didier Jugan se poursuit par la partie consacrée au développement d’une interprétation de la Danse macabre comme une critique du monde :


☠️ ainsi la Danse macabre enrôle dans une ronde tous les états de la société alternant clercs et laïcs, à une exception près l’ermite, qui mène son existence retirée loin de la vie mondaine ; un homme sage presque un personnage mythique ;


☠️ au contraire des personnages dévoyés du moine, du cordelier et de l’abbé « qui faisait du gras dans son abbaye », le chartreux est porté au pinacle comme une incarnation de l’ermite ;


☠️ mais quel est l’auteur de la Danse macabre parisienne ? des clercs, un chartreux, Jean Gerson, candidat possible et reconnu comme tel au XIXe siècle et dont l’hypothèse a été abandonnée trop rapidement au XXe siècle ou bien un très proche du théologien ?

A l’issue de l’écoute de ce deuxième balad’os vous serez prêt pour assister au prochain congrès de Danses macabres d’Europe qui se déroule à Paris du 1er au 4 octobre 2025.



*Paroles de la Danse macabre de Camille Saint-Saëns d’après le poème d'Henri Cazalis intitulé « Egalité-Fraternité » tiré de son recueil « L’Illusion »


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

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  • Speaker #0

    Gardez votre oreille ouverte.

  • Speaker #1

    Bonjour et bienvenue, chères auditrices et chers auditeurs. Vous avez bien choisi d'écouter un balado des Danses Macabres d'Europe.

  • Speaker #0

    Danses Macabres d'Europe, le lieu de rencontre de la mort avec l'art, la littérature et l'histoire.

  • Speaker #1

    "Zig et zig et zig, chacun se trémousse. On entend cliquer les os des danseurs". Dans ce deuxième épisode, Didier Jugand poursuit la présentation de sa communication par la partie consacrée au développement d'une interprétation de la Danse macabre comme une critique du monde.

  • Didier Jugan

    La partie suivante, la Danse macabre comme critique du monde. Reprenons la gravure d'introduction de l'acteur. Le phylactère porté par l'ange est grave. Il dit: "Cette peinture rejette l'honneur, la pompe et le luxe, et là, par nos danses, elle nous met en garde sur la conduite des festivités". Le message est clérical, sévère, exigeant. Les états de la société sont tous marqués par le péché originel. Leurs préoccupations mondaines les empêchent de considérer la mort avec sérénité. Ils ne sont pas prêts à l'affronter. La société est ainsi répartie entre les clercs et les laïcs. Et l'auteur de la Danse macabre s'est employé à alterner, comme j'ai déjà dit tout à l'heure, de manière rigoureuse un clerc puis un laïc. À une exception près, les deux derniers personnages sont des clercs. J'y vois une signification très précise. Il y a une césure voulue entre la société qui vit dans le monde et le dernier personnage, l'ermite, qui vit hors du monde, dans la solitude. Ceux qui vivent dans le monde sont tous jugés négativement, alors que l'ermite a vraiment un statut à part dans la Danse macabre. Il a délibérément choisi de se retirer du monde. L'ermite ne se plaint pas, il est content des bienfaits de Dieu et lui demande simplement d'effacer ses péchés. La mort qui suit approuve ses propos. "C'est bien dit, ainsi doit-on dire". Dans le relais de Chambéry, le mort rassure l'ermite. Il ne doit pas être en émoi car il a mené une dure vie. Mais, bien sûr, ajoute-t-il, même si son âme veut vivre, son corps n'est pas délivré de la mort qui vient prendre tous les hommes. Une autre particularité, on a ici trois morts de représentés pour deux personnages, ce qui vient casser le déroulement classique qui associe par couple un mort et un vif. On est à la fin d'un cycle, celui des états du monde. L'attitude du mort qui précède l'ermite est singulière, il fait une courbette qu'on peut interpréter de deux manières. Un geste de théâtre en direction du public qui marque la fin de la série des états du monde et la figure emblématique de l'ermite qui lui est positif, ou bien un salut comme un geste de respect vis-à-vis de l'ermite qui est hors norme par rapport à tous ses prédécesseurs. L'ermite, dans la pensée occidentale, se réfère aux anachorètes de la Thébaïde, ces moines partis au désert pour vivre en solitaire au IVe siècle. Pour Saint-Benoît, l'ermite, c'est le stade le plus abouti de la vie monacale, réservé à quelques-uns seulement, des esprits forts, qui n'ont plus besoin de la communauté de leurs frères pour, je cite, "mener un combat contre les vices de la chair et des pensées". L'ermite vit son désert dans une forêt profonde. Il est très présent dans la littérature arthurienne des XIIe et XIIIe siècles. Le chevalier, dans sa quête, fréquente les forêts où résident les ermites, qui lui servent de guide dans son errance. L'ermite disparaît progressivement dans la littérature du XVe siècle. Il joue désormais dans les moralités le rôle du sage, du docteur, qui tire la leçon à retenir. Dans le dit des trois morts et trois vifs. Il parle ainsi :" En ce faux monde, on n'a que des plaisirs. Que penses-tu ? As-tu plus grande envie de vivre dans le doute en cette courte vie qui mène les mondains à la mort d'enfer ?" Ce texte des trois morts et trois vifs accompagne la Danse macabre de Guyot Marchant de 1486, ainsi que "Le débat d'un corps et d'une âme", traduction en français de la Visio Philiberti un texte attribué à Philibert l'ermite. L'ermite est donc un homme sage, presque un homme mythique. L'auteur de la Danse macabre des Saints-Innocents n'est pas aussi indulgent avec d'autres représentants du milieu monacal. Le moine n'est pas prêt à mourir à son univers. Il se sent bien dans son monastère, il est accroché à sa vie tranquille, il est dans la torpeur spirituelle qu'on associe à la paresse ou à l'acédie. Il a commis plusieurs péchés au temps passé, dit-il. et il n'en a pas fait pénitent. Le deuxième personnage, le cordelier, a conscience que la pratique de la mendicité ne lui assurera pas le salut. Il lui faudra payer le prix de ses forfaits. La mort qui l'emmène ironise. Lui qui prêchait sur la mort avec brio, il est moins émerveillé quand c'est lui qui est concerné. Le dernier personnage, l'abbé, faisait du gras dans son abbaye. C'est le péché de gourmandise qui implicitement est mis en avant. La mort lui assène qu'il pourrira bientôt, car le plus gras est le premier pourri. Si l'auteur de la Danse macabre est si dur avec les moines dévoyés, c'est pour porter au pinacle l'un d'entre eux, le chartreux. Il n'y a rien qui retienne le chartreux sur terre, car, comme il le dit, il est déjà mort au monde. Et il a moins que d'autres le désir de continuer à vivre. Il demande à Dieu. que son âme aille au Paradis, car cette vie, c'est du néant, c'est l'espoir de la vie éternelle qui l'anime. Dans le rôlet de Chambéry, le mort qui s'adresse à l'ermite et au chartreux utilise sensiblement les mêmes mots pour caractériser leur vie. Pour le Chartreux,: "Vous avez pris étroite vie / dont peu de gens ont envie". Pour l'ermite,: "Pénitence est dure vie / de quoi peu de gens ont envie". Très proche des deux visions du chartreux et de l'ermite. Dans l'esprit d'auteur de la Danse macabre, il y a donc très peu de différence entre l'ermite et le chartreux. Si l'ermite demeure une figure de style, une sorte d'abstraction parfaite, le chartreux en est l'incarnation. Pour revenir sur les chartreux, Saint Bruno est le fondateur des chartreux. Dans les très riches heures du duc de Berry, au folio 86, verso, on a quelques épisodes de la vie du saint qui sont disposés en rond, autour d'une scène principale qui présente la messe d'enterrement de Raymond Diocrès. Selon la légende, Bruno aurait fait le choix de la solitude après avoir assisté à l'enterrement de Raymond Diocrès, chanoine de Notre-Dame, connue pour sa piété. Or, à ses funérailles, les assistants épouvantés voient le mort sortir de son cercueil par trois fois et révéler Premièrement, qu'il a été appelé au jugement de Dieu. Deuxièmement, qu'il a été jugé. Et troisièmement, qu'il a été condamné. Bruno, impressionné par la scène, c'est une scène mythique, on peut y croire ou ne pas y croire, mais disons que c'est une scène qui, dans la vita de saint Bruno, est importante. Impressionné par la scène, il décide de partir avec ses six compagnons pour fonder un monastère. Ce sera dans le désert de Chartreuse, lieu que leur accorde l'évêque de Grenoble, Saint-Hugues. Il fonde l'Ordre des Chartreux en 1084. qui sera régi par des principes coutumiers. Il prône la solitude, la prière, le refus des richesses, un rapport intime à Dieu et un mode de vie où chaque moine a sa cellule individuelle, son jardin et ne partage que peu de repas en commun avec la communauté, une sorte d'apprentissage de la vie d'ermite. Dans ce rapport à la solitude, la littérature à dialogue du XVe siècle s'empare du sujet pour opposer le chartreux à l'homme mondain. Le texte "Le débat du chartreux et de l'homme mondain son compagnon" est un débat d'idées où les bénéfices de la solitude pour le salut sont opposés aux joies immédiates défendues par le mondain. Ce texte, qui vient de l'abbaye de Marmoutier près de Tours, est conservé dans un manuscrit avec une Danse macabre, le texte des Saints-Innocents, et avec un débat de l'âme et du corps. Les chartreux sont reconnus pour leur rapport serein à la mort et sur leur pratique funéraire. Le chartreux s'initie dans une sorte d'apprentissage sur terre à la contemplation de Dieu. La mort, apprivoisée et attendue, n'est pas une coupure brutale puisqu'elle ouvre sur la vie éternelle et la plénitude de la rencontre avec Dieu. Ils sont aussi connus pour la pratique des obits. Les obits, ce sont les messes que l'on dit aux anniversaires donnés pour le repos des âmes des défunts. Au fil du temps, ils s'ouvrirent un peu sur le monde et incluent les donateurs princiers et les fondateurs de chartreuses comme bénéficiaires de leurs prières et de leurs messes commémoratives pour les morts. Si initialement seuls les chartreux étaient enterrés dans l'enceinte de leurs abbayes, au XVe siècle, les fondateurs de chartreuse obtiennent le droit d'y être enterrés eux aussi. Et l'exemple le plus notable est la chartreuse de Champmol, près de Dijon, qui devient la nécropole des ducs de Bourgogne. Philippe le Hardi y est enterré en habit de chartreux. Donc l'influence des chartreux grandit, et notamment dans les milieux princiers, qui sont souvent commanditaires de Danses macabres, notamment pour les livres d'heures... Une dernière partie, c'est quelles auteurs pour les Danses macabres en français ? Sans doute des clercs, un chartreux peut-être, ou tout au moins quelqu'un de très proche de leur pensée. Le fait que le rôlet de théâtre ait été découvert à Chambéry, qui est à une trentaine de kilomètres de la Grande Chartreuse, est un élément troublant. Le fait que la Grande Chartreuse ait possédé un exemplaire de la Danse macabre de Guyot Marchant, la première édition, celle de 1485, conservée aujourd'hui à la bibliothèque municipale de Grenoble, et qui est le seul exemplaire parvenu jusqu'à nous, montre l'intérêt des chartreux pour le sujet. Un autre document de la Grande Chartreuse, une vie de Saint-Bruno rédigé en latin vers 1510 par un général des chartreux, François Dupuy, se termine par une mention précise: "Saint Bruno, premier patriarche de notre ordre, composa ses vers", et le texte qui suit est celui que l'on trouve dans le phylactère porté par l'ange dans la scène du roi mort qui termine la Danse macabre. Il est difficile de vérifier la véracité de l'affirmation de François Dupuy. Soit c'est bien un texte de Saint Bruno et on a un élément important pour apprécier l'identité du concepteur de la Danse des Saints Innocents, soit... François Dupuy a attribué hâtivement à Bruno le texte latin de la Danse macabre, un ouvrage qui était dans la bibliothèque de l'abbaye. On peut alors dire à minima que dans l'esprit d'un chartreux du XVIe siècle, il y a une sorte d'appropriation de la Danse macabre dans la pensée de cet ordre monacal. Proche du milieu cartusien, Jean Gerson, chancelier de l'Université de Paris, est un candidat possible connu comme auteur de la Danse macabre. C'est une idée qui a eu beaucoup de défenseurs au XIXe siècle, mais malheureusement, pas tous d'une grande rigueur intellectuelle. L'idée a été abandonnée un peu rapidement par les littéraires du XXe. Je pense à Geneviève Hazenor, Michel Zinc, principalement parce que Jean Gerson, qui avait condamné l'assassinat de Louis d'Orléans par le duc de Bourgogne, Jean sans Peur, s'était exilé à Lyon et était recherché par les anglo-bourguignons. qui sont les maîtres de la capitale en 1424. Il ne pouvait donc pas être présent à Paris quand on a réalisé la Danse macabre. L'argument est un peu faible. Les écrits de Gerson, notamment "L'art de bien mourir (De sienta mortis)", correspondent cependant à la philosophie développée par la Danse macabre, se soucier suffisamment tôt de la mort à venir pour préserver son salut. Dans le premier quart du XVe siècle, Gerson a écrit un Miroir de bonne vie, une moralité destinée sans doute à être jouée, où il fait défiler à la manière d'une Danse macabre les états de la société, les dirigeants de l'église, la noblesse, les clercs, les femmes, puis les pêcheurs, (les orgueilleux, les avaricieux, les luxurieux,... les sept péchés capitaux sont ainsi nommés). La forme du texte est assez légère et le sujet en est profondément dramatique. Il commence par une ritournelle. Mirez-vous, mirez-vous c'est-à-dire regardez-vous. Ainsi, "Mirez-vous, pape cardinaux, la mort viendra sans tarder guère, qui vous mettra tous à néant, n'est-il pas vrai ? Ah oui, vraiment!" L'acteur tire les conclusions de la moralité. "Ah donc,/ Quand c'est nécessité/ Que nous tous dansions à cette dance,/ Prince qui demeure en Trinité, Dieu donc!/ Qu'il te plaise par ta grande puissance/ De nous donner un tel repentir/ Quand tu nous verras à la fin/ Pour que nous puissions être sauvés." Gerson accompagne parfois ses essais théoriques en latin par d'autres textes en français sous forme de dialogues entre personnages, textes moins savants mais plus explicites pour un public large. Ainsi, sa "Doctrine du chant du chœur", qui est une théorie de l'ascension mystique à partir d'un modèle musical en latin, trouve son pendant vernaculaire dans le "Canticordium au pèlerin", appelé aussi "Doctrine du nouveau chant du cœur". Ce texte est un dialogue entre deux personnages, l'un appelé cœur mondain et l'autre appelé cœur solitaire, qui montre l'opposition entre le monde épris des faux plaisirs et la solitude qui mène à Dieu. Un sujet dont on a commencé à voir les contours avec la Danse macabre. Je ne sais pas si je vous en rabats plein les oreilles sur le monde, mais c'est très important pour comprendre la Danse macabre, c'est cette opposition entre le mondain, c'est-à-dire tout ce qui vit dans la société et qui forcément est négatif, et celui qui se met à l'écart. Une autre moralité à personnage écrite par Gerson, "Le jeu du Cœur et des Cinq sens écoliers", est considéré par Estelle Doudet comme un serment théâtral. Le sujet : Le cœur et les cinq sens profitent de l'absence de leur maître, leur maître c'est - Raison -, pour se révolter contre lui. Dans le préambule, la tirade du docteur précise : "De toute humaine créature/ vous pouvez voir ici la doctrine/ comme en livret et en peinture/ pour avoir joie qui ne finisse pas." Trois des mots qui sont utilisés, créature, doctrine, finir se retrouve dans la première tirade de l'acteur de la Danse macabre. Je rappelle la phrase de l'acteur de la Danse macabre : c'est " Ô créature raisonnable/ Qui désire vie éternelle/ Tu as ici doctrine notable /Pour bien finir vie mortelle. Dans les deux moralités, c'est la raison qui permet de retrouver la voie du salut. On peut dire pour le moins que le concepteur de la Danse macabre avait certainement lu Gerson et s'en inspire jusque dans les mots utilisés. Gerson est lui-même très proche des chartreux, qui lui réclament des textes et qui les diffuseront dans toute l'Europe. Il échange des courriers réguliers avec Oswald de Corda, qui est vicaire de la Grande Chartreuse, et à l'approche de sa mort, Gerson obtient des chartreux de son vivant, un trentain de messes à son intention. Son dernier courrier à Oswald pour l'envoi de son commentaire du Cantique des cantiques est une déclaration passionnée pour l'ordre des chartreux: "J'ai trouvé mon titre, alors pour le Cantique des Cantiques, mon titre, De amore sponsae de l'amour de l'épouse. Mon prologue est écrit d'un trait : Je t'aime, ô saint ordre des chartreux, toi qui me témoignes ton amour comme à ton prochain, et qui as eu pitié de moi en daignant m'accorder un trentain" Pour terminer cette partie, ma lecture de la Danse macabre est celle d'une opposition entre le monde, préoccupé par ses intérêts temporels, qui est surpris et peu préparé à la mort, d'une part, et d'autre part, l'ermite et le chartreux, qui vivent en dehors du monde, ou sont déjà morts au monde. Ils sont ainsi plus assurés de leur salut éternel. Sans éléments factuels permettant de conclure, on peut, au travers d'un ensemble de documents que j'espère convaincants, montrer que la Danse macabre est vraisemblablement l'œuvre d'un clerc proche des chartreux, et qui connaît bien l'œuvre de Jean Gerson. Alors, aller plus loin, ce serait périlleux, ce serait de dire est-ce que Gerson est vraiment l'auteur de la Danse macabre des Saints Innocents ? Je n'y avancerai pas parce qu'on n'a pas les éléments pour le dire, mais disons que cette piste qui est abandonnée par les gens de la littérature au XXe siècle, au XXIe siècle même, devrait être révisée quand on voit l'ensemble des éléments qui rapprochent Gerson de la Danse macabre. Il faut noter aussi que le succès de la Danse macabre parisienne lui a fait prendre par la suite des orientations très différentes, où le chartreux et les ermites sont moins importants ou bien n'existent plus. Le sujet est repris par les augustiniens, par les dominicains comme par les franciscains. Dans la Danse macabre de Jacob Meydenbach, vers 1490, le mauvais moine s'oppose au bon moine qui est un franciscain et qui déclare : "Dans un lieu où le règlement de l'ordre était respecté/ La mort est donc pour moi source de consolation/ Désormais, je serai libre et sauvé". Ce message, même s'il est porté par un autre personnage qu'un chartreux, résume bien ce que veut faire passer l'auteur de la Danse macabre de Paris. Je vais terminer là. Merci.

  • Speaker #1

    Merci Didier. Chères auditrices et chers auditeurs,vous voilà fin prés pour assister au prochain congrès de Danses macabres d'Europe qui se déroule en cette année 2025 du 1er au 4 octobre à Paris. Chères auditrices et auditeurs, merci pour votre écoute à bientôt pour un prochain épisode. Danses macabres d'Europe est une association loi 1901. Si vous êtes intéressé par notre activité, une adhésion, nos publications, vous pouvez nous retrouver notre site web www.danses-macabres-europe.org

  • Speaker #0

    Danses macabres d'Europe est également présente sur Facebook, Instagram et LinkedIn.

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Description

« Zig et zig et zig, chacun se trémousse / On entend claquer les os des danseurs, * »

La présentation de la communication de Didier Jugan se poursuit par la partie consacrée au développement d’une interprétation de la Danse macabre comme une critique du monde :


☠️ ainsi la Danse macabre enrôle dans une ronde tous les états de la société alternant clercs et laïcs, à une exception près l’ermite, qui mène son existence retirée loin de la vie mondaine ; un homme sage presque un personnage mythique ;


☠️ au contraire des personnages dévoyés du moine, du cordelier et de l’abbé « qui faisait du gras dans son abbaye », le chartreux est porté au pinacle comme une incarnation de l’ermite ;


☠️ mais quel est l’auteur de la Danse macabre parisienne ? des clercs, un chartreux, Jean Gerson, candidat possible et reconnu comme tel au XIXe siècle et dont l’hypothèse a été abandonnée trop rapidement au XXe siècle ou bien un très proche du théologien ?

A l’issue de l’écoute de ce deuxième balad’os vous serez prêt pour assister au prochain congrès de Danses macabres d’Europe qui se déroule à Paris du 1er au 4 octobre 2025.



*Paroles de la Danse macabre de Camille Saint-Saëns d’après le poème d'Henri Cazalis intitulé « Egalité-Fraternité » tiré de son recueil « L’Illusion »


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Gardez votre oreille ouverte.

  • Speaker #1

    Bonjour et bienvenue, chères auditrices et chers auditeurs. Vous avez bien choisi d'écouter un balado des Danses Macabres d'Europe.

  • Speaker #0

    Danses Macabres d'Europe, le lieu de rencontre de la mort avec l'art, la littérature et l'histoire.

  • Speaker #1

    "Zig et zig et zig, chacun se trémousse. On entend cliquer les os des danseurs". Dans ce deuxième épisode, Didier Jugand poursuit la présentation de sa communication par la partie consacrée au développement d'une interprétation de la Danse macabre comme une critique du monde.

  • Didier Jugan

    La partie suivante, la Danse macabre comme critique du monde. Reprenons la gravure d'introduction de l'acteur. Le phylactère porté par l'ange est grave. Il dit: "Cette peinture rejette l'honneur, la pompe et le luxe, et là, par nos danses, elle nous met en garde sur la conduite des festivités". Le message est clérical, sévère, exigeant. Les états de la société sont tous marqués par le péché originel. Leurs préoccupations mondaines les empêchent de considérer la mort avec sérénité. Ils ne sont pas prêts à l'affronter. La société est ainsi répartie entre les clercs et les laïcs. Et l'auteur de la Danse macabre s'est employé à alterner, comme j'ai déjà dit tout à l'heure, de manière rigoureuse un clerc puis un laïc. À une exception près, les deux derniers personnages sont des clercs. J'y vois une signification très précise. Il y a une césure voulue entre la société qui vit dans le monde et le dernier personnage, l'ermite, qui vit hors du monde, dans la solitude. Ceux qui vivent dans le monde sont tous jugés négativement, alors que l'ermite a vraiment un statut à part dans la Danse macabre. Il a délibérément choisi de se retirer du monde. L'ermite ne se plaint pas, il est content des bienfaits de Dieu et lui demande simplement d'effacer ses péchés. La mort qui suit approuve ses propos. "C'est bien dit, ainsi doit-on dire". Dans le relais de Chambéry, le mort rassure l'ermite. Il ne doit pas être en émoi car il a mené une dure vie. Mais, bien sûr, ajoute-t-il, même si son âme veut vivre, son corps n'est pas délivré de la mort qui vient prendre tous les hommes. Une autre particularité, on a ici trois morts de représentés pour deux personnages, ce qui vient casser le déroulement classique qui associe par couple un mort et un vif. On est à la fin d'un cycle, celui des états du monde. L'attitude du mort qui précède l'ermite est singulière, il fait une courbette qu'on peut interpréter de deux manières. Un geste de théâtre en direction du public qui marque la fin de la série des états du monde et la figure emblématique de l'ermite qui lui est positif, ou bien un salut comme un geste de respect vis-à-vis de l'ermite qui est hors norme par rapport à tous ses prédécesseurs. L'ermite, dans la pensée occidentale, se réfère aux anachorètes de la Thébaïde, ces moines partis au désert pour vivre en solitaire au IVe siècle. Pour Saint-Benoît, l'ermite, c'est le stade le plus abouti de la vie monacale, réservé à quelques-uns seulement, des esprits forts, qui n'ont plus besoin de la communauté de leurs frères pour, je cite, "mener un combat contre les vices de la chair et des pensées". L'ermite vit son désert dans une forêt profonde. Il est très présent dans la littérature arthurienne des XIIe et XIIIe siècles. Le chevalier, dans sa quête, fréquente les forêts où résident les ermites, qui lui servent de guide dans son errance. L'ermite disparaît progressivement dans la littérature du XVe siècle. Il joue désormais dans les moralités le rôle du sage, du docteur, qui tire la leçon à retenir. Dans le dit des trois morts et trois vifs. Il parle ainsi :" En ce faux monde, on n'a que des plaisirs. Que penses-tu ? As-tu plus grande envie de vivre dans le doute en cette courte vie qui mène les mondains à la mort d'enfer ?" Ce texte des trois morts et trois vifs accompagne la Danse macabre de Guyot Marchant de 1486, ainsi que "Le débat d'un corps et d'une âme", traduction en français de la Visio Philiberti un texte attribué à Philibert l'ermite. L'ermite est donc un homme sage, presque un homme mythique. L'auteur de la Danse macabre des Saints-Innocents n'est pas aussi indulgent avec d'autres représentants du milieu monacal. Le moine n'est pas prêt à mourir à son univers. Il se sent bien dans son monastère, il est accroché à sa vie tranquille, il est dans la torpeur spirituelle qu'on associe à la paresse ou à l'acédie. Il a commis plusieurs péchés au temps passé, dit-il. et il n'en a pas fait pénitent. Le deuxième personnage, le cordelier, a conscience que la pratique de la mendicité ne lui assurera pas le salut. Il lui faudra payer le prix de ses forfaits. La mort qui l'emmène ironise. Lui qui prêchait sur la mort avec brio, il est moins émerveillé quand c'est lui qui est concerné. Le dernier personnage, l'abbé, faisait du gras dans son abbaye. C'est le péché de gourmandise qui implicitement est mis en avant. La mort lui assène qu'il pourrira bientôt, car le plus gras est le premier pourri. Si l'auteur de la Danse macabre est si dur avec les moines dévoyés, c'est pour porter au pinacle l'un d'entre eux, le chartreux. Il n'y a rien qui retienne le chartreux sur terre, car, comme il le dit, il est déjà mort au monde. Et il a moins que d'autres le désir de continuer à vivre. Il demande à Dieu. que son âme aille au Paradis, car cette vie, c'est du néant, c'est l'espoir de la vie éternelle qui l'anime. Dans le rôlet de Chambéry, le mort qui s'adresse à l'ermite et au chartreux utilise sensiblement les mêmes mots pour caractériser leur vie. Pour le Chartreux,: "Vous avez pris étroite vie / dont peu de gens ont envie". Pour l'ermite,: "Pénitence est dure vie / de quoi peu de gens ont envie". Très proche des deux visions du chartreux et de l'ermite. Dans l'esprit d'auteur de la Danse macabre, il y a donc très peu de différence entre l'ermite et le chartreux. Si l'ermite demeure une figure de style, une sorte d'abstraction parfaite, le chartreux en est l'incarnation. Pour revenir sur les chartreux, Saint Bruno est le fondateur des chartreux. Dans les très riches heures du duc de Berry, au folio 86, verso, on a quelques épisodes de la vie du saint qui sont disposés en rond, autour d'une scène principale qui présente la messe d'enterrement de Raymond Diocrès. Selon la légende, Bruno aurait fait le choix de la solitude après avoir assisté à l'enterrement de Raymond Diocrès, chanoine de Notre-Dame, connue pour sa piété. Or, à ses funérailles, les assistants épouvantés voient le mort sortir de son cercueil par trois fois et révéler Premièrement, qu'il a été appelé au jugement de Dieu. Deuxièmement, qu'il a été jugé. Et troisièmement, qu'il a été condamné. Bruno, impressionné par la scène, c'est une scène mythique, on peut y croire ou ne pas y croire, mais disons que c'est une scène qui, dans la vita de saint Bruno, est importante. Impressionné par la scène, il décide de partir avec ses six compagnons pour fonder un monastère. Ce sera dans le désert de Chartreuse, lieu que leur accorde l'évêque de Grenoble, Saint-Hugues. Il fonde l'Ordre des Chartreux en 1084. qui sera régi par des principes coutumiers. Il prône la solitude, la prière, le refus des richesses, un rapport intime à Dieu et un mode de vie où chaque moine a sa cellule individuelle, son jardin et ne partage que peu de repas en commun avec la communauté, une sorte d'apprentissage de la vie d'ermite. Dans ce rapport à la solitude, la littérature à dialogue du XVe siècle s'empare du sujet pour opposer le chartreux à l'homme mondain. Le texte "Le débat du chartreux et de l'homme mondain son compagnon" est un débat d'idées où les bénéfices de la solitude pour le salut sont opposés aux joies immédiates défendues par le mondain. Ce texte, qui vient de l'abbaye de Marmoutier près de Tours, est conservé dans un manuscrit avec une Danse macabre, le texte des Saints-Innocents, et avec un débat de l'âme et du corps. Les chartreux sont reconnus pour leur rapport serein à la mort et sur leur pratique funéraire. Le chartreux s'initie dans une sorte d'apprentissage sur terre à la contemplation de Dieu. La mort, apprivoisée et attendue, n'est pas une coupure brutale puisqu'elle ouvre sur la vie éternelle et la plénitude de la rencontre avec Dieu. Ils sont aussi connus pour la pratique des obits. Les obits, ce sont les messes que l'on dit aux anniversaires donnés pour le repos des âmes des défunts. Au fil du temps, ils s'ouvrirent un peu sur le monde et incluent les donateurs princiers et les fondateurs de chartreuses comme bénéficiaires de leurs prières et de leurs messes commémoratives pour les morts. Si initialement seuls les chartreux étaient enterrés dans l'enceinte de leurs abbayes, au XVe siècle, les fondateurs de chartreuse obtiennent le droit d'y être enterrés eux aussi. Et l'exemple le plus notable est la chartreuse de Champmol, près de Dijon, qui devient la nécropole des ducs de Bourgogne. Philippe le Hardi y est enterré en habit de chartreux. Donc l'influence des chartreux grandit, et notamment dans les milieux princiers, qui sont souvent commanditaires de Danses macabres, notamment pour les livres d'heures... Une dernière partie, c'est quelles auteurs pour les Danses macabres en français ? Sans doute des clercs, un chartreux peut-être, ou tout au moins quelqu'un de très proche de leur pensée. Le fait que le rôlet de théâtre ait été découvert à Chambéry, qui est à une trentaine de kilomètres de la Grande Chartreuse, est un élément troublant. Le fait que la Grande Chartreuse ait possédé un exemplaire de la Danse macabre de Guyot Marchant, la première édition, celle de 1485, conservée aujourd'hui à la bibliothèque municipale de Grenoble, et qui est le seul exemplaire parvenu jusqu'à nous, montre l'intérêt des chartreux pour le sujet. Un autre document de la Grande Chartreuse, une vie de Saint-Bruno rédigé en latin vers 1510 par un général des chartreux, François Dupuy, se termine par une mention précise: "Saint Bruno, premier patriarche de notre ordre, composa ses vers", et le texte qui suit est celui que l'on trouve dans le phylactère porté par l'ange dans la scène du roi mort qui termine la Danse macabre. Il est difficile de vérifier la véracité de l'affirmation de François Dupuy. Soit c'est bien un texte de Saint Bruno et on a un élément important pour apprécier l'identité du concepteur de la Danse des Saints Innocents, soit... François Dupuy a attribué hâtivement à Bruno le texte latin de la Danse macabre, un ouvrage qui était dans la bibliothèque de l'abbaye. On peut alors dire à minima que dans l'esprit d'un chartreux du XVIe siècle, il y a une sorte d'appropriation de la Danse macabre dans la pensée de cet ordre monacal. Proche du milieu cartusien, Jean Gerson, chancelier de l'Université de Paris, est un candidat possible connu comme auteur de la Danse macabre. C'est une idée qui a eu beaucoup de défenseurs au XIXe siècle, mais malheureusement, pas tous d'une grande rigueur intellectuelle. L'idée a été abandonnée un peu rapidement par les littéraires du XXe. Je pense à Geneviève Hazenor, Michel Zinc, principalement parce que Jean Gerson, qui avait condamné l'assassinat de Louis d'Orléans par le duc de Bourgogne, Jean sans Peur, s'était exilé à Lyon et était recherché par les anglo-bourguignons. qui sont les maîtres de la capitale en 1424. Il ne pouvait donc pas être présent à Paris quand on a réalisé la Danse macabre. L'argument est un peu faible. Les écrits de Gerson, notamment "L'art de bien mourir (De sienta mortis)", correspondent cependant à la philosophie développée par la Danse macabre, se soucier suffisamment tôt de la mort à venir pour préserver son salut. Dans le premier quart du XVe siècle, Gerson a écrit un Miroir de bonne vie, une moralité destinée sans doute à être jouée, où il fait défiler à la manière d'une Danse macabre les états de la société, les dirigeants de l'église, la noblesse, les clercs, les femmes, puis les pêcheurs, (les orgueilleux, les avaricieux, les luxurieux,... les sept péchés capitaux sont ainsi nommés). La forme du texte est assez légère et le sujet en est profondément dramatique. Il commence par une ritournelle. Mirez-vous, mirez-vous c'est-à-dire regardez-vous. Ainsi, "Mirez-vous, pape cardinaux, la mort viendra sans tarder guère, qui vous mettra tous à néant, n'est-il pas vrai ? Ah oui, vraiment!" L'acteur tire les conclusions de la moralité. "Ah donc,/ Quand c'est nécessité/ Que nous tous dansions à cette dance,/ Prince qui demeure en Trinité, Dieu donc!/ Qu'il te plaise par ta grande puissance/ De nous donner un tel repentir/ Quand tu nous verras à la fin/ Pour que nous puissions être sauvés." Gerson accompagne parfois ses essais théoriques en latin par d'autres textes en français sous forme de dialogues entre personnages, textes moins savants mais plus explicites pour un public large. Ainsi, sa "Doctrine du chant du chœur", qui est une théorie de l'ascension mystique à partir d'un modèle musical en latin, trouve son pendant vernaculaire dans le "Canticordium au pèlerin", appelé aussi "Doctrine du nouveau chant du cœur". Ce texte est un dialogue entre deux personnages, l'un appelé cœur mondain et l'autre appelé cœur solitaire, qui montre l'opposition entre le monde épris des faux plaisirs et la solitude qui mène à Dieu. Un sujet dont on a commencé à voir les contours avec la Danse macabre. Je ne sais pas si je vous en rabats plein les oreilles sur le monde, mais c'est très important pour comprendre la Danse macabre, c'est cette opposition entre le mondain, c'est-à-dire tout ce qui vit dans la société et qui forcément est négatif, et celui qui se met à l'écart. Une autre moralité à personnage écrite par Gerson, "Le jeu du Cœur et des Cinq sens écoliers", est considéré par Estelle Doudet comme un serment théâtral. Le sujet : Le cœur et les cinq sens profitent de l'absence de leur maître, leur maître c'est - Raison -, pour se révolter contre lui. Dans le préambule, la tirade du docteur précise : "De toute humaine créature/ vous pouvez voir ici la doctrine/ comme en livret et en peinture/ pour avoir joie qui ne finisse pas." Trois des mots qui sont utilisés, créature, doctrine, finir se retrouve dans la première tirade de l'acteur de la Danse macabre. Je rappelle la phrase de l'acteur de la Danse macabre : c'est " Ô créature raisonnable/ Qui désire vie éternelle/ Tu as ici doctrine notable /Pour bien finir vie mortelle. Dans les deux moralités, c'est la raison qui permet de retrouver la voie du salut. On peut dire pour le moins que le concepteur de la Danse macabre avait certainement lu Gerson et s'en inspire jusque dans les mots utilisés. Gerson est lui-même très proche des chartreux, qui lui réclament des textes et qui les diffuseront dans toute l'Europe. Il échange des courriers réguliers avec Oswald de Corda, qui est vicaire de la Grande Chartreuse, et à l'approche de sa mort, Gerson obtient des chartreux de son vivant, un trentain de messes à son intention. Son dernier courrier à Oswald pour l'envoi de son commentaire du Cantique des cantiques est une déclaration passionnée pour l'ordre des chartreux: "J'ai trouvé mon titre, alors pour le Cantique des Cantiques, mon titre, De amore sponsae de l'amour de l'épouse. Mon prologue est écrit d'un trait : Je t'aime, ô saint ordre des chartreux, toi qui me témoignes ton amour comme à ton prochain, et qui as eu pitié de moi en daignant m'accorder un trentain" Pour terminer cette partie, ma lecture de la Danse macabre est celle d'une opposition entre le monde, préoccupé par ses intérêts temporels, qui est surpris et peu préparé à la mort, d'une part, et d'autre part, l'ermite et le chartreux, qui vivent en dehors du monde, ou sont déjà morts au monde. Ils sont ainsi plus assurés de leur salut éternel. Sans éléments factuels permettant de conclure, on peut, au travers d'un ensemble de documents que j'espère convaincants, montrer que la Danse macabre est vraisemblablement l'œuvre d'un clerc proche des chartreux, et qui connaît bien l'œuvre de Jean Gerson. Alors, aller plus loin, ce serait périlleux, ce serait de dire est-ce que Gerson est vraiment l'auteur de la Danse macabre des Saints Innocents ? Je n'y avancerai pas parce qu'on n'a pas les éléments pour le dire, mais disons que cette piste qui est abandonnée par les gens de la littérature au XXe siècle, au XXIe siècle même, devrait être révisée quand on voit l'ensemble des éléments qui rapprochent Gerson de la Danse macabre. Il faut noter aussi que le succès de la Danse macabre parisienne lui a fait prendre par la suite des orientations très différentes, où le chartreux et les ermites sont moins importants ou bien n'existent plus. Le sujet est repris par les augustiniens, par les dominicains comme par les franciscains. Dans la Danse macabre de Jacob Meydenbach, vers 1490, le mauvais moine s'oppose au bon moine qui est un franciscain et qui déclare : "Dans un lieu où le règlement de l'ordre était respecté/ La mort est donc pour moi source de consolation/ Désormais, je serai libre et sauvé". Ce message, même s'il est porté par un autre personnage qu'un chartreux, résume bien ce que veut faire passer l'auteur de la Danse macabre de Paris. Je vais terminer là. Merci.

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    Merci Didier. Chères auditrices et chers auditeurs,vous voilà fin prés pour assister au prochain congrès de Danses macabres d'Europe qui se déroule en cette année 2025 du 1er au 4 octobre à Paris. Chères auditrices et auditeurs, merci pour votre écoute à bientôt pour un prochain épisode. Danses macabres d'Europe est une association loi 1901. Si vous êtes intéressé par notre activité, une adhésion, nos publications, vous pouvez nous retrouver notre site web www.danses-macabres-europe.org

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« Zig et zig et zig, chacun se trémousse / On entend claquer les os des danseurs, * »

La présentation de la communication de Didier Jugan se poursuit par la partie consacrée au développement d’une interprétation de la Danse macabre comme une critique du monde :


☠️ ainsi la Danse macabre enrôle dans une ronde tous les états de la société alternant clercs et laïcs, à une exception près l’ermite, qui mène son existence retirée loin de la vie mondaine ; un homme sage presque un personnage mythique ;


☠️ au contraire des personnages dévoyés du moine, du cordelier et de l’abbé « qui faisait du gras dans son abbaye », le chartreux est porté au pinacle comme une incarnation de l’ermite ;


☠️ mais quel est l’auteur de la Danse macabre parisienne ? des clercs, un chartreux, Jean Gerson, candidat possible et reconnu comme tel au XIXe siècle et dont l’hypothèse a été abandonnée trop rapidement au XXe siècle ou bien un très proche du théologien ?

A l’issue de l’écoute de ce deuxième balad’os vous serez prêt pour assister au prochain congrès de Danses macabres d’Europe qui se déroule à Paris du 1er au 4 octobre 2025.



*Paroles de la Danse macabre de Camille Saint-Saëns d’après le poème d'Henri Cazalis intitulé « Egalité-Fraternité » tiré de son recueil « L’Illusion »


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

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    Bonjour et bienvenue, chères auditrices et chers auditeurs. Vous avez bien choisi d'écouter un balado des Danses Macabres d'Europe.

  • Speaker #0

    Danses Macabres d'Europe, le lieu de rencontre de la mort avec l'art, la littérature et l'histoire.

  • Speaker #1

    "Zig et zig et zig, chacun se trémousse. On entend cliquer les os des danseurs". Dans ce deuxième épisode, Didier Jugand poursuit la présentation de sa communication par la partie consacrée au développement d'une interprétation de la Danse macabre comme une critique du monde.

  • Didier Jugan

    La partie suivante, la Danse macabre comme critique du monde. Reprenons la gravure d'introduction de l'acteur. Le phylactère porté par l'ange est grave. Il dit: "Cette peinture rejette l'honneur, la pompe et le luxe, et là, par nos danses, elle nous met en garde sur la conduite des festivités". Le message est clérical, sévère, exigeant. Les états de la société sont tous marqués par le péché originel. Leurs préoccupations mondaines les empêchent de considérer la mort avec sérénité. Ils ne sont pas prêts à l'affronter. La société est ainsi répartie entre les clercs et les laïcs. Et l'auteur de la Danse macabre s'est employé à alterner, comme j'ai déjà dit tout à l'heure, de manière rigoureuse un clerc puis un laïc. À une exception près, les deux derniers personnages sont des clercs. J'y vois une signification très précise. Il y a une césure voulue entre la société qui vit dans le monde et le dernier personnage, l'ermite, qui vit hors du monde, dans la solitude. Ceux qui vivent dans le monde sont tous jugés négativement, alors que l'ermite a vraiment un statut à part dans la Danse macabre. Il a délibérément choisi de se retirer du monde. L'ermite ne se plaint pas, il est content des bienfaits de Dieu et lui demande simplement d'effacer ses péchés. La mort qui suit approuve ses propos. "C'est bien dit, ainsi doit-on dire". Dans le relais de Chambéry, le mort rassure l'ermite. Il ne doit pas être en émoi car il a mené une dure vie. Mais, bien sûr, ajoute-t-il, même si son âme veut vivre, son corps n'est pas délivré de la mort qui vient prendre tous les hommes. Une autre particularité, on a ici trois morts de représentés pour deux personnages, ce qui vient casser le déroulement classique qui associe par couple un mort et un vif. On est à la fin d'un cycle, celui des états du monde. L'attitude du mort qui précède l'ermite est singulière, il fait une courbette qu'on peut interpréter de deux manières. Un geste de théâtre en direction du public qui marque la fin de la série des états du monde et la figure emblématique de l'ermite qui lui est positif, ou bien un salut comme un geste de respect vis-à-vis de l'ermite qui est hors norme par rapport à tous ses prédécesseurs. L'ermite, dans la pensée occidentale, se réfère aux anachorètes de la Thébaïde, ces moines partis au désert pour vivre en solitaire au IVe siècle. Pour Saint-Benoît, l'ermite, c'est le stade le plus abouti de la vie monacale, réservé à quelques-uns seulement, des esprits forts, qui n'ont plus besoin de la communauté de leurs frères pour, je cite, "mener un combat contre les vices de la chair et des pensées". L'ermite vit son désert dans une forêt profonde. Il est très présent dans la littérature arthurienne des XIIe et XIIIe siècles. Le chevalier, dans sa quête, fréquente les forêts où résident les ermites, qui lui servent de guide dans son errance. L'ermite disparaît progressivement dans la littérature du XVe siècle. Il joue désormais dans les moralités le rôle du sage, du docteur, qui tire la leçon à retenir. Dans le dit des trois morts et trois vifs. Il parle ainsi :" En ce faux monde, on n'a que des plaisirs. Que penses-tu ? As-tu plus grande envie de vivre dans le doute en cette courte vie qui mène les mondains à la mort d'enfer ?" Ce texte des trois morts et trois vifs accompagne la Danse macabre de Guyot Marchant de 1486, ainsi que "Le débat d'un corps et d'une âme", traduction en français de la Visio Philiberti un texte attribué à Philibert l'ermite. L'ermite est donc un homme sage, presque un homme mythique. L'auteur de la Danse macabre des Saints-Innocents n'est pas aussi indulgent avec d'autres représentants du milieu monacal. Le moine n'est pas prêt à mourir à son univers. Il se sent bien dans son monastère, il est accroché à sa vie tranquille, il est dans la torpeur spirituelle qu'on associe à la paresse ou à l'acédie. Il a commis plusieurs péchés au temps passé, dit-il. et il n'en a pas fait pénitent. Le deuxième personnage, le cordelier, a conscience que la pratique de la mendicité ne lui assurera pas le salut. Il lui faudra payer le prix de ses forfaits. La mort qui l'emmène ironise. Lui qui prêchait sur la mort avec brio, il est moins émerveillé quand c'est lui qui est concerné. Le dernier personnage, l'abbé, faisait du gras dans son abbaye. C'est le péché de gourmandise qui implicitement est mis en avant. La mort lui assène qu'il pourrira bientôt, car le plus gras est le premier pourri. Si l'auteur de la Danse macabre est si dur avec les moines dévoyés, c'est pour porter au pinacle l'un d'entre eux, le chartreux. Il n'y a rien qui retienne le chartreux sur terre, car, comme il le dit, il est déjà mort au monde. Et il a moins que d'autres le désir de continuer à vivre. Il demande à Dieu. que son âme aille au Paradis, car cette vie, c'est du néant, c'est l'espoir de la vie éternelle qui l'anime. Dans le rôlet de Chambéry, le mort qui s'adresse à l'ermite et au chartreux utilise sensiblement les mêmes mots pour caractériser leur vie. Pour le Chartreux,: "Vous avez pris étroite vie / dont peu de gens ont envie". Pour l'ermite,: "Pénitence est dure vie / de quoi peu de gens ont envie". Très proche des deux visions du chartreux et de l'ermite. Dans l'esprit d'auteur de la Danse macabre, il y a donc très peu de différence entre l'ermite et le chartreux. Si l'ermite demeure une figure de style, une sorte d'abstraction parfaite, le chartreux en est l'incarnation. Pour revenir sur les chartreux, Saint Bruno est le fondateur des chartreux. Dans les très riches heures du duc de Berry, au folio 86, verso, on a quelques épisodes de la vie du saint qui sont disposés en rond, autour d'une scène principale qui présente la messe d'enterrement de Raymond Diocrès. Selon la légende, Bruno aurait fait le choix de la solitude après avoir assisté à l'enterrement de Raymond Diocrès, chanoine de Notre-Dame, connue pour sa piété. Or, à ses funérailles, les assistants épouvantés voient le mort sortir de son cercueil par trois fois et révéler Premièrement, qu'il a été appelé au jugement de Dieu. Deuxièmement, qu'il a été jugé. Et troisièmement, qu'il a été condamné. Bruno, impressionné par la scène, c'est une scène mythique, on peut y croire ou ne pas y croire, mais disons que c'est une scène qui, dans la vita de saint Bruno, est importante. Impressionné par la scène, il décide de partir avec ses six compagnons pour fonder un monastère. Ce sera dans le désert de Chartreuse, lieu que leur accorde l'évêque de Grenoble, Saint-Hugues. Il fonde l'Ordre des Chartreux en 1084. qui sera régi par des principes coutumiers. Il prône la solitude, la prière, le refus des richesses, un rapport intime à Dieu et un mode de vie où chaque moine a sa cellule individuelle, son jardin et ne partage que peu de repas en commun avec la communauté, une sorte d'apprentissage de la vie d'ermite. Dans ce rapport à la solitude, la littérature à dialogue du XVe siècle s'empare du sujet pour opposer le chartreux à l'homme mondain. Le texte "Le débat du chartreux et de l'homme mondain son compagnon" est un débat d'idées où les bénéfices de la solitude pour le salut sont opposés aux joies immédiates défendues par le mondain. Ce texte, qui vient de l'abbaye de Marmoutier près de Tours, est conservé dans un manuscrit avec une Danse macabre, le texte des Saints-Innocents, et avec un débat de l'âme et du corps. Les chartreux sont reconnus pour leur rapport serein à la mort et sur leur pratique funéraire. Le chartreux s'initie dans une sorte d'apprentissage sur terre à la contemplation de Dieu. La mort, apprivoisée et attendue, n'est pas une coupure brutale puisqu'elle ouvre sur la vie éternelle et la plénitude de la rencontre avec Dieu. Ils sont aussi connus pour la pratique des obits. Les obits, ce sont les messes que l'on dit aux anniversaires donnés pour le repos des âmes des défunts. Au fil du temps, ils s'ouvrirent un peu sur le monde et incluent les donateurs princiers et les fondateurs de chartreuses comme bénéficiaires de leurs prières et de leurs messes commémoratives pour les morts. Si initialement seuls les chartreux étaient enterrés dans l'enceinte de leurs abbayes, au XVe siècle, les fondateurs de chartreuse obtiennent le droit d'y être enterrés eux aussi. Et l'exemple le plus notable est la chartreuse de Champmol, près de Dijon, qui devient la nécropole des ducs de Bourgogne. Philippe le Hardi y est enterré en habit de chartreux. Donc l'influence des chartreux grandit, et notamment dans les milieux princiers, qui sont souvent commanditaires de Danses macabres, notamment pour les livres d'heures... Une dernière partie, c'est quelles auteurs pour les Danses macabres en français ? Sans doute des clercs, un chartreux peut-être, ou tout au moins quelqu'un de très proche de leur pensée. Le fait que le rôlet de théâtre ait été découvert à Chambéry, qui est à une trentaine de kilomètres de la Grande Chartreuse, est un élément troublant. Le fait que la Grande Chartreuse ait possédé un exemplaire de la Danse macabre de Guyot Marchant, la première édition, celle de 1485, conservée aujourd'hui à la bibliothèque municipale de Grenoble, et qui est le seul exemplaire parvenu jusqu'à nous, montre l'intérêt des chartreux pour le sujet. Un autre document de la Grande Chartreuse, une vie de Saint-Bruno rédigé en latin vers 1510 par un général des chartreux, François Dupuy, se termine par une mention précise: "Saint Bruno, premier patriarche de notre ordre, composa ses vers", et le texte qui suit est celui que l'on trouve dans le phylactère porté par l'ange dans la scène du roi mort qui termine la Danse macabre. Il est difficile de vérifier la véracité de l'affirmation de François Dupuy. Soit c'est bien un texte de Saint Bruno et on a un élément important pour apprécier l'identité du concepteur de la Danse des Saints Innocents, soit... François Dupuy a attribué hâtivement à Bruno le texte latin de la Danse macabre, un ouvrage qui était dans la bibliothèque de l'abbaye. On peut alors dire à minima que dans l'esprit d'un chartreux du XVIe siècle, il y a une sorte d'appropriation de la Danse macabre dans la pensée de cet ordre monacal. Proche du milieu cartusien, Jean Gerson, chancelier de l'Université de Paris, est un candidat possible connu comme auteur de la Danse macabre. C'est une idée qui a eu beaucoup de défenseurs au XIXe siècle, mais malheureusement, pas tous d'une grande rigueur intellectuelle. L'idée a été abandonnée un peu rapidement par les littéraires du XXe. Je pense à Geneviève Hazenor, Michel Zinc, principalement parce que Jean Gerson, qui avait condamné l'assassinat de Louis d'Orléans par le duc de Bourgogne, Jean sans Peur, s'était exilé à Lyon et était recherché par les anglo-bourguignons. qui sont les maîtres de la capitale en 1424. Il ne pouvait donc pas être présent à Paris quand on a réalisé la Danse macabre. L'argument est un peu faible. Les écrits de Gerson, notamment "L'art de bien mourir (De sienta mortis)", correspondent cependant à la philosophie développée par la Danse macabre, se soucier suffisamment tôt de la mort à venir pour préserver son salut. Dans le premier quart du XVe siècle, Gerson a écrit un Miroir de bonne vie, une moralité destinée sans doute à être jouée, où il fait défiler à la manière d'une Danse macabre les états de la société, les dirigeants de l'église, la noblesse, les clercs, les femmes, puis les pêcheurs, (les orgueilleux, les avaricieux, les luxurieux,... les sept péchés capitaux sont ainsi nommés). La forme du texte est assez légère et le sujet en est profondément dramatique. Il commence par une ritournelle. Mirez-vous, mirez-vous c'est-à-dire regardez-vous. Ainsi, "Mirez-vous, pape cardinaux, la mort viendra sans tarder guère, qui vous mettra tous à néant, n'est-il pas vrai ? Ah oui, vraiment!" L'acteur tire les conclusions de la moralité. "Ah donc,/ Quand c'est nécessité/ Que nous tous dansions à cette dance,/ Prince qui demeure en Trinité, Dieu donc!/ Qu'il te plaise par ta grande puissance/ De nous donner un tel repentir/ Quand tu nous verras à la fin/ Pour que nous puissions être sauvés." Gerson accompagne parfois ses essais théoriques en latin par d'autres textes en français sous forme de dialogues entre personnages, textes moins savants mais plus explicites pour un public large. Ainsi, sa "Doctrine du chant du chœur", qui est une théorie de l'ascension mystique à partir d'un modèle musical en latin, trouve son pendant vernaculaire dans le "Canticordium au pèlerin", appelé aussi "Doctrine du nouveau chant du cœur". Ce texte est un dialogue entre deux personnages, l'un appelé cœur mondain et l'autre appelé cœur solitaire, qui montre l'opposition entre le monde épris des faux plaisirs et la solitude qui mène à Dieu. Un sujet dont on a commencé à voir les contours avec la Danse macabre. Je ne sais pas si je vous en rabats plein les oreilles sur le monde, mais c'est très important pour comprendre la Danse macabre, c'est cette opposition entre le mondain, c'est-à-dire tout ce qui vit dans la société et qui forcément est négatif, et celui qui se met à l'écart. Une autre moralité à personnage écrite par Gerson, "Le jeu du Cœur et des Cinq sens écoliers", est considéré par Estelle Doudet comme un serment théâtral. Le sujet : Le cœur et les cinq sens profitent de l'absence de leur maître, leur maître c'est - Raison -, pour se révolter contre lui. Dans le préambule, la tirade du docteur précise : "De toute humaine créature/ vous pouvez voir ici la doctrine/ comme en livret et en peinture/ pour avoir joie qui ne finisse pas." Trois des mots qui sont utilisés, créature, doctrine, finir se retrouve dans la première tirade de l'acteur de la Danse macabre. Je rappelle la phrase de l'acteur de la Danse macabre : c'est " Ô créature raisonnable/ Qui désire vie éternelle/ Tu as ici doctrine notable /Pour bien finir vie mortelle. Dans les deux moralités, c'est la raison qui permet de retrouver la voie du salut. On peut dire pour le moins que le concepteur de la Danse macabre avait certainement lu Gerson et s'en inspire jusque dans les mots utilisés. Gerson est lui-même très proche des chartreux, qui lui réclament des textes et qui les diffuseront dans toute l'Europe. Il échange des courriers réguliers avec Oswald de Corda, qui est vicaire de la Grande Chartreuse, et à l'approche de sa mort, Gerson obtient des chartreux de son vivant, un trentain de messes à son intention. Son dernier courrier à Oswald pour l'envoi de son commentaire du Cantique des cantiques est une déclaration passionnée pour l'ordre des chartreux: "J'ai trouvé mon titre, alors pour le Cantique des Cantiques, mon titre, De amore sponsae de l'amour de l'épouse. Mon prologue est écrit d'un trait : Je t'aime, ô saint ordre des chartreux, toi qui me témoignes ton amour comme à ton prochain, et qui as eu pitié de moi en daignant m'accorder un trentain" Pour terminer cette partie, ma lecture de la Danse macabre est celle d'une opposition entre le monde, préoccupé par ses intérêts temporels, qui est surpris et peu préparé à la mort, d'une part, et d'autre part, l'ermite et le chartreux, qui vivent en dehors du monde, ou sont déjà morts au monde. Ils sont ainsi plus assurés de leur salut éternel. Sans éléments factuels permettant de conclure, on peut, au travers d'un ensemble de documents que j'espère convaincants, montrer que la Danse macabre est vraisemblablement l'œuvre d'un clerc proche des chartreux, et qui connaît bien l'œuvre de Jean Gerson. Alors, aller plus loin, ce serait périlleux, ce serait de dire est-ce que Gerson est vraiment l'auteur de la Danse macabre des Saints Innocents ? Je n'y avancerai pas parce qu'on n'a pas les éléments pour le dire, mais disons que cette piste qui est abandonnée par les gens de la littérature au XXe siècle, au XXIe siècle même, devrait être révisée quand on voit l'ensemble des éléments qui rapprochent Gerson de la Danse macabre. Il faut noter aussi que le succès de la Danse macabre parisienne lui a fait prendre par la suite des orientations très différentes, où le chartreux et les ermites sont moins importants ou bien n'existent plus. Le sujet est repris par les augustiniens, par les dominicains comme par les franciscains. Dans la Danse macabre de Jacob Meydenbach, vers 1490, le mauvais moine s'oppose au bon moine qui est un franciscain et qui déclare : "Dans un lieu où le règlement de l'ordre était respecté/ La mort est donc pour moi source de consolation/ Désormais, je serai libre et sauvé". Ce message, même s'il est porté par un autre personnage qu'un chartreux, résume bien ce que veut faire passer l'auteur de la Danse macabre de Paris. Je vais terminer là. Merci.

  • Speaker #1

    Merci Didier. Chères auditrices et chers auditeurs,vous voilà fin prés pour assister au prochain congrès de Danses macabres d'Europe qui se déroule en cette année 2025 du 1er au 4 octobre à Paris. Chères auditrices et auditeurs, merci pour votre écoute à bientôt pour un prochain épisode. Danses macabres d'Europe est une association loi 1901. Si vous êtes intéressé par notre activité, une adhésion, nos publications, vous pouvez nous retrouver notre site web www.danses-macabres-europe.org

  • Speaker #0

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