Ronan HirrienYan’ Dargent à Saint-Servais, donc il est né à Saint-Servais, il est mort à Paris auprès de son fils, et il est enterré à Saint-Servais. Mais avant cela, où on trouve Yan’ Dargent à Saint-Servais aujourd'hui ? Où on trouve les œuvres de Yan’ Dargent ? Au musée Yan’ Dargent, et aussi dans l'église et l'ossuaire. Yan’ Dargent est aussi très connu, dans le Finistère du moins, pour l'art religieux. Le plus grand programme d'art religieux qu'il ait fait, c'est la décoration des huit chapelles latérales de la cathédrale Saint-Corentin à Quimper. Ce sont 16 peintures murales et c'est un programme qui va l'occuper, avec quelques interruptions, mais qui va l'occuper de 1871 à 1883. Et c'est sans doute pour ce programme-là qu'il va recevoir en remerciement la Légion d'honneur en 1877, alors que le programme n'était pas encore tout à fait fini. Et donc ce sont des peintures murales très importantes à Quimper. Mais avant d'entreprendre ce programme à Quimper, Yan’ Dargent a fait des peintures murales dans l'ossuaire à Saint-Servais. Peut-être des essais de peinture, déjà. Enfin, l'ossuaire de Saint-Servais présentait et présente encore aujourd'hui une peinture murale dont le titre est gravé dans la pierre en breton en-dessous : « Ar bredenn hag an aluzen a denn an eneou a boan », « La prière et l'aumône délivrent les âmes du mal ». C'est un triptyque qui présente, sur le panneau de gauche, des femmes en prière sur une tombe de la famille Robée, justement, la famille maternelle de Yan’ Dargent, à Saint-Servais, donc. Le panneau de droite, c'est des personnes qui pratiquent l'aumône à la sortie de l'église, et le panneau central, une âme qui s'élève, qui sort d'une tombe et qui s'élève. Donc c'est véritablement l'illustration de cette phrase : « Ar bredenn hag an aluzen a denn an eneou a boan ». Et il y avait dans l'ossuaire une autre peinture murale : le dessin existe toujours ; malheureusement, sans doute, les pigments partaient déjà, et lorsqu'on a enlevé la boiserie qui la recouvrait, sans doute, peut-être même du vivant de Yan’ Dargent – donc, Yan’ Dargent remarquait que les pigments ne tenaient pas, et elle a été recouverte d'une boiserie. Quand on a enlevé la boiserie dans les années 90, il ne restait rien de cette peinture-là, qui représentait la mort et le vif. Donc ça, c'est une illustration qui, évidemment, intéresse les adhérents de l'association Danses Macabres d'Europe. Voilà une représentation encore, qui nous fait penser à la mort et la jeune-fille. Là, on a la mort qui plane sur un jeune-homme, avec sa grande faux. Mais seul un dessin est conservé de cette peinture. Ensuite, voyant que ces peintures s'abîmaient, Yan’ Dargent a réalisé, pour l’ossuaire de Saint-Servais, un grand tableau qui couvrait véritablement, complètement, cette fresque sur la prière et l'aumône, et qui représente la mort de Salaün ar Foll. C'est la légende du Folgoat. Folgoët, c'est un pardon très, très important au XIXe siècle. C'est le XIXe siècle, c'est l'essor du culte marial. Le pardon du Folgoët est né plus tôt, évidemment, puisque la basilique du Folgoët, à côté de Lesneven, est financée par les ducs de Bretagne au XVe siècle. On a un magnifique jubé en dentelle de granit. Et Yan’ Dargent, certainement, est allé plusieurs fois à ce pardon-là. Il représente la mort de Salaün ar Foll. Alors Salaün ar Foll, c'est un homme décrit comme un innocent qui vivait dans les bois, retiré en ermite, et qui implorait, priait la Vierge Marie, à qui on attribue des miracles dans sa vie latine. Yan’ Dargent le représente donc à l'heure de sa mort. Cet homme qui n'aurait su dire de son vivant que « Ave Maria, Salaun a zebrje bara », « Ave Maria, Salaün voudrait bien manger du pain ». Et il le représente à l'heure de sa mort. on voit la Vierge qui arrive entourée d'une cohorte de saints à l'heure où Salaün ar Foll décède. Yan’ Dargent se serait représenté lui-même sous les traits de Salaün ar Foll, donc au pied d'un arbre dans le bois du Folgoët. Folgoët, c'est bien « foll », le fou, et « koad », le bois, donc le fou du bois. Ensuite, dans l'église, Yan’ Dargent aussi a réalisé de nombreuses toiles : un Christ en majesté, Notre-Dame du Rosaire, le baptême du Christ dans le Jourdain, qui rappelle aussi la peinture murale de la cathédrale Saint-Corentin à Quimper. Et depuis – Yan’ Dargent avait réalisé ces toiles, donc, pour l'église de Saint-Servais – et depuis, l'association des Amis du Musée Yan’ Dargent a encore enrichi la collection d'œuvres d'art religieux de Yan’ Dargent présentées à Saint-Servais, puisqu'on présente quatre belles toiles qui se trouvaient dans un monastère. Magnifique : les Saintes Femmes et Saint Jean au pied de la croix, qui rappellent un Stabat Mater véritablement, où on n'a que les pieds du Christ sur la croix, et on voit la douleur de la Vierge au pied de la croix. La présentation du Christ, aussi, au peuple : Ecce Homo, voulez-vous que je le condamne ? Voici l'homme ! – dont les couleurs sont superbes, puisqu’on a un Christ paisible, lumineux, dans une robe rouge, très paisible. Et toute la foule vociférante, Ponce Pilate, dans les gris, avec un tableau à l'architecture savamment bâti aussi, autour d'obliques, de la ceinture, le sceptre, les mains menaçantes sur le Christ, et les verticales aussi de l'architecture représentée. Enfin voilà, on a ces belles toiles d'un religieux de Yan Dargent, présentées à l'église, et aussi une autre version de la mort de Salaün ar Foll que Yan’ Dargent avait présentée au Salon de 1895. Et on va présenter cet été le dessin préparatoire de ce tableau : c'est un dessin qui est conservé au musée du Léon, à Lesneven, et qui nous est prêté pour cet été puisqu'on a la toile. On présentera aussi le dessin préparatoire en regard cet été. Donc Yan’ Dargent et l'art religieux sont aussi très présents à Saint-Servais. Et j'oubliais... Dans la revue « Le Magasin pittoresque » de 1871, Yan’ Dargent présente une gravure du dessin qu'il a réalisé pour le vitrail de l'ossuaire de Saint-Servais. C'est véritablement son premier programme religieux. C'est à ce moment-là qu'il va avoir la commande de Mgr Sergent pour décorer les murs de la cathédrale Saint-Quentin à Quimper. Et donc il dessine les vitraux aussi de Saint-Servais dans l'ossuaire et dans l'église. Ensuite, Yan’ Dargent, donc, a aimé Saint-Servais, a peint à Saint-Servais. Il a représenté Saint-Servais dans ses tableaux. On trouve au Musée des Beaux-Arts de Troyes un tableau « Le Dolmen de Saint-Servais ». Au Musée Yan’ Dargent de Saint-Servais, on voit le recteur de Saint-Servais se promenant le soir, lisant son bréviaire sur un chemin le soir, et on voit le clocher de Saint-Servais au fond. Même dans des gravures, dans des livres, on reconnaît un clocher à double galerie que l'on sait être celui de Saint-Servais. Donc, il a toujours aimé sa commune natale Saint-Servais, et il a voulu être enterré à Saint-Servais. Il meurt le 19 novembre 1899 à Paris, chez son fils. Dans ses dernières volontés, il manifeste le désir d'être enterré à Saint-Servais. Il est enterré dans une tombe simple, un saule pleureur argenté, près de l'ossuaire. Il est enterré peu après, donc son corps est transporté de Paris à Saint-Servais. Il est enterré peu après. Et dans ses dernières volontés, il avait aussi manifesté le désir que son chef, la partie la plus noble du corps, le crâne, rejoigne après sa mort l'ossuaire, où étaient déjà conservés les crânes de sa mère et de son grand-père. C'était une coutume qui était réservée aux personnes qui avaient œuvré pour le bien de l'Église : des prêtres, des donateurs… Et un artiste comme Yan’ Dargent pouvait y prétendre aussi. Cette coutume était vraiment très en usage dans les années 1860, 1870 encore, et on connaît les boîtes à crâne présentées à la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon. Mais à la toute fin du XIXe siècle, elle n'est plus autant en usage, cette coutume. Il y a un délai légal à respecter qui est de cinq ans. Ernest Yan’ Dargent, fort des autorisations épiscopales et préfectorales, se rend à Saint-Servais en octobre 1907 pour faire procéder à la décollation du chef de Yan’ Dargent, respecter les volontés de son père. Ernest Yan’ Dargent était fils naturel, reconnu par Yan’ Dargent, fils unique, légataire. Il se présente à Saint-Servais. L'abbé Guivarc’h, prêtre de Saint-Servais, est là. Ils font procéder à l'ouverture du premier cercueil et puis du cercueil de zinc aussi par le ferblantier zingueur de Landivisiau. Et surprise ! Des journalistes sont là aussi, des journalistes régionaux et puis des journalistes parisiens, de la presse catholique et de la presse rouge aussi. Et donc on a la relation de l'ouverture du cercueil et de la décollation. Et surprise ! Le corps de Yan’ Dargent est dans un parfait état de conservation. Des journaux décrivent les poils de la barbe encore présents, l'oreiller qui n'était pas piqué par les vers. Donc on s'interroge, que faire ? Ernest Dargent insiste sur les relations qu'il a pour faire procéder à la décollation. Et puis l'abbé Guivarc’h, voyant que personne d'autre ne se présentait, va descendre donc pour séparer la tête de Yan’ Dargent du corps. Il se rend compte qu'elle ne vient pas, il réclame une lame. C'est un agriculteur de Bodilis qui va lui donner cette lame. Il peste, « Mais qui m'a donné ce couteau qui ne coupe pas ? » Et c'est le meunier de Bodilis, Alain Colliou, qui va lui donner une belle lame avec laquelle, cette fois-ci, il pourra trancher la tête de Yan’ Dargent. On va la débarrasser des quelques tâches qui la maculent. Et après une procession, une absoute est dite, puis la tête de Yan’ Dargent va rejoindre l'ossuaire. Mais les journaux étaient présents. Et ces journaux – autant la presse catholique insiste sur les bienfaits apportés par Yan’ Dargent à l'Église (on est dans le contexte de séparation de l'Église et de l'État encore, 1902, 1905… On n'est qu'en 1907. Et la presse plus républicaine, donc, titre des manchettes pour frapper les esprits : « Scène de barbarie dans les cimetières bas-bretons », « Le recteur coupe la tête du mort »… Et ils vont finir, un journaliste va aller voir la belle famille, les descendants de Claude Dargent du second foyer ; et un de ses descendants, jaloux peut-être de voir Ernest Dargent reconnu comme héritier – un de ses descendants, donc, va porter plainte contre l'abbé Guivarc’h et Ernest Dargent pour violation de sépulture. Le procès a lieu un an plus tard, en juin 1908, à Morlaix. Et rapidement, l'affaire va reprendre des proportions plus normales. « Avait-on les autorisations ? » « Oui. » « Était-ce la volonté du défunt ? » « Oui. » Et donc, l'abbé Guivarc’h, comme Ernest Dargent, sont renvoyés des fins de la plainte sans aucun dépens. Ernest Dargent retourne à Paris, et quatre jours plus tard, il meurt d'une crise cardiaque, sans doute tué par l'émotion. Et après, de Yan’ Dargent, on ne se rappelle plus grand-chose, sauf peut-être cette histoire-là, qui revient dans la presse, et parfois, des journalistes ont un peu oublié des détails de l'histoire, puisqu'en 1966, dans Ouest France, un journaliste titre « Le cercueil était trop petit, on coupe la tête de l'artiste ». Et j'ai retrouvé récemment un reportage de l'ORTF, filmé en 1968, je crois, à Saint-Servais, dans lequel on a un ancien qui témoigne, alors qu'il était enfant à l'époque, avoir assisté, enfant, entre les jambes des adultes, à la décollation du chef de Yan’ Dargent. Voilà. On a encore un témoignage assez récent, enregistré en 1968, je crois, autour de cette décollation. Donc voilà, Yan’ Dargent, qui a merveilleusement illustré « La Divine Comédie » de Dante, l'enfer, le purgatoire, le paradis, hé bien, il a connu lui-même un sort posthume exceptionnel.