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Vous avez dit modernité?? « La mort dans tous ses états : Modernité et esthétique des Danses macabres : 1785-1966 »Par Vincent Wackenheim cover
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Danses macabres d’Europe

Vous avez dit modernité?? « La mort dans tous ses états : Modernité et esthétique des Danses macabres : 1785-1966 »Par Vincent Wackenheim

Vous avez dit modernité?? « La mort dans tous ses états : Modernité et esthétique des Danses macabres : 1785-1966 »Par Vincent Wackenheim

24min |21/11/2025|

22

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Danses macabres d’Europe

Vous avez dit modernité?? « La mort dans tous ses états : Modernité et esthétique des Danses macabres : 1785-1966 »Par Vincent Wackenheim

Vous avez dit modernité?? « La mort dans tous ses états : Modernité et esthétique des Danses macabres : 1785-1966 »Par Vincent Wackenheim

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Description

« Vous avez dit modernité ?? » Tel est le titre retenu par Vincent Wackenheim, lors de son intervention exceptionnelle, le 1er octobre 2025, première journée du 21ème congrès de Danses macabres d’Europe.


En demandant à son auditoire de faire un petit pas de côté, pour sortir de la longue farandole, forme emblématique ancienne de la Danse macabre, Vincent Wackenheim se plonge dans la description de quelques-unes des 109 Danses macabres produites sur plusieurs siècles, proposées par une nouvelle édition augmentée de son ouvrage monumental « La mort dans tous ses états : Modernité et esthétique des Danses macabres : 1785-1966 »

Edition L’Atelier contemporain, publié avec le concours du Centre national du livre, de la Fondation Antoine de Galbert, et d’OGF


Attention ! Si vous prévoyez d’acheter le livre : avec ses 968 pages et 1000 illustrations, l’ouvrage pèse plus de 3 kg !


🎧 Gardez votre oreille ouverte et écoutez le podcast.

 

☠️ Cette présentation d’un livre-clé est intervenue lors du 21ème congrès de Danses macabres d'Europe qui s'est tenu à Paris du 1er au 4 octobre. 


Vous pouvez prendre connaissance de l’intégralité des communications dans les actes du colloque, qui avait pour thème La Danse macabre des Saints-Innocents 1425-2025, sources, contexte, postérité disponible sur commande par e-mail à l'association : asso.dme@orange.fr.


Nos podcasts font l’objet d’une transcription audio en texte.





Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Gardez votre oreille ouverte.

  • Speaker #1

    Bonjour et bienvenue. Chères auditrices et chers auditeurs, vous avez bien choisi d'écouter un balado des Danses Macabres d'Europe.

  • Speaker #0

    Danses Macabres d'Europe, le lieu de rencontre de la mort avec l'art, la littérature et l'histoire. Vincent Wackenheim a sélectionné avec un plaisir jubilatif quelques Danses macabres modernes et nous décrit tous les effets que la mort déploie pour nous inviter à un dernier pas de danse.

  • Vincent Wackenheim

    Merci de bien vouloir me laisser la parole pour présenter mon dernier travail. Je vais profiter de mon statut de dernier orateur pour vous demander de faire un petit pas de côté. Pourquoi un petit pas de côté ? Parce que nous avons vu aujourd'hui, nous avons vu la Danse macabre de Paris, donc 1425, devenir une sorte de forme emblématique, une forme de langage, une structure qui est apparemment connu de tous. C'est-à-dire que nous savons tous exactement comment fonctionne une Danse macabre, c'est-à-dire une succession de personnages de la société religieuse, civile. On peut bien chercher la mort dans un certain climat, on l'a dit ce matin, de bienveillance. La Mort n'est pas agressive dans les Danses macabres anciennes. Cette forme emblématique, cette forme narrative, ce que je vais vous proposer, c'est de la regarder à l'aune d'une forme de modernité où la structure universelle de cette Danse macabre ancienne va être totalement tordue et éclatée. Je vais vous demander d'avoir en tête une deuxième date, après cette date de 1425 qui nous réunit aujourd'hui. Alors, ce n'est pas très loin, c'est un peu plus que 100 ans après, quand paraît à Lyon la Danse macabre de Holbein. Elle ne porte pas ce titre-là. Mais c'est une forme de révolution picturale, puisque la Danse macabre que vous connaissez et dont vous avez vu des images, c'est une longue farandole qui présente des personnages qui dansent avec la mort les uns derrière les autres, alors que la Danse macabre de Holbein, ce sont des images individualisées, dues aussi à la création de l'imprimerie, où on va voir des couples de personnages totalement individualisés. Cette forme de traiter la Danse macabre n'a bien évidemment plus rien à voir avec le modèle ancien. Et ce modèle nouveau va devenir la doxa des temps modernes. A partir de la fin de l'heure de gloire des Danses macabres, on va voir les Vanités prendre le pouvoir sur les Danses macabres. Les Vanités, ce n'est pas du tout un mode d'expression populaire comme l'était une Danse macabre. Il faut imaginerdans la ville de Bâle, par exemple, ou à Paris, ou à Lubeck, ou en Suisse, il faut imaginer ce que étaient ces panneaux, parfois de 2 mètres de haut sur 80 mètres de long, qui devaient être extrêmement puissants pour la personne, les enfants, qui venaient les regarder. Cette forme-là, avec l'apparition de la gravure et du livre, elle va disparaître au profit d'une relation beaucoup plus... intime avec la mort. Pour faire simple, le 18e siècle va parler, parler et reparler de Holbein sans que les artistes, qui n'ont plus de commandes pour faire des Danses macabres, sans que les artistes sortent de ce modèle de Holbein. Et ce que je vais vous proposer, et ce que j'ai proposé dans ce livre qui est relativement monumental quant à sa taille, ce que je vais vous proposer de visiter ces fameuses Danses macabres que je dis modernes. Alors c'est pas moi qui dis « moderne » , mais ce sont les artistes eux-mêmes, puisque par exemple, le terme de Danse macabre moderne est celui choisi par des artistes de leur temps. En allemand, ça donne «ein modern Totentanz » , en anglais « a new dance of death » . Les artistes eux-mêmes ont qualifié leurs propos de nouveaux. Alors ce vers quoi je voudrais vous entraîner, c'est la compréhension de cette image. Celle de gauche, la Danse macabre des femmes, c'est ce que vous avez bien compris ce matin. Celle de droite, c'est celle de la modernité. Tout change. C'est-à-dire que le regard de l'artiste va considérer la Mort non plus comme un élément bénéfique et positif, mais elle va être agissante du malheur d'autrui. La Mort n'est plus un élément pacifiant, elle est un élément dérangeant. Alors, J'ai choisi dans cet ouvrage des principes d'édition simples parce qu'il fallait que je détermine, que je limite mon corpus. Déjà là, l'ouvrage que j'ai fait, fait 960 pages, 3,6 kg et a 1000 images. Donc j'ai dû me cantonner à ce qu'est pour moi une Danse macabre. Et c'est moderne, c'est différent par rapport à ce que vous avez vu précédemment. Ce sont des recueils d'images publiées et diffusées au public. Ça ne sont plus... des éléments qui figurent dans les rues ou dans le paysage urbain de tout un chacun. Donc j'ai exclu de mon corpus toutes les "Jeunes filles et la Mort", toutes les représentations de scènes macabres qui sont par exemple des tableaux, n'appartiennent pas à mon propos. Les dates que j'ai choisies vont commencer, je vais voir, par l'année 1785, où paraît en Suisse une Danse macabre dessinée, gravée par un dénommé Schellenberg, qui, à ma connaissance, alors on peut peut-être me trouver une Danse macabre plus ancienne, qui fait déjà intervenir tant d'éléments de la modernité. Mais celle de Schellenberg, elle est étonnante, parce que vous voyez cette scène où l'on voit la Mort qui accompagne un individu qui se suicide. Cette scène-là est juste impossible à imaginer dans une iconographie du Moyen-Âge. De la même façon, cette Danse macabre de Schellenberg va présenter une montgolfière. On est en 1785. Le premier vol de montgolfière en Europe, c'est 1700, si mes souvenirs sont bons, 82. Donc trois années après la première ascension d'un ballon non captif en région parisienne, un Suisse, Schellenberg, représente dans sa Danse macabre cette montgolfière qui va se casser la figure et entraîner évidemment ses passagers dans la mort. J'ai trouvé dans cette période, donc 1785, mon début, 1966, qui est celle d'un dénommé Grieshaber, qui en Allemagne de l'Est, à l'époque, produit une Danse macabre qui est très liée à celle de Bâle. J'en ai repéré 150. 150, ça veut dire que sur une période de 150 ans, il en paraît une par an, ce qui est effectivement colossal. On a parlé ce matin du nombre supposé de Danses macabres connues, les chiffres étaient évidemment bien plus petits. J'ai trouvé une diversité d'artistes et une diversité de pays, puisque ces Danses macabres viennent relativement majoritairement des pays allemands, germaniques, mais également de France, mais également d'Angleterre, des Etats-Unis, d'Espagne, de Suisse, de Belgique. Donc il y a une vraie diversité. Le seul pays qui est peut représenter, c'est l'Amérique du Sud. Alors on me cite toujours Posada comme étant un artiste très fortement influencé par les Danses macabres, mais à tout prendre, il n'en a jamais dessiné. Ou alors toute son œuvre n'est qu'une immense Danse macabre. La diversité d'artistes, des noms très célèbres, ont créé des Danses macabres. Kubin en a fait deux. Klinger, on a fait deux voire trois. En France, un graveur moins connu aujourd'hui qui s'appelle Besnard, en a fait une. Dyl, qui est un artiste des arts déco, on a fait une. Chaque période d'activité artistique, que ce soit les gothiques, que ce soit les romantiques, que ce soit les symbolistes, que ce soit les surréalistes, ont créé en leur temps une Danse macabre et c'est cette diversité que j'ai voulu montrer. Alors ? Je ne vais pas vous montrer les mille images ce soir. Je voudrais juste insister sur le fait que la Danse macabre moderne est une Danse macabre individuelle, c'est l'individu devant la mort, et c'est, et on l'a dit ce matin, la Bonne mort au Moyen-Âge est celle à laquelle on se prépare. C'est tout l'inverse aujourd'hui. Aujourd'hui, on espère une mort, un AVC au fin fond de son lit, et de ne pas du tout se préparer à la mort. Au Moyen-Âge, c'est l'inverse. Là, dans mes Danses macabres modernes, l'immédiateté est de mise. La mort soit par des accidents, la modernité va venir, on va voir, des trains, des voitures, des bicyclettes, de la guerre, de l'alpinisme, thème absolument peu traité dans les Danses macabres, si ce n'est pas du tout dans les Danses macabres anciennes. Ces thèmes de la modernité induisent une mort immédiate, donc une mort perçue comme cruelle précédemment. Ces Danses macabres vont aussi utiliser des techniques d'impression qui vont suivre le temps. Ainsi, on va le voir au début du XIXe, inventée toute fin du XVIIIe, la lithographie permet la diffusion d'images extrêmement largement. De la même, la presse va permettre une diffusion fort large. Un journal aussi connu que l'Assiette au beurre, qui va publier deux Danses macabres, est tiré à plus de 100 000 exemplaires. Et à côté de ça, il va y avoir des Danses macabres sous la forme de gravures dont le tirage va osciller autour de 30-40 exemplaires. Bien évidemment, ces Danses macabres vont se traduire par une laïcisation totale de leurs préoccupations. L'Allemagne connaît toujours des Danses macabres religieuses, mais la France, elle, on le verra par quelques exemples, va se traduire par des Danses macabres qui utilisent l'image mentale créée en 1425 pour émettre une énorme critique sociale envers les pouvoirs, l'armée et toute forme d'oppression qu'on peut imaginer. La violence est dominante. Une Danse macabre du Moyen-Âge n'est pas violente. Le moment est violent parce qu'il s'agit de mourir, mais la mort vient chercher l'individu et ne le tue pas. Tandis que dans les Danses macabres dites modernes, la mort va tuer. L'actualité va évidemment jouer un rôle important. La guerre de 1914 va provoquer une floraison de Danse macabre. La guerre de Corée, avec la crainte du conflit nucléaire, il y a une très belle Danse macabre d'un Allemand qui s'appelle Gerd Arntz qui traite de ce sujet-là, que d'une guerre nucléaire au moment de la guerre de Corée, occupait les esprits d'une façon bien plus forte qu'aujourd'hui dans nos journaux télévisés. Et si l'actualité est un sujet, l'ironie va devenir dominante dans ces séries d'images. Alors l'ironie était déjà présente au Moyen-Âge. Il y a une très belle planche qui reprend, semble-t-il, sans qu'on sache avec certitude, la Danse macabre de Bâle, faussement attribué un temps à Holbein, où on voit la mort venir chercher une abbesse, et l'abbesse trouve qu'on aurait pu lui laisser un peu de répit. Et là-dessus, la Mort soulève l'habit de l'abbesse et se rend compte qu'elle est enceinte. Donc une critique quand même un peu sa position. Donc l'ironie dans les Danses macabres anciennes existe, mais elle est magnifiée dans les Danses macabres modernes. Alors, je vais vous montrer quelques images. Voilà, et vous vous souvenez peut-être de cette image qu'on a vue ce matin dans l'exposé consacré à la sculpture, où il y avait une image d'un bateau, avec la Mort qui tenait le gouvernail, et cette Mort tenait quoi ? Exactement la même chose que celle-là : un sablier! voilà, c'est exactement la même scène. Ici, on est en 1815, donc période de l'expansion de la lithographie et période en Angleterre de la création de moments extrêmement sévères, de publications très ironiques, notamment à l'encontre de Napoléon Ier. Rowlandson a fait une Danse macabre qui contient 70 planches qui toutes, peu ou prou, vont fustiger la petite bourgeoisie ou la petite noblesse anglaise qui sont d'une méchanceté. terrible. Donc cette image-là, la Mort, elle va provoquer la mort de tous ces pauvres malheureux marins, mais c'est elle qui va faire couler le bateau. La Mort n'est pas juste là pour indiquer à l'individu que son temps est venu. Celle-ci, moins connue d'un graveur qui s'appelle Édward Hull, où vous voyez sur l'image la Mort venir pourfendre, vous voyez la taille de la flèche, venir pourfendre un pauvre écrivain. Et à droite, elle vient mettre fin à la vie d'un éboueur avec sa cloche. Des images d'une dureté. Moi, je me suis toujours demandé ce qui pouvait légitimer chez un individu, le samedi après-midi, quand il va faire ses courses à Londres, il s'achète un portfolio qui contient ces images-là. Il rentre chez lui à la maison et il dit à sa femme, regarde, chérie, ce que je me suis acheté. Qu'est-ce qui pouvait justifier l'achat de portfolios de cette nature ? Vous vous souvenez qu'on a dit que les Danses macabres ne font plus partie de l'espace public, elles font partie de l'espace privé. Je continue avec un champion du musée Carnavalet, puisqu'au musée Carnavalet, en doublon quelque peu avec le musée de Nancy, Grandville était nancyen, le musée Carnavalet conserve des planches de cette Danse macabre, ainsi que nombre de dessins préparatoires. parce que la collection devait comporter beaucoup plus de planches qu'elle n'en a finalement comporté, parce que nous sommes en 1830, et qu'en 1830, Granville a commis l'erreur fatale de représenter les ministres de Charles X, à un moment où ce n'était pas juste très politiquement correct, donc la série s'est arrêtée. Mais cette série de Granville, vous voyez que la Mort ici, est un problème pour les artistes. C'est comme aujourd'hui, si vous voulez monter Don Juan, la statue du commandeur, c'est un peu difficile de... de lui trouver le bon rythme. Là aussi, pour ces artistes modernes, représenter la Mort est compliquée. Tel qu'on a vu ce matin sur la Danse macabre des Saints-Innocents, on voit le squelette et on voit une sorte de blessure au milieu, mais tout le monde comprend que c'est la Mort. Ici, on la camoufle. Vous voyez que cette jeune femme porte un masque, vous entrevoyez quelques côtes et vous voyez que ses pieds ne sont pas potelés. Par contre, les deux dadais, si j'ose dire, vont tomber dans le panneau et vont partir avec cette prostituée qui va évidemment les entraîner vers la mort. La Danse macabre de Grandville est un chef-d'oeuvre. Je continue en insistant sur le côté social des représentations de la Danse macabre. Vous voyez ici cette Danse macabre de Vogel qui est publiée dans l'Assiette au Beurre. C'est la huitième d'une série de dix planches. qui s'appelle toutes Danse macabre, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8. Et vous voyez donc une scène assez terrible où une nourrice ou une jeune mère nourrit un enfant avec quoi ? C'est l'alcool qu'elle est en train de consommer. En face de lui, un gars dans sa tenue traditionnelle d'ouvrier de l'époque, casquette sur le crâne, regarde la scène. On se doute bien que l'avenir de cet enfant n'est guère assuré. On ne sait pas ce qu'il boit, mais si c'est de l'absinthe, c'est mal barré. Et je vous ai mis une petite paire de lunettes en haut à gauche pour vous montrer que le seul élément qui assimile cette image à une Danse macabre, c'est le tenancier du café. Si vous le voyez, moi je le vois de près, sa tête montre que c'est un squelette. Donc le code de la Danse macabre est totalement conservé, mais l'image est terrifiante et celle que je vais vous montrer maintenant l'est plus encore. On n'oserait plus publier des choses comme ça aujourd'hui. Ça s'appelle la marchande de plaisir. Vous voyez un bon bourgeois, alors on sait qu'il est donc de la Troisième République. Affalé dans son fauteuil, qu'une mère maquerelle vient visiter pour lui présenter cette malheureuse jeune fille. Je ne sais pas si aujourd'hui on aurait le droit de publier des photos comme ça dans la presse. Déjà en soi, l'image est dure. La mère maquerelle, de la même façon que mon cabaretier, c'est la Mort. Vous voyez bien, sa tête est une tête de squelette. Et on pressent que les deux personnages vont mourir, puisque elle est vraisemblablement porteuse de la syphilis et lui, il va y passer dans les deux ans qui viennent. La guerre, évidemment, va donner lieu à énormément de Danse macabre. Là, je vous en ai choisi un petit florilège. Wirsching,en 1915, elle est très étonnante, celle-là. On est pendant la guerre et on montre, vous voyez le personnage qui regarde la fenêtre, son titre est « Celui qui n'est pas parti » , c'est-à-dire celui qui n'est pas allé au front. C'était étonnant de voir qu'on peut, en 15, en Allemagne, montrer quelqu'un qui n'est pas allé faire la guerre. Et il regarde défiler ses copains qui partent sur le front avec ce squelette. Celle du milieu est une série de cartes postales d'un dénommé Martini. C'est une Danse qui s'appelle la Danza macabra Europea, de mémoire. C'est un Italien. Il est donc, étant Italien de la région du Nord, totalement hostile à l'Autriche et hostile aux empires centraux, et il décide d'une Danse macabre qui est d'une cruauté totale. À droite, vous voyez, c'est Virolle qui est un artiste français de Limoges, peu connu, si ce n'est pas connu du tout, qui montre la Mort qui vient, comme on irait dénicher des œufs dans un nid, qui vient chercher les soldats français au fin fond des blockhaus. Rapidement, le train. Il faut imaginer qu'au 19ème, le contact avec la mort, dans les campagnes, il n'est pas si fréquent. Les morts qui frappent les esprits, il n'y en a pas énormément. Quand il y a un accident,ce sont des accidents individuels, ce ne sont pas des accidents collectifs. On peut se faire écraser par le cheval, on peut tomber de sa grange, mais la mort ne va pas toucher une collectivité. À partir du moment où le train existe, les premiers accidents de train sur la ligne Paris-Deauville ont été terrifiants parce que soudainement les populations se sont rendues compte que ce qui devait être un instrument de plaisir pouvait être un instrument de mort. Et cette iconographie du train, elle va perdurer dans toutes les Danses macabres modernes. Vous voyez bien que là,la Mort qui ricane n'attend que le moment pour ficher le camp pour que ce pauvre train s'écrase dans la vallée. Pour finir, et vous laisser respirer, cette belle image d'une Danse macabre qui a été faite par un Français, mais aux Etats-Unis. Jean Charlot a été le redécouvreur de Posada et spécialiste des peintures murales d'Amérique du Sud. Il n'a pas fait carrière en France, donc il s'est exilé aux Etats-Unis, où il a dessiné cette Danse macabre. Et je ne saurais, avec vous, que trouver que l'orateur ressemble un peu à un président américain récent. Voilà, je vous remercie et je voulais donc insister sur cette éclatante vivacité de ce modèle que vous connaissez mieux que moi, ancien, et de voir à quel point ce sont des images fortes, puisque ces images ont permis, et c'est toujours le cas, puisque je fais un dernier chapitre, la dernière Danse macabre que j'ai trouvée a été publiée l'année dernière. Il en paraît, on va dire tout le temps, mais il en paraît régulièrement sous la forme satirique, sous la forme érotique, au milieu d'une civilisation où l'image de la Mort, dans les bières, dans les concerts, sur les t-shirts, est dominante. Dans ces images-là, perdurent et c'est une forme de vivacité. Et il faut rendre hommage au 600e anniversaire. Les images connaissent une vivacité et une pérennité qui n'est pas si fréquente dans l'iconographie. Merci. Il faut juste que je vous dise en voix off le destin de ce livre. Il est paru en février. Mon éditeur, qui était inquiet évidemment à l'idée de faire un énorme bouquin comme ça, même si on a eu une aide conséquente et du CNL et de la Fondation Antoine de Galbert, a tiré ce livre à 1100 exemplaires. Alors, dans l'édition, 1100 exemplaires, c'est petit et pas beaucoup. Mais quand vous les avez en stock et qu'ils pèsent 3,6 kg, c'est beaucoup. Et très étonnamment, alors qu'on ne le pensait pas, l'ouvrage a été mis en vente en février. En mai, il n'y en avait plus. Mais je ne sais pas comment ça s'est passé. La presse a suivi, France Culture a suivi, Le Monde a suivi, Libé a suivi. On a eu une belle presse. Mais néanmoins, j'ai la joie de vous dire que nous avons trouvé un deuxième sponsor en la personne d'OGF, qui est une société qui fédère l'ensemble des pompes funèbres en France, grosso modo. Eh bien ces gens-là... Ces gens-là ont eu une structure de mécénat et ont eu l'élégance, parce qu'il faut bien dire les choses comme elles sont, l'élégance de nous permettre de faire une réimpression que vous aurez peut-être la joie de pouvoir voir à partir du 7 novembre. Merci.

  • Speaker #0

    Merci Vincent de nous avoir fait partager ce beau moment macabre d'uUne nouvelle relation graphique avec la Mort. Chères auditrices et auditeurs, merci pour votre écoute et à bientôt pour un prochain épisode. Danses macabre d'Europe est une association de loi 1901. Et si vous êtes intéressé par notre activité, une adhésion, nos publications, notamment de ce colloque, nous invitons à nous retrouver sur notre site web www.danses-macabres-europe.org Danse macabres d'Europe est également présente sur Facebook, Instagram et LinkedIn.

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« Vous avez dit modernité ?? » Tel est le titre retenu par Vincent Wackenheim, lors de son intervention exceptionnelle, le 1er octobre 2025, première journée du 21ème congrès de Danses macabres d’Europe.


En demandant à son auditoire de faire un petit pas de côté, pour sortir de la longue farandole, forme emblématique ancienne de la Danse macabre, Vincent Wackenheim se plonge dans la description de quelques-unes des 109 Danses macabres produites sur plusieurs siècles, proposées par une nouvelle édition augmentée de son ouvrage monumental « La mort dans tous ses états : Modernité et esthétique des Danses macabres : 1785-1966 »

Edition L’Atelier contemporain, publié avec le concours du Centre national du livre, de la Fondation Antoine de Galbert, et d’OGF


Attention ! Si vous prévoyez d’acheter le livre : avec ses 968 pages et 1000 illustrations, l’ouvrage pèse plus de 3 kg !


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☠️ Cette présentation d’un livre-clé est intervenue lors du 21ème congrès de Danses macabres d'Europe qui s'est tenu à Paris du 1er au 4 octobre. 


Vous pouvez prendre connaissance de l’intégralité des communications dans les actes du colloque, qui avait pour thème La Danse macabre des Saints-Innocents 1425-2025, sources, contexte, postérité disponible sur commande par e-mail à l'association : asso.dme@orange.fr.


Nos podcasts font l’objet d’une transcription audio en texte.





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    Bonjour et bienvenue. Chères auditrices et chers auditeurs, vous avez bien choisi d'écouter un balado des Danses Macabres d'Europe.

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    Danses Macabres d'Europe, le lieu de rencontre de la mort avec l'art, la littérature et l'histoire. Vincent Wackenheim a sélectionné avec un plaisir jubilatif quelques Danses macabres modernes et nous décrit tous les effets que la mort déploie pour nous inviter à un dernier pas de danse.

  • Vincent Wackenheim

    Merci de bien vouloir me laisser la parole pour présenter mon dernier travail. Je vais profiter de mon statut de dernier orateur pour vous demander de faire un petit pas de côté. Pourquoi un petit pas de côté ? Parce que nous avons vu aujourd'hui, nous avons vu la Danse macabre de Paris, donc 1425, devenir une sorte de forme emblématique, une forme de langage, une structure qui est apparemment connu de tous. C'est-à-dire que nous savons tous exactement comment fonctionne une Danse macabre, c'est-à-dire une succession de personnages de la société religieuse, civile. On peut bien chercher la mort dans un certain climat, on l'a dit ce matin, de bienveillance. La Mort n'est pas agressive dans les Danses macabres anciennes. Cette forme emblématique, cette forme narrative, ce que je vais vous proposer, c'est de la regarder à l'aune d'une forme de modernité où la structure universelle de cette Danse macabre ancienne va être totalement tordue et éclatée. Je vais vous demander d'avoir en tête une deuxième date, après cette date de 1425 qui nous réunit aujourd'hui. Alors, ce n'est pas très loin, c'est un peu plus que 100 ans après, quand paraît à Lyon la Danse macabre de Holbein. Elle ne porte pas ce titre-là. Mais c'est une forme de révolution picturale, puisque la Danse macabre que vous connaissez et dont vous avez vu des images, c'est une longue farandole qui présente des personnages qui dansent avec la mort les uns derrière les autres, alors que la Danse macabre de Holbein, ce sont des images individualisées, dues aussi à la création de l'imprimerie, où on va voir des couples de personnages totalement individualisés. Cette forme de traiter la Danse macabre n'a bien évidemment plus rien à voir avec le modèle ancien. Et ce modèle nouveau va devenir la doxa des temps modernes. A partir de la fin de l'heure de gloire des Danses macabres, on va voir les Vanités prendre le pouvoir sur les Danses macabres. Les Vanités, ce n'est pas du tout un mode d'expression populaire comme l'était une Danse macabre. Il faut imaginerdans la ville de Bâle, par exemple, ou à Paris, ou à Lubeck, ou en Suisse, il faut imaginer ce que étaient ces panneaux, parfois de 2 mètres de haut sur 80 mètres de long, qui devaient être extrêmement puissants pour la personne, les enfants, qui venaient les regarder. Cette forme-là, avec l'apparition de la gravure et du livre, elle va disparaître au profit d'une relation beaucoup plus... intime avec la mort. Pour faire simple, le 18e siècle va parler, parler et reparler de Holbein sans que les artistes, qui n'ont plus de commandes pour faire des Danses macabres, sans que les artistes sortent de ce modèle de Holbein. Et ce que je vais vous proposer, et ce que j'ai proposé dans ce livre qui est relativement monumental quant à sa taille, ce que je vais vous proposer de visiter ces fameuses Danses macabres que je dis modernes. Alors c'est pas moi qui dis « moderne » , mais ce sont les artistes eux-mêmes, puisque par exemple, le terme de Danse macabre moderne est celui choisi par des artistes de leur temps. En allemand, ça donne «ein modern Totentanz » , en anglais « a new dance of death » . Les artistes eux-mêmes ont qualifié leurs propos de nouveaux. Alors ce vers quoi je voudrais vous entraîner, c'est la compréhension de cette image. Celle de gauche, la Danse macabre des femmes, c'est ce que vous avez bien compris ce matin. Celle de droite, c'est celle de la modernité. Tout change. C'est-à-dire que le regard de l'artiste va considérer la Mort non plus comme un élément bénéfique et positif, mais elle va être agissante du malheur d'autrui. La Mort n'est plus un élément pacifiant, elle est un élément dérangeant. Alors, J'ai choisi dans cet ouvrage des principes d'édition simples parce qu'il fallait que je détermine, que je limite mon corpus. Déjà là, l'ouvrage que j'ai fait, fait 960 pages, 3,6 kg et a 1000 images. Donc j'ai dû me cantonner à ce qu'est pour moi une Danse macabre. Et c'est moderne, c'est différent par rapport à ce que vous avez vu précédemment. Ce sont des recueils d'images publiées et diffusées au public. Ça ne sont plus... des éléments qui figurent dans les rues ou dans le paysage urbain de tout un chacun. Donc j'ai exclu de mon corpus toutes les "Jeunes filles et la Mort", toutes les représentations de scènes macabres qui sont par exemple des tableaux, n'appartiennent pas à mon propos. Les dates que j'ai choisies vont commencer, je vais voir, par l'année 1785, où paraît en Suisse une Danse macabre dessinée, gravée par un dénommé Schellenberg, qui, à ma connaissance, alors on peut peut-être me trouver une Danse macabre plus ancienne, qui fait déjà intervenir tant d'éléments de la modernité. Mais celle de Schellenberg, elle est étonnante, parce que vous voyez cette scène où l'on voit la Mort qui accompagne un individu qui se suicide. Cette scène-là est juste impossible à imaginer dans une iconographie du Moyen-Âge. De la même façon, cette Danse macabre de Schellenberg va présenter une montgolfière. On est en 1785. Le premier vol de montgolfière en Europe, c'est 1700, si mes souvenirs sont bons, 82. Donc trois années après la première ascension d'un ballon non captif en région parisienne, un Suisse, Schellenberg, représente dans sa Danse macabre cette montgolfière qui va se casser la figure et entraîner évidemment ses passagers dans la mort. J'ai trouvé dans cette période, donc 1785, mon début, 1966, qui est celle d'un dénommé Grieshaber, qui en Allemagne de l'Est, à l'époque, produit une Danse macabre qui est très liée à celle de Bâle. J'en ai repéré 150. 150, ça veut dire que sur une période de 150 ans, il en paraît une par an, ce qui est effectivement colossal. On a parlé ce matin du nombre supposé de Danses macabres connues, les chiffres étaient évidemment bien plus petits. J'ai trouvé une diversité d'artistes et une diversité de pays, puisque ces Danses macabres viennent relativement majoritairement des pays allemands, germaniques, mais également de France, mais également d'Angleterre, des Etats-Unis, d'Espagne, de Suisse, de Belgique. Donc il y a une vraie diversité. Le seul pays qui est peut représenter, c'est l'Amérique du Sud. Alors on me cite toujours Posada comme étant un artiste très fortement influencé par les Danses macabres, mais à tout prendre, il n'en a jamais dessiné. Ou alors toute son œuvre n'est qu'une immense Danse macabre. La diversité d'artistes, des noms très célèbres, ont créé des Danses macabres. Kubin en a fait deux. Klinger, on a fait deux voire trois. En France, un graveur moins connu aujourd'hui qui s'appelle Besnard, en a fait une. Dyl, qui est un artiste des arts déco, on a fait une. Chaque période d'activité artistique, que ce soit les gothiques, que ce soit les romantiques, que ce soit les symbolistes, que ce soit les surréalistes, ont créé en leur temps une Danse macabre et c'est cette diversité que j'ai voulu montrer. Alors ? Je ne vais pas vous montrer les mille images ce soir. Je voudrais juste insister sur le fait que la Danse macabre moderne est une Danse macabre individuelle, c'est l'individu devant la mort, et c'est, et on l'a dit ce matin, la Bonne mort au Moyen-Âge est celle à laquelle on se prépare. C'est tout l'inverse aujourd'hui. Aujourd'hui, on espère une mort, un AVC au fin fond de son lit, et de ne pas du tout se préparer à la mort. Au Moyen-Âge, c'est l'inverse. Là, dans mes Danses macabres modernes, l'immédiateté est de mise. La mort soit par des accidents, la modernité va venir, on va voir, des trains, des voitures, des bicyclettes, de la guerre, de l'alpinisme, thème absolument peu traité dans les Danses macabres, si ce n'est pas du tout dans les Danses macabres anciennes. Ces thèmes de la modernité induisent une mort immédiate, donc une mort perçue comme cruelle précédemment. Ces Danses macabres vont aussi utiliser des techniques d'impression qui vont suivre le temps. Ainsi, on va le voir au début du XIXe, inventée toute fin du XVIIIe, la lithographie permet la diffusion d'images extrêmement largement. De la même, la presse va permettre une diffusion fort large. Un journal aussi connu que l'Assiette au beurre, qui va publier deux Danses macabres, est tiré à plus de 100 000 exemplaires. Et à côté de ça, il va y avoir des Danses macabres sous la forme de gravures dont le tirage va osciller autour de 30-40 exemplaires. Bien évidemment, ces Danses macabres vont se traduire par une laïcisation totale de leurs préoccupations. L'Allemagne connaît toujours des Danses macabres religieuses, mais la France, elle, on le verra par quelques exemples, va se traduire par des Danses macabres qui utilisent l'image mentale créée en 1425 pour émettre une énorme critique sociale envers les pouvoirs, l'armée et toute forme d'oppression qu'on peut imaginer. La violence est dominante. Une Danse macabre du Moyen-Âge n'est pas violente. Le moment est violent parce qu'il s'agit de mourir, mais la mort vient chercher l'individu et ne le tue pas. Tandis que dans les Danses macabres dites modernes, la mort va tuer. L'actualité va évidemment jouer un rôle important. La guerre de 1914 va provoquer une floraison de Danse macabre. La guerre de Corée, avec la crainte du conflit nucléaire, il y a une très belle Danse macabre d'un Allemand qui s'appelle Gerd Arntz qui traite de ce sujet-là, que d'une guerre nucléaire au moment de la guerre de Corée, occupait les esprits d'une façon bien plus forte qu'aujourd'hui dans nos journaux télévisés. Et si l'actualité est un sujet, l'ironie va devenir dominante dans ces séries d'images. Alors l'ironie était déjà présente au Moyen-Âge. Il y a une très belle planche qui reprend, semble-t-il, sans qu'on sache avec certitude, la Danse macabre de Bâle, faussement attribué un temps à Holbein, où on voit la mort venir chercher une abbesse, et l'abbesse trouve qu'on aurait pu lui laisser un peu de répit. Et là-dessus, la Mort soulève l'habit de l'abbesse et se rend compte qu'elle est enceinte. Donc une critique quand même un peu sa position. Donc l'ironie dans les Danses macabres anciennes existe, mais elle est magnifiée dans les Danses macabres modernes. Alors, je vais vous montrer quelques images. Voilà, et vous vous souvenez peut-être de cette image qu'on a vue ce matin dans l'exposé consacré à la sculpture, où il y avait une image d'un bateau, avec la Mort qui tenait le gouvernail, et cette Mort tenait quoi ? Exactement la même chose que celle-là : un sablier! voilà, c'est exactement la même scène. Ici, on est en 1815, donc période de l'expansion de la lithographie et période en Angleterre de la création de moments extrêmement sévères, de publications très ironiques, notamment à l'encontre de Napoléon Ier. Rowlandson a fait une Danse macabre qui contient 70 planches qui toutes, peu ou prou, vont fustiger la petite bourgeoisie ou la petite noblesse anglaise qui sont d'une méchanceté. terrible. Donc cette image-là, la Mort, elle va provoquer la mort de tous ces pauvres malheureux marins, mais c'est elle qui va faire couler le bateau. La Mort n'est pas juste là pour indiquer à l'individu que son temps est venu. Celle-ci, moins connue d'un graveur qui s'appelle Édward Hull, où vous voyez sur l'image la Mort venir pourfendre, vous voyez la taille de la flèche, venir pourfendre un pauvre écrivain. Et à droite, elle vient mettre fin à la vie d'un éboueur avec sa cloche. Des images d'une dureté. Moi, je me suis toujours demandé ce qui pouvait légitimer chez un individu, le samedi après-midi, quand il va faire ses courses à Londres, il s'achète un portfolio qui contient ces images-là. Il rentre chez lui à la maison et il dit à sa femme, regarde, chérie, ce que je me suis acheté. Qu'est-ce qui pouvait justifier l'achat de portfolios de cette nature ? Vous vous souvenez qu'on a dit que les Danses macabres ne font plus partie de l'espace public, elles font partie de l'espace privé. Je continue avec un champion du musée Carnavalet, puisqu'au musée Carnavalet, en doublon quelque peu avec le musée de Nancy, Grandville était nancyen, le musée Carnavalet conserve des planches de cette Danse macabre, ainsi que nombre de dessins préparatoires. parce que la collection devait comporter beaucoup plus de planches qu'elle n'en a finalement comporté, parce que nous sommes en 1830, et qu'en 1830, Granville a commis l'erreur fatale de représenter les ministres de Charles X, à un moment où ce n'était pas juste très politiquement correct, donc la série s'est arrêtée. Mais cette série de Granville, vous voyez que la Mort ici, est un problème pour les artistes. C'est comme aujourd'hui, si vous voulez monter Don Juan, la statue du commandeur, c'est un peu difficile de... de lui trouver le bon rythme. Là aussi, pour ces artistes modernes, représenter la Mort est compliquée. Tel qu'on a vu ce matin sur la Danse macabre des Saints-Innocents, on voit le squelette et on voit une sorte de blessure au milieu, mais tout le monde comprend que c'est la Mort. Ici, on la camoufle. Vous voyez que cette jeune femme porte un masque, vous entrevoyez quelques côtes et vous voyez que ses pieds ne sont pas potelés. Par contre, les deux dadais, si j'ose dire, vont tomber dans le panneau et vont partir avec cette prostituée qui va évidemment les entraîner vers la mort. La Danse macabre de Grandville est un chef-d'oeuvre. Je continue en insistant sur le côté social des représentations de la Danse macabre. Vous voyez ici cette Danse macabre de Vogel qui est publiée dans l'Assiette au Beurre. C'est la huitième d'une série de dix planches. qui s'appelle toutes Danse macabre, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8. Et vous voyez donc une scène assez terrible où une nourrice ou une jeune mère nourrit un enfant avec quoi ? C'est l'alcool qu'elle est en train de consommer. En face de lui, un gars dans sa tenue traditionnelle d'ouvrier de l'époque, casquette sur le crâne, regarde la scène. On se doute bien que l'avenir de cet enfant n'est guère assuré. On ne sait pas ce qu'il boit, mais si c'est de l'absinthe, c'est mal barré. Et je vous ai mis une petite paire de lunettes en haut à gauche pour vous montrer que le seul élément qui assimile cette image à une Danse macabre, c'est le tenancier du café. Si vous le voyez, moi je le vois de près, sa tête montre que c'est un squelette. Donc le code de la Danse macabre est totalement conservé, mais l'image est terrifiante et celle que je vais vous montrer maintenant l'est plus encore. On n'oserait plus publier des choses comme ça aujourd'hui. Ça s'appelle la marchande de plaisir. Vous voyez un bon bourgeois, alors on sait qu'il est donc de la Troisième République. Affalé dans son fauteuil, qu'une mère maquerelle vient visiter pour lui présenter cette malheureuse jeune fille. Je ne sais pas si aujourd'hui on aurait le droit de publier des photos comme ça dans la presse. Déjà en soi, l'image est dure. La mère maquerelle, de la même façon que mon cabaretier, c'est la Mort. Vous voyez bien, sa tête est une tête de squelette. Et on pressent que les deux personnages vont mourir, puisque elle est vraisemblablement porteuse de la syphilis et lui, il va y passer dans les deux ans qui viennent. La guerre, évidemment, va donner lieu à énormément de Danse macabre. Là, je vous en ai choisi un petit florilège. Wirsching,en 1915, elle est très étonnante, celle-là. On est pendant la guerre et on montre, vous voyez le personnage qui regarde la fenêtre, son titre est « Celui qui n'est pas parti » , c'est-à-dire celui qui n'est pas allé au front. C'était étonnant de voir qu'on peut, en 15, en Allemagne, montrer quelqu'un qui n'est pas allé faire la guerre. Et il regarde défiler ses copains qui partent sur le front avec ce squelette. Celle du milieu est une série de cartes postales d'un dénommé Martini. C'est une Danse qui s'appelle la Danza macabra Europea, de mémoire. C'est un Italien. Il est donc, étant Italien de la région du Nord, totalement hostile à l'Autriche et hostile aux empires centraux, et il décide d'une Danse macabre qui est d'une cruauté totale. À droite, vous voyez, c'est Virolle qui est un artiste français de Limoges, peu connu, si ce n'est pas connu du tout, qui montre la Mort qui vient, comme on irait dénicher des œufs dans un nid, qui vient chercher les soldats français au fin fond des blockhaus. Rapidement, le train. Il faut imaginer qu'au 19ème, le contact avec la mort, dans les campagnes, il n'est pas si fréquent. Les morts qui frappent les esprits, il n'y en a pas énormément. Quand il y a un accident,ce sont des accidents individuels, ce ne sont pas des accidents collectifs. On peut se faire écraser par le cheval, on peut tomber de sa grange, mais la mort ne va pas toucher une collectivité. À partir du moment où le train existe, les premiers accidents de train sur la ligne Paris-Deauville ont été terrifiants parce que soudainement les populations se sont rendues compte que ce qui devait être un instrument de plaisir pouvait être un instrument de mort. Et cette iconographie du train, elle va perdurer dans toutes les Danses macabres modernes. Vous voyez bien que là,la Mort qui ricane n'attend que le moment pour ficher le camp pour que ce pauvre train s'écrase dans la vallée. Pour finir, et vous laisser respirer, cette belle image d'une Danse macabre qui a été faite par un Français, mais aux Etats-Unis. Jean Charlot a été le redécouvreur de Posada et spécialiste des peintures murales d'Amérique du Sud. Il n'a pas fait carrière en France, donc il s'est exilé aux Etats-Unis, où il a dessiné cette Danse macabre. Et je ne saurais, avec vous, que trouver que l'orateur ressemble un peu à un président américain récent. Voilà, je vous remercie et je voulais donc insister sur cette éclatante vivacité de ce modèle que vous connaissez mieux que moi, ancien, et de voir à quel point ce sont des images fortes, puisque ces images ont permis, et c'est toujours le cas, puisque je fais un dernier chapitre, la dernière Danse macabre que j'ai trouvée a été publiée l'année dernière. Il en paraît, on va dire tout le temps, mais il en paraît régulièrement sous la forme satirique, sous la forme érotique, au milieu d'une civilisation où l'image de la Mort, dans les bières, dans les concerts, sur les t-shirts, est dominante. Dans ces images-là, perdurent et c'est une forme de vivacité. Et il faut rendre hommage au 600e anniversaire. Les images connaissent une vivacité et une pérennité qui n'est pas si fréquente dans l'iconographie. Merci. Il faut juste que je vous dise en voix off le destin de ce livre. Il est paru en février. Mon éditeur, qui était inquiet évidemment à l'idée de faire un énorme bouquin comme ça, même si on a eu une aide conséquente et du CNL et de la Fondation Antoine de Galbert, a tiré ce livre à 1100 exemplaires. Alors, dans l'édition, 1100 exemplaires, c'est petit et pas beaucoup. Mais quand vous les avez en stock et qu'ils pèsent 3,6 kg, c'est beaucoup. Et très étonnamment, alors qu'on ne le pensait pas, l'ouvrage a été mis en vente en février. En mai, il n'y en avait plus. Mais je ne sais pas comment ça s'est passé. La presse a suivi, France Culture a suivi, Le Monde a suivi, Libé a suivi. On a eu une belle presse. Mais néanmoins, j'ai la joie de vous dire que nous avons trouvé un deuxième sponsor en la personne d'OGF, qui est une société qui fédère l'ensemble des pompes funèbres en France, grosso modo. Eh bien ces gens-là... Ces gens-là ont eu une structure de mécénat et ont eu l'élégance, parce qu'il faut bien dire les choses comme elles sont, l'élégance de nous permettre de faire une réimpression que vous aurez peut-être la joie de pouvoir voir à partir du 7 novembre. Merci.

  • Speaker #0

    Merci Vincent de nous avoir fait partager ce beau moment macabre d'uUne nouvelle relation graphique avec la Mort. Chères auditrices et auditeurs, merci pour votre écoute et à bientôt pour un prochain épisode. Danses macabre d'Europe est une association de loi 1901. Et si vous êtes intéressé par notre activité, une adhésion, nos publications, notamment de ce colloque, nous invitons à nous retrouver sur notre site web www.danses-macabres-europe.org Danse macabres d'Europe est également présente sur Facebook, Instagram et LinkedIn.

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Description

« Vous avez dit modernité ?? » Tel est le titre retenu par Vincent Wackenheim, lors de son intervention exceptionnelle, le 1er octobre 2025, première journée du 21ème congrès de Danses macabres d’Europe.


En demandant à son auditoire de faire un petit pas de côté, pour sortir de la longue farandole, forme emblématique ancienne de la Danse macabre, Vincent Wackenheim se plonge dans la description de quelques-unes des 109 Danses macabres produites sur plusieurs siècles, proposées par une nouvelle édition augmentée de son ouvrage monumental « La mort dans tous ses états : Modernité et esthétique des Danses macabres : 1785-1966 »

Edition L’Atelier contemporain, publié avec le concours du Centre national du livre, de la Fondation Antoine de Galbert, et d’OGF


Attention ! Si vous prévoyez d’acheter le livre : avec ses 968 pages et 1000 illustrations, l’ouvrage pèse plus de 3 kg !


🎧 Gardez votre oreille ouverte et écoutez le podcast.

 

☠️ Cette présentation d’un livre-clé est intervenue lors du 21ème congrès de Danses macabres d'Europe qui s'est tenu à Paris du 1er au 4 octobre. 


Vous pouvez prendre connaissance de l’intégralité des communications dans les actes du colloque, qui avait pour thème La Danse macabre des Saints-Innocents 1425-2025, sources, contexte, postérité disponible sur commande par e-mail à l'association : asso.dme@orange.fr.


Nos podcasts font l’objet d’une transcription audio en texte.





Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Gardez votre oreille ouverte.

  • Speaker #1

    Bonjour et bienvenue. Chères auditrices et chers auditeurs, vous avez bien choisi d'écouter un balado des Danses Macabres d'Europe.

  • Speaker #0

    Danses Macabres d'Europe, le lieu de rencontre de la mort avec l'art, la littérature et l'histoire. Vincent Wackenheim a sélectionné avec un plaisir jubilatif quelques Danses macabres modernes et nous décrit tous les effets que la mort déploie pour nous inviter à un dernier pas de danse.

  • Vincent Wackenheim

    Merci de bien vouloir me laisser la parole pour présenter mon dernier travail. Je vais profiter de mon statut de dernier orateur pour vous demander de faire un petit pas de côté. Pourquoi un petit pas de côté ? Parce que nous avons vu aujourd'hui, nous avons vu la Danse macabre de Paris, donc 1425, devenir une sorte de forme emblématique, une forme de langage, une structure qui est apparemment connu de tous. C'est-à-dire que nous savons tous exactement comment fonctionne une Danse macabre, c'est-à-dire une succession de personnages de la société religieuse, civile. On peut bien chercher la mort dans un certain climat, on l'a dit ce matin, de bienveillance. La Mort n'est pas agressive dans les Danses macabres anciennes. Cette forme emblématique, cette forme narrative, ce que je vais vous proposer, c'est de la regarder à l'aune d'une forme de modernité où la structure universelle de cette Danse macabre ancienne va être totalement tordue et éclatée. Je vais vous demander d'avoir en tête une deuxième date, après cette date de 1425 qui nous réunit aujourd'hui. Alors, ce n'est pas très loin, c'est un peu plus que 100 ans après, quand paraît à Lyon la Danse macabre de Holbein. Elle ne porte pas ce titre-là. Mais c'est une forme de révolution picturale, puisque la Danse macabre que vous connaissez et dont vous avez vu des images, c'est une longue farandole qui présente des personnages qui dansent avec la mort les uns derrière les autres, alors que la Danse macabre de Holbein, ce sont des images individualisées, dues aussi à la création de l'imprimerie, où on va voir des couples de personnages totalement individualisés. Cette forme de traiter la Danse macabre n'a bien évidemment plus rien à voir avec le modèle ancien. Et ce modèle nouveau va devenir la doxa des temps modernes. A partir de la fin de l'heure de gloire des Danses macabres, on va voir les Vanités prendre le pouvoir sur les Danses macabres. Les Vanités, ce n'est pas du tout un mode d'expression populaire comme l'était une Danse macabre. Il faut imaginerdans la ville de Bâle, par exemple, ou à Paris, ou à Lubeck, ou en Suisse, il faut imaginer ce que étaient ces panneaux, parfois de 2 mètres de haut sur 80 mètres de long, qui devaient être extrêmement puissants pour la personne, les enfants, qui venaient les regarder. Cette forme-là, avec l'apparition de la gravure et du livre, elle va disparaître au profit d'une relation beaucoup plus... intime avec la mort. Pour faire simple, le 18e siècle va parler, parler et reparler de Holbein sans que les artistes, qui n'ont plus de commandes pour faire des Danses macabres, sans que les artistes sortent de ce modèle de Holbein. Et ce que je vais vous proposer, et ce que j'ai proposé dans ce livre qui est relativement monumental quant à sa taille, ce que je vais vous proposer de visiter ces fameuses Danses macabres que je dis modernes. Alors c'est pas moi qui dis « moderne » , mais ce sont les artistes eux-mêmes, puisque par exemple, le terme de Danse macabre moderne est celui choisi par des artistes de leur temps. En allemand, ça donne «ein modern Totentanz » , en anglais « a new dance of death » . Les artistes eux-mêmes ont qualifié leurs propos de nouveaux. Alors ce vers quoi je voudrais vous entraîner, c'est la compréhension de cette image. Celle de gauche, la Danse macabre des femmes, c'est ce que vous avez bien compris ce matin. Celle de droite, c'est celle de la modernité. Tout change. C'est-à-dire que le regard de l'artiste va considérer la Mort non plus comme un élément bénéfique et positif, mais elle va être agissante du malheur d'autrui. La Mort n'est plus un élément pacifiant, elle est un élément dérangeant. Alors, J'ai choisi dans cet ouvrage des principes d'édition simples parce qu'il fallait que je détermine, que je limite mon corpus. Déjà là, l'ouvrage que j'ai fait, fait 960 pages, 3,6 kg et a 1000 images. Donc j'ai dû me cantonner à ce qu'est pour moi une Danse macabre. Et c'est moderne, c'est différent par rapport à ce que vous avez vu précédemment. Ce sont des recueils d'images publiées et diffusées au public. Ça ne sont plus... des éléments qui figurent dans les rues ou dans le paysage urbain de tout un chacun. Donc j'ai exclu de mon corpus toutes les "Jeunes filles et la Mort", toutes les représentations de scènes macabres qui sont par exemple des tableaux, n'appartiennent pas à mon propos. Les dates que j'ai choisies vont commencer, je vais voir, par l'année 1785, où paraît en Suisse une Danse macabre dessinée, gravée par un dénommé Schellenberg, qui, à ma connaissance, alors on peut peut-être me trouver une Danse macabre plus ancienne, qui fait déjà intervenir tant d'éléments de la modernité. Mais celle de Schellenberg, elle est étonnante, parce que vous voyez cette scène où l'on voit la Mort qui accompagne un individu qui se suicide. Cette scène-là est juste impossible à imaginer dans une iconographie du Moyen-Âge. De la même façon, cette Danse macabre de Schellenberg va présenter une montgolfière. On est en 1785. Le premier vol de montgolfière en Europe, c'est 1700, si mes souvenirs sont bons, 82. Donc trois années après la première ascension d'un ballon non captif en région parisienne, un Suisse, Schellenberg, représente dans sa Danse macabre cette montgolfière qui va se casser la figure et entraîner évidemment ses passagers dans la mort. J'ai trouvé dans cette période, donc 1785, mon début, 1966, qui est celle d'un dénommé Grieshaber, qui en Allemagne de l'Est, à l'époque, produit une Danse macabre qui est très liée à celle de Bâle. J'en ai repéré 150. 150, ça veut dire que sur une période de 150 ans, il en paraît une par an, ce qui est effectivement colossal. On a parlé ce matin du nombre supposé de Danses macabres connues, les chiffres étaient évidemment bien plus petits. J'ai trouvé une diversité d'artistes et une diversité de pays, puisque ces Danses macabres viennent relativement majoritairement des pays allemands, germaniques, mais également de France, mais également d'Angleterre, des Etats-Unis, d'Espagne, de Suisse, de Belgique. Donc il y a une vraie diversité. Le seul pays qui est peut représenter, c'est l'Amérique du Sud. Alors on me cite toujours Posada comme étant un artiste très fortement influencé par les Danses macabres, mais à tout prendre, il n'en a jamais dessiné. Ou alors toute son œuvre n'est qu'une immense Danse macabre. La diversité d'artistes, des noms très célèbres, ont créé des Danses macabres. Kubin en a fait deux. Klinger, on a fait deux voire trois. En France, un graveur moins connu aujourd'hui qui s'appelle Besnard, en a fait une. Dyl, qui est un artiste des arts déco, on a fait une. Chaque période d'activité artistique, que ce soit les gothiques, que ce soit les romantiques, que ce soit les symbolistes, que ce soit les surréalistes, ont créé en leur temps une Danse macabre et c'est cette diversité que j'ai voulu montrer. Alors ? Je ne vais pas vous montrer les mille images ce soir. Je voudrais juste insister sur le fait que la Danse macabre moderne est une Danse macabre individuelle, c'est l'individu devant la mort, et c'est, et on l'a dit ce matin, la Bonne mort au Moyen-Âge est celle à laquelle on se prépare. C'est tout l'inverse aujourd'hui. Aujourd'hui, on espère une mort, un AVC au fin fond de son lit, et de ne pas du tout se préparer à la mort. Au Moyen-Âge, c'est l'inverse. Là, dans mes Danses macabres modernes, l'immédiateté est de mise. La mort soit par des accidents, la modernité va venir, on va voir, des trains, des voitures, des bicyclettes, de la guerre, de l'alpinisme, thème absolument peu traité dans les Danses macabres, si ce n'est pas du tout dans les Danses macabres anciennes. Ces thèmes de la modernité induisent une mort immédiate, donc une mort perçue comme cruelle précédemment. Ces Danses macabres vont aussi utiliser des techniques d'impression qui vont suivre le temps. Ainsi, on va le voir au début du XIXe, inventée toute fin du XVIIIe, la lithographie permet la diffusion d'images extrêmement largement. De la même, la presse va permettre une diffusion fort large. Un journal aussi connu que l'Assiette au beurre, qui va publier deux Danses macabres, est tiré à plus de 100 000 exemplaires. Et à côté de ça, il va y avoir des Danses macabres sous la forme de gravures dont le tirage va osciller autour de 30-40 exemplaires. Bien évidemment, ces Danses macabres vont se traduire par une laïcisation totale de leurs préoccupations. L'Allemagne connaît toujours des Danses macabres religieuses, mais la France, elle, on le verra par quelques exemples, va se traduire par des Danses macabres qui utilisent l'image mentale créée en 1425 pour émettre une énorme critique sociale envers les pouvoirs, l'armée et toute forme d'oppression qu'on peut imaginer. La violence est dominante. Une Danse macabre du Moyen-Âge n'est pas violente. Le moment est violent parce qu'il s'agit de mourir, mais la mort vient chercher l'individu et ne le tue pas. Tandis que dans les Danses macabres dites modernes, la mort va tuer. L'actualité va évidemment jouer un rôle important. La guerre de 1914 va provoquer une floraison de Danse macabre. La guerre de Corée, avec la crainte du conflit nucléaire, il y a une très belle Danse macabre d'un Allemand qui s'appelle Gerd Arntz qui traite de ce sujet-là, que d'une guerre nucléaire au moment de la guerre de Corée, occupait les esprits d'une façon bien plus forte qu'aujourd'hui dans nos journaux télévisés. Et si l'actualité est un sujet, l'ironie va devenir dominante dans ces séries d'images. Alors l'ironie était déjà présente au Moyen-Âge. Il y a une très belle planche qui reprend, semble-t-il, sans qu'on sache avec certitude, la Danse macabre de Bâle, faussement attribué un temps à Holbein, où on voit la mort venir chercher une abbesse, et l'abbesse trouve qu'on aurait pu lui laisser un peu de répit. Et là-dessus, la Mort soulève l'habit de l'abbesse et se rend compte qu'elle est enceinte. Donc une critique quand même un peu sa position. Donc l'ironie dans les Danses macabres anciennes existe, mais elle est magnifiée dans les Danses macabres modernes. Alors, je vais vous montrer quelques images. Voilà, et vous vous souvenez peut-être de cette image qu'on a vue ce matin dans l'exposé consacré à la sculpture, où il y avait une image d'un bateau, avec la Mort qui tenait le gouvernail, et cette Mort tenait quoi ? Exactement la même chose que celle-là : un sablier! voilà, c'est exactement la même scène. Ici, on est en 1815, donc période de l'expansion de la lithographie et période en Angleterre de la création de moments extrêmement sévères, de publications très ironiques, notamment à l'encontre de Napoléon Ier. Rowlandson a fait une Danse macabre qui contient 70 planches qui toutes, peu ou prou, vont fustiger la petite bourgeoisie ou la petite noblesse anglaise qui sont d'une méchanceté. terrible. Donc cette image-là, la Mort, elle va provoquer la mort de tous ces pauvres malheureux marins, mais c'est elle qui va faire couler le bateau. La Mort n'est pas juste là pour indiquer à l'individu que son temps est venu. Celle-ci, moins connue d'un graveur qui s'appelle Édward Hull, où vous voyez sur l'image la Mort venir pourfendre, vous voyez la taille de la flèche, venir pourfendre un pauvre écrivain. Et à droite, elle vient mettre fin à la vie d'un éboueur avec sa cloche. Des images d'une dureté. Moi, je me suis toujours demandé ce qui pouvait légitimer chez un individu, le samedi après-midi, quand il va faire ses courses à Londres, il s'achète un portfolio qui contient ces images-là. Il rentre chez lui à la maison et il dit à sa femme, regarde, chérie, ce que je me suis acheté. Qu'est-ce qui pouvait justifier l'achat de portfolios de cette nature ? Vous vous souvenez qu'on a dit que les Danses macabres ne font plus partie de l'espace public, elles font partie de l'espace privé. Je continue avec un champion du musée Carnavalet, puisqu'au musée Carnavalet, en doublon quelque peu avec le musée de Nancy, Grandville était nancyen, le musée Carnavalet conserve des planches de cette Danse macabre, ainsi que nombre de dessins préparatoires. parce que la collection devait comporter beaucoup plus de planches qu'elle n'en a finalement comporté, parce que nous sommes en 1830, et qu'en 1830, Granville a commis l'erreur fatale de représenter les ministres de Charles X, à un moment où ce n'était pas juste très politiquement correct, donc la série s'est arrêtée. Mais cette série de Granville, vous voyez que la Mort ici, est un problème pour les artistes. C'est comme aujourd'hui, si vous voulez monter Don Juan, la statue du commandeur, c'est un peu difficile de... de lui trouver le bon rythme. Là aussi, pour ces artistes modernes, représenter la Mort est compliquée. Tel qu'on a vu ce matin sur la Danse macabre des Saints-Innocents, on voit le squelette et on voit une sorte de blessure au milieu, mais tout le monde comprend que c'est la Mort. Ici, on la camoufle. Vous voyez que cette jeune femme porte un masque, vous entrevoyez quelques côtes et vous voyez que ses pieds ne sont pas potelés. Par contre, les deux dadais, si j'ose dire, vont tomber dans le panneau et vont partir avec cette prostituée qui va évidemment les entraîner vers la mort. La Danse macabre de Grandville est un chef-d'oeuvre. Je continue en insistant sur le côté social des représentations de la Danse macabre. Vous voyez ici cette Danse macabre de Vogel qui est publiée dans l'Assiette au Beurre. C'est la huitième d'une série de dix planches. qui s'appelle toutes Danse macabre, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8. Et vous voyez donc une scène assez terrible où une nourrice ou une jeune mère nourrit un enfant avec quoi ? C'est l'alcool qu'elle est en train de consommer. En face de lui, un gars dans sa tenue traditionnelle d'ouvrier de l'époque, casquette sur le crâne, regarde la scène. On se doute bien que l'avenir de cet enfant n'est guère assuré. On ne sait pas ce qu'il boit, mais si c'est de l'absinthe, c'est mal barré. Et je vous ai mis une petite paire de lunettes en haut à gauche pour vous montrer que le seul élément qui assimile cette image à une Danse macabre, c'est le tenancier du café. Si vous le voyez, moi je le vois de près, sa tête montre que c'est un squelette. Donc le code de la Danse macabre est totalement conservé, mais l'image est terrifiante et celle que je vais vous montrer maintenant l'est plus encore. On n'oserait plus publier des choses comme ça aujourd'hui. Ça s'appelle la marchande de plaisir. Vous voyez un bon bourgeois, alors on sait qu'il est donc de la Troisième République. Affalé dans son fauteuil, qu'une mère maquerelle vient visiter pour lui présenter cette malheureuse jeune fille. Je ne sais pas si aujourd'hui on aurait le droit de publier des photos comme ça dans la presse. Déjà en soi, l'image est dure. La mère maquerelle, de la même façon que mon cabaretier, c'est la Mort. Vous voyez bien, sa tête est une tête de squelette. Et on pressent que les deux personnages vont mourir, puisque elle est vraisemblablement porteuse de la syphilis et lui, il va y passer dans les deux ans qui viennent. La guerre, évidemment, va donner lieu à énormément de Danse macabre. Là, je vous en ai choisi un petit florilège. Wirsching,en 1915, elle est très étonnante, celle-là. On est pendant la guerre et on montre, vous voyez le personnage qui regarde la fenêtre, son titre est « Celui qui n'est pas parti » , c'est-à-dire celui qui n'est pas allé au front. C'était étonnant de voir qu'on peut, en 15, en Allemagne, montrer quelqu'un qui n'est pas allé faire la guerre. Et il regarde défiler ses copains qui partent sur le front avec ce squelette. Celle du milieu est une série de cartes postales d'un dénommé Martini. C'est une Danse qui s'appelle la Danza macabra Europea, de mémoire. C'est un Italien. Il est donc, étant Italien de la région du Nord, totalement hostile à l'Autriche et hostile aux empires centraux, et il décide d'une Danse macabre qui est d'une cruauté totale. À droite, vous voyez, c'est Virolle qui est un artiste français de Limoges, peu connu, si ce n'est pas connu du tout, qui montre la Mort qui vient, comme on irait dénicher des œufs dans un nid, qui vient chercher les soldats français au fin fond des blockhaus. Rapidement, le train. Il faut imaginer qu'au 19ème, le contact avec la mort, dans les campagnes, il n'est pas si fréquent. Les morts qui frappent les esprits, il n'y en a pas énormément. Quand il y a un accident,ce sont des accidents individuels, ce ne sont pas des accidents collectifs. On peut se faire écraser par le cheval, on peut tomber de sa grange, mais la mort ne va pas toucher une collectivité. À partir du moment où le train existe, les premiers accidents de train sur la ligne Paris-Deauville ont été terrifiants parce que soudainement les populations se sont rendues compte que ce qui devait être un instrument de plaisir pouvait être un instrument de mort. Et cette iconographie du train, elle va perdurer dans toutes les Danses macabres modernes. Vous voyez bien que là,la Mort qui ricane n'attend que le moment pour ficher le camp pour que ce pauvre train s'écrase dans la vallée. Pour finir, et vous laisser respirer, cette belle image d'une Danse macabre qui a été faite par un Français, mais aux Etats-Unis. Jean Charlot a été le redécouvreur de Posada et spécialiste des peintures murales d'Amérique du Sud. Il n'a pas fait carrière en France, donc il s'est exilé aux Etats-Unis, où il a dessiné cette Danse macabre. Et je ne saurais, avec vous, que trouver que l'orateur ressemble un peu à un président américain récent. Voilà, je vous remercie et je voulais donc insister sur cette éclatante vivacité de ce modèle que vous connaissez mieux que moi, ancien, et de voir à quel point ce sont des images fortes, puisque ces images ont permis, et c'est toujours le cas, puisque je fais un dernier chapitre, la dernière Danse macabre que j'ai trouvée a été publiée l'année dernière. Il en paraît, on va dire tout le temps, mais il en paraît régulièrement sous la forme satirique, sous la forme érotique, au milieu d'une civilisation où l'image de la Mort, dans les bières, dans les concerts, sur les t-shirts, est dominante. Dans ces images-là, perdurent et c'est une forme de vivacité. Et il faut rendre hommage au 600e anniversaire. Les images connaissent une vivacité et une pérennité qui n'est pas si fréquente dans l'iconographie. Merci. Il faut juste que je vous dise en voix off le destin de ce livre. Il est paru en février. Mon éditeur, qui était inquiet évidemment à l'idée de faire un énorme bouquin comme ça, même si on a eu une aide conséquente et du CNL et de la Fondation Antoine de Galbert, a tiré ce livre à 1100 exemplaires. Alors, dans l'édition, 1100 exemplaires, c'est petit et pas beaucoup. Mais quand vous les avez en stock et qu'ils pèsent 3,6 kg, c'est beaucoup. Et très étonnamment, alors qu'on ne le pensait pas, l'ouvrage a été mis en vente en février. En mai, il n'y en avait plus. Mais je ne sais pas comment ça s'est passé. La presse a suivi, France Culture a suivi, Le Monde a suivi, Libé a suivi. On a eu une belle presse. Mais néanmoins, j'ai la joie de vous dire que nous avons trouvé un deuxième sponsor en la personne d'OGF, qui est une société qui fédère l'ensemble des pompes funèbres en France, grosso modo. Eh bien ces gens-là... Ces gens-là ont eu une structure de mécénat et ont eu l'élégance, parce qu'il faut bien dire les choses comme elles sont, l'élégance de nous permettre de faire une réimpression que vous aurez peut-être la joie de pouvoir voir à partir du 7 novembre. Merci.

  • Speaker #0

    Merci Vincent de nous avoir fait partager ce beau moment macabre d'uUne nouvelle relation graphique avec la Mort. Chères auditrices et auditeurs, merci pour votre écoute et à bientôt pour un prochain épisode. Danses macabre d'Europe est une association de loi 1901. Et si vous êtes intéressé par notre activité, une adhésion, nos publications, notamment de ce colloque, nous invitons à nous retrouver sur notre site web www.danses-macabres-europe.org Danse macabres d'Europe est également présente sur Facebook, Instagram et LinkedIn.

Description

« Vous avez dit modernité ?? » Tel est le titre retenu par Vincent Wackenheim, lors de son intervention exceptionnelle, le 1er octobre 2025, première journée du 21ème congrès de Danses macabres d’Europe.


En demandant à son auditoire de faire un petit pas de côté, pour sortir de la longue farandole, forme emblématique ancienne de la Danse macabre, Vincent Wackenheim se plonge dans la description de quelques-unes des 109 Danses macabres produites sur plusieurs siècles, proposées par une nouvelle édition augmentée de son ouvrage monumental « La mort dans tous ses états : Modernité et esthétique des Danses macabres : 1785-1966 »

Edition L’Atelier contemporain, publié avec le concours du Centre national du livre, de la Fondation Antoine de Galbert, et d’OGF


Attention ! Si vous prévoyez d’acheter le livre : avec ses 968 pages et 1000 illustrations, l’ouvrage pèse plus de 3 kg !


🎧 Gardez votre oreille ouverte et écoutez le podcast.

 

☠️ Cette présentation d’un livre-clé est intervenue lors du 21ème congrès de Danses macabres d'Europe qui s'est tenu à Paris du 1er au 4 octobre. 


Vous pouvez prendre connaissance de l’intégralité des communications dans les actes du colloque, qui avait pour thème La Danse macabre des Saints-Innocents 1425-2025, sources, contexte, postérité disponible sur commande par e-mail à l'association : asso.dme@orange.fr.


Nos podcasts font l’objet d’une transcription audio en texte.





Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Gardez votre oreille ouverte.

  • Speaker #1

    Bonjour et bienvenue. Chères auditrices et chers auditeurs, vous avez bien choisi d'écouter un balado des Danses Macabres d'Europe.

  • Speaker #0

    Danses Macabres d'Europe, le lieu de rencontre de la mort avec l'art, la littérature et l'histoire. Vincent Wackenheim a sélectionné avec un plaisir jubilatif quelques Danses macabres modernes et nous décrit tous les effets que la mort déploie pour nous inviter à un dernier pas de danse.

  • Vincent Wackenheim

    Merci de bien vouloir me laisser la parole pour présenter mon dernier travail. Je vais profiter de mon statut de dernier orateur pour vous demander de faire un petit pas de côté. Pourquoi un petit pas de côté ? Parce que nous avons vu aujourd'hui, nous avons vu la Danse macabre de Paris, donc 1425, devenir une sorte de forme emblématique, une forme de langage, une structure qui est apparemment connu de tous. C'est-à-dire que nous savons tous exactement comment fonctionne une Danse macabre, c'est-à-dire une succession de personnages de la société religieuse, civile. On peut bien chercher la mort dans un certain climat, on l'a dit ce matin, de bienveillance. La Mort n'est pas agressive dans les Danses macabres anciennes. Cette forme emblématique, cette forme narrative, ce que je vais vous proposer, c'est de la regarder à l'aune d'une forme de modernité où la structure universelle de cette Danse macabre ancienne va être totalement tordue et éclatée. Je vais vous demander d'avoir en tête une deuxième date, après cette date de 1425 qui nous réunit aujourd'hui. Alors, ce n'est pas très loin, c'est un peu plus que 100 ans après, quand paraît à Lyon la Danse macabre de Holbein. Elle ne porte pas ce titre-là. Mais c'est une forme de révolution picturale, puisque la Danse macabre que vous connaissez et dont vous avez vu des images, c'est une longue farandole qui présente des personnages qui dansent avec la mort les uns derrière les autres, alors que la Danse macabre de Holbein, ce sont des images individualisées, dues aussi à la création de l'imprimerie, où on va voir des couples de personnages totalement individualisés. Cette forme de traiter la Danse macabre n'a bien évidemment plus rien à voir avec le modèle ancien. Et ce modèle nouveau va devenir la doxa des temps modernes. A partir de la fin de l'heure de gloire des Danses macabres, on va voir les Vanités prendre le pouvoir sur les Danses macabres. Les Vanités, ce n'est pas du tout un mode d'expression populaire comme l'était une Danse macabre. Il faut imaginerdans la ville de Bâle, par exemple, ou à Paris, ou à Lubeck, ou en Suisse, il faut imaginer ce que étaient ces panneaux, parfois de 2 mètres de haut sur 80 mètres de long, qui devaient être extrêmement puissants pour la personne, les enfants, qui venaient les regarder. Cette forme-là, avec l'apparition de la gravure et du livre, elle va disparaître au profit d'une relation beaucoup plus... intime avec la mort. Pour faire simple, le 18e siècle va parler, parler et reparler de Holbein sans que les artistes, qui n'ont plus de commandes pour faire des Danses macabres, sans que les artistes sortent de ce modèle de Holbein. Et ce que je vais vous proposer, et ce que j'ai proposé dans ce livre qui est relativement monumental quant à sa taille, ce que je vais vous proposer de visiter ces fameuses Danses macabres que je dis modernes. Alors c'est pas moi qui dis « moderne » , mais ce sont les artistes eux-mêmes, puisque par exemple, le terme de Danse macabre moderne est celui choisi par des artistes de leur temps. En allemand, ça donne «ein modern Totentanz » , en anglais « a new dance of death » . Les artistes eux-mêmes ont qualifié leurs propos de nouveaux. Alors ce vers quoi je voudrais vous entraîner, c'est la compréhension de cette image. Celle de gauche, la Danse macabre des femmes, c'est ce que vous avez bien compris ce matin. Celle de droite, c'est celle de la modernité. Tout change. C'est-à-dire que le regard de l'artiste va considérer la Mort non plus comme un élément bénéfique et positif, mais elle va être agissante du malheur d'autrui. La Mort n'est plus un élément pacifiant, elle est un élément dérangeant. Alors, J'ai choisi dans cet ouvrage des principes d'édition simples parce qu'il fallait que je détermine, que je limite mon corpus. Déjà là, l'ouvrage que j'ai fait, fait 960 pages, 3,6 kg et a 1000 images. Donc j'ai dû me cantonner à ce qu'est pour moi une Danse macabre. Et c'est moderne, c'est différent par rapport à ce que vous avez vu précédemment. Ce sont des recueils d'images publiées et diffusées au public. Ça ne sont plus... des éléments qui figurent dans les rues ou dans le paysage urbain de tout un chacun. Donc j'ai exclu de mon corpus toutes les "Jeunes filles et la Mort", toutes les représentations de scènes macabres qui sont par exemple des tableaux, n'appartiennent pas à mon propos. Les dates que j'ai choisies vont commencer, je vais voir, par l'année 1785, où paraît en Suisse une Danse macabre dessinée, gravée par un dénommé Schellenberg, qui, à ma connaissance, alors on peut peut-être me trouver une Danse macabre plus ancienne, qui fait déjà intervenir tant d'éléments de la modernité. Mais celle de Schellenberg, elle est étonnante, parce que vous voyez cette scène où l'on voit la Mort qui accompagne un individu qui se suicide. Cette scène-là est juste impossible à imaginer dans une iconographie du Moyen-Âge. De la même façon, cette Danse macabre de Schellenberg va présenter une montgolfière. On est en 1785. Le premier vol de montgolfière en Europe, c'est 1700, si mes souvenirs sont bons, 82. Donc trois années après la première ascension d'un ballon non captif en région parisienne, un Suisse, Schellenberg, représente dans sa Danse macabre cette montgolfière qui va se casser la figure et entraîner évidemment ses passagers dans la mort. J'ai trouvé dans cette période, donc 1785, mon début, 1966, qui est celle d'un dénommé Grieshaber, qui en Allemagne de l'Est, à l'époque, produit une Danse macabre qui est très liée à celle de Bâle. J'en ai repéré 150. 150, ça veut dire que sur une période de 150 ans, il en paraît une par an, ce qui est effectivement colossal. On a parlé ce matin du nombre supposé de Danses macabres connues, les chiffres étaient évidemment bien plus petits. J'ai trouvé une diversité d'artistes et une diversité de pays, puisque ces Danses macabres viennent relativement majoritairement des pays allemands, germaniques, mais également de France, mais également d'Angleterre, des Etats-Unis, d'Espagne, de Suisse, de Belgique. Donc il y a une vraie diversité. Le seul pays qui est peut représenter, c'est l'Amérique du Sud. Alors on me cite toujours Posada comme étant un artiste très fortement influencé par les Danses macabres, mais à tout prendre, il n'en a jamais dessiné. Ou alors toute son œuvre n'est qu'une immense Danse macabre. La diversité d'artistes, des noms très célèbres, ont créé des Danses macabres. Kubin en a fait deux. Klinger, on a fait deux voire trois. En France, un graveur moins connu aujourd'hui qui s'appelle Besnard, en a fait une. Dyl, qui est un artiste des arts déco, on a fait une. Chaque période d'activité artistique, que ce soit les gothiques, que ce soit les romantiques, que ce soit les symbolistes, que ce soit les surréalistes, ont créé en leur temps une Danse macabre et c'est cette diversité que j'ai voulu montrer. Alors ? Je ne vais pas vous montrer les mille images ce soir. Je voudrais juste insister sur le fait que la Danse macabre moderne est une Danse macabre individuelle, c'est l'individu devant la mort, et c'est, et on l'a dit ce matin, la Bonne mort au Moyen-Âge est celle à laquelle on se prépare. C'est tout l'inverse aujourd'hui. Aujourd'hui, on espère une mort, un AVC au fin fond de son lit, et de ne pas du tout se préparer à la mort. Au Moyen-Âge, c'est l'inverse. Là, dans mes Danses macabres modernes, l'immédiateté est de mise. La mort soit par des accidents, la modernité va venir, on va voir, des trains, des voitures, des bicyclettes, de la guerre, de l'alpinisme, thème absolument peu traité dans les Danses macabres, si ce n'est pas du tout dans les Danses macabres anciennes. Ces thèmes de la modernité induisent une mort immédiate, donc une mort perçue comme cruelle précédemment. Ces Danses macabres vont aussi utiliser des techniques d'impression qui vont suivre le temps. Ainsi, on va le voir au début du XIXe, inventée toute fin du XVIIIe, la lithographie permet la diffusion d'images extrêmement largement. De la même, la presse va permettre une diffusion fort large. Un journal aussi connu que l'Assiette au beurre, qui va publier deux Danses macabres, est tiré à plus de 100 000 exemplaires. Et à côté de ça, il va y avoir des Danses macabres sous la forme de gravures dont le tirage va osciller autour de 30-40 exemplaires. Bien évidemment, ces Danses macabres vont se traduire par une laïcisation totale de leurs préoccupations. L'Allemagne connaît toujours des Danses macabres religieuses, mais la France, elle, on le verra par quelques exemples, va se traduire par des Danses macabres qui utilisent l'image mentale créée en 1425 pour émettre une énorme critique sociale envers les pouvoirs, l'armée et toute forme d'oppression qu'on peut imaginer. La violence est dominante. Une Danse macabre du Moyen-Âge n'est pas violente. Le moment est violent parce qu'il s'agit de mourir, mais la mort vient chercher l'individu et ne le tue pas. Tandis que dans les Danses macabres dites modernes, la mort va tuer. L'actualité va évidemment jouer un rôle important. La guerre de 1914 va provoquer une floraison de Danse macabre. La guerre de Corée, avec la crainte du conflit nucléaire, il y a une très belle Danse macabre d'un Allemand qui s'appelle Gerd Arntz qui traite de ce sujet-là, que d'une guerre nucléaire au moment de la guerre de Corée, occupait les esprits d'une façon bien plus forte qu'aujourd'hui dans nos journaux télévisés. Et si l'actualité est un sujet, l'ironie va devenir dominante dans ces séries d'images. Alors l'ironie était déjà présente au Moyen-Âge. Il y a une très belle planche qui reprend, semble-t-il, sans qu'on sache avec certitude, la Danse macabre de Bâle, faussement attribué un temps à Holbein, où on voit la mort venir chercher une abbesse, et l'abbesse trouve qu'on aurait pu lui laisser un peu de répit. Et là-dessus, la Mort soulève l'habit de l'abbesse et se rend compte qu'elle est enceinte. Donc une critique quand même un peu sa position. Donc l'ironie dans les Danses macabres anciennes existe, mais elle est magnifiée dans les Danses macabres modernes. Alors, je vais vous montrer quelques images. Voilà, et vous vous souvenez peut-être de cette image qu'on a vue ce matin dans l'exposé consacré à la sculpture, où il y avait une image d'un bateau, avec la Mort qui tenait le gouvernail, et cette Mort tenait quoi ? Exactement la même chose que celle-là : un sablier! voilà, c'est exactement la même scène. Ici, on est en 1815, donc période de l'expansion de la lithographie et période en Angleterre de la création de moments extrêmement sévères, de publications très ironiques, notamment à l'encontre de Napoléon Ier. Rowlandson a fait une Danse macabre qui contient 70 planches qui toutes, peu ou prou, vont fustiger la petite bourgeoisie ou la petite noblesse anglaise qui sont d'une méchanceté. terrible. Donc cette image-là, la Mort, elle va provoquer la mort de tous ces pauvres malheureux marins, mais c'est elle qui va faire couler le bateau. La Mort n'est pas juste là pour indiquer à l'individu que son temps est venu. Celle-ci, moins connue d'un graveur qui s'appelle Édward Hull, où vous voyez sur l'image la Mort venir pourfendre, vous voyez la taille de la flèche, venir pourfendre un pauvre écrivain. Et à droite, elle vient mettre fin à la vie d'un éboueur avec sa cloche. Des images d'une dureté. Moi, je me suis toujours demandé ce qui pouvait légitimer chez un individu, le samedi après-midi, quand il va faire ses courses à Londres, il s'achète un portfolio qui contient ces images-là. Il rentre chez lui à la maison et il dit à sa femme, regarde, chérie, ce que je me suis acheté. Qu'est-ce qui pouvait justifier l'achat de portfolios de cette nature ? Vous vous souvenez qu'on a dit que les Danses macabres ne font plus partie de l'espace public, elles font partie de l'espace privé. Je continue avec un champion du musée Carnavalet, puisqu'au musée Carnavalet, en doublon quelque peu avec le musée de Nancy, Grandville était nancyen, le musée Carnavalet conserve des planches de cette Danse macabre, ainsi que nombre de dessins préparatoires. parce que la collection devait comporter beaucoup plus de planches qu'elle n'en a finalement comporté, parce que nous sommes en 1830, et qu'en 1830, Granville a commis l'erreur fatale de représenter les ministres de Charles X, à un moment où ce n'était pas juste très politiquement correct, donc la série s'est arrêtée. Mais cette série de Granville, vous voyez que la Mort ici, est un problème pour les artistes. C'est comme aujourd'hui, si vous voulez monter Don Juan, la statue du commandeur, c'est un peu difficile de... de lui trouver le bon rythme. Là aussi, pour ces artistes modernes, représenter la Mort est compliquée. Tel qu'on a vu ce matin sur la Danse macabre des Saints-Innocents, on voit le squelette et on voit une sorte de blessure au milieu, mais tout le monde comprend que c'est la Mort. Ici, on la camoufle. Vous voyez que cette jeune femme porte un masque, vous entrevoyez quelques côtes et vous voyez que ses pieds ne sont pas potelés. Par contre, les deux dadais, si j'ose dire, vont tomber dans le panneau et vont partir avec cette prostituée qui va évidemment les entraîner vers la mort. La Danse macabre de Grandville est un chef-d'oeuvre. Je continue en insistant sur le côté social des représentations de la Danse macabre. Vous voyez ici cette Danse macabre de Vogel qui est publiée dans l'Assiette au Beurre. C'est la huitième d'une série de dix planches. qui s'appelle toutes Danse macabre, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8. Et vous voyez donc une scène assez terrible où une nourrice ou une jeune mère nourrit un enfant avec quoi ? C'est l'alcool qu'elle est en train de consommer. En face de lui, un gars dans sa tenue traditionnelle d'ouvrier de l'époque, casquette sur le crâne, regarde la scène. On se doute bien que l'avenir de cet enfant n'est guère assuré. On ne sait pas ce qu'il boit, mais si c'est de l'absinthe, c'est mal barré. Et je vous ai mis une petite paire de lunettes en haut à gauche pour vous montrer que le seul élément qui assimile cette image à une Danse macabre, c'est le tenancier du café. Si vous le voyez, moi je le vois de près, sa tête montre que c'est un squelette. Donc le code de la Danse macabre est totalement conservé, mais l'image est terrifiante et celle que je vais vous montrer maintenant l'est plus encore. On n'oserait plus publier des choses comme ça aujourd'hui. Ça s'appelle la marchande de plaisir. Vous voyez un bon bourgeois, alors on sait qu'il est donc de la Troisième République. Affalé dans son fauteuil, qu'une mère maquerelle vient visiter pour lui présenter cette malheureuse jeune fille. Je ne sais pas si aujourd'hui on aurait le droit de publier des photos comme ça dans la presse. Déjà en soi, l'image est dure. La mère maquerelle, de la même façon que mon cabaretier, c'est la Mort. Vous voyez bien, sa tête est une tête de squelette. Et on pressent que les deux personnages vont mourir, puisque elle est vraisemblablement porteuse de la syphilis et lui, il va y passer dans les deux ans qui viennent. La guerre, évidemment, va donner lieu à énormément de Danse macabre. Là, je vous en ai choisi un petit florilège. Wirsching,en 1915, elle est très étonnante, celle-là. On est pendant la guerre et on montre, vous voyez le personnage qui regarde la fenêtre, son titre est « Celui qui n'est pas parti » , c'est-à-dire celui qui n'est pas allé au front. C'était étonnant de voir qu'on peut, en 15, en Allemagne, montrer quelqu'un qui n'est pas allé faire la guerre. Et il regarde défiler ses copains qui partent sur le front avec ce squelette. Celle du milieu est une série de cartes postales d'un dénommé Martini. C'est une Danse qui s'appelle la Danza macabra Europea, de mémoire. C'est un Italien. Il est donc, étant Italien de la région du Nord, totalement hostile à l'Autriche et hostile aux empires centraux, et il décide d'une Danse macabre qui est d'une cruauté totale. À droite, vous voyez, c'est Virolle qui est un artiste français de Limoges, peu connu, si ce n'est pas connu du tout, qui montre la Mort qui vient, comme on irait dénicher des œufs dans un nid, qui vient chercher les soldats français au fin fond des blockhaus. Rapidement, le train. Il faut imaginer qu'au 19ème, le contact avec la mort, dans les campagnes, il n'est pas si fréquent. Les morts qui frappent les esprits, il n'y en a pas énormément. Quand il y a un accident,ce sont des accidents individuels, ce ne sont pas des accidents collectifs. On peut se faire écraser par le cheval, on peut tomber de sa grange, mais la mort ne va pas toucher une collectivité. À partir du moment où le train existe, les premiers accidents de train sur la ligne Paris-Deauville ont été terrifiants parce que soudainement les populations se sont rendues compte que ce qui devait être un instrument de plaisir pouvait être un instrument de mort. Et cette iconographie du train, elle va perdurer dans toutes les Danses macabres modernes. Vous voyez bien que là,la Mort qui ricane n'attend que le moment pour ficher le camp pour que ce pauvre train s'écrase dans la vallée. Pour finir, et vous laisser respirer, cette belle image d'une Danse macabre qui a été faite par un Français, mais aux Etats-Unis. Jean Charlot a été le redécouvreur de Posada et spécialiste des peintures murales d'Amérique du Sud. Il n'a pas fait carrière en France, donc il s'est exilé aux Etats-Unis, où il a dessiné cette Danse macabre. Et je ne saurais, avec vous, que trouver que l'orateur ressemble un peu à un président américain récent. Voilà, je vous remercie et je voulais donc insister sur cette éclatante vivacité de ce modèle que vous connaissez mieux que moi, ancien, et de voir à quel point ce sont des images fortes, puisque ces images ont permis, et c'est toujours le cas, puisque je fais un dernier chapitre, la dernière Danse macabre que j'ai trouvée a été publiée l'année dernière. Il en paraît, on va dire tout le temps, mais il en paraît régulièrement sous la forme satirique, sous la forme érotique, au milieu d'une civilisation où l'image de la Mort, dans les bières, dans les concerts, sur les t-shirts, est dominante. Dans ces images-là, perdurent et c'est une forme de vivacité. Et il faut rendre hommage au 600e anniversaire. Les images connaissent une vivacité et une pérennité qui n'est pas si fréquente dans l'iconographie. Merci. Il faut juste que je vous dise en voix off le destin de ce livre. Il est paru en février. Mon éditeur, qui était inquiet évidemment à l'idée de faire un énorme bouquin comme ça, même si on a eu une aide conséquente et du CNL et de la Fondation Antoine de Galbert, a tiré ce livre à 1100 exemplaires. Alors, dans l'édition, 1100 exemplaires, c'est petit et pas beaucoup. Mais quand vous les avez en stock et qu'ils pèsent 3,6 kg, c'est beaucoup. Et très étonnamment, alors qu'on ne le pensait pas, l'ouvrage a été mis en vente en février. En mai, il n'y en avait plus. Mais je ne sais pas comment ça s'est passé. La presse a suivi, France Culture a suivi, Le Monde a suivi, Libé a suivi. On a eu une belle presse. Mais néanmoins, j'ai la joie de vous dire que nous avons trouvé un deuxième sponsor en la personne d'OGF, qui est une société qui fédère l'ensemble des pompes funèbres en France, grosso modo. Eh bien ces gens-là... Ces gens-là ont eu une structure de mécénat et ont eu l'élégance, parce qu'il faut bien dire les choses comme elles sont, l'élégance de nous permettre de faire une réimpression que vous aurez peut-être la joie de pouvoir voir à partir du 7 novembre. Merci.

  • Speaker #0

    Merci Vincent de nous avoir fait partager ce beau moment macabre d'uUne nouvelle relation graphique avec la Mort. Chères auditrices et auditeurs, merci pour votre écoute et à bientôt pour un prochain épisode. Danses macabre d'Europe est une association de loi 1901. Et si vous êtes intéressé par notre activité, une adhésion, nos publications, notamment de ce colloque, nous invitons à nous retrouver sur notre site web www.danses-macabres-europe.org Danse macabres d'Europe est également présente sur Facebook, Instagram et LinkedIn.

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