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DES CLICS

#4 CLAUDIA REVIDAT

#4 CLAUDIA REVIDAT

36min |12/03/2025|

326

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#4 CLAUDIA REVIDAT

#4 CLAUDIA REVIDAT

36min |12/03/2025|

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Description

Un podcast pour célébrer la force et l'unicité du regard féminin dans la photographie contemporaine.

J’ai découvert Claudia Revidat grâce au magazine Fish-eye qui a publié il y a quelques mois un article sur son travail. J’ai tout de suite été saisi par ses photographies, colorées. Ses tons si particuliers qui donnent aux images une temporalité spéciale. Comme si le soleil était en permanence en train de se coucher. Des teintes orangées, des superpositions et surtout une certaine idée de quiétude et de torpeur. En contemplant ses images, nous sommes tout de suite transportés dans un ailleurs poétique et délicat 😀

www.claudiarevidat.com


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    C'est la photographe Claudia Revida que je reçois aujourd'hui dans le studio d'enregistrement de la Cité Audacieuse. J'ai découvert Claudia grâce au magazine Ausha, qui a publié il y a quelques mois un article sur son travail. J'ai tout de suite été saisie par ses photographies colorées, ces tons si particuliers qui donnent aux images une temporalité spéciale, comme si le soleil était en permanence en train de se coucher, des teintes orangées, des superpositions, et surtout, une certaine idée de quiétude et de torpille. peur. En contemplant ces images, nous sommes tout de suite transportés dans un ailleurs poétique et délicat. La première fois que je l'ai contactée, Claudia était dans son laboratoire en train de développer. Elle m'a raconté son parcours en mentionnant brièvement et rapidement des violences subies dans son enfance. Je ne m'y attendais pas du tout, on ne s'y attend jamais, mais c'est une réalité longtemps tue qui s'élève chaque jour sous nos yeux. Et pourtant... Là n'est pas le sujet de son travail, et pourtant, très loin d'elle l'envie de s'apesantir là-dessus. Il me semble néanmoins important de le mentionner, car c'est un peu d'ici que surgit le désir de Claudia de s'évader, et son amour de l'ailleurs et des peuples résilients, autant d'éléments constitutifs de sa démarche photographique. Anaïs Houdard, invitée du précédent épisode, et Claudia Rovida ne se connaissent pas, et ont chacune leur cheminement. C'est en interviewant Claudia que j'ai pris conscience de correspondances entre elles. L'Afrique, l'Inde, des fils invisibles qui se tissent à travers la photographie. Aujourd'hui, je découvre qu'elles sont toutes les deux finalistes d'un même prix photographique, celui des rencontres de Boulogne-Biancourt 2025. J'aime ces hasards et ces rencontres. Claudia entre dans le studio, grande, élégante et souriante. Bonjour Claudia.

  • Speaker #1

    Bonjour Maud.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu peux me dire ce qui t'empêche de dormir à la nuit ?

  • Speaker #1

    Ce qui m'empêche de dormir à la nuit ? Je pense que c'est mes voix. C'est les voix dans ma tête. J'ai plein de discussions entre peut-être toutes mes personnalités. Elles conversent ensemble et elles essayent de trouver du sens dans ce que je fais dans ma vie. Et c'est vrai que le matin, je me réveille et je prends mon téléphone et je note tout ce que j'ai. C'est clairement, parfois, je me dis, mais c'est des paysages de Dali, mais en même temps avec des gens et des discussions. C'est très étrange. Je note ces choses, je ne les relis pas tant que ça. C'est des rêves et ensuite, ça devient du noir et c'est juste des voix. C'est des voix qui répètent en boucle des mots, des mots que j'ai entendus dans la semaine. C'est des réflexions, c'est des questionnements aussi. C'est des questions qui reviennent en boucle. Et du coup, ça me réveille. Et je me dis, mais pourquoi ce mot-là ? Et j'essaye de prendre ces phrases et de les analyser.

  • Speaker #0

    D'où viens-tu et comment la photographie est-elle arrivée dans ta vie ?

  • Speaker #1

    Alors, je suis née à Cannes et j'ai grandi à Paris. La photo est arrivée assez jeune parce que mon père est un grand collectionneur d'appareils photo, collectionne les Lekas. C'est vrai que j'ai grandi avec ces appareils. Mon père me demandait de les remonter. Il m'apprenait un peu le côté mécanique, l'aspect mécanique, mais un peu moins les prises de vue. C'est vrai que je partais beaucoup en voyage avec mes parents, donc j'emportais ces appareils. J'avais cette démarche un petit peu, mais je ne m'étais jamais projetée dans l'idée de... d'en faire ça professionnellement. J'ai grandi comme ça. Après, c'est vrai que mes premières photos, c'était en Égypte. On avait fait un trekking dans le désert du Sinaï. Et j'avais fait mon premier album de bédouins dans le désert. Donc ça, c'est mon premier souvenir photographique qui évoque d'ailleurs le voyage. Et ensuite, après mon parcours professionnel, enfin scolaire, moi j'ai étudié la publicité. J'ai fait des écoles de publicité dans la direction artistique. D'ailleurs, je suis toujours directrice artistique dans le monde du luxe et de la beauté.

  • Speaker #0

    Donc tu n'as pas fait d'école photographique à proprement parler ?

  • Speaker #1

    Non, je n'ai pas fait d'école photographique, mais avec du recul, je me souviens que j'en ai fait une quand même. Je ne sais pas pourquoi, je l'ai complètement occulté. J'étais allée dans une école... En fait, j'avais mon master. Après mon master, dans une école de pub, j'ai quand même voulu, sous la discussion avec un producteur, parce que j'étais assistante de Jean-Baptiste Mondino, et je voulais vraiment être photographe. Et un producteur, donc son producteur, m'a dit « Ce serait quand même bien que tu fasses une école de photo quand même. » Donc du coup, j'ai suivi un peu son conseil et j'ai fait une école de photo. Je ne sais pas si je peux dire le nom, mais je suis partie très vite. C'est vrai que je suis partie en milieu d'année, parce que c'était très difficile. Les gens venaient d'avoir leur bac, moi j'avais mon master, donc il y avait un vrai décalage. Mais les cours que j'appréciais le plus, c'était le développement, le labo, ces photos à la chambre. Après, les thématiques, j'étais un peu... En fait, je ne voulais faire que ce que j'avais envie, et ça ne plaisait pas trop au directeur et à mes professeurs. Donc, du jour au lendemain, je suis partie. de cette école et je suis partie ensuite six mois à Tokyo. J'avais l'impression que j'avais déjà mon identité. Je pense que c'était trop tard en fait, j'aurais dû le faire avant.

  • Speaker #0

    Et t'es partie à Tokyo pour photographier ou pas du tout ? Si, pour photographier ou pour chercher quelque chose.

  • Speaker #1

    À ce moment-là, c'était pour photographier et rassurer ma mère aussi sur le fait que j'allais finir mon école. Finalement, j'allais faire l'école de la vie, j'allais partir. découvrir un pays et en même temps essayer de devenir photographe ailleurs. J'avais aussi des contacts là-bas. J'avais un ami qui était mannequin franco-japonais. Donc, en fait, on a fait une team ensemble où on allait voir les magazines. On essayait de faire des éditos, on essayait de faire des séries photos. Et c'est vrai que ça a été comme une muse, en fait, ce garçon. Et on a passé beaucoup de temps à Tokyo. Mais c'est vrai que je suis rentrée à Paris. Et je me suis dit, ah ! Je me sentais seule au bout d'un moment. Il y a ce truc à Tokyo un peu difficile, où on est dans une jungle urbaine, mais en même temps, il y a une solitude absolue. Et je le ressentais beaucoup.

  • Speaker #0

    J'ai l'impression que tu es une grande voyageuse. En tout cas, je sais que tu es photographe et voyageuse. Et je t'ai contactée la première fois pour cette conversation parce que j'avais envie d'enregistrer un épisode un peu soft, un peu au niveau... contenu et thématique, parce que les derniers épisodes que j'avais enregistrés étaient un peu denses et que j'avais été particulièrement happée et attirée par l'esthétique de tes photos, par les couleurs, par les superpositions, enfin je trouvais que c'était très beau et très joyeux et au cours de notre premier contact tu as résumé ton chemin très très rapidement en disant que tu en étais là parce que tu avais subi des violences dans ta jeunesse et que tu étais arrivée à la photo. et tout ce que tu voulais exprimer avec la photo venait de ces violences aussi. Et j'ai été perturbée parce que je ne m'attendais pas du tout à ça. Et en fait, je me dis que finalement, c'est une thématique qui revient. Du coup, est-ce que tu peux m'en dire un peu plus sur ce parcours et l'arrivée ou la réparation à travers la photo ? Parce que tu m'as parlé de réparation. Oui,

  • Speaker #1

    ok. C'est vrai que j'ai toujours été hyper pudique sur mon passé et ces violences domestiques. que j'ai vécu plus jeune. Et ça m'a pris du temps, en fait, à comprendre le sens de mes projets artistiques, pourquoi je les faisais, ma démarche, et pourquoi je faisais autant de voyages, pourquoi j'avais autant envie de partir le plus loin possible, d'être coupée, en fait, du monde, de mon monde à moi, et de partir dans un autre monde. Et alors, le point de départ de mes voyages, ça a été la Mongolie. Je m'étais dit, après mes études, après mon voyage à Tokyo, je me suis dit, je vais partir en Mongolie. Je voulais découvrir ces gens au bout du monde et essayer de vivre leur vie, en fait. Et après plein de voyages, je dirais une dizaine, en immersion dans les communautés, autant en Afrique qu'en Inde, qu'au Sri Lanka, et par un travail aussi psychologique, de thérapie. comme l'EMDR, je me suis rendue compte qu'en fait, ces voyages avaient un sens. C'était ma réparation et ma recherche d'une famille idéale, en fait, au bout du monde. Je pense que les voyages étaient pour moi nécessaires et viscérales pour créer une sorte de rupture entre ce que j'ai vécu et aller chercher en fait une sorte de pureté au bout du monde où les gens ne jugent pas forcément. Ils sont là, ils te prennent comme tu es. et il te donne beaucoup. Parce qu'en fait, dans ces communautés, notamment en Mongolie, Ça m'a beaucoup marquée. D'ailleurs, c'est vrai que j'ai pas forcément... J'ai revécu d'autres choses différentes. Mais ces communautés, elles ont une douceur. J'avais eu un accident d'ailleurs de cheval. Il y avait des hommes qui m'avaient essayé de me rassurer. Ils me chantaient des choses pour pas que j'aie peur sur un cheval, etc. Donc voilà, ma volonté, c'était d'utiliser ces voyages comme réparation, comme compréhension du monde. pour à la fois parler de moi, mais aussi des problématiques. Mais c'est vrai que pendant dix ans, j'ai plus parlé de leurs problématiques sans vraiment me rendre compte que je parlais de moi. Et du coup, l'Ethiopie, donc mon projet Women of Fire, a été vraiment ce moment où j'ai eu une sorte de révélation, en fait. Parce que je parlais de ces femmes qui vivaient des violences dans cette communauté.

  • Speaker #0

    Oui, est-ce que tu peux... Expliquez-moi le synopsis de Woman of Fire, parce que c'est important pour les auditeurs.

  • Speaker #1

    Le synopsis de Woman of Fire, c'est l'histoire de ces femmes mursies, une tribu dans la vallée de Lomo en Éthiopie. Et comme signe de respect, elles doivent se faire battre face à ces hommes de la communauté. C'est quand même une communauté polygame. La première femme a le droit de choisir les suivantes. Elle les choisit en fonction un petit peu de leur... Si elles sont robustes, si elles vont pouvoir assumer le foyer, si jamais elle, il leur arrive quelque chose. Et après, la première aussi femme a le droit de porter des bijoux. Elle porte un bijou assez imposant autour du cou. Et donc ces femmes, en signe de respect, elles doivent se faire battre avec des bâtons en bambou par les hommes. donc elles ont des vraiment, moi ça m'a marqué elles avaient des cicatrices très fortes, elles étaient complètement lacérées elles avaient des cicatrices sur tout le corps et notamment le dos et j'ai vu ça, et j'ai vu aussi leur regard et en fait c'est dans leur regard que je me suis vue aussi et ça a été très fort, ça a été vraiment très puissant, il y a eu une sorte de Alors, je ne sais pas, on ne parle pas du tout la même langue. J'ai la chance parfois d'avoir des traducteurs. J'essaye aussi d'apprendre un peu les bases dans des livres ethnologiques. Mais c'est dans leur regard qu'on s'est compris, qu'on s'est entendu. Il y a eu quelque chose de très fort, en fait, sans langage. Et c'est vrai que ça a été un point de départ très fort. Et donc, c'est pour ça aussi que je l'ai appelé Woman of Fire. C'est cette histoire de ces guerrières qui ne sont pas vues comme... comme des guerrières au sein de leur communauté, mais j'ai voulu les montrer comme telles.

  • Speaker #0

    Et dans ces regards, parce que tu disais que tu étais partie en Mongolie, essayer de trouver une espèce de famille idéale et de douceur, et c'est ce que tu as trouvé dans le regard de ces femmes éthiopiennes ?

  • Speaker #1

    J'ai retrouvé de la sororité, en fait. Une sorte de compréhension naturelle. Je voyais la peur qu'elles avaient dans leurs regards, mais en même temps... Elles m'ont adoptée. Alors, c'est sûr que quand j'arrive, en général, dans les tribus, elles ne m'attendent jamais. Il y a tout un processus aussi de discuter avec elles. En l'occurrence, c'est une tribu qui a des problèmes d'alcool. La plupart des tribus ont ce genre de soucis. La plupart du monde.

  • Speaker #0

    Oui,

  • Speaker #1

    la plupart du monde, dans notre monde actuel. Oui, dans notre monde actuel. Et du coup, je pouvais les prendre en photo que le matin, quand les hommes dormaient. Et donc, j'avais vraiment... tout l'espace pour être avec ces femmes. Et c'est vrai que dans leur manière d'être, dans leur regard, on s'est compris, on a eu une sorte de discussion. En tout cas, moi, ça a été un flash. Et puis c'est en touchant, en voyant ces blessures qui sont hyper épaisses, que j'ai compris que vraiment, elles ont souffré, que c'était compliqué parce qu'elles ont beaucoup de travail. Elles doivent assumer le foyer, aller dans les champs. à les vendre aussi ce qu'elles récoltent. Elles récoltent du sorgho, qui est une sorte de blé. Donc elles endurent beaucoup de choses, tandis que les hommes finalement, ils restent, ils dorment. Ils battent. Et en fait, lors de ces rituels d'ailleurs, ces femmes rentrent en transe. Elles deviennent, alors parfois certaines succombent en fait. C'est assez fort. En général, les hommes essayent quand même de rester... Enfin, ce n'est pas le but. Le but, c'est juste de les faire se soumettre à ces hommes, qu'elles soient plus dociles et qu'elles respectent les demandes de ces hommes.

  • Speaker #0

    Toutes les photos sont très colorées, très belles, très colorées, superposées. Et j'ai remarqué dans cette série particulièrement une photo, une seule, en noir et blanc.

  • Speaker #1

    Ah oui, c'est vrai.

  • Speaker #0

    J'ai remarqué ça dans plusieurs de tes séries, mais tout d'un coup, il y a une photo en noir et blanc au milieu de ces aquarelles de couleurs. Pour Woman of Fire, c'est une photo de... peau avec des cicatrices énormes. Donc maintenant, je pense avoir compris ce que tu m'as expliqué avant. Et au milieu de tes séries, il y a aussi souvent une photo. Les photos horizontales sont à la verticale. Dans ton site, la façon de présenter les photos, il y a toujours ou souvent une photo en noir et blanc au milieu et cette espèce de horizontalité verticale. Est-ce que c'est fait exprès ? Est-ce que tu ne veux pas mettre les photos horizontales à l'horizontale ? Ça m'a questionnée.

  • Speaker #1

    C'est vrai que j'aime bien faire ça. Et d'ailleurs, parfois, quand je fais les lectures de portfolio, on me remet toujours à l'endroit mes photos et je les remets toujours dans le sens que je le vois.

  • Speaker #0

    À l'envers ? À l'envers,

  • Speaker #1

    oui. C'est parce que je pense, quand je fais des photos, je fais des photos où je me mets dans plein de positions différentes et je vais aller regarder, viser avec mes appareils photos dans des postures. Et en fait, je pense que quand je fais ces photos-là, elles sont faites dans ce sens-là. Parce que je les trouve plus fortes, en fait.

  • Speaker #0

    Tu conserves l'angle ?

  • Speaker #1

    L'angle dans lequel je prends la photo. Carrément.

  • Speaker #0

    C'est la première fois que je vois ça. C'est intéressant. Et la photo noire et blanc, pourquoi cette cicatrice ? Pour la faire ressortir ?

  • Speaker #1

    Parce que je pense qu'en fait, elle n'a pas besoin d'avoir de couleur. Elle est déjà évocatrice telle qu'elle est. C'est vrai que pour Woman on Fire, j'ai déclenché un style artistique que je n'avais jamais fait avant, qui vient d'une longue réflexion de tous ces voyages, qui est un peu le résultat. Et du coup, j'ai voulu retranscrire mes émotions, les émotions de ces femmes, à travers des couleurs, en utilisant des dégradés et plein de gestuels, qui justement créent ces... C'est rouge très fort, c'est jaune très fort. Mais là, pour celle-ci, je voulais la laisser telle qu'elle était en noir et blanc. C'est vrai que j'ai du mal à donner vraiment un sens, mais je la vois comme ça. Je trouve qu'elle n'a pas besoin d'être réajustée. Elle se suffit à elle-même.

  • Speaker #0

    C'est une évidence.

  • Speaker #1

    Oui, voilà.

  • Speaker #0

    C'est souvent des évidences, la photo et la vie.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    J'ai aussi en tête une série en Ouganda, où tu as photographié les travailleurs du lac Katwe.

  • Speaker #1

    Oui, exactement. Dans une mine de sel.

  • Speaker #0

    Dans une mine de sel. Là, il n'y a que des hommes.

  • Speaker #1

    Oui. Pourquoi ?

  • Speaker #0

    Parce que j'ai lu par ailleurs que c'était beaucoup, beaucoup, beaucoup les femmes qui travaillaient aussi dans ce lac.

  • Speaker #1

    C'est vrai que dans le lac Katwe, il y a des femmes, mais en réalité... Il y a quand même majoritairement des hommes, et souvent c'est des prisonniers. J'ai vu beaucoup de prisonniers travailler, beaucoup moins de femmes. Après avoir fait Woman of Fire et d'avoir révélé mon histoire, même si j'ai toujours un peu ce truc de ne pas vouloir trop évoquer ces violences que j'ai vécues, toujours avec un peu de pudeur, mais c'est vrai que ça a été très réparateur pour moi de parler de ça, et j'avais envie de contrebalancer, parce que je n'ai pas envie d'avoir forcément... cette étiquette et j'ai envie aussi de laisser la parole à d'autres problématiques dans différentes communautés. Et j'avais envie aussi de rester dans un groupe avec des hommes pour voir ce que c'est, puisque j'avais fait l'étupie avec ces femmes. Là, j'ai parlé de ces adolescents qui travaillent et qui finalement sont condamnés, puisqu'en fait, en s'immergeant dans l'eau, ils vont avoir des problématiques de fertilité. Et je trouvais que c'était assez fort parce que ça parlait de blessures, mais finalement qui étaient invisibles. Et c'est vrai que je pense que c'est aussi important de laisser la parole aussi à ces hommes. Et en tout cas, moi, ça m'avait vraiment marquée. Et j'avais vraiment cette volonté de parler de ces problèmes-là, parce qu'ils mettent tout plein de produits chimiques toxiques pour accélérer la saumure de ce sel. Et ces hommes vont plonger, parfois ils perdent la vue. Enfin, on voit bien que leur expérience... espérance de vie est très faible. Et avec ces problèmes de fertilité, du coup, je pense qu'à terme, cette communauté va avoir des problématiques et peut-être même disparaître.

  • Speaker #0

    C'est étonnant que tu dises ça et ça ne m'étonne pas en même temps parce que c'est une série que je trouve très sensuelle. On sent beaucoup le contact de la peau. Oui, c'est vrai. Il y a une photo particulière d'un dos. Alors, je ne sais pas si c'est un enfant ou un ado ou un adulte. C'est difficile parce qu'il est de dos. Mais on voit la peau noire et puis le sel qui a séché sur sa peau. C'est une série tactile. Il y a pas mal de clairs obscurs aussi. Oui. C'est une série très douce ?

  • Speaker #1

    Oui, parce que j'ai trouvé qu'ils étaient d'une résilience assez incroyable, en fait. Je les ai vus, c'était une bande d'ados. Ils sont cousins, frères, et ils sont là, et ils aident leur père qui a un problème de vue. Ils sont très solidaires, et en fait, ils avaient une douceur dans leur regard, presque comme... finalement, comme ces femmes en Éthiopie. Et c'est vrai qu'il y a ce corps, parce que le corps, il travaille, il est là, il est à rude épreuve, parce qu'ils ont des brûlures sur leur partie intime. Ils doivent même se mettre du plastique sur leur partie pour les protéger, parce que ça rentre. Et ces garçons, en fait, prennent le relais sur les femmes pour les sauvegarder. Donc, je trouve ça assez fort. Il y a une sorte de solidarité naturelle un entraide et en même temps, il y a ses corps. Finalement, ce liquide qui est sur le dos de ce jeune garçon, c'est un liquide volcanique, puisque le lac est situé sur un volcan. Le lac est assez profond, et donc ils plongent et ils vont chercher ces blocs qui sont enduits de ce liquide volcanique très ancien.

  • Speaker #0

    Ta particularité, c'est, je pense, deux choses. C'est que... c'est toi qui retravailles tes photos et qui tires tes photos en labo et c'est de la couleur et il y a des superpositions partout ou presque partout de la couleur, de la couleur et des superpositions des superpositions pourquoi ? est-ce que ça a un sens superposer ?

  • Speaker #1

    j'imagine que c'est pas qu'esthétique ouais c'est un sens c'est arrivé un peu spontanément en rentrant d'un voyage d'Inde avant mon projet « Woman of Fire » . Et je me suis dit « Ah, mais c'est fou ! » En fait, il n'y a pas assez d'explications dans une photo. Dans un portrait, je voudrais raconter plus de contexte et je voulais avoir du mouvement dans les images. Et en faisant des expérimentations sur ce projet en Inde que j'avais fait dans une tribu, les Marias, je me suis rendue compte qu'il y avait quelque chose qui pouvait s'apparenter à ce mouvement. et à ce dialogue de deux images qui pouvaient raconter plus d'éléments qu'un simple portrait dans une situation. Et en fait, rentrant de ce voyage et en découvrant cette nouvelle technique dans le labo dans lequel je tire, trois semaines après, je suis partie en Éthiopie. Et en fait, sur le terrain, j'ai commencé à anticiper des prises de vue qui mêlaient à la fois des aplats organiques. des peintures sur le corps de ces femmes, du végétal. Et du coup, en rentrant de ce voyage, j'ai commencé à expérimenter ça. Il y a tout un processus. Je crois que ça m'a pris à peu près un an pour sortir Woman of Fire et d'avoir vraiment débloqué cette technique de superposition et en même temps de jeu de lumière, parce que je fais des balais de lumière. Je danse avec mes mains dans le noir, avec tout plein d'ustensiles lumineux, pour créer ces dégradés et pour fondre ces superpositions. Donc je ne les fais pas à la prise de vue, mais je les fais après. Et c'est vrai que c'est un peu parfois de la chance, parce que je ne coupe pas mes négatifs, je les endommage un petit peu, donc souvent c'est des one-shots. Et j'essaye de répéter ces mouvements, mais chaque image a son mouvement. Donc c'est vrai qu'avec le temps, je ne pourrais pas me souvenir des mouvements que je fais. Donc elles sont quand même assez uniques, ces images. Et du coup, j'aime bien les superpositions. Après, c'est vrai qu'avec le temps, j'essaye un petit peu de... Sur les hommes en Ouganda, j'ai essayé d'en faire un peu moins. Et j'ai essayé de plus travailler les lumières. Et j'ai choisi, au lieu de travailler la couleur après en tirage, j'ai essayé de choisir les moments dans lesquels je voulais les prendre en photo, aux heures spécialement, donc le matin et le soir. D'où... From Dusk Till Dawn parce que en fait ces lumières étaient magnifiques sur ces corps Cette réflexion dans cette eau, etc. Et donc voilà, aujourd'hui, j'essaye un peu de balancer, de contrebalancer un petit peu et de revenir aussi à quelque chose de... Maintenant, je me suis rendue compte qu'en mettant une lumière à travers mon doigt, j'avais de nouvelles couleurs. Donc, j'utilise mon corps pour créer des dégradés bleus, verts. Donc voilà, j'expérimente à chaque nouvelle série. C'est vrai, c'est que c'est une teinte différente.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'on peut parler... des ou de la série sur laquelle tu travailles en ce moment. Est-ce qu'on peut partir en Inde ? J'ai l'impression que tu travailles en Inde en ce moment. Tu m'as envoyé deux extraits de vidéos, parce que tu fais de la vidéo aussi, sur les séries photos que tu es en train de réaliser en Inde. Les deux séries s'appellent Dancing to Resist et la seconde s'appelle The Monster of Gazipur. The Monster of Gazipur aborde la thématique de personnes indiennes qui vivent et qui travaillent sur des montagnes de détritus.

  • Speaker #1

    Sauf une grande montagne.

  • Speaker #0

    Sauf une grande montagne de détritus. Et la vidéo que tu m'as envoyée est hyper impactante parce qu'il y a un son très puissant. La musique est très parlante et te projette dans le truc. Et l'ouverture de la vidéo, on voit une femme indienne de dos avec une grande tresse. marcher, puis après on est tout au-dessus d'elle et on voit justement cet amas de détritus. J'aimerais en savoir un peu plus.

  • Speaker #1

    Bien sûr. C'est vrai que si je fais l'état des lieux, je voulais repartir en Inde parce que ça a été un élément assez fort de mon processus créatif. Et je voulais parler de collectifs, de femmes qui travaillent et qui survivent dans un lieu. très difficiles, mais en même temps qui se tirent vers le haut. Le collectif amène en fait à une sorte de résistance. Et donc j'ai fait deux projets, l'un où c'était sur ce monstre, enfin cette montagne géante, et l'autre dans une mine de charbon où ces filles dansent comme acte de résistance. C'est deux endroits très différents d'Inde, à des kilomètres, à des heures d'avion. Et en fait, ça traite de cette même puissance du groupe, de l'amitié. et de l'amour qui se transmet entre ces jeunes filles. Elles vivent en bas de cette montagne. C'est la poubelle de Daily. Tous les jours, il y a des tonnes et des tonnes qui sont envoyées. En fait, c'est devenu une sorte de montagne géante de détritus, de vêtements, d'objets en plastique. Elles vivent dessus et elles montent, elles gravissent. Clairement, c'est une montagne. Alors, il y a une sorte de problématique. toxiques, parce qu'il y a des vents toxiques qui balayent et qui ensuite se répercutent sur des kilomètres. Je l'appelle le monstre parce qu'il se digère de l'intérieur. Et donc voilà, c'est cette montagne, elle vive dessus et elle récupère des morceaux de plastique pour les vendre pour quelques centimes, juste comme recyclage. Donc voilà, elles sont là et tous les jours, elles cherchent un peu des trésors, peut-être des choses qui seraient passées inaperçues dans la poubelle et qu'elles pourraient revendre. plus cher que ces morceaux de plastique. Moi, j'ai eu beaucoup de mal à monter cette montagne. Mon cœur s'emballait très vite avec ces gaz toxiques. Et donc, c'était très difficile. Après, ça reste une poubelle, donc forcément, il y a plein d'insectes, des mouches. Il y a même des vaches qui ont gravi le truc et qui mangent du plastique. Donc, c'est un désastre écologique et parfois, elle s'enflamme. parce qu'en fait, avec ces émanations toxiques, il y a une sorte de feu un peu spontané. Je pense que c'est terrible en termes écologiques. Donc voilà, ces filles-là sont là et j'ai voulu, dans ces deux projets, amener le film à un peu plus d'histoire et d'immersion dans ces filles, en plus de mes photos. Alors, je travaillais avec un fixeur et je travaillais beaucoup le son. Le son, parce que dans mon enfance, c'est un peu comme ça. Ça a été quelque chose de très fort, parce que j'ai des souvenirs où finalement mon père me demandait de rester seule dans cette forêt la nuit. Il me disait « si tu entends des loups, il faut courir » . J'ai été vraiment... Je pense que ces violences, elles ont été aussi très sonores pour moi. Et donc, utiliser le film et l'amplifier...

  • Speaker #0

    et presque faire ressentir aux spectateurs ce que moi j'entends et comment je perçois les sons, ça a été hyper intéressant d'augmenter ces sons, d'augmenter les débits, comme je dis à mes monteurs, et de créer aussi des superpositions de sons comme mes images. Je vais aller... Alors pour The Monster Gazipure, en fait, j'ai entendu un son, une musique que j'ai mise dans ce film. Je ne sais pas si elle restera, peut-être qu'elle sera en vidéo. recomposer, mais j'ai contacté le musicien la semaine dernière et je lui ai dit en fait, je ne vois pas une autre musique que celle-ci pour mon film. Et il a accepté de travailler avec moi sur ce projet-là en tout cas. Donc je ne sais pas si on va recomposer ou utiliser ce son, mais en tout cas ce sera une collaboration avec cet artiste.

  • Speaker #1

    Mais le son d'introduction que j'ai entendu moi, qui je ne sais pas restera au final et qui...

  • Speaker #0

    C'est comme une alarme.

  • Speaker #1

    Ça résonne et... Encore plus fort quand tu racontes cette histoire de son dans la forêt avec ton père, toute seule, que ton père te faisait vivre. On a vraiment l'impression d'une alarme sur cette montagne de détritus avec cette femme indienne de dos. Et je vous la fais écouter 5 secondes.

  • Speaker #0

    Je voudrais juste dire un mot sur cet artiste. En fait, en discutant au détour de notre appel et notre échange, je lui ai raconté d'ailleurs mon histoire. Et j'aimais bien son travail très métallique, qui s'adapte hyper bien à cette vidéo.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu continues à travers tes voyages, tes séries photographiques et tes films, à travers ta création et ta créativité ? Est-ce que tu continues ? À chercher la famille idéale ? Ou est-ce que ta quête a changé avec ces projets ?

  • Speaker #0

    Ma quête, forcément, a changé, mais je cherche à retrouver un groupe. En fait, là où je me sens... J'ai cette sensation de liberté et de plénitude, c'est lorsque je suis acceptée dans un groupe qui soit, finalement, que ce soit la représentation de ma famille ou juste un groupe de jeunes femmes ou d'hommes. C'est ce moment-là où je vis avec eux, on se comprend et on essaye de créer quelque chose ensemble. L'Inde, c'est quelque chose de très fort et ces deux projets-là me tiennent énormément à cœur, notamment ces filles Dancing to Resist, ce projet qui va sortir et dont je fais le film, un court-métrage. Je vais retourner les voir pour finir mon film parce que j'ai cette sensation en moi où je me dis que je ne peux pas les laisser. Je ne peux pas les abandonner. Et elles m'ont tellement montré... En fait, elles sont, pour moi, la représentation de la résilience par excellence. Et elles se tirent vers le haut et elles dansent. Donc, elles travaillent dans une mine de charbon à ciel ouvert. Elles vont chercher ces gros cailloux qu'elles mettent sur la tête et elles montent et elles descendent toute la journée pour revendre ces morceaux. Et seulement ce qui leur reste, c'est ce groupe de filles qui dansent. le soir et donc elles m'ont inspirée et je voudrais que ce soit une inspiration pour le reste du monde parce qu'elles sont vraiment cette représentation et c'est vrai qu'en rentrant j'ai eu beaucoup de peine je me souviens marcher dans la rue et me dire mais qu'est-ce que je fais là pourquoi je suis pas restée avec elles en fait ma vie c'est d'accompagner en fait ces gens là et en fait grâce à un prix Kodak J'ai remporté le prix Kodak, je vais pouvoir retourner en Inde, finir mon projet photographique et mon film, mon documentaire. Donc je suis ravie et c'est vrai que ça m'a apaisée en fait. Et ouais, il y a toujours du sens, c'est toujours la famille, mais c'est à travers un groupe, un collectif. Et à chaque fois, il y a cette forme de réparation. Parfois je le sais avant, parfois je le comprends après. C'est ça qui est un peu intéressant aussi dans ce processus, c'est en tirant mes photos pendant six mois, je me dis putain, c'est vrai, c'est fou. quand même. Et donc, voilà. C'est tout un... Mais je pense que mon travail sera toujours à la recherche. Cette quête, en fait, de gens, de résilience, d'histoire.

  • Speaker #1

    De solidarité, de force collective.

  • Speaker #0

    De force, ouais.

  • Speaker #1

    C'est la force collective qui nous sauvera.

  • Speaker #0

    Bah ouais, je pense.

  • Speaker #1

    De ce monde un peu brutal, on peut le dire.

  • Speaker #0

    Exactement.

  • Speaker #1

    Surtout en ce moment. Qu'est-ce que je peux te souhaiter pour l'avenir ?

  • Speaker #0

    Bah, de... de continuer à comprendre le monde, à transmettre cette compréhension à travers mes images et de finir mes films. Je voudrais, j'ai hâte de les présenter et continuer à avancer et de vivre aussi de mon art. parce qu'on n'en parle pas beaucoup, mais c'est très, très difficile d'en vivre. Et moi, je n'en vis pas du tout de ça. Même si j'ai des collaborations, j'imagine que beaucoup de... En tout cas, quand je parle avec mes amis photographes, elles ont aussi cette même problématique. C'est vrai que ça reste quand même... On n'en parle pas assez, mais c'est difficile de vendre. Je trouve que... C'est un milieu assez fermé quand même, l'art, aujourd'hui. Quand je fais des lectures de portfolio, j'ai souvent des très bons retours, la plupart du temps. Mais aussi des retours un peu difficiles, parce que parfois, j'ai pas ma légitimité en tant qu'artiste à voyager dans certains pays, parce que je ne viens pas de ces pays. Et j'ai envie de parler de ça, parce que c'est quelque chose aussi que je vis, et je ne voudrais plus revivre ça. qu'on juge par rapport d'où je viens. Et je voudrais continuer à faire ces photos et qu'elles puissent être comprises partout dans le monde et de continuer à avoir ces thématiques universelles sur l'amour, la résilience, l'humanité et apporter de la poésie à ces histoires.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, Claudia.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #2

    Merci d'avoir écouté cet épisode. J'espère qu'il vous a plu. Si c'est le cas, partagez-le autour de vous et sur les réseaux sociaux. N'hésitez pas non plus à laisser un avis positif sur vos applications de podcast. Pour ne rien manquer de déclic, suivez-moi à atmaudebernose sur Instagram. Si vous avez des compliments, des critiques ou des réflexions, n'hésitez pas non plus, ça aide toujours. Merci enfin à la Cité Audacieuse pour son studio d'enregistrement. A bientôt !

Description

Un podcast pour célébrer la force et l'unicité du regard féminin dans la photographie contemporaine.

J’ai découvert Claudia Revidat grâce au magazine Fish-eye qui a publié il y a quelques mois un article sur son travail. J’ai tout de suite été saisi par ses photographies, colorées. Ses tons si particuliers qui donnent aux images une temporalité spéciale. Comme si le soleil était en permanence en train de se coucher. Des teintes orangées, des superpositions et surtout une certaine idée de quiétude et de torpeur. En contemplant ses images, nous sommes tout de suite transportés dans un ailleurs poétique et délicat 😀

www.claudiarevidat.com


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    C'est la photographe Claudia Revida que je reçois aujourd'hui dans le studio d'enregistrement de la Cité Audacieuse. J'ai découvert Claudia grâce au magazine Ausha, qui a publié il y a quelques mois un article sur son travail. J'ai tout de suite été saisie par ses photographies colorées, ces tons si particuliers qui donnent aux images une temporalité spéciale, comme si le soleil était en permanence en train de se coucher, des teintes orangées, des superpositions, et surtout, une certaine idée de quiétude et de torpille. peur. En contemplant ces images, nous sommes tout de suite transportés dans un ailleurs poétique et délicat. La première fois que je l'ai contactée, Claudia était dans son laboratoire en train de développer. Elle m'a raconté son parcours en mentionnant brièvement et rapidement des violences subies dans son enfance. Je ne m'y attendais pas du tout, on ne s'y attend jamais, mais c'est une réalité longtemps tue qui s'élève chaque jour sous nos yeux. Et pourtant... Là n'est pas le sujet de son travail, et pourtant, très loin d'elle l'envie de s'apesantir là-dessus. Il me semble néanmoins important de le mentionner, car c'est un peu d'ici que surgit le désir de Claudia de s'évader, et son amour de l'ailleurs et des peuples résilients, autant d'éléments constitutifs de sa démarche photographique. Anaïs Houdard, invitée du précédent épisode, et Claudia Rovida ne se connaissent pas, et ont chacune leur cheminement. C'est en interviewant Claudia que j'ai pris conscience de correspondances entre elles. L'Afrique, l'Inde, des fils invisibles qui se tissent à travers la photographie. Aujourd'hui, je découvre qu'elles sont toutes les deux finalistes d'un même prix photographique, celui des rencontres de Boulogne-Biancourt 2025. J'aime ces hasards et ces rencontres. Claudia entre dans le studio, grande, élégante et souriante. Bonjour Claudia.

  • Speaker #1

    Bonjour Maud.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu peux me dire ce qui t'empêche de dormir à la nuit ?

  • Speaker #1

    Ce qui m'empêche de dormir à la nuit ? Je pense que c'est mes voix. C'est les voix dans ma tête. J'ai plein de discussions entre peut-être toutes mes personnalités. Elles conversent ensemble et elles essayent de trouver du sens dans ce que je fais dans ma vie. Et c'est vrai que le matin, je me réveille et je prends mon téléphone et je note tout ce que j'ai. C'est clairement, parfois, je me dis, mais c'est des paysages de Dali, mais en même temps avec des gens et des discussions. C'est très étrange. Je note ces choses, je ne les relis pas tant que ça. C'est des rêves et ensuite, ça devient du noir et c'est juste des voix. C'est des voix qui répètent en boucle des mots, des mots que j'ai entendus dans la semaine. C'est des réflexions, c'est des questionnements aussi. C'est des questions qui reviennent en boucle. Et du coup, ça me réveille. Et je me dis, mais pourquoi ce mot-là ? Et j'essaye de prendre ces phrases et de les analyser.

  • Speaker #0

    D'où viens-tu et comment la photographie est-elle arrivée dans ta vie ?

  • Speaker #1

    Alors, je suis née à Cannes et j'ai grandi à Paris. La photo est arrivée assez jeune parce que mon père est un grand collectionneur d'appareils photo, collectionne les Lekas. C'est vrai que j'ai grandi avec ces appareils. Mon père me demandait de les remonter. Il m'apprenait un peu le côté mécanique, l'aspect mécanique, mais un peu moins les prises de vue. C'est vrai que je partais beaucoup en voyage avec mes parents, donc j'emportais ces appareils. J'avais cette démarche un petit peu, mais je ne m'étais jamais projetée dans l'idée de... d'en faire ça professionnellement. J'ai grandi comme ça. Après, c'est vrai que mes premières photos, c'était en Égypte. On avait fait un trekking dans le désert du Sinaï. Et j'avais fait mon premier album de bédouins dans le désert. Donc ça, c'est mon premier souvenir photographique qui évoque d'ailleurs le voyage. Et ensuite, après mon parcours professionnel, enfin scolaire, moi j'ai étudié la publicité. J'ai fait des écoles de publicité dans la direction artistique. D'ailleurs, je suis toujours directrice artistique dans le monde du luxe et de la beauté.

  • Speaker #0

    Donc tu n'as pas fait d'école photographique à proprement parler ?

  • Speaker #1

    Non, je n'ai pas fait d'école photographique, mais avec du recul, je me souviens que j'en ai fait une quand même. Je ne sais pas pourquoi, je l'ai complètement occulté. J'étais allée dans une école... En fait, j'avais mon master. Après mon master, dans une école de pub, j'ai quand même voulu, sous la discussion avec un producteur, parce que j'étais assistante de Jean-Baptiste Mondino, et je voulais vraiment être photographe. Et un producteur, donc son producteur, m'a dit « Ce serait quand même bien que tu fasses une école de photo quand même. » Donc du coup, j'ai suivi un peu son conseil et j'ai fait une école de photo. Je ne sais pas si je peux dire le nom, mais je suis partie très vite. C'est vrai que je suis partie en milieu d'année, parce que c'était très difficile. Les gens venaient d'avoir leur bac, moi j'avais mon master, donc il y avait un vrai décalage. Mais les cours que j'appréciais le plus, c'était le développement, le labo, ces photos à la chambre. Après, les thématiques, j'étais un peu... En fait, je ne voulais faire que ce que j'avais envie, et ça ne plaisait pas trop au directeur et à mes professeurs. Donc, du jour au lendemain, je suis partie. de cette école et je suis partie ensuite six mois à Tokyo. J'avais l'impression que j'avais déjà mon identité. Je pense que c'était trop tard en fait, j'aurais dû le faire avant.

  • Speaker #0

    Et t'es partie à Tokyo pour photographier ou pas du tout ? Si, pour photographier ou pour chercher quelque chose.

  • Speaker #1

    À ce moment-là, c'était pour photographier et rassurer ma mère aussi sur le fait que j'allais finir mon école. Finalement, j'allais faire l'école de la vie, j'allais partir. découvrir un pays et en même temps essayer de devenir photographe ailleurs. J'avais aussi des contacts là-bas. J'avais un ami qui était mannequin franco-japonais. Donc, en fait, on a fait une team ensemble où on allait voir les magazines. On essayait de faire des éditos, on essayait de faire des séries photos. Et c'est vrai que ça a été comme une muse, en fait, ce garçon. Et on a passé beaucoup de temps à Tokyo. Mais c'est vrai que je suis rentrée à Paris. Et je me suis dit, ah ! Je me sentais seule au bout d'un moment. Il y a ce truc à Tokyo un peu difficile, où on est dans une jungle urbaine, mais en même temps, il y a une solitude absolue. Et je le ressentais beaucoup.

  • Speaker #0

    J'ai l'impression que tu es une grande voyageuse. En tout cas, je sais que tu es photographe et voyageuse. Et je t'ai contactée la première fois pour cette conversation parce que j'avais envie d'enregistrer un épisode un peu soft, un peu au niveau... contenu et thématique, parce que les derniers épisodes que j'avais enregistrés étaient un peu denses et que j'avais été particulièrement happée et attirée par l'esthétique de tes photos, par les couleurs, par les superpositions, enfin je trouvais que c'était très beau et très joyeux et au cours de notre premier contact tu as résumé ton chemin très très rapidement en disant que tu en étais là parce que tu avais subi des violences dans ta jeunesse et que tu étais arrivée à la photo. et tout ce que tu voulais exprimer avec la photo venait de ces violences aussi. Et j'ai été perturbée parce que je ne m'attendais pas du tout à ça. Et en fait, je me dis que finalement, c'est une thématique qui revient. Du coup, est-ce que tu peux m'en dire un peu plus sur ce parcours et l'arrivée ou la réparation à travers la photo ? Parce que tu m'as parlé de réparation. Oui,

  • Speaker #1

    ok. C'est vrai que j'ai toujours été hyper pudique sur mon passé et ces violences domestiques. que j'ai vécu plus jeune. Et ça m'a pris du temps, en fait, à comprendre le sens de mes projets artistiques, pourquoi je les faisais, ma démarche, et pourquoi je faisais autant de voyages, pourquoi j'avais autant envie de partir le plus loin possible, d'être coupée, en fait, du monde, de mon monde à moi, et de partir dans un autre monde. Et alors, le point de départ de mes voyages, ça a été la Mongolie. Je m'étais dit, après mes études, après mon voyage à Tokyo, je me suis dit, je vais partir en Mongolie. Je voulais découvrir ces gens au bout du monde et essayer de vivre leur vie, en fait. Et après plein de voyages, je dirais une dizaine, en immersion dans les communautés, autant en Afrique qu'en Inde, qu'au Sri Lanka, et par un travail aussi psychologique, de thérapie. comme l'EMDR, je me suis rendue compte qu'en fait, ces voyages avaient un sens. C'était ma réparation et ma recherche d'une famille idéale, en fait, au bout du monde. Je pense que les voyages étaient pour moi nécessaires et viscérales pour créer une sorte de rupture entre ce que j'ai vécu et aller chercher en fait une sorte de pureté au bout du monde où les gens ne jugent pas forcément. Ils sont là, ils te prennent comme tu es. et il te donne beaucoup. Parce qu'en fait, dans ces communautés, notamment en Mongolie, Ça m'a beaucoup marquée. D'ailleurs, c'est vrai que j'ai pas forcément... J'ai revécu d'autres choses différentes. Mais ces communautés, elles ont une douceur. J'avais eu un accident d'ailleurs de cheval. Il y avait des hommes qui m'avaient essayé de me rassurer. Ils me chantaient des choses pour pas que j'aie peur sur un cheval, etc. Donc voilà, ma volonté, c'était d'utiliser ces voyages comme réparation, comme compréhension du monde. pour à la fois parler de moi, mais aussi des problématiques. Mais c'est vrai que pendant dix ans, j'ai plus parlé de leurs problématiques sans vraiment me rendre compte que je parlais de moi. Et du coup, l'Ethiopie, donc mon projet Women of Fire, a été vraiment ce moment où j'ai eu une sorte de révélation, en fait. Parce que je parlais de ces femmes qui vivaient des violences dans cette communauté.

  • Speaker #0

    Oui, est-ce que tu peux... Expliquez-moi le synopsis de Woman of Fire, parce que c'est important pour les auditeurs.

  • Speaker #1

    Le synopsis de Woman of Fire, c'est l'histoire de ces femmes mursies, une tribu dans la vallée de Lomo en Éthiopie. Et comme signe de respect, elles doivent se faire battre face à ces hommes de la communauté. C'est quand même une communauté polygame. La première femme a le droit de choisir les suivantes. Elle les choisit en fonction un petit peu de leur... Si elles sont robustes, si elles vont pouvoir assumer le foyer, si jamais elle, il leur arrive quelque chose. Et après, la première aussi femme a le droit de porter des bijoux. Elle porte un bijou assez imposant autour du cou. Et donc ces femmes, en signe de respect, elles doivent se faire battre avec des bâtons en bambou par les hommes. donc elles ont des vraiment, moi ça m'a marqué elles avaient des cicatrices très fortes, elles étaient complètement lacérées elles avaient des cicatrices sur tout le corps et notamment le dos et j'ai vu ça, et j'ai vu aussi leur regard et en fait c'est dans leur regard que je me suis vue aussi et ça a été très fort, ça a été vraiment très puissant, il y a eu une sorte de Alors, je ne sais pas, on ne parle pas du tout la même langue. J'ai la chance parfois d'avoir des traducteurs. J'essaye aussi d'apprendre un peu les bases dans des livres ethnologiques. Mais c'est dans leur regard qu'on s'est compris, qu'on s'est entendu. Il y a eu quelque chose de très fort, en fait, sans langage. Et c'est vrai que ça a été un point de départ très fort. Et donc, c'est pour ça aussi que je l'ai appelé Woman of Fire. C'est cette histoire de ces guerrières qui ne sont pas vues comme... comme des guerrières au sein de leur communauté, mais j'ai voulu les montrer comme telles.

  • Speaker #0

    Et dans ces regards, parce que tu disais que tu étais partie en Mongolie, essayer de trouver une espèce de famille idéale et de douceur, et c'est ce que tu as trouvé dans le regard de ces femmes éthiopiennes ?

  • Speaker #1

    J'ai retrouvé de la sororité, en fait. Une sorte de compréhension naturelle. Je voyais la peur qu'elles avaient dans leurs regards, mais en même temps... Elles m'ont adoptée. Alors, c'est sûr que quand j'arrive, en général, dans les tribus, elles ne m'attendent jamais. Il y a tout un processus aussi de discuter avec elles. En l'occurrence, c'est une tribu qui a des problèmes d'alcool. La plupart des tribus ont ce genre de soucis. La plupart du monde.

  • Speaker #0

    Oui,

  • Speaker #1

    la plupart du monde, dans notre monde actuel. Oui, dans notre monde actuel. Et du coup, je pouvais les prendre en photo que le matin, quand les hommes dormaient. Et donc, j'avais vraiment... tout l'espace pour être avec ces femmes. Et c'est vrai que dans leur manière d'être, dans leur regard, on s'est compris, on a eu une sorte de discussion. En tout cas, moi, ça a été un flash. Et puis c'est en touchant, en voyant ces blessures qui sont hyper épaisses, que j'ai compris que vraiment, elles ont souffré, que c'était compliqué parce qu'elles ont beaucoup de travail. Elles doivent assumer le foyer, aller dans les champs. à les vendre aussi ce qu'elles récoltent. Elles récoltent du sorgho, qui est une sorte de blé. Donc elles endurent beaucoup de choses, tandis que les hommes finalement, ils restent, ils dorment. Ils battent. Et en fait, lors de ces rituels d'ailleurs, ces femmes rentrent en transe. Elles deviennent, alors parfois certaines succombent en fait. C'est assez fort. En général, les hommes essayent quand même de rester... Enfin, ce n'est pas le but. Le but, c'est juste de les faire se soumettre à ces hommes, qu'elles soient plus dociles et qu'elles respectent les demandes de ces hommes.

  • Speaker #0

    Toutes les photos sont très colorées, très belles, très colorées, superposées. Et j'ai remarqué dans cette série particulièrement une photo, une seule, en noir et blanc.

  • Speaker #1

    Ah oui, c'est vrai.

  • Speaker #0

    J'ai remarqué ça dans plusieurs de tes séries, mais tout d'un coup, il y a une photo en noir et blanc au milieu de ces aquarelles de couleurs. Pour Woman of Fire, c'est une photo de... peau avec des cicatrices énormes. Donc maintenant, je pense avoir compris ce que tu m'as expliqué avant. Et au milieu de tes séries, il y a aussi souvent une photo. Les photos horizontales sont à la verticale. Dans ton site, la façon de présenter les photos, il y a toujours ou souvent une photo en noir et blanc au milieu et cette espèce de horizontalité verticale. Est-ce que c'est fait exprès ? Est-ce que tu ne veux pas mettre les photos horizontales à l'horizontale ? Ça m'a questionnée.

  • Speaker #1

    C'est vrai que j'aime bien faire ça. Et d'ailleurs, parfois, quand je fais les lectures de portfolio, on me remet toujours à l'endroit mes photos et je les remets toujours dans le sens que je le vois.

  • Speaker #0

    À l'envers ? À l'envers,

  • Speaker #1

    oui. C'est parce que je pense, quand je fais des photos, je fais des photos où je me mets dans plein de positions différentes et je vais aller regarder, viser avec mes appareils photos dans des postures. Et en fait, je pense que quand je fais ces photos-là, elles sont faites dans ce sens-là. Parce que je les trouve plus fortes, en fait.

  • Speaker #0

    Tu conserves l'angle ?

  • Speaker #1

    L'angle dans lequel je prends la photo. Carrément.

  • Speaker #0

    C'est la première fois que je vois ça. C'est intéressant. Et la photo noire et blanc, pourquoi cette cicatrice ? Pour la faire ressortir ?

  • Speaker #1

    Parce que je pense qu'en fait, elle n'a pas besoin d'avoir de couleur. Elle est déjà évocatrice telle qu'elle est. C'est vrai que pour Woman on Fire, j'ai déclenché un style artistique que je n'avais jamais fait avant, qui vient d'une longue réflexion de tous ces voyages, qui est un peu le résultat. Et du coup, j'ai voulu retranscrire mes émotions, les émotions de ces femmes, à travers des couleurs, en utilisant des dégradés et plein de gestuels, qui justement créent ces... C'est rouge très fort, c'est jaune très fort. Mais là, pour celle-ci, je voulais la laisser telle qu'elle était en noir et blanc. C'est vrai que j'ai du mal à donner vraiment un sens, mais je la vois comme ça. Je trouve qu'elle n'a pas besoin d'être réajustée. Elle se suffit à elle-même.

  • Speaker #0

    C'est une évidence.

  • Speaker #1

    Oui, voilà.

  • Speaker #0

    C'est souvent des évidences, la photo et la vie.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    J'ai aussi en tête une série en Ouganda, où tu as photographié les travailleurs du lac Katwe.

  • Speaker #1

    Oui, exactement. Dans une mine de sel.

  • Speaker #0

    Dans une mine de sel. Là, il n'y a que des hommes.

  • Speaker #1

    Oui. Pourquoi ?

  • Speaker #0

    Parce que j'ai lu par ailleurs que c'était beaucoup, beaucoup, beaucoup les femmes qui travaillaient aussi dans ce lac.

  • Speaker #1

    C'est vrai que dans le lac Katwe, il y a des femmes, mais en réalité... Il y a quand même majoritairement des hommes, et souvent c'est des prisonniers. J'ai vu beaucoup de prisonniers travailler, beaucoup moins de femmes. Après avoir fait Woman of Fire et d'avoir révélé mon histoire, même si j'ai toujours un peu ce truc de ne pas vouloir trop évoquer ces violences que j'ai vécues, toujours avec un peu de pudeur, mais c'est vrai que ça a été très réparateur pour moi de parler de ça, et j'avais envie de contrebalancer, parce que je n'ai pas envie d'avoir forcément... cette étiquette et j'ai envie aussi de laisser la parole à d'autres problématiques dans différentes communautés. Et j'avais envie aussi de rester dans un groupe avec des hommes pour voir ce que c'est, puisque j'avais fait l'étupie avec ces femmes. Là, j'ai parlé de ces adolescents qui travaillent et qui finalement sont condamnés, puisqu'en fait, en s'immergeant dans l'eau, ils vont avoir des problématiques de fertilité. Et je trouvais que c'était assez fort parce que ça parlait de blessures, mais finalement qui étaient invisibles. Et c'est vrai que je pense que c'est aussi important de laisser la parole aussi à ces hommes. Et en tout cas, moi, ça m'avait vraiment marquée. Et j'avais vraiment cette volonté de parler de ces problèmes-là, parce qu'ils mettent tout plein de produits chimiques toxiques pour accélérer la saumure de ce sel. Et ces hommes vont plonger, parfois ils perdent la vue. Enfin, on voit bien que leur expérience... espérance de vie est très faible. Et avec ces problèmes de fertilité, du coup, je pense qu'à terme, cette communauté va avoir des problématiques et peut-être même disparaître.

  • Speaker #0

    C'est étonnant que tu dises ça et ça ne m'étonne pas en même temps parce que c'est une série que je trouve très sensuelle. On sent beaucoup le contact de la peau. Oui, c'est vrai. Il y a une photo particulière d'un dos. Alors, je ne sais pas si c'est un enfant ou un ado ou un adulte. C'est difficile parce qu'il est de dos. Mais on voit la peau noire et puis le sel qui a séché sur sa peau. C'est une série tactile. Il y a pas mal de clairs obscurs aussi. Oui. C'est une série très douce ?

  • Speaker #1

    Oui, parce que j'ai trouvé qu'ils étaient d'une résilience assez incroyable, en fait. Je les ai vus, c'était une bande d'ados. Ils sont cousins, frères, et ils sont là, et ils aident leur père qui a un problème de vue. Ils sont très solidaires, et en fait, ils avaient une douceur dans leur regard, presque comme... finalement, comme ces femmes en Éthiopie. Et c'est vrai qu'il y a ce corps, parce que le corps, il travaille, il est là, il est à rude épreuve, parce qu'ils ont des brûlures sur leur partie intime. Ils doivent même se mettre du plastique sur leur partie pour les protéger, parce que ça rentre. Et ces garçons, en fait, prennent le relais sur les femmes pour les sauvegarder. Donc, je trouve ça assez fort. Il y a une sorte de solidarité naturelle un entraide et en même temps, il y a ses corps. Finalement, ce liquide qui est sur le dos de ce jeune garçon, c'est un liquide volcanique, puisque le lac est situé sur un volcan. Le lac est assez profond, et donc ils plongent et ils vont chercher ces blocs qui sont enduits de ce liquide volcanique très ancien.

  • Speaker #0

    Ta particularité, c'est, je pense, deux choses. C'est que... c'est toi qui retravailles tes photos et qui tires tes photos en labo et c'est de la couleur et il y a des superpositions partout ou presque partout de la couleur, de la couleur et des superpositions des superpositions pourquoi ? est-ce que ça a un sens superposer ?

  • Speaker #1

    j'imagine que c'est pas qu'esthétique ouais c'est un sens c'est arrivé un peu spontanément en rentrant d'un voyage d'Inde avant mon projet « Woman of Fire » . Et je me suis dit « Ah, mais c'est fou ! » En fait, il n'y a pas assez d'explications dans une photo. Dans un portrait, je voudrais raconter plus de contexte et je voulais avoir du mouvement dans les images. Et en faisant des expérimentations sur ce projet en Inde que j'avais fait dans une tribu, les Marias, je me suis rendue compte qu'il y avait quelque chose qui pouvait s'apparenter à ce mouvement. et à ce dialogue de deux images qui pouvaient raconter plus d'éléments qu'un simple portrait dans une situation. Et en fait, rentrant de ce voyage et en découvrant cette nouvelle technique dans le labo dans lequel je tire, trois semaines après, je suis partie en Éthiopie. Et en fait, sur le terrain, j'ai commencé à anticiper des prises de vue qui mêlaient à la fois des aplats organiques. des peintures sur le corps de ces femmes, du végétal. Et du coup, en rentrant de ce voyage, j'ai commencé à expérimenter ça. Il y a tout un processus. Je crois que ça m'a pris à peu près un an pour sortir Woman of Fire et d'avoir vraiment débloqué cette technique de superposition et en même temps de jeu de lumière, parce que je fais des balais de lumière. Je danse avec mes mains dans le noir, avec tout plein d'ustensiles lumineux, pour créer ces dégradés et pour fondre ces superpositions. Donc je ne les fais pas à la prise de vue, mais je les fais après. Et c'est vrai que c'est un peu parfois de la chance, parce que je ne coupe pas mes négatifs, je les endommage un petit peu, donc souvent c'est des one-shots. Et j'essaye de répéter ces mouvements, mais chaque image a son mouvement. Donc c'est vrai qu'avec le temps, je ne pourrais pas me souvenir des mouvements que je fais. Donc elles sont quand même assez uniques, ces images. Et du coup, j'aime bien les superpositions. Après, c'est vrai qu'avec le temps, j'essaye un petit peu de... Sur les hommes en Ouganda, j'ai essayé d'en faire un peu moins. Et j'ai essayé de plus travailler les lumières. Et j'ai choisi, au lieu de travailler la couleur après en tirage, j'ai essayé de choisir les moments dans lesquels je voulais les prendre en photo, aux heures spécialement, donc le matin et le soir. D'où... From Dusk Till Dawn parce que en fait ces lumières étaient magnifiques sur ces corps Cette réflexion dans cette eau, etc. Et donc voilà, aujourd'hui, j'essaye un peu de balancer, de contrebalancer un petit peu et de revenir aussi à quelque chose de... Maintenant, je me suis rendue compte qu'en mettant une lumière à travers mon doigt, j'avais de nouvelles couleurs. Donc, j'utilise mon corps pour créer des dégradés bleus, verts. Donc voilà, j'expérimente à chaque nouvelle série. C'est vrai, c'est que c'est une teinte différente.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'on peut parler... des ou de la série sur laquelle tu travailles en ce moment. Est-ce qu'on peut partir en Inde ? J'ai l'impression que tu travailles en Inde en ce moment. Tu m'as envoyé deux extraits de vidéos, parce que tu fais de la vidéo aussi, sur les séries photos que tu es en train de réaliser en Inde. Les deux séries s'appellent Dancing to Resist et la seconde s'appelle The Monster of Gazipur. The Monster of Gazipur aborde la thématique de personnes indiennes qui vivent et qui travaillent sur des montagnes de détritus.

  • Speaker #1

    Sauf une grande montagne.

  • Speaker #0

    Sauf une grande montagne de détritus. Et la vidéo que tu m'as envoyée est hyper impactante parce qu'il y a un son très puissant. La musique est très parlante et te projette dans le truc. Et l'ouverture de la vidéo, on voit une femme indienne de dos avec une grande tresse. marcher, puis après on est tout au-dessus d'elle et on voit justement cet amas de détritus. J'aimerais en savoir un peu plus.

  • Speaker #1

    Bien sûr. C'est vrai que si je fais l'état des lieux, je voulais repartir en Inde parce que ça a été un élément assez fort de mon processus créatif. Et je voulais parler de collectifs, de femmes qui travaillent et qui survivent dans un lieu. très difficiles, mais en même temps qui se tirent vers le haut. Le collectif amène en fait à une sorte de résistance. Et donc j'ai fait deux projets, l'un où c'était sur ce monstre, enfin cette montagne géante, et l'autre dans une mine de charbon où ces filles dansent comme acte de résistance. C'est deux endroits très différents d'Inde, à des kilomètres, à des heures d'avion. Et en fait, ça traite de cette même puissance du groupe, de l'amitié. et de l'amour qui se transmet entre ces jeunes filles. Elles vivent en bas de cette montagne. C'est la poubelle de Daily. Tous les jours, il y a des tonnes et des tonnes qui sont envoyées. En fait, c'est devenu une sorte de montagne géante de détritus, de vêtements, d'objets en plastique. Elles vivent dessus et elles montent, elles gravissent. Clairement, c'est une montagne. Alors, il y a une sorte de problématique. toxiques, parce qu'il y a des vents toxiques qui balayent et qui ensuite se répercutent sur des kilomètres. Je l'appelle le monstre parce qu'il se digère de l'intérieur. Et donc voilà, c'est cette montagne, elle vive dessus et elle récupère des morceaux de plastique pour les vendre pour quelques centimes, juste comme recyclage. Donc voilà, elles sont là et tous les jours, elles cherchent un peu des trésors, peut-être des choses qui seraient passées inaperçues dans la poubelle et qu'elles pourraient revendre. plus cher que ces morceaux de plastique. Moi, j'ai eu beaucoup de mal à monter cette montagne. Mon cœur s'emballait très vite avec ces gaz toxiques. Et donc, c'était très difficile. Après, ça reste une poubelle, donc forcément, il y a plein d'insectes, des mouches. Il y a même des vaches qui ont gravi le truc et qui mangent du plastique. Donc, c'est un désastre écologique et parfois, elle s'enflamme. parce qu'en fait, avec ces émanations toxiques, il y a une sorte de feu un peu spontané. Je pense que c'est terrible en termes écologiques. Donc voilà, ces filles-là sont là et j'ai voulu, dans ces deux projets, amener le film à un peu plus d'histoire et d'immersion dans ces filles, en plus de mes photos. Alors, je travaillais avec un fixeur et je travaillais beaucoup le son. Le son, parce que dans mon enfance, c'est un peu comme ça. Ça a été quelque chose de très fort, parce que j'ai des souvenirs où finalement mon père me demandait de rester seule dans cette forêt la nuit. Il me disait « si tu entends des loups, il faut courir » . J'ai été vraiment... Je pense que ces violences, elles ont été aussi très sonores pour moi. Et donc, utiliser le film et l'amplifier...

  • Speaker #0

    et presque faire ressentir aux spectateurs ce que moi j'entends et comment je perçois les sons, ça a été hyper intéressant d'augmenter ces sons, d'augmenter les débits, comme je dis à mes monteurs, et de créer aussi des superpositions de sons comme mes images. Je vais aller... Alors pour The Monster Gazipure, en fait, j'ai entendu un son, une musique que j'ai mise dans ce film. Je ne sais pas si elle restera, peut-être qu'elle sera en vidéo. recomposer, mais j'ai contacté le musicien la semaine dernière et je lui ai dit en fait, je ne vois pas une autre musique que celle-ci pour mon film. Et il a accepté de travailler avec moi sur ce projet-là en tout cas. Donc je ne sais pas si on va recomposer ou utiliser ce son, mais en tout cas ce sera une collaboration avec cet artiste.

  • Speaker #1

    Mais le son d'introduction que j'ai entendu moi, qui je ne sais pas restera au final et qui...

  • Speaker #0

    C'est comme une alarme.

  • Speaker #1

    Ça résonne et... Encore plus fort quand tu racontes cette histoire de son dans la forêt avec ton père, toute seule, que ton père te faisait vivre. On a vraiment l'impression d'une alarme sur cette montagne de détritus avec cette femme indienne de dos. Et je vous la fais écouter 5 secondes.

  • Speaker #0

    Je voudrais juste dire un mot sur cet artiste. En fait, en discutant au détour de notre appel et notre échange, je lui ai raconté d'ailleurs mon histoire. Et j'aimais bien son travail très métallique, qui s'adapte hyper bien à cette vidéo.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu continues à travers tes voyages, tes séries photographiques et tes films, à travers ta création et ta créativité ? Est-ce que tu continues ? À chercher la famille idéale ? Ou est-ce que ta quête a changé avec ces projets ?

  • Speaker #0

    Ma quête, forcément, a changé, mais je cherche à retrouver un groupe. En fait, là où je me sens... J'ai cette sensation de liberté et de plénitude, c'est lorsque je suis acceptée dans un groupe qui soit, finalement, que ce soit la représentation de ma famille ou juste un groupe de jeunes femmes ou d'hommes. C'est ce moment-là où je vis avec eux, on se comprend et on essaye de créer quelque chose ensemble. L'Inde, c'est quelque chose de très fort et ces deux projets-là me tiennent énormément à cœur, notamment ces filles Dancing to Resist, ce projet qui va sortir et dont je fais le film, un court-métrage. Je vais retourner les voir pour finir mon film parce que j'ai cette sensation en moi où je me dis que je ne peux pas les laisser. Je ne peux pas les abandonner. Et elles m'ont tellement montré... En fait, elles sont, pour moi, la représentation de la résilience par excellence. Et elles se tirent vers le haut et elles dansent. Donc, elles travaillent dans une mine de charbon à ciel ouvert. Elles vont chercher ces gros cailloux qu'elles mettent sur la tête et elles montent et elles descendent toute la journée pour revendre ces morceaux. Et seulement ce qui leur reste, c'est ce groupe de filles qui dansent. le soir et donc elles m'ont inspirée et je voudrais que ce soit une inspiration pour le reste du monde parce qu'elles sont vraiment cette représentation et c'est vrai qu'en rentrant j'ai eu beaucoup de peine je me souviens marcher dans la rue et me dire mais qu'est-ce que je fais là pourquoi je suis pas restée avec elles en fait ma vie c'est d'accompagner en fait ces gens là et en fait grâce à un prix Kodak J'ai remporté le prix Kodak, je vais pouvoir retourner en Inde, finir mon projet photographique et mon film, mon documentaire. Donc je suis ravie et c'est vrai que ça m'a apaisée en fait. Et ouais, il y a toujours du sens, c'est toujours la famille, mais c'est à travers un groupe, un collectif. Et à chaque fois, il y a cette forme de réparation. Parfois je le sais avant, parfois je le comprends après. C'est ça qui est un peu intéressant aussi dans ce processus, c'est en tirant mes photos pendant six mois, je me dis putain, c'est vrai, c'est fou. quand même. Et donc, voilà. C'est tout un... Mais je pense que mon travail sera toujours à la recherche. Cette quête, en fait, de gens, de résilience, d'histoire.

  • Speaker #1

    De solidarité, de force collective.

  • Speaker #0

    De force, ouais.

  • Speaker #1

    C'est la force collective qui nous sauvera.

  • Speaker #0

    Bah ouais, je pense.

  • Speaker #1

    De ce monde un peu brutal, on peut le dire.

  • Speaker #0

    Exactement.

  • Speaker #1

    Surtout en ce moment. Qu'est-ce que je peux te souhaiter pour l'avenir ?

  • Speaker #0

    Bah, de... de continuer à comprendre le monde, à transmettre cette compréhension à travers mes images et de finir mes films. Je voudrais, j'ai hâte de les présenter et continuer à avancer et de vivre aussi de mon art. parce qu'on n'en parle pas beaucoup, mais c'est très, très difficile d'en vivre. Et moi, je n'en vis pas du tout de ça. Même si j'ai des collaborations, j'imagine que beaucoup de... En tout cas, quand je parle avec mes amis photographes, elles ont aussi cette même problématique. C'est vrai que ça reste quand même... On n'en parle pas assez, mais c'est difficile de vendre. Je trouve que... C'est un milieu assez fermé quand même, l'art, aujourd'hui. Quand je fais des lectures de portfolio, j'ai souvent des très bons retours, la plupart du temps. Mais aussi des retours un peu difficiles, parce que parfois, j'ai pas ma légitimité en tant qu'artiste à voyager dans certains pays, parce que je ne viens pas de ces pays. Et j'ai envie de parler de ça, parce que c'est quelque chose aussi que je vis, et je ne voudrais plus revivre ça. qu'on juge par rapport d'où je viens. Et je voudrais continuer à faire ces photos et qu'elles puissent être comprises partout dans le monde et de continuer à avoir ces thématiques universelles sur l'amour, la résilience, l'humanité et apporter de la poésie à ces histoires.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, Claudia.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #2

    Merci d'avoir écouté cet épisode. J'espère qu'il vous a plu. Si c'est le cas, partagez-le autour de vous et sur les réseaux sociaux. N'hésitez pas non plus à laisser un avis positif sur vos applications de podcast. Pour ne rien manquer de déclic, suivez-moi à atmaudebernose sur Instagram. Si vous avez des compliments, des critiques ou des réflexions, n'hésitez pas non plus, ça aide toujours. Merci enfin à la Cité Audacieuse pour son studio d'enregistrement. A bientôt !

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Description

Un podcast pour célébrer la force et l'unicité du regard féminin dans la photographie contemporaine.

J’ai découvert Claudia Revidat grâce au magazine Fish-eye qui a publié il y a quelques mois un article sur son travail. J’ai tout de suite été saisi par ses photographies, colorées. Ses tons si particuliers qui donnent aux images une temporalité spéciale. Comme si le soleil était en permanence en train de se coucher. Des teintes orangées, des superpositions et surtout une certaine idée de quiétude et de torpeur. En contemplant ses images, nous sommes tout de suite transportés dans un ailleurs poétique et délicat 😀

www.claudiarevidat.com


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    C'est la photographe Claudia Revida que je reçois aujourd'hui dans le studio d'enregistrement de la Cité Audacieuse. J'ai découvert Claudia grâce au magazine Ausha, qui a publié il y a quelques mois un article sur son travail. J'ai tout de suite été saisie par ses photographies colorées, ces tons si particuliers qui donnent aux images une temporalité spéciale, comme si le soleil était en permanence en train de se coucher, des teintes orangées, des superpositions, et surtout, une certaine idée de quiétude et de torpille. peur. En contemplant ces images, nous sommes tout de suite transportés dans un ailleurs poétique et délicat. La première fois que je l'ai contactée, Claudia était dans son laboratoire en train de développer. Elle m'a raconté son parcours en mentionnant brièvement et rapidement des violences subies dans son enfance. Je ne m'y attendais pas du tout, on ne s'y attend jamais, mais c'est une réalité longtemps tue qui s'élève chaque jour sous nos yeux. Et pourtant... Là n'est pas le sujet de son travail, et pourtant, très loin d'elle l'envie de s'apesantir là-dessus. Il me semble néanmoins important de le mentionner, car c'est un peu d'ici que surgit le désir de Claudia de s'évader, et son amour de l'ailleurs et des peuples résilients, autant d'éléments constitutifs de sa démarche photographique. Anaïs Houdard, invitée du précédent épisode, et Claudia Rovida ne se connaissent pas, et ont chacune leur cheminement. C'est en interviewant Claudia que j'ai pris conscience de correspondances entre elles. L'Afrique, l'Inde, des fils invisibles qui se tissent à travers la photographie. Aujourd'hui, je découvre qu'elles sont toutes les deux finalistes d'un même prix photographique, celui des rencontres de Boulogne-Biancourt 2025. J'aime ces hasards et ces rencontres. Claudia entre dans le studio, grande, élégante et souriante. Bonjour Claudia.

  • Speaker #1

    Bonjour Maud.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu peux me dire ce qui t'empêche de dormir à la nuit ?

  • Speaker #1

    Ce qui m'empêche de dormir à la nuit ? Je pense que c'est mes voix. C'est les voix dans ma tête. J'ai plein de discussions entre peut-être toutes mes personnalités. Elles conversent ensemble et elles essayent de trouver du sens dans ce que je fais dans ma vie. Et c'est vrai que le matin, je me réveille et je prends mon téléphone et je note tout ce que j'ai. C'est clairement, parfois, je me dis, mais c'est des paysages de Dali, mais en même temps avec des gens et des discussions. C'est très étrange. Je note ces choses, je ne les relis pas tant que ça. C'est des rêves et ensuite, ça devient du noir et c'est juste des voix. C'est des voix qui répètent en boucle des mots, des mots que j'ai entendus dans la semaine. C'est des réflexions, c'est des questionnements aussi. C'est des questions qui reviennent en boucle. Et du coup, ça me réveille. Et je me dis, mais pourquoi ce mot-là ? Et j'essaye de prendre ces phrases et de les analyser.

  • Speaker #0

    D'où viens-tu et comment la photographie est-elle arrivée dans ta vie ?

  • Speaker #1

    Alors, je suis née à Cannes et j'ai grandi à Paris. La photo est arrivée assez jeune parce que mon père est un grand collectionneur d'appareils photo, collectionne les Lekas. C'est vrai que j'ai grandi avec ces appareils. Mon père me demandait de les remonter. Il m'apprenait un peu le côté mécanique, l'aspect mécanique, mais un peu moins les prises de vue. C'est vrai que je partais beaucoup en voyage avec mes parents, donc j'emportais ces appareils. J'avais cette démarche un petit peu, mais je ne m'étais jamais projetée dans l'idée de... d'en faire ça professionnellement. J'ai grandi comme ça. Après, c'est vrai que mes premières photos, c'était en Égypte. On avait fait un trekking dans le désert du Sinaï. Et j'avais fait mon premier album de bédouins dans le désert. Donc ça, c'est mon premier souvenir photographique qui évoque d'ailleurs le voyage. Et ensuite, après mon parcours professionnel, enfin scolaire, moi j'ai étudié la publicité. J'ai fait des écoles de publicité dans la direction artistique. D'ailleurs, je suis toujours directrice artistique dans le monde du luxe et de la beauté.

  • Speaker #0

    Donc tu n'as pas fait d'école photographique à proprement parler ?

  • Speaker #1

    Non, je n'ai pas fait d'école photographique, mais avec du recul, je me souviens que j'en ai fait une quand même. Je ne sais pas pourquoi, je l'ai complètement occulté. J'étais allée dans une école... En fait, j'avais mon master. Après mon master, dans une école de pub, j'ai quand même voulu, sous la discussion avec un producteur, parce que j'étais assistante de Jean-Baptiste Mondino, et je voulais vraiment être photographe. Et un producteur, donc son producteur, m'a dit « Ce serait quand même bien que tu fasses une école de photo quand même. » Donc du coup, j'ai suivi un peu son conseil et j'ai fait une école de photo. Je ne sais pas si je peux dire le nom, mais je suis partie très vite. C'est vrai que je suis partie en milieu d'année, parce que c'était très difficile. Les gens venaient d'avoir leur bac, moi j'avais mon master, donc il y avait un vrai décalage. Mais les cours que j'appréciais le plus, c'était le développement, le labo, ces photos à la chambre. Après, les thématiques, j'étais un peu... En fait, je ne voulais faire que ce que j'avais envie, et ça ne plaisait pas trop au directeur et à mes professeurs. Donc, du jour au lendemain, je suis partie. de cette école et je suis partie ensuite six mois à Tokyo. J'avais l'impression que j'avais déjà mon identité. Je pense que c'était trop tard en fait, j'aurais dû le faire avant.

  • Speaker #0

    Et t'es partie à Tokyo pour photographier ou pas du tout ? Si, pour photographier ou pour chercher quelque chose.

  • Speaker #1

    À ce moment-là, c'était pour photographier et rassurer ma mère aussi sur le fait que j'allais finir mon école. Finalement, j'allais faire l'école de la vie, j'allais partir. découvrir un pays et en même temps essayer de devenir photographe ailleurs. J'avais aussi des contacts là-bas. J'avais un ami qui était mannequin franco-japonais. Donc, en fait, on a fait une team ensemble où on allait voir les magazines. On essayait de faire des éditos, on essayait de faire des séries photos. Et c'est vrai que ça a été comme une muse, en fait, ce garçon. Et on a passé beaucoup de temps à Tokyo. Mais c'est vrai que je suis rentrée à Paris. Et je me suis dit, ah ! Je me sentais seule au bout d'un moment. Il y a ce truc à Tokyo un peu difficile, où on est dans une jungle urbaine, mais en même temps, il y a une solitude absolue. Et je le ressentais beaucoup.

  • Speaker #0

    J'ai l'impression que tu es une grande voyageuse. En tout cas, je sais que tu es photographe et voyageuse. Et je t'ai contactée la première fois pour cette conversation parce que j'avais envie d'enregistrer un épisode un peu soft, un peu au niveau... contenu et thématique, parce que les derniers épisodes que j'avais enregistrés étaient un peu denses et que j'avais été particulièrement happée et attirée par l'esthétique de tes photos, par les couleurs, par les superpositions, enfin je trouvais que c'était très beau et très joyeux et au cours de notre premier contact tu as résumé ton chemin très très rapidement en disant que tu en étais là parce que tu avais subi des violences dans ta jeunesse et que tu étais arrivée à la photo. et tout ce que tu voulais exprimer avec la photo venait de ces violences aussi. Et j'ai été perturbée parce que je ne m'attendais pas du tout à ça. Et en fait, je me dis que finalement, c'est une thématique qui revient. Du coup, est-ce que tu peux m'en dire un peu plus sur ce parcours et l'arrivée ou la réparation à travers la photo ? Parce que tu m'as parlé de réparation. Oui,

  • Speaker #1

    ok. C'est vrai que j'ai toujours été hyper pudique sur mon passé et ces violences domestiques. que j'ai vécu plus jeune. Et ça m'a pris du temps, en fait, à comprendre le sens de mes projets artistiques, pourquoi je les faisais, ma démarche, et pourquoi je faisais autant de voyages, pourquoi j'avais autant envie de partir le plus loin possible, d'être coupée, en fait, du monde, de mon monde à moi, et de partir dans un autre monde. Et alors, le point de départ de mes voyages, ça a été la Mongolie. Je m'étais dit, après mes études, après mon voyage à Tokyo, je me suis dit, je vais partir en Mongolie. Je voulais découvrir ces gens au bout du monde et essayer de vivre leur vie, en fait. Et après plein de voyages, je dirais une dizaine, en immersion dans les communautés, autant en Afrique qu'en Inde, qu'au Sri Lanka, et par un travail aussi psychologique, de thérapie. comme l'EMDR, je me suis rendue compte qu'en fait, ces voyages avaient un sens. C'était ma réparation et ma recherche d'une famille idéale, en fait, au bout du monde. Je pense que les voyages étaient pour moi nécessaires et viscérales pour créer une sorte de rupture entre ce que j'ai vécu et aller chercher en fait une sorte de pureté au bout du monde où les gens ne jugent pas forcément. Ils sont là, ils te prennent comme tu es. et il te donne beaucoup. Parce qu'en fait, dans ces communautés, notamment en Mongolie, Ça m'a beaucoup marquée. D'ailleurs, c'est vrai que j'ai pas forcément... J'ai revécu d'autres choses différentes. Mais ces communautés, elles ont une douceur. J'avais eu un accident d'ailleurs de cheval. Il y avait des hommes qui m'avaient essayé de me rassurer. Ils me chantaient des choses pour pas que j'aie peur sur un cheval, etc. Donc voilà, ma volonté, c'était d'utiliser ces voyages comme réparation, comme compréhension du monde. pour à la fois parler de moi, mais aussi des problématiques. Mais c'est vrai que pendant dix ans, j'ai plus parlé de leurs problématiques sans vraiment me rendre compte que je parlais de moi. Et du coup, l'Ethiopie, donc mon projet Women of Fire, a été vraiment ce moment où j'ai eu une sorte de révélation, en fait. Parce que je parlais de ces femmes qui vivaient des violences dans cette communauté.

  • Speaker #0

    Oui, est-ce que tu peux... Expliquez-moi le synopsis de Woman of Fire, parce que c'est important pour les auditeurs.

  • Speaker #1

    Le synopsis de Woman of Fire, c'est l'histoire de ces femmes mursies, une tribu dans la vallée de Lomo en Éthiopie. Et comme signe de respect, elles doivent se faire battre face à ces hommes de la communauté. C'est quand même une communauté polygame. La première femme a le droit de choisir les suivantes. Elle les choisit en fonction un petit peu de leur... Si elles sont robustes, si elles vont pouvoir assumer le foyer, si jamais elle, il leur arrive quelque chose. Et après, la première aussi femme a le droit de porter des bijoux. Elle porte un bijou assez imposant autour du cou. Et donc ces femmes, en signe de respect, elles doivent se faire battre avec des bâtons en bambou par les hommes. donc elles ont des vraiment, moi ça m'a marqué elles avaient des cicatrices très fortes, elles étaient complètement lacérées elles avaient des cicatrices sur tout le corps et notamment le dos et j'ai vu ça, et j'ai vu aussi leur regard et en fait c'est dans leur regard que je me suis vue aussi et ça a été très fort, ça a été vraiment très puissant, il y a eu une sorte de Alors, je ne sais pas, on ne parle pas du tout la même langue. J'ai la chance parfois d'avoir des traducteurs. J'essaye aussi d'apprendre un peu les bases dans des livres ethnologiques. Mais c'est dans leur regard qu'on s'est compris, qu'on s'est entendu. Il y a eu quelque chose de très fort, en fait, sans langage. Et c'est vrai que ça a été un point de départ très fort. Et donc, c'est pour ça aussi que je l'ai appelé Woman of Fire. C'est cette histoire de ces guerrières qui ne sont pas vues comme... comme des guerrières au sein de leur communauté, mais j'ai voulu les montrer comme telles.

  • Speaker #0

    Et dans ces regards, parce que tu disais que tu étais partie en Mongolie, essayer de trouver une espèce de famille idéale et de douceur, et c'est ce que tu as trouvé dans le regard de ces femmes éthiopiennes ?

  • Speaker #1

    J'ai retrouvé de la sororité, en fait. Une sorte de compréhension naturelle. Je voyais la peur qu'elles avaient dans leurs regards, mais en même temps... Elles m'ont adoptée. Alors, c'est sûr que quand j'arrive, en général, dans les tribus, elles ne m'attendent jamais. Il y a tout un processus aussi de discuter avec elles. En l'occurrence, c'est une tribu qui a des problèmes d'alcool. La plupart des tribus ont ce genre de soucis. La plupart du monde.

  • Speaker #0

    Oui,

  • Speaker #1

    la plupart du monde, dans notre monde actuel. Oui, dans notre monde actuel. Et du coup, je pouvais les prendre en photo que le matin, quand les hommes dormaient. Et donc, j'avais vraiment... tout l'espace pour être avec ces femmes. Et c'est vrai que dans leur manière d'être, dans leur regard, on s'est compris, on a eu une sorte de discussion. En tout cas, moi, ça a été un flash. Et puis c'est en touchant, en voyant ces blessures qui sont hyper épaisses, que j'ai compris que vraiment, elles ont souffré, que c'était compliqué parce qu'elles ont beaucoup de travail. Elles doivent assumer le foyer, aller dans les champs. à les vendre aussi ce qu'elles récoltent. Elles récoltent du sorgho, qui est une sorte de blé. Donc elles endurent beaucoup de choses, tandis que les hommes finalement, ils restent, ils dorment. Ils battent. Et en fait, lors de ces rituels d'ailleurs, ces femmes rentrent en transe. Elles deviennent, alors parfois certaines succombent en fait. C'est assez fort. En général, les hommes essayent quand même de rester... Enfin, ce n'est pas le but. Le but, c'est juste de les faire se soumettre à ces hommes, qu'elles soient plus dociles et qu'elles respectent les demandes de ces hommes.

  • Speaker #0

    Toutes les photos sont très colorées, très belles, très colorées, superposées. Et j'ai remarqué dans cette série particulièrement une photo, une seule, en noir et blanc.

  • Speaker #1

    Ah oui, c'est vrai.

  • Speaker #0

    J'ai remarqué ça dans plusieurs de tes séries, mais tout d'un coup, il y a une photo en noir et blanc au milieu de ces aquarelles de couleurs. Pour Woman of Fire, c'est une photo de... peau avec des cicatrices énormes. Donc maintenant, je pense avoir compris ce que tu m'as expliqué avant. Et au milieu de tes séries, il y a aussi souvent une photo. Les photos horizontales sont à la verticale. Dans ton site, la façon de présenter les photos, il y a toujours ou souvent une photo en noir et blanc au milieu et cette espèce de horizontalité verticale. Est-ce que c'est fait exprès ? Est-ce que tu ne veux pas mettre les photos horizontales à l'horizontale ? Ça m'a questionnée.

  • Speaker #1

    C'est vrai que j'aime bien faire ça. Et d'ailleurs, parfois, quand je fais les lectures de portfolio, on me remet toujours à l'endroit mes photos et je les remets toujours dans le sens que je le vois.

  • Speaker #0

    À l'envers ? À l'envers,

  • Speaker #1

    oui. C'est parce que je pense, quand je fais des photos, je fais des photos où je me mets dans plein de positions différentes et je vais aller regarder, viser avec mes appareils photos dans des postures. Et en fait, je pense que quand je fais ces photos-là, elles sont faites dans ce sens-là. Parce que je les trouve plus fortes, en fait.

  • Speaker #0

    Tu conserves l'angle ?

  • Speaker #1

    L'angle dans lequel je prends la photo. Carrément.

  • Speaker #0

    C'est la première fois que je vois ça. C'est intéressant. Et la photo noire et blanc, pourquoi cette cicatrice ? Pour la faire ressortir ?

  • Speaker #1

    Parce que je pense qu'en fait, elle n'a pas besoin d'avoir de couleur. Elle est déjà évocatrice telle qu'elle est. C'est vrai que pour Woman on Fire, j'ai déclenché un style artistique que je n'avais jamais fait avant, qui vient d'une longue réflexion de tous ces voyages, qui est un peu le résultat. Et du coup, j'ai voulu retranscrire mes émotions, les émotions de ces femmes, à travers des couleurs, en utilisant des dégradés et plein de gestuels, qui justement créent ces... C'est rouge très fort, c'est jaune très fort. Mais là, pour celle-ci, je voulais la laisser telle qu'elle était en noir et blanc. C'est vrai que j'ai du mal à donner vraiment un sens, mais je la vois comme ça. Je trouve qu'elle n'a pas besoin d'être réajustée. Elle se suffit à elle-même.

  • Speaker #0

    C'est une évidence.

  • Speaker #1

    Oui, voilà.

  • Speaker #0

    C'est souvent des évidences, la photo et la vie.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    J'ai aussi en tête une série en Ouganda, où tu as photographié les travailleurs du lac Katwe.

  • Speaker #1

    Oui, exactement. Dans une mine de sel.

  • Speaker #0

    Dans une mine de sel. Là, il n'y a que des hommes.

  • Speaker #1

    Oui. Pourquoi ?

  • Speaker #0

    Parce que j'ai lu par ailleurs que c'était beaucoup, beaucoup, beaucoup les femmes qui travaillaient aussi dans ce lac.

  • Speaker #1

    C'est vrai que dans le lac Katwe, il y a des femmes, mais en réalité... Il y a quand même majoritairement des hommes, et souvent c'est des prisonniers. J'ai vu beaucoup de prisonniers travailler, beaucoup moins de femmes. Après avoir fait Woman of Fire et d'avoir révélé mon histoire, même si j'ai toujours un peu ce truc de ne pas vouloir trop évoquer ces violences que j'ai vécues, toujours avec un peu de pudeur, mais c'est vrai que ça a été très réparateur pour moi de parler de ça, et j'avais envie de contrebalancer, parce que je n'ai pas envie d'avoir forcément... cette étiquette et j'ai envie aussi de laisser la parole à d'autres problématiques dans différentes communautés. Et j'avais envie aussi de rester dans un groupe avec des hommes pour voir ce que c'est, puisque j'avais fait l'étupie avec ces femmes. Là, j'ai parlé de ces adolescents qui travaillent et qui finalement sont condamnés, puisqu'en fait, en s'immergeant dans l'eau, ils vont avoir des problématiques de fertilité. Et je trouvais que c'était assez fort parce que ça parlait de blessures, mais finalement qui étaient invisibles. Et c'est vrai que je pense que c'est aussi important de laisser la parole aussi à ces hommes. Et en tout cas, moi, ça m'avait vraiment marquée. Et j'avais vraiment cette volonté de parler de ces problèmes-là, parce qu'ils mettent tout plein de produits chimiques toxiques pour accélérer la saumure de ce sel. Et ces hommes vont plonger, parfois ils perdent la vue. Enfin, on voit bien que leur expérience... espérance de vie est très faible. Et avec ces problèmes de fertilité, du coup, je pense qu'à terme, cette communauté va avoir des problématiques et peut-être même disparaître.

  • Speaker #0

    C'est étonnant que tu dises ça et ça ne m'étonne pas en même temps parce que c'est une série que je trouve très sensuelle. On sent beaucoup le contact de la peau. Oui, c'est vrai. Il y a une photo particulière d'un dos. Alors, je ne sais pas si c'est un enfant ou un ado ou un adulte. C'est difficile parce qu'il est de dos. Mais on voit la peau noire et puis le sel qui a séché sur sa peau. C'est une série tactile. Il y a pas mal de clairs obscurs aussi. Oui. C'est une série très douce ?

  • Speaker #1

    Oui, parce que j'ai trouvé qu'ils étaient d'une résilience assez incroyable, en fait. Je les ai vus, c'était une bande d'ados. Ils sont cousins, frères, et ils sont là, et ils aident leur père qui a un problème de vue. Ils sont très solidaires, et en fait, ils avaient une douceur dans leur regard, presque comme... finalement, comme ces femmes en Éthiopie. Et c'est vrai qu'il y a ce corps, parce que le corps, il travaille, il est là, il est à rude épreuve, parce qu'ils ont des brûlures sur leur partie intime. Ils doivent même se mettre du plastique sur leur partie pour les protéger, parce que ça rentre. Et ces garçons, en fait, prennent le relais sur les femmes pour les sauvegarder. Donc, je trouve ça assez fort. Il y a une sorte de solidarité naturelle un entraide et en même temps, il y a ses corps. Finalement, ce liquide qui est sur le dos de ce jeune garçon, c'est un liquide volcanique, puisque le lac est situé sur un volcan. Le lac est assez profond, et donc ils plongent et ils vont chercher ces blocs qui sont enduits de ce liquide volcanique très ancien.

  • Speaker #0

    Ta particularité, c'est, je pense, deux choses. C'est que... c'est toi qui retravailles tes photos et qui tires tes photos en labo et c'est de la couleur et il y a des superpositions partout ou presque partout de la couleur, de la couleur et des superpositions des superpositions pourquoi ? est-ce que ça a un sens superposer ?

  • Speaker #1

    j'imagine que c'est pas qu'esthétique ouais c'est un sens c'est arrivé un peu spontanément en rentrant d'un voyage d'Inde avant mon projet « Woman of Fire » . Et je me suis dit « Ah, mais c'est fou ! » En fait, il n'y a pas assez d'explications dans une photo. Dans un portrait, je voudrais raconter plus de contexte et je voulais avoir du mouvement dans les images. Et en faisant des expérimentations sur ce projet en Inde que j'avais fait dans une tribu, les Marias, je me suis rendue compte qu'il y avait quelque chose qui pouvait s'apparenter à ce mouvement. et à ce dialogue de deux images qui pouvaient raconter plus d'éléments qu'un simple portrait dans une situation. Et en fait, rentrant de ce voyage et en découvrant cette nouvelle technique dans le labo dans lequel je tire, trois semaines après, je suis partie en Éthiopie. Et en fait, sur le terrain, j'ai commencé à anticiper des prises de vue qui mêlaient à la fois des aplats organiques. des peintures sur le corps de ces femmes, du végétal. Et du coup, en rentrant de ce voyage, j'ai commencé à expérimenter ça. Il y a tout un processus. Je crois que ça m'a pris à peu près un an pour sortir Woman of Fire et d'avoir vraiment débloqué cette technique de superposition et en même temps de jeu de lumière, parce que je fais des balais de lumière. Je danse avec mes mains dans le noir, avec tout plein d'ustensiles lumineux, pour créer ces dégradés et pour fondre ces superpositions. Donc je ne les fais pas à la prise de vue, mais je les fais après. Et c'est vrai que c'est un peu parfois de la chance, parce que je ne coupe pas mes négatifs, je les endommage un petit peu, donc souvent c'est des one-shots. Et j'essaye de répéter ces mouvements, mais chaque image a son mouvement. Donc c'est vrai qu'avec le temps, je ne pourrais pas me souvenir des mouvements que je fais. Donc elles sont quand même assez uniques, ces images. Et du coup, j'aime bien les superpositions. Après, c'est vrai qu'avec le temps, j'essaye un petit peu de... Sur les hommes en Ouganda, j'ai essayé d'en faire un peu moins. Et j'ai essayé de plus travailler les lumières. Et j'ai choisi, au lieu de travailler la couleur après en tirage, j'ai essayé de choisir les moments dans lesquels je voulais les prendre en photo, aux heures spécialement, donc le matin et le soir. D'où... From Dusk Till Dawn parce que en fait ces lumières étaient magnifiques sur ces corps Cette réflexion dans cette eau, etc. Et donc voilà, aujourd'hui, j'essaye un peu de balancer, de contrebalancer un petit peu et de revenir aussi à quelque chose de... Maintenant, je me suis rendue compte qu'en mettant une lumière à travers mon doigt, j'avais de nouvelles couleurs. Donc, j'utilise mon corps pour créer des dégradés bleus, verts. Donc voilà, j'expérimente à chaque nouvelle série. C'est vrai, c'est que c'est une teinte différente.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'on peut parler... des ou de la série sur laquelle tu travailles en ce moment. Est-ce qu'on peut partir en Inde ? J'ai l'impression que tu travailles en Inde en ce moment. Tu m'as envoyé deux extraits de vidéos, parce que tu fais de la vidéo aussi, sur les séries photos que tu es en train de réaliser en Inde. Les deux séries s'appellent Dancing to Resist et la seconde s'appelle The Monster of Gazipur. The Monster of Gazipur aborde la thématique de personnes indiennes qui vivent et qui travaillent sur des montagnes de détritus.

  • Speaker #1

    Sauf une grande montagne.

  • Speaker #0

    Sauf une grande montagne de détritus. Et la vidéo que tu m'as envoyée est hyper impactante parce qu'il y a un son très puissant. La musique est très parlante et te projette dans le truc. Et l'ouverture de la vidéo, on voit une femme indienne de dos avec une grande tresse. marcher, puis après on est tout au-dessus d'elle et on voit justement cet amas de détritus. J'aimerais en savoir un peu plus.

  • Speaker #1

    Bien sûr. C'est vrai que si je fais l'état des lieux, je voulais repartir en Inde parce que ça a été un élément assez fort de mon processus créatif. Et je voulais parler de collectifs, de femmes qui travaillent et qui survivent dans un lieu. très difficiles, mais en même temps qui se tirent vers le haut. Le collectif amène en fait à une sorte de résistance. Et donc j'ai fait deux projets, l'un où c'était sur ce monstre, enfin cette montagne géante, et l'autre dans une mine de charbon où ces filles dansent comme acte de résistance. C'est deux endroits très différents d'Inde, à des kilomètres, à des heures d'avion. Et en fait, ça traite de cette même puissance du groupe, de l'amitié. et de l'amour qui se transmet entre ces jeunes filles. Elles vivent en bas de cette montagne. C'est la poubelle de Daily. Tous les jours, il y a des tonnes et des tonnes qui sont envoyées. En fait, c'est devenu une sorte de montagne géante de détritus, de vêtements, d'objets en plastique. Elles vivent dessus et elles montent, elles gravissent. Clairement, c'est une montagne. Alors, il y a une sorte de problématique. toxiques, parce qu'il y a des vents toxiques qui balayent et qui ensuite se répercutent sur des kilomètres. Je l'appelle le monstre parce qu'il se digère de l'intérieur. Et donc voilà, c'est cette montagne, elle vive dessus et elle récupère des morceaux de plastique pour les vendre pour quelques centimes, juste comme recyclage. Donc voilà, elles sont là et tous les jours, elles cherchent un peu des trésors, peut-être des choses qui seraient passées inaperçues dans la poubelle et qu'elles pourraient revendre. plus cher que ces morceaux de plastique. Moi, j'ai eu beaucoup de mal à monter cette montagne. Mon cœur s'emballait très vite avec ces gaz toxiques. Et donc, c'était très difficile. Après, ça reste une poubelle, donc forcément, il y a plein d'insectes, des mouches. Il y a même des vaches qui ont gravi le truc et qui mangent du plastique. Donc, c'est un désastre écologique et parfois, elle s'enflamme. parce qu'en fait, avec ces émanations toxiques, il y a une sorte de feu un peu spontané. Je pense que c'est terrible en termes écologiques. Donc voilà, ces filles-là sont là et j'ai voulu, dans ces deux projets, amener le film à un peu plus d'histoire et d'immersion dans ces filles, en plus de mes photos. Alors, je travaillais avec un fixeur et je travaillais beaucoup le son. Le son, parce que dans mon enfance, c'est un peu comme ça. Ça a été quelque chose de très fort, parce que j'ai des souvenirs où finalement mon père me demandait de rester seule dans cette forêt la nuit. Il me disait « si tu entends des loups, il faut courir » . J'ai été vraiment... Je pense que ces violences, elles ont été aussi très sonores pour moi. Et donc, utiliser le film et l'amplifier...

  • Speaker #0

    et presque faire ressentir aux spectateurs ce que moi j'entends et comment je perçois les sons, ça a été hyper intéressant d'augmenter ces sons, d'augmenter les débits, comme je dis à mes monteurs, et de créer aussi des superpositions de sons comme mes images. Je vais aller... Alors pour The Monster Gazipure, en fait, j'ai entendu un son, une musique que j'ai mise dans ce film. Je ne sais pas si elle restera, peut-être qu'elle sera en vidéo. recomposer, mais j'ai contacté le musicien la semaine dernière et je lui ai dit en fait, je ne vois pas une autre musique que celle-ci pour mon film. Et il a accepté de travailler avec moi sur ce projet-là en tout cas. Donc je ne sais pas si on va recomposer ou utiliser ce son, mais en tout cas ce sera une collaboration avec cet artiste.

  • Speaker #1

    Mais le son d'introduction que j'ai entendu moi, qui je ne sais pas restera au final et qui...

  • Speaker #0

    C'est comme une alarme.

  • Speaker #1

    Ça résonne et... Encore plus fort quand tu racontes cette histoire de son dans la forêt avec ton père, toute seule, que ton père te faisait vivre. On a vraiment l'impression d'une alarme sur cette montagne de détritus avec cette femme indienne de dos. Et je vous la fais écouter 5 secondes.

  • Speaker #0

    Je voudrais juste dire un mot sur cet artiste. En fait, en discutant au détour de notre appel et notre échange, je lui ai raconté d'ailleurs mon histoire. Et j'aimais bien son travail très métallique, qui s'adapte hyper bien à cette vidéo.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu continues à travers tes voyages, tes séries photographiques et tes films, à travers ta création et ta créativité ? Est-ce que tu continues ? À chercher la famille idéale ? Ou est-ce que ta quête a changé avec ces projets ?

  • Speaker #0

    Ma quête, forcément, a changé, mais je cherche à retrouver un groupe. En fait, là où je me sens... J'ai cette sensation de liberté et de plénitude, c'est lorsque je suis acceptée dans un groupe qui soit, finalement, que ce soit la représentation de ma famille ou juste un groupe de jeunes femmes ou d'hommes. C'est ce moment-là où je vis avec eux, on se comprend et on essaye de créer quelque chose ensemble. L'Inde, c'est quelque chose de très fort et ces deux projets-là me tiennent énormément à cœur, notamment ces filles Dancing to Resist, ce projet qui va sortir et dont je fais le film, un court-métrage. Je vais retourner les voir pour finir mon film parce que j'ai cette sensation en moi où je me dis que je ne peux pas les laisser. Je ne peux pas les abandonner. Et elles m'ont tellement montré... En fait, elles sont, pour moi, la représentation de la résilience par excellence. Et elles se tirent vers le haut et elles dansent. Donc, elles travaillent dans une mine de charbon à ciel ouvert. Elles vont chercher ces gros cailloux qu'elles mettent sur la tête et elles montent et elles descendent toute la journée pour revendre ces morceaux. Et seulement ce qui leur reste, c'est ce groupe de filles qui dansent. le soir et donc elles m'ont inspirée et je voudrais que ce soit une inspiration pour le reste du monde parce qu'elles sont vraiment cette représentation et c'est vrai qu'en rentrant j'ai eu beaucoup de peine je me souviens marcher dans la rue et me dire mais qu'est-ce que je fais là pourquoi je suis pas restée avec elles en fait ma vie c'est d'accompagner en fait ces gens là et en fait grâce à un prix Kodak J'ai remporté le prix Kodak, je vais pouvoir retourner en Inde, finir mon projet photographique et mon film, mon documentaire. Donc je suis ravie et c'est vrai que ça m'a apaisée en fait. Et ouais, il y a toujours du sens, c'est toujours la famille, mais c'est à travers un groupe, un collectif. Et à chaque fois, il y a cette forme de réparation. Parfois je le sais avant, parfois je le comprends après. C'est ça qui est un peu intéressant aussi dans ce processus, c'est en tirant mes photos pendant six mois, je me dis putain, c'est vrai, c'est fou. quand même. Et donc, voilà. C'est tout un... Mais je pense que mon travail sera toujours à la recherche. Cette quête, en fait, de gens, de résilience, d'histoire.

  • Speaker #1

    De solidarité, de force collective.

  • Speaker #0

    De force, ouais.

  • Speaker #1

    C'est la force collective qui nous sauvera.

  • Speaker #0

    Bah ouais, je pense.

  • Speaker #1

    De ce monde un peu brutal, on peut le dire.

  • Speaker #0

    Exactement.

  • Speaker #1

    Surtout en ce moment. Qu'est-ce que je peux te souhaiter pour l'avenir ?

  • Speaker #0

    Bah, de... de continuer à comprendre le monde, à transmettre cette compréhension à travers mes images et de finir mes films. Je voudrais, j'ai hâte de les présenter et continuer à avancer et de vivre aussi de mon art. parce qu'on n'en parle pas beaucoup, mais c'est très, très difficile d'en vivre. Et moi, je n'en vis pas du tout de ça. Même si j'ai des collaborations, j'imagine que beaucoup de... En tout cas, quand je parle avec mes amis photographes, elles ont aussi cette même problématique. C'est vrai que ça reste quand même... On n'en parle pas assez, mais c'est difficile de vendre. Je trouve que... C'est un milieu assez fermé quand même, l'art, aujourd'hui. Quand je fais des lectures de portfolio, j'ai souvent des très bons retours, la plupart du temps. Mais aussi des retours un peu difficiles, parce que parfois, j'ai pas ma légitimité en tant qu'artiste à voyager dans certains pays, parce que je ne viens pas de ces pays. Et j'ai envie de parler de ça, parce que c'est quelque chose aussi que je vis, et je ne voudrais plus revivre ça. qu'on juge par rapport d'où je viens. Et je voudrais continuer à faire ces photos et qu'elles puissent être comprises partout dans le monde et de continuer à avoir ces thématiques universelles sur l'amour, la résilience, l'humanité et apporter de la poésie à ces histoires.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, Claudia.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #2

    Merci d'avoir écouté cet épisode. J'espère qu'il vous a plu. Si c'est le cas, partagez-le autour de vous et sur les réseaux sociaux. N'hésitez pas non plus à laisser un avis positif sur vos applications de podcast. Pour ne rien manquer de déclic, suivez-moi à atmaudebernose sur Instagram. Si vous avez des compliments, des critiques ou des réflexions, n'hésitez pas non plus, ça aide toujours. Merci enfin à la Cité Audacieuse pour son studio d'enregistrement. A bientôt !

Description

Un podcast pour célébrer la force et l'unicité du regard féminin dans la photographie contemporaine.

J’ai découvert Claudia Revidat grâce au magazine Fish-eye qui a publié il y a quelques mois un article sur son travail. J’ai tout de suite été saisi par ses photographies, colorées. Ses tons si particuliers qui donnent aux images une temporalité spéciale. Comme si le soleil était en permanence en train de se coucher. Des teintes orangées, des superpositions et surtout une certaine idée de quiétude et de torpeur. En contemplant ses images, nous sommes tout de suite transportés dans un ailleurs poétique et délicat 😀

www.claudiarevidat.com


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    C'est la photographe Claudia Revida que je reçois aujourd'hui dans le studio d'enregistrement de la Cité Audacieuse. J'ai découvert Claudia grâce au magazine Ausha, qui a publié il y a quelques mois un article sur son travail. J'ai tout de suite été saisie par ses photographies colorées, ces tons si particuliers qui donnent aux images une temporalité spéciale, comme si le soleil était en permanence en train de se coucher, des teintes orangées, des superpositions, et surtout, une certaine idée de quiétude et de torpille. peur. En contemplant ces images, nous sommes tout de suite transportés dans un ailleurs poétique et délicat. La première fois que je l'ai contactée, Claudia était dans son laboratoire en train de développer. Elle m'a raconté son parcours en mentionnant brièvement et rapidement des violences subies dans son enfance. Je ne m'y attendais pas du tout, on ne s'y attend jamais, mais c'est une réalité longtemps tue qui s'élève chaque jour sous nos yeux. Et pourtant... Là n'est pas le sujet de son travail, et pourtant, très loin d'elle l'envie de s'apesantir là-dessus. Il me semble néanmoins important de le mentionner, car c'est un peu d'ici que surgit le désir de Claudia de s'évader, et son amour de l'ailleurs et des peuples résilients, autant d'éléments constitutifs de sa démarche photographique. Anaïs Houdard, invitée du précédent épisode, et Claudia Rovida ne se connaissent pas, et ont chacune leur cheminement. C'est en interviewant Claudia que j'ai pris conscience de correspondances entre elles. L'Afrique, l'Inde, des fils invisibles qui se tissent à travers la photographie. Aujourd'hui, je découvre qu'elles sont toutes les deux finalistes d'un même prix photographique, celui des rencontres de Boulogne-Biancourt 2025. J'aime ces hasards et ces rencontres. Claudia entre dans le studio, grande, élégante et souriante. Bonjour Claudia.

  • Speaker #1

    Bonjour Maud.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu peux me dire ce qui t'empêche de dormir à la nuit ?

  • Speaker #1

    Ce qui m'empêche de dormir à la nuit ? Je pense que c'est mes voix. C'est les voix dans ma tête. J'ai plein de discussions entre peut-être toutes mes personnalités. Elles conversent ensemble et elles essayent de trouver du sens dans ce que je fais dans ma vie. Et c'est vrai que le matin, je me réveille et je prends mon téléphone et je note tout ce que j'ai. C'est clairement, parfois, je me dis, mais c'est des paysages de Dali, mais en même temps avec des gens et des discussions. C'est très étrange. Je note ces choses, je ne les relis pas tant que ça. C'est des rêves et ensuite, ça devient du noir et c'est juste des voix. C'est des voix qui répètent en boucle des mots, des mots que j'ai entendus dans la semaine. C'est des réflexions, c'est des questionnements aussi. C'est des questions qui reviennent en boucle. Et du coup, ça me réveille. Et je me dis, mais pourquoi ce mot-là ? Et j'essaye de prendre ces phrases et de les analyser.

  • Speaker #0

    D'où viens-tu et comment la photographie est-elle arrivée dans ta vie ?

  • Speaker #1

    Alors, je suis née à Cannes et j'ai grandi à Paris. La photo est arrivée assez jeune parce que mon père est un grand collectionneur d'appareils photo, collectionne les Lekas. C'est vrai que j'ai grandi avec ces appareils. Mon père me demandait de les remonter. Il m'apprenait un peu le côté mécanique, l'aspect mécanique, mais un peu moins les prises de vue. C'est vrai que je partais beaucoup en voyage avec mes parents, donc j'emportais ces appareils. J'avais cette démarche un petit peu, mais je ne m'étais jamais projetée dans l'idée de... d'en faire ça professionnellement. J'ai grandi comme ça. Après, c'est vrai que mes premières photos, c'était en Égypte. On avait fait un trekking dans le désert du Sinaï. Et j'avais fait mon premier album de bédouins dans le désert. Donc ça, c'est mon premier souvenir photographique qui évoque d'ailleurs le voyage. Et ensuite, après mon parcours professionnel, enfin scolaire, moi j'ai étudié la publicité. J'ai fait des écoles de publicité dans la direction artistique. D'ailleurs, je suis toujours directrice artistique dans le monde du luxe et de la beauté.

  • Speaker #0

    Donc tu n'as pas fait d'école photographique à proprement parler ?

  • Speaker #1

    Non, je n'ai pas fait d'école photographique, mais avec du recul, je me souviens que j'en ai fait une quand même. Je ne sais pas pourquoi, je l'ai complètement occulté. J'étais allée dans une école... En fait, j'avais mon master. Après mon master, dans une école de pub, j'ai quand même voulu, sous la discussion avec un producteur, parce que j'étais assistante de Jean-Baptiste Mondino, et je voulais vraiment être photographe. Et un producteur, donc son producteur, m'a dit « Ce serait quand même bien que tu fasses une école de photo quand même. » Donc du coup, j'ai suivi un peu son conseil et j'ai fait une école de photo. Je ne sais pas si je peux dire le nom, mais je suis partie très vite. C'est vrai que je suis partie en milieu d'année, parce que c'était très difficile. Les gens venaient d'avoir leur bac, moi j'avais mon master, donc il y avait un vrai décalage. Mais les cours que j'appréciais le plus, c'était le développement, le labo, ces photos à la chambre. Après, les thématiques, j'étais un peu... En fait, je ne voulais faire que ce que j'avais envie, et ça ne plaisait pas trop au directeur et à mes professeurs. Donc, du jour au lendemain, je suis partie. de cette école et je suis partie ensuite six mois à Tokyo. J'avais l'impression que j'avais déjà mon identité. Je pense que c'était trop tard en fait, j'aurais dû le faire avant.

  • Speaker #0

    Et t'es partie à Tokyo pour photographier ou pas du tout ? Si, pour photographier ou pour chercher quelque chose.

  • Speaker #1

    À ce moment-là, c'était pour photographier et rassurer ma mère aussi sur le fait que j'allais finir mon école. Finalement, j'allais faire l'école de la vie, j'allais partir. découvrir un pays et en même temps essayer de devenir photographe ailleurs. J'avais aussi des contacts là-bas. J'avais un ami qui était mannequin franco-japonais. Donc, en fait, on a fait une team ensemble où on allait voir les magazines. On essayait de faire des éditos, on essayait de faire des séries photos. Et c'est vrai que ça a été comme une muse, en fait, ce garçon. Et on a passé beaucoup de temps à Tokyo. Mais c'est vrai que je suis rentrée à Paris. Et je me suis dit, ah ! Je me sentais seule au bout d'un moment. Il y a ce truc à Tokyo un peu difficile, où on est dans une jungle urbaine, mais en même temps, il y a une solitude absolue. Et je le ressentais beaucoup.

  • Speaker #0

    J'ai l'impression que tu es une grande voyageuse. En tout cas, je sais que tu es photographe et voyageuse. Et je t'ai contactée la première fois pour cette conversation parce que j'avais envie d'enregistrer un épisode un peu soft, un peu au niveau... contenu et thématique, parce que les derniers épisodes que j'avais enregistrés étaient un peu denses et que j'avais été particulièrement happée et attirée par l'esthétique de tes photos, par les couleurs, par les superpositions, enfin je trouvais que c'était très beau et très joyeux et au cours de notre premier contact tu as résumé ton chemin très très rapidement en disant que tu en étais là parce que tu avais subi des violences dans ta jeunesse et que tu étais arrivée à la photo. et tout ce que tu voulais exprimer avec la photo venait de ces violences aussi. Et j'ai été perturbée parce que je ne m'attendais pas du tout à ça. Et en fait, je me dis que finalement, c'est une thématique qui revient. Du coup, est-ce que tu peux m'en dire un peu plus sur ce parcours et l'arrivée ou la réparation à travers la photo ? Parce que tu m'as parlé de réparation. Oui,

  • Speaker #1

    ok. C'est vrai que j'ai toujours été hyper pudique sur mon passé et ces violences domestiques. que j'ai vécu plus jeune. Et ça m'a pris du temps, en fait, à comprendre le sens de mes projets artistiques, pourquoi je les faisais, ma démarche, et pourquoi je faisais autant de voyages, pourquoi j'avais autant envie de partir le plus loin possible, d'être coupée, en fait, du monde, de mon monde à moi, et de partir dans un autre monde. Et alors, le point de départ de mes voyages, ça a été la Mongolie. Je m'étais dit, après mes études, après mon voyage à Tokyo, je me suis dit, je vais partir en Mongolie. Je voulais découvrir ces gens au bout du monde et essayer de vivre leur vie, en fait. Et après plein de voyages, je dirais une dizaine, en immersion dans les communautés, autant en Afrique qu'en Inde, qu'au Sri Lanka, et par un travail aussi psychologique, de thérapie. comme l'EMDR, je me suis rendue compte qu'en fait, ces voyages avaient un sens. C'était ma réparation et ma recherche d'une famille idéale, en fait, au bout du monde. Je pense que les voyages étaient pour moi nécessaires et viscérales pour créer une sorte de rupture entre ce que j'ai vécu et aller chercher en fait une sorte de pureté au bout du monde où les gens ne jugent pas forcément. Ils sont là, ils te prennent comme tu es. et il te donne beaucoup. Parce qu'en fait, dans ces communautés, notamment en Mongolie, Ça m'a beaucoup marquée. D'ailleurs, c'est vrai que j'ai pas forcément... J'ai revécu d'autres choses différentes. Mais ces communautés, elles ont une douceur. J'avais eu un accident d'ailleurs de cheval. Il y avait des hommes qui m'avaient essayé de me rassurer. Ils me chantaient des choses pour pas que j'aie peur sur un cheval, etc. Donc voilà, ma volonté, c'était d'utiliser ces voyages comme réparation, comme compréhension du monde. pour à la fois parler de moi, mais aussi des problématiques. Mais c'est vrai que pendant dix ans, j'ai plus parlé de leurs problématiques sans vraiment me rendre compte que je parlais de moi. Et du coup, l'Ethiopie, donc mon projet Women of Fire, a été vraiment ce moment où j'ai eu une sorte de révélation, en fait. Parce que je parlais de ces femmes qui vivaient des violences dans cette communauté.

  • Speaker #0

    Oui, est-ce que tu peux... Expliquez-moi le synopsis de Woman of Fire, parce que c'est important pour les auditeurs.

  • Speaker #1

    Le synopsis de Woman of Fire, c'est l'histoire de ces femmes mursies, une tribu dans la vallée de Lomo en Éthiopie. Et comme signe de respect, elles doivent se faire battre face à ces hommes de la communauté. C'est quand même une communauté polygame. La première femme a le droit de choisir les suivantes. Elle les choisit en fonction un petit peu de leur... Si elles sont robustes, si elles vont pouvoir assumer le foyer, si jamais elle, il leur arrive quelque chose. Et après, la première aussi femme a le droit de porter des bijoux. Elle porte un bijou assez imposant autour du cou. Et donc ces femmes, en signe de respect, elles doivent se faire battre avec des bâtons en bambou par les hommes. donc elles ont des vraiment, moi ça m'a marqué elles avaient des cicatrices très fortes, elles étaient complètement lacérées elles avaient des cicatrices sur tout le corps et notamment le dos et j'ai vu ça, et j'ai vu aussi leur regard et en fait c'est dans leur regard que je me suis vue aussi et ça a été très fort, ça a été vraiment très puissant, il y a eu une sorte de Alors, je ne sais pas, on ne parle pas du tout la même langue. J'ai la chance parfois d'avoir des traducteurs. J'essaye aussi d'apprendre un peu les bases dans des livres ethnologiques. Mais c'est dans leur regard qu'on s'est compris, qu'on s'est entendu. Il y a eu quelque chose de très fort, en fait, sans langage. Et c'est vrai que ça a été un point de départ très fort. Et donc, c'est pour ça aussi que je l'ai appelé Woman of Fire. C'est cette histoire de ces guerrières qui ne sont pas vues comme... comme des guerrières au sein de leur communauté, mais j'ai voulu les montrer comme telles.

  • Speaker #0

    Et dans ces regards, parce que tu disais que tu étais partie en Mongolie, essayer de trouver une espèce de famille idéale et de douceur, et c'est ce que tu as trouvé dans le regard de ces femmes éthiopiennes ?

  • Speaker #1

    J'ai retrouvé de la sororité, en fait. Une sorte de compréhension naturelle. Je voyais la peur qu'elles avaient dans leurs regards, mais en même temps... Elles m'ont adoptée. Alors, c'est sûr que quand j'arrive, en général, dans les tribus, elles ne m'attendent jamais. Il y a tout un processus aussi de discuter avec elles. En l'occurrence, c'est une tribu qui a des problèmes d'alcool. La plupart des tribus ont ce genre de soucis. La plupart du monde.

  • Speaker #0

    Oui,

  • Speaker #1

    la plupart du monde, dans notre monde actuel. Oui, dans notre monde actuel. Et du coup, je pouvais les prendre en photo que le matin, quand les hommes dormaient. Et donc, j'avais vraiment... tout l'espace pour être avec ces femmes. Et c'est vrai que dans leur manière d'être, dans leur regard, on s'est compris, on a eu une sorte de discussion. En tout cas, moi, ça a été un flash. Et puis c'est en touchant, en voyant ces blessures qui sont hyper épaisses, que j'ai compris que vraiment, elles ont souffré, que c'était compliqué parce qu'elles ont beaucoup de travail. Elles doivent assumer le foyer, aller dans les champs. à les vendre aussi ce qu'elles récoltent. Elles récoltent du sorgho, qui est une sorte de blé. Donc elles endurent beaucoup de choses, tandis que les hommes finalement, ils restent, ils dorment. Ils battent. Et en fait, lors de ces rituels d'ailleurs, ces femmes rentrent en transe. Elles deviennent, alors parfois certaines succombent en fait. C'est assez fort. En général, les hommes essayent quand même de rester... Enfin, ce n'est pas le but. Le but, c'est juste de les faire se soumettre à ces hommes, qu'elles soient plus dociles et qu'elles respectent les demandes de ces hommes.

  • Speaker #0

    Toutes les photos sont très colorées, très belles, très colorées, superposées. Et j'ai remarqué dans cette série particulièrement une photo, une seule, en noir et blanc.

  • Speaker #1

    Ah oui, c'est vrai.

  • Speaker #0

    J'ai remarqué ça dans plusieurs de tes séries, mais tout d'un coup, il y a une photo en noir et blanc au milieu de ces aquarelles de couleurs. Pour Woman of Fire, c'est une photo de... peau avec des cicatrices énormes. Donc maintenant, je pense avoir compris ce que tu m'as expliqué avant. Et au milieu de tes séries, il y a aussi souvent une photo. Les photos horizontales sont à la verticale. Dans ton site, la façon de présenter les photos, il y a toujours ou souvent une photo en noir et blanc au milieu et cette espèce de horizontalité verticale. Est-ce que c'est fait exprès ? Est-ce que tu ne veux pas mettre les photos horizontales à l'horizontale ? Ça m'a questionnée.

  • Speaker #1

    C'est vrai que j'aime bien faire ça. Et d'ailleurs, parfois, quand je fais les lectures de portfolio, on me remet toujours à l'endroit mes photos et je les remets toujours dans le sens que je le vois.

  • Speaker #0

    À l'envers ? À l'envers,

  • Speaker #1

    oui. C'est parce que je pense, quand je fais des photos, je fais des photos où je me mets dans plein de positions différentes et je vais aller regarder, viser avec mes appareils photos dans des postures. Et en fait, je pense que quand je fais ces photos-là, elles sont faites dans ce sens-là. Parce que je les trouve plus fortes, en fait.

  • Speaker #0

    Tu conserves l'angle ?

  • Speaker #1

    L'angle dans lequel je prends la photo. Carrément.

  • Speaker #0

    C'est la première fois que je vois ça. C'est intéressant. Et la photo noire et blanc, pourquoi cette cicatrice ? Pour la faire ressortir ?

  • Speaker #1

    Parce que je pense qu'en fait, elle n'a pas besoin d'avoir de couleur. Elle est déjà évocatrice telle qu'elle est. C'est vrai que pour Woman on Fire, j'ai déclenché un style artistique que je n'avais jamais fait avant, qui vient d'une longue réflexion de tous ces voyages, qui est un peu le résultat. Et du coup, j'ai voulu retranscrire mes émotions, les émotions de ces femmes, à travers des couleurs, en utilisant des dégradés et plein de gestuels, qui justement créent ces... C'est rouge très fort, c'est jaune très fort. Mais là, pour celle-ci, je voulais la laisser telle qu'elle était en noir et blanc. C'est vrai que j'ai du mal à donner vraiment un sens, mais je la vois comme ça. Je trouve qu'elle n'a pas besoin d'être réajustée. Elle se suffit à elle-même.

  • Speaker #0

    C'est une évidence.

  • Speaker #1

    Oui, voilà.

  • Speaker #0

    C'est souvent des évidences, la photo et la vie.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    J'ai aussi en tête une série en Ouganda, où tu as photographié les travailleurs du lac Katwe.

  • Speaker #1

    Oui, exactement. Dans une mine de sel.

  • Speaker #0

    Dans une mine de sel. Là, il n'y a que des hommes.

  • Speaker #1

    Oui. Pourquoi ?

  • Speaker #0

    Parce que j'ai lu par ailleurs que c'était beaucoup, beaucoup, beaucoup les femmes qui travaillaient aussi dans ce lac.

  • Speaker #1

    C'est vrai que dans le lac Katwe, il y a des femmes, mais en réalité... Il y a quand même majoritairement des hommes, et souvent c'est des prisonniers. J'ai vu beaucoup de prisonniers travailler, beaucoup moins de femmes. Après avoir fait Woman of Fire et d'avoir révélé mon histoire, même si j'ai toujours un peu ce truc de ne pas vouloir trop évoquer ces violences que j'ai vécues, toujours avec un peu de pudeur, mais c'est vrai que ça a été très réparateur pour moi de parler de ça, et j'avais envie de contrebalancer, parce que je n'ai pas envie d'avoir forcément... cette étiquette et j'ai envie aussi de laisser la parole à d'autres problématiques dans différentes communautés. Et j'avais envie aussi de rester dans un groupe avec des hommes pour voir ce que c'est, puisque j'avais fait l'étupie avec ces femmes. Là, j'ai parlé de ces adolescents qui travaillent et qui finalement sont condamnés, puisqu'en fait, en s'immergeant dans l'eau, ils vont avoir des problématiques de fertilité. Et je trouvais que c'était assez fort parce que ça parlait de blessures, mais finalement qui étaient invisibles. Et c'est vrai que je pense que c'est aussi important de laisser la parole aussi à ces hommes. Et en tout cas, moi, ça m'avait vraiment marquée. Et j'avais vraiment cette volonté de parler de ces problèmes-là, parce qu'ils mettent tout plein de produits chimiques toxiques pour accélérer la saumure de ce sel. Et ces hommes vont plonger, parfois ils perdent la vue. Enfin, on voit bien que leur expérience... espérance de vie est très faible. Et avec ces problèmes de fertilité, du coup, je pense qu'à terme, cette communauté va avoir des problématiques et peut-être même disparaître.

  • Speaker #0

    C'est étonnant que tu dises ça et ça ne m'étonne pas en même temps parce que c'est une série que je trouve très sensuelle. On sent beaucoup le contact de la peau. Oui, c'est vrai. Il y a une photo particulière d'un dos. Alors, je ne sais pas si c'est un enfant ou un ado ou un adulte. C'est difficile parce qu'il est de dos. Mais on voit la peau noire et puis le sel qui a séché sur sa peau. C'est une série tactile. Il y a pas mal de clairs obscurs aussi. Oui. C'est une série très douce ?

  • Speaker #1

    Oui, parce que j'ai trouvé qu'ils étaient d'une résilience assez incroyable, en fait. Je les ai vus, c'était une bande d'ados. Ils sont cousins, frères, et ils sont là, et ils aident leur père qui a un problème de vue. Ils sont très solidaires, et en fait, ils avaient une douceur dans leur regard, presque comme... finalement, comme ces femmes en Éthiopie. Et c'est vrai qu'il y a ce corps, parce que le corps, il travaille, il est là, il est à rude épreuve, parce qu'ils ont des brûlures sur leur partie intime. Ils doivent même se mettre du plastique sur leur partie pour les protéger, parce que ça rentre. Et ces garçons, en fait, prennent le relais sur les femmes pour les sauvegarder. Donc, je trouve ça assez fort. Il y a une sorte de solidarité naturelle un entraide et en même temps, il y a ses corps. Finalement, ce liquide qui est sur le dos de ce jeune garçon, c'est un liquide volcanique, puisque le lac est situé sur un volcan. Le lac est assez profond, et donc ils plongent et ils vont chercher ces blocs qui sont enduits de ce liquide volcanique très ancien.

  • Speaker #0

    Ta particularité, c'est, je pense, deux choses. C'est que... c'est toi qui retravailles tes photos et qui tires tes photos en labo et c'est de la couleur et il y a des superpositions partout ou presque partout de la couleur, de la couleur et des superpositions des superpositions pourquoi ? est-ce que ça a un sens superposer ?

  • Speaker #1

    j'imagine que c'est pas qu'esthétique ouais c'est un sens c'est arrivé un peu spontanément en rentrant d'un voyage d'Inde avant mon projet « Woman of Fire » . Et je me suis dit « Ah, mais c'est fou ! » En fait, il n'y a pas assez d'explications dans une photo. Dans un portrait, je voudrais raconter plus de contexte et je voulais avoir du mouvement dans les images. Et en faisant des expérimentations sur ce projet en Inde que j'avais fait dans une tribu, les Marias, je me suis rendue compte qu'il y avait quelque chose qui pouvait s'apparenter à ce mouvement. et à ce dialogue de deux images qui pouvaient raconter plus d'éléments qu'un simple portrait dans une situation. Et en fait, rentrant de ce voyage et en découvrant cette nouvelle technique dans le labo dans lequel je tire, trois semaines après, je suis partie en Éthiopie. Et en fait, sur le terrain, j'ai commencé à anticiper des prises de vue qui mêlaient à la fois des aplats organiques. des peintures sur le corps de ces femmes, du végétal. Et du coup, en rentrant de ce voyage, j'ai commencé à expérimenter ça. Il y a tout un processus. Je crois que ça m'a pris à peu près un an pour sortir Woman of Fire et d'avoir vraiment débloqué cette technique de superposition et en même temps de jeu de lumière, parce que je fais des balais de lumière. Je danse avec mes mains dans le noir, avec tout plein d'ustensiles lumineux, pour créer ces dégradés et pour fondre ces superpositions. Donc je ne les fais pas à la prise de vue, mais je les fais après. Et c'est vrai que c'est un peu parfois de la chance, parce que je ne coupe pas mes négatifs, je les endommage un petit peu, donc souvent c'est des one-shots. Et j'essaye de répéter ces mouvements, mais chaque image a son mouvement. Donc c'est vrai qu'avec le temps, je ne pourrais pas me souvenir des mouvements que je fais. Donc elles sont quand même assez uniques, ces images. Et du coup, j'aime bien les superpositions. Après, c'est vrai qu'avec le temps, j'essaye un petit peu de... Sur les hommes en Ouganda, j'ai essayé d'en faire un peu moins. Et j'ai essayé de plus travailler les lumières. Et j'ai choisi, au lieu de travailler la couleur après en tirage, j'ai essayé de choisir les moments dans lesquels je voulais les prendre en photo, aux heures spécialement, donc le matin et le soir. D'où... From Dusk Till Dawn parce que en fait ces lumières étaient magnifiques sur ces corps Cette réflexion dans cette eau, etc. Et donc voilà, aujourd'hui, j'essaye un peu de balancer, de contrebalancer un petit peu et de revenir aussi à quelque chose de... Maintenant, je me suis rendue compte qu'en mettant une lumière à travers mon doigt, j'avais de nouvelles couleurs. Donc, j'utilise mon corps pour créer des dégradés bleus, verts. Donc voilà, j'expérimente à chaque nouvelle série. C'est vrai, c'est que c'est une teinte différente.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'on peut parler... des ou de la série sur laquelle tu travailles en ce moment. Est-ce qu'on peut partir en Inde ? J'ai l'impression que tu travailles en Inde en ce moment. Tu m'as envoyé deux extraits de vidéos, parce que tu fais de la vidéo aussi, sur les séries photos que tu es en train de réaliser en Inde. Les deux séries s'appellent Dancing to Resist et la seconde s'appelle The Monster of Gazipur. The Monster of Gazipur aborde la thématique de personnes indiennes qui vivent et qui travaillent sur des montagnes de détritus.

  • Speaker #1

    Sauf une grande montagne.

  • Speaker #0

    Sauf une grande montagne de détritus. Et la vidéo que tu m'as envoyée est hyper impactante parce qu'il y a un son très puissant. La musique est très parlante et te projette dans le truc. Et l'ouverture de la vidéo, on voit une femme indienne de dos avec une grande tresse. marcher, puis après on est tout au-dessus d'elle et on voit justement cet amas de détritus. J'aimerais en savoir un peu plus.

  • Speaker #1

    Bien sûr. C'est vrai que si je fais l'état des lieux, je voulais repartir en Inde parce que ça a été un élément assez fort de mon processus créatif. Et je voulais parler de collectifs, de femmes qui travaillent et qui survivent dans un lieu. très difficiles, mais en même temps qui se tirent vers le haut. Le collectif amène en fait à une sorte de résistance. Et donc j'ai fait deux projets, l'un où c'était sur ce monstre, enfin cette montagne géante, et l'autre dans une mine de charbon où ces filles dansent comme acte de résistance. C'est deux endroits très différents d'Inde, à des kilomètres, à des heures d'avion. Et en fait, ça traite de cette même puissance du groupe, de l'amitié. et de l'amour qui se transmet entre ces jeunes filles. Elles vivent en bas de cette montagne. C'est la poubelle de Daily. Tous les jours, il y a des tonnes et des tonnes qui sont envoyées. En fait, c'est devenu une sorte de montagne géante de détritus, de vêtements, d'objets en plastique. Elles vivent dessus et elles montent, elles gravissent. Clairement, c'est une montagne. Alors, il y a une sorte de problématique. toxiques, parce qu'il y a des vents toxiques qui balayent et qui ensuite se répercutent sur des kilomètres. Je l'appelle le monstre parce qu'il se digère de l'intérieur. Et donc voilà, c'est cette montagne, elle vive dessus et elle récupère des morceaux de plastique pour les vendre pour quelques centimes, juste comme recyclage. Donc voilà, elles sont là et tous les jours, elles cherchent un peu des trésors, peut-être des choses qui seraient passées inaperçues dans la poubelle et qu'elles pourraient revendre. plus cher que ces morceaux de plastique. Moi, j'ai eu beaucoup de mal à monter cette montagne. Mon cœur s'emballait très vite avec ces gaz toxiques. Et donc, c'était très difficile. Après, ça reste une poubelle, donc forcément, il y a plein d'insectes, des mouches. Il y a même des vaches qui ont gravi le truc et qui mangent du plastique. Donc, c'est un désastre écologique et parfois, elle s'enflamme. parce qu'en fait, avec ces émanations toxiques, il y a une sorte de feu un peu spontané. Je pense que c'est terrible en termes écologiques. Donc voilà, ces filles-là sont là et j'ai voulu, dans ces deux projets, amener le film à un peu plus d'histoire et d'immersion dans ces filles, en plus de mes photos. Alors, je travaillais avec un fixeur et je travaillais beaucoup le son. Le son, parce que dans mon enfance, c'est un peu comme ça. Ça a été quelque chose de très fort, parce que j'ai des souvenirs où finalement mon père me demandait de rester seule dans cette forêt la nuit. Il me disait « si tu entends des loups, il faut courir » . J'ai été vraiment... Je pense que ces violences, elles ont été aussi très sonores pour moi. Et donc, utiliser le film et l'amplifier...

  • Speaker #0

    et presque faire ressentir aux spectateurs ce que moi j'entends et comment je perçois les sons, ça a été hyper intéressant d'augmenter ces sons, d'augmenter les débits, comme je dis à mes monteurs, et de créer aussi des superpositions de sons comme mes images. Je vais aller... Alors pour The Monster Gazipure, en fait, j'ai entendu un son, une musique que j'ai mise dans ce film. Je ne sais pas si elle restera, peut-être qu'elle sera en vidéo. recomposer, mais j'ai contacté le musicien la semaine dernière et je lui ai dit en fait, je ne vois pas une autre musique que celle-ci pour mon film. Et il a accepté de travailler avec moi sur ce projet-là en tout cas. Donc je ne sais pas si on va recomposer ou utiliser ce son, mais en tout cas ce sera une collaboration avec cet artiste.

  • Speaker #1

    Mais le son d'introduction que j'ai entendu moi, qui je ne sais pas restera au final et qui...

  • Speaker #0

    C'est comme une alarme.

  • Speaker #1

    Ça résonne et... Encore plus fort quand tu racontes cette histoire de son dans la forêt avec ton père, toute seule, que ton père te faisait vivre. On a vraiment l'impression d'une alarme sur cette montagne de détritus avec cette femme indienne de dos. Et je vous la fais écouter 5 secondes.

  • Speaker #0

    Je voudrais juste dire un mot sur cet artiste. En fait, en discutant au détour de notre appel et notre échange, je lui ai raconté d'ailleurs mon histoire. Et j'aimais bien son travail très métallique, qui s'adapte hyper bien à cette vidéo.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu continues à travers tes voyages, tes séries photographiques et tes films, à travers ta création et ta créativité ? Est-ce que tu continues ? À chercher la famille idéale ? Ou est-ce que ta quête a changé avec ces projets ?

  • Speaker #0

    Ma quête, forcément, a changé, mais je cherche à retrouver un groupe. En fait, là où je me sens... J'ai cette sensation de liberté et de plénitude, c'est lorsque je suis acceptée dans un groupe qui soit, finalement, que ce soit la représentation de ma famille ou juste un groupe de jeunes femmes ou d'hommes. C'est ce moment-là où je vis avec eux, on se comprend et on essaye de créer quelque chose ensemble. L'Inde, c'est quelque chose de très fort et ces deux projets-là me tiennent énormément à cœur, notamment ces filles Dancing to Resist, ce projet qui va sortir et dont je fais le film, un court-métrage. Je vais retourner les voir pour finir mon film parce que j'ai cette sensation en moi où je me dis que je ne peux pas les laisser. Je ne peux pas les abandonner. Et elles m'ont tellement montré... En fait, elles sont, pour moi, la représentation de la résilience par excellence. Et elles se tirent vers le haut et elles dansent. Donc, elles travaillent dans une mine de charbon à ciel ouvert. Elles vont chercher ces gros cailloux qu'elles mettent sur la tête et elles montent et elles descendent toute la journée pour revendre ces morceaux. Et seulement ce qui leur reste, c'est ce groupe de filles qui dansent. le soir et donc elles m'ont inspirée et je voudrais que ce soit une inspiration pour le reste du monde parce qu'elles sont vraiment cette représentation et c'est vrai qu'en rentrant j'ai eu beaucoup de peine je me souviens marcher dans la rue et me dire mais qu'est-ce que je fais là pourquoi je suis pas restée avec elles en fait ma vie c'est d'accompagner en fait ces gens là et en fait grâce à un prix Kodak J'ai remporté le prix Kodak, je vais pouvoir retourner en Inde, finir mon projet photographique et mon film, mon documentaire. Donc je suis ravie et c'est vrai que ça m'a apaisée en fait. Et ouais, il y a toujours du sens, c'est toujours la famille, mais c'est à travers un groupe, un collectif. Et à chaque fois, il y a cette forme de réparation. Parfois je le sais avant, parfois je le comprends après. C'est ça qui est un peu intéressant aussi dans ce processus, c'est en tirant mes photos pendant six mois, je me dis putain, c'est vrai, c'est fou. quand même. Et donc, voilà. C'est tout un... Mais je pense que mon travail sera toujours à la recherche. Cette quête, en fait, de gens, de résilience, d'histoire.

  • Speaker #1

    De solidarité, de force collective.

  • Speaker #0

    De force, ouais.

  • Speaker #1

    C'est la force collective qui nous sauvera.

  • Speaker #0

    Bah ouais, je pense.

  • Speaker #1

    De ce monde un peu brutal, on peut le dire.

  • Speaker #0

    Exactement.

  • Speaker #1

    Surtout en ce moment. Qu'est-ce que je peux te souhaiter pour l'avenir ?

  • Speaker #0

    Bah, de... de continuer à comprendre le monde, à transmettre cette compréhension à travers mes images et de finir mes films. Je voudrais, j'ai hâte de les présenter et continuer à avancer et de vivre aussi de mon art. parce qu'on n'en parle pas beaucoup, mais c'est très, très difficile d'en vivre. Et moi, je n'en vis pas du tout de ça. Même si j'ai des collaborations, j'imagine que beaucoup de... En tout cas, quand je parle avec mes amis photographes, elles ont aussi cette même problématique. C'est vrai que ça reste quand même... On n'en parle pas assez, mais c'est difficile de vendre. Je trouve que... C'est un milieu assez fermé quand même, l'art, aujourd'hui. Quand je fais des lectures de portfolio, j'ai souvent des très bons retours, la plupart du temps. Mais aussi des retours un peu difficiles, parce que parfois, j'ai pas ma légitimité en tant qu'artiste à voyager dans certains pays, parce que je ne viens pas de ces pays. Et j'ai envie de parler de ça, parce que c'est quelque chose aussi que je vis, et je ne voudrais plus revivre ça. qu'on juge par rapport d'où je viens. Et je voudrais continuer à faire ces photos et qu'elles puissent être comprises partout dans le monde et de continuer à avoir ces thématiques universelles sur l'amour, la résilience, l'humanité et apporter de la poésie à ces histoires.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, Claudia.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #2

    Merci d'avoir écouté cet épisode. J'espère qu'il vous a plu. Si c'est le cas, partagez-le autour de vous et sur les réseaux sociaux. N'hésitez pas non plus à laisser un avis positif sur vos applications de podcast. Pour ne rien manquer de déclic, suivez-moi à atmaudebernose sur Instagram. Si vous avez des compliments, des critiques ou des réflexions, n'hésitez pas non plus, ça aide toujours. Merci enfin à la Cité Audacieuse pour son studio d'enregistrement. A bientôt !

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