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Devine qui vient doubler ?

Dans les coulisses des studios de doublage - Devine qui vient doubler ?

Dans les coulisses des studios de doublage - Devine qui vient doubler ?

32min |17/12/2020
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Description

Pour passer d'un film original à sa version française, il ne suffit pas d'un coup de baguette magique !

Vanessa Bertran nous emmène dans les coulisses d'un studio de doublage, à la rencontre des professionnels qui interviennent tout au long d'un processus qui fait intervenir plusieurs métiers différents, notamment les dialoguistes. 

Essentiels dans la qualité finale d'une œuvre cinématographique, leur talent consiste pourtant, comme le rappelle Philippe Videcoq, a être le plus imperceptibles possible ! 

En savoir plus :

Une exposition en ligne sur le site du Musée de la Sacem va vous faire découvrir l’histoire du doublage ainsi que les dialoguistes emblématiques qui se cachent derrière les films que nous connaissons tous. 

Partez également à la découverte du métier aujourd’hui. 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Pour passer de la version originale d'un film à sa version française, est-ce qu'un coup de baguette magique suffit ? Non, non, non, non, non. Et puis ce ne sont pas non plus les comédiens qui improvisent un texte pendant l'enregistrement. La réalisation d'une version française, c'est un long processus très professionnalisé, avec plein d'étapes et de métiers différents, notamment les dialoguistes. Ils ont une responsabilité et un apport créatif. essentiels pour la carrière du film. Alors, dans les coulisses d'un studio de doublage, devine qui vient doubler. Le musée Sacem présente un podcast créé et dialogué par Vanessa Bertrand. L'essence même du cinéma, c'est de créer l'illusion. Et pour que les faits fonctionnent, le truc du magicien doit passer inaperçu. Comme le résume Philippe Wittcock, dialoguiste de Toy Story, pirate des Caraïbes et Matrix, entre autres. Le but, c'est d'être le plus invisible possible, de rester un peu dans l'ombre, de s'effacer et de faire croire que le film a été tourné en français alors qu'il l'a pété. Au départ, on a un film dans sa version originale. Et on doit arriver à une version de ce film qui conserve l'image, la musique, les bruitages, mais avec des dialogues dans une langue cible, interprétée par des comédiens. D'où le terme de doublé, parce qu'on double la piste image d'une piste son différente. Le doublage, c'est comme un immense porte-avions lancé sur les flots de la post-production audiovisuelle. Il y a du monde sur le pont et beaucoup de métiers. Chacun a sa fonction pour arriver à bon port. Le commandant de bord, c'est une entreprise spécialisée dans le doublage, ce qu'on appelle dans notre jargon un doubleur, même si le grand public attribue parfois ce nom aux auteurs ou aux comédiens. Donc, si dans un dîner avec des gens du métier vous dites un doubleur pour parler d'une société, on vous prendra tout de suite au sérieux. Et vous aurez droit deux fois à du dessert. Pour commencer, un producteur, un distributeur ou un diffuseur, comme TF1, Warner ou Paramount, va démarcher plusieurs doubleurs qui lui feront des devis, et il optera pour telle ou telle société. La dite société, une fois qu'elle aura décroché le marché, va mettre la machine en route. Un chargé de projet va coordonner toutes les étapes pour respecter le rétro-planning qui découlera de la date de livraison de la VF prête à diffuser. Il va faire intervenir tout d'abord un détecteur. Alors pas n'importe lequel, pas un détecteur de mensonges ni un détecteur de métaux, mais un détecteur de mouvements labiaux. En gros, mouvements des lèvres. Philippe Lebeau, dialoguiste de Colcase, Sherlock ou encore Rome, a trouvé une belle image pour parler de ce métier.

  • Speaker #1

    Le détecteur, pour moi c'est l'oreiller sur lequel on peut se reposer quand on travaille. C'est celui qui a mis la table. Avant de passer à table, voilà, la table est mise, le couvert est mis, tout est au bon endroit.

  • Speaker #0

    Vous avez peut-être déjà vu des reportages sur le doublage. On voit une bande qui défile sous un écran à la même vitesse que l'image et sur laquelle est écrit le texte que le comédien va interpréter. C'est le détecteur qui crée cette bande, la fameuse bande rythmographique, l'arithmo, un fichier synchronisé à l'image. Il découpe le film en boucles, segments d'environ 40 secondes, la durée idéale d'enregistrement sans s'arrêter. Parce que le doublage, c'est du cinéma. On enregistre par petits bouts et dans le désordre. Le terme de boucle vient du fait qu'autrefois, la rythmo était une bande de celluloïdes qu'on coupait réellement à coup de ciseaux et qu'on collait de manière à ce qu'elle défile en boucle sur le plateau d'enregistrement jusqu'à ce que le directeur artistique et l'ingénieur du son soient satisfaits. Ensuite, le détecteur va identifier tous les personnages présents dans une boucle, noter leur nom sur la bande au moment où ils commencent à parler. Puis, ils reportent leur texte original en l'étirant en fonction de l'articulation du comédien filmé. Car il n'y a pas deux personnes qui prononcent la même réplique de la même manière. Ils prêtent notamment attention au labial, ce que les maîtresses d'école appellent de nos jours les lettres Mbappé, les M, B et P. qui provoque une fermeture totale des lèvres. Vincent Violette, comédien qui a notamment prêté sa voix à John Turturro, Rupert Everett ou Lorenzo Lamas, est aussi dialoguiste. Il explique en quoi la détection est indispensable.

  • Speaker #1

    On peut la lire et sans même regarder l'image, on peut presque dire comment la comédienne, le comédien qui s'exprime doit parler. Parce que, ça c'est les grandes détections, avec plein de petits signes, quand elles sont bien fouillées, c'est une vraie partition qu'on peut suivre.

  • Speaker #0

    Alors, au-dessus de ces lettres, le détecteur va mettre un tiret qui prendra... plus ou moins de place en fonction du temps que le comédien mettra à rouvrir la bouche. Une semi-labiale comme le V ou le maudisson TH de Thank You ou la longue ressort, ce sera une croix. Un O très fermé comme dans I don't know, ce sera une vaguelette en Q de poule. Un A, une grande vaguelette dans le sens inverse. Et des signes, il y en a bien d'autres. Ils peuvent sembler cabalistiques à quelqu'un qui n'est pas du métier.

  • Speaker #1

    Au début, on dirait du chinois. On se dit, mais jamais, je vais faire quoi que ce soit avec ça. Et après, on s'aperçoit que, merci monsieur le détecteur ou madame la détectrice d'avoir mis l'ouverture de phrase là parce que j'allais, moi, bêtement la mettre un peu à côté. Et si j'avais fait ça, je serais décalé et ça n'irait pas du tout. Donc, ce travail, c'est vraiment un métier que je défends et j'espère qu'il va perdurer.

  • Speaker #0

    Il arrive que des auteurs se détectent. Enfin, réalisent eux-mêmes la détection du film qu'ils vont adapter. Mais c'est loin d'être la majorité. Certains doubleurs ont profité de l'apparition du numérique pour tenter d'imposer aux dialoguistes de se détecter, mais c'est une aberration, sauf quand c'est réellement le choix de l'auteur. Car au contraire, nous avons besoin du regard de ce technicien pour nous guider. Et puis le détecteur est un salarié employé par le doubleur. Les sociétés peu scrupuleuses qui imposent la détection se contentent de rallonger la rémunération de droits d'auteur, ce qui est illégal. mais permettent aux sociétés de verser moins de cotisations sociales. Gare au contrôle URSAF. Un détecteur met environ trois jours pour envoyer une bande rythmo détectée de 40 minutes. Il envoie aussi au doubleur ce qu'on appelle un croisillier, un tableau à double entrée. En ordonnée, les listes des boucles numérotées. En abscisse, les noms des personnages. Et une croix à chaque fois qu'un rôle est dans une boucle. Ce document est essentiel pour le directeur artistique. qui organise les enregistrements et convoque les comédiens. Ensuite, c'est au tour de l'auteur. Sa mission ? Écrire des dialogues inspirés des dialogues originaux, mais en français. On lui envoie la détection et une copie du film, ainsi que le script.

  • Speaker #1

    À chaque fois que je prends un film, mais ça peut être le film le plus difficile ou le plus simple, les dix premières minutes, je me dis que je n'y arriverai pas. Je ne vais pas y arriver, je ne comprends pas. Même en ayant vu évidemment le film plusieurs fois avant, en ayant travaillé sur le texte, j'ai toujours une appréhension sur les dix premières minutes. Et au bout de dix minutes, quand l'alchimie se passe bien, je m'amuse comme un fou, parce que j'ai du plaisir tous les matins à retrouver les personnages.

  • Speaker #0

    Si le film se déroule dans un univers particulier, comme le médical ou le juridique, ou encore le monde sportif, Le dialoguiste doit faire beaucoup de recherches. C'est un exercice assez particulier auquel nous avons consacré tout un podcast. Mot compte triple, écrire pour la comédie ou un genre spécifique. Une fois qu'il a accroché le fichier de la détection avec celui de l'image, le dialoguiste fait appel à ses connaissances linguistiques, sa sensibilité, son savoir-faire, pour créer les dialogues français qu'il écrit en suivant la chronologie du film. C'est différent du travail de traducteur, comme l'explique David Ribotti, qui a justement été traducteur avant de devenir dialoguiste.

  • Speaker #1

    Pour moi, quand on dit traducteur, c'est quelque chose de bien spécifique, aussi bien au niveau du statut de la profession, qui est un statut libéral, qu'au niveau du type d'activité ou de travaux qu'on fait. Je me sens avant tout auteur-dialoguiste, c'est-à-dire que j'ai vraiment l'impression d'écrire tout simplement. On essaye de recréer quelque chose, on a une partie créative qui est... indéniable. La traduction, je considère qu'elle représente quoi ? Si ça pouvait se chiffrer, je dirais que c'est quoi ? 5-10% du travail que nous faisons. C'est juste une passerelle pour comprendre ce qu'on entend. À partir de là, le vrai travail, c'est véritablement transposer la langue originale en langue française, audible, compréhensible, correcte, habile, drôle, s'il le faut.

  • Speaker #0

    Ce qui compte, c'est que le ton soit juste. et que le rythme soit respecté. Et le sens, bien évidemment, ça c'est le degré zéro de notre écriture. Le plus important, c'est de garder en tête que notre texte sera interprété par un comédien, ce qui fait de nous des dialoguistes. comme le confirme Jean-Jacques Prond, dialoguiste des séries Friends, Nip-Tuck et Soprano.

  • Speaker #1

    Je dis tout le temps, la première chose, c'est qu'on ne fait pas parler un avocat comme on fait parler un clodo, on ne fait pas parler un adulte comme on fait parler un enfant,

  • Speaker #0

    etc. Il faut que nos répliques sonnent, qu'elles soient belles à entendre. Le dialoguiste n'écrit pas pour être lu, contrairement à l'auteur de sous-titres dont le travail est expliqué dans le podcast « Le sous-titrage, une cuisine sans gras » . Si bien que la plupart des dialoguistes clament leurs répliques tout haut. à mesure qu'ils les écrivent, ce qui interdit le travail dans un lieu public comme une bibliothèque, car on ne tarderait pas à se faire déloger ou embarquer par des infirmiers d'un asile psychiatrique. C'est ce qui aurait pu arriver au couple de dialoguistes Juliette Vigouroux et Alain Cassar à l'époque où ils écrivaient les dialogues des Simpsons. Pour écrire, on prenait la voix d'Homère et la voix de Mars. On essayait de les imiter un peu, mais... Disons pour avoir le rythme aussi, on jouait Homer et Marge. Le dialoguiste est en contact dès le départ avec le directeur artistique, qui est le réalisateur de la version française, celui qui dirigera les comédiens sur le plateau. Ils échangent autour des personnages et il arrive que le directeur artistique suggère des niveaux de langue, des petits tics de langage pour tel ou tel rôle. Et puis parfois ce sont des indications vagues comme « tu me les fais parler jeune » . Mais bon, l'adaptateur s'adapte. Il incarne tour à tour tous les rôles pour deviner ce qui sortira le plus naturellement de leur bouche.

  • Speaker #1

    On ne fait jamais deux fois la même chose. On pourrait croire, ouais, mais à force, t'es habitué, ça va passer tout seul. En fait, non, ça passe jamais tout seul. Jamais. J'ai lu cette phrase dix fois. He died in horrible pain. Comment tu dis ça en français en étant synchrone ? C'est pas possible. Eh ben, je sais pas, la dernière fois j'avais mis ça, mais là ça passera plus parce que... Parce que là, on le voit trop. Il est plein, un gros plan dans l'écran. On voit trop sa bouche. Il va falloir que je trouve autre chose. Mais ça passait très bien la dernière fois. Mais là, ça ne passera plus. Il n'y a pas deux fois la même situation. Et je trouve ça génial parce qu'on ne peut jamais s'endormir quand on adapte.

  • Speaker #0

    Philippe Lebeau vient d'évoquer le synchronisme. Souvent, les gens pensent que c'est notre préoccupation numéro un. Mais la question ne se pose pas en ces termes. Prenez un cruciverbiste. Son cerveau va en même temps chercher le mot juste. et celui qui a le nombre de lettres requis. Un parolier à qui un compositeur a confié une mélodie sera confronté au même casse-tête. Des rimes, une prosodie à respecter, et puis un texte musical qui, tant qu'à faire, fait sens. Le dialoguiste de doublage doit vivre une réplique, parfois la répéter tout haut, en VO, jusqu'à ce que sens, sensibilité, rythme, justesse et synchronisme sortent simultanément. Bien entendu, on parle d'une situation idéale. Il arrive que l'un des critères ne soit pas au rendez-vous, alors on retravaille nos répliques.

  • Speaker #1

    Si on commence par le synchronisme, on écrit un texte qui est un peu esclave de l'original, qui est un peu bancal parfois, un peu lourd, il me semble. Donc moi, ce n'est pas la première chose à laquelle je m'attache.

  • Speaker #0

    Je vous ai parlé des répliques, mais il y a aussi ce qu'on appelle les ambiances. Un texte qu'il faut inventer entièrement. car il ne figure pas sur le script. Une ambiance, c'est la panique exprimée par une vingtaine de piétons qui assistent à l'arrivée inattendue d'une soucoupe volante dont sortent des aliens polymorphes. Ce sont des clients en arrière-plan au restaurant, ce qu'on peut assimiler à de la figuration. L'auteur doit écrire l'ensemble des dialogues que des comédiens vont enregistrer, ce qui peut prendre un temps considérable.

  • Speaker #1

    Je me suis vu passer... quasiment des nuits à écrire un dialogue qui ait du sens entre deux personnages qui parlent en second plan à une table de restaurant, c'est souvent dans les restaurants, parce qu'ils bougent pas, ils sont calmes, mais ils discutent beaucoup, ils parlent, et il faut leur inventer une histoire, un problème de voiture avec la tente, machin, qui n'est évidemment pas dans le script original, qui est pour le coup une vraie part créative de notre écriture, ça nécessite du coup de mobiliser des comédiens, donc de payer des gens, nous ça nous fait beaucoup de travail en plus. Mais quand c'est bien fait, j'avoue qu'au final, le résultat est quand même sympa. Parce que là, du coup, on entend vraiment des gens parler en français, ils sont nombreux. Et on est immergé. Je crois que ça participe vraiment à l'immersion dans ce qu'on regarde.

  • Speaker #0

    Quand on a adapté tous les dialogues d'un film, on les relit. Tous les auteurs ne procèdent pas pareil. On peut se relire à voix haute et à plat, comme on dit, c'est-à-dire sans l'image, comme si c'était les répliques d'un film français original. On remarque alors des petites choses qui sonnent faux. et qu'on doit retravailler. Quand on est content de ces corrections, on reprend le film au début et on vérifie avec l'image qu'aucun dialogue ne nous a échappé, que tout est bien synchrone et que le résultat sonne naturel, que toutes les répliques s'enchaînent. Toutes ces étapes d'écriture prennent bout à bout 6 ou 7 jours pour un épisode de série. Près de 3 semaines pour un film. Il arrive que le client demande à relire le texte, ce qui donne lieu à une phase de correction à reporter. Parfois ces modifications sont justifiées car l'erreur est humaine. Et parfois on relève des choses assez cocasses. J'ai pour ma part fait parler des terroristes qui manipulaient du TNT. Vous savez, le trinitrotolène, l'explosif. Eh bien, la chaîne m'a fait remarquer qu'on devrait plutôt parler de la TNT. Des anecdotes comme ça, les professionnels en ont à la pelle.

  • Speaker #1

    Les bagarres entre les différentes officines policières aux Etats-Unis, le chef de la police qui dit « je voudrais que l'affaire avance, vos querelles intestinales, j'en ai rien à foutre » . La chaîne qui dit « ne devrait-on pas dire vos querelles intestinales ? » Ça a souvent généré des tensions entre les auteurs qui se disaient « Non, il n'y a pas question que je dise « Non, sois gentil » au lieu de « Va te faire foutre » parce que c'est ce qu'il dit en anglais. » Et donc, je refuse d'écrire. Il pouvait y avoir parfois des points d'achoppement sur ce genre de choses. Franchement, depuis l'arrivée des plateformes, j'ai l'impression que ce n'est plus un sujet. J'ai l'impression qu'on écrit, quel que soit le niveau de langage utilisé, la violence de terme, on y va. Si c'est ce qu'il dit, on y va. Je pense qu'on est hélas... Plus dans, parfois trop, la traduction. On a l'impression que l'attente du client, c'est « écoutez, vous dites ce qu'il dit en anglais, donc vous traduisez fidèlement » . Ce qui est un peu limitant pour nous, parce que le but du jeu n'est pas du tout de traduire, il est d'être juste.

  • Speaker #0

    Être juste et être synchrone à la fois, c'est une gymnastique que les auteurs ont parfois du mal à faire comprendre à leur donneur d'ordre, comme le raconte Jean-Jacques Prond à propos de la réplique « I can't » . Alors moi j'avais écrit, je regrette comme beaucoup de gens sur iCount, la nana qui était,

  • Speaker #1

    je ne sais plus dans quelle boîte c'était, enfin ni pour quelle chaîne, m'avait envoyé un fax en mettant en gros iCount égale je ne peux pas. Et je lui avais renvoyé un fax en lui disant, je sais très bien depuis la sixième, puisque je fais de l'anglais depuis la sixième, que iCount ça veut dire je ne peux pas.

  • Speaker #0

    Sauf que si je vous mets je ne peux pas,

  • Speaker #1

    où il y a deux labiales sur iCount, ça ne marchera pas,

  • Speaker #0

    vous allez nous faire un retec parce que ça ne sera pas synchrone.

  • Speaker #1

    Est-ce que ça vous ennuie de venir sur un plateau ?

  • Speaker #0

    Comme ça,

  • Speaker #1

    vous verrez ce qu'est le doublage.

  • Speaker #0

    Autrefois, disons jusqu'à 2010, même si la transition ne s'est pas faite du jour au lendemain, nous écrivions notre texte, non pas à l'ordinateur, qui synchronise aujourd'hui une bande virtuelle à l'image, mais sur une bande de celluloïdes, que j'ai évoquée un peu plus tôt. Cette bande, qui comprenait à la fois la détection et le texte de l'auteur en dessous, étaient bien entendu illisibles pour les comédiens. Car d'une part, ils n'ont pas besoin de voir la détection, et d'autre part, les auteurs n'avaient pas des écritures de maîtresses d'école. C'est pour ça qu'on avait besoin de calligraphe, métier qui a disparu avec l'avènement du numérique, et dont nous parle Laurence Salva, dialoguiste, qui a commencé dans le doublage par être calligraphe. L'adaptateur écrivait sur une bande,

  • Speaker #1

    où il y avait au-dessus tout le texte en anglais,

  • Speaker #0

    avec un crayon noir très gras. Et la Cali, en fait, écrivait très proprement sur une bande transparente le texte en français. Donc, il fallait très bien écrire. Enfin, il fallait écrire de façon très lisible. C'était très fastidieux. Moi, j'ai commencé comme ça, en fait. Et au bout d'un moment, je me suis dit, en voyant les traductions,

  • Speaker #1

    que je pourrais faire aussi bien.

  • Speaker #0

    Avant de passer à l'enregistrement des comédiens, il reste une étape. La rencontre du dialoguiste. et du directeur artistique. Ils font ensemble ce qu'on appelle une vérification ou vérif. C'est-à-dire que l'auteur lit tous ses dialogues face à l'image, à voix haute, de façon synchrone, en interprétant tous les rôles à la fois. Le directeur artistique interrompt la vérification quand un dialogue lui semble imparfait ou qu'il est possible de l'améliorer, ou encore quand il sent que les comédiens buteront sur une formulation, par exemple. L'angoisse de la vérif, bien connue des auteurs, est résumé par Philippe Wittgoch.

  • Speaker #1

    Ce qui est compliqué, c'est d'arriver à lâcher prise aussi, de ne pas être totalement accro à son texte. Les gens avec qui on vérifie sous-estiment un peu, je pense aussi, le travail. On s'est beaucoup donné, on a beaucoup travaillé et on a tendance à ne pas toujours être très ouvert à des demandes de modification. Certaines sont justifiées, mais certaines sont très subjectives aussi. Chaque client a aussi d'ailleurs des demandes tout à fait différentes. Il y a des mots qu'il faut éviter avec un tel et qui passent avec un autre.

  • Speaker #0

    L'objectif est que le directeur artistique arrive à l'enregistrement en maîtrisant totalement les dialogues que les comédiens devront interpréter. Le directeur artistique Hubert Drac nous explique en quoi cette étape est importante.

  • Speaker #1

    Un comédien qui voit un directeur artistique qui doute, ça lui met le doute et il se demande s'il ne faut pas faire autre chose.

  • Speaker #0

    Le comédien Georges Caudron est connu pour avoir doublé entre autres David Duchovny, le héros de la série X-Files. Mais il est aussi directeur artistique. Et il nous explique en quoi la vérif lui est indispensable pour diriger ses comédiens.

  • Speaker #1

    Sur le plateau, ce n'est pas rare que quand un acteur ou une actrice n'arrive pas à faire quelque chose, de dire « ah oui, mais ce n'est pas ce qu'il dit en anglais » . Je dis « mais on s'en fout, puisque après il va dire ça parce que c'est pour ça » . Et que d'un seul coup, c'est beaucoup plus intéressant de l'avoir traduit dans ce sens-là et d'avoir donné cette émotion-là, parce que c'est exactement ça qui correspond. Et ça, on ne l'a que quand on a le film dans la main. Et on a eu des discussions avec l'auteur en disant Mais pourquoi il dit ça ? Pourquoi il fait ça ? Je ne comprends pas pourquoi tu lui as dit de faire ça. Tu fais le travail de vrai directeur artistique. Et ensuite, quand le comédien sur le plateau dit « mais pourquoi je dis ça ? » , tu as une réponse immédiate. Tu dis « parce que ça, ça » .

  • Speaker #0

    En studio, le directeur artistique est assis à côté de l'ingénieur du son. Il s'assure qu'aucune réplique ne soit oubliée et il dirige les comédiens et leur fait reprendre les enregistrements jusqu'à ce qu'ils soient satisfaits de leur jeu.

  • Speaker #1

    Donc ça, c'est la direction de plateau. C'est essayer de mettre les gens le plus à l'aise possible. Ils n'ont pas vu le film. Toi, tu as vu le film deux ou trois fois. Tu sais à peu près où vont les personnages et pourquoi ils font ça. Il ne faut pas craindre d'utiliser la psychanalyse. Parce qu'on dit, je pense qu'il déteste sa mère. C'est pour ça qu'il dit que je pense qu'il a envie de coucher avec elle. Alors c'est pour ça. Il n'ose pas lui dire qu'il l'aime ou il n'ose pas lui dire... Et d'un seul coup, ça dénoue des choses. J'utilisais aussi beaucoup des pièces de théâtre. c'est du marivaux C'est le quatuor amoureux de Marivaux. Quand tu as affaire à des vrais comédiens, tout de suite, ils font « bah oui, hop ! » Je plonge immédiatement, je comprends tout à fait. Il faut toujours donner des équivalences un petit peu comme ça avec le théâtre classique, parce que c'est toujours la même histoire.

  • Speaker #0

    L'ingénieur du son est un personnage très important sur le plateau. Il est le premier auditeur, c'est lui qui juge de la qualité de l'enregistrement et qui est responsable des prises de son. Danny Tayarda. comédienne qu'on a entendue aussi bien dans X-Files, où elle interprétait la mère de Scully, que dans Les Feux de l'amour, dans lesquels elle joue depuis 30 ans, nous parle de la connivence entre l'ingé son et ses comédiens. Avec certains ingénieurs, j'avais une voix extraordinaire, donc avec une richesse. Et puis d'autres fois, mais alors, c'était horrible, c'était plat, c'était... grisaille. Il n'y avait pas de relief. Comme dans tous les métiers, il y a des gens qui sont bons, d'autres qui sont moins bons. Mais c'est très important parce que ça peut tout changer. Il suffit pas d'avoir une bonne interprétation du comédien. Si l'ingénieur du son ne répond pas, ben ça fout tout en l'air.

  • Speaker #1

    Avec des ingé, on peut faire un travail très fin de ciselage du son qui se rapproche aussi de la VO. On choisit les micros. peu compensée avec des micro-cravates, style des micros qui ont été utilisés lors du tournage, pour récupérer le son au maximum, avoir un son identique à celui du son original. Dans le temps, on avait des perchman qui suivaient le comédien. Et c'était merveilleux.

  • Speaker #0

    Une fois que tout est enregistré, il faut monter, à savoir sélectionner les prises, même si le numérique a rendu cette opération quasi instantanée et se fait en partie sur le plateau. Mais il reste toujours des respirations à travailler, des répliques à replacer précisément, à recaler. Puis on entre en phase de mixage, où il faut équilibrer les différentes pistes. Celle des comédiens et ce qu'on appelle la version internationale, la VI, à savoir l'ébrutage et la musique. Il n'y a pas toujours eu de version internationale. Autrefois, on disposait de la bande musicale. Mais les bruitages étaient sur la même piste que les voix originales. Il fallait donc refaire ce même bruitage en français. D'où la présence pendant de nombreuses années de bruiteurs sur les plateaux de doublage, comme l'explique la dialoguiste Laurence Salva. À l'époque, il y avait un monsieur derrière les comédiens qui était dans une espèce de cabine et qui avait des objets du quotidien. Et avec ces objets, il faisait des bruits extraordinaires du style les bruits d'un... d'un train en train de rouler sur une voie. Aujourd'hui, les producteurs envoient systématiquement une version internationale, musique plus bruitage, qu'il ne reste plus qu'à mixer avec les dialogues doublés. Le doubleur fait alors parvenir à son client une copie du résultat. Le client la visionne, il repère des points qui restent perfectibles, relève parfois des erreurs et nous renvoie la copie. Nous devons alors faire des re-techs ou retouches, soit pour l'interprétation du comédien, soit pour le mixage, soit pour le texte. On demande donc à l'auteur, qui est souvent déjà passé à un autre film, de proposer une version alternative à telle ou telle réplique de la 112e minute. Et il doit fournir sa proposition dans la seconde. alors qu'il fait la queue au supermarché ou qu'il est aux urgences en train de tenir le bras de son enfant qui a fait une mauvaise chute. Pour l'auteur, l'usage fait que cela relève du service après-vente, donc sans rémunération supplémentaire. Jean-Jacques Prond raconte tous les re-techs, à savoir changements de texte, qu'il a fallu faire à la série culte Friends quand elle a changé de diffuseur, passant de Canal Jimmy à Antenne 2, l'ancêtre de France 2.

  • Speaker #1

    Alors là,

  • Speaker #0

    on a fait 400 re-techs. Parce qu'Antenne 2, ils étaient quand même un peu serrés du cul. Et Canal Jimmy avait dit,

  • Speaker #1

    vous essayez de garder l'esprit de la série. L'esprit de la série,

  • Speaker #0

    elle était un peu grossière.

  • Speaker #1

    Quand il y avait des gros mots, il y avait des gros mots.

  • Speaker #0

    Il y a aussi une phase qui s'appelle la conformation. De plus en plus, les séries nous parviennent avant le montage définitif. Nous rendons donc notre adaptation et une semaine après, le téléphone sonne.

  • Speaker #1

    J'ai fait une scène,

  • Speaker #0

    j'ai fait un plan par-ci par-là. Et ils en ont aussi coupé. La chargée de prod qui nous dit ça d'un air convaincu ne se rend pas compte que pour le dialoguiste, cela signifie se remettre dans l'ambiance totale d'un film. Et puis quand on coupe certains plans, il y a des répliques qui ne se répondent plus. Donc c'est toute la scène qu'il faut à nouveau passer au crible. Le pire a été les hobbits de Jackson. Ça a été épouvantable. Ça a été effrayant,

  • Speaker #1

    effrayant.

  • Speaker #0

    On avait une version qu'on appelle préliminaires, 1, 2, 3. Dans la 3, dans la 3e, on remettait ce qu'on avait enlevé dans la 2. Enfin bon, sans cesse, sans cesse, des nouvelles versions. Il a travaillé sur son montage jusqu'à l'ultime minute. Les comédiens avaient fini d'enregistrer, tout était fini quand on a eu la version finale. Ils ont fait des retakes, enfin bon, et après on a eu une final revise, une version finale révisée. Je ne comprenais plus rien au film, je ne savais plus ce qui se passait. Vient ensuite pour l'auteur le moment de se faire payer pour son travail. Il n'est pas le salarié du doubleur, il lui cède le droit d'exploiter son travail. Si ce sujet vous intéresse, il est développé dans le podcast Dialoguiste de doublage. Vous en vivez ?

  • Speaker #1

    Lorsque je termine un travail, une adaptation, je dois émettre une note de droit d'auteur et je dois aussi récupérer une attestation qui me permettra de déposer le programme sur lequel j'ai travaillé à l'Assasem, qui est donc un organisme de gestion collective qui s'occupera de répartir une partie de ma rémunération par la suite lorsque le programme sera diffusé.

  • Speaker #0

    Puis le dialoguiste doit s'adonner à certaines des nombreuses joies administratives qu'il partage avec les indépendants, à savoir s'acquitter lui-même d'une partie de ses cotisations sociales, gérer son budget, sachant qu'il ne bénéficie ni de congés payés ni d'assurance chômage. Il peut néanmoins se faire guider à travers ses méandres administratifs, par les services de l'Assasem ou par des organisations professionnelles. Régulièrement dans la presse, on voit apparaître la menace de l'intelligence artificielle. Mais beaucoup d'auteurs tentent à penser que leur tâche n'est pas mécanisable. C'est notamment le cas de la dialoguiste Isabelle Audineau. Ce type de traduction automatique existe déjà dans la traduction technique depuis des années et on voit ce que ça a donné. C'est-à-dire qu'en fait, le traducteur devient un relecteur, devient un éditeur et il corrige la machine qui travaille mal. Et particulièrement là, au niveau des textes littéraires et des textes de cinéma, des histoires de fiction, c'est très compliqué pour une machine de faire la part des choses. Et je pense qu'en fait, la machine va très mal travailler. Mais c'est aux auteurs de refuser de devenir des relecteurs. Parce que là, on est en train de complètement perdre ce qui fait la spécificité de notre métier, c'est de traduire. Donc, tu peux changer dans le détail. Mais c'est comme un vêtement qui est raté dès le départ. Si tu as donné un coup de ciseau, tu ne peux plus faire un truc bien. Et pour moi, je pense que c'est pareil, la traduction. On traduit du sens, on ne traduit pas des mots.

  • Speaker #1

    L'intelligence artificielle. et pas l'humain. Alors maintenant, on pourrait peut-être faire une version française entièrement automatisée avec des voix de robots. Ouais, ok, on va essayer. Je crois même que ça a été fait une fois, à titre expérimental. Allons-y, faisons-le. Très honnêtement, le public, il ne faut pas le prendre pour un con, il ne va pas être dupe très longtemps. Je crois qu'il y a une grande partie de l'intelligence artificielle qui est fantasmée. Donc je ne la redoute pas tellement. J'espère en tout cas que c'est un faux problème.

  • Speaker #2

    Le doublage est l'industrie qui rend les films accessibles à des millions de spectateurs et téléspectateurs. Même si on ne retient souvent que les comédiens, c'est en fait toute une chaîne de fabrication qui est à l'œuvre pour créer l'illusion ultime que Bruce Willis ou Nicole Kidman ont tourné le film en français. Le dialoguiste doit faire avec de nombreuses contraintes métiers, même s'il parvient, avec l'expérience, à ne pas être trop perturbé par cette grosse machine et arriver à se plonger dans le film. pour ne plus penser qu'à une chose, les personnages et ce qu'il va leur faire dire, comme l'exprime chacun à leur manière, Chloé Matz, dialoguiste débutante et le grand professionnel Philippe Wittkoch.

  • Speaker #3

    Sans les auteurs de doublage, il n'y a pas de texte. Finalement, c'est peut-être un peu bête, mais c'est aussi le texte qui fait vivre l'œuvre. Le mot-clé du métier, c'est quand même le plaisir de travailler. Mettre à profit sa créativité pour produire quelque chose de beau.

  • Speaker #2

    Et malgré la menace de l'intelligence artificielle, on peut penser que le métier de dialoguiste a encore de belles années devant lui. Car le public reste friand des films et séries venus des quatre coins du monde, comme le pense Claire Giraudin, directrice de SACEM Université, un département de la SACEM dédié à la valorisation des œuvres.

  • Speaker #4

    La nécessité de doublage des œuvres, elle est essentielle. Et je dirais même, elle est de plus en plus importante. parce que Des grandes plateformes, notamment américaines, on va dire, nous proposent à nos spectateurs de plus en plus de choix en termes audiovisuels. Et elles ont une politique qui est aussi beaucoup de faire créer dans les différents pays où elles sont installées. Donc elles font énormément de créations originales. Donc on a accès tout à coup à des œuvres espagnoles, roumaines. Ça, c'est des choix qu'on n'avait pas avant. Plus que jamais, on va avoir besoin d'auteurs de doublage. Ça me paraît évident, c'est plutôt un métier qui devrait tendre à se développer plutôt qu'à se réduire.

  • Speaker #2

    Il y a beaucoup d'anecdotes à citer sur le travail des dialoguistes de doublage. Sont-ils bridés par une censure ? Comment choisissent-ils de faire se tutoyer ou vouvoyer des personnages ? Écrit-on différemment pour la jeunesse ? Comment les auteurs apprennent-ils leur métier ? Les réponses, dans les autres épisodes. de devine qui vient doubler.

Chapters

  • Introduction au doublage et à ses métiers

    00:00

  • Le processus de création d'une version française

    00:32

  • L'importance des dialoguistes dans le doublage

    01:07

  • Le rôle du détecteur dans le doublage

    03:05

  • L'écriture des dialogues et les défis rencontrés

    05:05

  • La vérification et l'enregistrement des comédiens

    08:37

  • Le montage et le mixage des pistes audio

    13:44

  • Les retouches et la relation avec le client

    23:32

  • L'avenir du doublage face à l'intelligence artificielle

    27:37

Description

Pour passer d'un film original à sa version française, il ne suffit pas d'un coup de baguette magique !

Vanessa Bertran nous emmène dans les coulisses d'un studio de doublage, à la rencontre des professionnels qui interviennent tout au long d'un processus qui fait intervenir plusieurs métiers différents, notamment les dialoguistes. 

Essentiels dans la qualité finale d'une œuvre cinématographique, leur talent consiste pourtant, comme le rappelle Philippe Videcoq, a être le plus imperceptibles possible ! 

En savoir plus :

Une exposition en ligne sur le site du Musée de la Sacem va vous faire découvrir l’histoire du doublage ainsi que les dialoguistes emblématiques qui se cachent derrière les films que nous connaissons tous. 

Partez également à la découverte du métier aujourd’hui. 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Pour passer de la version originale d'un film à sa version française, est-ce qu'un coup de baguette magique suffit ? Non, non, non, non, non. Et puis ce ne sont pas non plus les comédiens qui improvisent un texte pendant l'enregistrement. La réalisation d'une version française, c'est un long processus très professionnalisé, avec plein d'étapes et de métiers différents, notamment les dialoguistes. Ils ont une responsabilité et un apport créatif. essentiels pour la carrière du film. Alors, dans les coulisses d'un studio de doublage, devine qui vient doubler. Le musée Sacem présente un podcast créé et dialogué par Vanessa Bertrand. L'essence même du cinéma, c'est de créer l'illusion. Et pour que les faits fonctionnent, le truc du magicien doit passer inaperçu. Comme le résume Philippe Wittcock, dialoguiste de Toy Story, pirate des Caraïbes et Matrix, entre autres. Le but, c'est d'être le plus invisible possible, de rester un peu dans l'ombre, de s'effacer et de faire croire que le film a été tourné en français alors qu'il l'a pété. Au départ, on a un film dans sa version originale. Et on doit arriver à une version de ce film qui conserve l'image, la musique, les bruitages, mais avec des dialogues dans une langue cible, interprétée par des comédiens. D'où le terme de doublé, parce qu'on double la piste image d'une piste son différente. Le doublage, c'est comme un immense porte-avions lancé sur les flots de la post-production audiovisuelle. Il y a du monde sur le pont et beaucoup de métiers. Chacun a sa fonction pour arriver à bon port. Le commandant de bord, c'est une entreprise spécialisée dans le doublage, ce qu'on appelle dans notre jargon un doubleur, même si le grand public attribue parfois ce nom aux auteurs ou aux comédiens. Donc, si dans un dîner avec des gens du métier vous dites un doubleur pour parler d'une société, on vous prendra tout de suite au sérieux. Et vous aurez droit deux fois à du dessert. Pour commencer, un producteur, un distributeur ou un diffuseur, comme TF1, Warner ou Paramount, va démarcher plusieurs doubleurs qui lui feront des devis, et il optera pour telle ou telle société. La dite société, une fois qu'elle aura décroché le marché, va mettre la machine en route. Un chargé de projet va coordonner toutes les étapes pour respecter le rétro-planning qui découlera de la date de livraison de la VF prête à diffuser. Il va faire intervenir tout d'abord un détecteur. Alors pas n'importe lequel, pas un détecteur de mensonges ni un détecteur de métaux, mais un détecteur de mouvements labiaux. En gros, mouvements des lèvres. Philippe Lebeau, dialoguiste de Colcase, Sherlock ou encore Rome, a trouvé une belle image pour parler de ce métier.

  • Speaker #1

    Le détecteur, pour moi c'est l'oreiller sur lequel on peut se reposer quand on travaille. C'est celui qui a mis la table. Avant de passer à table, voilà, la table est mise, le couvert est mis, tout est au bon endroit.

  • Speaker #0

    Vous avez peut-être déjà vu des reportages sur le doublage. On voit une bande qui défile sous un écran à la même vitesse que l'image et sur laquelle est écrit le texte que le comédien va interpréter. C'est le détecteur qui crée cette bande, la fameuse bande rythmographique, l'arithmo, un fichier synchronisé à l'image. Il découpe le film en boucles, segments d'environ 40 secondes, la durée idéale d'enregistrement sans s'arrêter. Parce que le doublage, c'est du cinéma. On enregistre par petits bouts et dans le désordre. Le terme de boucle vient du fait qu'autrefois, la rythmo était une bande de celluloïdes qu'on coupait réellement à coup de ciseaux et qu'on collait de manière à ce qu'elle défile en boucle sur le plateau d'enregistrement jusqu'à ce que le directeur artistique et l'ingénieur du son soient satisfaits. Ensuite, le détecteur va identifier tous les personnages présents dans une boucle, noter leur nom sur la bande au moment où ils commencent à parler. Puis, ils reportent leur texte original en l'étirant en fonction de l'articulation du comédien filmé. Car il n'y a pas deux personnes qui prononcent la même réplique de la même manière. Ils prêtent notamment attention au labial, ce que les maîtresses d'école appellent de nos jours les lettres Mbappé, les M, B et P. qui provoque une fermeture totale des lèvres. Vincent Violette, comédien qui a notamment prêté sa voix à John Turturro, Rupert Everett ou Lorenzo Lamas, est aussi dialoguiste. Il explique en quoi la détection est indispensable.

  • Speaker #1

    On peut la lire et sans même regarder l'image, on peut presque dire comment la comédienne, le comédien qui s'exprime doit parler. Parce que, ça c'est les grandes détections, avec plein de petits signes, quand elles sont bien fouillées, c'est une vraie partition qu'on peut suivre.

  • Speaker #0

    Alors, au-dessus de ces lettres, le détecteur va mettre un tiret qui prendra... plus ou moins de place en fonction du temps que le comédien mettra à rouvrir la bouche. Une semi-labiale comme le V ou le maudisson TH de Thank You ou la longue ressort, ce sera une croix. Un O très fermé comme dans I don't know, ce sera une vaguelette en Q de poule. Un A, une grande vaguelette dans le sens inverse. Et des signes, il y en a bien d'autres. Ils peuvent sembler cabalistiques à quelqu'un qui n'est pas du métier.

  • Speaker #1

    Au début, on dirait du chinois. On se dit, mais jamais, je vais faire quoi que ce soit avec ça. Et après, on s'aperçoit que, merci monsieur le détecteur ou madame la détectrice d'avoir mis l'ouverture de phrase là parce que j'allais, moi, bêtement la mettre un peu à côté. Et si j'avais fait ça, je serais décalé et ça n'irait pas du tout. Donc, ce travail, c'est vraiment un métier que je défends et j'espère qu'il va perdurer.

  • Speaker #0

    Il arrive que des auteurs se détectent. Enfin, réalisent eux-mêmes la détection du film qu'ils vont adapter. Mais c'est loin d'être la majorité. Certains doubleurs ont profité de l'apparition du numérique pour tenter d'imposer aux dialoguistes de se détecter, mais c'est une aberration, sauf quand c'est réellement le choix de l'auteur. Car au contraire, nous avons besoin du regard de ce technicien pour nous guider. Et puis le détecteur est un salarié employé par le doubleur. Les sociétés peu scrupuleuses qui imposent la détection se contentent de rallonger la rémunération de droits d'auteur, ce qui est illégal. mais permettent aux sociétés de verser moins de cotisations sociales. Gare au contrôle URSAF. Un détecteur met environ trois jours pour envoyer une bande rythmo détectée de 40 minutes. Il envoie aussi au doubleur ce qu'on appelle un croisillier, un tableau à double entrée. En ordonnée, les listes des boucles numérotées. En abscisse, les noms des personnages. Et une croix à chaque fois qu'un rôle est dans une boucle. Ce document est essentiel pour le directeur artistique. qui organise les enregistrements et convoque les comédiens. Ensuite, c'est au tour de l'auteur. Sa mission ? Écrire des dialogues inspirés des dialogues originaux, mais en français. On lui envoie la détection et une copie du film, ainsi que le script.

  • Speaker #1

    À chaque fois que je prends un film, mais ça peut être le film le plus difficile ou le plus simple, les dix premières minutes, je me dis que je n'y arriverai pas. Je ne vais pas y arriver, je ne comprends pas. Même en ayant vu évidemment le film plusieurs fois avant, en ayant travaillé sur le texte, j'ai toujours une appréhension sur les dix premières minutes. Et au bout de dix minutes, quand l'alchimie se passe bien, je m'amuse comme un fou, parce que j'ai du plaisir tous les matins à retrouver les personnages.

  • Speaker #0

    Si le film se déroule dans un univers particulier, comme le médical ou le juridique, ou encore le monde sportif, Le dialoguiste doit faire beaucoup de recherches. C'est un exercice assez particulier auquel nous avons consacré tout un podcast. Mot compte triple, écrire pour la comédie ou un genre spécifique. Une fois qu'il a accroché le fichier de la détection avec celui de l'image, le dialoguiste fait appel à ses connaissances linguistiques, sa sensibilité, son savoir-faire, pour créer les dialogues français qu'il écrit en suivant la chronologie du film. C'est différent du travail de traducteur, comme l'explique David Ribotti, qui a justement été traducteur avant de devenir dialoguiste.

  • Speaker #1

    Pour moi, quand on dit traducteur, c'est quelque chose de bien spécifique, aussi bien au niveau du statut de la profession, qui est un statut libéral, qu'au niveau du type d'activité ou de travaux qu'on fait. Je me sens avant tout auteur-dialoguiste, c'est-à-dire que j'ai vraiment l'impression d'écrire tout simplement. On essaye de recréer quelque chose, on a une partie créative qui est... indéniable. La traduction, je considère qu'elle représente quoi ? Si ça pouvait se chiffrer, je dirais que c'est quoi ? 5-10% du travail que nous faisons. C'est juste une passerelle pour comprendre ce qu'on entend. À partir de là, le vrai travail, c'est véritablement transposer la langue originale en langue française, audible, compréhensible, correcte, habile, drôle, s'il le faut.

  • Speaker #0

    Ce qui compte, c'est que le ton soit juste. et que le rythme soit respecté. Et le sens, bien évidemment, ça c'est le degré zéro de notre écriture. Le plus important, c'est de garder en tête que notre texte sera interprété par un comédien, ce qui fait de nous des dialoguistes. comme le confirme Jean-Jacques Prond, dialoguiste des séries Friends, Nip-Tuck et Soprano.

  • Speaker #1

    Je dis tout le temps, la première chose, c'est qu'on ne fait pas parler un avocat comme on fait parler un clodo, on ne fait pas parler un adulte comme on fait parler un enfant,

  • Speaker #0

    etc. Il faut que nos répliques sonnent, qu'elles soient belles à entendre. Le dialoguiste n'écrit pas pour être lu, contrairement à l'auteur de sous-titres dont le travail est expliqué dans le podcast « Le sous-titrage, une cuisine sans gras » . Si bien que la plupart des dialoguistes clament leurs répliques tout haut. à mesure qu'ils les écrivent, ce qui interdit le travail dans un lieu public comme une bibliothèque, car on ne tarderait pas à se faire déloger ou embarquer par des infirmiers d'un asile psychiatrique. C'est ce qui aurait pu arriver au couple de dialoguistes Juliette Vigouroux et Alain Cassar à l'époque où ils écrivaient les dialogues des Simpsons. Pour écrire, on prenait la voix d'Homère et la voix de Mars. On essayait de les imiter un peu, mais... Disons pour avoir le rythme aussi, on jouait Homer et Marge. Le dialoguiste est en contact dès le départ avec le directeur artistique, qui est le réalisateur de la version française, celui qui dirigera les comédiens sur le plateau. Ils échangent autour des personnages et il arrive que le directeur artistique suggère des niveaux de langue, des petits tics de langage pour tel ou tel rôle. Et puis parfois ce sont des indications vagues comme « tu me les fais parler jeune » . Mais bon, l'adaptateur s'adapte. Il incarne tour à tour tous les rôles pour deviner ce qui sortira le plus naturellement de leur bouche.

  • Speaker #1

    On ne fait jamais deux fois la même chose. On pourrait croire, ouais, mais à force, t'es habitué, ça va passer tout seul. En fait, non, ça passe jamais tout seul. Jamais. J'ai lu cette phrase dix fois. He died in horrible pain. Comment tu dis ça en français en étant synchrone ? C'est pas possible. Eh ben, je sais pas, la dernière fois j'avais mis ça, mais là ça passera plus parce que... Parce que là, on le voit trop. Il est plein, un gros plan dans l'écran. On voit trop sa bouche. Il va falloir que je trouve autre chose. Mais ça passait très bien la dernière fois. Mais là, ça ne passera plus. Il n'y a pas deux fois la même situation. Et je trouve ça génial parce qu'on ne peut jamais s'endormir quand on adapte.

  • Speaker #0

    Philippe Lebeau vient d'évoquer le synchronisme. Souvent, les gens pensent que c'est notre préoccupation numéro un. Mais la question ne se pose pas en ces termes. Prenez un cruciverbiste. Son cerveau va en même temps chercher le mot juste. et celui qui a le nombre de lettres requis. Un parolier à qui un compositeur a confié une mélodie sera confronté au même casse-tête. Des rimes, une prosodie à respecter, et puis un texte musical qui, tant qu'à faire, fait sens. Le dialoguiste de doublage doit vivre une réplique, parfois la répéter tout haut, en VO, jusqu'à ce que sens, sensibilité, rythme, justesse et synchronisme sortent simultanément. Bien entendu, on parle d'une situation idéale. Il arrive que l'un des critères ne soit pas au rendez-vous, alors on retravaille nos répliques.

  • Speaker #1

    Si on commence par le synchronisme, on écrit un texte qui est un peu esclave de l'original, qui est un peu bancal parfois, un peu lourd, il me semble. Donc moi, ce n'est pas la première chose à laquelle je m'attache.

  • Speaker #0

    Je vous ai parlé des répliques, mais il y a aussi ce qu'on appelle les ambiances. Un texte qu'il faut inventer entièrement. car il ne figure pas sur le script. Une ambiance, c'est la panique exprimée par une vingtaine de piétons qui assistent à l'arrivée inattendue d'une soucoupe volante dont sortent des aliens polymorphes. Ce sont des clients en arrière-plan au restaurant, ce qu'on peut assimiler à de la figuration. L'auteur doit écrire l'ensemble des dialogues que des comédiens vont enregistrer, ce qui peut prendre un temps considérable.

  • Speaker #1

    Je me suis vu passer... quasiment des nuits à écrire un dialogue qui ait du sens entre deux personnages qui parlent en second plan à une table de restaurant, c'est souvent dans les restaurants, parce qu'ils bougent pas, ils sont calmes, mais ils discutent beaucoup, ils parlent, et il faut leur inventer une histoire, un problème de voiture avec la tente, machin, qui n'est évidemment pas dans le script original, qui est pour le coup une vraie part créative de notre écriture, ça nécessite du coup de mobiliser des comédiens, donc de payer des gens, nous ça nous fait beaucoup de travail en plus. Mais quand c'est bien fait, j'avoue qu'au final, le résultat est quand même sympa. Parce que là, du coup, on entend vraiment des gens parler en français, ils sont nombreux. Et on est immergé. Je crois que ça participe vraiment à l'immersion dans ce qu'on regarde.

  • Speaker #0

    Quand on a adapté tous les dialogues d'un film, on les relit. Tous les auteurs ne procèdent pas pareil. On peut se relire à voix haute et à plat, comme on dit, c'est-à-dire sans l'image, comme si c'était les répliques d'un film français original. On remarque alors des petites choses qui sonnent faux. et qu'on doit retravailler. Quand on est content de ces corrections, on reprend le film au début et on vérifie avec l'image qu'aucun dialogue ne nous a échappé, que tout est bien synchrone et que le résultat sonne naturel, que toutes les répliques s'enchaînent. Toutes ces étapes d'écriture prennent bout à bout 6 ou 7 jours pour un épisode de série. Près de 3 semaines pour un film. Il arrive que le client demande à relire le texte, ce qui donne lieu à une phase de correction à reporter. Parfois ces modifications sont justifiées car l'erreur est humaine. Et parfois on relève des choses assez cocasses. J'ai pour ma part fait parler des terroristes qui manipulaient du TNT. Vous savez, le trinitrotolène, l'explosif. Eh bien, la chaîne m'a fait remarquer qu'on devrait plutôt parler de la TNT. Des anecdotes comme ça, les professionnels en ont à la pelle.

  • Speaker #1

    Les bagarres entre les différentes officines policières aux Etats-Unis, le chef de la police qui dit « je voudrais que l'affaire avance, vos querelles intestinales, j'en ai rien à foutre » . La chaîne qui dit « ne devrait-on pas dire vos querelles intestinales ? » Ça a souvent généré des tensions entre les auteurs qui se disaient « Non, il n'y a pas question que je dise « Non, sois gentil » au lieu de « Va te faire foutre » parce que c'est ce qu'il dit en anglais. » Et donc, je refuse d'écrire. Il pouvait y avoir parfois des points d'achoppement sur ce genre de choses. Franchement, depuis l'arrivée des plateformes, j'ai l'impression que ce n'est plus un sujet. J'ai l'impression qu'on écrit, quel que soit le niveau de langage utilisé, la violence de terme, on y va. Si c'est ce qu'il dit, on y va. Je pense qu'on est hélas... Plus dans, parfois trop, la traduction. On a l'impression que l'attente du client, c'est « écoutez, vous dites ce qu'il dit en anglais, donc vous traduisez fidèlement » . Ce qui est un peu limitant pour nous, parce que le but du jeu n'est pas du tout de traduire, il est d'être juste.

  • Speaker #0

    Être juste et être synchrone à la fois, c'est une gymnastique que les auteurs ont parfois du mal à faire comprendre à leur donneur d'ordre, comme le raconte Jean-Jacques Prond à propos de la réplique « I can't » . Alors moi j'avais écrit, je regrette comme beaucoup de gens sur iCount, la nana qui était,

  • Speaker #1

    je ne sais plus dans quelle boîte c'était, enfin ni pour quelle chaîne, m'avait envoyé un fax en mettant en gros iCount égale je ne peux pas. Et je lui avais renvoyé un fax en lui disant, je sais très bien depuis la sixième, puisque je fais de l'anglais depuis la sixième, que iCount ça veut dire je ne peux pas.

  • Speaker #0

    Sauf que si je vous mets je ne peux pas,

  • Speaker #1

    où il y a deux labiales sur iCount, ça ne marchera pas,

  • Speaker #0

    vous allez nous faire un retec parce que ça ne sera pas synchrone.

  • Speaker #1

    Est-ce que ça vous ennuie de venir sur un plateau ?

  • Speaker #0

    Comme ça,

  • Speaker #1

    vous verrez ce qu'est le doublage.

  • Speaker #0

    Autrefois, disons jusqu'à 2010, même si la transition ne s'est pas faite du jour au lendemain, nous écrivions notre texte, non pas à l'ordinateur, qui synchronise aujourd'hui une bande virtuelle à l'image, mais sur une bande de celluloïdes, que j'ai évoquée un peu plus tôt. Cette bande, qui comprenait à la fois la détection et le texte de l'auteur en dessous, étaient bien entendu illisibles pour les comédiens. Car d'une part, ils n'ont pas besoin de voir la détection, et d'autre part, les auteurs n'avaient pas des écritures de maîtresses d'école. C'est pour ça qu'on avait besoin de calligraphe, métier qui a disparu avec l'avènement du numérique, et dont nous parle Laurence Salva, dialoguiste, qui a commencé dans le doublage par être calligraphe. L'adaptateur écrivait sur une bande,

  • Speaker #1

    où il y avait au-dessus tout le texte en anglais,

  • Speaker #0

    avec un crayon noir très gras. Et la Cali, en fait, écrivait très proprement sur une bande transparente le texte en français. Donc, il fallait très bien écrire. Enfin, il fallait écrire de façon très lisible. C'était très fastidieux. Moi, j'ai commencé comme ça, en fait. Et au bout d'un moment, je me suis dit, en voyant les traductions,

  • Speaker #1

    que je pourrais faire aussi bien.

  • Speaker #0

    Avant de passer à l'enregistrement des comédiens, il reste une étape. La rencontre du dialoguiste. et du directeur artistique. Ils font ensemble ce qu'on appelle une vérification ou vérif. C'est-à-dire que l'auteur lit tous ses dialogues face à l'image, à voix haute, de façon synchrone, en interprétant tous les rôles à la fois. Le directeur artistique interrompt la vérification quand un dialogue lui semble imparfait ou qu'il est possible de l'améliorer, ou encore quand il sent que les comédiens buteront sur une formulation, par exemple. L'angoisse de la vérif, bien connue des auteurs, est résumé par Philippe Wittgoch.

  • Speaker #1

    Ce qui est compliqué, c'est d'arriver à lâcher prise aussi, de ne pas être totalement accro à son texte. Les gens avec qui on vérifie sous-estiment un peu, je pense aussi, le travail. On s'est beaucoup donné, on a beaucoup travaillé et on a tendance à ne pas toujours être très ouvert à des demandes de modification. Certaines sont justifiées, mais certaines sont très subjectives aussi. Chaque client a aussi d'ailleurs des demandes tout à fait différentes. Il y a des mots qu'il faut éviter avec un tel et qui passent avec un autre.

  • Speaker #0

    L'objectif est que le directeur artistique arrive à l'enregistrement en maîtrisant totalement les dialogues que les comédiens devront interpréter. Le directeur artistique Hubert Drac nous explique en quoi cette étape est importante.

  • Speaker #1

    Un comédien qui voit un directeur artistique qui doute, ça lui met le doute et il se demande s'il ne faut pas faire autre chose.

  • Speaker #0

    Le comédien Georges Caudron est connu pour avoir doublé entre autres David Duchovny, le héros de la série X-Files. Mais il est aussi directeur artistique. Et il nous explique en quoi la vérif lui est indispensable pour diriger ses comédiens.

  • Speaker #1

    Sur le plateau, ce n'est pas rare que quand un acteur ou une actrice n'arrive pas à faire quelque chose, de dire « ah oui, mais ce n'est pas ce qu'il dit en anglais » . Je dis « mais on s'en fout, puisque après il va dire ça parce que c'est pour ça » . Et que d'un seul coup, c'est beaucoup plus intéressant de l'avoir traduit dans ce sens-là et d'avoir donné cette émotion-là, parce que c'est exactement ça qui correspond. Et ça, on ne l'a que quand on a le film dans la main. Et on a eu des discussions avec l'auteur en disant Mais pourquoi il dit ça ? Pourquoi il fait ça ? Je ne comprends pas pourquoi tu lui as dit de faire ça. Tu fais le travail de vrai directeur artistique. Et ensuite, quand le comédien sur le plateau dit « mais pourquoi je dis ça ? » , tu as une réponse immédiate. Tu dis « parce que ça, ça » .

  • Speaker #0

    En studio, le directeur artistique est assis à côté de l'ingénieur du son. Il s'assure qu'aucune réplique ne soit oubliée et il dirige les comédiens et leur fait reprendre les enregistrements jusqu'à ce qu'ils soient satisfaits de leur jeu.

  • Speaker #1

    Donc ça, c'est la direction de plateau. C'est essayer de mettre les gens le plus à l'aise possible. Ils n'ont pas vu le film. Toi, tu as vu le film deux ou trois fois. Tu sais à peu près où vont les personnages et pourquoi ils font ça. Il ne faut pas craindre d'utiliser la psychanalyse. Parce qu'on dit, je pense qu'il déteste sa mère. C'est pour ça qu'il dit que je pense qu'il a envie de coucher avec elle. Alors c'est pour ça. Il n'ose pas lui dire qu'il l'aime ou il n'ose pas lui dire... Et d'un seul coup, ça dénoue des choses. J'utilisais aussi beaucoup des pièces de théâtre. c'est du marivaux C'est le quatuor amoureux de Marivaux. Quand tu as affaire à des vrais comédiens, tout de suite, ils font « bah oui, hop ! » Je plonge immédiatement, je comprends tout à fait. Il faut toujours donner des équivalences un petit peu comme ça avec le théâtre classique, parce que c'est toujours la même histoire.

  • Speaker #0

    L'ingénieur du son est un personnage très important sur le plateau. Il est le premier auditeur, c'est lui qui juge de la qualité de l'enregistrement et qui est responsable des prises de son. Danny Tayarda. comédienne qu'on a entendue aussi bien dans X-Files, où elle interprétait la mère de Scully, que dans Les Feux de l'amour, dans lesquels elle joue depuis 30 ans, nous parle de la connivence entre l'ingé son et ses comédiens. Avec certains ingénieurs, j'avais une voix extraordinaire, donc avec une richesse. Et puis d'autres fois, mais alors, c'était horrible, c'était plat, c'était... grisaille. Il n'y avait pas de relief. Comme dans tous les métiers, il y a des gens qui sont bons, d'autres qui sont moins bons. Mais c'est très important parce que ça peut tout changer. Il suffit pas d'avoir une bonne interprétation du comédien. Si l'ingénieur du son ne répond pas, ben ça fout tout en l'air.

  • Speaker #1

    Avec des ingé, on peut faire un travail très fin de ciselage du son qui se rapproche aussi de la VO. On choisit les micros. peu compensée avec des micro-cravates, style des micros qui ont été utilisés lors du tournage, pour récupérer le son au maximum, avoir un son identique à celui du son original. Dans le temps, on avait des perchman qui suivaient le comédien. Et c'était merveilleux.

  • Speaker #0

    Une fois que tout est enregistré, il faut monter, à savoir sélectionner les prises, même si le numérique a rendu cette opération quasi instantanée et se fait en partie sur le plateau. Mais il reste toujours des respirations à travailler, des répliques à replacer précisément, à recaler. Puis on entre en phase de mixage, où il faut équilibrer les différentes pistes. Celle des comédiens et ce qu'on appelle la version internationale, la VI, à savoir l'ébrutage et la musique. Il n'y a pas toujours eu de version internationale. Autrefois, on disposait de la bande musicale. Mais les bruitages étaient sur la même piste que les voix originales. Il fallait donc refaire ce même bruitage en français. D'où la présence pendant de nombreuses années de bruiteurs sur les plateaux de doublage, comme l'explique la dialoguiste Laurence Salva. À l'époque, il y avait un monsieur derrière les comédiens qui était dans une espèce de cabine et qui avait des objets du quotidien. Et avec ces objets, il faisait des bruits extraordinaires du style les bruits d'un... d'un train en train de rouler sur une voie. Aujourd'hui, les producteurs envoient systématiquement une version internationale, musique plus bruitage, qu'il ne reste plus qu'à mixer avec les dialogues doublés. Le doubleur fait alors parvenir à son client une copie du résultat. Le client la visionne, il repère des points qui restent perfectibles, relève parfois des erreurs et nous renvoie la copie. Nous devons alors faire des re-techs ou retouches, soit pour l'interprétation du comédien, soit pour le mixage, soit pour le texte. On demande donc à l'auteur, qui est souvent déjà passé à un autre film, de proposer une version alternative à telle ou telle réplique de la 112e minute. Et il doit fournir sa proposition dans la seconde. alors qu'il fait la queue au supermarché ou qu'il est aux urgences en train de tenir le bras de son enfant qui a fait une mauvaise chute. Pour l'auteur, l'usage fait que cela relève du service après-vente, donc sans rémunération supplémentaire. Jean-Jacques Prond raconte tous les re-techs, à savoir changements de texte, qu'il a fallu faire à la série culte Friends quand elle a changé de diffuseur, passant de Canal Jimmy à Antenne 2, l'ancêtre de France 2.

  • Speaker #1

    Alors là,

  • Speaker #0

    on a fait 400 re-techs. Parce qu'Antenne 2, ils étaient quand même un peu serrés du cul. Et Canal Jimmy avait dit,

  • Speaker #1

    vous essayez de garder l'esprit de la série. L'esprit de la série,

  • Speaker #0

    elle était un peu grossière.

  • Speaker #1

    Quand il y avait des gros mots, il y avait des gros mots.

  • Speaker #0

    Il y a aussi une phase qui s'appelle la conformation. De plus en plus, les séries nous parviennent avant le montage définitif. Nous rendons donc notre adaptation et une semaine après, le téléphone sonne.

  • Speaker #1

    J'ai fait une scène,

  • Speaker #0

    j'ai fait un plan par-ci par-là. Et ils en ont aussi coupé. La chargée de prod qui nous dit ça d'un air convaincu ne se rend pas compte que pour le dialoguiste, cela signifie se remettre dans l'ambiance totale d'un film. Et puis quand on coupe certains plans, il y a des répliques qui ne se répondent plus. Donc c'est toute la scène qu'il faut à nouveau passer au crible. Le pire a été les hobbits de Jackson. Ça a été épouvantable. Ça a été effrayant,

  • Speaker #1

    effrayant.

  • Speaker #0

    On avait une version qu'on appelle préliminaires, 1, 2, 3. Dans la 3, dans la 3e, on remettait ce qu'on avait enlevé dans la 2. Enfin bon, sans cesse, sans cesse, des nouvelles versions. Il a travaillé sur son montage jusqu'à l'ultime minute. Les comédiens avaient fini d'enregistrer, tout était fini quand on a eu la version finale. Ils ont fait des retakes, enfin bon, et après on a eu une final revise, une version finale révisée. Je ne comprenais plus rien au film, je ne savais plus ce qui se passait. Vient ensuite pour l'auteur le moment de se faire payer pour son travail. Il n'est pas le salarié du doubleur, il lui cède le droit d'exploiter son travail. Si ce sujet vous intéresse, il est développé dans le podcast Dialoguiste de doublage. Vous en vivez ?

  • Speaker #1

    Lorsque je termine un travail, une adaptation, je dois émettre une note de droit d'auteur et je dois aussi récupérer une attestation qui me permettra de déposer le programme sur lequel j'ai travaillé à l'Assasem, qui est donc un organisme de gestion collective qui s'occupera de répartir une partie de ma rémunération par la suite lorsque le programme sera diffusé.

  • Speaker #0

    Puis le dialoguiste doit s'adonner à certaines des nombreuses joies administratives qu'il partage avec les indépendants, à savoir s'acquitter lui-même d'une partie de ses cotisations sociales, gérer son budget, sachant qu'il ne bénéficie ni de congés payés ni d'assurance chômage. Il peut néanmoins se faire guider à travers ses méandres administratifs, par les services de l'Assasem ou par des organisations professionnelles. Régulièrement dans la presse, on voit apparaître la menace de l'intelligence artificielle. Mais beaucoup d'auteurs tentent à penser que leur tâche n'est pas mécanisable. C'est notamment le cas de la dialoguiste Isabelle Audineau. Ce type de traduction automatique existe déjà dans la traduction technique depuis des années et on voit ce que ça a donné. C'est-à-dire qu'en fait, le traducteur devient un relecteur, devient un éditeur et il corrige la machine qui travaille mal. Et particulièrement là, au niveau des textes littéraires et des textes de cinéma, des histoires de fiction, c'est très compliqué pour une machine de faire la part des choses. Et je pense qu'en fait, la machine va très mal travailler. Mais c'est aux auteurs de refuser de devenir des relecteurs. Parce que là, on est en train de complètement perdre ce qui fait la spécificité de notre métier, c'est de traduire. Donc, tu peux changer dans le détail. Mais c'est comme un vêtement qui est raté dès le départ. Si tu as donné un coup de ciseau, tu ne peux plus faire un truc bien. Et pour moi, je pense que c'est pareil, la traduction. On traduit du sens, on ne traduit pas des mots.

  • Speaker #1

    L'intelligence artificielle. et pas l'humain. Alors maintenant, on pourrait peut-être faire une version française entièrement automatisée avec des voix de robots. Ouais, ok, on va essayer. Je crois même que ça a été fait une fois, à titre expérimental. Allons-y, faisons-le. Très honnêtement, le public, il ne faut pas le prendre pour un con, il ne va pas être dupe très longtemps. Je crois qu'il y a une grande partie de l'intelligence artificielle qui est fantasmée. Donc je ne la redoute pas tellement. J'espère en tout cas que c'est un faux problème.

  • Speaker #2

    Le doublage est l'industrie qui rend les films accessibles à des millions de spectateurs et téléspectateurs. Même si on ne retient souvent que les comédiens, c'est en fait toute une chaîne de fabrication qui est à l'œuvre pour créer l'illusion ultime que Bruce Willis ou Nicole Kidman ont tourné le film en français. Le dialoguiste doit faire avec de nombreuses contraintes métiers, même s'il parvient, avec l'expérience, à ne pas être trop perturbé par cette grosse machine et arriver à se plonger dans le film. pour ne plus penser qu'à une chose, les personnages et ce qu'il va leur faire dire, comme l'exprime chacun à leur manière, Chloé Matz, dialoguiste débutante et le grand professionnel Philippe Wittkoch.

  • Speaker #3

    Sans les auteurs de doublage, il n'y a pas de texte. Finalement, c'est peut-être un peu bête, mais c'est aussi le texte qui fait vivre l'œuvre. Le mot-clé du métier, c'est quand même le plaisir de travailler. Mettre à profit sa créativité pour produire quelque chose de beau.

  • Speaker #2

    Et malgré la menace de l'intelligence artificielle, on peut penser que le métier de dialoguiste a encore de belles années devant lui. Car le public reste friand des films et séries venus des quatre coins du monde, comme le pense Claire Giraudin, directrice de SACEM Université, un département de la SACEM dédié à la valorisation des œuvres.

  • Speaker #4

    La nécessité de doublage des œuvres, elle est essentielle. Et je dirais même, elle est de plus en plus importante. parce que Des grandes plateformes, notamment américaines, on va dire, nous proposent à nos spectateurs de plus en plus de choix en termes audiovisuels. Et elles ont une politique qui est aussi beaucoup de faire créer dans les différents pays où elles sont installées. Donc elles font énormément de créations originales. Donc on a accès tout à coup à des œuvres espagnoles, roumaines. Ça, c'est des choix qu'on n'avait pas avant. Plus que jamais, on va avoir besoin d'auteurs de doublage. Ça me paraît évident, c'est plutôt un métier qui devrait tendre à se développer plutôt qu'à se réduire.

  • Speaker #2

    Il y a beaucoup d'anecdotes à citer sur le travail des dialoguistes de doublage. Sont-ils bridés par une censure ? Comment choisissent-ils de faire se tutoyer ou vouvoyer des personnages ? Écrit-on différemment pour la jeunesse ? Comment les auteurs apprennent-ils leur métier ? Les réponses, dans les autres épisodes. de devine qui vient doubler.

Chapters

  • Introduction au doublage et à ses métiers

    00:00

  • Le processus de création d'une version française

    00:32

  • L'importance des dialoguistes dans le doublage

    01:07

  • Le rôle du détecteur dans le doublage

    03:05

  • L'écriture des dialogues et les défis rencontrés

    05:05

  • La vérification et l'enregistrement des comédiens

    08:37

  • Le montage et le mixage des pistes audio

    13:44

  • Les retouches et la relation avec le client

    23:32

  • L'avenir du doublage face à l'intelligence artificielle

    27:37

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Description

Pour passer d'un film original à sa version française, il ne suffit pas d'un coup de baguette magique !

Vanessa Bertran nous emmène dans les coulisses d'un studio de doublage, à la rencontre des professionnels qui interviennent tout au long d'un processus qui fait intervenir plusieurs métiers différents, notamment les dialoguistes. 

Essentiels dans la qualité finale d'une œuvre cinématographique, leur talent consiste pourtant, comme le rappelle Philippe Videcoq, a être le plus imperceptibles possible ! 

En savoir plus :

Une exposition en ligne sur le site du Musée de la Sacem va vous faire découvrir l’histoire du doublage ainsi que les dialoguistes emblématiques qui se cachent derrière les films que nous connaissons tous. 

Partez également à la découverte du métier aujourd’hui. 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Pour passer de la version originale d'un film à sa version française, est-ce qu'un coup de baguette magique suffit ? Non, non, non, non, non. Et puis ce ne sont pas non plus les comédiens qui improvisent un texte pendant l'enregistrement. La réalisation d'une version française, c'est un long processus très professionnalisé, avec plein d'étapes et de métiers différents, notamment les dialoguistes. Ils ont une responsabilité et un apport créatif. essentiels pour la carrière du film. Alors, dans les coulisses d'un studio de doublage, devine qui vient doubler. Le musée Sacem présente un podcast créé et dialogué par Vanessa Bertrand. L'essence même du cinéma, c'est de créer l'illusion. Et pour que les faits fonctionnent, le truc du magicien doit passer inaperçu. Comme le résume Philippe Wittcock, dialoguiste de Toy Story, pirate des Caraïbes et Matrix, entre autres. Le but, c'est d'être le plus invisible possible, de rester un peu dans l'ombre, de s'effacer et de faire croire que le film a été tourné en français alors qu'il l'a pété. Au départ, on a un film dans sa version originale. Et on doit arriver à une version de ce film qui conserve l'image, la musique, les bruitages, mais avec des dialogues dans une langue cible, interprétée par des comédiens. D'où le terme de doublé, parce qu'on double la piste image d'une piste son différente. Le doublage, c'est comme un immense porte-avions lancé sur les flots de la post-production audiovisuelle. Il y a du monde sur le pont et beaucoup de métiers. Chacun a sa fonction pour arriver à bon port. Le commandant de bord, c'est une entreprise spécialisée dans le doublage, ce qu'on appelle dans notre jargon un doubleur, même si le grand public attribue parfois ce nom aux auteurs ou aux comédiens. Donc, si dans un dîner avec des gens du métier vous dites un doubleur pour parler d'une société, on vous prendra tout de suite au sérieux. Et vous aurez droit deux fois à du dessert. Pour commencer, un producteur, un distributeur ou un diffuseur, comme TF1, Warner ou Paramount, va démarcher plusieurs doubleurs qui lui feront des devis, et il optera pour telle ou telle société. La dite société, une fois qu'elle aura décroché le marché, va mettre la machine en route. Un chargé de projet va coordonner toutes les étapes pour respecter le rétro-planning qui découlera de la date de livraison de la VF prête à diffuser. Il va faire intervenir tout d'abord un détecteur. Alors pas n'importe lequel, pas un détecteur de mensonges ni un détecteur de métaux, mais un détecteur de mouvements labiaux. En gros, mouvements des lèvres. Philippe Lebeau, dialoguiste de Colcase, Sherlock ou encore Rome, a trouvé une belle image pour parler de ce métier.

  • Speaker #1

    Le détecteur, pour moi c'est l'oreiller sur lequel on peut se reposer quand on travaille. C'est celui qui a mis la table. Avant de passer à table, voilà, la table est mise, le couvert est mis, tout est au bon endroit.

  • Speaker #0

    Vous avez peut-être déjà vu des reportages sur le doublage. On voit une bande qui défile sous un écran à la même vitesse que l'image et sur laquelle est écrit le texte que le comédien va interpréter. C'est le détecteur qui crée cette bande, la fameuse bande rythmographique, l'arithmo, un fichier synchronisé à l'image. Il découpe le film en boucles, segments d'environ 40 secondes, la durée idéale d'enregistrement sans s'arrêter. Parce que le doublage, c'est du cinéma. On enregistre par petits bouts et dans le désordre. Le terme de boucle vient du fait qu'autrefois, la rythmo était une bande de celluloïdes qu'on coupait réellement à coup de ciseaux et qu'on collait de manière à ce qu'elle défile en boucle sur le plateau d'enregistrement jusqu'à ce que le directeur artistique et l'ingénieur du son soient satisfaits. Ensuite, le détecteur va identifier tous les personnages présents dans une boucle, noter leur nom sur la bande au moment où ils commencent à parler. Puis, ils reportent leur texte original en l'étirant en fonction de l'articulation du comédien filmé. Car il n'y a pas deux personnes qui prononcent la même réplique de la même manière. Ils prêtent notamment attention au labial, ce que les maîtresses d'école appellent de nos jours les lettres Mbappé, les M, B et P. qui provoque une fermeture totale des lèvres. Vincent Violette, comédien qui a notamment prêté sa voix à John Turturro, Rupert Everett ou Lorenzo Lamas, est aussi dialoguiste. Il explique en quoi la détection est indispensable.

  • Speaker #1

    On peut la lire et sans même regarder l'image, on peut presque dire comment la comédienne, le comédien qui s'exprime doit parler. Parce que, ça c'est les grandes détections, avec plein de petits signes, quand elles sont bien fouillées, c'est une vraie partition qu'on peut suivre.

  • Speaker #0

    Alors, au-dessus de ces lettres, le détecteur va mettre un tiret qui prendra... plus ou moins de place en fonction du temps que le comédien mettra à rouvrir la bouche. Une semi-labiale comme le V ou le maudisson TH de Thank You ou la longue ressort, ce sera une croix. Un O très fermé comme dans I don't know, ce sera une vaguelette en Q de poule. Un A, une grande vaguelette dans le sens inverse. Et des signes, il y en a bien d'autres. Ils peuvent sembler cabalistiques à quelqu'un qui n'est pas du métier.

  • Speaker #1

    Au début, on dirait du chinois. On se dit, mais jamais, je vais faire quoi que ce soit avec ça. Et après, on s'aperçoit que, merci monsieur le détecteur ou madame la détectrice d'avoir mis l'ouverture de phrase là parce que j'allais, moi, bêtement la mettre un peu à côté. Et si j'avais fait ça, je serais décalé et ça n'irait pas du tout. Donc, ce travail, c'est vraiment un métier que je défends et j'espère qu'il va perdurer.

  • Speaker #0

    Il arrive que des auteurs se détectent. Enfin, réalisent eux-mêmes la détection du film qu'ils vont adapter. Mais c'est loin d'être la majorité. Certains doubleurs ont profité de l'apparition du numérique pour tenter d'imposer aux dialoguistes de se détecter, mais c'est une aberration, sauf quand c'est réellement le choix de l'auteur. Car au contraire, nous avons besoin du regard de ce technicien pour nous guider. Et puis le détecteur est un salarié employé par le doubleur. Les sociétés peu scrupuleuses qui imposent la détection se contentent de rallonger la rémunération de droits d'auteur, ce qui est illégal. mais permettent aux sociétés de verser moins de cotisations sociales. Gare au contrôle URSAF. Un détecteur met environ trois jours pour envoyer une bande rythmo détectée de 40 minutes. Il envoie aussi au doubleur ce qu'on appelle un croisillier, un tableau à double entrée. En ordonnée, les listes des boucles numérotées. En abscisse, les noms des personnages. Et une croix à chaque fois qu'un rôle est dans une boucle. Ce document est essentiel pour le directeur artistique. qui organise les enregistrements et convoque les comédiens. Ensuite, c'est au tour de l'auteur. Sa mission ? Écrire des dialogues inspirés des dialogues originaux, mais en français. On lui envoie la détection et une copie du film, ainsi que le script.

  • Speaker #1

    À chaque fois que je prends un film, mais ça peut être le film le plus difficile ou le plus simple, les dix premières minutes, je me dis que je n'y arriverai pas. Je ne vais pas y arriver, je ne comprends pas. Même en ayant vu évidemment le film plusieurs fois avant, en ayant travaillé sur le texte, j'ai toujours une appréhension sur les dix premières minutes. Et au bout de dix minutes, quand l'alchimie se passe bien, je m'amuse comme un fou, parce que j'ai du plaisir tous les matins à retrouver les personnages.

  • Speaker #0

    Si le film se déroule dans un univers particulier, comme le médical ou le juridique, ou encore le monde sportif, Le dialoguiste doit faire beaucoup de recherches. C'est un exercice assez particulier auquel nous avons consacré tout un podcast. Mot compte triple, écrire pour la comédie ou un genre spécifique. Une fois qu'il a accroché le fichier de la détection avec celui de l'image, le dialoguiste fait appel à ses connaissances linguistiques, sa sensibilité, son savoir-faire, pour créer les dialogues français qu'il écrit en suivant la chronologie du film. C'est différent du travail de traducteur, comme l'explique David Ribotti, qui a justement été traducteur avant de devenir dialoguiste.

  • Speaker #1

    Pour moi, quand on dit traducteur, c'est quelque chose de bien spécifique, aussi bien au niveau du statut de la profession, qui est un statut libéral, qu'au niveau du type d'activité ou de travaux qu'on fait. Je me sens avant tout auteur-dialoguiste, c'est-à-dire que j'ai vraiment l'impression d'écrire tout simplement. On essaye de recréer quelque chose, on a une partie créative qui est... indéniable. La traduction, je considère qu'elle représente quoi ? Si ça pouvait se chiffrer, je dirais que c'est quoi ? 5-10% du travail que nous faisons. C'est juste une passerelle pour comprendre ce qu'on entend. À partir de là, le vrai travail, c'est véritablement transposer la langue originale en langue française, audible, compréhensible, correcte, habile, drôle, s'il le faut.

  • Speaker #0

    Ce qui compte, c'est que le ton soit juste. et que le rythme soit respecté. Et le sens, bien évidemment, ça c'est le degré zéro de notre écriture. Le plus important, c'est de garder en tête que notre texte sera interprété par un comédien, ce qui fait de nous des dialoguistes. comme le confirme Jean-Jacques Prond, dialoguiste des séries Friends, Nip-Tuck et Soprano.

  • Speaker #1

    Je dis tout le temps, la première chose, c'est qu'on ne fait pas parler un avocat comme on fait parler un clodo, on ne fait pas parler un adulte comme on fait parler un enfant,

  • Speaker #0

    etc. Il faut que nos répliques sonnent, qu'elles soient belles à entendre. Le dialoguiste n'écrit pas pour être lu, contrairement à l'auteur de sous-titres dont le travail est expliqué dans le podcast « Le sous-titrage, une cuisine sans gras » . Si bien que la plupart des dialoguistes clament leurs répliques tout haut. à mesure qu'ils les écrivent, ce qui interdit le travail dans un lieu public comme une bibliothèque, car on ne tarderait pas à se faire déloger ou embarquer par des infirmiers d'un asile psychiatrique. C'est ce qui aurait pu arriver au couple de dialoguistes Juliette Vigouroux et Alain Cassar à l'époque où ils écrivaient les dialogues des Simpsons. Pour écrire, on prenait la voix d'Homère et la voix de Mars. On essayait de les imiter un peu, mais... Disons pour avoir le rythme aussi, on jouait Homer et Marge. Le dialoguiste est en contact dès le départ avec le directeur artistique, qui est le réalisateur de la version française, celui qui dirigera les comédiens sur le plateau. Ils échangent autour des personnages et il arrive que le directeur artistique suggère des niveaux de langue, des petits tics de langage pour tel ou tel rôle. Et puis parfois ce sont des indications vagues comme « tu me les fais parler jeune » . Mais bon, l'adaptateur s'adapte. Il incarne tour à tour tous les rôles pour deviner ce qui sortira le plus naturellement de leur bouche.

  • Speaker #1

    On ne fait jamais deux fois la même chose. On pourrait croire, ouais, mais à force, t'es habitué, ça va passer tout seul. En fait, non, ça passe jamais tout seul. Jamais. J'ai lu cette phrase dix fois. He died in horrible pain. Comment tu dis ça en français en étant synchrone ? C'est pas possible. Eh ben, je sais pas, la dernière fois j'avais mis ça, mais là ça passera plus parce que... Parce que là, on le voit trop. Il est plein, un gros plan dans l'écran. On voit trop sa bouche. Il va falloir que je trouve autre chose. Mais ça passait très bien la dernière fois. Mais là, ça ne passera plus. Il n'y a pas deux fois la même situation. Et je trouve ça génial parce qu'on ne peut jamais s'endormir quand on adapte.

  • Speaker #0

    Philippe Lebeau vient d'évoquer le synchronisme. Souvent, les gens pensent que c'est notre préoccupation numéro un. Mais la question ne se pose pas en ces termes. Prenez un cruciverbiste. Son cerveau va en même temps chercher le mot juste. et celui qui a le nombre de lettres requis. Un parolier à qui un compositeur a confié une mélodie sera confronté au même casse-tête. Des rimes, une prosodie à respecter, et puis un texte musical qui, tant qu'à faire, fait sens. Le dialoguiste de doublage doit vivre une réplique, parfois la répéter tout haut, en VO, jusqu'à ce que sens, sensibilité, rythme, justesse et synchronisme sortent simultanément. Bien entendu, on parle d'une situation idéale. Il arrive que l'un des critères ne soit pas au rendez-vous, alors on retravaille nos répliques.

  • Speaker #1

    Si on commence par le synchronisme, on écrit un texte qui est un peu esclave de l'original, qui est un peu bancal parfois, un peu lourd, il me semble. Donc moi, ce n'est pas la première chose à laquelle je m'attache.

  • Speaker #0

    Je vous ai parlé des répliques, mais il y a aussi ce qu'on appelle les ambiances. Un texte qu'il faut inventer entièrement. car il ne figure pas sur le script. Une ambiance, c'est la panique exprimée par une vingtaine de piétons qui assistent à l'arrivée inattendue d'une soucoupe volante dont sortent des aliens polymorphes. Ce sont des clients en arrière-plan au restaurant, ce qu'on peut assimiler à de la figuration. L'auteur doit écrire l'ensemble des dialogues que des comédiens vont enregistrer, ce qui peut prendre un temps considérable.

  • Speaker #1

    Je me suis vu passer... quasiment des nuits à écrire un dialogue qui ait du sens entre deux personnages qui parlent en second plan à une table de restaurant, c'est souvent dans les restaurants, parce qu'ils bougent pas, ils sont calmes, mais ils discutent beaucoup, ils parlent, et il faut leur inventer une histoire, un problème de voiture avec la tente, machin, qui n'est évidemment pas dans le script original, qui est pour le coup une vraie part créative de notre écriture, ça nécessite du coup de mobiliser des comédiens, donc de payer des gens, nous ça nous fait beaucoup de travail en plus. Mais quand c'est bien fait, j'avoue qu'au final, le résultat est quand même sympa. Parce que là, du coup, on entend vraiment des gens parler en français, ils sont nombreux. Et on est immergé. Je crois que ça participe vraiment à l'immersion dans ce qu'on regarde.

  • Speaker #0

    Quand on a adapté tous les dialogues d'un film, on les relit. Tous les auteurs ne procèdent pas pareil. On peut se relire à voix haute et à plat, comme on dit, c'est-à-dire sans l'image, comme si c'était les répliques d'un film français original. On remarque alors des petites choses qui sonnent faux. et qu'on doit retravailler. Quand on est content de ces corrections, on reprend le film au début et on vérifie avec l'image qu'aucun dialogue ne nous a échappé, que tout est bien synchrone et que le résultat sonne naturel, que toutes les répliques s'enchaînent. Toutes ces étapes d'écriture prennent bout à bout 6 ou 7 jours pour un épisode de série. Près de 3 semaines pour un film. Il arrive que le client demande à relire le texte, ce qui donne lieu à une phase de correction à reporter. Parfois ces modifications sont justifiées car l'erreur est humaine. Et parfois on relève des choses assez cocasses. J'ai pour ma part fait parler des terroristes qui manipulaient du TNT. Vous savez, le trinitrotolène, l'explosif. Eh bien, la chaîne m'a fait remarquer qu'on devrait plutôt parler de la TNT. Des anecdotes comme ça, les professionnels en ont à la pelle.

  • Speaker #1

    Les bagarres entre les différentes officines policières aux Etats-Unis, le chef de la police qui dit « je voudrais que l'affaire avance, vos querelles intestinales, j'en ai rien à foutre » . La chaîne qui dit « ne devrait-on pas dire vos querelles intestinales ? » Ça a souvent généré des tensions entre les auteurs qui se disaient « Non, il n'y a pas question que je dise « Non, sois gentil » au lieu de « Va te faire foutre » parce que c'est ce qu'il dit en anglais. » Et donc, je refuse d'écrire. Il pouvait y avoir parfois des points d'achoppement sur ce genre de choses. Franchement, depuis l'arrivée des plateformes, j'ai l'impression que ce n'est plus un sujet. J'ai l'impression qu'on écrit, quel que soit le niveau de langage utilisé, la violence de terme, on y va. Si c'est ce qu'il dit, on y va. Je pense qu'on est hélas... Plus dans, parfois trop, la traduction. On a l'impression que l'attente du client, c'est « écoutez, vous dites ce qu'il dit en anglais, donc vous traduisez fidèlement » . Ce qui est un peu limitant pour nous, parce que le but du jeu n'est pas du tout de traduire, il est d'être juste.

  • Speaker #0

    Être juste et être synchrone à la fois, c'est une gymnastique que les auteurs ont parfois du mal à faire comprendre à leur donneur d'ordre, comme le raconte Jean-Jacques Prond à propos de la réplique « I can't » . Alors moi j'avais écrit, je regrette comme beaucoup de gens sur iCount, la nana qui était,

  • Speaker #1

    je ne sais plus dans quelle boîte c'était, enfin ni pour quelle chaîne, m'avait envoyé un fax en mettant en gros iCount égale je ne peux pas. Et je lui avais renvoyé un fax en lui disant, je sais très bien depuis la sixième, puisque je fais de l'anglais depuis la sixième, que iCount ça veut dire je ne peux pas.

  • Speaker #0

    Sauf que si je vous mets je ne peux pas,

  • Speaker #1

    où il y a deux labiales sur iCount, ça ne marchera pas,

  • Speaker #0

    vous allez nous faire un retec parce que ça ne sera pas synchrone.

  • Speaker #1

    Est-ce que ça vous ennuie de venir sur un plateau ?

  • Speaker #0

    Comme ça,

  • Speaker #1

    vous verrez ce qu'est le doublage.

  • Speaker #0

    Autrefois, disons jusqu'à 2010, même si la transition ne s'est pas faite du jour au lendemain, nous écrivions notre texte, non pas à l'ordinateur, qui synchronise aujourd'hui une bande virtuelle à l'image, mais sur une bande de celluloïdes, que j'ai évoquée un peu plus tôt. Cette bande, qui comprenait à la fois la détection et le texte de l'auteur en dessous, étaient bien entendu illisibles pour les comédiens. Car d'une part, ils n'ont pas besoin de voir la détection, et d'autre part, les auteurs n'avaient pas des écritures de maîtresses d'école. C'est pour ça qu'on avait besoin de calligraphe, métier qui a disparu avec l'avènement du numérique, et dont nous parle Laurence Salva, dialoguiste, qui a commencé dans le doublage par être calligraphe. L'adaptateur écrivait sur une bande,

  • Speaker #1

    où il y avait au-dessus tout le texte en anglais,

  • Speaker #0

    avec un crayon noir très gras. Et la Cali, en fait, écrivait très proprement sur une bande transparente le texte en français. Donc, il fallait très bien écrire. Enfin, il fallait écrire de façon très lisible. C'était très fastidieux. Moi, j'ai commencé comme ça, en fait. Et au bout d'un moment, je me suis dit, en voyant les traductions,

  • Speaker #1

    que je pourrais faire aussi bien.

  • Speaker #0

    Avant de passer à l'enregistrement des comédiens, il reste une étape. La rencontre du dialoguiste. et du directeur artistique. Ils font ensemble ce qu'on appelle une vérification ou vérif. C'est-à-dire que l'auteur lit tous ses dialogues face à l'image, à voix haute, de façon synchrone, en interprétant tous les rôles à la fois. Le directeur artistique interrompt la vérification quand un dialogue lui semble imparfait ou qu'il est possible de l'améliorer, ou encore quand il sent que les comédiens buteront sur une formulation, par exemple. L'angoisse de la vérif, bien connue des auteurs, est résumé par Philippe Wittgoch.

  • Speaker #1

    Ce qui est compliqué, c'est d'arriver à lâcher prise aussi, de ne pas être totalement accro à son texte. Les gens avec qui on vérifie sous-estiment un peu, je pense aussi, le travail. On s'est beaucoup donné, on a beaucoup travaillé et on a tendance à ne pas toujours être très ouvert à des demandes de modification. Certaines sont justifiées, mais certaines sont très subjectives aussi. Chaque client a aussi d'ailleurs des demandes tout à fait différentes. Il y a des mots qu'il faut éviter avec un tel et qui passent avec un autre.

  • Speaker #0

    L'objectif est que le directeur artistique arrive à l'enregistrement en maîtrisant totalement les dialogues que les comédiens devront interpréter. Le directeur artistique Hubert Drac nous explique en quoi cette étape est importante.

  • Speaker #1

    Un comédien qui voit un directeur artistique qui doute, ça lui met le doute et il se demande s'il ne faut pas faire autre chose.

  • Speaker #0

    Le comédien Georges Caudron est connu pour avoir doublé entre autres David Duchovny, le héros de la série X-Files. Mais il est aussi directeur artistique. Et il nous explique en quoi la vérif lui est indispensable pour diriger ses comédiens.

  • Speaker #1

    Sur le plateau, ce n'est pas rare que quand un acteur ou une actrice n'arrive pas à faire quelque chose, de dire « ah oui, mais ce n'est pas ce qu'il dit en anglais » . Je dis « mais on s'en fout, puisque après il va dire ça parce que c'est pour ça » . Et que d'un seul coup, c'est beaucoup plus intéressant de l'avoir traduit dans ce sens-là et d'avoir donné cette émotion-là, parce que c'est exactement ça qui correspond. Et ça, on ne l'a que quand on a le film dans la main. Et on a eu des discussions avec l'auteur en disant Mais pourquoi il dit ça ? Pourquoi il fait ça ? Je ne comprends pas pourquoi tu lui as dit de faire ça. Tu fais le travail de vrai directeur artistique. Et ensuite, quand le comédien sur le plateau dit « mais pourquoi je dis ça ? » , tu as une réponse immédiate. Tu dis « parce que ça, ça » .

  • Speaker #0

    En studio, le directeur artistique est assis à côté de l'ingénieur du son. Il s'assure qu'aucune réplique ne soit oubliée et il dirige les comédiens et leur fait reprendre les enregistrements jusqu'à ce qu'ils soient satisfaits de leur jeu.

  • Speaker #1

    Donc ça, c'est la direction de plateau. C'est essayer de mettre les gens le plus à l'aise possible. Ils n'ont pas vu le film. Toi, tu as vu le film deux ou trois fois. Tu sais à peu près où vont les personnages et pourquoi ils font ça. Il ne faut pas craindre d'utiliser la psychanalyse. Parce qu'on dit, je pense qu'il déteste sa mère. C'est pour ça qu'il dit que je pense qu'il a envie de coucher avec elle. Alors c'est pour ça. Il n'ose pas lui dire qu'il l'aime ou il n'ose pas lui dire... Et d'un seul coup, ça dénoue des choses. J'utilisais aussi beaucoup des pièces de théâtre. c'est du marivaux C'est le quatuor amoureux de Marivaux. Quand tu as affaire à des vrais comédiens, tout de suite, ils font « bah oui, hop ! » Je plonge immédiatement, je comprends tout à fait. Il faut toujours donner des équivalences un petit peu comme ça avec le théâtre classique, parce que c'est toujours la même histoire.

  • Speaker #0

    L'ingénieur du son est un personnage très important sur le plateau. Il est le premier auditeur, c'est lui qui juge de la qualité de l'enregistrement et qui est responsable des prises de son. Danny Tayarda. comédienne qu'on a entendue aussi bien dans X-Files, où elle interprétait la mère de Scully, que dans Les Feux de l'amour, dans lesquels elle joue depuis 30 ans, nous parle de la connivence entre l'ingé son et ses comédiens. Avec certains ingénieurs, j'avais une voix extraordinaire, donc avec une richesse. Et puis d'autres fois, mais alors, c'était horrible, c'était plat, c'était... grisaille. Il n'y avait pas de relief. Comme dans tous les métiers, il y a des gens qui sont bons, d'autres qui sont moins bons. Mais c'est très important parce que ça peut tout changer. Il suffit pas d'avoir une bonne interprétation du comédien. Si l'ingénieur du son ne répond pas, ben ça fout tout en l'air.

  • Speaker #1

    Avec des ingé, on peut faire un travail très fin de ciselage du son qui se rapproche aussi de la VO. On choisit les micros. peu compensée avec des micro-cravates, style des micros qui ont été utilisés lors du tournage, pour récupérer le son au maximum, avoir un son identique à celui du son original. Dans le temps, on avait des perchman qui suivaient le comédien. Et c'était merveilleux.

  • Speaker #0

    Une fois que tout est enregistré, il faut monter, à savoir sélectionner les prises, même si le numérique a rendu cette opération quasi instantanée et se fait en partie sur le plateau. Mais il reste toujours des respirations à travailler, des répliques à replacer précisément, à recaler. Puis on entre en phase de mixage, où il faut équilibrer les différentes pistes. Celle des comédiens et ce qu'on appelle la version internationale, la VI, à savoir l'ébrutage et la musique. Il n'y a pas toujours eu de version internationale. Autrefois, on disposait de la bande musicale. Mais les bruitages étaient sur la même piste que les voix originales. Il fallait donc refaire ce même bruitage en français. D'où la présence pendant de nombreuses années de bruiteurs sur les plateaux de doublage, comme l'explique la dialoguiste Laurence Salva. À l'époque, il y avait un monsieur derrière les comédiens qui était dans une espèce de cabine et qui avait des objets du quotidien. Et avec ces objets, il faisait des bruits extraordinaires du style les bruits d'un... d'un train en train de rouler sur une voie. Aujourd'hui, les producteurs envoient systématiquement une version internationale, musique plus bruitage, qu'il ne reste plus qu'à mixer avec les dialogues doublés. Le doubleur fait alors parvenir à son client une copie du résultat. Le client la visionne, il repère des points qui restent perfectibles, relève parfois des erreurs et nous renvoie la copie. Nous devons alors faire des re-techs ou retouches, soit pour l'interprétation du comédien, soit pour le mixage, soit pour le texte. On demande donc à l'auteur, qui est souvent déjà passé à un autre film, de proposer une version alternative à telle ou telle réplique de la 112e minute. Et il doit fournir sa proposition dans la seconde. alors qu'il fait la queue au supermarché ou qu'il est aux urgences en train de tenir le bras de son enfant qui a fait une mauvaise chute. Pour l'auteur, l'usage fait que cela relève du service après-vente, donc sans rémunération supplémentaire. Jean-Jacques Prond raconte tous les re-techs, à savoir changements de texte, qu'il a fallu faire à la série culte Friends quand elle a changé de diffuseur, passant de Canal Jimmy à Antenne 2, l'ancêtre de France 2.

  • Speaker #1

    Alors là,

  • Speaker #0

    on a fait 400 re-techs. Parce qu'Antenne 2, ils étaient quand même un peu serrés du cul. Et Canal Jimmy avait dit,

  • Speaker #1

    vous essayez de garder l'esprit de la série. L'esprit de la série,

  • Speaker #0

    elle était un peu grossière.

  • Speaker #1

    Quand il y avait des gros mots, il y avait des gros mots.

  • Speaker #0

    Il y a aussi une phase qui s'appelle la conformation. De plus en plus, les séries nous parviennent avant le montage définitif. Nous rendons donc notre adaptation et une semaine après, le téléphone sonne.

  • Speaker #1

    J'ai fait une scène,

  • Speaker #0

    j'ai fait un plan par-ci par-là. Et ils en ont aussi coupé. La chargée de prod qui nous dit ça d'un air convaincu ne se rend pas compte que pour le dialoguiste, cela signifie se remettre dans l'ambiance totale d'un film. Et puis quand on coupe certains plans, il y a des répliques qui ne se répondent plus. Donc c'est toute la scène qu'il faut à nouveau passer au crible. Le pire a été les hobbits de Jackson. Ça a été épouvantable. Ça a été effrayant,

  • Speaker #1

    effrayant.

  • Speaker #0

    On avait une version qu'on appelle préliminaires, 1, 2, 3. Dans la 3, dans la 3e, on remettait ce qu'on avait enlevé dans la 2. Enfin bon, sans cesse, sans cesse, des nouvelles versions. Il a travaillé sur son montage jusqu'à l'ultime minute. Les comédiens avaient fini d'enregistrer, tout était fini quand on a eu la version finale. Ils ont fait des retakes, enfin bon, et après on a eu une final revise, une version finale révisée. Je ne comprenais plus rien au film, je ne savais plus ce qui se passait. Vient ensuite pour l'auteur le moment de se faire payer pour son travail. Il n'est pas le salarié du doubleur, il lui cède le droit d'exploiter son travail. Si ce sujet vous intéresse, il est développé dans le podcast Dialoguiste de doublage. Vous en vivez ?

  • Speaker #1

    Lorsque je termine un travail, une adaptation, je dois émettre une note de droit d'auteur et je dois aussi récupérer une attestation qui me permettra de déposer le programme sur lequel j'ai travaillé à l'Assasem, qui est donc un organisme de gestion collective qui s'occupera de répartir une partie de ma rémunération par la suite lorsque le programme sera diffusé.

  • Speaker #0

    Puis le dialoguiste doit s'adonner à certaines des nombreuses joies administratives qu'il partage avec les indépendants, à savoir s'acquitter lui-même d'une partie de ses cotisations sociales, gérer son budget, sachant qu'il ne bénéficie ni de congés payés ni d'assurance chômage. Il peut néanmoins se faire guider à travers ses méandres administratifs, par les services de l'Assasem ou par des organisations professionnelles. Régulièrement dans la presse, on voit apparaître la menace de l'intelligence artificielle. Mais beaucoup d'auteurs tentent à penser que leur tâche n'est pas mécanisable. C'est notamment le cas de la dialoguiste Isabelle Audineau. Ce type de traduction automatique existe déjà dans la traduction technique depuis des années et on voit ce que ça a donné. C'est-à-dire qu'en fait, le traducteur devient un relecteur, devient un éditeur et il corrige la machine qui travaille mal. Et particulièrement là, au niveau des textes littéraires et des textes de cinéma, des histoires de fiction, c'est très compliqué pour une machine de faire la part des choses. Et je pense qu'en fait, la machine va très mal travailler. Mais c'est aux auteurs de refuser de devenir des relecteurs. Parce que là, on est en train de complètement perdre ce qui fait la spécificité de notre métier, c'est de traduire. Donc, tu peux changer dans le détail. Mais c'est comme un vêtement qui est raté dès le départ. Si tu as donné un coup de ciseau, tu ne peux plus faire un truc bien. Et pour moi, je pense que c'est pareil, la traduction. On traduit du sens, on ne traduit pas des mots.

  • Speaker #1

    L'intelligence artificielle. et pas l'humain. Alors maintenant, on pourrait peut-être faire une version française entièrement automatisée avec des voix de robots. Ouais, ok, on va essayer. Je crois même que ça a été fait une fois, à titre expérimental. Allons-y, faisons-le. Très honnêtement, le public, il ne faut pas le prendre pour un con, il ne va pas être dupe très longtemps. Je crois qu'il y a une grande partie de l'intelligence artificielle qui est fantasmée. Donc je ne la redoute pas tellement. J'espère en tout cas que c'est un faux problème.

  • Speaker #2

    Le doublage est l'industrie qui rend les films accessibles à des millions de spectateurs et téléspectateurs. Même si on ne retient souvent que les comédiens, c'est en fait toute une chaîne de fabrication qui est à l'œuvre pour créer l'illusion ultime que Bruce Willis ou Nicole Kidman ont tourné le film en français. Le dialoguiste doit faire avec de nombreuses contraintes métiers, même s'il parvient, avec l'expérience, à ne pas être trop perturbé par cette grosse machine et arriver à se plonger dans le film. pour ne plus penser qu'à une chose, les personnages et ce qu'il va leur faire dire, comme l'exprime chacun à leur manière, Chloé Matz, dialoguiste débutante et le grand professionnel Philippe Wittkoch.

  • Speaker #3

    Sans les auteurs de doublage, il n'y a pas de texte. Finalement, c'est peut-être un peu bête, mais c'est aussi le texte qui fait vivre l'œuvre. Le mot-clé du métier, c'est quand même le plaisir de travailler. Mettre à profit sa créativité pour produire quelque chose de beau.

  • Speaker #2

    Et malgré la menace de l'intelligence artificielle, on peut penser que le métier de dialoguiste a encore de belles années devant lui. Car le public reste friand des films et séries venus des quatre coins du monde, comme le pense Claire Giraudin, directrice de SACEM Université, un département de la SACEM dédié à la valorisation des œuvres.

  • Speaker #4

    La nécessité de doublage des œuvres, elle est essentielle. Et je dirais même, elle est de plus en plus importante. parce que Des grandes plateformes, notamment américaines, on va dire, nous proposent à nos spectateurs de plus en plus de choix en termes audiovisuels. Et elles ont une politique qui est aussi beaucoup de faire créer dans les différents pays où elles sont installées. Donc elles font énormément de créations originales. Donc on a accès tout à coup à des œuvres espagnoles, roumaines. Ça, c'est des choix qu'on n'avait pas avant. Plus que jamais, on va avoir besoin d'auteurs de doublage. Ça me paraît évident, c'est plutôt un métier qui devrait tendre à se développer plutôt qu'à se réduire.

  • Speaker #2

    Il y a beaucoup d'anecdotes à citer sur le travail des dialoguistes de doublage. Sont-ils bridés par une censure ? Comment choisissent-ils de faire se tutoyer ou vouvoyer des personnages ? Écrit-on différemment pour la jeunesse ? Comment les auteurs apprennent-ils leur métier ? Les réponses, dans les autres épisodes. de devine qui vient doubler.

Chapters

  • Introduction au doublage et à ses métiers

    00:00

  • Le processus de création d'une version française

    00:32

  • L'importance des dialoguistes dans le doublage

    01:07

  • Le rôle du détecteur dans le doublage

    03:05

  • L'écriture des dialogues et les défis rencontrés

    05:05

  • La vérification et l'enregistrement des comédiens

    08:37

  • Le montage et le mixage des pistes audio

    13:44

  • Les retouches et la relation avec le client

    23:32

  • L'avenir du doublage face à l'intelligence artificielle

    27:37

Description

Pour passer d'un film original à sa version française, il ne suffit pas d'un coup de baguette magique !

Vanessa Bertran nous emmène dans les coulisses d'un studio de doublage, à la rencontre des professionnels qui interviennent tout au long d'un processus qui fait intervenir plusieurs métiers différents, notamment les dialoguistes. 

Essentiels dans la qualité finale d'une œuvre cinématographique, leur talent consiste pourtant, comme le rappelle Philippe Videcoq, a être le plus imperceptibles possible ! 

En savoir plus :

Une exposition en ligne sur le site du Musée de la Sacem va vous faire découvrir l’histoire du doublage ainsi que les dialoguistes emblématiques qui se cachent derrière les films que nous connaissons tous. 

Partez également à la découverte du métier aujourd’hui. 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Pour passer de la version originale d'un film à sa version française, est-ce qu'un coup de baguette magique suffit ? Non, non, non, non, non. Et puis ce ne sont pas non plus les comédiens qui improvisent un texte pendant l'enregistrement. La réalisation d'une version française, c'est un long processus très professionnalisé, avec plein d'étapes et de métiers différents, notamment les dialoguistes. Ils ont une responsabilité et un apport créatif. essentiels pour la carrière du film. Alors, dans les coulisses d'un studio de doublage, devine qui vient doubler. Le musée Sacem présente un podcast créé et dialogué par Vanessa Bertrand. L'essence même du cinéma, c'est de créer l'illusion. Et pour que les faits fonctionnent, le truc du magicien doit passer inaperçu. Comme le résume Philippe Wittcock, dialoguiste de Toy Story, pirate des Caraïbes et Matrix, entre autres. Le but, c'est d'être le plus invisible possible, de rester un peu dans l'ombre, de s'effacer et de faire croire que le film a été tourné en français alors qu'il l'a pété. Au départ, on a un film dans sa version originale. Et on doit arriver à une version de ce film qui conserve l'image, la musique, les bruitages, mais avec des dialogues dans une langue cible, interprétée par des comédiens. D'où le terme de doublé, parce qu'on double la piste image d'une piste son différente. Le doublage, c'est comme un immense porte-avions lancé sur les flots de la post-production audiovisuelle. Il y a du monde sur le pont et beaucoup de métiers. Chacun a sa fonction pour arriver à bon port. Le commandant de bord, c'est une entreprise spécialisée dans le doublage, ce qu'on appelle dans notre jargon un doubleur, même si le grand public attribue parfois ce nom aux auteurs ou aux comédiens. Donc, si dans un dîner avec des gens du métier vous dites un doubleur pour parler d'une société, on vous prendra tout de suite au sérieux. Et vous aurez droit deux fois à du dessert. Pour commencer, un producteur, un distributeur ou un diffuseur, comme TF1, Warner ou Paramount, va démarcher plusieurs doubleurs qui lui feront des devis, et il optera pour telle ou telle société. La dite société, une fois qu'elle aura décroché le marché, va mettre la machine en route. Un chargé de projet va coordonner toutes les étapes pour respecter le rétro-planning qui découlera de la date de livraison de la VF prête à diffuser. Il va faire intervenir tout d'abord un détecteur. Alors pas n'importe lequel, pas un détecteur de mensonges ni un détecteur de métaux, mais un détecteur de mouvements labiaux. En gros, mouvements des lèvres. Philippe Lebeau, dialoguiste de Colcase, Sherlock ou encore Rome, a trouvé une belle image pour parler de ce métier.

  • Speaker #1

    Le détecteur, pour moi c'est l'oreiller sur lequel on peut se reposer quand on travaille. C'est celui qui a mis la table. Avant de passer à table, voilà, la table est mise, le couvert est mis, tout est au bon endroit.

  • Speaker #0

    Vous avez peut-être déjà vu des reportages sur le doublage. On voit une bande qui défile sous un écran à la même vitesse que l'image et sur laquelle est écrit le texte que le comédien va interpréter. C'est le détecteur qui crée cette bande, la fameuse bande rythmographique, l'arithmo, un fichier synchronisé à l'image. Il découpe le film en boucles, segments d'environ 40 secondes, la durée idéale d'enregistrement sans s'arrêter. Parce que le doublage, c'est du cinéma. On enregistre par petits bouts et dans le désordre. Le terme de boucle vient du fait qu'autrefois, la rythmo était une bande de celluloïdes qu'on coupait réellement à coup de ciseaux et qu'on collait de manière à ce qu'elle défile en boucle sur le plateau d'enregistrement jusqu'à ce que le directeur artistique et l'ingénieur du son soient satisfaits. Ensuite, le détecteur va identifier tous les personnages présents dans une boucle, noter leur nom sur la bande au moment où ils commencent à parler. Puis, ils reportent leur texte original en l'étirant en fonction de l'articulation du comédien filmé. Car il n'y a pas deux personnes qui prononcent la même réplique de la même manière. Ils prêtent notamment attention au labial, ce que les maîtresses d'école appellent de nos jours les lettres Mbappé, les M, B et P. qui provoque une fermeture totale des lèvres. Vincent Violette, comédien qui a notamment prêté sa voix à John Turturro, Rupert Everett ou Lorenzo Lamas, est aussi dialoguiste. Il explique en quoi la détection est indispensable.

  • Speaker #1

    On peut la lire et sans même regarder l'image, on peut presque dire comment la comédienne, le comédien qui s'exprime doit parler. Parce que, ça c'est les grandes détections, avec plein de petits signes, quand elles sont bien fouillées, c'est une vraie partition qu'on peut suivre.

  • Speaker #0

    Alors, au-dessus de ces lettres, le détecteur va mettre un tiret qui prendra... plus ou moins de place en fonction du temps que le comédien mettra à rouvrir la bouche. Une semi-labiale comme le V ou le maudisson TH de Thank You ou la longue ressort, ce sera une croix. Un O très fermé comme dans I don't know, ce sera une vaguelette en Q de poule. Un A, une grande vaguelette dans le sens inverse. Et des signes, il y en a bien d'autres. Ils peuvent sembler cabalistiques à quelqu'un qui n'est pas du métier.

  • Speaker #1

    Au début, on dirait du chinois. On se dit, mais jamais, je vais faire quoi que ce soit avec ça. Et après, on s'aperçoit que, merci monsieur le détecteur ou madame la détectrice d'avoir mis l'ouverture de phrase là parce que j'allais, moi, bêtement la mettre un peu à côté. Et si j'avais fait ça, je serais décalé et ça n'irait pas du tout. Donc, ce travail, c'est vraiment un métier que je défends et j'espère qu'il va perdurer.

  • Speaker #0

    Il arrive que des auteurs se détectent. Enfin, réalisent eux-mêmes la détection du film qu'ils vont adapter. Mais c'est loin d'être la majorité. Certains doubleurs ont profité de l'apparition du numérique pour tenter d'imposer aux dialoguistes de se détecter, mais c'est une aberration, sauf quand c'est réellement le choix de l'auteur. Car au contraire, nous avons besoin du regard de ce technicien pour nous guider. Et puis le détecteur est un salarié employé par le doubleur. Les sociétés peu scrupuleuses qui imposent la détection se contentent de rallonger la rémunération de droits d'auteur, ce qui est illégal. mais permettent aux sociétés de verser moins de cotisations sociales. Gare au contrôle URSAF. Un détecteur met environ trois jours pour envoyer une bande rythmo détectée de 40 minutes. Il envoie aussi au doubleur ce qu'on appelle un croisillier, un tableau à double entrée. En ordonnée, les listes des boucles numérotées. En abscisse, les noms des personnages. Et une croix à chaque fois qu'un rôle est dans une boucle. Ce document est essentiel pour le directeur artistique. qui organise les enregistrements et convoque les comédiens. Ensuite, c'est au tour de l'auteur. Sa mission ? Écrire des dialogues inspirés des dialogues originaux, mais en français. On lui envoie la détection et une copie du film, ainsi que le script.

  • Speaker #1

    À chaque fois que je prends un film, mais ça peut être le film le plus difficile ou le plus simple, les dix premières minutes, je me dis que je n'y arriverai pas. Je ne vais pas y arriver, je ne comprends pas. Même en ayant vu évidemment le film plusieurs fois avant, en ayant travaillé sur le texte, j'ai toujours une appréhension sur les dix premières minutes. Et au bout de dix minutes, quand l'alchimie se passe bien, je m'amuse comme un fou, parce que j'ai du plaisir tous les matins à retrouver les personnages.

  • Speaker #0

    Si le film se déroule dans un univers particulier, comme le médical ou le juridique, ou encore le monde sportif, Le dialoguiste doit faire beaucoup de recherches. C'est un exercice assez particulier auquel nous avons consacré tout un podcast. Mot compte triple, écrire pour la comédie ou un genre spécifique. Une fois qu'il a accroché le fichier de la détection avec celui de l'image, le dialoguiste fait appel à ses connaissances linguistiques, sa sensibilité, son savoir-faire, pour créer les dialogues français qu'il écrit en suivant la chronologie du film. C'est différent du travail de traducteur, comme l'explique David Ribotti, qui a justement été traducteur avant de devenir dialoguiste.

  • Speaker #1

    Pour moi, quand on dit traducteur, c'est quelque chose de bien spécifique, aussi bien au niveau du statut de la profession, qui est un statut libéral, qu'au niveau du type d'activité ou de travaux qu'on fait. Je me sens avant tout auteur-dialoguiste, c'est-à-dire que j'ai vraiment l'impression d'écrire tout simplement. On essaye de recréer quelque chose, on a une partie créative qui est... indéniable. La traduction, je considère qu'elle représente quoi ? Si ça pouvait se chiffrer, je dirais que c'est quoi ? 5-10% du travail que nous faisons. C'est juste une passerelle pour comprendre ce qu'on entend. À partir de là, le vrai travail, c'est véritablement transposer la langue originale en langue française, audible, compréhensible, correcte, habile, drôle, s'il le faut.

  • Speaker #0

    Ce qui compte, c'est que le ton soit juste. et que le rythme soit respecté. Et le sens, bien évidemment, ça c'est le degré zéro de notre écriture. Le plus important, c'est de garder en tête que notre texte sera interprété par un comédien, ce qui fait de nous des dialoguistes. comme le confirme Jean-Jacques Prond, dialoguiste des séries Friends, Nip-Tuck et Soprano.

  • Speaker #1

    Je dis tout le temps, la première chose, c'est qu'on ne fait pas parler un avocat comme on fait parler un clodo, on ne fait pas parler un adulte comme on fait parler un enfant,

  • Speaker #0

    etc. Il faut que nos répliques sonnent, qu'elles soient belles à entendre. Le dialoguiste n'écrit pas pour être lu, contrairement à l'auteur de sous-titres dont le travail est expliqué dans le podcast « Le sous-titrage, une cuisine sans gras » . Si bien que la plupart des dialoguistes clament leurs répliques tout haut. à mesure qu'ils les écrivent, ce qui interdit le travail dans un lieu public comme une bibliothèque, car on ne tarderait pas à se faire déloger ou embarquer par des infirmiers d'un asile psychiatrique. C'est ce qui aurait pu arriver au couple de dialoguistes Juliette Vigouroux et Alain Cassar à l'époque où ils écrivaient les dialogues des Simpsons. Pour écrire, on prenait la voix d'Homère et la voix de Mars. On essayait de les imiter un peu, mais... Disons pour avoir le rythme aussi, on jouait Homer et Marge. Le dialoguiste est en contact dès le départ avec le directeur artistique, qui est le réalisateur de la version française, celui qui dirigera les comédiens sur le plateau. Ils échangent autour des personnages et il arrive que le directeur artistique suggère des niveaux de langue, des petits tics de langage pour tel ou tel rôle. Et puis parfois ce sont des indications vagues comme « tu me les fais parler jeune » . Mais bon, l'adaptateur s'adapte. Il incarne tour à tour tous les rôles pour deviner ce qui sortira le plus naturellement de leur bouche.

  • Speaker #1

    On ne fait jamais deux fois la même chose. On pourrait croire, ouais, mais à force, t'es habitué, ça va passer tout seul. En fait, non, ça passe jamais tout seul. Jamais. J'ai lu cette phrase dix fois. He died in horrible pain. Comment tu dis ça en français en étant synchrone ? C'est pas possible. Eh ben, je sais pas, la dernière fois j'avais mis ça, mais là ça passera plus parce que... Parce que là, on le voit trop. Il est plein, un gros plan dans l'écran. On voit trop sa bouche. Il va falloir que je trouve autre chose. Mais ça passait très bien la dernière fois. Mais là, ça ne passera plus. Il n'y a pas deux fois la même situation. Et je trouve ça génial parce qu'on ne peut jamais s'endormir quand on adapte.

  • Speaker #0

    Philippe Lebeau vient d'évoquer le synchronisme. Souvent, les gens pensent que c'est notre préoccupation numéro un. Mais la question ne se pose pas en ces termes. Prenez un cruciverbiste. Son cerveau va en même temps chercher le mot juste. et celui qui a le nombre de lettres requis. Un parolier à qui un compositeur a confié une mélodie sera confronté au même casse-tête. Des rimes, une prosodie à respecter, et puis un texte musical qui, tant qu'à faire, fait sens. Le dialoguiste de doublage doit vivre une réplique, parfois la répéter tout haut, en VO, jusqu'à ce que sens, sensibilité, rythme, justesse et synchronisme sortent simultanément. Bien entendu, on parle d'une situation idéale. Il arrive que l'un des critères ne soit pas au rendez-vous, alors on retravaille nos répliques.

  • Speaker #1

    Si on commence par le synchronisme, on écrit un texte qui est un peu esclave de l'original, qui est un peu bancal parfois, un peu lourd, il me semble. Donc moi, ce n'est pas la première chose à laquelle je m'attache.

  • Speaker #0

    Je vous ai parlé des répliques, mais il y a aussi ce qu'on appelle les ambiances. Un texte qu'il faut inventer entièrement. car il ne figure pas sur le script. Une ambiance, c'est la panique exprimée par une vingtaine de piétons qui assistent à l'arrivée inattendue d'une soucoupe volante dont sortent des aliens polymorphes. Ce sont des clients en arrière-plan au restaurant, ce qu'on peut assimiler à de la figuration. L'auteur doit écrire l'ensemble des dialogues que des comédiens vont enregistrer, ce qui peut prendre un temps considérable.

  • Speaker #1

    Je me suis vu passer... quasiment des nuits à écrire un dialogue qui ait du sens entre deux personnages qui parlent en second plan à une table de restaurant, c'est souvent dans les restaurants, parce qu'ils bougent pas, ils sont calmes, mais ils discutent beaucoup, ils parlent, et il faut leur inventer une histoire, un problème de voiture avec la tente, machin, qui n'est évidemment pas dans le script original, qui est pour le coup une vraie part créative de notre écriture, ça nécessite du coup de mobiliser des comédiens, donc de payer des gens, nous ça nous fait beaucoup de travail en plus. Mais quand c'est bien fait, j'avoue qu'au final, le résultat est quand même sympa. Parce que là, du coup, on entend vraiment des gens parler en français, ils sont nombreux. Et on est immergé. Je crois que ça participe vraiment à l'immersion dans ce qu'on regarde.

  • Speaker #0

    Quand on a adapté tous les dialogues d'un film, on les relit. Tous les auteurs ne procèdent pas pareil. On peut se relire à voix haute et à plat, comme on dit, c'est-à-dire sans l'image, comme si c'était les répliques d'un film français original. On remarque alors des petites choses qui sonnent faux. et qu'on doit retravailler. Quand on est content de ces corrections, on reprend le film au début et on vérifie avec l'image qu'aucun dialogue ne nous a échappé, que tout est bien synchrone et que le résultat sonne naturel, que toutes les répliques s'enchaînent. Toutes ces étapes d'écriture prennent bout à bout 6 ou 7 jours pour un épisode de série. Près de 3 semaines pour un film. Il arrive que le client demande à relire le texte, ce qui donne lieu à une phase de correction à reporter. Parfois ces modifications sont justifiées car l'erreur est humaine. Et parfois on relève des choses assez cocasses. J'ai pour ma part fait parler des terroristes qui manipulaient du TNT. Vous savez, le trinitrotolène, l'explosif. Eh bien, la chaîne m'a fait remarquer qu'on devrait plutôt parler de la TNT. Des anecdotes comme ça, les professionnels en ont à la pelle.

  • Speaker #1

    Les bagarres entre les différentes officines policières aux Etats-Unis, le chef de la police qui dit « je voudrais que l'affaire avance, vos querelles intestinales, j'en ai rien à foutre » . La chaîne qui dit « ne devrait-on pas dire vos querelles intestinales ? » Ça a souvent généré des tensions entre les auteurs qui se disaient « Non, il n'y a pas question que je dise « Non, sois gentil » au lieu de « Va te faire foutre » parce que c'est ce qu'il dit en anglais. » Et donc, je refuse d'écrire. Il pouvait y avoir parfois des points d'achoppement sur ce genre de choses. Franchement, depuis l'arrivée des plateformes, j'ai l'impression que ce n'est plus un sujet. J'ai l'impression qu'on écrit, quel que soit le niveau de langage utilisé, la violence de terme, on y va. Si c'est ce qu'il dit, on y va. Je pense qu'on est hélas... Plus dans, parfois trop, la traduction. On a l'impression que l'attente du client, c'est « écoutez, vous dites ce qu'il dit en anglais, donc vous traduisez fidèlement » . Ce qui est un peu limitant pour nous, parce que le but du jeu n'est pas du tout de traduire, il est d'être juste.

  • Speaker #0

    Être juste et être synchrone à la fois, c'est une gymnastique que les auteurs ont parfois du mal à faire comprendre à leur donneur d'ordre, comme le raconte Jean-Jacques Prond à propos de la réplique « I can't » . Alors moi j'avais écrit, je regrette comme beaucoup de gens sur iCount, la nana qui était,

  • Speaker #1

    je ne sais plus dans quelle boîte c'était, enfin ni pour quelle chaîne, m'avait envoyé un fax en mettant en gros iCount égale je ne peux pas. Et je lui avais renvoyé un fax en lui disant, je sais très bien depuis la sixième, puisque je fais de l'anglais depuis la sixième, que iCount ça veut dire je ne peux pas.

  • Speaker #0

    Sauf que si je vous mets je ne peux pas,

  • Speaker #1

    où il y a deux labiales sur iCount, ça ne marchera pas,

  • Speaker #0

    vous allez nous faire un retec parce que ça ne sera pas synchrone.

  • Speaker #1

    Est-ce que ça vous ennuie de venir sur un plateau ?

  • Speaker #0

    Comme ça,

  • Speaker #1

    vous verrez ce qu'est le doublage.

  • Speaker #0

    Autrefois, disons jusqu'à 2010, même si la transition ne s'est pas faite du jour au lendemain, nous écrivions notre texte, non pas à l'ordinateur, qui synchronise aujourd'hui une bande virtuelle à l'image, mais sur une bande de celluloïdes, que j'ai évoquée un peu plus tôt. Cette bande, qui comprenait à la fois la détection et le texte de l'auteur en dessous, étaient bien entendu illisibles pour les comédiens. Car d'une part, ils n'ont pas besoin de voir la détection, et d'autre part, les auteurs n'avaient pas des écritures de maîtresses d'école. C'est pour ça qu'on avait besoin de calligraphe, métier qui a disparu avec l'avènement du numérique, et dont nous parle Laurence Salva, dialoguiste, qui a commencé dans le doublage par être calligraphe. L'adaptateur écrivait sur une bande,

  • Speaker #1

    où il y avait au-dessus tout le texte en anglais,

  • Speaker #0

    avec un crayon noir très gras. Et la Cali, en fait, écrivait très proprement sur une bande transparente le texte en français. Donc, il fallait très bien écrire. Enfin, il fallait écrire de façon très lisible. C'était très fastidieux. Moi, j'ai commencé comme ça, en fait. Et au bout d'un moment, je me suis dit, en voyant les traductions,

  • Speaker #1

    que je pourrais faire aussi bien.

  • Speaker #0

    Avant de passer à l'enregistrement des comédiens, il reste une étape. La rencontre du dialoguiste. et du directeur artistique. Ils font ensemble ce qu'on appelle une vérification ou vérif. C'est-à-dire que l'auteur lit tous ses dialogues face à l'image, à voix haute, de façon synchrone, en interprétant tous les rôles à la fois. Le directeur artistique interrompt la vérification quand un dialogue lui semble imparfait ou qu'il est possible de l'améliorer, ou encore quand il sent que les comédiens buteront sur une formulation, par exemple. L'angoisse de la vérif, bien connue des auteurs, est résumé par Philippe Wittgoch.

  • Speaker #1

    Ce qui est compliqué, c'est d'arriver à lâcher prise aussi, de ne pas être totalement accro à son texte. Les gens avec qui on vérifie sous-estiment un peu, je pense aussi, le travail. On s'est beaucoup donné, on a beaucoup travaillé et on a tendance à ne pas toujours être très ouvert à des demandes de modification. Certaines sont justifiées, mais certaines sont très subjectives aussi. Chaque client a aussi d'ailleurs des demandes tout à fait différentes. Il y a des mots qu'il faut éviter avec un tel et qui passent avec un autre.

  • Speaker #0

    L'objectif est que le directeur artistique arrive à l'enregistrement en maîtrisant totalement les dialogues que les comédiens devront interpréter. Le directeur artistique Hubert Drac nous explique en quoi cette étape est importante.

  • Speaker #1

    Un comédien qui voit un directeur artistique qui doute, ça lui met le doute et il se demande s'il ne faut pas faire autre chose.

  • Speaker #0

    Le comédien Georges Caudron est connu pour avoir doublé entre autres David Duchovny, le héros de la série X-Files. Mais il est aussi directeur artistique. Et il nous explique en quoi la vérif lui est indispensable pour diriger ses comédiens.

  • Speaker #1

    Sur le plateau, ce n'est pas rare que quand un acteur ou une actrice n'arrive pas à faire quelque chose, de dire « ah oui, mais ce n'est pas ce qu'il dit en anglais » . Je dis « mais on s'en fout, puisque après il va dire ça parce que c'est pour ça » . Et que d'un seul coup, c'est beaucoup plus intéressant de l'avoir traduit dans ce sens-là et d'avoir donné cette émotion-là, parce que c'est exactement ça qui correspond. Et ça, on ne l'a que quand on a le film dans la main. Et on a eu des discussions avec l'auteur en disant Mais pourquoi il dit ça ? Pourquoi il fait ça ? Je ne comprends pas pourquoi tu lui as dit de faire ça. Tu fais le travail de vrai directeur artistique. Et ensuite, quand le comédien sur le plateau dit « mais pourquoi je dis ça ? » , tu as une réponse immédiate. Tu dis « parce que ça, ça » .

  • Speaker #0

    En studio, le directeur artistique est assis à côté de l'ingénieur du son. Il s'assure qu'aucune réplique ne soit oubliée et il dirige les comédiens et leur fait reprendre les enregistrements jusqu'à ce qu'ils soient satisfaits de leur jeu.

  • Speaker #1

    Donc ça, c'est la direction de plateau. C'est essayer de mettre les gens le plus à l'aise possible. Ils n'ont pas vu le film. Toi, tu as vu le film deux ou trois fois. Tu sais à peu près où vont les personnages et pourquoi ils font ça. Il ne faut pas craindre d'utiliser la psychanalyse. Parce qu'on dit, je pense qu'il déteste sa mère. C'est pour ça qu'il dit que je pense qu'il a envie de coucher avec elle. Alors c'est pour ça. Il n'ose pas lui dire qu'il l'aime ou il n'ose pas lui dire... Et d'un seul coup, ça dénoue des choses. J'utilisais aussi beaucoup des pièces de théâtre. c'est du marivaux C'est le quatuor amoureux de Marivaux. Quand tu as affaire à des vrais comédiens, tout de suite, ils font « bah oui, hop ! » Je plonge immédiatement, je comprends tout à fait. Il faut toujours donner des équivalences un petit peu comme ça avec le théâtre classique, parce que c'est toujours la même histoire.

  • Speaker #0

    L'ingénieur du son est un personnage très important sur le plateau. Il est le premier auditeur, c'est lui qui juge de la qualité de l'enregistrement et qui est responsable des prises de son. Danny Tayarda. comédienne qu'on a entendue aussi bien dans X-Files, où elle interprétait la mère de Scully, que dans Les Feux de l'amour, dans lesquels elle joue depuis 30 ans, nous parle de la connivence entre l'ingé son et ses comédiens. Avec certains ingénieurs, j'avais une voix extraordinaire, donc avec une richesse. Et puis d'autres fois, mais alors, c'était horrible, c'était plat, c'était... grisaille. Il n'y avait pas de relief. Comme dans tous les métiers, il y a des gens qui sont bons, d'autres qui sont moins bons. Mais c'est très important parce que ça peut tout changer. Il suffit pas d'avoir une bonne interprétation du comédien. Si l'ingénieur du son ne répond pas, ben ça fout tout en l'air.

  • Speaker #1

    Avec des ingé, on peut faire un travail très fin de ciselage du son qui se rapproche aussi de la VO. On choisit les micros. peu compensée avec des micro-cravates, style des micros qui ont été utilisés lors du tournage, pour récupérer le son au maximum, avoir un son identique à celui du son original. Dans le temps, on avait des perchman qui suivaient le comédien. Et c'était merveilleux.

  • Speaker #0

    Une fois que tout est enregistré, il faut monter, à savoir sélectionner les prises, même si le numérique a rendu cette opération quasi instantanée et se fait en partie sur le plateau. Mais il reste toujours des respirations à travailler, des répliques à replacer précisément, à recaler. Puis on entre en phase de mixage, où il faut équilibrer les différentes pistes. Celle des comédiens et ce qu'on appelle la version internationale, la VI, à savoir l'ébrutage et la musique. Il n'y a pas toujours eu de version internationale. Autrefois, on disposait de la bande musicale. Mais les bruitages étaient sur la même piste que les voix originales. Il fallait donc refaire ce même bruitage en français. D'où la présence pendant de nombreuses années de bruiteurs sur les plateaux de doublage, comme l'explique la dialoguiste Laurence Salva. À l'époque, il y avait un monsieur derrière les comédiens qui était dans une espèce de cabine et qui avait des objets du quotidien. Et avec ces objets, il faisait des bruits extraordinaires du style les bruits d'un... d'un train en train de rouler sur une voie. Aujourd'hui, les producteurs envoient systématiquement une version internationale, musique plus bruitage, qu'il ne reste plus qu'à mixer avec les dialogues doublés. Le doubleur fait alors parvenir à son client une copie du résultat. Le client la visionne, il repère des points qui restent perfectibles, relève parfois des erreurs et nous renvoie la copie. Nous devons alors faire des re-techs ou retouches, soit pour l'interprétation du comédien, soit pour le mixage, soit pour le texte. On demande donc à l'auteur, qui est souvent déjà passé à un autre film, de proposer une version alternative à telle ou telle réplique de la 112e minute. Et il doit fournir sa proposition dans la seconde. alors qu'il fait la queue au supermarché ou qu'il est aux urgences en train de tenir le bras de son enfant qui a fait une mauvaise chute. Pour l'auteur, l'usage fait que cela relève du service après-vente, donc sans rémunération supplémentaire. Jean-Jacques Prond raconte tous les re-techs, à savoir changements de texte, qu'il a fallu faire à la série culte Friends quand elle a changé de diffuseur, passant de Canal Jimmy à Antenne 2, l'ancêtre de France 2.

  • Speaker #1

    Alors là,

  • Speaker #0

    on a fait 400 re-techs. Parce qu'Antenne 2, ils étaient quand même un peu serrés du cul. Et Canal Jimmy avait dit,

  • Speaker #1

    vous essayez de garder l'esprit de la série. L'esprit de la série,

  • Speaker #0

    elle était un peu grossière.

  • Speaker #1

    Quand il y avait des gros mots, il y avait des gros mots.

  • Speaker #0

    Il y a aussi une phase qui s'appelle la conformation. De plus en plus, les séries nous parviennent avant le montage définitif. Nous rendons donc notre adaptation et une semaine après, le téléphone sonne.

  • Speaker #1

    J'ai fait une scène,

  • Speaker #0

    j'ai fait un plan par-ci par-là. Et ils en ont aussi coupé. La chargée de prod qui nous dit ça d'un air convaincu ne se rend pas compte que pour le dialoguiste, cela signifie se remettre dans l'ambiance totale d'un film. Et puis quand on coupe certains plans, il y a des répliques qui ne se répondent plus. Donc c'est toute la scène qu'il faut à nouveau passer au crible. Le pire a été les hobbits de Jackson. Ça a été épouvantable. Ça a été effrayant,

  • Speaker #1

    effrayant.

  • Speaker #0

    On avait une version qu'on appelle préliminaires, 1, 2, 3. Dans la 3, dans la 3e, on remettait ce qu'on avait enlevé dans la 2. Enfin bon, sans cesse, sans cesse, des nouvelles versions. Il a travaillé sur son montage jusqu'à l'ultime minute. Les comédiens avaient fini d'enregistrer, tout était fini quand on a eu la version finale. Ils ont fait des retakes, enfin bon, et après on a eu une final revise, une version finale révisée. Je ne comprenais plus rien au film, je ne savais plus ce qui se passait. Vient ensuite pour l'auteur le moment de se faire payer pour son travail. Il n'est pas le salarié du doubleur, il lui cède le droit d'exploiter son travail. Si ce sujet vous intéresse, il est développé dans le podcast Dialoguiste de doublage. Vous en vivez ?

  • Speaker #1

    Lorsque je termine un travail, une adaptation, je dois émettre une note de droit d'auteur et je dois aussi récupérer une attestation qui me permettra de déposer le programme sur lequel j'ai travaillé à l'Assasem, qui est donc un organisme de gestion collective qui s'occupera de répartir une partie de ma rémunération par la suite lorsque le programme sera diffusé.

  • Speaker #0

    Puis le dialoguiste doit s'adonner à certaines des nombreuses joies administratives qu'il partage avec les indépendants, à savoir s'acquitter lui-même d'une partie de ses cotisations sociales, gérer son budget, sachant qu'il ne bénéficie ni de congés payés ni d'assurance chômage. Il peut néanmoins se faire guider à travers ses méandres administratifs, par les services de l'Assasem ou par des organisations professionnelles. Régulièrement dans la presse, on voit apparaître la menace de l'intelligence artificielle. Mais beaucoup d'auteurs tentent à penser que leur tâche n'est pas mécanisable. C'est notamment le cas de la dialoguiste Isabelle Audineau. Ce type de traduction automatique existe déjà dans la traduction technique depuis des années et on voit ce que ça a donné. C'est-à-dire qu'en fait, le traducteur devient un relecteur, devient un éditeur et il corrige la machine qui travaille mal. Et particulièrement là, au niveau des textes littéraires et des textes de cinéma, des histoires de fiction, c'est très compliqué pour une machine de faire la part des choses. Et je pense qu'en fait, la machine va très mal travailler. Mais c'est aux auteurs de refuser de devenir des relecteurs. Parce que là, on est en train de complètement perdre ce qui fait la spécificité de notre métier, c'est de traduire. Donc, tu peux changer dans le détail. Mais c'est comme un vêtement qui est raté dès le départ. Si tu as donné un coup de ciseau, tu ne peux plus faire un truc bien. Et pour moi, je pense que c'est pareil, la traduction. On traduit du sens, on ne traduit pas des mots.

  • Speaker #1

    L'intelligence artificielle. et pas l'humain. Alors maintenant, on pourrait peut-être faire une version française entièrement automatisée avec des voix de robots. Ouais, ok, on va essayer. Je crois même que ça a été fait une fois, à titre expérimental. Allons-y, faisons-le. Très honnêtement, le public, il ne faut pas le prendre pour un con, il ne va pas être dupe très longtemps. Je crois qu'il y a une grande partie de l'intelligence artificielle qui est fantasmée. Donc je ne la redoute pas tellement. J'espère en tout cas que c'est un faux problème.

  • Speaker #2

    Le doublage est l'industrie qui rend les films accessibles à des millions de spectateurs et téléspectateurs. Même si on ne retient souvent que les comédiens, c'est en fait toute une chaîne de fabrication qui est à l'œuvre pour créer l'illusion ultime que Bruce Willis ou Nicole Kidman ont tourné le film en français. Le dialoguiste doit faire avec de nombreuses contraintes métiers, même s'il parvient, avec l'expérience, à ne pas être trop perturbé par cette grosse machine et arriver à se plonger dans le film. pour ne plus penser qu'à une chose, les personnages et ce qu'il va leur faire dire, comme l'exprime chacun à leur manière, Chloé Matz, dialoguiste débutante et le grand professionnel Philippe Wittkoch.

  • Speaker #3

    Sans les auteurs de doublage, il n'y a pas de texte. Finalement, c'est peut-être un peu bête, mais c'est aussi le texte qui fait vivre l'œuvre. Le mot-clé du métier, c'est quand même le plaisir de travailler. Mettre à profit sa créativité pour produire quelque chose de beau.

  • Speaker #2

    Et malgré la menace de l'intelligence artificielle, on peut penser que le métier de dialoguiste a encore de belles années devant lui. Car le public reste friand des films et séries venus des quatre coins du monde, comme le pense Claire Giraudin, directrice de SACEM Université, un département de la SACEM dédié à la valorisation des œuvres.

  • Speaker #4

    La nécessité de doublage des œuvres, elle est essentielle. Et je dirais même, elle est de plus en plus importante. parce que Des grandes plateformes, notamment américaines, on va dire, nous proposent à nos spectateurs de plus en plus de choix en termes audiovisuels. Et elles ont une politique qui est aussi beaucoup de faire créer dans les différents pays où elles sont installées. Donc elles font énormément de créations originales. Donc on a accès tout à coup à des œuvres espagnoles, roumaines. Ça, c'est des choix qu'on n'avait pas avant. Plus que jamais, on va avoir besoin d'auteurs de doublage. Ça me paraît évident, c'est plutôt un métier qui devrait tendre à se développer plutôt qu'à se réduire.

  • Speaker #2

    Il y a beaucoup d'anecdotes à citer sur le travail des dialoguistes de doublage. Sont-ils bridés par une censure ? Comment choisissent-ils de faire se tutoyer ou vouvoyer des personnages ? Écrit-on différemment pour la jeunesse ? Comment les auteurs apprennent-ils leur métier ? Les réponses, dans les autres épisodes. de devine qui vient doubler.

Chapters

  • Introduction au doublage et à ses métiers

    00:00

  • Le processus de création d'une version française

    00:32

  • L'importance des dialoguistes dans le doublage

    01:07

  • Le rôle du détecteur dans le doublage

    03:05

  • L'écriture des dialogues et les défis rencontrés

    05:05

  • La vérification et l'enregistrement des comédiens

    08:37

  • Le montage et le mixage des pistes audio

    13:44

  • Les retouches et la relation avec le client

    23:32

  • L'avenir du doublage face à l'intelligence artificielle

    27:37

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