undefined cover
undefined cover
Aux yeux des autres cover
Aux yeux des autres cover
Double Regard

Aux yeux des autres

Aux yeux des autres

17min |26/03/2024
Play
undefined cover
undefined cover
Aux yeux des autres cover
Aux yeux des autres cover
Double Regard

Aux yeux des autres

Aux yeux des autres

17min |26/03/2024
Play

Description

Caroline, Johanna, Karim et Zina ont grandi dans une double culture. Découvrez comment ils ont été confrontés au regard des autres, entre assimilation et affirmation de leur identité. Des immeubles où se croisent les cultures aux stéréotypes insidieux, écoutez les défis et les triomphes de celles et ceux qui portent en eux/elles le poids des préjugés et la richesse de la diversité.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Comme 12% de la population française, je suis le fruit d'une double culture. Mon père est italien et ma mère est française. Une dualité qui m'anime et me questionne. Naître dans une famille biculturelle, c'est grandir avec un ailleurs. Être ici et un peu là-bas. Un voyage entre deux identités qui façonnent, nourrit et inspirent. Dans ce podcast, nous partirons à la rencontre de ceux et celles qui portent en eux l'héritage de deux mondes. Comment navigue-t-on entre deux cultures, deux langues, deux cuisines ? Certains ont tracé des routes imaginaires vers des terres qu'ils n'ont jamais foulées. D'autres jonglent avec les langues, les traditions et les identités avec facilité. Et puis... Il y a parfois juste un patronyme avec lequel on doit faire face aux préjugés et aux stéréotypes qu'ils transportent. Nous allons explorer ces connexions invisibles, ces transmissions complexes qui nous lient à nos origines, à nos familles, à nos histoires. Double Regard vous invite à partager les récits inspirants de la double culture.

  • Speaker #1

    Ce dont je me souviens surtout au niveau de l'intégration, c'est que je sentais que je n'étais pas à l'aise du tout pour dire que j'étais née dans un pays étranger. Je le cachais en fait. J'ai le souvenir, c'était compliqué quand même de changer de pays sans préparation en fait. j'ai pas été préparée puisque ça a suivi la séparation de mes parents ma mère est rentrée en France brutalement j'avais pas trop les codes de comment il fallait se présenter etc il y avait comme une sensation vraiment d'enfant qu'on allait pas m'accepter Rien que d'en parler, j'ai une main moite. Non, c'est des vraies peurs d'enfance. Je voulais être comme les autres, surtout que je n'étais pas du tout comme les autres, puisque dans ma petite ville de banlieue, j'arrivais d'un pays que tout le monde ne connaissait pas, le Maroc. Et puis, il y avait la représentation comme ça. Pas du tout de racisme de ma part, mais c'est un pays arabe. Et j'allais dans un pays catholique. J'allais dans un pays chrétien. Il y avait comme s'il y avait une histoire de blanc, de noir. En plus, comme je suis d'origine juive, j'ai un de mes grands-pères qui a subi directement dans sa famille des pertes pendant la Deuxième Guerre mondiale. Je me sentais quand même différente quand les copines me disaient bon, mercredi, on se retrouve au catéchisme Je disais je ne crois pas que je vais y aller, je vais demander à ma mère si elle peut m'inscrire Elle me disait non, tu n'as pas trop à y aller parce que ce que tu vas apprendre, ça ne colle pas Donc c'était très compliqué pour moi de me repérer. J'avais l'impression de détenir une part de connaissances sur moi-même, mon identité, que eux ne comprendraient pas. Je ne voulais pas leur expliquer en fait.

  • Speaker #2

    On a eu la chance de grandir là où j'ai grandi, c'est une résidence qui est un square. Et en fait, tous les gens qui habitaient dans ce Quart sont de double culture. C'était très étrange dans notre groupe d'amis d'enfance de ne pas parler deux langues. Donc nous, on parlait français, espagnol, mes voisins de palier parlaient italien, portugais. On avait tous plusieurs nationalités, donc pour nous, c'était quelque chose de très normal. Je me souviens, la première fois que je suis allée à New York avec des amis, ça les étonnait d'avoir traversé l'Atlantique en avion. On se rend compte de la chance qu'on a, de ce qu'on nous a apporté qui est un plus, etc. Mais on s'en est rendu compte, je pense, vachement plus tard, moi et mes frères et sœurs.

  • Speaker #3

    cette génération-là, venant de ce pays-là, souhaitait déjà avoir des garçons, c'est le grand truc. Et puis, on leur donnait un prénom du pays. Ma mère, si elle n'est pas opposée. Personne ne s'interrogeait sur est-ce que l'enfant va l'accepter, est-ce que ça ne va pas lui poser des problèmes, juste pour lui, pas par rapport à l'extérieur, mais juste pour lui, ce qui est mon cas, moi. On projette sur moi, par mon patronyme, tout un tas de trucs. Et je me rends compte que je suis une espèce de toile de cinoche sur laquelle on projette un certain nombre de fantasmes et d'images. Dès lors que, globalement, les enfants peuvent, dans les cours d'école, transmettre des poncifs au gré de l'actualité de leurs parents. J'imagine que c'est comme ça.

  • Speaker #1

    Dans le 10e arrondissement,

  • Speaker #3

    des tirs à l'arme automatique. C'est un arrondissement assez populaire où on mélange plein de gens. Donc des enfants de couples qui ont fui l'Espagne, qui ont fui Franco, qui ont fui la dictature en Portugal. Donc ça c'est pour l'Europe. On en a qui fuient la Yougoslavie. Et on en a qui viennent du Maghreb, alors première, deuxième génération. Et puis on a aussi des enfants qui sont français, issus alors soit de parents qui sont français ou français rapatriés d'Algérie par exemple, qui sont juifs. Et donc on est dans une époque dans les années de mon enfance ou de ma première adolescence, on est dans les années 80, 70 et on est dans le conflit israélo-arabe, israélo, peut-être pas palestinien à l'époque, mais en tout cas on disait israélo-arabe. Et donc là, tout d'un coup, il y a des espèces de schismes qui sont évoqués dans les cours d'école. C'est-à-dire que globalement, pour mes amis de confession juive, en tout cas avec un attachement à Israël, j'étais de l'autre côté, donc j'étais pro-palestinien. Forcément, je m'appelle Karim. Pour les enfants d'Algériens, Tunisiens, Marocains, en tout cas issus du Maghreb ou d'autres, je n'étais pas vraiment un arabe, parce que je ne parle pas arabe. Je n'y vais pas et je n'ai aucun référent culturel. Pourquoi on me parle de ça ? Parce que je suis français. Alors, je n'ai pas encore la conscience du fait que c'est uniquement lié à mon patronyme. Je ne comprends encore pas bien de quoi il est question. Donc, je reste en dehors de tout ça, puisque ça ne me parle pas, en fait. Mais j'ai conscience que, globalement, je ne suis pas un Jean-Luc Dupont. À partir de là, le racisme montant, la xénophobie qui grimpe, le chômage, pour toutes les raisons sur lesquelles on ne va pas s'attarder, je suis renvoyé, pas à Antoine Dupont, mais à Karim quelque part. Et quand j'en discute avec des amis qui sont comme moi, issus du mariage entre deux personnes, deux pays différents, d'Asie ou même d'Europe, lorsqu'on évoque le sujet et que j'indique ne pas avoir d'attachement ni d'intérêt, on me le renvoie comme étant un refus d'assumer qui je suis réellement. Alors c'est quoi le qui je suis réellement ? Celui correspond au fantasme qu'il projette sur moi. Donc c'est la fameuse toile blanche de mon patronyme, puis moi.

  • Speaker #4

    Cet esprit cosmopolite qu'on peut retrouver à Paris fait que je n'ai pas énormément d'expériences racistes. Après, moi, ça va être des trucs un peu... Donc là, ça ne se voit pas sur le podcast, mais j'ai les cheveux très bouclés. Et ça m'arrive très régulièrement d'avoir des personnes que je ne connais ni d'Ève ni d'Adam qui viennent et qui se permettent de toucher mes cheveux, de me faire des remarques. Et ce qui est très marrant, c'est que mon beau-père le fait très régulièrement, alors que je vis avec lui depuis quelques années quand même. Mais dès que je vais avoir les cheveux détachés un peu en folie, Ouh là, tu ne les as pas coiffés ce matin ? Moi, j'ai toujours été une jeune fille avec beaucoup de répondants, plutôt insolente quand j'étais au collège et au lycée. Et je me souviens avoir quand même eu des petites altercations avec mes professeurs, dont une en particulier et un en particulier, où je me suis retrouvée à sentir que peut-être que si j'avais été purement française, je n'aurais pas eu la même réaction. C'était des... Non mais c'est inadmissible, cette manière dont elle a de parler, cette manière dont elle répond tout le temps, c'est vraiment un manque d'éducation. Ben non, c'est pas un manque d'éducation, puisque j'ai une grande sœur qui est dans cet établissement qui ne réagit pas du tout pareil. Bon ben si c'est pas un manque d'éducation, on sait ce que c'est. C'est-à-dire ? J'ai pas compris, là. On nous le fait un peu sentir que c'est peut-être parce que je suis arabe, du coup, c'est ça que t'essayes de me dire ? Après, avec ma grande sœur, qui, elle, du coup, est franco-capverdienne, puisque son père était capverdien, elle, ça a été très, très compliqué. Les quelques remarques qu'elle a pu avoir ou que moi, j'ai pu avoir, qui vraiment nous ont choquées, mais moi, je les ai vraiment jetées de ma tête, c'est... Ben non, mais t'es pas une vraie arabe. Ben non, mais t'es pas une vraie noire. Alors, effectivement, j'ai 50% de sang arabe et j'ai une cinquantaine de pourcents, on ne sait pas très bien comment c'est réparti, de sang français, suédois, on ne sait pas trop. Mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas une vraie arabe. Et puis qu'est-ce que ça veut dire être une arabe ? C'est surtout ça. Ouais, je suis tunisienne, ça oui. J'ai du sang tunisien, j'ai un père qui était tunisien, j'ai des frères tunisiens, une belle-mère tunisienne, une famille tunisienne qui, quand bien que mal, essaye de me transmettre cette culture. Je l'apprends, je ne l'apprends pas, peu importe. Mais ce n'est pas parce que je ne suis pas née là-bas, ce n'est pas parce que je ne parle pas arabe, ce n'est pas parce que je ne parle pas tunisien que je ne suis pas tunisienne.

  • Speaker #1

    La révolution pour moi, c'est qu'à l'âge de 13 ans, je suis venue vivre à Paris. Et alors là, sidération totale. Je vois de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, Paris 11e, quartier très multiculturel, avec même des professions que je ne connaissais pas, enfant de producteur de films, scénariste, je ne sais pas, des choses totalement différentes de mon monde d'avant, la banlieue et la petite ville du Maroc. Et surtout, des gens qui viennent, moi je suis argentin, moi je suis d'origine portugaise, et vietnamien, j'ai un copain vietnamien. juifs, marocains, tout ce qu'on veut. Alors là, ça a changé ma vie. Ah bah oui, moi aussi, moi je connais le Maroc et tout. Là, ça devenait un point d'intérêt. Enfin, ça leur plaisait, mes copains et mes copines. Ils me disaient, ah ouais, j'aurais bien allé. Ah bah, si tu viens là-bas pendant les vacances, je t'invite chez mon père. À partir de ce moment-là, je me suis fait des amis qui allaient au Maroc en vacances. Et quand il venait, je les faisais rejoindre avec mes copains et copines du Maroc, qui avaient eux aussi un des parents qui vivaient là-bas, et l'autre parent, ou les deux parents qui avaient entre-temps émigré en France. Et on se retrouvait après les vacances, on pouvait se retrouver aussi à Paris. Je pouvais avoir un petit bout de mon Maroc aussi à Paris en fait.

  • Speaker #3

    Je ne sais pas si c'est venu de manière réfléchie ou comme ça, par hasard. Il m'a semblé que la bonne maîtrise d'une langue permettait tout de suite d'arrêter ton interlocuteur. Il y a un poids des mots, mais pas seulement des mots, il y a un poids de la forme, sur la façon dont tu t'exprimes, qui fait que par rapport à des gens qui peuvent projeter ces fantasmes-là, par rapport à ton patronyme, et qui n'ont pas cette maîtrise-là, ils s'arrêtent immédiatement. un Jean-Luc Dupont qui viendrait me parler et qui ne maîtriserait pas la langue à outrance que je pratiquerais avec lui, s'arrêterait immédiatement. Et à chaque fois, ça s'est vérifié. C'était une façon de me protéger, de me préparer à me protéger. Je les ai vus courir à leur camionnette, là. Pour la boutade, je me suis dit, avec la chance que j'ai, c'est pour moi. Ça n'a pas loupé, c'est pour moi. Donc ils sont arrivés, ils m'ont regardé. C'était assez surprenant quand même l'effort déployé pour une voiture qui était elle-même limitée en vitesse. J'ai projeté sur eux une image du flic potentiellement xénophobe, à 80% xénophobe. Donc je n'ai pas cherché à comprendre. Et donc, effectivement, je leur ai parlé avec un ton très condescendant, très hautain, avec ce phrasé que j'ai à peu près en ce moment. Et ça a ramené tout de suite, et notamment un à qui je demandais s'il souhaitait que j'ouvre la vitre pour qu'il regarde, et qui m'a indiqué qu'il ne m'avait rien demandé, ce à quoi j'ai toujours, avec ce langage-là, j'ai indiqué à son collègue... qu'il était impératif, dans l'uniforme qu'il portait, et la mission qui était la leur, de me parler autrement. Et j'ai senti tout de suite que ça a descendu très rapidement d'un ton. Il n'y a pas eu de... Alors, il n'y en aurait peut-être pas eu un. Mais voilà, par le langage, j'anticipe ce que je pourrais croire être une dérive potentielle. Et ça marche à tous les coups, puisqu'effectivement, je casse tous les fantasmes qui pourraient être projetés sur moi. Donc maghrébin, anti-français, anti-blanc, blablabla. Il suffit de regarder certaines chaînes de télévision dont la ligne éditoriale est connue. Le langage permet de casser ça, mais immédiatement, puisque globalement, tu ne t'adresses plus à un fantasme. Tu t'adresses à quelqu'un qui parle comme toi.

  • Speaker #4

    Par exemple, cette histoire de Ramadan. Non, mais c'est bon, de toute façon, tu n'es pas arabe, tu n'es pas musulmane, tu ne vas pas le faire. Mais je ne t'ai pas demandé pourquoi je voulais le faire. Laisse-moi faire ce que j'ai envie. Peut-être même je suis bouddhiste, on ne sait pas. Et pourtant, je ne suis absolument pas indienne, je ne suis pas japonaise, je ne suis pas chinoise. Enfin, je fais ce que je veux. Et des Français de pure souche, comme on disait tout à l'heure, vont parfois me faire des remarques de C'est bon, tu n'es pas vraiment arabe. Mais laisse-moi tranquille, ça ne veut rien dire. Je ne suis pas vraiment arabe. Non, je te le confirme, je ne suis pas vraiment arabe.

  • Speaker #3

    Je me suis embauché dans une entreprise dans mon secteur d'activité en province. Une année, une année et demie après, j'y suis resté quatre ans. On me demandait si j'étais au courant de, entre guillemets, l'anecdote concernant mon embauche, qui avait étonné tout le monde. Tout le monde sous-entend que globalement ça avait été public, donc chacun dans le groupe avait eu vent de cette anecdote. Monsieur N plus 2 avait indiqué lorsque son collègue, donc mon N plus 1, souhaitait m'embaucher, avait retenu ma candidature, avait indiqué qu'on n'allait pas embaucher un arabe. Donc ça m'a été remonté à peu près de la même façon, à un mot près, par différentes personnes. C'est toujours difficile, après coup, que beaucoup de gens que tu côtoies, que tu croises tous les jours, aient éventuellement en tête qu'on ait pu dire ça de toi. Sauf que cette personne ne me l'a jamais dit, n'a fait aucune remarque désagréable, bien évidemment, n'a jamais évoqué directement avec moi la chose. Heureusement, on avait un cran hiérarchique entre lui et moi, mais je n'ai jamais eu à souffrir de remarques, d'une discrimination quelconque. Probablement parce que le langage, l'attitude faisaient que Karim ou Dupont, ça ne changeait pas grand-chose, justement. Ça, c'est le regard à postérieur, une fois que tu connais les gens.

Description

Caroline, Johanna, Karim et Zina ont grandi dans une double culture. Découvrez comment ils ont été confrontés au regard des autres, entre assimilation et affirmation de leur identité. Des immeubles où se croisent les cultures aux stéréotypes insidieux, écoutez les défis et les triomphes de celles et ceux qui portent en eux/elles le poids des préjugés et la richesse de la diversité.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Comme 12% de la population française, je suis le fruit d'une double culture. Mon père est italien et ma mère est française. Une dualité qui m'anime et me questionne. Naître dans une famille biculturelle, c'est grandir avec un ailleurs. Être ici et un peu là-bas. Un voyage entre deux identités qui façonnent, nourrit et inspirent. Dans ce podcast, nous partirons à la rencontre de ceux et celles qui portent en eux l'héritage de deux mondes. Comment navigue-t-on entre deux cultures, deux langues, deux cuisines ? Certains ont tracé des routes imaginaires vers des terres qu'ils n'ont jamais foulées. D'autres jonglent avec les langues, les traditions et les identités avec facilité. Et puis... Il y a parfois juste un patronyme avec lequel on doit faire face aux préjugés et aux stéréotypes qu'ils transportent. Nous allons explorer ces connexions invisibles, ces transmissions complexes qui nous lient à nos origines, à nos familles, à nos histoires. Double Regard vous invite à partager les récits inspirants de la double culture.

  • Speaker #1

    Ce dont je me souviens surtout au niveau de l'intégration, c'est que je sentais que je n'étais pas à l'aise du tout pour dire que j'étais née dans un pays étranger. Je le cachais en fait. J'ai le souvenir, c'était compliqué quand même de changer de pays sans préparation en fait. j'ai pas été préparée puisque ça a suivi la séparation de mes parents ma mère est rentrée en France brutalement j'avais pas trop les codes de comment il fallait se présenter etc il y avait comme une sensation vraiment d'enfant qu'on allait pas m'accepter Rien que d'en parler, j'ai une main moite. Non, c'est des vraies peurs d'enfance. Je voulais être comme les autres, surtout que je n'étais pas du tout comme les autres, puisque dans ma petite ville de banlieue, j'arrivais d'un pays que tout le monde ne connaissait pas, le Maroc. Et puis, il y avait la représentation comme ça. Pas du tout de racisme de ma part, mais c'est un pays arabe. Et j'allais dans un pays catholique. J'allais dans un pays chrétien. Il y avait comme s'il y avait une histoire de blanc, de noir. En plus, comme je suis d'origine juive, j'ai un de mes grands-pères qui a subi directement dans sa famille des pertes pendant la Deuxième Guerre mondiale. Je me sentais quand même différente quand les copines me disaient bon, mercredi, on se retrouve au catéchisme Je disais je ne crois pas que je vais y aller, je vais demander à ma mère si elle peut m'inscrire Elle me disait non, tu n'as pas trop à y aller parce que ce que tu vas apprendre, ça ne colle pas Donc c'était très compliqué pour moi de me repérer. J'avais l'impression de détenir une part de connaissances sur moi-même, mon identité, que eux ne comprendraient pas. Je ne voulais pas leur expliquer en fait.

  • Speaker #2

    On a eu la chance de grandir là où j'ai grandi, c'est une résidence qui est un square. Et en fait, tous les gens qui habitaient dans ce Quart sont de double culture. C'était très étrange dans notre groupe d'amis d'enfance de ne pas parler deux langues. Donc nous, on parlait français, espagnol, mes voisins de palier parlaient italien, portugais. On avait tous plusieurs nationalités, donc pour nous, c'était quelque chose de très normal. Je me souviens, la première fois que je suis allée à New York avec des amis, ça les étonnait d'avoir traversé l'Atlantique en avion. On se rend compte de la chance qu'on a, de ce qu'on nous a apporté qui est un plus, etc. Mais on s'en est rendu compte, je pense, vachement plus tard, moi et mes frères et sœurs.

  • Speaker #3

    cette génération-là, venant de ce pays-là, souhaitait déjà avoir des garçons, c'est le grand truc. Et puis, on leur donnait un prénom du pays. Ma mère, si elle n'est pas opposée. Personne ne s'interrogeait sur est-ce que l'enfant va l'accepter, est-ce que ça ne va pas lui poser des problèmes, juste pour lui, pas par rapport à l'extérieur, mais juste pour lui, ce qui est mon cas, moi. On projette sur moi, par mon patronyme, tout un tas de trucs. Et je me rends compte que je suis une espèce de toile de cinoche sur laquelle on projette un certain nombre de fantasmes et d'images. Dès lors que, globalement, les enfants peuvent, dans les cours d'école, transmettre des poncifs au gré de l'actualité de leurs parents. J'imagine que c'est comme ça.

  • Speaker #1

    Dans le 10e arrondissement,

  • Speaker #3

    des tirs à l'arme automatique. C'est un arrondissement assez populaire où on mélange plein de gens. Donc des enfants de couples qui ont fui l'Espagne, qui ont fui Franco, qui ont fui la dictature en Portugal. Donc ça c'est pour l'Europe. On en a qui fuient la Yougoslavie. Et on en a qui viennent du Maghreb, alors première, deuxième génération. Et puis on a aussi des enfants qui sont français, issus alors soit de parents qui sont français ou français rapatriés d'Algérie par exemple, qui sont juifs. Et donc on est dans une époque dans les années de mon enfance ou de ma première adolescence, on est dans les années 80, 70 et on est dans le conflit israélo-arabe, israélo, peut-être pas palestinien à l'époque, mais en tout cas on disait israélo-arabe. Et donc là, tout d'un coup, il y a des espèces de schismes qui sont évoqués dans les cours d'école. C'est-à-dire que globalement, pour mes amis de confession juive, en tout cas avec un attachement à Israël, j'étais de l'autre côté, donc j'étais pro-palestinien. Forcément, je m'appelle Karim. Pour les enfants d'Algériens, Tunisiens, Marocains, en tout cas issus du Maghreb ou d'autres, je n'étais pas vraiment un arabe, parce que je ne parle pas arabe. Je n'y vais pas et je n'ai aucun référent culturel. Pourquoi on me parle de ça ? Parce que je suis français. Alors, je n'ai pas encore la conscience du fait que c'est uniquement lié à mon patronyme. Je ne comprends encore pas bien de quoi il est question. Donc, je reste en dehors de tout ça, puisque ça ne me parle pas, en fait. Mais j'ai conscience que, globalement, je ne suis pas un Jean-Luc Dupont. À partir de là, le racisme montant, la xénophobie qui grimpe, le chômage, pour toutes les raisons sur lesquelles on ne va pas s'attarder, je suis renvoyé, pas à Antoine Dupont, mais à Karim quelque part. Et quand j'en discute avec des amis qui sont comme moi, issus du mariage entre deux personnes, deux pays différents, d'Asie ou même d'Europe, lorsqu'on évoque le sujet et que j'indique ne pas avoir d'attachement ni d'intérêt, on me le renvoie comme étant un refus d'assumer qui je suis réellement. Alors c'est quoi le qui je suis réellement ? Celui correspond au fantasme qu'il projette sur moi. Donc c'est la fameuse toile blanche de mon patronyme, puis moi.

  • Speaker #4

    Cet esprit cosmopolite qu'on peut retrouver à Paris fait que je n'ai pas énormément d'expériences racistes. Après, moi, ça va être des trucs un peu... Donc là, ça ne se voit pas sur le podcast, mais j'ai les cheveux très bouclés. Et ça m'arrive très régulièrement d'avoir des personnes que je ne connais ni d'Ève ni d'Adam qui viennent et qui se permettent de toucher mes cheveux, de me faire des remarques. Et ce qui est très marrant, c'est que mon beau-père le fait très régulièrement, alors que je vis avec lui depuis quelques années quand même. Mais dès que je vais avoir les cheveux détachés un peu en folie, Ouh là, tu ne les as pas coiffés ce matin ? Moi, j'ai toujours été une jeune fille avec beaucoup de répondants, plutôt insolente quand j'étais au collège et au lycée. Et je me souviens avoir quand même eu des petites altercations avec mes professeurs, dont une en particulier et un en particulier, où je me suis retrouvée à sentir que peut-être que si j'avais été purement française, je n'aurais pas eu la même réaction. C'était des... Non mais c'est inadmissible, cette manière dont elle a de parler, cette manière dont elle répond tout le temps, c'est vraiment un manque d'éducation. Ben non, c'est pas un manque d'éducation, puisque j'ai une grande sœur qui est dans cet établissement qui ne réagit pas du tout pareil. Bon ben si c'est pas un manque d'éducation, on sait ce que c'est. C'est-à-dire ? J'ai pas compris, là. On nous le fait un peu sentir que c'est peut-être parce que je suis arabe, du coup, c'est ça que t'essayes de me dire ? Après, avec ma grande sœur, qui, elle, du coup, est franco-capverdienne, puisque son père était capverdien, elle, ça a été très, très compliqué. Les quelques remarques qu'elle a pu avoir ou que moi, j'ai pu avoir, qui vraiment nous ont choquées, mais moi, je les ai vraiment jetées de ma tête, c'est... Ben non, mais t'es pas une vraie arabe. Ben non, mais t'es pas une vraie noire. Alors, effectivement, j'ai 50% de sang arabe et j'ai une cinquantaine de pourcents, on ne sait pas très bien comment c'est réparti, de sang français, suédois, on ne sait pas trop. Mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas une vraie arabe. Et puis qu'est-ce que ça veut dire être une arabe ? C'est surtout ça. Ouais, je suis tunisienne, ça oui. J'ai du sang tunisien, j'ai un père qui était tunisien, j'ai des frères tunisiens, une belle-mère tunisienne, une famille tunisienne qui, quand bien que mal, essaye de me transmettre cette culture. Je l'apprends, je ne l'apprends pas, peu importe. Mais ce n'est pas parce que je ne suis pas née là-bas, ce n'est pas parce que je ne parle pas arabe, ce n'est pas parce que je ne parle pas tunisien que je ne suis pas tunisienne.

  • Speaker #1

    La révolution pour moi, c'est qu'à l'âge de 13 ans, je suis venue vivre à Paris. Et alors là, sidération totale. Je vois de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, Paris 11e, quartier très multiculturel, avec même des professions que je ne connaissais pas, enfant de producteur de films, scénariste, je ne sais pas, des choses totalement différentes de mon monde d'avant, la banlieue et la petite ville du Maroc. Et surtout, des gens qui viennent, moi je suis argentin, moi je suis d'origine portugaise, et vietnamien, j'ai un copain vietnamien. juifs, marocains, tout ce qu'on veut. Alors là, ça a changé ma vie. Ah bah oui, moi aussi, moi je connais le Maroc et tout. Là, ça devenait un point d'intérêt. Enfin, ça leur plaisait, mes copains et mes copines. Ils me disaient, ah ouais, j'aurais bien allé. Ah bah, si tu viens là-bas pendant les vacances, je t'invite chez mon père. À partir de ce moment-là, je me suis fait des amis qui allaient au Maroc en vacances. Et quand il venait, je les faisais rejoindre avec mes copains et copines du Maroc, qui avaient eux aussi un des parents qui vivaient là-bas, et l'autre parent, ou les deux parents qui avaient entre-temps émigré en France. Et on se retrouvait après les vacances, on pouvait se retrouver aussi à Paris. Je pouvais avoir un petit bout de mon Maroc aussi à Paris en fait.

  • Speaker #3

    Je ne sais pas si c'est venu de manière réfléchie ou comme ça, par hasard. Il m'a semblé que la bonne maîtrise d'une langue permettait tout de suite d'arrêter ton interlocuteur. Il y a un poids des mots, mais pas seulement des mots, il y a un poids de la forme, sur la façon dont tu t'exprimes, qui fait que par rapport à des gens qui peuvent projeter ces fantasmes-là, par rapport à ton patronyme, et qui n'ont pas cette maîtrise-là, ils s'arrêtent immédiatement. un Jean-Luc Dupont qui viendrait me parler et qui ne maîtriserait pas la langue à outrance que je pratiquerais avec lui, s'arrêterait immédiatement. Et à chaque fois, ça s'est vérifié. C'était une façon de me protéger, de me préparer à me protéger. Je les ai vus courir à leur camionnette, là. Pour la boutade, je me suis dit, avec la chance que j'ai, c'est pour moi. Ça n'a pas loupé, c'est pour moi. Donc ils sont arrivés, ils m'ont regardé. C'était assez surprenant quand même l'effort déployé pour une voiture qui était elle-même limitée en vitesse. J'ai projeté sur eux une image du flic potentiellement xénophobe, à 80% xénophobe. Donc je n'ai pas cherché à comprendre. Et donc, effectivement, je leur ai parlé avec un ton très condescendant, très hautain, avec ce phrasé que j'ai à peu près en ce moment. Et ça a ramené tout de suite, et notamment un à qui je demandais s'il souhaitait que j'ouvre la vitre pour qu'il regarde, et qui m'a indiqué qu'il ne m'avait rien demandé, ce à quoi j'ai toujours, avec ce langage-là, j'ai indiqué à son collègue... qu'il était impératif, dans l'uniforme qu'il portait, et la mission qui était la leur, de me parler autrement. Et j'ai senti tout de suite que ça a descendu très rapidement d'un ton. Il n'y a pas eu de... Alors, il n'y en aurait peut-être pas eu un. Mais voilà, par le langage, j'anticipe ce que je pourrais croire être une dérive potentielle. Et ça marche à tous les coups, puisqu'effectivement, je casse tous les fantasmes qui pourraient être projetés sur moi. Donc maghrébin, anti-français, anti-blanc, blablabla. Il suffit de regarder certaines chaînes de télévision dont la ligne éditoriale est connue. Le langage permet de casser ça, mais immédiatement, puisque globalement, tu ne t'adresses plus à un fantasme. Tu t'adresses à quelqu'un qui parle comme toi.

  • Speaker #4

    Par exemple, cette histoire de Ramadan. Non, mais c'est bon, de toute façon, tu n'es pas arabe, tu n'es pas musulmane, tu ne vas pas le faire. Mais je ne t'ai pas demandé pourquoi je voulais le faire. Laisse-moi faire ce que j'ai envie. Peut-être même je suis bouddhiste, on ne sait pas. Et pourtant, je ne suis absolument pas indienne, je ne suis pas japonaise, je ne suis pas chinoise. Enfin, je fais ce que je veux. Et des Français de pure souche, comme on disait tout à l'heure, vont parfois me faire des remarques de C'est bon, tu n'es pas vraiment arabe. Mais laisse-moi tranquille, ça ne veut rien dire. Je ne suis pas vraiment arabe. Non, je te le confirme, je ne suis pas vraiment arabe.

  • Speaker #3

    Je me suis embauché dans une entreprise dans mon secteur d'activité en province. Une année, une année et demie après, j'y suis resté quatre ans. On me demandait si j'étais au courant de, entre guillemets, l'anecdote concernant mon embauche, qui avait étonné tout le monde. Tout le monde sous-entend que globalement ça avait été public, donc chacun dans le groupe avait eu vent de cette anecdote. Monsieur N plus 2 avait indiqué lorsque son collègue, donc mon N plus 1, souhaitait m'embaucher, avait retenu ma candidature, avait indiqué qu'on n'allait pas embaucher un arabe. Donc ça m'a été remonté à peu près de la même façon, à un mot près, par différentes personnes. C'est toujours difficile, après coup, que beaucoup de gens que tu côtoies, que tu croises tous les jours, aient éventuellement en tête qu'on ait pu dire ça de toi. Sauf que cette personne ne me l'a jamais dit, n'a fait aucune remarque désagréable, bien évidemment, n'a jamais évoqué directement avec moi la chose. Heureusement, on avait un cran hiérarchique entre lui et moi, mais je n'ai jamais eu à souffrir de remarques, d'une discrimination quelconque. Probablement parce que le langage, l'attitude faisaient que Karim ou Dupont, ça ne changeait pas grand-chose, justement. Ça, c'est le regard à postérieur, une fois que tu connais les gens.

Share

Embed

You may also like

Description

Caroline, Johanna, Karim et Zina ont grandi dans une double culture. Découvrez comment ils ont été confrontés au regard des autres, entre assimilation et affirmation de leur identité. Des immeubles où se croisent les cultures aux stéréotypes insidieux, écoutez les défis et les triomphes de celles et ceux qui portent en eux/elles le poids des préjugés et la richesse de la diversité.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Comme 12% de la population française, je suis le fruit d'une double culture. Mon père est italien et ma mère est française. Une dualité qui m'anime et me questionne. Naître dans une famille biculturelle, c'est grandir avec un ailleurs. Être ici et un peu là-bas. Un voyage entre deux identités qui façonnent, nourrit et inspirent. Dans ce podcast, nous partirons à la rencontre de ceux et celles qui portent en eux l'héritage de deux mondes. Comment navigue-t-on entre deux cultures, deux langues, deux cuisines ? Certains ont tracé des routes imaginaires vers des terres qu'ils n'ont jamais foulées. D'autres jonglent avec les langues, les traditions et les identités avec facilité. Et puis... Il y a parfois juste un patronyme avec lequel on doit faire face aux préjugés et aux stéréotypes qu'ils transportent. Nous allons explorer ces connexions invisibles, ces transmissions complexes qui nous lient à nos origines, à nos familles, à nos histoires. Double Regard vous invite à partager les récits inspirants de la double culture.

  • Speaker #1

    Ce dont je me souviens surtout au niveau de l'intégration, c'est que je sentais que je n'étais pas à l'aise du tout pour dire que j'étais née dans un pays étranger. Je le cachais en fait. J'ai le souvenir, c'était compliqué quand même de changer de pays sans préparation en fait. j'ai pas été préparée puisque ça a suivi la séparation de mes parents ma mère est rentrée en France brutalement j'avais pas trop les codes de comment il fallait se présenter etc il y avait comme une sensation vraiment d'enfant qu'on allait pas m'accepter Rien que d'en parler, j'ai une main moite. Non, c'est des vraies peurs d'enfance. Je voulais être comme les autres, surtout que je n'étais pas du tout comme les autres, puisque dans ma petite ville de banlieue, j'arrivais d'un pays que tout le monde ne connaissait pas, le Maroc. Et puis, il y avait la représentation comme ça. Pas du tout de racisme de ma part, mais c'est un pays arabe. Et j'allais dans un pays catholique. J'allais dans un pays chrétien. Il y avait comme s'il y avait une histoire de blanc, de noir. En plus, comme je suis d'origine juive, j'ai un de mes grands-pères qui a subi directement dans sa famille des pertes pendant la Deuxième Guerre mondiale. Je me sentais quand même différente quand les copines me disaient bon, mercredi, on se retrouve au catéchisme Je disais je ne crois pas que je vais y aller, je vais demander à ma mère si elle peut m'inscrire Elle me disait non, tu n'as pas trop à y aller parce que ce que tu vas apprendre, ça ne colle pas Donc c'était très compliqué pour moi de me repérer. J'avais l'impression de détenir une part de connaissances sur moi-même, mon identité, que eux ne comprendraient pas. Je ne voulais pas leur expliquer en fait.

  • Speaker #2

    On a eu la chance de grandir là où j'ai grandi, c'est une résidence qui est un square. Et en fait, tous les gens qui habitaient dans ce Quart sont de double culture. C'était très étrange dans notre groupe d'amis d'enfance de ne pas parler deux langues. Donc nous, on parlait français, espagnol, mes voisins de palier parlaient italien, portugais. On avait tous plusieurs nationalités, donc pour nous, c'était quelque chose de très normal. Je me souviens, la première fois que je suis allée à New York avec des amis, ça les étonnait d'avoir traversé l'Atlantique en avion. On se rend compte de la chance qu'on a, de ce qu'on nous a apporté qui est un plus, etc. Mais on s'en est rendu compte, je pense, vachement plus tard, moi et mes frères et sœurs.

  • Speaker #3

    cette génération-là, venant de ce pays-là, souhaitait déjà avoir des garçons, c'est le grand truc. Et puis, on leur donnait un prénom du pays. Ma mère, si elle n'est pas opposée. Personne ne s'interrogeait sur est-ce que l'enfant va l'accepter, est-ce que ça ne va pas lui poser des problèmes, juste pour lui, pas par rapport à l'extérieur, mais juste pour lui, ce qui est mon cas, moi. On projette sur moi, par mon patronyme, tout un tas de trucs. Et je me rends compte que je suis une espèce de toile de cinoche sur laquelle on projette un certain nombre de fantasmes et d'images. Dès lors que, globalement, les enfants peuvent, dans les cours d'école, transmettre des poncifs au gré de l'actualité de leurs parents. J'imagine que c'est comme ça.

  • Speaker #1

    Dans le 10e arrondissement,

  • Speaker #3

    des tirs à l'arme automatique. C'est un arrondissement assez populaire où on mélange plein de gens. Donc des enfants de couples qui ont fui l'Espagne, qui ont fui Franco, qui ont fui la dictature en Portugal. Donc ça c'est pour l'Europe. On en a qui fuient la Yougoslavie. Et on en a qui viennent du Maghreb, alors première, deuxième génération. Et puis on a aussi des enfants qui sont français, issus alors soit de parents qui sont français ou français rapatriés d'Algérie par exemple, qui sont juifs. Et donc on est dans une époque dans les années de mon enfance ou de ma première adolescence, on est dans les années 80, 70 et on est dans le conflit israélo-arabe, israélo, peut-être pas palestinien à l'époque, mais en tout cas on disait israélo-arabe. Et donc là, tout d'un coup, il y a des espèces de schismes qui sont évoqués dans les cours d'école. C'est-à-dire que globalement, pour mes amis de confession juive, en tout cas avec un attachement à Israël, j'étais de l'autre côté, donc j'étais pro-palestinien. Forcément, je m'appelle Karim. Pour les enfants d'Algériens, Tunisiens, Marocains, en tout cas issus du Maghreb ou d'autres, je n'étais pas vraiment un arabe, parce que je ne parle pas arabe. Je n'y vais pas et je n'ai aucun référent culturel. Pourquoi on me parle de ça ? Parce que je suis français. Alors, je n'ai pas encore la conscience du fait que c'est uniquement lié à mon patronyme. Je ne comprends encore pas bien de quoi il est question. Donc, je reste en dehors de tout ça, puisque ça ne me parle pas, en fait. Mais j'ai conscience que, globalement, je ne suis pas un Jean-Luc Dupont. À partir de là, le racisme montant, la xénophobie qui grimpe, le chômage, pour toutes les raisons sur lesquelles on ne va pas s'attarder, je suis renvoyé, pas à Antoine Dupont, mais à Karim quelque part. Et quand j'en discute avec des amis qui sont comme moi, issus du mariage entre deux personnes, deux pays différents, d'Asie ou même d'Europe, lorsqu'on évoque le sujet et que j'indique ne pas avoir d'attachement ni d'intérêt, on me le renvoie comme étant un refus d'assumer qui je suis réellement. Alors c'est quoi le qui je suis réellement ? Celui correspond au fantasme qu'il projette sur moi. Donc c'est la fameuse toile blanche de mon patronyme, puis moi.

  • Speaker #4

    Cet esprit cosmopolite qu'on peut retrouver à Paris fait que je n'ai pas énormément d'expériences racistes. Après, moi, ça va être des trucs un peu... Donc là, ça ne se voit pas sur le podcast, mais j'ai les cheveux très bouclés. Et ça m'arrive très régulièrement d'avoir des personnes que je ne connais ni d'Ève ni d'Adam qui viennent et qui se permettent de toucher mes cheveux, de me faire des remarques. Et ce qui est très marrant, c'est que mon beau-père le fait très régulièrement, alors que je vis avec lui depuis quelques années quand même. Mais dès que je vais avoir les cheveux détachés un peu en folie, Ouh là, tu ne les as pas coiffés ce matin ? Moi, j'ai toujours été une jeune fille avec beaucoup de répondants, plutôt insolente quand j'étais au collège et au lycée. Et je me souviens avoir quand même eu des petites altercations avec mes professeurs, dont une en particulier et un en particulier, où je me suis retrouvée à sentir que peut-être que si j'avais été purement française, je n'aurais pas eu la même réaction. C'était des... Non mais c'est inadmissible, cette manière dont elle a de parler, cette manière dont elle répond tout le temps, c'est vraiment un manque d'éducation. Ben non, c'est pas un manque d'éducation, puisque j'ai une grande sœur qui est dans cet établissement qui ne réagit pas du tout pareil. Bon ben si c'est pas un manque d'éducation, on sait ce que c'est. C'est-à-dire ? J'ai pas compris, là. On nous le fait un peu sentir que c'est peut-être parce que je suis arabe, du coup, c'est ça que t'essayes de me dire ? Après, avec ma grande sœur, qui, elle, du coup, est franco-capverdienne, puisque son père était capverdien, elle, ça a été très, très compliqué. Les quelques remarques qu'elle a pu avoir ou que moi, j'ai pu avoir, qui vraiment nous ont choquées, mais moi, je les ai vraiment jetées de ma tête, c'est... Ben non, mais t'es pas une vraie arabe. Ben non, mais t'es pas une vraie noire. Alors, effectivement, j'ai 50% de sang arabe et j'ai une cinquantaine de pourcents, on ne sait pas très bien comment c'est réparti, de sang français, suédois, on ne sait pas trop. Mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas une vraie arabe. Et puis qu'est-ce que ça veut dire être une arabe ? C'est surtout ça. Ouais, je suis tunisienne, ça oui. J'ai du sang tunisien, j'ai un père qui était tunisien, j'ai des frères tunisiens, une belle-mère tunisienne, une famille tunisienne qui, quand bien que mal, essaye de me transmettre cette culture. Je l'apprends, je ne l'apprends pas, peu importe. Mais ce n'est pas parce que je ne suis pas née là-bas, ce n'est pas parce que je ne parle pas arabe, ce n'est pas parce que je ne parle pas tunisien que je ne suis pas tunisienne.

  • Speaker #1

    La révolution pour moi, c'est qu'à l'âge de 13 ans, je suis venue vivre à Paris. Et alors là, sidération totale. Je vois de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, Paris 11e, quartier très multiculturel, avec même des professions que je ne connaissais pas, enfant de producteur de films, scénariste, je ne sais pas, des choses totalement différentes de mon monde d'avant, la banlieue et la petite ville du Maroc. Et surtout, des gens qui viennent, moi je suis argentin, moi je suis d'origine portugaise, et vietnamien, j'ai un copain vietnamien. juifs, marocains, tout ce qu'on veut. Alors là, ça a changé ma vie. Ah bah oui, moi aussi, moi je connais le Maroc et tout. Là, ça devenait un point d'intérêt. Enfin, ça leur plaisait, mes copains et mes copines. Ils me disaient, ah ouais, j'aurais bien allé. Ah bah, si tu viens là-bas pendant les vacances, je t'invite chez mon père. À partir de ce moment-là, je me suis fait des amis qui allaient au Maroc en vacances. Et quand il venait, je les faisais rejoindre avec mes copains et copines du Maroc, qui avaient eux aussi un des parents qui vivaient là-bas, et l'autre parent, ou les deux parents qui avaient entre-temps émigré en France. Et on se retrouvait après les vacances, on pouvait se retrouver aussi à Paris. Je pouvais avoir un petit bout de mon Maroc aussi à Paris en fait.

  • Speaker #3

    Je ne sais pas si c'est venu de manière réfléchie ou comme ça, par hasard. Il m'a semblé que la bonne maîtrise d'une langue permettait tout de suite d'arrêter ton interlocuteur. Il y a un poids des mots, mais pas seulement des mots, il y a un poids de la forme, sur la façon dont tu t'exprimes, qui fait que par rapport à des gens qui peuvent projeter ces fantasmes-là, par rapport à ton patronyme, et qui n'ont pas cette maîtrise-là, ils s'arrêtent immédiatement. un Jean-Luc Dupont qui viendrait me parler et qui ne maîtriserait pas la langue à outrance que je pratiquerais avec lui, s'arrêterait immédiatement. Et à chaque fois, ça s'est vérifié. C'était une façon de me protéger, de me préparer à me protéger. Je les ai vus courir à leur camionnette, là. Pour la boutade, je me suis dit, avec la chance que j'ai, c'est pour moi. Ça n'a pas loupé, c'est pour moi. Donc ils sont arrivés, ils m'ont regardé. C'était assez surprenant quand même l'effort déployé pour une voiture qui était elle-même limitée en vitesse. J'ai projeté sur eux une image du flic potentiellement xénophobe, à 80% xénophobe. Donc je n'ai pas cherché à comprendre. Et donc, effectivement, je leur ai parlé avec un ton très condescendant, très hautain, avec ce phrasé que j'ai à peu près en ce moment. Et ça a ramené tout de suite, et notamment un à qui je demandais s'il souhaitait que j'ouvre la vitre pour qu'il regarde, et qui m'a indiqué qu'il ne m'avait rien demandé, ce à quoi j'ai toujours, avec ce langage-là, j'ai indiqué à son collègue... qu'il était impératif, dans l'uniforme qu'il portait, et la mission qui était la leur, de me parler autrement. Et j'ai senti tout de suite que ça a descendu très rapidement d'un ton. Il n'y a pas eu de... Alors, il n'y en aurait peut-être pas eu un. Mais voilà, par le langage, j'anticipe ce que je pourrais croire être une dérive potentielle. Et ça marche à tous les coups, puisqu'effectivement, je casse tous les fantasmes qui pourraient être projetés sur moi. Donc maghrébin, anti-français, anti-blanc, blablabla. Il suffit de regarder certaines chaînes de télévision dont la ligne éditoriale est connue. Le langage permet de casser ça, mais immédiatement, puisque globalement, tu ne t'adresses plus à un fantasme. Tu t'adresses à quelqu'un qui parle comme toi.

  • Speaker #4

    Par exemple, cette histoire de Ramadan. Non, mais c'est bon, de toute façon, tu n'es pas arabe, tu n'es pas musulmane, tu ne vas pas le faire. Mais je ne t'ai pas demandé pourquoi je voulais le faire. Laisse-moi faire ce que j'ai envie. Peut-être même je suis bouddhiste, on ne sait pas. Et pourtant, je ne suis absolument pas indienne, je ne suis pas japonaise, je ne suis pas chinoise. Enfin, je fais ce que je veux. Et des Français de pure souche, comme on disait tout à l'heure, vont parfois me faire des remarques de C'est bon, tu n'es pas vraiment arabe. Mais laisse-moi tranquille, ça ne veut rien dire. Je ne suis pas vraiment arabe. Non, je te le confirme, je ne suis pas vraiment arabe.

  • Speaker #3

    Je me suis embauché dans une entreprise dans mon secteur d'activité en province. Une année, une année et demie après, j'y suis resté quatre ans. On me demandait si j'étais au courant de, entre guillemets, l'anecdote concernant mon embauche, qui avait étonné tout le monde. Tout le monde sous-entend que globalement ça avait été public, donc chacun dans le groupe avait eu vent de cette anecdote. Monsieur N plus 2 avait indiqué lorsque son collègue, donc mon N plus 1, souhaitait m'embaucher, avait retenu ma candidature, avait indiqué qu'on n'allait pas embaucher un arabe. Donc ça m'a été remonté à peu près de la même façon, à un mot près, par différentes personnes. C'est toujours difficile, après coup, que beaucoup de gens que tu côtoies, que tu croises tous les jours, aient éventuellement en tête qu'on ait pu dire ça de toi. Sauf que cette personne ne me l'a jamais dit, n'a fait aucune remarque désagréable, bien évidemment, n'a jamais évoqué directement avec moi la chose. Heureusement, on avait un cran hiérarchique entre lui et moi, mais je n'ai jamais eu à souffrir de remarques, d'une discrimination quelconque. Probablement parce que le langage, l'attitude faisaient que Karim ou Dupont, ça ne changeait pas grand-chose, justement. Ça, c'est le regard à postérieur, une fois que tu connais les gens.

Description

Caroline, Johanna, Karim et Zina ont grandi dans une double culture. Découvrez comment ils ont été confrontés au regard des autres, entre assimilation et affirmation de leur identité. Des immeubles où se croisent les cultures aux stéréotypes insidieux, écoutez les défis et les triomphes de celles et ceux qui portent en eux/elles le poids des préjugés et la richesse de la diversité.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Comme 12% de la population française, je suis le fruit d'une double culture. Mon père est italien et ma mère est française. Une dualité qui m'anime et me questionne. Naître dans une famille biculturelle, c'est grandir avec un ailleurs. Être ici et un peu là-bas. Un voyage entre deux identités qui façonnent, nourrit et inspirent. Dans ce podcast, nous partirons à la rencontre de ceux et celles qui portent en eux l'héritage de deux mondes. Comment navigue-t-on entre deux cultures, deux langues, deux cuisines ? Certains ont tracé des routes imaginaires vers des terres qu'ils n'ont jamais foulées. D'autres jonglent avec les langues, les traditions et les identités avec facilité. Et puis... Il y a parfois juste un patronyme avec lequel on doit faire face aux préjugés et aux stéréotypes qu'ils transportent. Nous allons explorer ces connexions invisibles, ces transmissions complexes qui nous lient à nos origines, à nos familles, à nos histoires. Double Regard vous invite à partager les récits inspirants de la double culture.

  • Speaker #1

    Ce dont je me souviens surtout au niveau de l'intégration, c'est que je sentais que je n'étais pas à l'aise du tout pour dire que j'étais née dans un pays étranger. Je le cachais en fait. J'ai le souvenir, c'était compliqué quand même de changer de pays sans préparation en fait. j'ai pas été préparée puisque ça a suivi la séparation de mes parents ma mère est rentrée en France brutalement j'avais pas trop les codes de comment il fallait se présenter etc il y avait comme une sensation vraiment d'enfant qu'on allait pas m'accepter Rien que d'en parler, j'ai une main moite. Non, c'est des vraies peurs d'enfance. Je voulais être comme les autres, surtout que je n'étais pas du tout comme les autres, puisque dans ma petite ville de banlieue, j'arrivais d'un pays que tout le monde ne connaissait pas, le Maroc. Et puis, il y avait la représentation comme ça. Pas du tout de racisme de ma part, mais c'est un pays arabe. Et j'allais dans un pays catholique. J'allais dans un pays chrétien. Il y avait comme s'il y avait une histoire de blanc, de noir. En plus, comme je suis d'origine juive, j'ai un de mes grands-pères qui a subi directement dans sa famille des pertes pendant la Deuxième Guerre mondiale. Je me sentais quand même différente quand les copines me disaient bon, mercredi, on se retrouve au catéchisme Je disais je ne crois pas que je vais y aller, je vais demander à ma mère si elle peut m'inscrire Elle me disait non, tu n'as pas trop à y aller parce que ce que tu vas apprendre, ça ne colle pas Donc c'était très compliqué pour moi de me repérer. J'avais l'impression de détenir une part de connaissances sur moi-même, mon identité, que eux ne comprendraient pas. Je ne voulais pas leur expliquer en fait.

  • Speaker #2

    On a eu la chance de grandir là où j'ai grandi, c'est une résidence qui est un square. Et en fait, tous les gens qui habitaient dans ce Quart sont de double culture. C'était très étrange dans notre groupe d'amis d'enfance de ne pas parler deux langues. Donc nous, on parlait français, espagnol, mes voisins de palier parlaient italien, portugais. On avait tous plusieurs nationalités, donc pour nous, c'était quelque chose de très normal. Je me souviens, la première fois que je suis allée à New York avec des amis, ça les étonnait d'avoir traversé l'Atlantique en avion. On se rend compte de la chance qu'on a, de ce qu'on nous a apporté qui est un plus, etc. Mais on s'en est rendu compte, je pense, vachement plus tard, moi et mes frères et sœurs.

  • Speaker #3

    cette génération-là, venant de ce pays-là, souhaitait déjà avoir des garçons, c'est le grand truc. Et puis, on leur donnait un prénom du pays. Ma mère, si elle n'est pas opposée. Personne ne s'interrogeait sur est-ce que l'enfant va l'accepter, est-ce que ça ne va pas lui poser des problèmes, juste pour lui, pas par rapport à l'extérieur, mais juste pour lui, ce qui est mon cas, moi. On projette sur moi, par mon patronyme, tout un tas de trucs. Et je me rends compte que je suis une espèce de toile de cinoche sur laquelle on projette un certain nombre de fantasmes et d'images. Dès lors que, globalement, les enfants peuvent, dans les cours d'école, transmettre des poncifs au gré de l'actualité de leurs parents. J'imagine que c'est comme ça.

  • Speaker #1

    Dans le 10e arrondissement,

  • Speaker #3

    des tirs à l'arme automatique. C'est un arrondissement assez populaire où on mélange plein de gens. Donc des enfants de couples qui ont fui l'Espagne, qui ont fui Franco, qui ont fui la dictature en Portugal. Donc ça c'est pour l'Europe. On en a qui fuient la Yougoslavie. Et on en a qui viennent du Maghreb, alors première, deuxième génération. Et puis on a aussi des enfants qui sont français, issus alors soit de parents qui sont français ou français rapatriés d'Algérie par exemple, qui sont juifs. Et donc on est dans une époque dans les années de mon enfance ou de ma première adolescence, on est dans les années 80, 70 et on est dans le conflit israélo-arabe, israélo, peut-être pas palestinien à l'époque, mais en tout cas on disait israélo-arabe. Et donc là, tout d'un coup, il y a des espèces de schismes qui sont évoqués dans les cours d'école. C'est-à-dire que globalement, pour mes amis de confession juive, en tout cas avec un attachement à Israël, j'étais de l'autre côté, donc j'étais pro-palestinien. Forcément, je m'appelle Karim. Pour les enfants d'Algériens, Tunisiens, Marocains, en tout cas issus du Maghreb ou d'autres, je n'étais pas vraiment un arabe, parce que je ne parle pas arabe. Je n'y vais pas et je n'ai aucun référent culturel. Pourquoi on me parle de ça ? Parce que je suis français. Alors, je n'ai pas encore la conscience du fait que c'est uniquement lié à mon patronyme. Je ne comprends encore pas bien de quoi il est question. Donc, je reste en dehors de tout ça, puisque ça ne me parle pas, en fait. Mais j'ai conscience que, globalement, je ne suis pas un Jean-Luc Dupont. À partir de là, le racisme montant, la xénophobie qui grimpe, le chômage, pour toutes les raisons sur lesquelles on ne va pas s'attarder, je suis renvoyé, pas à Antoine Dupont, mais à Karim quelque part. Et quand j'en discute avec des amis qui sont comme moi, issus du mariage entre deux personnes, deux pays différents, d'Asie ou même d'Europe, lorsqu'on évoque le sujet et que j'indique ne pas avoir d'attachement ni d'intérêt, on me le renvoie comme étant un refus d'assumer qui je suis réellement. Alors c'est quoi le qui je suis réellement ? Celui correspond au fantasme qu'il projette sur moi. Donc c'est la fameuse toile blanche de mon patronyme, puis moi.

  • Speaker #4

    Cet esprit cosmopolite qu'on peut retrouver à Paris fait que je n'ai pas énormément d'expériences racistes. Après, moi, ça va être des trucs un peu... Donc là, ça ne se voit pas sur le podcast, mais j'ai les cheveux très bouclés. Et ça m'arrive très régulièrement d'avoir des personnes que je ne connais ni d'Ève ni d'Adam qui viennent et qui se permettent de toucher mes cheveux, de me faire des remarques. Et ce qui est très marrant, c'est que mon beau-père le fait très régulièrement, alors que je vis avec lui depuis quelques années quand même. Mais dès que je vais avoir les cheveux détachés un peu en folie, Ouh là, tu ne les as pas coiffés ce matin ? Moi, j'ai toujours été une jeune fille avec beaucoup de répondants, plutôt insolente quand j'étais au collège et au lycée. Et je me souviens avoir quand même eu des petites altercations avec mes professeurs, dont une en particulier et un en particulier, où je me suis retrouvée à sentir que peut-être que si j'avais été purement française, je n'aurais pas eu la même réaction. C'était des... Non mais c'est inadmissible, cette manière dont elle a de parler, cette manière dont elle répond tout le temps, c'est vraiment un manque d'éducation. Ben non, c'est pas un manque d'éducation, puisque j'ai une grande sœur qui est dans cet établissement qui ne réagit pas du tout pareil. Bon ben si c'est pas un manque d'éducation, on sait ce que c'est. C'est-à-dire ? J'ai pas compris, là. On nous le fait un peu sentir que c'est peut-être parce que je suis arabe, du coup, c'est ça que t'essayes de me dire ? Après, avec ma grande sœur, qui, elle, du coup, est franco-capverdienne, puisque son père était capverdien, elle, ça a été très, très compliqué. Les quelques remarques qu'elle a pu avoir ou que moi, j'ai pu avoir, qui vraiment nous ont choquées, mais moi, je les ai vraiment jetées de ma tête, c'est... Ben non, mais t'es pas une vraie arabe. Ben non, mais t'es pas une vraie noire. Alors, effectivement, j'ai 50% de sang arabe et j'ai une cinquantaine de pourcents, on ne sait pas très bien comment c'est réparti, de sang français, suédois, on ne sait pas trop. Mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas une vraie arabe. Et puis qu'est-ce que ça veut dire être une arabe ? C'est surtout ça. Ouais, je suis tunisienne, ça oui. J'ai du sang tunisien, j'ai un père qui était tunisien, j'ai des frères tunisiens, une belle-mère tunisienne, une famille tunisienne qui, quand bien que mal, essaye de me transmettre cette culture. Je l'apprends, je ne l'apprends pas, peu importe. Mais ce n'est pas parce que je ne suis pas née là-bas, ce n'est pas parce que je ne parle pas arabe, ce n'est pas parce que je ne parle pas tunisien que je ne suis pas tunisienne.

  • Speaker #1

    La révolution pour moi, c'est qu'à l'âge de 13 ans, je suis venue vivre à Paris. Et alors là, sidération totale. Je vois de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, Paris 11e, quartier très multiculturel, avec même des professions que je ne connaissais pas, enfant de producteur de films, scénariste, je ne sais pas, des choses totalement différentes de mon monde d'avant, la banlieue et la petite ville du Maroc. Et surtout, des gens qui viennent, moi je suis argentin, moi je suis d'origine portugaise, et vietnamien, j'ai un copain vietnamien. juifs, marocains, tout ce qu'on veut. Alors là, ça a changé ma vie. Ah bah oui, moi aussi, moi je connais le Maroc et tout. Là, ça devenait un point d'intérêt. Enfin, ça leur plaisait, mes copains et mes copines. Ils me disaient, ah ouais, j'aurais bien allé. Ah bah, si tu viens là-bas pendant les vacances, je t'invite chez mon père. À partir de ce moment-là, je me suis fait des amis qui allaient au Maroc en vacances. Et quand il venait, je les faisais rejoindre avec mes copains et copines du Maroc, qui avaient eux aussi un des parents qui vivaient là-bas, et l'autre parent, ou les deux parents qui avaient entre-temps émigré en France. Et on se retrouvait après les vacances, on pouvait se retrouver aussi à Paris. Je pouvais avoir un petit bout de mon Maroc aussi à Paris en fait.

  • Speaker #3

    Je ne sais pas si c'est venu de manière réfléchie ou comme ça, par hasard. Il m'a semblé que la bonne maîtrise d'une langue permettait tout de suite d'arrêter ton interlocuteur. Il y a un poids des mots, mais pas seulement des mots, il y a un poids de la forme, sur la façon dont tu t'exprimes, qui fait que par rapport à des gens qui peuvent projeter ces fantasmes-là, par rapport à ton patronyme, et qui n'ont pas cette maîtrise-là, ils s'arrêtent immédiatement. un Jean-Luc Dupont qui viendrait me parler et qui ne maîtriserait pas la langue à outrance que je pratiquerais avec lui, s'arrêterait immédiatement. Et à chaque fois, ça s'est vérifié. C'était une façon de me protéger, de me préparer à me protéger. Je les ai vus courir à leur camionnette, là. Pour la boutade, je me suis dit, avec la chance que j'ai, c'est pour moi. Ça n'a pas loupé, c'est pour moi. Donc ils sont arrivés, ils m'ont regardé. C'était assez surprenant quand même l'effort déployé pour une voiture qui était elle-même limitée en vitesse. J'ai projeté sur eux une image du flic potentiellement xénophobe, à 80% xénophobe. Donc je n'ai pas cherché à comprendre. Et donc, effectivement, je leur ai parlé avec un ton très condescendant, très hautain, avec ce phrasé que j'ai à peu près en ce moment. Et ça a ramené tout de suite, et notamment un à qui je demandais s'il souhaitait que j'ouvre la vitre pour qu'il regarde, et qui m'a indiqué qu'il ne m'avait rien demandé, ce à quoi j'ai toujours, avec ce langage-là, j'ai indiqué à son collègue... qu'il était impératif, dans l'uniforme qu'il portait, et la mission qui était la leur, de me parler autrement. Et j'ai senti tout de suite que ça a descendu très rapidement d'un ton. Il n'y a pas eu de... Alors, il n'y en aurait peut-être pas eu un. Mais voilà, par le langage, j'anticipe ce que je pourrais croire être une dérive potentielle. Et ça marche à tous les coups, puisqu'effectivement, je casse tous les fantasmes qui pourraient être projetés sur moi. Donc maghrébin, anti-français, anti-blanc, blablabla. Il suffit de regarder certaines chaînes de télévision dont la ligne éditoriale est connue. Le langage permet de casser ça, mais immédiatement, puisque globalement, tu ne t'adresses plus à un fantasme. Tu t'adresses à quelqu'un qui parle comme toi.

  • Speaker #4

    Par exemple, cette histoire de Ramadan. Non, mais c'est bon, de toute façon, tu n'es pas arabe, tu n'es pas musulmane, tu ne vas pas le faire. Mais je ne t'ai pas demandé pourquoi je voulais le faire. Laisse-moi faire ce que j'ai envie. Peut-être même je suis bouddhiste, on ne sait pas. Et pourtant, je ne suis absolument pas indienne, je ne suis pas japonaise, je ne suis pas chinoise. Enfin, je fais ce que je veux. Et des Français de pure souche, comme on disait tout à l'heure, vont parfois me faire des remarques de C'est bon, tu n'es pas vraiment arabe. Mais laisse-moi tranquille, ça ne veut rien dire. Je ne suis pas vraiment arabe. Non, je te le confirme, je ne suis pas vraiment arabe.

  • Speaker #3

    Je me suis embauché dans une entreprise dans mon secteur d'activité en province. Une année, une année et demie après, j'y suis resté quatre ans. On me demandait si j'étais au courant de, entre guillemets, l'anecdote concernant mon embauche, qui avait étonné tout le monde. Tout le monde sous-entend que globalement ça avait été public, donc chacun dans le groupe avait eu vent de cette anecdote. Monsieur N plus 2 avait indiqué lorsque son collègue, donc mon N plus 1, souhaitait m'embaucher, avait retenu ma candidature, avait indiqué qu'on n'allait pas embaucher un arabe. Donc ça m'a été remonté à peu près de la même façon, à un mot près, par différentes personnes. C'est toujours difficile, après coup, que beaucoup de gens que tu côtoies, que tu croises tous les jours, aient éventuellement en tête qu'on ait pu dire ça de toi. Sauf que cette personne ne me l'a jamais dit, n'a fait aucune remarque désagréable, bien évidemment, n'a jamais évoqué directement avec moi la chose. Heureusement, on avait un cran hiérarchique entre lui et moi, mais je n'ai jamais eu à souffrir de remarques, d'une discrimination quelconque. Probablement parce que le langage, l'attitude faisaient que Karim ou Dupont, ça ne changeait pas grand-chose, justement. Ça, c'est le regard à postérieur, une fois que tu connais les gens.

Share

Embed

You may also like