Speaker #0Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode du podcast du Grand Art, le podcast qui s'intéresse aux petites histoires qui ont fait la grande. Aujourd'hui, à l'occasion de la Journée Mondiale de la Photographie, on remonte à l'origine de tout. Avant Instagram, avant les selfies, avant les appareils argentiques, il y a cette image étrange, floue, granuleuse, prise depuis une fenêtre. On l'appelle le point de vue du gras. Ce n'est pas le nom d'un tableau abstrait. ni une nouvelle tendance de foot photographie. C'est la première photographie connue de l'histoire qu'il nous reste à ce jour. Et son histoire vaut le détour, car elle a été réalisée il y a bientôt 200 ans par un homme têtu, quasi oublié, et prêt à faire entrer la lumière dans une boîte pour l'éternité. Ça vous intrigue ? C'est notre anecdote du jour, l'homme qui ne savait pas dessiner et qui inventa la photo. Nous sommes en 1827 dans la commune de Saint-Loup-de-Varennes, en Bourgogne. Un homme élégamment habillé, âgé d'environ 60 ans, est penché au-dessus d'une boîte en bois qu'il manipule avec précaution. Ses tempes sont grisonnantes, ses doigts noueux, mais son regard est vif et son esprit concentré. Il sait qu'il est à deux doigts de réussir un casse-tête sur lequel il travaille depuis plus de dix ans. Car oui, notre ami chercheur n'est autre que... que Nistefor Niepce, un physicien et ingénieur passionné. A cette époque, Nistefor a déjà à son actif plusieurs inventions dont le succès a retenti dans tout l'empire napoléonien. Par exemple, c'est lui qui a inventé le pyréolophore, l'un des premiers prototypes de moteur à combustion interne qui plus tard a inspiré le moteur diesel. Entre ses recherches autour d'un vélocipède à moteur, ses super légumes anti-disette, ou encore son projet d'irrigation nouvelle génération pour Versailles, Nice et Fort planche sur un tout autre type de sujet. En fait, et ça paraît évident, pour avoir autant d'idées différentes à la minute, notre inventeur a, vous l'avez deviné, une âme d'artiste. Sauf que le problème, c'est que Nice et Fort est mauvais en dessin. Mais vraiment, vraiment mauvais quoi. Tu sais pas jouer Jack ? T'es mauvais ! Ceci dit, comme il y a de la suite dans les idées, il se dit qu'il doit bien y avoir un moyen de reproduire ce qu'il trouve beau sur papier autrement qu'à la main. Depuis qu'il est venu revivre ici, dans la ville de son enfance en 1816, il conduit les recherches sur la photosensibilité des matériaux. En effet, depuis quelques décennies, on sait que certaines matières s'assombrissent au soleil. En 1727 par exemple, le physicien Johann Heinrich Schultz découvre que le sel de nitrate d'argent noircit à la lumière. Et à la fin des années 1700, un certain Thomas Wedgwood a l'idée de dessiner des formes avec du nitrate d'argent sur du papier, puis les placer au soleil pour révéler des dessins. Une sorte de pochoir solaire si vous voulez. Le seul hic, c'est que les feuilles de papier finissent toujours par noircir complètement. Il s'agit donc d'une avancée grandiose, mais à laquelle il manque encore quelques ajustements pour être une révolution technique. Notre cher Nicephore Niepce a bien connaissance de ce procédé et se demande au lieu de dessiner sur un support, ce que je suis incapable de faire correctement. Et si je trouvais le moyen de copier directement un modèle ? Ça paraît impossible dit comme ça, mais en fait, c'est très exactement la méthode qu'appliquent les artistes depuis l'Antiquité avec la caméra obscura. C'est quoi ? Je vous explique. Pour peindre de façon réaliste, il faut maîtriser parfaitement ce qu'on pourrait appeler les règles de l'art. La perspective, la théorie de la couleur, la morphologie, la lumière… Bref, c'est comme en musique, si vous souhaitez composer une symphonie, il est préférable d'être récalé en solfège. Ah mais moi je ne connais rien en solfège, je n'ai jamais fait de musique de ma vie. Pour les artistes, les peintres et les architectes qui doivent prêter attention à toutes ces règles en même temps, pour plusieurs commandes simultanées, c'est un vrai casse-tête. Alors, pour gagner du temps, ils utilisent une chambre noire. La chambre noire, c'est tout simple. Imaginez une boîte en bois bien fermée avec juste un petit trou sur une face. quand la lumière entre par le trou, elle vient projeter l'image de ce qu'il y a dehors à l'intérieur, mais à l'envers. Pour mieux voir cette image, on place un miroir incliné et une plaque de verre ou du papier calque. En regardant à l'intérieur, on voit une scène réelle projetée comme un film miniature, parfaite pour dessiner là-dessus. Il ne reste plus qu'à placer un papier sous la boîte pour décalquer l'image avec une parfaite précision. Donc, récapitulons. Nisse et Fort a sous la main une boîte noire. pour voir des images en HD. Il a aussi du nitrate d'argent qui noircit au soleil. Maintenant, il faut qu'il trouve comment faire en sorte que seuls les éléments sombres s'impriment en noir sur son papier. Donc très exactement l'inverse de ce que produit le nitrate d'argent. Lui, plus c'est lumineux, plus il noircit. C'est alors que Nice et Fort complètent sa technique avec la lithographie. D'abord, ils réalisent des négatifs en nitrate d'argent. Ça lui offre un modèle où les parties claires sont sombres. Ensuite, ils réalisent des positifs. Les images sont floues, l'impression est de qualité assez moyenne, mais il s'efforce arrive à développer une image d'une des ailes de sa propriété, puis un peu plus tard, un portrait du pape. « Abemus papa ! » On y est presque. Le problème, c'est qu'il n'arrive pas à fixer l'impression. La noirceur finit toujours par s'étendre à tout le support et soit l'image devient floue, soit elle est carrément illisible. Subitement, notre inventeur a un éclair de génie. En fait, pour que ça fonctionne, il faut juste trouver le moyen d'interrompre l'action du produit après son exposition à la lumière. « Jouer ! » Nuit. Jour. Nuit. Jour. Nuit. Sur la couille, je vous en prie, allons, ça devient casse-pieds. Dans son labo, il teste plusieurs procédés. Il réalise des impressions sur des plaques de métal, de calcaire, puis les trempe dans du solvant, utilise différents acides, teste même la résine de gaillac et l'alcool, mais ça ne fonctionne pas vraiment. Mais aujourd'hui, c'est le déclic. Depuis le petit déjeuner, Nyssephore ne pense qu'à une chose. La prochaine tentative. Cette fois-ci, il applique du bitume de judé, une sorte de goudron naturel qui noircit à la lumière, sur une plaque d'étain qu'il place ensuite dans sa chambre noire. Il a le cœur qui bat la chamade. Normalement, le bitume de judé noircit au soleil et se fixe tout seul. En plus, d'après ses tests, le bitume réagit à l'acide, donc il devrait pouvoir « rincer » l'image pour obtenir des lignes plus nettes qui se tiennent mieux dans le temps. Il faut juste un bon support pour l'accroche, mais bon, l'étain devrait faire l'affaire. Nicephore ajuste délicatement la plaque une dernière fois, découvre le trou et laisse entrer la lumière dans la chambre noire, puis il attend. Une heure, deux heures, trois heures... Finalement, il attend toute la journée. Il finit par retirer la plaque d'étain et descend les escaliers 4 à 4 pour foncer au labo. Là, il nettoie avec beaucoup d'application la plaque avec du solvant puis laisse l'acide ronger les zones où le bitume est visclé. Il sèche méticuleusement le support, recule et admire sa création. On voit bien la cour intérieure de sa maison. Ça y est, Nicephore vient de développer la première photographie permanente. Il ne le sait pas encore, mais dans quelques générations, sa petite invention sera devenue si importante qu'elle servira à immortaliser des images au fond des océans et même sur la Lune.
Speaker #0Alors, que nous dit l'histoire de Joseph Nicephore Niepce ? Que déjà, si vous êtes nul en dessin ou en peinture, ce n'est pas grave, il vous reste toujours la photographie. Je plaisante pour nos amis photographes bien sûr le message clé, et que si vous avez une idée en tête, il ne faut jamais, jamais la lâcher. Dans les années 1500, l'écrivain napolitain Giampattista della Porta qui avait eu lors d'un dîner l'idée d'amuser ses invités, avait placé une chambre noire chez lui pour montrer des images de convives à l'envers sur le mur. Sauf que ces derniers furent pris de panique et l'accusèrent de sorcellerie. 300 ans plus tard, c'est un inventeur un peu farfelu de la métropole dijonnaise qui a inventé sans le savoir une nouvelle forme d'art qui rassemble aujourd'hui des millions d'adeptes. Actuellement, on assiste à une autre grande évolution en technique de l'art, l'essor de l'IA pour créer des œuvres artistiques. Certains voient l'intelligence artificielle d'un mauvais œil, car elle pourrait bien piller les travaux d'artistes. Mais peut-être qu'il ne faut pas la voir comme la suite de l'artiste, mais plutôt comme la suite de l'outil. Depuis quelques temps, une nouvelle forme d'art se développe dans les milieux underground, l'art génératif. Un mix entre le creative coding, l'art immersif et les IA génératives, qui permettent de projeter des œuvres digitales sur les murs, les plafonds, voire même les façades des bâtiments. et surtout les faire réagir au mouvement des spectateurs. Une nouvelle forme d'art dans laquelle l'œuvre et la personne qui l'admire ne font plus qu'un. Mais bon, ça, ça fera l'objet d'un futur épisode. Si celui-ci vous a plu, n'hésitez pas à le liker, me laisser un petit commentaire ou encore mieux le partager autour de vous. Je vous remercie pour votre écoute et je vous dis à la semaine prochaine pour de nouvelles anecdotes croustillantes sur l'art et le design.