Speaker #0Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode du podcast du Grand Art, le podcast qui s'intéresse aux petites histoires qui ont fait la grande. Ça y est, la saison des mariages a commencé. Et aujourd'hui, vous êtes conviés à une union pas comme les autres. Des alliances faites de pinceaux, des robes en rideau de théâtre et des serments scandés dans des langues inconnues. Bienvenue dans l'univers très débridé des unions d'artistes. Ça vous intrigue ? Ça tombe bien, c'est notre anecdote du jour. Main moite et robe folle, les mariages les plus barrés de l'histoire de l'art. Nous sommes en 1941 dans la ville de New York aux USA. Peggy Guggenheim, une célèbre collectionneuse d'art, remet un dernier coup de lac pour fixer sa coiffure. Aujourd'hui, c'est le grand jour. Elle épouse Max Ernst, l'artiste dadaïste qui a la cote. Mais Peggy n'a pas les mains qui tremblent pour autant. En fait, Ce mariage est à la fois un mariage d'amour et un mariage de raison. Peggy et Max se rencontrent pour la première fois en France, en pleine guerre, alors que les rafles sévissent. Très vite, les deux amateurs d'art tombent amoureux. Seulement voilà, Max est juif et la France est occupée. La situation est extrêmement compliquée. Déjà, à cette époque, Peggy est une femme riche, mais c'est aussi une femme de conviction. Quand elle découvre l'horreur des rafles et les sombres menaces qui pèsent sur Max, elle décide de s'impliquer à son niveau. Alors qu'il est enfermé au camp des milles, dans le sud de la France, elle fait des pieds et des mains pour le faire sortir. Elle use de son prestige et de sa nationalité américaine pour obtenir de faux papiers et finance le passage de Max aux USA. D'ailleurs, Max n'est pas le seul à qui Peggy a prêté main forte. En tout, elle aurait sauvé la vie de plusieurs dizaines d'artistes et intellectuels. Bref, une véritable héroïne. Comme je vous le disais, dans ce contexte, le mariage de Peggy et Max sonne donc à la fois comme un mariage d'amour et un mariage de raison. Ils sont fou amoureux et elle déclare même que c'est l'un des plus grands amours de sa vie. Il faut savoir qu'elle a déjà été mariée. Mais d'un autre côté, ce mariage, c'est aussi une solution administrative pour sauver Max Ernst. Il faut que je te parle. Je voulais simplement te dire que tu n'as pas le droit. Tu n'as pas le droit de m'aimer comme tu fais. Tu n'as pas le droit de m'être fidèle. Ta fidélité porte le saut de ton égoïsme. Parce que moi, ce que je veux, c'est que je vienne avec tu-même, mais sans amour. Je veux bien vivre avec toi, mais séparément. Je veux bien avoir un enfant qui te ressent, mais pas de toi. Mais ce n'est pas du seul moment. En tout cas, leur mariage, lui, est une véritable fête. Jackson Pollock, André Breton, tout le gratin du milieu artistique et intellectuel est convié. Le thème ? Mariage surréaliste. Le marié lui-même arrive avec une veste bariolée et une plume dans les cheveux. Les vœux sont prononcés dans un mix de trois langues, en anglais, en français et en allemand. À cette occasion, pas de cérémonie religieuse, mais une cérémonie laïque avec une déco sans queue ni tête. On trouve des collections d'objets trouvés et des sculptures en paille. C'est pas n'importe quoi, c'est un mariage, c'est pas une kermesse. Donc il faut maintenir un certain standing. Évidemment. « Le vin coule à flot, on rigole, on passe un bon moment, c'est la grosse fête. » Il paraît même qu'une chèvre aurait atterri en plein milieu de la salle de réception. « Très inspirante » , écrit Max Ernst dans ses notes. Mais Peggy et Max ne sont pas les seuls à avoir transformé leur mariage en un manifeste artistique. Un peu plus au sud, un autre génie excentrique s'apprête à dire oui à sa muse éternelle. « Prenons l'avion pour nous rendre en Espagne. » Nous sommes en 1958. à l'ombre d'un petit sanctuaire catalan perché sur la colline de Montrégic, près de Gérône. C'est ici que dans quelques instants, Salvador Dalí, 54 ans, va enfin épouser religieusement Gala. Non, pas la chanteuse, sa muse et compagne depuis plus de 30 ans. À cette occasion, ils optent pour une cérémonie catholique des plus… disons dalinesques. Mais attention, rien n'est jamais simple avec Dalí. Gala a été mariée religieusement à Paul Éluard, et Dali, fervent catholique, a mis plusieurs années à obtenir l'annulation du mariage auprès du Vatican. Toutes les femmes qui ont un amant qui tue leur mari auraient plus de mari sur terre. Évidemment, car ce sont ceux dans les mêmes, non ? Il écrit au pape, insiste, argumente, jusqu'à ce que Rome finisse par céder. Une fois l'obstacle levé, Dali transforme le mariage en un véritable rituel mystique. D'abord, le lieu. Il est tenu secret. Même certains proches ne sont prévenus qu'au dernier moment. pour préserver l'intimité quasi sacrée de l'événement. Le prêtre, quant à lui, n'apprend le nom des mariés que quelques heures avant la cérémonie. En fait, cette dernière aurait carrément pu ne jamais voir le jour. Quand les mariés arrivent sur place, ils tombent sur un groupe de touristes étrangers venus profiter du point de vue pour prendre quelques photos. Gala et Dali croient qu'il s'agit de paparazzi et s'enferment dans la voiture. Il faut attendre l'intervention du père Juan Juanola, qui insiste longuement pour les convaincre qu'ils sont bien incognitos et peuvent sortir sans crainte. Quant aux invités d'ailleurs, parlons-en. On y retrouve très peu d'artistes. Seuls cinq témoins qui ont obligation de rester discrets sur l'événement. Les médias, vous l'aurez compris, ne sont prévenus qu'une fois le mariage passé, quatre jours après les festivités très exactement. Ensuite, les tenues. Dali arrive d'un pas théâtral, vêtu d'une cape noire et d'une cam d'ivoire, façon grand prêtre du surréalisme. Pantalon coupe droite, les deux pieds sont parallèles, perpendiculaires au charisme. La veste, bien cintrée. on dirait un complément d'objet direct. Gifle ! Adjectif, qualificatif. Conjuguez-moi le verbe sexy au présent des galeries Lafayette. Quelqu'un pourrait me conjuguer le verbe saper ? Gala, fidèle à elle-même, porte une robe très élégante. La légende raconte qu'au moment de prononcer ses voeux, Dali glisse au doigt de Gala son alliance qu'il a pris le temps de décorer avec une moustache en peinture. Il est là-bas, chérie. C'est ringue. Look. Attention, c'est pas du top. La vieillité, ça me fait tout drôle. Puis, d'un geste dramatique, il laisse s'échapper une colombe blanche dans la chapelle. C'est beau et romantique, mais je crois que c'est aussi une légende urbaine. Contrairement à notre prochain mariage qui, lui, a été documenté par les médias du monde entier. Et si on quivait maintenant la Catalogne pour embarquer vers Gibraltar ? Nous sommes en 1969, dans un contexte où l'art flirte avec le militantisme. L'artiste plasticienne Lyoko Ono Déjà engagé politiquement, s'apprête à s'engager amoureusement. Car oui, son mariage a lieu dans quelques minutes avec le chanteur phare du Littles, et on s'apprête à assister au mariage le plus conceptuel de l'histoire de la pop culture. Le fait que les amoureux puissent se marier est déjà une victoire en soi, car le couple s'est vu refuser plusieurs demandes de mariage. Ils ont d'abord voulu se marier sur un ferry transmanche, mais cette option a été refusée car Yoko, n'étant pas citoyenne britannique, ne pouvaient pas obtenir un visa de jour pour traverser la Manche et les capitaines de Ferry n'étaient plus autorisées à célébrer des mariages. Le couple a ensuite tenté de se marier à Paris, mais les autorités françaises ont rejeté leur demande, exigeant une résidence préalable de deux semaines en France. Votre dernier échec remonte à… Au-delà, l'en-sort-virtu. Alors quand leur ami Peter Brown leur a soufflé que Gibraltar était plus flex sur le mariage, Yoko et John ont sauté sur l'occasion. Bref. L'heure tourne et nous y voilà déjà. Yoko se regarde une dernière fois dans la glaque, sûre d'elle. Elle sait que cet événement va être surmédiatisé. C'est la vie et elle s'en fie. Ou plutôt non. Elle le sait et elle va en jouer pour en faire un happening politique. Si le monde entier semble connaître la date de son mariage, personne ne sait ce qu'elle a derrière la tête. C'est simple. Elle a prévu un mariage express avec John. Un bureau administratif, 10 minutes de lecture de textes de loi, pas de cérémonie, pas de fête. Bonne chute. Non, pas trop moi. Eh oui, espèce de mythe. Non, sérieux, la vérité, pas trop. Allez, avec ta gage, là, allez, allez. C'est la suite qui va marquer l'histoire. Yoko a booké deux billets d'avion direction Amsterdam pour une lune de miel hors du commun. Avec John, ils ont loué la suite présidentielle du Hilton pour une semaine et ils vont y organiser une manifestation d'un tout nouveau genre. Yoko et John ont prévu d'utiliser la chambre comme lieu de sit-in où il s'expose en pyjama face aux caméras du monde pour prêcher la paix pendant sept jours. On est dans la merde, c'est clair. On est tous dans la merde. Alors il va falloir qu'on s'en sorte tous collectivement. Ils ont prévu de convier chaque jour de la semaine, entre 9h et 21h, des journalistes du monde entier, ainsi qu'une séance de shooting privé avec le photographe Nico Koster. Entre deux interviews, Yoko récite de la... Poésie minimaliste et John chante des versions folk de Give me such a chance. Un mariage ? Oui, mais surtout une performance artistique à l'échelle planétaire et un manifeste politique sous les draps. Bref, trois mariages, trois célébrations différentes. La plus extravagante, la plus discrète et la plus engagée. Apparemment, même quand il s'agit d'amour, les artistes se sentent obligés d'être dans la performance. Mais ce qui est intéressant, c'est la manière dont ils l'illustrent. Dali, par exemple, qui a joué un personnage extravagant toute sa vie, a choisi au contraire le secret et l'intimité pour célébrer le jour le plus important de sa vie. Peggy Wuggenheim et Max Ernst, eux, rêvaient d'un autre monde dans lequel ils ne seraient pas chassés pour qui ils étaient. Et leur mariage a été un grand moment de surréalisme. Quant à Yoko Ono et John Lennon, qui souffraient continuellement d'une surexposition médiatique, ils ont choisi d'épouser leur destin en détournant l'attention vers leur combat pour la paix. Mais alors du coup, vous, si vous êtes marié ou si vous l'envisagez, comment avez-vous pensé votre mariage ? Quel élément se doit d'y être central selon vous ? En tout cas, Si votre amour devait s'exposer au monde, quel message voudriez-vous qu'il transmette ? Que l'amour, c'est tendre la main à ceux qu'on aime et à ceux qu'on ne connaît pas, comme Peggy Guggenheim ? Que l'amour, c'est vouloir changer le monde à deux, comme Yoko Ono ? Ou que l'amour, c'est faire de l'autre sa réalité absolue, comme Dali ? Cet épisode vous a plu ? Si oui, faites de moi la plus heureuse des podcasteuses en laissant un avis ou en le relayant autour de vous. Je vous remercie pour votre écoute. et vous dis à la semaine prochaine pour de nouvelles anecdotes croustillantes sur l'art et le design.