Speaker #0Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode du podcast du grand art, le podcast qui s'intéresse aux petites histoires qui ont fait la grande. Ici, la plupart du temps, on se retrouve pour parler d'œuvres d'art qui nous transportent, qui nous font nous sentir vivants. Mais si l'art est si puissant qu'il peut ajouter de la vie à absolument tout, est-ce qu'il est aussi capable ? de nous ôter la vie ? Vous avez déjà lu le portrait de Dorian Gray ? On pourrait très bien imaginer que des œuvres d'art soient dangereuses, voire meurtrières. Il paraît d'ailleurs qu'un tableau maudit circule sur Ibré depuis deux décennies et hante chacun de ses acquéreurs. Ça vous intrigue ? Ça tombe bien, c'est notre anecdote du jour, les œuvres d'art les plus dangereuses au monde. Nous sommes en 1859 à Schweinfurt, une petite ville industrielle d'Allemagne. Un ouvrier penché sur une grande bassine de cuivre remue lentement un liquide vert émeraude. À côté de lui, un peintre prélève avec précaution une pâte pigmentée qu'il étalera bientôt sur ses poils. Et oui, dans cette ville, on produit l'un des pigments les plus prisés d'Europe, le vert de Paris, qui ressemble un peu au vert émeraude. Un vert éclatant, presque irréel, qu'on retrouve sur les robes des élégants, les papiers peints des salons bourgeois et même dans les tableaux de Cézanne ou Van Gogh. Ce que ni l'ouvrier ni le peintre ne savent encore, c'est que cette couleur magnifique est un poison lent. En fait, le vert de Paris ou vert de Schweinfurt doit sa couleur exceptionnelle à des composants lourdement optiques. Il est obtenu, entre autres, en mélangeant des dissolutions d'acétate de cuivre bibasique et d'acide arsénieux. En bref, c'est de l'arsénique. Parce que oui, si vous avez écouté l'épisode numéro 5, vous savez que dans les années 1850, on a encore beaucoup de mal à fabriquer des colorants en labo et sans danger. À mon avis, si on continue comme ça, l'avenir sera très mauvais. Et il vaudra peut-être même plus la peine d'être vécu. Or, ce vert est alors très populaire. Si vous voulez voir à quoi il ressemble, c'est la couleur principale du tableau de Van Gogh intitulé « Autoportrait » dédié à Paul Gauguin. Cette couleur est si dangereuse que la toucher et l'inhaler peuvent vous détruire la santé. Si elle est encore utilisée de nos jours, c'est souvent pour d'autres objectifs. Empoisonner les nuisibles ou fabriquer des feux d'artifice de couleur bleue. Et ce n'est pas la seule couleur mortelle que les peintres célèbres ont utilisée. Remontons rapidement le temps pour nous retrouver en 1792 à Cadix, en Andalouie. Dans sa chambre, Goya, Pachanta Alain, Francisco, 46 ans, se lèvent difficilement. Depuis plusieurs semaines, il est victime de violents maux de tête, d'acouphènes lancinants et de vertiges. Son nom décline jour après jour. Très rapidement, il n'entend plus rien. Son corps le trahit sans que les médecins ne comprennent pourquoi. Nausées, vomissements, diarrhées, tachycardie, et pour finir, hypertension artérielle provoquant l'arrêt cardiaque. On parle de syphilis, d'hypertension, de troubles nerveux, mais aucune explication ne tient vraiment de nous. Ce que personne n'imagine à l'époque, c'est que la source de sa lente agonie pourrait bien venir de ses pinceaux. Car Goya, comme beaucoup d'artistes de son temps, utilise le blanc de plomb, un pigment réprisé pour sa couvrance parfaite. Il l'applique, le respire, le manipule chaque jour, sans savoir qu'il s'agit d'un toxique puissant qui peut provoquer des troubles neurologiques sévères, des hallucinations et parfois même la folie. Non, cette année, ça n'a pas été ça. L'année dernière non plus. Non, la dernière non plus. Privé de Louis, affaibli physiquement, Goya plonge dans une forme d'isolement sensoriel. C'est à ce moment-là que son œuvre change radicalement de ton. Fini les scènes de la cour et les portraits flatteurs. Son pinceau devient plus sombre, plus dur. La lumière laisse place au sombre. Il commence à peindre ce qu'il ressent. La peur, la folie et la mort. C'est le début de ces célèbres peintures noires dont Saturne dévorant l'un de ses fils qui est peut-être l'image la plus saisissante et effrayante. Mais je crois que la palme de la peinture dangereuse la plus glauque revient au mummy brown. Très utilisé en Angleterre au XIXe siècle, il s'agit d'une huile brune à séchage rapide. Parce qu'à l'époque, on peint à l'huile, et l'huile, bien sûr, ça met des plombes à sécher. Depuis l'Antiquité, pour peindre des brins, des ocres, on utilise le pigment appelé terre de Sienne, qui, accrochez vos bretelles, n'est rien d'autre que de la terre en provenance de la ville de Sienne, en Italie. Ça, c'est du marketing, messieurs-dames. Je suis publicitaire. Je suis de ceux qui vous font rêver des choses que vous n'aurez jamais. Bref, tout ça pour vous dire que ce pigment millénaire, bien que naturel et magnifique, absorbent beaucoup d'huile lorsqu'on le mélange. J'aime quand on m'enduit d'huile. Il a donc tendance à être un peu transparent et en plus, il est parfois difficile de s'en procurer. Alors, quand les Britanniques ramènent du mummy brown au pays, c'est le succès immédiat et tous les artistes se jettent dessus. Sauf que, en réalité, le mummy brown, ça signifie littéralement brin de momie et que les momies égyptiennes, elles se font visiter de temps en temps. Et oui, en fait, le mummy brown, ce n'est rien d'autre que des restes de momies broyées, un peu de chair, un peu d'os, ce qui lui donne une teinte bien particulière et bien immonde. Poussière de momie pour me vieillir. En plus, on soupçonne le pigment d'être toxique. Les artistes l'adorent pour ses teintes profondes, jusqu'à ce qu'ils découvrent son origine macabre. Ça va le succès que j'ai eu. Ah bon ? En parlant de visite d'ailleurs, un artiste contemporain a produit des œuvres tellement dangereuses que le public s'est plaint d'en souffrir. Rendez-vous à Nottingham, en Angleterre, au début des années 2000. Le vent est froid, la lumière grise. Sur la place devant Nottingham Playhouse, les pas s'enlèvent la tête, intrigués par une œuvre monumentale fraîchement installée. Un immense disque concave en acier poli, de 6 mètres de diamètre, incliné vers le ciel. C'est le Sky Mirror d'Anish Kapoor. Une sculpture fascinante qui capte la lumière, reflète les nuages, déforme le réel avec une élégance presque surnaturelle. On y voit le monde à l'envers, suspendu, comme si on était dans une autre dimension. Mais très vite, un petit détail vient tout perturber. En fait, quand le soleil brille, ce qui arrive parfois même en Angleterre, le miroir réfléchit la lumière avec une intensité telle qu'il aveugle les passants. Littéralement. Certains se plaignent de troubles de la vue, d'éblouissements violents et même de migraines. Des experts alertent sur les risques pour la rétine. L'œuvre est tellement bien polie qu'elle agit comme une loupe géante, concentrant la lumière comme un rayon laser. Résultat, l'installation est déplacée, repensée et recalibrée. Et pourtant, Capour n'en démord pas. Pour lui, le danger fait partie intégrante de l'expérience esthétique. Le reflet n'est jamais neutre. Il peut séduire ou aveugler. Et il n'en est pas à son coup d'essai. Son Cloud Gate, mieux connu sous le nom de Bean de Chicago, est une sorte de haricot géant en acier poli. Problème, l'été, la surface réfléchit tellement la chaleur que si vous le touchez directement, vous risquez de vous brûler les mains. Alors, que retenir de ces œuvres dangereuses ? Eh bien, peut-être que la beauté a parfois un prix. Celui du silence, comme pour Goya, rongé par le plan. celui du sacrilège, comme ces pigments extraits de Baume, ou seulement, plus insidieux encore, de la fascination aveugle, au sens propre, que peuvent provoquer certaines œuvres contemporaines. Ce qui est frappant, c'est que le danger ne vient pas toujours de l'intention de l'artiste. Il surgit parfois de l'ignorant, de la soif de nouveauté, ou du progrès technique qui va plus vite que la conscience éthique. Ces œuvres nous rappellent que l'art n'est pas un espace hors du monde. Il est traversé par les enjeux de son temps, la science, la colonisation et le pillage, l'industrie, le pouvoir. Et en regardant un tableau, une sculpture, un miroir poli comme un scalpel, on contemple parfois bien plus qu'une image. On contemple ce que l'humanité est prête à faire ou à ignorer au nom de l'esthétique. Ignorer par exemple les dangers de l'uranium en créant de l'art radioactif. Mais bon, ça, ça fera l'objet d'un futur épisode. Merci pour votre écoute. Et tiens, si vous êtes sur Spotify, dites-moi en commentaire s'il y a des sujets que vous souhaiteriez qu'on aborde dans ce podcast. J'ai hâte de vous lire. Dans l'attente, je vous dis à la semaine prochaine pour de nouvelles anecdotes croustillantes et périlleuses sur l'art et le design.