Speaker #0Bonjour et bienvenue dans ce nouvel Ă©pisode du podcast du Grand Art, le podcast qui s'intĂ©resse aux petites histoires qui ont fait la grande. La semaine derniĂšre, je vous ai parlĂ© de certains pigments et matĂ©riaux si dangereux que les Ćuvres auxquelles ils ont donnĂ© vie ont blessĂ© ou tuĂ© des gens. Vous pensiez avoir tout entendu et bien dĂ©trompez-vous. En fait, plus je cherche, plus je trouve d'histoires sordides sur des Ćuvres dangereuses. Ă tel point que je me suis dit qu'un seul Ă©pisode ne suffirait pas Ă tout vous raconter. Parce que oui, si j'ai naĂŻvement pensĂ© que les pigments toxiques et les Ćuvres brĂ»lantes Ă©taient au cĆur de l'histoire, en rĂ©alitĂ©, parfois, c'est l'Ćuvre elle-mĂȘme qui se retourne contre le public. Ăa vous intrigue ? Ăa tombe bien, c'est notre anecdote du jour, les Ćuvres d'art les plus dangereuses au monde, partie 2. Nous sommes en juillet 2006 Ă Chester-le-Street, une petite ville du nord-est de l'Angleterre. Le ciel est d'un gris laiteux typiquement britannique, mais l'ambiance est Ă la fĂȘte. Dans un parc municipal, les familles se promĂšnent, des enfants courent sur l'herbe fraĂźchement tendue et une Ă©trange structure colorĂ©e attire tous les regards. C'est une installation artistique monumentale, gonflable et immersive. Un labyrinthe de lumiĂšre et de tissus tendus aux formes organiques Comme un croisement improbable entre une cathĂ©drale futuriste et une sorte de mĂ©duse gĂ©ante. On l'appelle Dream Space 5, cinquiĂšme version d'une sĂ©rie d'installations conçue par l'artiste Maurice Agis. Le principe est simple, on entre, on dĂ©ambule, on se laisse envelopper par des couleurs vibrantes filtrĂ©es par les parois translucides. C'est ludique, hypnotique et Ă©phĂ©mĂšre. Et ce jour-lĂ , Dream Space s'apprĂȘte Ă ĂȘtre encore plus Ă©phĂ©mĂšre que prĂ©vu. Un coup de vent brutal soulĂšve la structure, l'arrache littĂ©ralement du sol, avec des visiteurs encore Ă l'intĂ©rieur. Elle s'Ă©lĂšve dans les airs, plane quelques instants comme un ballon mal contrĂŽlĂ©, avant de s'Ă©craser plus loin dans une scĂšne surrĂ©aliste de panique et de cris. Bilan, deux personnes tuĂ©es, 13 blessĂ©es, dont plusieurs enfants. Le choc est Ă©videmment immense. Comment une Ćuvre d'art censĂ©e Ă©merveiller a-t-elle pu devenir mortelle ? Elle est difficile, elle est ratĂ©e. Il faut passer Ă autre chose. Je pense que voilĂ , je vais aller en vacances me reposer, ça va faire beaucoup de bien. L'enquĂȘte rĂ©vĂšle un ancrage insuffisant, une conception nĂ©gligĂ©e et des normes de sĂ©curitĂ© bĂąclĂ©es. L'artiste Maurice Agis, profondĂ©ment bouleversĂ©, est poursuivi pour homicide involontaire. Il plaide coupable, Ă©vite la prison, mais ne s'en remettra jamais tout Ă fait. Il meurt deux ans plus tard dans un anonymat presque complet. Si cet accident est spectaculaire, ses causes sont identifiĂ©es et bien concrĂštes. Ce n'est pas le cas de tous les accidents artistiques que j'ai recensĂ©s. Et oui, certains sont mĂȘme devenus des sortes de lĂ©gendes urbaines. Par exemple, c'est le cas du tableau Le garçon qui pleure. Mais pour ça, il nous faut remonter le temps en 1985 plus prĂ©cisĂ©ment. Cette annĂ©e-lĂ , les cheveux sont crĂ©pĂ©s, les pantalons taille haute, les cassettes tournent dans les Walkman. Et dans les kiosques anglais, on ne parle que du dernier numĂ©ro de The Sun. Le journal Ă scandale a en effet relatĂ© une histoire incroyable mais vraie, celle d'un couple qui a vu toute sa maison partir en fumĂ©e Ă cause d'un mystĂ©rieux enfant. Enfin, toute sa maison, presque. Parce qu'en rĂ©alitĂ©, il y a un unique objet qui a survĂ©cu aux flammes. la reproduction d'un tableau qu'il possĂ©dait intitulĂ© The Crying Boy, le garçon qui pleure. Mais quand je vous dis qu'il a survĂ©cu, il n'a quasiment aucune Ă©raflure. L'histoire du Seine fait le tour du pays. Et vous allez me demander pourquoi ? Eh bien parce que dans les annĂ©es 1980, les reproductions de tableaux en sĂ©rie, c'est tendance. Et le tableau du garçon qui pleure est trĂšs populaire. Comment vous le dĂ©crire ? D'apparence trĂšs simple, ce tableau met en scĂšne un garçon, roulement de tambour, qui pleure. Mais un pleur un peu gĂȘnant. Le petit garçon, qui doit avoir 6 ans tout au plus, verse des larmes en silence, en fixant un mystĂ©rieux point en Ausha droite du tableau, le regard triste et apeurĂ© avec ses deux yeux perçants. Pas de cris, pas de bras levĂ©s, juste son petit visage rond et blafard qui nous met bien mal Ă l'aise. C'est ignoble, ça n'a aucun chics, c'est immonde. C'est pas harmonieux, quoi, vous voyez. En fait, on ne sait pas grand-chose sur le contexte autour de ce tableau. Si ce n'est qu'il a Ă©tĂ© peint probablement aprĂšs la Seconde Guerre mondiale par un certain Bruno Amadio. Un peintre adepte de pseudonymes, puisqu'il est aussi connu sous le nom de Franchot-SĂ©ville, Angelo Bragolin et Giovanni Bragolin. Ce tableau du garçon qui pleure n'existe pas en un seul exemplaire, mais en des centaines de versions, toutes reproduites Ă la chaĂźne et vendues Ă bas prix dans les supermarchĂ©s, les foires et les catalogues de VPC. On le retrouve partout, trop partout, parce que bizarrement, il survit Ă tout. Si de nombreux lecteurs s'identifient au couple de l'article du Sun, d'autres s'identifient Ă leur mĂ©saventure. Parce qu'en fait, ce n'est pas la premiĂšre fois que cet Ă©trange histoire se produit. Et c'est lĂ que tout prend une tournure trĂšs Ă©trange. Un pompier de l'Essex lit l'article et rapporte Ă la presse plusieurs incendies domestiques similaires. Ă chaque fois, un mĂȘme dĂ©tail revient dans les rapports d'intervention des pompiers. Tout a brĂ»lĂ©, sauf le tableau du garçon qui pleure, retrouvĂ© intact, suspendu, presque moqueur au milieu des dĂ©combres. Les ampoules, peut-ĂȘtre. Moi, je ne lis pas. On raconte que quiconque possĂšde ce tableau pour le risque de voir sa maison rĂ©duite en cendres. Certaines familles affirment mĂȘme avoir entendu des sanglots dans la nuit. D'autres parlent quant Ă elles d'accidents bizarres, de chatĂ©rifiĂ©s ou mĂȘme d'ampoules qui explosent sans raison. Clairement, moi, ça me flanque la chair de poule. Certains journalistes commencent Ă mener l'enquĂȘte. Qui est vraiment Bruno Amadio ? Qui est le petit garçon peint sur cette toile ? Peu d'informations circulent, mais une lĂ©gende commence petit Ă petit Ă voir le jour. Le petit garçon du tableau n'est autre que Don Bonillo, un orphelin qui a vu pĂ©rir ses parents dans un incendie. Comme s'il n'avait pas assez Ă gĂ©rer, le petit est accusĂ© de porter malheur, si bien qu'aucun habitant de son village ne veut le recueillir. Qu'est-ce que je peux faire alors ? Sauve-toi Simba. Pars, pars trĂšs loin et ne reviens jamais. ChassĂ© de partout, il est finalement recueilli par un certain Bruno Amadio qui, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, fait une fixette sur les enfants qui pleurent. Il ne peint que ça. Le peintre demande donc Ă Don Bonio de poser, il immortalise son portrait et devinez quoi ? Peu de temps aprĂšs, son atelier prend feu. Comme tous les autres, il se dĂ©barrasse alors lui aussi de l'enfant, mais son tableau demeure. Vous connaissez la presse anglaise, il n'en faut pas plus pour crĂ©er l'Ă©vĂ©nement. The Sun convient en novembre 1985 ses lecteurs Ă leur envoyer leur reproduction de tableaux afin de les dĂ©truire pour eux. Le nombre de courriers reçus est si important que le journal organise carrĂ©ment un feu de joie gĂ©ant en pĂ©riphĂ©rie de Londres sous la surveillance rapprochĂ©e des pompiers. Mais c'est pas grave ! Je souris parce qu'on vit une Ă©poque oĂč les gens deviennent fous ! Finalement, plusieurs thĂ©ories cartĂ©siennes tentent d'expliquer le phĂ©nomĂšne du garçon qui pleure. Il paraĂźtrait que c'est en rĂ©alitĂ© le vernis utilisĂ© dans les reproductions qui Ă©tait si efficace que mĂȘme les flammes d'incendie lui rĂ©sistaient. Alors, des Ćuvres qui tombent du ciel, des tableaux qui survivent au feu, des regards peints qui nous fixent sans jamais s'y y est, ce que ces histoires ont en commun, ce n'est pas seulement le danger. C'est cette frontiĂšre trouble entre l'intention de l'artiste et l'effet qu'une Ćuvre peut produire bien au-delĂ de son cadre. Parfois, ce sont de simples erreurs humaines, parfois d'Ă©tranges coĂŻncidences. Et parfois encore, ce sont nos propres projections, nos angoisses ou nos fantasmes qui transforment une toile tout Ă fait banale en objet de fascination, voire mĂȘme de terreur. On dit souvent que l'art est fait pour provoquer. Mais Ă force de provoquer, jusqu'oĂč peut-on aller ? L'Ă©motion, oui, mais le traumatisme, l'accident, la mort ? Est-ce encore de l'art ? Ou est-ce que ça ne devient pas une sorte de forme de pouvoir ? Est-ce qu'on peut accuser un tableau d'ĂȘtre maudit ? Est-ce qu'on peut blĂąmer une Ćuvre de fascinĂ© Ă s'en brĂ»ler la rĂ©tine ? Ou est-ce que, au fond, ce sont nos propres peurs, notre besoin viscĂ©ral d'explications, de sens, qui transforment ces objets en lĂ©gendes ? Une chose est sĂ»re, l'art, qu'il soit hantĂ© ou pas, vivant ou figĂ©, fragile ou mortel, reste avant tout le miroir de ce que nous portons en nous. Et parfois, ce miroir nous renvoie une image qu'on prĂ©fĂ©rerait ne pas regarder. J'espĂšre que cet Ă©pisode vous a plu. Et si c'est le cas, n'hĂ©sitez pas Ă le liker, le commenter ou le partager autour de vous. Je vous remercie pour votre Ă©coute et je vous dis Ă la semaine prochaine pour de nouvelles anecdotes croustillantes sur l'art et le design.