- Speaker #0
Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode du podcast du Grand Art, le podcast qui s'intéresse aux petites histoires qui ont fait la grande. Aujourd'hui, on va parler d'un objet absolument banal. Un objet que vous avez peut-être déjà tenu dans votre main ce matin, que vous retrouvez dans votre frigo peut-être chaque semaine, qui se casse, se cuit, se peint, se gobe, et parfois se vend plus cher qu'un appartement à Paris. Vous l'avez ? Oui, je parle bien de l'œuf. Mais attention ! Pas question ici de parler de brunch ou d'omelette norvégienne. On va plutôt s'intéresser à l'œuf en tant que muse, comme œuvre d'art, comme symbole spirituel, bijou impérial ou lubie d'artiste déjanté. Parce que figurez-vous que derrière cette forme toute simple se cachent des siècles de secrets, de fastes, de scandales et de surprises. Vous avez du mal à croire qu'un œuf puisse provoquer un scandale dans les cercles impériaux russes ? Ou devenir l'obsession de Salvador Dali ? Ou battre ? un record mondial sur Instagram en 2019 ? Ça tombe bien, c'est l'histoire de notre anecdote du jour, l'œuf dans l'art de Fabergé Adélu, entre mystère, scandale et obsession. Bienvenue au fin fond des États-Unis, dans la région du Midwest. Là où on n'a pas peur de travailler la terre et s'user le corps pour empocher une bonne poignée de dollars. Aujourd'hui est un jour comme un autre pour ce ferrailleur américain inconnu. Je dis inconnu, car encore aujourd'hui, personne ne connaît son identité réelle. Vous allez vite comprendre pourquoi. Notre ami ferrailleur, dans sa journée ordinaire, va faire les brocantes, comme on dit, en espérant concrétiser quelques affaires. Parmi les étalages agencés de façon chaotique, il fait une découverte qui va changer sa vie. Il remarque un objet brillant de mille feux, un œuf doré. Notre ami observe attentivement l'objet et comprend rapidement qu'il s'agit bien d'or. Étant donné sa taille et son poids, il pourrait en tirer une belle somme s'il revendait le métal. Notre chanceux du jour décide donc de tenter sa chance et achète sa trouvaille pour la modique somme de 14 000 dollars. Seulement, patatras, impossible de revendre l'œuf, personne n'en veut.
- Speaker #1
Dans un premier temps, ça m'a fait sourire. Et je vais vous dire la vérité, dans un deuxième temps, je n'ai pas souri.
- Speaker #0
Le ferrailleur reste coincé avec son bibelot pendant des années, jusqu'à ce que la lecture d'un journal bouleverse son existence. Un article du Daily Telegraph mentionne un œuf impérial perdu qui contiendrait une montre Vacheron-Constantin. Le ferrailleur décroche immédiatement le téléphone et appelle l'intiquaire Londenois-Varsky qui confirme l'authenticité de l'audio. Il s'agit en fait d'un œuf de Fabergé qui lui sera acheté 33 millions de dollars pour un soi-disant bibelot dont personne ne voulait. Notre ferrailleur a décroché le jackpot. Et nous, un aller simple pour l'un des plus grands mystères de l'histoire de l'art. J'en ai assez des aventures ! Car pour comprendre comment un œuf doré a pu traverser les siècles, les continents et finir sur un stand de brocante aux 500 des Etats-Unis, il faut remonter à son origine. Et pas n'importe où. Direction la Russie impériale, à la fin du XIXe siècle. Nous sommes en 1885, et le tsar Alexandre III, grand romantique, souhaite offrir un cadeau exceptionnel à son épouse, Maria Fedorovna Ausha. Parce que oui, l'épreuve d'amour, ce n'est pas que pour la Saint-Valentin. Il m'a dit qu'il m'aime. Moi, il m'a dit qu'il m'aime. Moi, il m'a dit qu'il m'aime ! Moi, il m'aime, moi ! Il décide de lui offrir non pas des fleurs, non pas des bijoux, mais un oeuf. Un œuf, symbole de naissance, clin d'œil à Pâques et à la religion orthodoxe, est véritable sujet artistique depuis des siècles. Il commande alors à un jeune joaillier prometteur, un certain Pierre-Carles Fabergé, un œuf, disons pas comme les autres. L'œuf de Fabergé paraît simple d'extérieur, réalisé en émail blanc et orné d'une fine frise d'or. Mais c'est ce que renferme l'œuf qui est fascinant. Lorsqu'on l'ouvre, il révèle une poule miniature en or, qui elle-même contient une minuscule couronne impériale certie d'un vulgaire. Ok. Et vous, vous avez eu quoi pour Pâques cette année ?
- Speaker #1
On va en faire comme si on n'avait pas entendu. Comme ça, ça évite de balancer une gifle rapide et un peu malin et de péter les lunettes. Ce qui a toujours été moi, parce qu'on m'a toujours dit « Fais attention aux lunettes » . Tu vois ce que je veux dire ? En tout cas,
- Speaker #0
devant ce cadeau au cabinet de curiosité, poétique, raffiné et hautement symbolique, l'impératrice Maria Fedorovna est conquise. Qu'à cela ne tienne, la tradition est née, chaque année, pour Pâques. Pierre-Karl Faberger réalise un nouvel œuf pour la famille royale. De véritables trésors, à la frontière entre l'orfèvrerie, la mécanique de précision et l'art pur. Mais cela ne va pas durer. En 1917, la révolution éclate, les Romanovs sont exécutés et les œufs, eux, se dispersent dans le chaos. Et pourtant, l'œuf n'a pas dit son dernier mot. Car, dans sa forme parfaite, en représentant à la fois le mystère et la vie, Il reste une source d'inspiration pour les artistes du monde entier, notamment des surréalistes qui en font un emblème. Pour Dali, l'œuf exprime de multiples dualités. La naissance et la mort, la fragilité à nu et le noyau réconfortant, mais aussi la forme parfaite. D'ailleurs, il déclare un jour « l'œuf me fascine car tout y est. L'intérieur mou, l'extérieur est dur et le mystère entre les deux. »
- Speaker #1
« Chaque fois que je vois un œuf, il resterait des heures à le regarder. »
- Speaker #0
Il le place d'ailleurs dans plusieurs de ses toiles, comme dans Le grand masturbateur, qui fait scandale en 1929. Chez René Magritte, l'œuf est aussi omniprésent. En ce moment, par exemple, je bloque littéralement sur son tableau Variations de la tristesse. On y voit un œuf couché derrière une poule, qui elle-même regarde un œuf sur son coctier. Peu importe de quel côté la poule tourne la tête, soit elle fait face à son passé disparu, Soit elle affronte son destin funeste, la condition humaine, coincée entre un œuf dur et le vertige du temps. Si vous pensez que l'œuf appartient aux antiquaires et aux musées, détrompez-vous. Il continue d'inspirer les artistes contemporains, moins sur sa forme que sur ce qu'il représente. Il sert désormais de médium pour interroger le monde qui nous entoure. En 2019, un créatif du nom de Chris Godfrey publie une photo d'œuf sur Instagram, intitulée « œuf d'oiseau sur fond blanc » . Accompagné de la description « battons le record du monde de like » , Godfrey lance une expérience sociale. En quelques jours à peine, l'œuf devient la photo ayant eu le plus de likes de l'histoire du web, dépassant et de loin les plus grandes célébrités de ce monde. Ce simple œuf nous met face à la viralité, la vanité et le sens qu'on donne à ce qu'on regarde. En 2023, l'artiste britannique Sarah Lucas a proposé à des femmes de lancer mille œufs sur une toile pour créer une œuvre collaborative intitulée Splat. Son objectif ? Questionner la violence, la féminité et l'expression artistique à travers l'acte de briser des œufs. Alors non, l'œuf n'est pas un simple objet. C'est une promesse, un danger, une illusion. De la cour des tsars aux stories virales, des pinceaux de Magritte aux seringues de la biotechnologie, l'œuf continue d'éclore, encore et encore, dans les imaginaires les plus féconds. Pensez-y quand vous dégusterez vos chocolats. Si cet épisode vous a plu, n'hésitez pas à le liker ou encore mieux, le commenter et le partager. C'est un énorme coup de pouce pour rendre tout ce travail plus visible. Je vous remercie pour votre écoute et vous dis à la semaine prochaine pour de nouvelles anecdotes croustillantes sur l'art et le design.